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![]() Baha'u'llah Introduction à sa vie et à son enseignement Bureau d'information de la Communauté Internationale Bahà'ie |
Le 29 mai 1992 marque le centenaire du décès de Bahà'u'llàh. A ses yeux, l'humanité constituait un seul peuple et la Terre une patrie commune. L'espérance des hommes se focalise aujourd'hui, sur cette vision planétaire, négligemment délaissée, il y a plus de cent ans, par les puissants de ce monde à qui Bahà'u'llàh l'avait exposée. Dans son message, il avait prédit avec une remarquable pertinence, un effondrement de l'ordre moral et social du monde qui apparaît de nos jours inéluctable.
Ce centenaire
est l'occasion de publier la présente introduction à la vie et
à l'oeuvre de Bahà'u'llàh. Préparé à
la demande de la Maison Universelle de Justice, l'instance garante des actions
consécutives aux événements fondateurs du siècle
dernier, ce texte témoigne du sentiment de confiance avec lequel les
bahà'ìs, partout dans le monde, envisagent l'avenir de la planète
et de la famille humaine.
A la veille du troisième millénaire, le genre humain se voit confronté à l'impérieuse nécessité de trouver une approche cohérente et harmonieuse de la nature de l'homme et de la société. Dans son empressement à répondre àcette exigence, notre monde a été ébranlé, depuis un siècle, par une succession de boulever- sements idéologiques qui semblent mainte-nant s'essouffler. La passion investie dans cette recherche acharnée témoigne, malgré ses résultats décevants, de l'intensité de l'aspiration. Mais, sans une certitude partagée quant au sens et à la finalité de l'histoire des hommes, on ne peut espérer jeter les bases d'une société mondiale, dans laquelle chaque être humain pourrait pleinement s'engager.
Telle est la vision développée dans les Ecrits de Bahà'u'llàh, figure prophétique du dix-neuvième siècle, dont le crédit grandissant constitue le fait le plus remarquable de l'histoire religieuse contemporaine. Né en Perse le 12 novembre 1817, Bahà'u'll'h (01) s'engagea, à l'âge de vingt-sept ans, dans une oeuvre qui, peu à peu, souleva l'admiration de plusieurs millions de personnes de toute origine, culture, classe et nation sur Terre, et gagna leur adhésion loyale. Le phénomène n'a pas d'équivalent dans le monde contemporain. il peut en revanche être associé à d'autres moments où l'histoire collective des hommes, au point culminant de son évolution, a pris un tournant décisif. Bahà'u'llàh proclama n'être rien moins que le messager de Dieu pour l'Age de la maturité de l'humanité et porter en lui une révélation divine qui accomplissait les promesses des religions antérieures, et allait créer les liens et engendrer l'élan spirituel nécessaires à l'unification des peuples du monde.
Les effets de la vie et des écrits de Bahà'u'llàh, que l'on peut simplement constater aujourd'hui, sont en eux-mêmes suffisants pour retenir l'attention de quiconque croit que la nature de l'homme est spirituelle par essence et que l'organisation future de notre planète doit tenir compte de cet aspect de la réalité humaine. Qui le désire peut accéder à une documentation fournie et l'examiner à sa guise : des archives détaillées et authentifiées sur la naissance d'un système religieux indépendant et sur la vie de son fondateur sont, pour la première fois dans l'histoire, à la disposition de tous les hommes. Des annales sont également disponibles, où les réactions suscitées par cette foi nouvelle ont été consignées au fur et à mesure de l'émergence d'une communauté universelle qui peut déjà, à juste titre, prétendre représenter un microcosme de l'espèce humaine (02).
