Introduction
à l'étude du Kitab-i-Aqdas Par
Louis Hénuzet Erudit baha'i, professeur en étude comparée des religions,
et ancien conseiller continental baha'i
Tout adepte de Baha'u'llah devrait étudier le Très-Saint Livre avec soin. Il interpelle
aussi ceux qui souhaitent s'informer sur les vérités fondamentales contenues dans
la révélation de Baha'u'llah. Le livre avec les questions et réponses ainsi que
les nombreuses annotations est disponible dans sa version française.
Il reste toutefois beaucoup de questions et les thèmes qui y sont évoqués sont
utilement éclairés par d'autres Écrits de Baha'u'llah, ainsi que par des interprétations
et commentaires de 'Abdu'l-Baha ou de Shoghi Effendi.
C'est ce qu'ambitionne de faire cette modeste introduction dans l'espoir que les
lecteurs francophones y trouveront l'envie de lire et d'étudier le Livre.
Je remercie tout particulièrement le Dr Shapour Rassekh pour ses précieux conseils
et pour ses suggestions qui ont permis d'en améliorer la présentation. Ma reconnaissance
va aussi à mon épouse qui prend le temps et le soin de me relire, de corriger
les erreurs.
Louis Hénuzet
Publication autorisée par l'Assemblée nationale des baha'is de Belgique.
(c) Maison d'éditions baha'ies, 205, Rue du Trône, 1050 Bruxelles, Belgique
D/1547/2002/1 - ISBN 2-87203-057-3
INTRODUCTION
Kitab-i-Aqdas [1] signifie "Livre le plus saint". Ce document
révélé par Baha'u'llah en 1873, alors qu'il résidait dans la maison de 'Udi Khammar,
est considéré comme le livre-mère de sa révélation. Pour l'islam, le livre-mère
(umu'l-kitab) est l'archétype de l'Écriture sainte, tel qu'il existe dans le monde
de la volonté divine. Il est donc le symbole de la source d'inspiration qui anime
toutes les révélations religieuses.
Le judaïsme tardif, ainsi que le judéo-christianisme, connaissait déjà la notion
des "livres célestes". L'apocryphe de l'Ancien Testament, "Les Secrets d'Hénoch",
nous apprend :
"Et le Seigneur appela un de ses archanges... Et le Seigneur dit à Vrétil : Apporte
les livres, et donne à lire à Hénoch, et interprète-lui les livres" [2]
En ce qui concerne le judéo-christianisme nous trouvons, par exemple, le passage
suivant dans "l'Ascension d'Isaïe" :
"Et tandis que je parlais avec lui, voici qu'un des anges qui se tiennent (là),
beaucoup plus glorieux que la gloire de l'ange qui m'avait fait monter du monde,
me montra des livres [3] et les ouvrit et les livres étaient
écrits, et ce n'était pas comme des livres de ce monde" [4].
Toutefois dans ce dernier texte, les livres (ou le livre) contiennent les actes
des hommes plutôt que la parole de Dieu. L'islam aurait cette même acception dans
la sourate XVII, 73 du Coran.
La plupart des Écritures saintes ont été rédigées par des croyants après un certain
nombre de générations. Elles sont donc le témoignage de leur foi et de leur croyance,
plutôt que la reproduction authentique de ce qui fut révélé. Même si nous les
considérons comme ayant été inspirées par l'Esprit saint, cette inspiration n'a
pas le même caractère que celle qui anime les paroles révélées à la Manifestation
divine elle-même, car elle seule se voit garantir la plus grande infaillibilité.
"Sache que le terme "infaillibilité" a de multiples significations et divers degrés.
Dans un sens, il s'applique à celui que Dieu a mis à l'abri de l'erreur. Il s'applique,
de même, à toute âme que Dieu a gardée du péché, des transgressions, de la désobéissance,
de l'impiété, de l'incroyance et des choses de ce genre. Cependant, "la plus grande
infaillibilité" est restreinte à celui dont le rang transcende incommensurablement
les ordonnances et les interdictions et qui est purifié des erreurs et des omissions"
[5].
Le Coran est le premier livre sacré qui reproduit les paroles qui furent prononcées
par le prophète en diverses circonstances. Ce n'est pourtant pas encore un livre
rédigé par lui, mais par quelques compagnons lettrés qui avaient adhéré à son
message et l'agencement des sentences du prophète sous forme de sourates a été
réalisé sous le califat de 'Uthman, troisième calife, dans un ordre qui ne respecte
pas la chronologie de la révélation. Dans ce sens, "le Coran... fait plus autorité
que tout évangile précédent" [6].
Dans les révélations babie et baha'ie, le livre-mère n'est pas seulement le livre
archétype au sens islamique, il désigne un livre précis dans l'ensemble des Écrits
légués par les deux Manifestations de Dieu qui ont inauguré l'ère baha'ie. Pour
la foi babie, il s'agit du "Bayan". Le terme Bayan qui signifie explication, exposé
ou émission de paroles, désigne d'abord l'ensemble des Écrits révélés par le Bab.
Toutefois deux Écrits du Bab portent plus spécifiquement le nom de "Bayan", le
"Bayan persan" révélé par le Bab alors qu'il était prisonnier dans la forteresse
de Mah-Ku et le "Bayan arabe" révélé dans la prison de Chihriq. Le "Bayan persan"
est, selon Shoghi Effendi, avant tout "une louange à l'égard du Promis plutôt
qu'un code de lois et d'ordonnances destiné à diriger les générations futures
de façon immuable" [7].
Dans la foi baha'ie, le livre-mère est le Kitab-i-Aqdas. Le fait qu'il fut révélé
seulement en 1873, soit près de vingt ans après que Baha'u'llah ait senti passer
sur lui le souffle de l'Esprit saint, doit être apprécié à sa juste valeur. Dans
un premier temps, la nouvelle Manifestation de Dieu ne put dévoiler son propre
rang. Dans Suriy-i-'lbad (Sourate des Serviteurs), adressée à Siyyid Mihdiy-i-Dahaji,
Baha'u'llah déclare :
"Et quand le processus de révélation progressive eut atteint son point culminant
avec le stade où devait être dévoilée aux yeux des hommes sa très sacrée et très
sublime Figure qu'aucune autre n'égale, de peur que des yeux profanes ne parvinssent
à découvrir sa gloire, il a décidé de se cacher sous mille voiles... Et quand
le temps fixé pour le secret fut révolu, nous fîmes apparaître, encore qu'enveloppée
d'une myriade de voiles, une infinitésimale lueur de la gloire resplendissante
qui rayonnait de la face de l'Adolescent [8], et voici que,
ressentant aussitôt une violente commotion, tous les habitants des royaumes célestes
et tous les favoris de Dieu tombèrent en adoration devant lui" [9].
La venue du temps fixé ne permet pas encore la révélation de toute la gloire du
Promis car Dieu a pitié de ses créatures. Dans Lawh-i-Khalil, adressée à Haji
Muhammad Ibrahim-i-Qazvini, Baha'u'llah nous en donne l'explication :
"Sache, à n'en point douter, qu'à chaque dispensation, la lumière de la révélation
divine a été dosée aux hommes en raison directe de leur capacité spirituelle...
De même, si dès les premiers stades de sa manifestation, le Soleil de vérité révélait
soudain la pleine mesure des forces dont l'a doté la providence du Tout-Puissant,
la terre de l'intelligence humaine dépérirait et serait consumée, car jamais les
coeurs des hommes ne pourraient soutenir l'intensité d'une telle révélation ni,
par conséquent, refléter l'éclat de sa lumière. Consternés et accablés, ils cesseraient
d'exister" [10].
Cela explique pourquoi Baha'u'llah a retardé le moment où il consentit à satisfaire
aux voeux de son entourage qui le pressait de révéler son propre livre de lois.
Car dans la tradition à laquelle la religion baha'ie se rattache plus particulièrement,
à savoir la tradition sémitique, les lois révélées prennent une place importante.
La Torah, c'est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible, est la partie la
plus sacrée de l'Ancien Testament, car c'est là que nous trouvons en ordre principal
les lois qui doivent régir la vie des Hébreux. La révélation de Jésus fait exception
car nous ne trouvons dans le Nouveau Testament que peu de références aux lois,
soit sous forme d'abrogation de lois juives ou d'instauration de quelques lois
nouvelles. Il est toutefois permis de se demander si la tradition dans laquelle
les textes du Nouveau Testament ont été écrits, nous a conservé la totalité de
ce que Jésus a révélé. Quant à la révélation coranique, elle comporte de nombreuses
lois régissant la vie quotidienne des croyants. Le Bayan en accentue encore l'importance.
Le Gardien écrit : "Volontairement sévère dans les statuts et règlements qu'il
imposait, révolutionnaire par les principes qu'il inculquait, visant à réveiller
le clergé et le peuple de leur torpeur séculaire ainsi qu'à porter un coup soudain
et fatal à des institutions périmées et corrompues, il proclamait, par ses stipulations
rigoureuses, l'avènement du jour attendu" [11].
Le Kitab-i-Aqdas nous introduit dans une approche toute différente. Certes le
Livre contient des lois et l'importance de leur observance est soulignée, mais
elles représentent plus exactement l'aspect extérieur de réalités intérieures
et de valeurs plus fondamentales. La plus grande partie des lois contenues dans
le Kitab-i-Aqdas est prescrite pour servir des buts clairement évoqués, comme
la dignité de l'homme et de la femme, la recherche de l'amour divin, la valorisation
de la famille, la promulgation de la justice sociale et économique, l'ordre dans
la société, la sauvegarde de l'unité ou la construction d'un nouvel ordre mondial.
"À travers sa loi, Baha'u'llah dévoile progressivement la portée des nouveaux
niveaux de connaissance et de conduite auxquels les peuples du monde sont appelés.
Ses préceptes sont sertis dans un commentaire spirituel qui permet au lecteur
de garder toujours présent à l'esprit le principe que ces lois, quel que soit
le sujet dont elles traitent, ont pour but multiple d'apporter la tranquillité
à la société, d'améliorer le niveau du comportement humain, d'augmenter le champ
de la compréhension des hommes et de spiritualiser la vie de tous et de chacun.
Car le but ultime des lois religieuses est la relation de l'âme à Dieu et l'accomplissement
de son destin spirituel [12] :
"Ne croyez pas que nous vous avons révélé un simple code de lois. Nous avons plutôt
décacheté, avec les doigts de la force et du pouvoir, le vin de choix [13].
De ceci porte témoignage ce qu'a dévoilé la plume de la révélation. Méditez cela,
ô hommes à la vue pénétrante (§ 5)."
Avant d'aborder l'étude de ces grands thèmes avec les lois qui s'y rattachent,
il importe encore de faire trois remarques importantes.
En révélant le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah n'entendait pas révolutionner la vie
des croyants par une application rigoureuse et immédiate. La période d'environ
dix ans qui sépare la déclaration dans le jardin de Ridvan à Bagdad (1863) et
la révélation du Livre le plus saint (1873) a été mise à profit par Baha'u'llah
pour commencer une transformation fondamentale de la capacité spirituelle de ceux
qui se tournaient vers lui. Il vivait au milieu de gens qui, pour la plupart,
étaient d'obédience chrétienne, musulmane, babie ou autre. Il importait donc qu'il
leur dévoile progressivement son véritable rang, celui du Promis de tous les Temps.
Si Jésus accomplit certaines prophéties de l'Ancien Testament et si Muhammad est
implicitement évoqué dans le Nouveau Testament, la grande figure eschatologique
attendue pour la fin des temps, restait à venir, à savoir le Prince de la paix
pour les juifs, la seconde venue du Fils de l'homme pour les chrétiens et le retour
de l'Esprit pour les musulmans. Le Bab annonce l'imminence de cette parousie.
Il est le premier coup de trompette inaugurant le jugement dernier auquel toutes
les figures eschatologiques sont associées. Sa mission, toutefois, n'était que
le prélude à la grande Annonciation où se lèverait "Celui que Dieu doit manifester"
[14].
"Pendant bien des années, des suppliques de divers pays sont parvenues en la très
sainte Présence, l'implorant de révéler les lois de Dieu, mais nous avons retenu
la plume jusqu'à l'arrivée du temps fixé. Aussitôt après, l'étoile du jour des
lois et ordonnances rayonna à l'horizon de la volonté de Dieu, en signe de sa
grâce envers les peuples du monde. Il est en vérité l'intarissable Clémence, le
Très-Généreux" [15].
Ce Promis de tous les temps fait accéder l'humanité à sa maturité la dotant de
la capacité de réaliser son unité et d'entrer dans le Royaume de Dieu sur la terre.
Mais elle doit passer par une période de transformation. C'est pourquoi les lois
qui sont révélées à l'intention de cette civilisation future, ne pourront être
appliquées que progressivement en tenant compte de l'évolution de la société.
"Les lois révélées par Baha'u'llah dans l'Aqdas sont, chaque fois qu'elles sont
praticables et qu'elles ne sont pas en conflit direct avec la loi civile du pays,
absolument obligatoires pour chaque croyant ou chaque institution baha'ie de l'Est
comme de l'Ouest. Certaines lois ... devraient être considérées par tous les croyants,
comme vitales et universellement applicables dès maintenant. D'autres furent formulées
en prévision d'un état de la société qui émergera des conditions chaotiques qui
prévalent aujourd'hui [16]". Même dans leur application immédiate,
Baha'u'llah a recommandé la modération :
"En vérité, les lois de Dieu sont comme l'océan, et les enfants des hommes sont
comme des poissons, si seulement ils le savaient. Toutefois, en s'y conformant,
il faut user de tact et de sagesse... Puisque la plupart des hommes sont faibles
et se trouvent bien loin du dessein de Dieu, il faut donc, en toutes circonstances,
faire preuve de tact et de prudence, afin que rien ne parvienne à jeter le trouble
et la dissension ou à soulever la clameur des négligents. En vérité, sa générosité
a transcendé tout l'univers et ses bienfaits ont comblé tout ce qui habite sur
la terre. Il faut guider l'humanité vers l'océan de la vraie compréhension, dans
un esprit d'amour et de tolérance. Le Kitab-i-Aqdas lui-même porte un témoignage
éloquent de la tendre providence de Dieu" [17].
En deuxième lieu, nous devons savoir que le Kitab-i-Aqdas n'a pas mis un point
final à la révélation. Pendant une vingtaine d'années encore, Baha'u'llah a déversé
sur le monde les bienfaits de sa sagesse divine. De nombreux écrits sont venus
compléter, expliciter et interpréter le contenu du Kitab-i-Aqdas, à commencer
par le livre des questions et réponses. Baha'u'llah a, en effet, autorisé un de
ses plus fervents disciples, Zaynu'l-Muqarrabin, qui était aussi un éminent érudit
et un parfait connaisseur des lois islamiques, à lui poser une série de questions.
