Médiathèque baha'ie

L'accord parental au mariage

Etude réalisée par D. Sander

"Il dit - grande est Sa gloire : Mariez-vous, afin que de vous puisse naître celui qui me rappellera au souvenir de mes serviteurs; ceci est l'un des commandements, observez-le dans votre intérêt."
Baha'u'llah (1)

Ce commandement que nous donne Baha'u'llah, nombreux sont ceux qui le suivent, et pour lesquels cela conduit au bonheur. Mais pour certains, le souhait de se conformer à ce commandement peut tourner à une épreuve très difficile. Tel est le cas lorsque des parents s'opposent au mariage conformément au verset 65 du Kitab-i-Aqdas. Dans la grande majorité des cas, cette opposition est justifiée et la sagesse de cette décision se dévoile après coup. Mais d'autres exemples, rares heureusement, cela n'est pas toujours le cas, parce que les parents semblent abuser de ce droit, et le détourne de son noble but. Le but de cet article est d'analyser l'aspect juridique de la question, l'accord parental étant une condition de validité du mariage baha'i qui, en plus d'être un lien sacré, est aussi un lien de nature juridique. Cet article s'inscrit dans une réflexion déjà lancée dans certains pays sur cette problématique (2), de soulever les problèmes posés par l'application du verset 65 et d'apporter quelques propositions de solutions.

I) Une "grave responsabilité" qui connaît des limites

La responsabilité des parents de donner ou non leur accord au mariage de leur enfant est en apparence illimitée (A), mais du fait de ses implications elle doit être limitée(B).

A) Une prérogative des parents en apparence illimitée

Le verset 65 du Kitab-i-Aqdas est en apparence un texte clair (1), mais il cache en réalité une situation juridique complexe (2).

1) Un texte clair

"Il fut ordonné dans le Bayan que le mariage dépende du consentement des deux parties. Désirant établir l'amour, l'unité et l'harmonie parmi nos serviteurs, Nous l'avons conditionné, une fois connu le souhait du couple, à la permission de leurs parents, de peur que ne s'élèvent entre eux l'inimitié et la rancoeur. Et, dans ceci, Nous avons encore d'autres desseins. Ainsi a été ordonné Notre commandement." (3)

Ce verset pose l'autorisation des parents comme une condition pour le mariage. Ce précepte est réaffirmé de nombreuses fois, et confirmé dans son caractère apparemment inconditionnel. En effet il doit s'appliquer que la fiancée soit vierge ou non (4), que les parents soient baha'is ou non, divorcés depuis plusieurs années ou non (5).

Le Gardien précise de surcroît : "La validité d'un mariage baha'i est dépendante du consentement libre et entier des quatre parents. La liberté des parents d'exercer ce droit est sans restriction et inconditionnelle. Ils peuvent refuser leur consentement quelle qu'en soit la raison, et ils sont responsables de leur décision devant Dieu seul." (6)

L'obligation de l'accord parental est donc, du moins en apparence, sans restriction et inconditionnelle. Et les conséquences du non-respect de cette règle sont draconiennes. En effet un mariage sans l'accord de tous les parents entraîne au moins la suppression des droits de vote des époux (7), et probablement la nullité du mariage baha'i (8).

Mais indépendamment de l'obligation de l'accord parental, le verset 65 fonde aussi le droit de chaque individu de choisir librement son conjoint. Ce droit est confirmé par Abdu'l-Baha : "Quant à la question du mariage contracté selon la loi de Dieu: tu dois, en premier lieu, choisir un conjoint qui te plaise, et la question est ensuite soumise au consentement des parents. Ceux-ci n'ont aucun droit d'intervenir avant que tu fasses ton choix." (9)

S'opposent donc la liberté de l'enfant de choisir son conjoint d'une part, et la liberté des parents de refuser ce dernier d'autre part, qui sont deux prérogatives qui se limitent réciproquement et font apparaître une situation juridique d'une complexité insoupçonnée à la simple lecture du verset 65.