Durant les premières décennies de ce siècle, l'expansion de cette communauté resta relativement discrète. Les Ecrits de Bahà'u'llàh interdisent le prosélytisme entreprenant par lequel de nombreux messages religieux se sont répandus. De plus, la priorité accordée par la communauté bahà'ie à la formation de groupes à l'échelon local sur l'ensemble de la planète, n'a permis ni l'émergence précoce d'importantes concentrations de croyants dans un même pays, ni la mobilisation des ressources nécessaires pour sensibiliser le public par le biais de programmes d'information à grande échelle. Arnold Toynbee, intrigué par des phénomènes pouvant illustrer les circonstances de l'apparition d'une nouvelle religion universelle, remarqua dans les années cinquante que la Foi bahàie était alors aussi familière à la moyenne des occidentaux cultivés que le christianisme l'avait été à la classe correspondante dans l'Empire romain du second siècle après Jésus-Christ (03).
Ces dernières années la situation a évolué de façon spectaculaire avec l'augmentation considérable du nombre des bahà'is, dans de multiples pays. Aujourd'hui, il n'existe pratiquement aucune région sur Terre où le modèle de vie enseigné par Bahà'u'llàh n'ait pris racine. Les projets de développement sociaux et économiques de la communauté bahà'ie suscitent le respect des cercles gouvernementaux, intellectuels et onusiens. C'est une raison de plus pour examiner sérieusement et impartialement la source inspiratrice de ce processus de transformation sociale qui, en ses points essentiels, est unique au monde.
La nature de cet
élan créateur ne fait aucun doute. Les Ecrits de Bahà'u'llàh
couvrent un éventail de sujets qui vont des enjeux de société
comme l'intégration raciale, l'égalité des sexes et le
désarmement aux questions qui touchent à la vie la plus intime
de l'âme humaine. Les textes originaux qu'il a, pour la plupart, écrits
de sa propre main ou qu'il a lui-même dictés puis authentifiés,
ont été méticuleusement conservés. Depuis plusieurs
dizaines d'années, un programme systématique de traduction et
de publication en plus de huit cents langues, a mis ces Ecrits fondamentaux
à portée de chacun, partout dans le monde.
La mission de Bahà'u'llàh débuta dans un cachot souterrain de Téhéran, en août 1852. Issu d'une famille noble dont l'origine remonte aux grandes dynasties impériales de la Perse, il déclina l'offre d'une carrière ministérielle et préféra consacrer son énergie à diverses oeuvres philanthropiques qui, dès les années 1840, lui valurent la renommée de père des pauvres. Cette existence privilégiée se dégrada rapidement après 1844, lorsque Bahà'u'llàh devint l'un des principaux défenseurs d'un mouvement qui devait changer le cours de l'histoire de son pays.
Le début du dix-neuvième siècle fut, en de nombreuses contrées, une période d'attente messianique. Profondément troublés par les implications de la recherche scientifique et de l'industrialisation, des croyants sincères, de diverses origines religieuses, se penchèrent sur les Ecrits saints de leur religion pour comprendre le processus qui s'accélérait. En Europe et en Amérique, des groupes, comme les membres de la Société du Temple, ou les adeptes de William Miller, estimaient avoir trouvé dans les Ecritures chrétiennes, à l'appui de leur conviction, des preuves que la fin des temps était arrivée et que le retour du Christ était proche. Une effervescence étonnamment semblable se développait au Moyen-Orient autour de différentes prophéties du Coran et des traditions islamiques, dont l'accomplissement semblait imminent.
Le plus spectaculaire de ces mouvements millénaristes fut celui de la Perse. Il était centré autour de la personne et des enseignements d'un jeune marchand de la cité de Chiraz, que l'histoire a retenu sous le nom de Ba'b (04). Pendant neuf ans, de 1844 à 1853, la déclaration du Bàb annonçant que le Jour de Dieu était proche et qu'il était lui-même le promis des Ecrits islamiques avait transporté d'enthousiasme et d'espoir des Persans de toutes origines sodales. L'humanité, disait-il, était à l'aube d'une ère qui verrait tous les aspects de la vie se restructurer. Dans l'âge nouveau, de nouveaux domaines de connaissance, encore inconcevables, permettraient même aux enfants, de surpasser le plus savant des érudits de ce temps. Dieu appelait l'homme à accompagner ce changement grâce à une transformation de sa vie morale et spirituelle. La mission du Bâb, consistait à préparer l'humanité à l'événement situé au coeur de cette évolution : l'avènement de celui que Dieu rendra manifeste, le messager universel de Dieu, attendu par les adeptes de toutes les religions (05).