Au total 107 questions ont été compilées avec les réponses de Baha'u'llah dans
un document qui doit être considéré comme un appendice au Kitab-i-Aqdas et en
fait donc partie intégrante. De nombreuses tablettes ont encore suivi. Elles précisent
davantage encore de nombreux points concernant la construction de cet ordre mondial
futur qui sera le fruit glorieux de la révélation de Baha'u'llah.
Et pourtant l'ampleur de tous ces écrits n'empêche pas l'existence volontaire
d'un certain nombre de lacunes, en partie comblées par le Testament de 'Abdu'l-Baha
et ses interprétations, complétées encore par celles du Gardien. L'autorité nécessaire
pour cette mission avait été clairement établie par Baha'u'llah, dans le Kitab-i-Aqdas
lui-même ainsi que dans le Kitab-i-'Ahdi, considéré comme son testament. C'est
notre troisième remarque et elle est fondamentale pour caractériser la révélation
de Baha'u'llah. Dans les révélations précédentes, aucun mécanisme n'avait été
prévu pour interpréter et appliquer les lois révélées. Il s'en suivit beaucoup
de confusion et de dissension parmi les croyants qui se trouvaient à la merci
de tel ou tel docteur pour constituer une jurisprudence souvent contradictoire.
Baha'u'llah instaura non seulement un centre d'autorité en matière d'interprétation,
qui fut représenté successivement par 'Abdu'I-Baha et Shoghi Effendi, mais également
un second centre d'autorité pour légiférer sur tout ce qui n'est pas prévu dans
la révélation, la Maison universelle de justice, car Baha'u'llah, conscient de
l'évolution rapide de la société, n'a pas voulu révélé beaucoup de lois à caractère
religieux, civil ou pénal. À ces deux centres Baha'u'llah conféra la protection
de son infaillible inspiration. De cette manière, l'unité de la Cause est non
seulement à jamais sauvegardée, mais l'assurance est donnée aux générations futures
de bénéficier d'un guide sûr pour la mise en application progressive des lois
au fur et à mesure de l'évolution de la société humaine vers son irrévocable destinée.
Le Kitab-i-Aqdas contient un grand nombre d'enseignements éthiques, ce qui le
distincte d'un simple code de lois. Certains commentateurs ont prétendu que Baha'u'llah
avait révélé les lois contenues dans le Livre au cours d'un certain nombre d'années
et les avait collationnées un peu au hasard [18]. De plus,
le livre semble sauter d'un sujet à un autre sans grande cohésion interne. Ce
n'est pas l'avis de commentateurs avertis qui suggèrent une réelle structure s'articulant
autour de principes définis [19] et affirment que la révélation
du Livre s'est faite en une fois comme la plupart des Écrits de Baha'u'llah. Le
Livre fut "révélé peu après le transfert de Baha'u'llah dans la maison de 'Udi
Khammar (vers 1873)" [20].
Quoi qu'il en soit, il faut étudier les lois que le Livre contient dans une perspective
plus large, comme appartenant au domaine de grands thèmes q ui seront la base
de la société future. Les lois n'en sont que des applications particulières et
des moyens de les promouvoir. "En révélant le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah peut
être comparé à un oiseau céleste dont la demeure se trouve dans le royaume de
l'esprit, loin au-delà de la vision des hommes, planant sur les hauteurs spirituelles
de gloire. Dans cet état, Baha'u'llah traite des matières spirituelles, révèle
les vérités de sa cause et dévoile la gloire de sa révélation à l'humanité. De
cet horizon élevé, cet oiseau immortel de l'esprit descend de manière soudaine
et inattendue sur le monde de poussière. À ce stade, Baha'u'llah annonce et explique
ses lois. Ensuite l'oiseau reprend son vol vers les domaines spirituels. Là, la
Langue de grandeur parle à nouveau avec majesté et autorité, révélant quelques
uns des passages les plus choisis du Kitab-i-Aqdas" [21].
Parmi ces grands thèmes, on pourrait, sans être exhaustif, évoquer :
* La maturité de l'humanité.
Selon les Écrits baha'is, l'humanité n'a pas été condamnée à cause d'une faute
originelle. Elle est l'aboutissement de l'évolution créatrice, car elle possède
en elle-même, mais à l'état latent, les signes divins. C'est par une succession
de révélations que l'homme a reçu une éducation adéquate et progressive jusqu'à
atteindre le moment où il prendra conscience de l'unité organique de l'humanité
et pourra bâtir une civilisation mondiale. Cette ère est inaugurée par la révélation
baha'ie, aboutissement de toutes les autres révélations. Le Kitab-i-Aqdas confirme
la grandeur de la nouvelle révélation. "Ceci est le plus grand témoignage par
lequel la validité de chaque preuve à travers les âges a été établie, si seulement
vous en étiez certains (§ 183)."
La grandeur du nouveau jour a été proclamée à toute l'humanité par les lettres
que Baha'u'llah a adressées aux dirigeants du monde. Il termine cette proclamation
par quelques passages adressés aux souverains :
"Sachez ô rois de la terre que celui qui est le souverain Seigneur est venu...
Celui qui est le Roi des rois est apparu [22], ainsi qu'aux
chefs religieux : Ô vous, Chefs de religion ! Qui parmi vous peut rivaliser avec
moi en perspicacité ou en intuition ? Où est celui qui osera se prétendre mon
égal en parole ou en sagesse (§ 101). Il interpelle l'humanité dans son ensemble
: Ô peuple, Nous avons décrété que la fin suprême et dernière de toute étude est
la reconnaissance de celui qui est l'objet de tout savoir (§ 102)."
* La dignité de l'homme.
De nombreuses dispositions du Kitab-i-Aqdas ont pour objet l'élévation de la dignité
de l'homme, qualifié de talisman suprême dans Lawh-i-Maqsud. Sa vraie liberté
consiste à se soumettre aux commandements divins et donc à reconnaître la source
de ceux-ci, car tout autre liberté conduit à la sédition (§ n° 122, 123, 124,
125). L'homme doit donc se parer d'une dignité extérieure comme d'une dignité
intérieure. Cela nous fait comprendre une série de conseils concernant la propreté,
les habits, l'interdiction de l'usage des drogues et de l'alcool mais aussi l'acquisition
de beaucoup de vertus. Toute une série de lois en vigueur dans le christianisme
ou dans l'islam sont abrogées car elles ne sont plus dignes de l'homme, comme
la confession, le baise-main des prêtres, le fait de marmonner des versets sacrés
dans la rue, l'ascétisme, la vie monastique, la prêtrise, etc... Ce qui importe
avant tout, c'est d'ouvrir le coeur et l'esprit de l'homme à la réalité spirituelle.
La prière, le jeûne, l'étude et la méditation des Écrits sacrés en sont les moyens
indispensables. D'autres usages sont aussi recommandés, comme le pèlerinage, les
invocations, les fêtes et les célébrations.
* L'importance de la science.
Le rôle des savants est important dans la société, mais le pouvoir doit leur être
enlevé car il est cause de dissension. La recherche de la vérité est un droit
et une responsabilité pour chaque individu. L'interprétation dogmatique des Écritures
saintes est donc interdite, sauf par celui qui est le Centre de l'alliance. L'éducation
universelle doit être obligatoire en commençant par celle des femmes, premières
éducatrices des enfants. Quant aux sciences et aux arts, il importe de promouvoir
ce qui est utile à l'humanité et d'éviter les connaissances ésotériques qui éloignent
les hommes de la révélation :
"Il y a parmi les hommes celui qui prétend à la connaissance intérieure, et même
à une connaissance plus profonde cachée dans celle-ci. Dis : Tu mens, par Dieu
! Tu ne possèdes que les restes que nous t'avons laissés, comme on abandonne des
os aux chiens (§ 36)."
* L'ordre dans la société.
La religion est le meilleur moyen d'assurer la sécurité des peuples qui doivent
vivre dans la concorde et la tolérance. La famille est le premier garant de cet
ordre. Des règles précises sont donc nécessaires pour assurer la stabilité des
familles, elles concernent les relations sexuelles, le mariage, le divorce. Les
actes criminels sont interdits et des sanctions sont prévues ou à établir par
la Maison de justice. Les Écrits de Baha'u'llah font référence à l'établissement
de gouvernements élus démocratiquement. Ces gouvernements doivent être obéis :
Que nul ne lutte contre ceux qui détiennent l'autorité sur le peuple. Laissez-leur
ce qui leur appartient, et dirigez votre attention vers le coeur des hommes (§
56). C'est aux parlementaires réunis en une grande assemblée mondiale qu'il appartiendra
de choisir une langue universelle (§ 189) qui est un des signes de la maturité
de l'humanité, l'autre signe étant l'émergence d'une science décrite comme une
philosophie divine [23]. La définition de cette "philosophie
divine" qui "comprendra la découverte d'une approche radicalement différente de
la transmutation des éléments [24]"reste assez vague et fait
sans doute allusion à d'importants progrès techniques. Un autre signe de maturité
est évoqué dans les Écrits de Baha'u'llah :
"Un autre signe de la maturité du monde est que nul n'acceptera de porter le poids
de la royauté... Ce jour sera le jour où la sagesse sera manifestée dans le genre
humain" [25], signe d'une grande dignité morale, personne
ne cherchant le pouvoir pour soi-même. De plus, chacun est invité à fréquenter
les adeptes de toutes les religions dans un esprit de fraternité
* L'unité de la communauté.
Cette unité est garantie par l'alliance particulière entre Baha'u'llah et ses
disciples, grâce à l'instauration du Centre de cette alliance qui est 'Abdu'l-Baha,
son fils aîné, la plus grande Branche (§ 121). Quant à tout ce qui n'est pas prévu
dans le Livre, cela sera décidé par la Maison universelle de justice qui détiendra
l'autorité suprême ainsi que 'Abdu'l-Baha l'a précisé dans son Testament. Le Kitab-i-Aqdas
cite plusieurs matières qui devront faire l'objet d'une législation complémentaire
par la Maison universelle de justice. En outre, "Le Seigneur a ordonné qu'en chaque
ville soit établie une maison de justice... Il leur incombe d'être les personnes
de confiance du Miséricordieux parmi les hommes et de se considérer comme les
gardiens désignés par Dieu de tous ceux qui demeurent sur la terre (§ 30)" . Ainsi
la justice divine sera établie parmi les hommes. Cette justice est un des attributs
de Dieu et le fondement de la civilisation mondiale à venir. Son but est l'unité
et la plus grande Paix. La justice implique aussi une meilleure répartition des
richesses matérielles, ce qui explique des lois comme celles qui concernent l'héritage,
le Huququ'llah, les contributions aux fonds.
"Baha'u'llah a caractérisé les lois et ordonnances qui constituent le sujet principal
de ce livre par des expressions spécifiques telles que: le souffle de vie en toutes
choses créées, la plus puissante forteresse, les fruits de son arbre, les moyens
suprêmes pour maintenir l'ordre du monde et la sécurité de ses peuples, les lampes
de sa sagesse et de sa bienveillante providence, le doux parfum de son vêtement,
les clefs de sa miséricorde envers ses créatures" [26].
A. LA PROCLAMATION DE BAHA'U'LLAH
La proclamation par Baha'u'llah de son rang de Promis de tous les âges, n'a pas
débuté avec le Kitab-i-Aqdas. Elle fut longuement préparée par les Écrits de la
période de Bagdad, où elle est évoquée de manière voilée car le temps d'une déclaration
explicite et publique n'était pas encore venu. Elle fut ensuite rendue publique
progressivement pendant la période d'Andrinople, après avoir été annoncée à quelques
disciples dans le Jardin de Ridvan au moment de quitter Bagdad.
Pendant toute la période de Bagdad, Baha'u'llah a tenu relativement secrète l'expérience
mystique qu'il a vécue dans le Siyah-Chal [27]. Il évoqua
cette expérience dans des écrits ultérieurs tels que Lawh-i-Sultan (Lettre à Nasiri'd-Din
Shah) datant de l'époque d'Andrinople mais expédiée pendant la période d'Acre,
dans Suriy-i-Haykal (Sourate du Temple) révélée au début de la période d'Acre
ou encore dans Lawh-i-Ibn-i-Dhi'b (Epître au Fils du Loup) révélée tout à la fin
de sa vie.
Nous trouvons plusieurs allusions à cette déclaration dans des Écrits de la période
de Bagdad. "Avant que le Rossignol du paradis mystique ne regagne le jardin divin
et que les rayons de l'aurore spirituelle ne remontent au Soleil de réalité, efforce-toi,
dans la poussière de cette lande mortelle, de capter une effluve des parterres
éternels" [28].
"Par la grâce de Dieu et sa divine faveur, la merveilleuse Épouse mystique, cachée
jusqu'ici sous le voile de la parole, est maintenant devenue visible comme la
lumière éblouissante répandue par la beauté du Bien-aimé" [29].
"Bientôt tu verras hisser par tout le monde les drapeaux du divin pouvoir, et
les signes de sa domination et de sa souveraineté se retrouveront dans chaque
ville" [30].
"Ô Fils de la Justice! A la nuit, la beauté de l'Etre immortel se rendit des hauteurs
émeraude de la fidélité au Sadratu' 1-Muntaha... Sur ce, la céleste houri, dévoilée
et resplendissante, se précipita hors de sa demeure mystique et demanda leur nom
; tous furent donnés sauf un. Sur son insistance, la première lettre en fut prononcée,
sur quoi les habitants des célestes retraites s'élancèrent hors de leur demeure
de gloire. Et tandis que la seconde lettre était dite, tous, sans exception, tombèrent
dans la poussière. A ce moment, une voix se fit entendre du fond du sanctuaire
: Jusque-là et pas plus loin ["31].
L'affirmation par Baha'u'llah de son rang de Manifestation du Verbe divin est
proclamée sans équivoque dans les lettres qu'il adressa aux souverains de son
temps.
"Ô rois de la terre! Prêtez l'oreille à la voix de Dieu, qui vous appelle de cet
arbre sublime et chargé de fruits, jailli de la Colline pourpre sur la sainte
plaine, et qui proclame : "Il n'y a pas d'autre Dieu que Lui, le Puissant, l'Omnipotent
le Très-Sage". Craignez Dieu, ô assemblée de rois et ne vous laissez pas priver
de cette sublime grâce" [32].
"Ô Roi, si tu tendais l'oreille au crissement de la Plume de gloire et au roucoulement
de la Colombe d'éternité qui, sur les branches de l'Arbre sacré au-delà duquel
il n'est pas de passage, chante les louanges de Dieu, l'Auteur de tous les noms,
le Créateur de la terre et du ciel, tu atteindrais une condition où tu ne verrais,
dans le monde créé, que la splendeur de l'Adoré" [33].