2) Une situation juridique complexe

Baha'u'llah nous dit : "Ne croyez pas que Nous vous avons révélé un simple code de lois. Nous avons plutôt décacheté, avec les doigts de la force et du pouvoir, le vin de choix." (10). Mais on ne peut nier que le Kitab-i-Aqdas contient aussi des règles juridiques fondant des droits et des devoirs pour les sujets de droits soumis à cet ordre juridique. D'ailleurs Baha'u'llah ajoute : "Prêtez l'oreille aux versets de Dieu que vous récite celui qui est l'Arbre sacré. Ils sont assurément l'infaillible balance, établie par Dieu, le Seigneur de ce monde et de l'autre." (11) Déjà aujourd'hui l'ordre juridique posé par Baha'u'llah s'applique à l'humanité. Seulement il n'a de conséquences en droit positif que pour les baha'is. Cela signifie que l'on peut invoquer devant les organes juridictionnels baha'is, que sont la Maison Universelle de Justice et les Assemblées spirituelles nationales et locales (appelées à être appelées Maison de Justice), les droits et devoirs fondés par les textes sacrés pour chaque croyant.

Le Kitab-i-Aqdas est la pièce maîtresse de l'ordre juridique baha'i en ce qu'il est "l'infaillible balance", le fondement de l'ordre de valeurs, qui est la base de notre ordre juridique, et à ce titre il contient aussi de nombreuses indications d'ordre technique sur les règles à appliquer entre les sujets soumis au droit baha'i, et peut et doit donc faire l'objet d'un travail d'analyse et d'interprétation juridique afin de pouvoir être appliqué. En effet, tout comme une loi nécessite un décret d'application, un nombre important de règles fixées dans le Kitab-i-Aqdas exigent des précisions quant à leur utilisation concrète.

En particulier dans le domaine du droit de la famille le Kitab-i-Aqdas fixe de nombreuses règles fondant des droits et des devoirs pour les croyants. C'est ainsi que dans le verset 65 se trouvent ancrées deux libertés : celle de l'enfant et celle des parents, qui sont par nature concurrentes. De ce fait il faut trouver des solutions pour gérer le conflit inhérent à l'opposition de ces deux droits et les délimiter l'un par rapport à l'autre.

Dans tout système juridique moderne les droits de tout un chacun trouvent au moins une limite dans les droits de l'autre. Un exemple de cela est le fameux article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui énonce : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits.". Un droit intangible peut et doit être limitée par un autre droit intangible. Par exemple la liberté de la presse peut et doit être limitée par la liberté de tout un chacun au respect de sa vie privée.

La liberté de l'enfant de choisir son conjoint, tout comme la liberté des parents de refuser leur accord sont des droits intangibles car fixés de façon inconditionnelle par le texte du Kitab-i-Aqdas. Ces deux droits se limitent donc réciproquement. Le droit de l'enfant n'est pas de nature à priver les parents de leur droit, puisque le mariage est soumis à ce dernier. En effet, si elle ne l'était pas, la liberté de l'enfant serait privée de tout efficacité puisque les parents pourraient sans limites interdire le mariage de leur enfant, ce qui serait contraire à l'objet et au but du verset 65.

Ce verset fonde à la fois un devoir et une obligation pour les parents. Le devoir de prendre une décision dans l'intérêt de leur enfant et de la société. Et seul un usage de cette prérogative conforme à ce devoir, donc n'allant pas contre l'intérêt évident de l'enfant ou de la société est valable. Cette idée de devoir envers l'enfant et la société peut se traduire par la notion de fiducie (12). Les parents sont les fiduciaires de l'intérêt de leur enfant et de la société, et tout fiduciaire n'a le droit d'agir que dans les limites de cet intérêt. Mais il fonde aussi un droit pour les parents, celui de "contrôler" les personnes qui vont entrer dans la même entité sociale qu'eux. Mais ce droit doit être limité par le droit de l'enfant.

C'est ainsi que l'accord ou le refus d'accord des parents ne peut valablement intervenir que si il est couvert par l'objet et le but du verset 65. Tout cela indique que nous sommes face à une situation bien plus complexe qu'il n'y parait à la simple lecture du verset 65. Tout cela demande donc une interprétation plus précise qui doit définir les conditions d'application de cette obligation sacrée, à la fois droit et devoir des parents, et le cas échéant procéder à une réduction téléologique de leur prérogative.


B) Les limites de la prérogative des parents

Remarque préliminaire
Une chose à garder à l'esprit dans le domaine de l'interprétation de textes, a fortiori lorsqu'il s'agit de textes sacrés, est un fondement de l'interprétation juridique - interpretatio cessat in claris - que rejoint l'avertissement de Vatel : "il n'est pas permis d'interpréter ce qui n'a pas besoin de l'être". Si elle est nécessaire pour définir les limites inhérentes à un texte, l'interprétation ne doit pas le dénaturer.