Cette revendication avait provoqué une violente réaction d'hostilité de la part du clergé musulman. Ses membres enseignaient que le processus de la révélation divine s'était achevé avec Mohammed et que toute assertion contraire constituait une apostasie, punissable de mort. Par ses accusations répétées, le clergé était parvenu à rallier rapidement à sa cause les autorités persanes. Dans tout le pays, des milliers d'adeptes de cette foi nouvelle avaient péri dans une terrifiante succession de massacres et le 9 juillet 1850 (06), le Bàb avait été publiquement exécuté. A une époque où l'Occident commençait à manifester de l'intérêt pour l'Orient, ces événements éveillèrent bienveillance et compassion dans des milieux influents d'Europe. L'espoir de réformes fondamentales, qu'avaient fait naître dans ce pays décadent la grandeur d'âme du Bàb, la noblesse de ses enseignements et l'héroïsme de ses disciples, avait exercé un grand attrait sur des personnalités de l'époque comme Ernest Renan, Léon Tolstoï, Sarah Bernhardt ou le comte de Gobineau (07).
Le rôle primordial de Bahà'u'llàh dans la défense de la cause du Bàb lui valut d'être arrêté et conduit, enchaîné et à pied, à Téhéran. Sa notoriété, la position sociale de sa famille et les protestations élevées par les ambassades européennes contre les pogroms subis par les bàbis le protégèrent dans une certaine mesure. Plutôt que de le condamner à la peine capitale, comme le recommandaient avec insistance certaines figures influentes de la cour, on le jeta dans le Sìyàh-Chàl, la fosse sombre de sinistre réputation, profond cachot infesté de vermine, installé dans un réservoir désaffecté de la ville. Sans chef d'accusation et sans possibilité de recours, il fut enfermé avec une trentaine de compagnons, dans l'obscurité et la saleté de cette prison, au milieu de criminels endurcis, pour la plupart condamnés à mort. Une lourde chaîne, tristement célèbre dans le milieu carcéral au point d'être baptisée d'un nom particulier, fut placée autour de son cou ; elle devait marquer son corps à vie. Lorsqu'on s'aperçut qu'il ne périssait pas aussi rapidement qu'on l'aurait souhaité, on tenta de l'empoisonner.
Au centre des Ecrits de Bahà'u'llàh, se trouvent les grands thèmes qui ont préoccupé les penseurs religieux de tous les âges : Dieu, le rôle de la révélation divine dans l'histoire, la relation entre les différentes religions, le sens de la foi, ou encore les fondements de l'autorité morale dans l'organisation de la société humaine. Dans certains passages de ses textes, Bahà'u'llàh confie le vécu de son expérience spirituelle, ses réponses à l'appel divin et le dialogue avec l'esprit de Dieu qui se trouve au coeur de sa mission. Jamais, jusqu'à présent, l'histoire religieuse n'avait offert au chercheur la possibilité d'approcher de Si près le phénomène de la révélation divine.
Vers la fin de sa vie, dans un bref passage sur ses conditions de détention dans le Sìyàh-Chàl, Bahà'u'llàh relate ses premières épreuves:
« Nous fumes consigné pendant quatre mois dans un lieu d'une saleté innommable. Le cachot était plongé dans une obscurité épaisse, et Nos compagnons prisonniers approchaient les cent cinquante âmes : voleurs, assassins et brigands. Bien que surpeuplé, il n'avait d'autre issue que le passage par lequel Nous étions entré. Aucune plume ne peut dépeindre cet endroit, et aucune langue en décrire l'odeur repoussante. La plupart de ces hommes n'avaient ni vêtement ni couche sur laquelle s'étendre. Dieu seul sait ce qu'il Nous advint dans ce lieu, le plus nauséabond et le plus lugubre des lieux (08) !»