"Si tu tendais ton ouïe intérieure vers toutes choses créées, tu entendrais :
"L'Ancien des Jours est apparu dans toute sa grande gloire!" Toutes les choses
célèbrent la gloire de leur Seigneur... O Souverain! Ecoute la voix venant de
ce feu allumé dans cet arbre verdoyant, sur ce Sinaï élevé en ce lieu consacré
et blanc comme neige dominant la Cité éternelle : "Certes, il n'est pas d'autre
Dieu que moi, le Clément, le Très-Miséricordieux". En vérité, nous vous avons
envoyé celui que nous avons soutenu par le Saint-Esprit (Jésus) afin qu'il vous
annonce cette Lumière qui a brillé de l'horizon de la volonté de votre Seigneur,
le Sublime, le Très-Glorieux, dont les signes se sont manifestés en Occident.
Tournez vos visages vers lui (Baha'u'llah) en ce Jour que Dieu a exalté au-dessus
de tous les autres, et où le Très-Miséricordieux a répandu la splendeur de sa
gloire rayonnante sur tous ceux qui sont au ciel et sur terre" [34].
"Ô Tsar de Russie! Prête l'oreille à la voix de Dieu, le Roi, le Très-Saint ;
et tourne-toi vers le Paradis où demeure celui qui, dans l'Assemblée suprême,
porte les titres les plus éminents; et qui, dans le monde de la création est appelé
par le nom de Dieu, le Très-Glorieux, le Resplendissant" [35].
"Ô Pape, déchire les voiles. Celui qui est le Seigneur des Seigneurs est venu,
couvrant de son ombre les nuées et Dieu, le Tout-Puissant, l'Indépendant, a accompli
son décret. Il est réellement venu du ciel comme il vint la première fois" [36].
Un thème d'une telle importance ne pouvait pas être absent du Kitab-i-Aqdas, pivot
central de toute l'oeuvre de Baha'u'llah.
"En vérité, toutes les choses créées furent immergées dans la mer de la purification
lorsque, en ce premier jour du Ridvan, Nous avons répandu sur la création entière
les splendeurs de nos noms les plus excellents et nos attributs les plus exaltés
(§ 75)" .
Ce passage évoque la déclaration que Baha'u'llah fit dans le Jardin de Ridvan
et au souvenir de laquelle il dédia notamment une tablette traduite par Shoghi
Effendi et publiée dans les Extraits des Écrits. "Le printemps divin est venu,
ô très sublime Plume, car le festival du Miséricordieux approche à grands pas.
Lève-toi donc pour magnifier le nom de Dieu devant la création toute entière...
Voici le jour où celui qui est le révélateur des noms de Dieu est sorti du tabernacle
de gloire et a proclamé pour tous ceux qui sont dans le ciel et pour tous ceux
qui sont sur la terre: "Rangez les coupes du paradis avec les eaux de vie qu'elles
contiennent, car voici que le peuple de Baha est entré dans la demeure bénie de
la Présence divine et a bu le vin de la réunion au calice de la beauté de son
Seigneur, l'Omnipossédant, le Très-haut ["37]."
"Ô peuples du monde ! Écoutez l'appel de celui qui est le Seigneur des noms, qui
proclame depuis son séjour dans la plus grande Prison : "En vérité, Il n'est pas
d'autre Dieu que moi, le Puissant, le Fort, le Conquérant, le Suprême, l'Omniscient,
le Très-Sage." En vérité, il n'y a pas d'autre Dieu que Lui, l'omnipotent Gouverneur
des mondes. Si telle était sa volonté, d'un seul mot venant de sa présence, Il
s'emparerait de toute l'humanité (§ 132)."
"Il est apparu parmi vous investi d'une révélation si grande qu'elle embrasse
toutes choses, du passé comme du futur. Si nous parlions de ce sujet dans le langage
des habitants du royaume, nous dirions : "Vraiment, Dieu créa cette école avant
de créer le ciel et la terre, et nous y pénétrâmes avant que soient jointes et
liées les lettres du mot "sois" (§ 177)."
"Ô Rois de la terre! Voici le jour où celui qui conversait avec Dieu est parvenu
à la lumière de l'Ancien des jours (§ 80). Le Roi des rois est apparu dans la
plus merveilleuse parure de gloire, et il vous appelle à Lui, le Secours dans
le péril, Celui qui subsiste par Lui-même (§ 82)."
"Ô empereur d'Autriche ! Celui qui est l'Aurore de la lumière de Dieu se trouvait
dans la prison de 'Akka lorsque tu te mis en route pour visiter la mosquée El-Aqsa
(§ 85)."
"Dis : Ô roi de Berlin ! Prête l'oreille à la voix qui, de ce temple évident,
proclame : "En vérité, il n'y a pas d'autre Dieu que moi, l'Éternel, l'Incomparable,
l'Ancien des jours" (§ 86)."
"Ô vous dirigeants et présidents des républiques d'Amérique ! Écoutez ce que chante
la colombe sur la branche d'éternité : "Il n'y a pas d'autre Dieu que moi, l'Immuable,
le Clément, le Très-Généreux"... Le Promis est apparu dans ce rang glorieux, ce
dont toutes les créatures visibles et invisibles se sont réjouies. Saisissez l'occasion
de ce jour de Dieu (§ 88)."
"Ô très puissant Océan ! Répands sur les nations ce dont t'a chargé celui qui
est le Souverain de l'éternité, et orne les temples de tous les habitants de la
terre du vêtement de ses lois qui réjouiront tous les coeurs et éclaireront tous
les regards (§ 96)."
"Que rien ne t'attriste, ô terre de Ta (Téhéran), car Dieu t'a choisie pour être
la source de joie de toute l'humanité... Que la joie t'inonde car Dieu, en faisant
naître en tes murs la manifestation de sa gloire, a fait de toi "l'aube de sa
lumière" (§ 91 et 92)."
Dans le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah s'adresse aussi au peuple du Bayan (§ 135 à
143 et 176 à 180) pour confirmer qu'il est celui que Dieu doit rendre manifeste,
ainsi que le Bab l'avait annoncé. Il rappelle notamment les paroles du Bab lui-même
: "Si vous deviez atteindre la présence de celui que nous rendrons manifeste,
suppliez Dieu qu'en sa bonté, il daigne s'asseoir sur vos couches, car ce seul
acte suffirait à vous conférer un honneur incomparable et sans pareil (§ 135)."
"Ô peuple du Bayan ! Craignez l'infiniment Miséricordieux et considérez ce qu'il
révéla dans un autre passage. Il a dit : "La Qiblih [38]
est, en vérité, celui que Dieu rendra manifeste; quand il se déplace, la Qiblih
se déplace, jusqu'à ce qu'il se fixe." Ainsi en décida le suprême Ordonnateur
lorsqu'il désira mentionner cette très grande Beauté (§ 137 )."
Baha'u'llah s'adresse aussi à tous les clergés : Dis : "Ô chefs religieux ! Ne
pesez pas le Livre de Dieu selon les normes et les connaissances qui ont cours
parmi vous, car le Livre est lui-même l'infaillible balance établie parmi les
hommes (§ 99 )."
Enfin Baha'u'llah s'adresse à tous les peuples : "Ô peuple, Nous avons décrété
que la fin suprême et dernière de toute étude est la reconnaissance de celui qui
est l'objet de tout savoir; et, pourtant, voyez comme vous avez laissé votre science
vous dissimuler, comme par un voile, celui qui est l'Aurore de cette lumière,
par qui chaque chose cachée fut révélée ( § 102)."
Dans le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah est appelé par de très nombreux noms, ainsi
que dans les "Questions et réponses" qui sont une annexe du Livre. La liste de
ces noms est donnée dans l'index à la page 262 qui indique tous les paragraphes
où le nom spécifique est mentionné. En voici quelques uns : ancienne Beauté, Ancien
des Jours, antique Racine, Apparition de la cause de Dieu, Source de l'unité divine,
Source de la lumière de Dieu, Désiré du monde, Mystère caché, Roi des rois, Colombe
mystique, Rossignol, Plume du roi éternel, Rédempteur de l'humanité, Vice-régent
de Dieu etc...
Comme nous le savons, la compréhension des thèmes du Kitab-i-Aqdas est souvent
éclairée par les interprétations que Baha'u'llah lui-même en a données dans les
Tablettes révélées par la suite, pendant une période de près de vingt ans.
Le thème que nous étudions, à savoir le rang de Baha'u'llah comme Manifestation
de Dieu au même titre que tous les envoyés divins des dispensations précédentes,
mais aussi comme suprême Manifestation de Dieu, est l'élément primordial de la
nouvelle révélation. Il établit l'autorité de Baha'u'llah par rapport aux révélations
antérieures et pour l'époque actuelle.
"Cette révélation est empreinte d'un tel pouvoir qu'elle agira comme un aimant
sur les nations et les tribus de la terre. Si quelqu'un prenait le temps de s'arrêter
pour méditer consciencieusement, il reconnaîtrait qu'il n'est point d'endroit
où s'enfuir, et qu'il ne peut y en avoir. Le Kitab-i-Aqdas a été révélé de façon
telle qu'il attire et embrasse toutes les dispensations divinement désignées.
Bénis ceux qui le lisent attentivement. Bénis ceux qui le comprennent. Bénis soient
ceux qui le méditent. Bénis soient ceux qui réfléchissent à sa signification.
Son champ est si vaste qu'il a enveloppé tous les hommes avant même qu'ils ne
le reconnaissent. Avant peu, son pouvoir souverain, son influence pénétrante et
la grandeur de sa puissance se manifesteront sur la terre. En vérité, ton Dieu
est l'Omniscient, le Bien-informé [39]."
De là découle le commandement premier qui ouvre le Livre: "Le premier devoir que
Dieu a prescrit à ses serviteurs est de reconnaître celui qui est l'Aurore de
sa révélation, la Fontaine de ses lois, et qui représente la Divinité, à la fois
dans le royaume de sa cause et dans le monde de la création. Quiconque accomplit
ce devoir a atteint au bien souverain, et quiconque y manque s'est écarté du droit
chemin, même s'il accomplit toutes les bonnes actions (§ 1)."
L'affirmation est très forte. Elle ne signifie pas que les bonnes actions de ceux
qui ne reconnaissent pas Baha'u'llah, ne trouvent pas grâce aux yeux de Dieu et
ne servent pas à l'avancement spirituel de leur âme, mais il y a un facteur important
dans leur cheminement vers la "proximité divine" dont ils sont privés. 'Abdu'l-Baha
nous en donne l'explication :
"Le sens de ce verset sacré est que la base du succès et du salut est la connaissance
de Dieu ; après la connaissance de Dieu viennent les bonnes actions qui sont le
fruit de la foi. Si l'homme n'a pas cette connaissance, il sera privé de Dieu,
et avec cette privation, les actions pieuses ne peuvent pas donner leur résultat
complet... Car celui qui, bien que privé de Dieu, est bon et bienfaisant, mérite
le pardon de Dieu ; tandis que celui qui, privé de Dieu, est aussi pécheur, méchant
et malveillant, celui-là demeure étranger à ses bontés et à ses faveurs [40]."
Nous trouvons encore quelques passages significatifs dans les tablettes postérieures
au Kitab-i-Aqdas qui confirment la proclamation du rang de Baha'u'llah.
"Dans tes Livres saints, dans tes Écrits et tes Manuscrits, tu as promis aux peuples
du monde d'apparaître toi-même et d'écarter de ton visage les voiles de la gloire,
comme tu l'annonças dans tes paroles à ton ami [41] par lequel
l'astre du jour de la révélation étincela au-dessus de l'horizon du Hijaz, et
par qui la lumière naissante de la divine vérité rayonna parmi tous les hommes,
proclamant : "Le jour où les hommes seront debout devant le Seigneur des mondes".
Et, avant Muhammad, tu fis part de cette bonne nouvelle à celui qui conversait
avec toi [42], et tu lui dis : "Fais sortir ton peuple des
ténèbres vers la lumière et rappelle-lui les jours de Dieu". En outre, tu proclamas
cette vérité à l'Esprit [43], à tes prophètes et à tes messagers
d'un passé éloigné ou plus récent... Il est venu du ciel de gloire et de puissance,
brandissant les bannières de tes signes et les étendards de tes témoignages [44]."
Cette notion subtile de la "présence de Dieu" au moment du jugement et de la résurrection
des derniers jours, annoncés par le Coran, est interprétée par Baha'u'llah à de
nombreuses reprises, notamment :
"Dans tous les Livres divins, la promesse de la présence divine est explicitement
mentionnée. Et cette présence, c'est la présence de celui qui est l'Aurore des
signes, l'Orient des preuves évidentes, la Manifestation des noms excellents et
la Source des attributs du vrai Dieu... Dieu, en son essence et en son être même,
a toujours été invisible, inaccessible et inconnaissable. Par présence, il faut
comprendre la présence de celui qui est le représentant de Dieu parmi les hommes
[45]."
Terminons par cette proclamation spéciale aux chrétiens dans la très sainte Tablette
:
"Le Jourdain est relié au très grand Océan, et le Fils, dans la vallée sacrée,
s'écrie : "Me voici, me voici, ô Seigneur, mon Dieu!" tandis que le Sinai fait
le tour de sa demeure et que le Buisson ardent proclame : "Celui qui est le Désiré
est venu dans sa majesté transcendante". Dis : Voici ! Le Père est venu et ce
qui vous avait été promis dans le royaume s'est réalisé ! Ceci est la parole que
le Fils taisait lorsqu'à ceux qui l'entouraient il dit : "Vous ne pouvez pas le
supporter maintenant". Et lorsque le temps convenu se fut écoulé et que l'heure
sonna, la parole resplendit à l'horizon de la volonté de Dieu [46]."
B. L'ALLIANCE
Le Kitab-i-Aqdas est la charte fondamentale sur laquelle repose l'alliance spéciale
de Baha'u'llah, ainsi que son nouvel ordre mondial.
"Dans cette charte de la future civilisation mondiale, l'auteur - à la fois juge,
législateur, unificateur et rédempteur de l'humanité - annonce aux rois de la
terre la promulgation de la "plus grande loi" ; il déclare que ces rois sont ses
vassaux, se proclame lui-même "Roi des rois", dénie toute intention de porter
la main sur leurs royaumes, et se réserve le droit de saisir et posséder le coeur
des hommes ; il recommande aux chefs ecclésiastiques du monde de ne pas peser
le "Livre de Dieu" selon les normes admises chez eux, et affirme que le Livre
lui-même est la "balance juste" assignée aux hommes.