Le verset 65 est un texte qui a déjà été partiellement limité (1), et dont les limites se trouvent aussi dans son objet, son but et le contexte général dans lequel il se trouve (2).

1) Un texte déjà partiellement limité

Malgré ce qui vient d'être montré, certains diront, se fondant sur la dernière remarque faite à l'instant, que ce texte ne nécessite aucune interprétation tant il est clair. Une telle affirmation est déjà un contresens en soi, car dire d'un texte qu'il est clair, c'est déjà porter sur lui un jugement de valeur, et donc l'interpréter (13).

De surcroît, comment expliquer dans ce cas que le verset 65 a déjà été limité par la Maison Universelle de Justice elle-même. En effet elle prévoit des cas dans lesquels l'accord parental n'est pas requis. Cela est le cas si l'un des parents est décédé (ce qui tombe sous le sens), porté disparu, mais aussi si il est incapable civil, briseur de Covenant, ou si le parent a renié son enfant. (14)

Baha'u'llah ne fait aucune allusion à une quelconque limitation de l'accord des parents dans aucun de ces cas. Il en va de même pour les règles établies par la Maison Universelle de Justice pour les consentements à obtenir en cas d'adoption. Et pourtant notre institution suprême a usé de sa compétence d'édiction de droit pour préciser le champ d'application de ce texte prouvant par là même qu'il n'est pas simplement applicable sans plus de précisions.

Pourtant à la question: "est-il nécessaire d'obtenir le consentement des parents d'un participant non baha'i à un mariage contracté avec un baha'i ?" le Gardien a répondu : "Comme Baha'u'llah a révélé que le consentement des parents des deux parties est nécessaire pour l'unité et éviter les frictions, et que l'Aqdas ne spécifie aucune exception à cette règle, le Gardien a le sentiment qu'en toutes circonstances le consentement des parents des deux parties est exigé." (15) Là aussi le texte est clair !

Et malgré cela la Maison Universelle de Justice a fixé certaines règles. Toutes les exceptions et limitations au champ d'application du verset 65 sont justifiées par la ratio legis du verset. Pour reprendre les cas principaux :
- l'exclusion de l'accord de parents décédés tombe sous le sens, il serait contraire à l'objet et au but du verset 65 d'empêcher techniquement tout mariage d'enfants dont les parents sont décédés. En effet, une application stricto sensu du verset conduirait à cela.
- l'exclusion des briseurs de Covenant est aussi justifiée. Pourquoi des personnes qui ont violé au plus haut degré la loi de Baha'u'llah pourraient-ils se prévaloir d'un droit consenti aux parents ? Cela serait contraire encore une fois à l'objet et au but du verset 65.
- enfin il en est de même pour les personnes qui sont reconnues incapables civilement. En effet il serait contradictoire que tout leurs faits et gestes soient sans conséquences juridiques, mais que leur accord, qui a d'importantes conséquences juridiques, à savoir la validité ou non du mariage, soit exigé.
Tout cela ne sont que des limitations ratio legis du verset 65 par la Maison Universelle de Justice, qui confirment que même une norme en apparence claire et sans restrictions, peut et doit être interprétée afin de lui trouver des limites.

Il existe différents outils d'interprétation juridique qui peuvent aussi être appliqués aux textes sacrés contenant des règles de droit (16). L'interprétation selon le sens ordinaire des mots ou la grammaire ne nous est pas d'une grande utilité. En effet, comme nous avons vu, le texte est en apparence très clair. Toutefois il existe encore l'interprétation téléologique, c'est-à-dire d'après l'objet et le but du texte (ratio legis), et l'interprétation d'après le texte et le contexte, c'est-à-dire la norme prise dans son environnement juridique. Ces deux méthodes d'interprétation permettent de dégager des limites à ce principe.