Chaque jour, les gardes descendaient les trois volées de l'escalier raide de la fosse, se saisissaient d'un ou de plusieurs prisonniers et les entraînaient au dehors pour les exécuter. Dans les rues de Téhéran, les observateurs occidentaux étaient plongés dans la consternation par le spectacle des victimes babies déchiquetées par la gueule des canons, lacérées à mort à coups de hache et d'épée, et conduites au supplice, des bougies allumées plantées dans les ouvertures béantes de leurs plaies (09). C'est en de telles circonstances et dans l'expectative d'une mort prochaine, que Bahà'u'llàh reçut le premier signe de sa mission :
« Une nuit, en rêve, ces paroles exaltées se firent entendre venant de toutes parts : "En vérité, nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne t'attriste pas de ce qui t'est advenu et n'en sois pas effrayé, car tu es en sécurité. Sous peu, Dieu suscitera des hommes, trésors de la Terre, qui t'aideront, par toi-même et par ton Nom, par lequel Dieu a revivifié le coeur de ceux qui L'ont reconnu. (10)". »
Dans les récits que l'on possède encore des vies de Bouddha, Moïse, Jésus-Christ et Mohammed, l'inspiration du message de Dieu était uniquement évoquée par des tiers. Ici elle est relatée de manière imagée par Bahà'u'llàh lui-même :
« Pendant
les journées ou je me trouvais dans la prison de Téhéran,
le poids blessant des chaînes et l'air empli de puanteur me laissaient
peu de moments de sommeil ; cependant, au cours de ces rares instants d'assoupissement,
je ressentais comme Si quelque chose coulait du haut de ma tête jusque
sur ma poitrine, tel un puissant torrent qui se précipite sur la terre
depuis le sommet d'une haute montagne. Alors chaque membre de mon corps s'en
trouvait enflammé. En de tels instants, ma langue récitait ce
qu'aucun homme ne pourrait supporter d'entendre (11).»
Finalement, toujours sans jugement ni possibilité de recours, Bahà'u'llàh, dépouillé de ses biens et richesses, fut sorti de prison et immédiatement banni de sa terre natale. Le représentant diplomatique de la Russie, qui le connaissait personnellement et qui avait suivi les persécutions bàbies avec horreur, lui offrit asile et protection dans des territoires placés sous le contrôle de son pays. Etant donné l'état d'esprit régnant à cette époque, accepter une telle aide aurait été inévitablement perçu comme dissimulant un geste politique (12). C'est sans doute pour cette raison que Bahàu'llàh choisit d'accepter le bannissement vers l'Irak voisin, alors sous contrôle de l'Empire ottoman. Cette expulsion marqua le début de quarante ans d'exil, d'emprisonnement et d'amères persécutions.
Dans les années qui suivirent son départ de la Perse, Bahàu'llàh, seul véritable responsable bàbi ayant survécu aux massacres, se consacra en priorité aux besoins de la communauté bàbie regroupée à Bagdad. La mort du Bàb et, dans le même temps, la perte de la plupart des jeunes enseignants et des chefs spirituels de sa Foi avaient dispersé les croyants et les avaient démoralisés. Ses efforts pour rassembler ceux qui s'étaient réfugiés en Irak éveillèrent la jalousie et créèrent des dissensions (13). Alors, Bahà'u'llàh, sur les traces de tous les messagers de Dieu avant lui, se retira dans la solitude, au coeur d'une région montagneuse du Kurdistan. Il l'affirma plus tard, sa retraite, il l'avait envisagée "sans retour" afin "d 'éviter de devenir un sujet de discorde parmi les fidèles, une source de trouble parmi nos compagnons". En dépit de ces deux années de grandes privations et d'épreuves physiques, Bahà'u'llàh décrivit ce temps comme un moment de bonheur intense au cours duquel il avait médité profondément sur le message qui lui avait été confié : "Seul, nous communiions avec notre esprit, oublieux du monde et de tout ce qu 'il renferme (14)".