Dans ce livre, il ordonne formellement de fonder la "Maison de Justice", définit
ses fonctions, fixe ses revenus et désigne ses membres comme les "Hommes de Justice",
les "Représentants de Dieu", les "Administrateurs du très-Miséricordieux" ; il
fait allusion au futur Centre de son covenant et lui décerne le droit d'interpréter
ses écrits sacrés, et il anticipe d'une manière implicite l'institution du Gardiennat;
il se porte garant de l'effet révolutionnaire de son ordre mondial, formule la
doctrine de "l'infaillibilité absolue" de la Manifestation de Dieu, affirme que
cette infaillibilité est le droit inhérent et exclusif du prophète, et écarte
la possibilité de la venue d'une autre manifestation de Dieu avant un délai d'au
moins un millénaire [47]".
Il ne faut toutefois pas s'attendre à trouver un document semblable aux constitutions
des nations, rédigé par un esprit de juriste. L'alliance et l'ordre mondial sont
deux thèmes majeurs, parmi beaucoup d'autres ; ils sont abordés par quelques passages
significatifs, tout en laissant une large place pour une élaboration ultérieure
dans le but de "combler les lacunes que l'Auteur du Kitab-i-Aqdas a laissé délibérément
exister dans le corps de ses ordonnances législatives et administratives [48]".
Ces "lacunes volontaires" pourraient être classées en deux catégories. Les premières
ont fait l'objet de précisions par Baha'u'llah lui-même dans des tablettes et
documents postérieurs au Kitab-i-Aqdas et par des interprétations complétant le
texte de base, données par 'Abdu-l-Baha ou Shoghi Effendi. Ces interprétations
sont à joindre au texte du Kitab -i-Aqdas de manière définitive. Quant aux secondes,
elles feront l'objet de modalités d'application ou de lois nouvelles pour les
matières non contenues dans les Écrits de Baha'u'l1ah. Ce sera l'oeuvre des Maisons
universelles de justice qui se succéderont pendant toute la durée de la révélation
baha'ie. Ces dispositions auront toutefois un caractère temporaire car elles pourront
toujours être révoquées ou changées par l'une ou l'autre Maison universelle de
justice. Ce caractère temporaire n'amoindrit cependant pas le caractère obligatoire
de ces décisions en raison de l'autorité conférée à ces Maisons universelles de
justice.
* Durée de la dispensation baha'ie.
En tout premier lieu, Baha'u'llah fixe la durée minimale de sa propre révélation.
Elle sera d'au moins mille ans à dater du moment qui marque la naissance de la
nouvelle révélation dans le Siyah-Chal (Entre août et décembre 1852). "Quiconque
prétend à une révélation directe de Dieu avant l'expiration de mille ans révolus
est, assurément, un imposteur et un menteur. Nous prions Dieu de l'aider par sa
grâce à se rétracter et à désavouer pareille prétention... Quiconque donne à ce
verset une signification différente de celle qu'il a de toute évidence, est privé
de l'esprit de Dieu et de sa miséricorde qui embrassent toutes choses créées (§
37)." Ce n'est donc pas une durée précise qui est fixée, mais une durée minimale.
Il ne nous appartient pas de spéculer sur les raisons pour lesquelles cette précision
n'a pas été donnée à l'intention des peuples qui vivront dans un millier d'années.
Nous ne devons jamais perdre de vue qu'un prophète doit toujours subir l'incompréhension
du monde. "Il est la lumière qui vient dans les ténèbres et celles-ci ne la reconnaissent
pas [49]."
Quant à la signification de la citation "Mes craintes sont pour ceux qui vous
seront envoyés après moi", elle concerne la Manifestation qui viendra dans mille
ans ou plus, qui, comme tous les Messagers de Dieu précédents, sera sujet à des
oppositions, mais qui finira par triompher sur elles. Car les hommes mal-intentionnés
ont toujours existé et existeront toujours dans ce monde, à moins que l'humanité
n'atteigne un état de perfection complète et absolue - une condition qui non seulement
est improbable, mais réellement impossible à atteindre [50]
.
Néanmoins, le texte ne souffre aucune interprétation symbolique. Pour qu'il n'y
ait pas de malentendu à ce sujet, Baha'u'llah précise dans une autre tablette
que les années dont il est ici question, sont des années de douze mois selon le
Coran, ou de 19 mois de 19 jours selon le Bayan [51]. Ces
deux allusions à deux calendriers en vigueur au temps de Baha'u'llah n'ont d'autre
raison que d'indiquer qu'il n'y a pas lieu de rechercher des interprétations spéciales
pour ce verset du Kitab-i-Aqdas. Bien sûr, mille ans selon le Coran est une durée
légèrement inférieure à mille ans selon le Bayan, car dans le premier cas, il
s'agit d'années lunaires (354 jours) et dans le second cas, d'années solaires
(365 jours). On peut toutefois émettre l'opinion qu'à ce moment, le calendrier
du Bayan, qui est aussi le calendrier du Kitab-i-Aqdas [52],
prévaudra et aura remplacé le calendrier coranique.
* L'alliance particulière de Baha'u'llah.
Cette alliance concerne en premier lieu la désignation sans équivoque, de celui
qui, après l'ascension de Baha'u'llah, doit assurer l'unité de sa communauté.
C'est la première fois dans l'histoire religieuse de l'humanité que cette question
ne laisse aucune place à la contestation, du moins pour ceux qui entendent rester
fidèles à des écrits parfaitement authentifiés. On sait tous les problèmes que
les religions précédentes, y compris le christianisme et l'islam, ont connus et
qui ont aboutit à des querelles sans nombre, voire à des conflits sanglants.
"Quand l'océan de ma présence aura reflué et le livre de ma révélation sera terminé,
tournez vos regards vers celui que Dieu a désigné et qui est la branche de cette
antique Racine (§ 121). Afin d'éviter toute discussion sur l'interprétation de
ce verset, Baha'u'llah précise dans le Kitab-i-'Ahd : L'objet de ce verset sacré
n'est autre que la plus grande Branche. Nous avons ainsi miséricordieusement révélé
notre puissante volonté, et je suis, en vérité, le Clément, l'Omnipotent. En vérité,
Dieu a voulu que le rang de la très grande Branche (Muhammad 'Ali) soit en dessous
de celui de la plus grande Branche ('Abdu'l-Baha). Il est, en vérité, l' Ordonnateur,
le Très Sage. Et nous avons choisi "la très grande" après "la plus grande", ainsi
qu'il a été ordonné par celui qui est l'Omniscient, le Bien-Informé [53]."
Baha'u'llah était parfaitement conscient que Muhammad 'Ali ferait des difficultés.
N'avait-il pas dû intervenir pour fustiger sa conduite lorsque Muhammad 'Ali avait
envoyé en Iran des versets en arabe qui, prétendait-il, lui étaient parvenus,
comme ceux de son père, par révélation divine [54].
De plus Baha'u'llah avait déjà souvent fait allusion à la position toute spéciale
qu'il accordait à son fils aîné, le futur 'Abdul-Baha. Dans Lawh-i-Khalil, Baha'u'llah
clarifie la nature de son rang, à qui appartient exclusivement "la plus grande
infaillibilité", ainsi que la nature du rang de ses descendants. Il précise que
ceux-ci sont les feuilles et les branches de son arbre et les membres de sa sainte
famille dans la mesure où ils observent les commandements de Dieu et ne créent
pas de divisions dans sa cause.
Baha'u'llah se réfère à 'Abdu'l-Baha comme à celui, parmi ses fils, "des lèvres
de qui, Dieu fera couler les signes de sa puissance" et à celui que "Dieu a choisi
spécialement pour sa cause". N'est-ce pas son fils aîné, 'Abbas, que Baha'u'llah
appelait Aqa (Maître), titre qu'il avait refusé pour ses autres fils ! Dans Suriy-i-Ghusn
(Tablette de la Branche), Baha'u'llah fait encore allusion à 'Abdu'l-Baha comme
à "cet être sacré et glorieux, cette branche de sainteté", "ce bras de la loi
de Dieu", sa "plus grande faveur" envers les hommes, sa "plus parfaite générosité"
à leur égard. Enfin dans une autre tablette adressée à 'Abdu'1-Baha, on trouve
encore cette forte affirmation : "La gloire de Dieu repose sur toi et sur ceux
qui te servent et qui t'entourent. Malheur, ô malheur à celui qui s 'oppose à
toi et te fait du tort. Bienheureux celui qui te jure fidélité; que le feu de
l'enfer tourmente celui qui est ton ennemi [55]."
Ce rang tout spécial accordé à son fils aîné par Baha'u'llah de son vivant, ne
pouvait qu'attiser la jalousie des autres membres de la famille, à l'exception
de la Très-Sainte Feuille (Bahiyyih Khanum, la soeur de 'Abdu'l-Baha), une jalousie
que Shoghi Effendi compare à celle qui anima les frères de Joseph selon le récit
de l'Ancien Testament ou du Coran. Elle fait écho à celle que Baha'u'llah lui-même
dut subir de la part de son demi-frère, Mirza Yahya et que le Bab évoque déjà
dans son Qayyumu'l-Asma'. C'est aussi au récit coranique de Joseph que Baha'u'llah
se réfère dans le verset suivant : "Dis: De mes lois, le doux parfum de mon vêtement
s'élève (§ 4)" , car selon le récit du Coran, Jacob, aveugle, identifia l'odeur
de son fils, Joseph, dans le vêtement que les frères de celui-ci lui rapportèrent
d'Egypte [56]. Cette souffrance du messager divin semble
devoir exister pour démontrer la puissance de l'alliance inaugurée par le verset
121 du Kitab-i-Aqdas. Car toutes les machinations, même les plus dangereuses puisqu'elles
provinrent de la famille même de Baha'u'llah, n'ont pu prévaloir sur l'unité de
la Cause.
Cette première disposition qui désigne `Abdu'l-Baha comme le Centre de l'alliance
spécifique de Baha'u'llah, est complétée par un autre verset du Kitab-i-Aqdas
qui définit la fonction la plus importante que 'Abdu'l-Baha devra exercer : "Ô
peuples du monde ! Quand la Colombe mystique, de son sanctuaire de louange, aura
pris son vol et cherché son but lointain, sa demeure cachée, adressez-vous pour
tout ce que vous ne comprenez pas dans le Livre à celui qui est la Branche issue
de cette puissante Souche (§174)."
'Abdu'l-Baha est donc l'interprète unique désigné par Baha'u'llah qui dispose
qu'il appartient à chacun d'accepter son interprétation. 'Abdu'l-Baha est donc
le Centre d'autorité en cette matière à l'exclusion de tout autre croyant, fût-il
le plus grand des savants ainsi d'ailleurs qu'à l'exclusion des autres fils de
Baha'u'llah qui doivent aussi accepter cette autorité. La refuser est briser l'alliance.
Que toute la descendance de Baha'u'llah, excepté la plus sainte Feuille et Shoghi
Effendi, ait finalement sombré dans cet abîme, sans réussir à briser l'unité de
la cause, a montré à suffisance le privilège particulier que Dieu a conféré à
sa nouvelle alliance, alors que toutes les révélations antérieures en avaient
été privées.
Cette fonction spécifique d'interprétation, 'Abdu'l-Baha l'a transmise à son petit-fils,
Shoghi Effendi. C'est aussi par un document authentique et par conséquent incontestable
que ce pouvoir a été transmis : "O mes amis affectueux ! Après la disparition
de cet opprimé, il incombe aux Aghsan (Branches [)57], aux
Afnan (Rameaux [)58] de l'Arbre sacré, aux Mains (piliers
[)59] de la cause de Dieu et aux bien-aimés de la Beauté
d'Abha, de se tourner vers Shoghi Effendi - la jeune branche issue des deux Arbres
sanctifiés et sacrés, le fruit de l'union des deux rejetons de l'Arbre de sainteté
- car c'est lui le signe de Dieu, celui vers lequel doivent se tourner les Aghsan,
les Afnan, les Mains de la cause de Dieu, ainsi que ses bien-aimés. Il est l'interprète
des paroles de Dieu et, après lui, le premier-né de ses descendants directs lui
succédera [60]."
Une lignée de descendants directs, donc tous des Aghsan, est donc prévue par 'Abdu'l-Baha
pour assumer une fonction que Shoghi Effendi appellera le Gardiennat. Toute lignée
s'éteint un jour. La disposition prise par 'Abdu'l-Baha pour assurer une succession
de Gardiens, était donc nécessairement temporaire. Selon Shoghi Effendi, Baha'u'llah
lui-même fait allusion à la disparition de cette descendance.
"Les dotations consacrées aux oeuvres de bienfaisance reviennent à Dieu, le Révélateur
des signes. Nul n'a le droit d'en disposer sans la permission de celui qui est
l'Orient de la révélation. Après lui, cette autorité passera aux Aghsan et, après
eux, à la Maison de justice - si elle est alors établie dans le monde - afin qu'ils
puissent en user au profit des lieux qui sont exaltés dans cette cause, et pour
tout ce que leur a enjoint celui qui est le Dieu de puissance et de pouvoir. Sinon,
les dotations reviendront au peuple de Baha, ceux qui ne parlent qu'avec sa permission,
et qui ne jugent qu'en accord avec ce que Dieu a décrété dans cette tablette -
voyez, ils sont les champions de la victoire entre le ciel et la terre - afin
qu'ils en usent de la manière indiquée dans le Livre par Dieu, le Puissant, le
Généreux (§ 42)."
Ce passage, bien que se rapportant à la gestion des dotations de la Cause, est
aussi une indication précise concernant la succession d'autorité après le décès
de Baha'u'llah. En tout premier lieu, il anticipe une succession d'Aghsan pour
représenter le Gardiennat instauré par 'Abdu'l-Baha., Ensuite, il envisage une
possibilité d'interruption dans cette succession, ce qui se passa au décès de
Shoghi Effendi en 1957. Dans ce cas, le pouvoir de gérer les dotations reviendrait
finalement à la Maison universelle de justice à partir du moment où elle serait
établie. Entre-temps, ce pouvoir appartiendrait au peuple de Baha tel qu'il est
décrit dans ce passage et qui s'est appliqué très précisément aux Mains de la
cause qui assurèrent l'intérim entre le décès de Shoghi Effendi en 1957 et l'élection
de la première Maison universelle de justice en 1963 [61]
Le décès de Shoghi Effendi a mis fin à la lignée des Gardiens, sans toutefois
mettre fin au Gardiennat lui-même. Car ce Gardiennat se caractérisait en tout
premier lieu par le pouvoir d'interprétation. Or les interprétations de Shoghi
Effendi en de nombreuses matières existent dans plus de 30.000 lettres et documents
qu'il nous a laissés. Ceux-ci sont, pour la plupart et pour les plus importants,
conservés au Centre mondial et servent de référence à la Maison universelle de
justice pour l'inspirer dans ses travaux. Le Gardiennat continue donc par le moyen
de ces écrits. Toutefois, des interprétations supplémentaires, ayant le caractère
d'autorité définitive comme pour celles faites par 'Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi,
ne seront plus possibles. Comme l'indique clairement ce qui précède, il n' y a
plus aucune source d'interprétation des Textes sacrés faisant autorité dans la
communauté baha'ie, car c'était une fonction spécifique du Gardiennat, fonction
qui a cessé quand Shoghi Effendi est décédé.