2) Un texte limité par son objet, son but et le contexte dans lequel il se trouve

Toute norme trouve une limite inhérente en sa ratio legis, c'est à dire son objet et son but. Parmi ceux-ci on trouve pour le verset 65, la préservation de l'unité dans la famille, cellule de base de la société, la protection des "enfants" de toute décision irréfléchie, une certaine garantie que le partenaire choisi soit "le meilleur possible", et bien d'autres encore, car il ne faut jamais perdre de vue les mots de Baha'u'llah : "Et, dans ceci, Nous avons encore d'autres desseins." (17)

Afin d'atteindre le but du choix du meilleur conjoint possible, les parents doivent faire le nécessaire pour apprendre à connaître le potentiel époux de leur enfant. D'ailleurs la Maison Universelle de Justice dit expressément que les parents doivent agir objectivement (18). Cela implique certainement une obligation des parents de rencontrer, d'écouter, et d'apprendre à connaître la personne choisie (19). Sans cela leur décision ne saurait être fondée de façon à remplir l'objectif recherché par le verset 65, illustré entre autre par l'injonction d'objectivité de la Maison Universelle de Justice. Le fait que des éléments, rendant d'entrée de jeu impossible l'accord des parents, soient portés à leur connaissance pourrait tout à fait justifier une exception à cette obligation d'apprendre à connaître le potentiel conjoint de son enfant.

De plus, la liberté qu'ont les parents de refuser pour quelque motif que ce soit ne doit pas être confondue avec l'obligation de justification de la décision (20). Un des objectifs étant le maintien de l'unité dans la famille, il semble essentiel que la décision des parents, surtout en cas de refus, fasse l'objet d'une saine consultation entre les parents et l'enfant. Et une telle consultation n'est envisageable que si les parents justifient leur décision.

Ces deux obligations de se faire un avis objectif sur la personne choisie et la justification de leur décision, au moins envers leurs enfants, sont des éléments qui pourraient un jour faire l'objet d'une codification de la Maison Universelle de Justice. L'obligation de justification pourrait aussi servir à établir des faits en cas de litige au sujet de l'accord parental.

Nous avons donc déjà, par l'outil de l'interprétation selon la ratio legis du texte, trouvé deux limites d'ordre procédural à l'exercice de ce droit. Mais il existe aussi des limites d'ordre matériel que nous allons essayer d'esquisser par l'interprétation systématique de l'obligation dans le contexte des normes, droits et devoirs juridiques qui l'entourent, et le cas échéant proposer des réductions téléologiques du champ d'application de cette norme, comme la Maison Universelle de Justice en a déjà édictée.

Quelques exemples permettent de comprendre, que la prérogative des parents est implicitement limitée par certains droits de tiers, et en particulier de leur enfant. Par exemple il est possible d'épouser une personne non-croyante (21). Il serait par conséquent totalement inconcevable que des parents refusent de donner leur accord pour un simple motif relevant de l'appartenance du futur conjoint à une autre religion. Si cela était possible, ce droit prévu par Baha'u'llah lui-même pourrait se voir priver de toute portée par les parents refusant leur accord. Il en est assurément de même si le refus est fondé sur des considérations d'ordre racistes, sur l'origine sociale de la personne choisie, ou sur toute autre raison manquant du moindre fondement rationnel.

Cela n'exclut en rien que les parents refusent leur consentement du fait des conséquences que peuvent avoir par exemple l'appartenance à une autre religion. Ils peuvent considérer, compte tenu de la personne choisie, que dans ce cas particulier cela risque de poser trop de problèmes en matière d'éducation des enfants par exemple (22).

Mais en aucun cas la simple appartenance à une autre communauté religieuse, ou de pensée, à une autre classe sociale, ou tout autre motif fallacieux ne pourrait être une motivation valable du simple fait que de telles motivations vont contre des principes fondamentaux de notre Foi (23).

Voilà donc encore un cas dans lequel la Maison Universelle de Justice pourrait légiférer afin de réglementer l'utilisation de cette prérogative parentale, et les conséquences à en tirer le cas échéant. Il est évident que cela va de paire avec la possibilité d'un contrôle, afin d'éviter les abus de parents invoquant des pseudo conséquences pour justifier leur motivation profonde contraire à la loi baha'ie. Mais cela n'est pas sans poser de nombreux problèmes quand aux modalités d'un tel contrôle.

En résumé, la prérogative parentale est limitée intrinsèquement d'une part, et par les droits consentis aux enfants d'autre part. Il s'agit à la fois d'un droit et d'un devoir. Tout système juridique créant des droits et des devoirs institue aussi des mécanismes afin de sanctionner l'abus de droit ou le manquement à un devoir. C'est sur les conséquences de l'abus ou du manquement à cette prérogative sacrée des parents qu'il faut maintenant s'interroger.