Finalement, à contrecoeur, persuadé qu'il y allait de sa responsabilité envers la Cause du Bàb, il accéda aux sollicitations du groupe d'exilés désespérés de Bagdad qui, découvrant son refuge, l'avaient supplié de revenir assurer la direction de leur communauté.
De cette première période de son exil, qui précède la déclaration de sa mission en 1863, datent deux des plus importants volumes des Ecrits de Bahà'u'llàh. Le premier est un petit ouvrage intitulé Les Paroles Cachées. Quintessence des repères spirituels de toutes les révélations du passé, ce recueil contient le coeur même du message éthique de Bahà'u'llàh. Par des formules poétiques résumant un point de morale, la voix de Dieu s'adresse directement à l'âme humaine :
" O fils de
l'esprit !
A mes yeux, la chose préférée est la justice ; ne t'en
écarte pas si c'est moi que tu désires, et ne la néglige
pas afin que je puisse me fier à toi. Par elle, tu pourras voir par tes
propres yeux et non par ceux des autres, et tu pourras comprendre par ton propre
savoir et non par celui de ton prochain. Pèse bien ceci : comment dois-tu
être ? En vérité, la justice est le don que je te fais,
le signe de ma tendre bonté. Ne la perds donc pas de vue. "
" O fils de
l'existence!
Aime-moi pour que je puisse t'aimer. Si tu ne m'aimes pas, mon amour, par
aucun moyen, ne pourra t'atteindre. Sache-le, ô serviteur."
" O fils de
l'homme!
Ne t'attriste que si tu es loin de Nous. Ne te rejouis que si tu t'approches
et reviens vers Nous."
" O fils de
l'existence!
Par les mains du pouvoir je t'ai formé, par les doigts de puissance
je t'ai créé ; et en toi j'ai placé l'essence de ma lumière.
Sache t'en contenter et ne cherche rien d'autre, car mon oeuvre est parfaite
et mon commandement t'y engage. Ne le mets ni en question ni en doute (15).
»
La seconde des deux oeuvres majeures composées pendant cette période par Bahà'u'llàh est Le livre de la Certitude : une analyse détaillée de la nature et de l'objet de la religion. Dans des passages qui s'appuient sur le Coran et, avec autant de facilité et de pertinence, sur l'Ancien et le Nouveau Testament, les messagers de Dieu sont décrits comme des artisans d'un processus unique et ininterrompu, celui de l'éveil de l'espèce humaine à ses potentialités morales et spirituelles. Une humanité adulte peut se passer du langage de la parabole et de l'allégorie ; la foi est une affaire non de croyance aveugle mais de connais- sance consciente. Désormais il n'est plus besoin de la tutelle d'une élite ecclésiastique : le don de la raison offre à chaque individu, dans cet âge de lumière et d'éducation, la capacité de suivre l'orientation divine. Seule la sincérité sera un critère.
« Nul homme n'atteindra les rivages de l'océan de la vraie compréhension s'il n'est détaché de tout ce qui est dans le Ciel et sur Terre (...). L'essence de ces paroles est celle-ci : ceux qui foulent le sentier de la foi, ceux qui ont soif du vin de la certitude doivent purifier leur être de tout ce qui est terrestre, leurs oreilles des discours futiles, leurs esprits des imaginations vaines, leurs coeurs de l'attachement aux choses matérielles, leurs yeux de ce qui périt. Ils devraient placer leur confiance en Dieu et, se tenant fermement à Lui, suivre Son sentier. Alors ils deviendront dignes des gloires étincelantes du soleil de la connaissance et de la compréhension divines (...). L'homme ne peut espérer atteindre la connaissance du Tout-Glorieux tant qu'il considère les paroles et les actes des mortels comme un modèle de la vraie compréhension et de la vraie reconnaissance de Dieu et de Ses prophètes.