C. LE NOUVEL ORDRE MONDIAL
Comme nous l'avons vu, Baha'u'llah avait lancé un appel à plusieurs souverains
pour qu'ils reconnaissent sa mission et se lèvent pour proclamer sa cause. Si
cet appel avait été entendu, la très grande paix qui correspond au Royaume de
Dieu sur la terre aurait peut-être été établie assez rapidement. Cela sous-entendait
qu'un nouvel ordre de choses était annoncé car le temps des nations était compté
et qu'une nouvelle civilisation embrassant la planète tout entière était la nouvelle
étape que l'humanité devait franchir pour accomplir le dessein divin. C'est dans
le Kitab-i-Aqdas que Baha'u'llah mentionne spécifiquement ce nouvel ordre mondial.
"L'équilibre du monde a été bouleversé par la vibrante influence de ce très grand,
de ce nouvel ordre mondial. La vie ordonnée de l'humanité a été révolutionnée
par l'action de cet unique et merveilleux système, dont les yeux des mortels n'ont
jamais vu l'équivalent (§ 181)."
Le Bab avait lui-même fait allusion à ce nouvel ordre dans son "Bayan persan"
: "Bienheureux celui qui fixe son regard sur l'Ordre de Baha'u'llah, et remercie
son Seigneur. Car il sera assurément manifesté. Dieu, en effet, l'a ordonné irrévocablement
dans le Bayan" [62].
Le nouvel ordre mondial repose avant tout, sur les commandements révélés dans
le Kitab-i-Aqdas qui apparaît, dès lors, comme la charte de la civilisation future.
"Ceux que Dieu a dotés de discernement reconnaîtront aisément que les préceptes
qu'il a établis constituent les moyens suprêmes pour maintenir l'ordre dans le
monde et assurer la sécurité des peuples (§ 2)" .
Dans les tablettes révélées après le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah donne quelques
indications complémentaires. "Ceux qui s'immergent dans l'océan de ses paroles
devraient en tout temps avoir la plus grande considération pour les décrets et
les interdits divinement révélés. En effet, ses ordonnances constituent la plus
puissante forteresse pour la protection du monde et la sauvegarde de ses peuples"
[63].
"En vérité, je le dis ! Tout ce qui est envoyé des cieux de la volonté de Dieu
est un moyen pour établir l'ordre dans le monde et l'instrument pour promouvoir
l'unité et la fraternité parmi ses peuples" [64].
"En vérité, la religion est une lumière éclatante et une forteresse imprenable
qui assure la protection et le bien-être des peuples du monde, car la crainte
de Dieu pousse l'homme à s'en tenir fermement à ce qui est bien et à fuir tout
mal. La lampe de la religion devrait-elle être obscurcie que le chaos et la confusion
en résulteraient et que les lumières de l'équité et de la justice, de la tranquillité
et de la paix cesseraient de briller" [65].
"Le but de la religion ainsi qu'il a été révélé de la sainte volonté de Dieu,
est d'établir l'unité et la concorde parmi les peuples du monde ; n'en faites
pas une cause de dissensions et de luttes. La religion de Dieu et sa loi divine
sont les instruments les plus puissants et le plus sûr des moyens pour que la
lumière de l'unité se lève parmi les hommes. Le progrès du monde, le développement
des nations, la tranquillité des peuples et la paix pour tous ceux qui vivent
sur la terre constituent quelques uns des principes et des ordonnances de Dieu"
[66].
Dans Lawh-i-Maqsud, Baha'u'llah énonce une série de principes qui concourront
à la création d'une nouvelle civilisation. Il lance un nouvel appel aux dirigeants
du monde et leur rappelle qu'il leur a déjà demandé précédemment de se réunir
dans une conférence mondiale pour établir les fondements de la paix.
'Abdu'l-Baha et surtout Shoghi Effendi ont donné plus de précisions, tout particulièrement
dans les lettres de l'ordre mondial de Shoghi Effendi.
* Les Institutions
Le Kitab-i-Aqdas fait référence à différentes catégories de personnes et d'institutions
pour jouer un rôle significatif dans la nouvelle civilisation. Il cite les 'Umara'
et les 'Ulama'. De manière générale, on peut comprendre que les 'Umara' sont les
dirigeants politiques du monde. Ce terme a été traduit en Anglais par "Rulers"
: "Ô vous, Dirigeants (Rulers) et Présidents des Républiques d'Amérique.(§ 88)"
. Quant aux 'Ulama', ce sont les savants religieux, terme qui correspond à notre
français "clercs" et a été traduit en Anglais par "learned". Baha'u'llah annonce
que le pouvoir sera enlevé à ces deux catégories de personnes, du moins à celles
qui exerçaient le pouvoir à son époque.
"Le pouvoir a été saisi des mains de deux catégories d'hommes: les Rois et les
Ecclésiastiques" [67]. Aussi lorsque Baha'u'llah évoque les
"savants en Baha", on doit comprendre qu'il ne fait pas allusion à ces mêmes 'ulama
à qui tout pouvoir a été enlevé.
"Soyez heureux, ô vous les savants en Baha. Par le Seigneur ! Vous êtes les vagues
du très puissant océan, les étoiles du firmament de gloire, les étendards du triomphe
qui flottent entre terre et ciel. Vous êtes les manifestations de la fermeté parmi
les hommes et les aurores de la parole divine pour tous ceux qui vivent sur terre.
Heureux celui qui se tourne vers vous, et malheur à l'obstiné. En ce jour, il
convient à celui qui a bu à longs traits le vin mystique de la vie éternelle,
des mains du Seigneur son Dieu, le Clément, de battre telle une artère dans le
corps de l'humanité afin que, par lui, le monde et tout os tombé en poussière
soient revivifiés (§ 173)."
De même, Baha'u'llah évoqua le rôle de ces "hommes de savoir" à plusieurs reprises
dans les tablettes postérieures. Dans Lawh-i-Dunya (tablette du monde), qui commence
d'ailleurs par une louange aux Mains de la cause, nous trouvons:
"Ô peuples de Dieu! Les hommes de savoir justes qui se consacrent à guider les
autres et qui sont libérés et protégés des impulsions d'une nature vile et cupide
sont, aux yeux de celui qui est le Désir du monde, les étoiles du firmamentl de
la vraie connaissance. Il est essentiel de les traiter avec déférence. Ils sont
en fait les sources d'eau vive, les étoiles brillantes, les fruits de l'Arbre
sacré, les interprètes du pouvoir des cieux et les océans de la sagesse céleste.
Heureux celui qui les suit. En vérité, une telle âme est comptée dans le livre
de Dieu, le Seigneur du trône puissant, parmi celles pour lesquelles tout sera
bien [68]."
Les savants sont associés par Baha'u'llah aux administrateurs de sa cause, appelés
également "hommes de justice". "Ne ravalez pas le rang des érudits en Baha et
ne dépréciez pas celui de ces dirigeants qui rendent la justice parmi vous [69].
Il incombe à chacun d'aider ces aurores de l'autorité et ces sources de commandement
qui sont parées de l'ornement de la justice et de l'équité. Bénis sont les dirigeants
et érudits parmi le peuple de Baha. Ils sont mes administrateurs parmi mes serviteurs
et les manifestations de mon commandement parmi mon peuple. Sur eux reposent ma
gloire, mes bénédictions et ma grâce qui ont pénétré le monde de l'existence.
À ce propos, les paroles révélées dans le Kitab-i-Aqdas sont telles que, de l'horizon
de leurs mots, la lumière de la grâce divine rayonne, lumineuse et resplendissante
[70]."
Ces termes "érudits" et "dirigeants" dans ce passage du Kitab-i-'Ahd, qui lui-même
fait référence au Kitab-i-Aqdas, ont été interprétés par Shoghi Effendi. "Dans
ce cycle sacré, les "savants" sont d'une part, les Mains de la cause de Dieu,
et d'autre part, les enseignants et diffuseurs de ses enseignements qui n'ont
pas le même rang que les Mains, mais ont atteint une position éminente dans le
travail d'enseignement. Quant aux "dirigeants", ce mot se réfère aux membres des
maisons locales, nationales et à la Maison internationale de Justice. Les devoirs
de chacune de ces âmes seront définis dans l'avenir [71]".
La fonction définie par 'Abdu'l-Baha pour les Mains de la cause, continue par
les Conseillers-membres du Centre international d'enseignement, les Conseillers
continentaux et les Membres auxiliaires. Toutes ces personnes rentrent dans la
définition des "savants" donnée par Shoghi Effendi.
Les allusions à ces "dirigeants" et à ces "érudits" sont donc la base des piliers
sur lesquels se construit l'ordre administratif de Baha'u'llah. Le développement
qu'a déjà pris cet ordre le fait maintenant clairement apparaître. Le premier
pilier est celui des "savants", composé de trois niveaux d'institutions qui ont
évolué après la disparition de la fonction de Gardien.
Dans une première phase, ce pilier s'appuyait sur le Gardien, entouré de Mains
de la cause. Certaines d'entre ces Mains devaient être élues pour former un conseil
spécial de neuf personnes : "Les Mains de la cause de Dieu doivent élire, au sein
de leur groupe, neuf personnes qui seront constamment occupées aux tâches importantes
dans le service du Gardien de la Cause de Dieu [72]."
Le deuxième niveau devait être représenté par les autres Mains de la cause résidant
dans les cinq continents et dont la tâche avait également été décrite par le Testament
de 'Abdu'l-Baha : "Les Mains de la cause ont pour devoir de diffuser les parfums
divins, d'édifier les âmes des hommes, d'encourager l'étude, d'améliorer le caractère
des hommes et d'être toujours, et en toutes circonstances, purifiées et détachées
des choses terrestres" [73].
À cette fonction dite de propagation, une deuxième fonction dite de protection
est également définie par le même Testament : "Mon intention est de montrer que
les Mains de la cause de Dieu doivent toujours être sur leurs gardes et dès qu'elles
découvrent quelqu'un qui commence à s'opposer au Gardien de la cause de Dieu et
à protester contre lui, elles doivent le rejeter de la communauté du peuple de
Baha et ne doivent, en aucune façon accepter d'excuse de sa part [74]."
Ces différents niveaux d'institutions furent mis en place par Shoghi Effendi quelques
années avant sa disparition. Il nomma les Mains de la cause et précisa leur rôle
vis-à-vis des croyants et des autres institutions par diverses communications
de 1952 à 1957. Par ailleurs Shoghi Effendi créa un troisième niveau pour développer
l'institution prévue par 'Abdu'l-Baha, le niveau des Corps auxiliaires, dont les
premiers membres furent nommés en 1954, en qualité de députés, représentants et
conseillers des Mains de la cause. L'importance de ce pilier dans l'ordre administratif
n'apparut que progressivement. Il est reçu aujourd'hui comme indispensable pour
le bon fonctionnement de l'ordre administratif et pour la réussite des plans d'expansion
de la Cause sans se voir néanmoins attribuer un quelconque pouvoir de décision
en matière d'administration ou de jugement en ce qui concerne le statut des croyants.
Sa fonction est strictement consultative, même si une grande autorité morale lui
est reconnue.
La disparition de Shoghi Effendi et l'impossibilité dans laquelle il s'était trouvé
de désigner un Gardien pour lui succéder, ont créé une situation nouvelle quoique
envisagée dans le Kitab-i-Aqdas. Non seulement, il n'y aurait plus de Gardien
pour diriger ce pilier, mais il ne pourrait plus y avoir de nouvelles Mains de
la cause car le Testament de 'Abdu'l-Baha prévoyait de manière claire et incontestable
que les Mains devaient être nommées par le Gardien [75].
En conséquence la Maison universelle de justice a légiféré conformément aux pouvoirs
dont nous allons parler. Elle a créé une institution pour occuper le sommet du
pilier, le Centre international d'enseignement composé de Conseillers, en la plaçant
toutefois sous sa propre direction car cette nouvelle institution ne pouvait bénéficier
de la protection de l'infaillibilité acquise que 'Abdu-l-Baha avait conférée au
Gardien.
Le second niveau est maintenant occupé par les Conseillers continentaux, agissant
soit en conseil pour quelques matières bien définies, soit à titre personnel pour
la plus grande part de leur travail. Le troisième niveau, celui des Corps auxiliaires,
a été placé sous leur direction et a été lui-même développé par l'adjonction d'assistants
qui ne constituent toutefois pas un quatrième niveau institutionnel. Ceci démontre
que d'une part, les Écrits de Baha'u'llah, comme le Kitab-i-Aqdas, ceux de 'Abdu'l-Baha,
comme le Testament, ou les décisions de Shoghi Effendi, constituent une base solide
et immuable, mais laissent la place à une adaptation souple par la législation
complémentaire de la Maison de justice afin d'assurer la pérennité des fonctions
tout en s'adaptant à l'évolution dictée par les circonstances.
Le deuxième pilier trouve également son origine dans le Kitab-i-Aqdas. Il s'agit
du pilier constitué par les institutions dites élues et dont la mission est d'exercer
les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Pour exercer cette fonction,
Baha'u'llah crée les "Maisons de justice". Le niveau de fonctionnement de ces
Maisons de justice n'est pas précisé dans le Kitab-i-Aqdas, mais doit être déduit
du contexte. "Le Seigneur a ordonné qu'en chaque ville soit établie une maison
de justice où se réuniront des conseillers au nombre de Baha, et peu importe que
ce nombre soit dépassé (§ 30)."
Il s'agit manifestement de Maisons de justice locales. Celles-ci recueilleront
notamment les parties d'héritage pour lesquelles les héritiers sont inexistants,
dans la mesure où la loi sur l'héritage sera d'application. (§21 et 22, Q. 6-7,
28, 33, 41, 72, 100, 154-156 et Notes 38-39, 42-44). Elles régleront les questions
de divorce (Q. 98) et prêteront une assistance financière aux pauvres (§ 147).
Le § 42 (Note. 67) qui concerne l'administration des dotations revenant à la "Charité"
- peut-être faut-il comprendre par ce terme, la solidarité à l'échelle de la planète
- fait une allusion directe à l'instauration de la Maison universelle de justice.
Le qualificatif "universel" a été utilisé par Shoghi Effendi, qui a aussi utilisé
le terme "international", pour traduire le qualificatif "A'zam" utilisé par 'Abdu'l-Baha
pour désigner ce niveau d'institution.