II) Quelles conséquences tirer de ces interprétations ?

Remarques préliminaires
La Maison Universelle de Justice est l'organe législatif et judiciaire suprême de notre Foi bien-aimée. Ce cumul de pouvoirs, auquel elle joint d'ailleurs aussi l'exécutif, est une problématique intéressante, au regard de la conception traditionnelle dans nos sociétés de la séparation des pouvoirs. Mais cela n'est pas l'objet de cet article. La Maison Universelle de Justice a reçu de Baha'u'llah la compétence de préciser les conditions d'applications des principes de nos Ecrits en terme juridiques et pratiques, et d'adopter, le cas échéant et dans des conditions fixées, des réglementations afin d'adapter le système juridique baha'i à l'avancée de notre temps. Bien que divinement inspirée, la Maison Universelle de Justice est techniquement parlant un législateur et un juge, lequel a besoin, lorsqu'il s'agit d'édicter des normes juridiques d'ordre techniques, d'experts pour l'assister dans son travail. Un tel travail sera donc grandement facilité par l'existence d'une forme de "doctrine juridique baha'ie" dont la tâche serait de réfléchir, de débattre et de proposer des moyens pour arriver aux fins fixées dans les Ecrits.

Les démonstrations précédentes arrivent à la conclusion que certains comportements relatifs à l'accord parental avant le mariage ne sont pas conformes à l'esprit et à la lettre interprétée du verset 65, et peuvent même être parfois caractérisés d'abus de droit. De telles situations sont juridiquement pathologiques et ne peuvent être à terme tolérées dans un système juridique. En effet un système juridique qui accepterait l'abus de droit, accepterait par là même que ses règles soient violées, et serait voué à une fin certaine. L'opinion de l'auteur est donc, sous réserve de l'avis de la Maison Universelle de Justice, qu'à terme une législation dans ce domaine sera nécessaire.

Sans revendiquer la qualité d'expertise, ni de vérité même relative, les analyses ci-dessous se veulent une humble participation, fruit d'une réflexion personnelle, et de discussions diverses, à un débat déjà ouvert et qui pourra durer jusqu'à ce que la Maison Universelle de Justice décidera de l'opportunité ou non de légiférer dans ce domaine, et le cas échéant des règles applicables.

L'accent a souvent été mis sur le fait que l'accord parental n'est pas une simple formalité administrative. Il faut donc être prudent dans les interprétations que l'on donne du verset 65, et les conséquences que l'on en tire. Il s'agit avant tout d'un droit et d'un devoir sacré confié aux parents et qualifié de "grave responsabilité" (24) par la Maison Universelle de Justice. Il convient de distinguer deux catégories de conséquences, d'une part les conséquences pour les parents (A), et d'autre part les conséquences pour le mariage (B).


A) Les conséquences pour les parents

On pourrait être tenté de dire que, quelle que soit leur décision, il ne peut y avoir de conséquences pour les parents puisque le Gardien nous dit : "ils sont responsables de leur décision devant Dieu seul." (25) On peut penser aussi à ce sujet à cet extrait d'un message de la Maison Universelle de Justice : "Trop souvent, de nos jours, les parents qui ne sont pas baha'is refusent de donner un tel consentement pour des raisons d'étroitesse d'esprit ou de préjugé racial; [...] en observant les lois baha'ies face à toutes les difficultés qui se présentent, non seulement nous renforçons notre propre caractère mais nous influençons aussi notre entourage." (26)

On pourrait en conclure qu'il n'y a rien à faire lorsque des parents refusent leur accord pour des raisons qui ne sont évidemment pas en accord avec l'objet, le but et l'esprit du verset 65 tel que décrit ci-dessus. Mais il faut garder à l'esprit que ce dernier texte ne concerne que des parents non baha'is, bien que cela ne change rien au fait que leur décision soit contraire au droit baha'i. Seulement la loi de Baha'u'llah appliquée par la Maison Universelle de Justice et les Assemblées spirituelles n'a d'effet qu'à l'égard de ceux qui l'ont acceptée, à savoir donc les baha'is. Il n'est donc pas étonnant que la Maison Universelle de Justice ne tire aucune conséquence d'une telle décision prise par des non baha'is, et fondée sur des motifs clairement incompatibles avec le verset 65 du Kitab-i-Aqdas.