Considérez le passé. Combien, puissants et manants, ont, en tout temps, impatiemment attendu l'avènement des Manifestations de Dieu en la personne sanctifiée de ses élus (...).Et lorsque les portes de la grâce s'ouvrirent, que les nuages de la bonté divine se déversèrent sur l'humanité, et que la lumière de l'Invisible resplendit au-dessus de l'horizon de la puissance céleste, tous la renièrent et se détournèrent de sa face.
Lorsque la lampe de la recherche, de l'effort sérieux, du désir ardent, de la dévotion passionnée, de l'amour fervent, du ravissement et de l'extase sera allumée dans le coeur du chercheur, lorsque la brise de sa tendre bonté aura soufflé sur son âme, alors, et alors seulement, l'obscurité de l'erreur sera chassée, les brumes du doute et de l'hésitation seront dissipées, les lumières de la connaissance et de la certitude envelopperont son être (...) Alors les faveurs multiples et la grâce abondante de l'Esprit saint et éternel conféreront au chercheur une vie nouvelle, dotée d'une nouvelle vue, d'une nouvelle ouïe, d'un nouveau coeur et d'un nouvel esprit (...). Voyant avec les yeux de Dieu, il percevra en chaque atome une porte le conduisant aux états de certitude absolue. Il découvrira en toute chose les évidences d'une manifestation éternelle
Lorsque le canal qui alimente l'âme humaine sera purifiéde toutes les attaches terrestres qui sont autant d'obstacles, elle percevra infailliblement le souffle du Bien-Aimé à d'incommensurables distances et, guidée par son parfum, atteindra la Cité de la certitude et y entrera.
En chaque âge et ère prophétique cette Cité n'est rien d'autre que le Verbe de Dieu (...).Toutes les directives, les bénédictions, l'apprentissage, la compréhension, la foi et la certitude, conférés à tout ce qui est au Ciel et sur la Terre, sont cachés et gardés précieusement au sein de ces cités (16) ».
Dans ce livre, Bahà'u'llàh ne fait aucune allusion directe à sa propre mission qu'il n'avait pas encore annoncée. Le livre de la certitude est construit surtout autour d'une argumentation vigoureuse en faveur de celle du Bàb martyrisé. Une des raisons, et non la moindre, qui explique l'influence considérable de ce livre sur la communauté bàbie - qui comptait un certain nombre d'érudits et d'anciens étudiants en théologie - est la maîtrise dont fait preuve son auteur lorsqu'il manie la pensée et la doctrine musulmanes pour justifier les prétentions du Bàb à accomplir les prophéties de l'islam. Appelant les bàbis à se montrer dignes de la confiance que le Bàb avait placée en eux et du sacrifice de tant de vies héroïques, Bahà'u'llàh les engagea à relever un défi : non seulement ils devaient se conformer aux enseignements divins, mais aussi faire de leur communauté un modèle pour la population cosmopolite de Bagdad.
L'idée enthousiasma les exilés qui vivaient pourtant dans des conditions de vie précaires. L'un d'eux, Nabil, qui devait laisser à la postérité une chronique détaillée des ministères du Bàb et de Bahà'u'llàh, décrivit l'intensité spirituelle de ces jours-là :
« Pendant plusieurs jours, dix personnes au moins subsistèrent avec tout au plus deux sous de dattes. Nul ne savait à qui appartenaient en réalité les souliers, les manteaux ou les robes qui se trouvaient dans les demeures. Celui qui allait au bazar pouvait dire que les souliers qu'il portait étaient les siens, et chacun de ceux qui étaient admis en la présence de Bahà'u'llàh pouvait affirmer que le manteau ou la robe qu'il portait lui appartenait(...). O la joie de ces jours, et le bonheur et l'émerveillement de ces heures (17).»