D'autres fonctions sont précisées, soit dans le texte du Kitab-i-Aqdas, soit dans
les questions et réponses, qui peuvent concerner tous les niveaux, international,
national et local : l'éducation des enfants (§48), la législation concernant le
mariage (Q. 50), les pénalités concernant les offenses sexuelles (§ 49, Q. 11),
le droit au tiers de toutes les amendes (§ 52), le droit aux deux tiers des trésors
découverts (Q. 101). Il est à noter que la plupart de ces dispositions ne sont
pas actuellement d'application mais concernent une étape future de la civilisation.
D'autres fonctions sont encore prévues par Baha'u'llah dans les Tablettes postérieures
et concernent tantôt le niveau local, tantôt le niveau universel.
En général, il est précisé dans la tablette Ishraqat (Splendeurs) ainsi que dans
la tablette Bisharat (Bonnes nouvelles), que "les Hommes de la Maison de justice
de Dieu ont été chargés des affaires du peuple" [76] et qu'il
leur incombe "de délibérer sur les choses qui n'ont pas été ouvertement révélées
dans le Livre, et de faire respecter ce qui est convenu. Dieu, en vérité, leur
donnera l'inspiration de ce qu'il veut et il est, en vérité, le Pourvoyeur, l'Omniscient"
[77].
Il est aussi de leur devoir de veiller à la protection et à la sauvegarde des
hommes, des femmes et des enfants. Il leur incombe d'avoir la plus grande considération
pour les intérêts des peuples en tout temps et en toutes circonstances [78].
Cette responsabilité est confirmée dans la Tablette du monde et la Maison de justice
la partage avec les rois et les présidents justes. La Maison de justice a aussi
l'obligation de préserver la religion qui "octroie à l'homme le plus précieux
des présents, lui offre la coupe de la prospérité, lui accorde la vie éternelle
et dispense des avantages impérissables sur l'humanité" [79].
Cette responsabilité est encore davantage précisée dans la Tablette Ishraqat :
"Il incombe aux hommes de la Maison de justice de Dieu de fixer leur regard jour
et nuit sur ce qui a rayonné de la Plume de gloire afin d'instruire les peuples,
de développer les nations, de protéger l'homme et de sauvegarder son honneur"
[80].
La Maison de justice doit se substituer aux parents défaillants en matière d'éducation
des enfants [81], elle doit adopter une langue universelle
et une écriture commune [82] et elle devra promouvoir la
moindre paix [83]. La huitième splendeur précise tout spécialement
que toutes les affaires de l'État (sans doute devons-nous comprendre les affaires
civiles) "devraient être référées à la Maison de justice, mais les actes du culte
doivent être observés selon ce que Dieu a révélé dans Son Livre" [84].
Nous avons ici une indication sur les rapports futurs entre les Maisons de justice
et les gouvernements dans la période de la très grande Paix, rapports qui sont
encore évoqués dans le Testament de 'Abdu'l-Baha : "Cette Maison de Justice édicte
les lois et le gouvernement les applique. Le corps législatif doit renforcer 1'exécutif,
l'exécutif doit aider et assister le corps législatif afin, que grâce à l'union
et l'harmonie de ces deux forces, les bases de la justice et de l'équité puissent
devenir solides et résistantes, et que toutes les régions de la terre soient semblables
au paradis lui-même" [85].
La responsabilité principale de la Maison universelle de justice sera la promulgation
de la plus grande paix. Il ne nous appartient pas aujourd'hui de spéculer sur
les formes que prendront toutes ces institutions civiles et religieuses dans la
période de la très grande Paix. Mais il est certain que les Maisons de justice
auront un pouvoir civil pour tout ce qui concerne le bien-être de toute la population
qu'elle soit baha'ie ou pas, et qu'il existera des organismes distincts, sous
l'égide des Maisons de justice, pour exercer séparément les pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire. Quant aux ordonnances à caractère religieux et dévotionnel,
elles ne seront applicables qu'aux baha'is et resteront conformes à ce qui a été
révélé sans que les Maisons de justice puissent ajouter d'autres prescriptions
comme ce fut le cas pour les autorités religieuses dans toutes les religions précédentes.
Souvent Baha'u'llah se réfère aux Maisons de justice en parlant des hommes, des
députés ou des hommes de confiance de la Maison de justice. La question s'est
donc posée quant à l'interprétation du mot "Hommes" de la Maison de justice de
Dieu. Fallait-il donner une interprétation générale, incluant donc les êtres humains
des deux sexes ou comprendre que les membres des Maisons de justice doivent être
de sexe masculin. La question a été tranchée par 'Abdu'l-Baha. L'interprétation
restrictive au sexe masculin de l'humanité ne concerne que la Maison universelle
de justice et ne concerne donc pas les Maisons locales ordonnées dans le Kitab-i-Adas
et les Maisons secondaires instaurées par 'Abdu'l-Baha [86].
Au niveau national et local, les femmes sont éligibles au même titre que les hommes.
* Conclusions
Ce nouvel ordre mondial évoqué par Baha'u'llah est la nouvelle civilisation qui
sera le fruit de sa révélation, une gouvernance mondiale sous la forme d'une confédération
des nations pour assurer la paix, la solidarité et la justice à l'échelle de la
planète. L'ordre administratif baha'i qui se met en place aujourd'hui en est le
noyau et le modèle avant d'en être la structure. "Lorsque ses parties composantes,
ses institutions organiques commenceront à fonctionner avec vigueur et efficacité,
il fera valoir son droit et démontrera son aptitude à être considéré, non point
seulement comme le noyau, mais comme la structure même du nouvel ordre mondial
destiné à englober, lorsque les temps seront révolus, l'humanité tout entière"
[87].
D. PRÉCEPTES, LOIS ET ORDONNANCES
On appelle souvent le Kitab-i-Aqdas, le Livre des Lois. Cette appellation se justifie
par le fait que le Livre contient tout une série de dispositions réglant la vie
individuelle et collective. Néanmoins le contenu du Livre dépasse de loin cet
aspect social pour pénétrer jusqu'au coeur même de la vie spirituelle. Certains
commentateurs ont voulu avancer que certaines lois du Kitab-i-Aqdas sont inspirées
par le milieu dans lequel Baha'u'llah a vécu et qu'il faut les recevoir comme
une réaction aux us et coutumes en vigueur chez les musulmans chiites ou chez
les babis. Comment, si tel était le cas, le Livre pourrait-il être la charte d'un
nouvel ordre mondial, selon les commentaires de Shoghi Effendi ? Certes quelques
paragraphes sont des abolitions de certains de ces us et coutumes, mais ces abolitions
servent à préparer le terrain pour de nouvelles conceptions de vie et pour un
plus grand épanouissement de l'homme et de la société humaine.
Dans l'entourage de Baha'u'llah, on s'est étonné que ce Livre, considéré comme
le Livre le plus saint, donc le centre même de toute la révélation de Baha'u'llah,
n'ait pas été révélé plus tôt. "De nombreuses requêtes de croyants relatives aux
lois de Dieu, le Seigneur du visible et de l'invisible, le Seigneur de tous les
mondes, sont parvenues jusqu'à notre trône. En conséquence, nous avons révélé
cette sainte Tablette et l'avons revêtue du manteau de sa loi afin que, par bonheur,
le peuple puisse observer les commandements de leur Seigneur. Nous avons reçu
de telles demandes depuis plusieurs années déjà mais, dans notre sagesse, nous
avons retenu notre plume jusqu'à ce que, récemment, des lettres nous parviennent
d'un certain nombre d'amis. Nous y avons répondu, par le pouvoir de la vérité,
et par ce qui ranimera le coeur des hommes (§ 98)" . Même après sa révélation,
le Kitab-i-Aqdas fut conservé par Baha'u'llah, pendant un certain temps avant
d'être envoyé aux amis en Iran. Ces délais sont une illustration du principe de
la révélation progressive qui est un des fondements de la révélation de Baha'u'llah,
principe qui s'applique même dans le cadre de sa révélation [88].
Baha'u'llah définit très clairement le but du Livre: "Nous n'avons certes pas
eu d'autre but dans ce monde terrestre (Mulk) que de manifester Dieu et de révéler
sa souveraineté ; Dieu me suffit comme témoin. Nous n'avons certes pas eu d'autre
intention dans le royaume céleste (Malakut) que d'exalter sa cause et de glorifier
sa louange. Dieu me suffit comme protecteur. Nous n'avons certes pas eu d'autre
désir dans l'empire d'en haut (Jabarut), que de célébrer Dieu et ce qu'il envoya
ici-bas. Dieu me suffit comme soutien (§ 172)" . Baha'u'llah ne se présente pas
à nous seulement sur le plan du monde physique (Mulk), où il est, pour nous, le
miroir de la volonté divine, mais également dans les différents degrés des mondes
spirituels (Malakut et Jabarut) où s'affirme sa nature de Manifestation des noms
et attributs de Dieu.
Car il ne s'agit pas d'une oeuvre d'inspiration humaine cornme le serait un essai
écrit par des juristes, des sociologues ou des philosophes, mais d'une révélation.
"Voici en vérité le ciel où le Livre-mère est précieusement gardé, si seulement
vous pouviez le comprendre (§ 103). Nous n'avons fréquenté aucune école ni lu
aucun de vos travaux (§ 104)" .
S'adressant au peuple du Bayan, Baha'u'llah déclare : "En vérité, nous entrions
dans l'école de Dieu alors que vous étiez plongés dans le sommeil. Nous étudiions
la Tablette alors que vous dormiez profondément. Par le seul vrai Dieu ! Nous
lûmes la Tablette avant qu'elle soit révélée alors que vous étiez inconscients,
et nous avions déjà une parfaite connaissance du Livre alors que vous n'étiez
pas encore nés. Ces paroles sont à votre mesure et non à celle de Dieu. De ceci
témoigne ce qui est enchâssé dans sa connaissance, si vous êtes de ceux qui entendent;
et de ceci porte aussi témoignage la langue du Tout-Puissant, si vous êtes de
ceux qui comprennent. Je jure par Dieu que si nous levions le voile, vous seriez
confondus (§ 176)" .
Il s'agit ici d'une évocation du concept du Livre-mère tel qu'il existait déjà
dans l'islam, à savoir un "Livre céleste", source de toutes les révélations, le
"Dépôt divin de la Révélation" selon Shoghi Effendi. Le terme désigne ensuite
le Coran lui-même, puis le Bayan et le Kitab-i-Aqdas, mais peut aussi signifier
l'ensemble de la révélation de Baha'u'llah [89].
Dès lors, il n'appartient pas à l'homme de discuter son contenu. "Gardez-vous
de discuter futilement au sujet du Tout-Puissant et de sa cause, car voyez ! Il
est apparu parmi vous investi d'une révélation si grande qu'elle embrasse toutes
choses, du passé comme du futur. Si nous parlions de ce sujet dans le langage
des habitants du royaume, nous dirions : "Vraiment, Dieu créa cette école avant
de créer le ciel et la terre, et nous y pénétrâmes avant que soient jointes et
liées les lettres du mot "sois" (§ 177)."
Ce passage nous éclaire sur une question fondamentale qui est à la base de beaucoup
de controverses théologiques. Si Dieu est transcendant dans son essence et donc
inexprimable sur ce plan, il se révèle dans tous les mondes qui émanent de lui
et qui forment une continuité hiérarchisée. Chaque degré de la hiérarchie précède
le suivant dans une préexistence causale, mais non dans une préexistence chronologique.
Au sommet de la hiérarchie des mondes spirituels, se manifeste l'Esprit de Dieu,
appelé Saint-Esprit ou plus grand Esprit ou Verbe. Cet Esprit est révélé par ces
Réalités éternelles que sont les Manifestations de Dieu. Celles-ci sont en fait
une seule réalité, préexistant causalement à l'acte de création de tous les mondes,
acte qui est symbolisé par le mot KuN (sois) formé par les deux lettres "Kaf"
et "Nun".
À ce titre, la réalité éternelle des Manifestations de Dieu est investie du pouvoir
divin. Pour les créatures tant invisibles que visibles, ces Manifestations sont
donc le Tout-Puissant, Dieu en quelque sorte, tout en restant ses serviteurs lorsqu'elles
se différencient par leur individualité. Elles sont "nos serviteurs en notre royaume;
pensez à ce que pourrait dire la langue des habitants de notre empire exalté,
car nous leur avons enseigné notre savoir et nous leur avons révélé tout ce qui
gisait caché dans la sagesse de Dieu (§ 177)."
En conséquence, les Manifestations de Dieu possèdent la plus grande infaillibilité
que Dieu a réservée à eux seuls et que ceux-ci ne partagent avec personne. "Celui
qui est l'Orient de la cause de Dieu n'a pas de partenaire dans la plus grande
Infaillibilité. C'est lui qui est, dans le royaume de la création, la manifestation
de "Il fait ce qu'il veut". Dieu a réservé cette distinction à celui qui est Lui-même,
et il a ordonné que personne ne partage un rang si transcendant et si sublime
(§ 47)."
Il en résulte que "cette cause ne peut devenir ni un jeu pour vos imaginations
stériles ni un lieu pour les sots et pour les lâches (§ 178)" . C'est pourquoi,
"le premier devoir que Dieu a prescrit à ses serviteurs est de reconnaître celui
qui est l'Aurore de sa révélation, la Fontaine de ses lois... À tous ceux qui
atteignent ce rang le plus sublime, cette cime de gloire transcendante, il convient
d'observer chaque ordonnance de celui qui est le Désir du monde (§ 1)."
* La liberté
Pourtant l'homme n'accepte pas facilement cette obligation. "Considérez l'étroitesse
d'esprit des hommes. Ils demandent ce qui leur est nuisible et rejettent ce qui
leur est profitable. Ils sont vraiment de ceux qui s'égarent. Nous en trouvons
quelques-uns qui désirent la liberté et s'en font gloire. De tels hommes sont
plongés dans les abîmes de l'ignorance (§122)" ...
"À la fin, la liberté doit conduire à la sédition dont personne ne peut étouffer
les flammes... Sachez que l'animal est l'incarnation et le symbole de la liberté.
Ce qui convient à l'homme, c'est de se soumettre à ces contraintes qui le protégeront
de sa propre ignorance et le garderont du mal causé par les semeurs de discorde.
La liberté pousse l'homme à dépasser les limites de la bienséance et à porter
atteinte à la dignité de sa condition. Elle l'abaisse au dernier degré de la dépravation
et de la méchanceté ( § 123)" ...
"Dis : Si peu que vous le sachiez, la vraie liberté pour l'homme consiste à se
soumettre à mes commandements. Si les hommes observaient ce que nous leur avons
envoyé du ciel de la révélation, ils atteindraient certainement à la liberté parfaite
(§ 125)."