Mais la responsabilité des parents devant Dieu n'empêche en rien des conséquences dans l'ordre juridique baha'i pour les parents baha'is. En effet, comment expliquer sinon que le Gardien confirme la décision d'une Assemblée Spirituelle Nationale qui suspendit à la fois les droits de votes d'un enfant et de ses parents pour avoir célébré un mariage musulman dans des circonstances contraires à la loi baha'ie (27).

Le raisonnement juridique fondant une telle décision est simple. Une des causes de suspension des droits de vote prévue par le Gardien est la violation de lois concernant le statut personnel (28). Cela est le cas du verset 65 qui traite justement du mariage, donc du statut personnel de l'individu. La Maison Universelle de Justice constatant donc que le comportement dans le cas d'espèce soumis était contraire à la loi baha'ie sur le mariage, confirme la décision de l'Assemblée Spirituelle Nationale de suspendre les droits de votes des intéressés.

Suite au démonstrations faites, certains comportements des parents sont donc, selon l'interprétation donnée dans cet article, contraire à la loi baha'ie sur le statut personnel, puisque contraire à l'objet, au but et à l'esprit du verset 65. Ils pourraient donc tout à fait entraîner la suspension des droits de votes de parents refusant leur accord pour des raisons que les institutions pourraient qualifier de non valables au regard du verset 65, tout comme le Gardien le fait dans le cas susnommé. Il faudrait tout de même garder à l'esprit qu'alors que dans le cas cité ci-dessus les parents auraient eut l'obligation de refuser leur consentement au mariage uniquement selon le rite musulman, on ne peut pas imposer à qui que ce soit de donner son consentement. La situation est donc quelque peu différente, mais la sanction, juridiquement fondée, pourrait être appliquée si la Maison Universelle de Justice en décidait ainsi.

Il convient dans ce contexte de rappeler tout d'abord que la suspension des droits de votes est, selon Shoghi Effendi, une sanction très grave (29), à laquelle on ne doit recourir qu'en dernier recours (30). Il ne s'agit dans beaucoup de cas d'ailleurs pas d'une sanction automatique : par exemple une condamnation pénale n'entraîne pas automatiquement la suspension des droits de vote (31). Une telle suspension est de surcroît toujours conditionnelle et temporaire (32).

Mais une telle sanction serait un moyen de prévention très efficace, qui limiterait grandement les risques d'abus de droit de la part des parents dont le seul but serait de chicaner leur enfant pour quelque raison que ce soit. Mais elle devrait être utilisé avec beaucoup de prudence et de parcimonie et ne pas devenir un moyen de pression dans des circonstances dans lesquelles cela ne serait pas justifié. La Maison Universelle de Justice pourrait donc être amenée, si elle le juge utile, à légiférer dans ce domaine, et à éclairer de sa sagesse les voies à suivre pour les institutions si elles devaient un jour avoir à prendre de telles décisions.

Malgré l'existence de ce premier remède au problème de refus contraire à la loi baha'ie, il faut aussi s'interroger sur les conséquences pour le mariage dans les cas où ce premier outil n'aura pas été suffisant pour prévenir le conflit.


B) Les conséquences pour le mariage

La question de savoir ce qui se passe si les parents refusent pour des motifs manifestement en désaccord avec la loi baha'ie de donner leur accord, et malgré toutes les interventions des institutions, et l'éventuelle suspension de leurs droits de vote, est une question très délicate. En effet, nous touchons à une règle juridique, soit, mais une règle juridique doublée d'un fondement spirituel que l'on ne peut simplement mettre de côté. Et d'ailleurs la Maison Universelle de Justice nous confirme cela :

"Les baha'is, qui ne peuvent pas se marier parce que le père ou la mère, ou bien les deux, refusent de donner leur consentement au mariage, peuvent consulter l'assemblée spirituelle locale pour voir si elle peut suggérer un moyen de changer l'attitude des parents concernés. Lorsque les croyants font face à de tels problèmes, ils doivent placer toute leur confiance en Baha'u'llah, consacrer davantage de leur temps au service à l'enseignement et au développement de sa cause, être absolument fidèle à son commandement d'observer une vie pure et chaste et se fier à Lui pour ouvrir la voie et pour éliminer l'obstacle ou faire connaître sa volonté." (33) "[...] il faut obtenir le consentement des parents dans tous les cas, avant que le mariage ne puisse avoir lieu. L'obéissance aux règles de Baha'u'llah imposera nécessairement une contrainte dans certains cas particuliers." (34)