Au grand dam des autorités consulaires persanes qui avaient cru l'épisode bàbi terminé, la communauté des exilés devint peu à peu un élément respecté et influent de Bagdad, capitale de la province ottomane d'Irak, et des villes environnantes. Plusieurs sanctuaires chiites importants attiraient dans la région un flot continu de pèlerins persans qui, au contact de la communauté bàbie, bénéficiaient, dans les meilleures conditions, de la renaissance de son rayonnement spirituel. De nombreuses personnalités dont des princes de la famille royale rendaient visite à Bahà'u'llàh dans sa modeste maison. L'un d'eux fut tellement charmé par ce qu'il venait d'y vivre qu'il conçut l'idée quelque peu naïve qu'en reproduisant une copie de cette demeure dans les jardins de son propre domaine, il pourrait retrouver quelque chose de l'atmosphère de pureté spirituelle et de détachement qu'il y avait ressenti d'une façon fugitive. Un autre, beaucoup plus profondément ému, exprima ainsi à des amis son sentiment: "Tous les chagrins du monde se seraient-ils rassemblés dans mon coeur que, je le sens, ils se seraient tous évanouis en présence de Bahà'u'llàh. C'était comme si j'étais entré au paradis (18)''.
En 1863, Bahà'u'llàh
décida que le temps était venu d'informer certains membres de
son entourage de la mission dont il avait été investi dans l'obscurité
du Sìyàh-Chàl.
Cette décision coïncida avec une nouvelle étape de la campagne d'opposition menée avec constance par le clergé chiite et les représentants du gouvernement persan. Craignant que la considération dont Bahà'u'llàh commençait à jouir auprès d'importants visiteurs persans ne rallumât l'enthousiasme populaire en Perse, le gouvernement du Shah fit pression sur les autorités ottomanes pour qu'elles l'éloignent des frontières vers l'intérieur de l'empire. Finalement, les autorités turques cédèrent aux pressions et invitèrent l'exilé à s'installer en qualité d'hôte à Constantinople, la capitale de l'Empire ottoman. Le message était libellé en termes courtois, mais comminatoires (19).
La petite communauté
d'exilés s'était finalement dévouée à la
personne de Bahà'u'lla'h, et s'était attachée à
sa manière d'enseigner les préceptes bâbis. Un nombre croissant
d'entre eux était arrivé à la conclusion qu'il ne parlait
pas seulement comme un défenseur du Bâb, mais au nom de la Cause,
plus élevée, dont ce
dernier avait annoncé l'imminence. Cette conviction se confirma, à
la fin du mois d'avril 1863, lorsqu'à la veille de son départ
pour Constantinople, Bahà'u'llàh rassembla certains de ses compagnons
dans un jardin auquel on attribua plus tard le nom de Ridvan (Paradis)
et leur révéla les fondements de sa mission. Pendant les quatre
années qui suivirent, bien qu'aucune déclaration publique n'ait
été jugée opportune, les confidents partagèrent
peu à peu avec leurs amis proches la nouvelle que les promesses du Bàb
avaient été accomplies et que le jour de Dieu s'était levé.