Les commandements révélés sont donc l'instrument qui libère les hommes de leur
attachement aux choses terrestres et les fait participer au Royaume céleste qui
est leur véritable demeure éternelle. Plusieurs passages du Kitab-i-Aqdas illustrent
cette question. "Sachez avec certitude que mes commandements sont les lampes de
mon affectueuse providence parmi mes serviteurs, les clés de ma miséricorde pour
mes créatures (§ 3). De mes lois, le doux parfum de mon vêtement s'élève (§ 4)."
Ce verset est une allusion à l'histoire de Joseph dans l'Ancien Testament et dans
le Coran. C'est en respirant l'odeur du vêtement de Joseph apporté par ses frères
que Jacob, aveugle, a reconnu son fils bien-aimé qu'il espérait revoir depuis
longtemps. Le Bab avait identifié Baha'u'llah au "vrai Joseph" dans le Qayyumu'l-Asma'
et Baha'u'llah se présente dans plusieurs tablettes comme le "divin Joseph". Comme
Joseph eut à souffrir des machinations de ses frères, le passage est une anticipation
des souffrances infligées à Baha'u'llah par son demi-frère, Mirza Yahya, et de
celles de 'Abdu'l-Baha de la part de ses propres demi-frères [90].
Respirer le parfum du vêtement de Baha'u'llah, c'est le reconnaître dans sa dimension
de Manifestation divine. Observer ses commandements est la vraie liberté que nous
enseigne le Kitab-i-Aqdas. Se laisser conduire par ses désirs et ses imaginations
est indigne de l'homme. Cela le prive de son véritable rang et l'abaisse à celui
de l'animal qui est l'incarnation de la liberté afin de jouir de tous ses instincts.
Pour être digne de son rang d'être humain, l'homme doit se comporter selon les
préceptes qui lui sont révélés car par là, il met sa réalité physique et sa réalité
mentale, deux réalités éphémères, au service de sa réalité spirituelle qui est
immortelle. "L'homme est le talisman suprême. Un manque d'éducation adéquate (l'éducation
fournie par la Manifestation divine) l'a cependant privé de ce qu'il posséde par
nature. D'un mot sorti de la bouche de Dieu, il fut appelé à l'existence ; d'un
mot de plus, il fut amené à reconnaître la Source de son éducation ; d'un autre
mot encore, son rang et sa destinée ont été assurés" [91].
* Nature du Livre
La nature du Kitab-i-Aqdas se trouve ainsi parfaitement définie: "Ne croyez pas
que nous vous avons révélé un simple code de lois. Nous avons plutôt décacheté,
avec les doigts de la force et du pouvoir, le vin de choix. De ceci porte témoignage
ce qu'a dévoilé la Plume de la révélation. Méditez cela, ô hommes à la vue pénétrante
(§ 5)."
La symbolique du vin, cause d'extase spirituelle, était déjà largement utilisée
dans la Bible, le Coran et les anciennes traditions hindoues. Nous la retrouvons
dans de nombreuses tablettes de Baha'u'llah, comme par exemple dans une méditation
où Baha'u'llah supplie Dieu de fournir aux croyants "le vin de choix de ta miséricorde
afin qu'il puisse les rendre oublieux de tous sauf de toi, et les faire se lever
pour servir ta Cause, et les rendre constants dans leur amour pour toi" [92].
"Dieu a fait de mon amour caché la clé du Trésor... Sans cette clé, le Trésor
serait à jamais resté caché (§15)" .
Ceci est une allusion à une tradition islamique. 'Abdu'l-Baha, alors qu'il n'avait
que 19 ans, a écrit, à la demande de Baha'u'llah, un important commentaire de
cette tradition. Selon 'Abdu'l-Baha la tradition a une signification plus profonde
que d'évoquer seulement l'acte de création. Le Verbe existe en soi avant d'être
manifesté, c'est l'état du Trésor caché. Lorsque le Verbe se manifeste dans la
conscience du Messager divin, c'est l'état de : "j'ai souhaité être connu". Lorsque
le Messager divin fait briller les Noms et Attributs de Dieu sur tous les êtres
créés, c'est l'état de : "J'ai appelé la création à l'existence", car chaque révélation
renouvelle la création et lorsque les hommes, brisant les voiles des attachements
terrestres, se hâtent vers la contemplation de la beauté divine, le but de la
création est réalisé et le Trésor caché est connu [93].
* La nature des lois
Le Kitab-i-Aqdas ne considère pas les lois spirituelles comme des conventions
sociales, ni comme des règles de conduite imposées par Dieu, mais plutôt comme
les véritables expressions des relations fondamentales et objectives qui forment
la structure même de la réalité. La réalité est un tout qui s'articule par une
unité dans la diversité, un tout qui comporte des niveaux distincts de l'Etre.
La nature est le niveau inférieur, son principe d'existence est la composition
et la décomposition. Ce niveau est déterminé par des règles absolues dépendant
de la volonté divine, car la nature n'a ni perception, ni intelligence [94].
La nature trouve son expression la plus élaborée dans le corps et l'intelligence
de l'homme qui a été doté de la capacité de comprendre les lois qui régissent
la nature. C'est le domaine de la science. Celle-ci ne peut atteindre le niveau
supérieur de la réalité : la réalité spirituelle ou le monde spirituel. Dans celui-ci,
l'homme trouve sa place, par l'intermédiaire de son âme immortelle dont le principe
n'est plus la composition et la décomposition, mais celui d'une substance non
composée et en conséquence indestructible. Celle-ci est dotée, dès son apparition,
d'un potentiel d'attributs capables de refléter les attributs divins. Elle est
donc faite à l'image de Dieu. Toutefois, la capacité de refléter les attributs
divins ne se développerait pas si le pouvoir de l'âme n'était pas alimenté par
une nourriture à sa mesure.
Cette nourriture concerne les trois facultés fondamentales de l'âme : la connaissance,
l'amour et la volonté. L'intelligence rationnelle de l'homme ne peut, par elle
seule, franchir la frontière des choses contingentes. Livré à lui-même, l'homme
orienterait les facultés de son âme vers la recherche de son propre ego et ne
réussirait pas à découvrir celui que Baha'u'llah appelle le Bien-aimé dans les
"Quatre Vallées". Aussi Dieu a-t-il permis que des êtres, se manifestant périodiquement
dans l'histoire, soient pourvus d'une âme dont la nature est supérieure à celle
des autres âmes et aient accès à la connaissance innée des conditions du monde
spirituel. Ils dévoilent donc à l'homme les chemins à parcourir pour se détacher
de l'ego qui les enferme, et pour libérer les potentialités de leur âme. Celle-ci
peut alors progresser de manière infinie vers la proximité du Bien-aimé, sa véritable
destinée. Afin de faire ce cheminement, l'homme doit avoir la connaissance des
règles à suivre, qui sont les lois, les ordonnances et les exhortations révélées
par la Manifestation divine. Il doit, ensuite, exercer sa volonté afin d'être
capable de suivre ces règles. Mais il ne le fera vraiment que lorsqu'il ressentira
ces règles comme l'expression de l'amour divin.
Les préceptes révélés sont donc l'expression des moyens qui ont trait à la nature
même des relations qui régissent la réalité du monde spirituel. Nous ne sommes
pas toujours en mesure de comprendre le pourquoi de telle ou telle loi ou de telle
ou de telle injonction, ni pourquoi certains préceptes sont ordonnés dans telle
révélation et abrogés dans telle autre, mais nous pouvons comprendre que Dieu
les a infailliblement inspirés à ceux qui sont Lui, dans le monde de la création,
c'est-à-dire ses Manifestations, et qu'il nous appartient de les suivre par amour
pour eux et pour Lui. Leurs ordonnances ont pour but notre bonheur et notre développement
individuels, ainsi que l'ordre et le progrès de la société.
* Préceptes, lois, ordonnances et exhortations
Tout ce que Baha'u'llah a ordonné dans le Kitab-i-Aqdas n'est pas encore en application
dans l'état actuel de notre société. La mise en application sera progressive comme
l'est la révélation, non seulement d'âge en âge, mais aussi dans le cadre d'une
même Révélation [95]. "En vérité, les lois de Dieu sont comme
l'océan, et les enfants des hommes sont comme des poissons, si seulement ils le
savaient. Toutefois, en s'y conformant, il faut user de tact et de sagesse...
Puisque la plupart des hommes sont faibles et se trouvent bien loin du dessein
de Dieu, il faut donc, en toutes circonstances, faire preuve de tact et de prudence,
afin que rien ne parvienne à jeter le trouble et la dissension ou soulever la
clameur des négligents [96]."
Six lois sont d'application universelle à l'heure actuelle : les lois concernant
la prière quotidienne, le jeûne, le mariage, les funérailles, l'interdiction des
substances intoxicantes et le Huququ'llah [97], encore que
pour certaines, toutes les dispositions prévues dans le Kitab-i-Aqdas ne soient
pas encore en vigueur. En outre, les baha'is doivent observer tous les préceptes
moraux, ainsi que tout ce qui n'est pas en contradiction avec les lois civiles
ou pénales de leur pays. Nous savons par les Écrits de 'Abdu'l-Baha, que le monde
est destiné à reconnaître la révélation de Baha'u'llah et que progressivement,
sans recours à la force, ni au prosélytisme, les populations du monde l'accepteront
dans leur majorité. Il en résultera des États baha'is qui baseront leurs codes
sur le Kitab-i-Aqdas, tout en garantissant la liberté culturelle et religieuse
aux minorités non-baha'ies.
Certaines lois devront être appliquées par tous, car elles seront la base des
lois civiles et pénales. D'autres seront appliquées uniquement par les baha'is,
car les autres groupes auront leurs propres lois cultuelles à la condition qu'elles
ne troublent pas l'ordre général de la société. Il appartiendra à la Maison universelle
de justice de décider de la mise en application des lois en les complétant par
les détails nécessaires, en tenant compte d'une part par les éclaircissements
que Baha'u'llah lui-même a donnés dans le livre des Questions et Réponses et dans
les tablettes révélées après le Kitab-i-Aqdas et d'autre part par les interprétations
et précisions apportées par 'Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi.
Le monde de demain sera, selon la vision de Shoghi Effendi, une fédération d'États
baha'is qui aura besoin d'une constitution répondant aux besoins de toute la planète.
Il serait présomptueux pour le monde occidental de croire que ce monde de demain
suivra son modèle actuel. Trop de liberté a été revendiquée par une civilisation
qui s'est éloignée de la volonté divine. "La liberté pousse l'homme à dépasser
les limites de la bienséance et à porter atteinte à la dignité de sa condition.
Elle l'abaisse au dernier degré de la dépravation et de la méchanceté (§123)"
. Le monde occidental devra donc repenser beaucoup de ses concepts de vie, notamment
les concepts pronant un individualisme excessif, le matérialisme ou l'hédonisme,
pour retrouver les valeurs essentielles qu'il a déjà perdues, pendant que toutes
les autres parties du monde accéderont à une émancipation sociale et économique
qu'elles ne connaissent pas encore. Pour ce monde nouveau, rééquilibré, le Kitab-i-Aqdas
sera la charte indispensable.
Les commentaires qui vont suivre, examineront la portée des préceptes, lois et
ordonnances du Kitab-i-Aqdas en les regroupant selon certains thèmes afin d'essayer
de comprendre leur signification spirituelle et sociale. En général, les lois
sont mentionnées de façon succincte ; par exemple, elles sont souvent énoncées
comme s'appliquant à un homme. Le Gardien a indiqué que les lois qui concernent
les relations entre un homme et une femme, doivent être appliquées mutatis mutandis,
à moins que le contexte ne le rende impossible [98].
1. L'étude de la révélation
"Immergez-vous dans l'océan de mes paroles afin d'en pénétrer les secrets et de
découvrir toutes les perles de sagesse que recèlent ses profondeurs (§ 182). Récitez
les versets de Dieu chaque matin et chaque soir (§ 149)" . Ces injonctions sont
fondamentales, pourtant elles sont accompagnées de conseils de modération. "Lisez
les versets sacrés dans la limite où vous n'êtes pas envahis par la lassitude
et l'abattement (§ 149)."
La connaissance des Écrits est un moyen efficace pour résoudre les différences
d'opinions entre les croyants. "Si des différends s'élèvent parmi vous, quel qu'en
soit le sujet, soumettez-les à Dieu tant que le Soleil brille au-dessus de l'horizon
de ce ciel et, lorsqu'il sera couché, rapportez-vous à ce qu'il a révélé (§ 53)"
. Les Ecrits étudiés consciencieusement prolongent la présence de Baha'u'llah
parmi nous. "Dans ma présence parmi vous se trouve une sagesse, et dans mon absence
s'en trouve une autre, impénétrable à tout autre que Dieu, l'Incomparable, l'Omniscient.
En vérité, de notre royaume de gloire nous vous regardons et, par les armées de
l'assemblée céleste et de nos anges favoris, nous aiderons quiconque se lèvera
pour faire triompher notre cause (§ 53)."
De toute manière, personne ne peut donner de manière exhaustive la signification
du texte révélé et si quelques éclaircissements faisant autorité sont nécessaires,
il faut les chercher auprès de celui que Baha'u'llah a instauré comme le Centre
de son alliance et à qui il a donné le pouvoir d'interpréter sous le couvert de
son inspiration infaillible. Tous autres commentaires ou interprétations de la
part de "savants baha'is" sont à recevoir avec respect car ils sont de nature
à nous éclairer, sans toutefois leur donner une quelconque autorité. Ainsi nous
pourrons recevoir sans préjugés et sans inquiétude, des commentaires différents.
Tous, quels qu'ils soient, contribueront à enrichir notre propre compréhension
à laquelle nous éviterons de nous accrocher. Si des difficultés se présentent
et des conflits d'opinion se manifestent, la Maison universelle de justice sera
l'institution qui résoudra ces difficultés et explicitera les enseignements en
fournissant aux chercheurs les textes et les références nécessaires. "Il incombe
à ces membres (de la Maison de justice)... de délibérer sur tous les problèmes
qui ont causé des différends, sur les questions obscures et les sujets qui ne
sont pas mentionnés dans le Livre [99]."
2. Enseignement de la Cause
La connaissance de la révélation doit être communiquée aux enfants dès leur plus
tendre enfance. "Enseignez à vos enfants les versets révélés du ciel de majesté
et de pouvoir, afin qu'ils puissent réciter les tablettes du Très-Miséricordieux,
avec les intonations les plus mélodieuses, dans les salles des Mashriqu'l-Adhkars
[100] (§150)."
Toute l'humanité doit être invitée à partager cette nouvelle effusion du Verbe
divin. Celui qui a vraiment reconnu le rang et la mission de Baha'u'llah ne peut
faire autrement que d'enseigner sa cause car Baha'u'llah a aboli tout clergé.