Il faut toutefois être prudent avec l'interprétation de tels extraits, car souvent ils ne sont qu'une réponse à un cas particulier dont nous ne connaissons pas forcément les circonstances d'espèce. Mais il semble bien qu'il soit complètement impossible d'envisager une substitution d'un accord institutionnel à l'accord parental. Cela serait aussi contraire à l'objet et au but du verset 65, et méconnaîtrait probablement le rôle accordé aux parents dans la révélation de Baha'u'llah.

Mais cela ne change rien au fait que nous avons à faire parfois à des cas extrêmes d'abus de droit, que l'on peut qualifier de juridiquement pathologiques, et qui ne peuvent être tolérés dans un ordre juridique. Il faut donc d'une façon ou d'une autre trouver une solution pour résoudre un tel conflit.

On pourrait donc envisager, non pas une substitution, mais une exonération d'accord parental par les institutions. Etant donné la gravité d'une telle mesure, il conviendrait probablement de ne consentir, au moins dans un premier temps, une telle prérogative qu'aux Assemblée Spirituelles Nationales, tout comme seules elles peuvent suspendre les droits de vote.

Un argument contre une exonération pourrait être un extrait dans lequel la Maison Universelle de Justice nous dit que les seules circonstances dans lesquelles le consentement des parents n'est pas exigé sont : le décès, si un parent est porté disparu au point qu'il puisse être légalement déclaré décédé, si il est incapable civil, briseur de Covenant et, dans de très rares cas que la Maison Universelle de Justice se garde la prérogative de contrôler, en cas de reniement de l'enfant par un parent (35).

Au premier abord cette liste semble effectivement close. Toutefois il faut à ce sujet faire quelques remarques. La Maison Universelle de Justice est un législateur, mais aussi un juge. Et lorsqu'elle répond, comme en l'espèce, à un cas particulier, elle agit à tendance plutôt en sa qualité de juge. Elle peut évidemment dans ce cadre fixer des règles générales, et elle le fait. Mais cela ne signifie pas, qu'elle ne puisse compléter, voir revenir sur ce qu'elle a pu dire. Le travail de la Maison Universelle de Justice n'est pas encore réellement celui d'un législateur réglementant l'intégralité d'un secteur du droit en ayant pour but l'exhaustivité. Peut-être ne codifiera t'elle jamais de droit au sens de la tradition juridique continentale, mais qu'elle en restera à une tradition de common law, fixant les règles au cas par cas. L'avenir nous le dira ! Mais à l'heure actuelle, il n'existe pas de codification, et donc les règles fixées par la Maison Universelle de Justice doivent être vue comme relatives en ce qu'elles n'excluent en rien que des exceptions ou des nouveaux cas leurs soient ajoutés. En effet le travail de "jurisprudence" de la Maison Universelle de Justice est trop récent pour pouvoir avoir réglé l'intégralité des situations.

Pour en revenir à l'extrait ci-dessus, il faut aussi noter qu'il ne fixe que des exceptions portant sur les caractéristiques des parents, et n'évoque en rien la décision d'accord ou de refus elle-même, probablement tout simplement parce que cela n'était pas l'objet de cette réponse. Et la Maison Universelle de Justice ne s'est, à ma connaissance, encore jamais prononcé au sujet de la validité de l'accord parental en lui-même. Peut-être tout simplement un tel cas de refus visiblement incompatible avec le verset 65 ne lui a t'il jamais été soumis.


Conclusion

Les parents devraient donc avoir essentiellement deux obligations dans le cadre de leur prérogative. D'une part l'obligation de se faire un avis rationnel et le plus objectif possible sur la personne choisie par leur enfant, et enfin, quels que soient leurs motifs, de justifier de cela devant leur enfant.

Dans l'hypothèse d'un refus, et en cas de désaccord persistant après consultation entre les enfants et les parents, il doit falloir reconnaître un droit de l'enfant d'en appeler aux institutions. Celles-ci, devraient, après avoir fait leur possible, dans le domaine de la médiation prendre deux décisions. D'une part l'exemption pour les prétendants au mariage du consentement du ou des parents concernés, si la justification formelle donnée par les parents, ou les motifs ostensibles, sont clairement en désaccord avec la loi baha'ie ? D'autre part, si le comportement des parents le justifie, une suppression de leurs droits de vote ?