Les circonstances précises qui entourent cette communication privée sont, au dire de l'érudit bahà'i le plus versé dans les archives de cette époque, et qui fait autorité en la matière, "voilées dans une obscurité que les historiens du futur auront du mal à dissiper (20). Pour saisir la nature de cette déclaration, il faut se référer aux nombreuses allusions que Bahà'u'lla'h y fit par la suite, dans ses écrits :
« Le dessein caché de toute la crea'tion s 'accomplit en ce jour le plus sublime, le plus saint, le jour connu comme le jour de Dieu dans ses livres et ses Ecrits; le jour dont tous les prophètes, les élus et les saints ont souhaité être les témoins (21)»
« Voici le jour où l'humanité peut contempler le visage et entendre la voix du Promis de Dieu. L'appel du Tout-Puissant s'est fait entendre et la lumière de Son visage s'est levée sur les hommes. Il convient à chaque homme d'effacer de la tablette de son coeur toute trace de vaine parole, et de considérer d'un esprit ouvert et exempt de préjugés les signes de Sa révélation, les preuves de Sa mission et les signes de Sa gloire (22)»
Comme Bahà'u'llàh l'a maintes fois souligné dans ses commentaires sur le message du Bàb, l'intention première de Dieu en révélant sa volonté est de transformer le caractère de l'homme et de développer, chez ceux qui répondent à son appel, les qualités morales et spirituelles qui existent à l'état latent dans la nature humaine :
« Parez vos langues de sincérité, ô peuples, et ornez vos dmes de la parure de l'honnêteté. Gardez-vous d'agir traîtreusement envers quiconque. Soyez les représentants de Dieu parmi Ses créatures, et les emblèmes de Sa générosité au milieu de son peuple (23).»
« Illuminez et sanctifiez vos coeurs. Ne permettez pas qu'ils soient profanés par les épines de la haine et les ronces de la malice. Vous êtes tous les habitants d'un même monde et vous avez été créés d'une même volonté. Béni est celui qui se mêle à tous ses semblables dans un esprit de parfaite bonté et d'amour (24) »
Le prosélytisme agressif associé autrefois à la promotion de la religion est déclaré indigne du jour de Dieu. Toute personne qui a reconnu la révélation a la responsabilité de la partager avec ceux qu'elle estime être en recherche, mais elle se doit aussi de leur laisser le choix de la réponse :
« Soyez indulgents et bienveillants, et aimez-vous les uns les autres. S'il s'en trouve parmi vous qui soient incapables de saisir une certaine vérité ou qui doivent faire effort pour la comprendre, entretenez-vous avec eux dans un esprit d'extrême bonté et de parfaite bonne grâce (25). »
« Tout le devoir de l'homme est, en ce jour, d'obtenir la part du flot de grâce que Dieu lui destine. En conséquence, que personne ne s'attache à considérer la capacité du récipient (26).»
Au plus fort de la vague de persécutions sanglantes en Perse, Bahà'u'llàh non seulement déclara à ses disciples: "Il vaut mieux pour vous être tués, que de donner la mort", mais il les pria aussi, instamment, de donner l'exemple de l'obéissance aux autorités civiles : « Dans chaque pays où réside l'un des croyants, il doit se comporter envers le gouvernement de ce pays avec loyauté, honnêteté et droiture (27). »
Les conditions
dans lesquelles s'effectua le départ de Bahà'u'llaàh de
Bagdad illustrent avec force le pouvoir de ces principes. Un cercle d'exilés,
dont l'arrivée dans la région avait suscité suspicion et
aversion, était devenu en quelques années un des pôles les
plus respectés et les plus influents de la société. Ils
subvenaient à leurs besoins grâce à un commerce florissant,
étaient admirés pour leur générosité et l'intégrité
de leur conduite, et les sinistres allégations de fanatisme et de violence,
assidûment propagées par le clergé chiite et par les officiels
consulaires persans, avaient perdu prise sur l'opinion. Le 3 mai 1863, lorsque
Bahà'u'llàh quitta Bagdad à cheval, en compagnie de sa
famille et de ceux de ses compagnons et serviteurs autorisés à
le suivre à Constantinople, il était devenu un personnage populaire
et adulé. Dans les jours précédant ses adieux, un flot
de notables, dont le gouverneur de la province en personne, s'était déplacé
pour lui rendre hommage dans les jardins où il avait provisoirement pris
ses quartiers ; beaucoup venaient deloin. Des témoins de ce départ
ont relaté en termes émouvants les acclamations qui l'accompa-
gnaient, les larmesdu public et le souci des autorités ottomanes et des
personnalités civiles d'honorer leur hôte (28).