Un des buts de cette loi est l'unité dans la famille. En s'opposant, par exemple, au mariage de leur enfant pour des raisons d'ordre culturel, social, religieux, de couleur de peau ou même d'apparence physique, ou tout simplement par mesure de rétorsion par rapport à leur enfant, l'unité dans la famille est-elle encore réellement présente ? Cela ne vaut-il pas la peine de donner aux personnes qui s'aiment la chance de fonder elles une famille unie, au lieu d'avoir en plus d'une famille désunie un couple malheureux ?

Tant de questions qui ne sont plus vraiment juridiques, mais qu'il ne faut pas occulter, de même qu'il faut toujours garder à l'esprit que l'injonction faite aux baha'is dans le verset 65 est une véritable bénédiction.

D. Sander

"Cette loi importante, il l'a décrétée afin de consolider le tissu social, de resserrer plus étroitement les liens du foyer, afin de mettre dans le coeur des enfants une certaine gratitude et un certain respect envers ceux qui leur ont donné la vie et mis leurs âmes sur la route éternelle vers leur créateur."
Baha'u'llah (36)


Notes:

1. Baha'u'llah, Livre de prières, p. 105.
2. Voir à ce sujet Dr. G. Tober, Zur Auslegungsbedürftigkeit "klarer" Schriftstellen am Beispiel von Vers 65 des Kitab-i Aqdas (elterliche Zustimmung zur Ehe), Baha'i Nachrichten.
3. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, Verset n°65.
4. Baha'u'llah, Questions&Réponses n°13.
5. Shoghi Effendi, Kitab-i-Aqdas, Note n°92.
6. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 19 mars 1938, Compilation "Mariage" n°11.
7. Maison Universelle de Justice, lettre du 20 août 1969, Lights of Guidance n°211.
8. Cette problématique n'est pas l'objet de cet article.
9. Abdu'l-Baha, Sélection des Ecrits d'Abdu'l-Baha n°85.
10. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, Verset n°5.
11. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, Verset n°148.
12. Analogie utilisée par le Dr. G. Tober, ibid.
13. Voir à ce sujet un article de Dr G. Tober, Méthodologie de l'interprétation des Ecrits.
14. Maison Universelle de Justice, lettre du 30 mai 1971, Lights of Guidance n°1244.
15. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 12 août 1941, Compilation Mariage n°19.
16. Dr G. Tober, ibid.
17. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, Verset n°65.
18. Maison Universelle de Justice, lettre du 1er février 1968, Lights of Guidance n°1237.
19. Voir à ce sujet aussi Dr. G. Tober, Zur Auslegungsbedürftigkeit "klarer" chriftstellen am Beispiel von Vers 65 des Kitab-i Aqdas (elterliche Zustimmung zur Ehe), Baha'i Nachrichten.
20. Dr. G. Tober, ibid.
21. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, Questions&Réponses n°84.
22. De même, Dr. G. Tober, ibid.
23. De même, Dr. G. Tober, ibid.
24. Maison Universelle de Justice, lettre du 1 février 1968, Compilation Mariage n°77.
25. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 19 mars 1938, Compilation "Mariage" n°11.
26. Maison Universelle de Justice, Messages of the Universal House of Justice, 1967-1973, pp. 106-107.
27. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 10 mars 1951, Lights of Guidance n°191.
28. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 7 mars 1955, Lights of Guidance n°178.
29. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 2 août 1946, Lights of Guidance n°179.
30. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 7 mars 1955, Lights of Guidance n°178.
31. Maison Universelle de Justice, lettre du 3 mai 1967, Lights of Guidance n°187.
32. Shoghi Effendi, lettre de la part du Gardien, 8 mai 1939, Lights of Guidance n°198.
33. Maison Universelle de Justice, lettre datée du 9 septembre 1969, Compilation Mariage n°80.
34. Maison Universelle de Justice, lettre du 29 janvier 1970, Compilation Mariage n°78.
35. Maison Universelle de Justice, lettre du 30 mai 1971, Lights of Guidance n°1244.
36. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, Note n°92.

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