"Levez-vous pour faire avancer ma cause et pour exalter ma parole parmi les hommes.
Nous sommes en tout temps avec vous et nous vous fortifierons par le pouvoir de
la vérité. Nous sommes, en vérité, tout puissant. Quiconque m'a reconnu se lèvera
et me servira avec une telle résolution que les forces de la terre et du ciel
seront incapables de faire échouer son dessein. (§ 38)" . Si le monde tarde à
accepter, c'est qu'il est endormi. "Les peuples du monde sont profondément endormis.
S'ils sortaient de leur sommeil, ils s'empresseraient avec ardeur vers Dieu, l'Omniscient,
le Très-Sage (§ 39)."
3. La vie spirituelle
Les premières ordonnances et exhortations que Baha'u'llah nous donne dans le Livre,
concernent notre vie spirituelle qui doit être alimentée journellement comme notre
corps physique doit recevoir sa nourriture journalière. L'étude des Ecrits est
déjà un chemin dans cette direction, mais il n'est pas suffisant. Baha'u'llah
nous prescrit quelques lois, et ne se contente pas de simples exhortations.
a. La prière quotidienne.
"Nous vous avons prescrit la prière obligatoire de neuf rak`ahs qui, à midi, le
matin et le soir, doit être offerte à Dieu, le Révélateur des versets (§ 6)" .
"Obligatory Prayers" est la traduction que Shoghi Effendi a donnée au mot arabe
"Salat" qui désigne une prière spéciale que le croyant doit réciter journellement
avec un certain rituel. Une telle prière est donc différente des prières ordinaires
que l'on utilise en privé, en famille ou dans des réunions. La prière prescrite,
par contre, doit être individuelle et ne peut se faire en public. Un rak'ah est
la récitation d'un verset spécial accompagné de génuflections et autres mouvements.
Pour la prière obligatoire prévue dans le § 6 du Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah avait
diminué le nombre de rak'ahs que Muhammad et le Bab avaient prescrit pour les
prières obligatoires. La prière révélée par Baha'u'llah ne nous est pas connue,
perdue avec d'autres écrits qui se trouvaient dans un coffre que Muhammad 'Ali
a subtilisé au décès de Baha'u'llah. Dans les questions et réponses (Q 63) Baha'u'llah
explique que la prière prévue dans le Kitab-i-Aqdas a été révélée séparément "pour
raisons de sagesse". Par la suite, Baha'u'llah révéla une autre tablette contenant
trois prières. Ce sont les trois prières que nous connaissons et que les croyants,
à partir de l'âge de 15 ans, doivent réciter en choisissant chaque jour une des
trois prières afin de répondre à l'injonction contenue dans le Kitab-i-Aqdas.
Ces prières doivent être récitées en se tournant vers la Qiblih qui est le Tombeau
de Baha'u'llah à Bahji et en effectuant les gestes et les mouvements qui sont
mentionnés. Ces prières sont précédées d'ablutions qui sont obligatoires car ablutions
et prosternations font partie intégrante de la prière
La prière courte se récite entre midi et le coucher du soleil, précédée des ablutions
et tourné vers la Qiblih. La prière moyenne se récite trois fois par jour, le
matin (entre le lever du soleil et midi), à midi (entre midi et le coucher du
soleil), le soir (au coucher du soleil). Les ablutions se font en récitant les
deux premiers versets, puis on se tourne vers la Qiblih pour réciter le reste
de la prière en faisant les prosternations indiquées. La prière longue se récite
une fois par jour (du coucher du soleil au coucher du soleil le jour suivant),
précédée des ablutions, tourné vers la Qiblih et en effectuant les prosternations
indiquées. Par ailleurs, une série de détails ont été prescrits dans le Livre
comme dans les Questions et Réponses, pour répondre à des circonstances particulières.
b. L'invocation du plus grand Nom.
Cette forme d'adoration (dkir) existait dans le monde islamique, spécialement
chez les soufis et consistait à répéter les noms de Dieu. Baha'u'llah prescrit
la répétition, une fois par jours, de 95 fois le plus grand Nom, Allah'u'Abha,
précédé des ablutions, sauf si cette invocation suit immédiatement la prière quotidienne
pour laquelle les ablutions ont été faites.
c. La prière pour les morts.
Une prière spéciale a été révélée pour être dite au moment de la mise en terre.
Cette prière est également obligatoire à l'occasion des funérailles de tout croyant
baha'i adulte (à partir de 15 ans). Baha'u'llah a conservé pour cette prière le
caractère public alors qu'il l'avait aboli pour les autres prières obligatoires.
Elle doit donc être récitée devant les personnes présentes aux funérailles, par
une seule personne alors que les autres se tiennent debout en silence, sans qu'il
soit nécessaire de se tourner vers la Qiblih [101]. Parmi
toutes les autres prescriptions concernant les funérailles, seules sont actuellement
d'application les interdictions de déplacer le corps du défunt à plus d'une heure
des limites de la ville où le décès est survenu et d'incinérer celui-ci.
d. Les prières.
En plus de ces prières prescrites au quotidien, Baha'u'llah, 'Abdu'l-Baha et Shoghi
Effendi ont révélé de nombreuses prières et méditations. Cette forme de prière
est une sorte de conversation avec Dieu (munajat) ou une demande de faveur (dua).
Les croyants sont invités à les utiliser en toute liberté, sans aucun rituel,
ni prescriptions particulières. Le Gardien a même souligné qu'il était important
d'éviter toute manière rigide ou réglementée à l'occasion de ces prières afin
qu'elles ne deviennent pas un rite, même si une habitude est suggérée comme pour
les prières de souvenance récitées à l'occasion des commémorations du décès du
Bab, de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha [102].
Ces versets, de même que tout extrait des textes sacrés, sont aussi utilisés par
tout un chacun à de multiples occasions, mais aussi dans des rencontres formelles
à qui l'on donne le nom de Mashriqu'l-Adhkar. Le terme est alors compris comme
"réunion consacrée à la prière". C'est une mise en application du verset : "Béni
celui qui, à l'aube, dirigeant ses pensées vers Dieu, occupé par son souvenir,
suppliant son indulgence, tourne ses pas vers le Mashriqu'l-Adhkar, et y entrant,
s'assied en silence pour écouter les versets de Dieu, le Souverain, le Puissant,
le Très-Loué (§ 115)" . Dans son discours inaugural lors de la pose de la première
pierre du Temple de Wilmette, 'Abdu'l-Baha avait déclaré : "En Perse, il y en
a beaucoup ; certains sont des maisons utilisées à cette fin, d'autres sont des
locaux entièrement dédiés à la Cause divine" [103]. En conséquence,
le terme de "Mashriqu'l-Adhkar" est utilisé dans les Écrits pour décrire plusieurs
choses :
La réunion d'amis à l'aube pour prier ;
Un bâtiment où cette activité a lieu ;
Une institution complète avec ses bâtiments divers et ses institutions ;
Le bâtiment central de cette institution, appelé "maison d'adoration" ou "temple
["104].
De même que Jésus avait condamné les pharisiens qui manifestaient leur apparente
piété de manière ostensible, Baha'u'llah dénonce la fausse piété. Il interdit
de marmonner les versets sacrés dans la rue. Les prières doivent être chantées
ou récitées dans les lieux de culte ou à domicile, en signe de sincérité (§ 108).
e. Le jeûne.
On trouve la prescription du jeûne dans toutes les religions. Le jeûne baha'i
est limité à dix-neuf jours et tombe toujours à la même époque (du 2 au 21 mars),
soit pendant le dernier mois du calendrier Badi. Il consiste en l'abstinence de
toute nourriture et boisson du lever au coucher du soleil (§ 10). Toutefois dans
une prière révélée pour le Naw-Ruz, Baha'u'llah insiste sur le caractère spirituel
du jeûne, le jeûne physique étant le symbole du détachement recherché. Le Kitab-i-Aqdas
précise les cas d'exemption ou les détails à respecter notamment en cas de voyage
ou d'incapacité [105].
f. Les Pèlerinages.
Baha'u'llah a prescrit le pèlerinage à l'une des Maisons sacrées, la Maison du
Bab à Shiraz ou la Maison de Baha'u'llah à Baghdad, laissant le choix au croyant
(Q 25 et 29). Les femmes sont toutefois exemptées (§ 32). Il en a décrit le rituel
dans deux tablettes spécifiques révélées à l'intention de Nabil-i-Azam (Suriy-i-Hajj).
'Abdu'l-Baha a ajouté un troisième lieu de pèlerinage, le tombeau de Baha'u'llah
à Bahji sans prescrire de rituel spécifique pour celui-ci et a précisé que le
pèlerinage à l'une des autres Maisons n'est obligatoire qu'à condition d'en avoir
les moyens et que les circonstances le permettent (note 54). Réaliser le pèlerinage
à Bahji, actuellement celui qui est le seul possible, est un acte de piété qui
affermit le croyant dans sa foi et lui permet souvent de comprendre la signification
véritable de la révélation de Baha'u'llah. Ce pèlerinage est suivi autant par
les femmes que par les hommes.
Ces ordonnances ont pour objet de donner à l'homme les instruments nécessaires
au développement de sa réalité spirituelle qui est sa dimension véritable et éternelle.
Tout le monde sait que notre corps ne peut subsister sans une alimentation journalière.
Il en est de même pour notre âme qui a besoin d'un nourriture spirituelle. Un
des buts essentiels de toute révélation religieuse est de fournir à l'homme les
moyens de nourrir son âme et de lui ouvrir les voies qui la conduisent vers le
Bien-Aimé, le Trésor caché qui souhaite se manifester.
"Dis : Dieu a fait de mon amour caché la clé du Trésor, si vous pouviez le percevoir
! Sans cette clé, le Trésor serait à jamais resté caché; si vous pouviez le croire
! Dis : Voici la Source de la révélation, l'Orient de la splendeur, dont la brillance
a illuminé les horizons du monde. Si vous pouviez le comprendre ! C'est, en vérité,
ce décret déterminé par lequel chaque décret irrévocable a été établi (§15)."
4. La dignité de l'homme
Dans beaucoup de religions, il y eut des partisans d'une vie d'ascétisme, de privations,
d'abstinence et de rigueur physique, considérant que la vie sur cette terre est
sans importance. Ces mouvements encratiques, comme les Hassidim juifs, les anachorètes
chrétiens, les purs des sectes gnostiques ou les derviches musulmans, ont prétendu
représenter l'idéal que l'homme doit atteindre pour plaire à Dieu. Baha'u'llah
déclare que les oeuvres de telles personnes ne trouvent pas l'assentiment de Dieu
(§ 36). Il nous donne une tout autre notion du détachement. Certes, il ne faut
pas devenir esclave de ses passions, de ses possessions et de ses imaginations.
Mais cela n'implique pas que l'homme doive s'abaisser et s'humilier ou se faire
souffrir en se privant des bienfaits de Dieu. L'humilité est un sentiment noble,
l'humiliation est une condition que Dieu n'a pas voulue pour l'homme. Le Kitab-i-Aqdas
renferme toute une série de dispositions qui invitent l'homme à être une créature
digne et raffinée.
Le raffinement corporel se traduit par la propreté. Baha'u'llah prescrit de se
laver avec de l'eau pure (§ 74), de se baigner complètement une fois par semaine,
de ne pas utiliser les bains publics persans (§ 106), de se laver les pieds tous
les jours en été et tous les trois jours en hiver (§ 152), d'utiliser du parfum
(§ 76), de ne pas se raser la tête, mais de couper ses cheveux afin qu'ils ne
dépassent pas la limite des oreilles (§ 44), de porter des vêtements propres (§
74). D'anciennes restrictions islamiques sont abrogées, telle l'interdiction de
porter des fourrures qui annihileraient la validité des prières, celle de porter
de la soie ou d'utiliser de la vaisselle d'or et d'argent. "Il désire vraiment
voir en vous les manières des habitants du paradis dans son puissant et très sublime
royaume (§ 46)" . Dans l'imaginerie islamique, les habitants du paradis sont,
en effet, vêtus de soie et utilisent de la vaisselle d'or et d'argent. Le paradis
spirituel, nous le vivons déjà sur cette terre lorsque nous obéissons aux commandements
divins. Parfois ce sont des coutumes sociales qui sont abolies comme l'usage de
prendre de la nourriture avec les doigts dans le bol ou le plat dans lequel elle
est servie (§ 46). Baha'u'llah conseille à ceux qui en ont les moyens, de renouveler
l'ameublement de leurs habitations tous les dix-neuf ans (§ 151).
Baha'u'llah abolit totalement le concept de "l'impureté" de certaines choses et
de certains peuples [106]. "En vérité, toutes les choses
créées furent immergées dans la mer de la purification lorsque, en ce premier
jour du Ridvan, nous avons répandu sur la création entière les splendeurs de nos
noms les plus excellents et nos attributs les plus exaltés. C'est, en vérité,
un témoignage de mon affectueuse providence qui a embrassé tous les mondes. Dès
lors, fréquentez les disciples de toutes les religions et proclamez la cause de
votre Seigneur, le Très-Compatissant ; cet acte est le roi des actes, si vous
êtes de ceux qui comprennent (§ 75)."
L'être humain ne doit pas s'abaisser devant un autre être humain. C'est pourquoi,
il n'est pas permis de baiser la main des prêtres et des personnages importants,
ni de confesser ses péchés à un autre homme (§ 34), ce qui n'implique pas que
quelqu'un ne puisse reconnaître spontanément ses erreurs envers ceux à qui il
a causé du tort ou devant les institutions baha'ies qui doivent promouvoir la
justice [107]. Baha'u'llah interdit de lui faire des présents
de valeur importante, abrogeant ainsi une pratique ancienne (§ 114). Il abolit
l'esclavage (§ 72).
L'homme doit se faire un devoir de préserver son intégrité corporelle et mentale.
Baha'u'llah interdit, dès lors, l'usage de toute substance qui affecte à la fois
le corps et le cerveau, comme les drogues et les substances enivrantes (§ 155).
Il y associe le jeu qui a fait perdre le contrôle de soi à bien des personnes.
"Il est inadmissible que l'homme, qui fut doté de raison, consomme ce qui la lui
dérobe. Non, il lui convient plutôt de se comporter d'une manière digne de sa
condition et de ne pas imiter les méfaits de l'âme irrésolue et négligente (§
119)" . À ce sujet, il insiste tout particulièrement sur le danger de fumer l'opium
et termine le Livre par cette interdiction (§ 190).
Quant au raffinement intellectuel, il s'acquiert par la pratique des arts et des
sciences. Baha'u'llah abolit l'interdiction islamique au sujet de la musique et
du chant (§ 51), interdiction qui ne se trouve d'ailleurs pas dans le Coran. Tout
au contraire, 'Abdu'l-Baha a souligné combien la musique, chantée ou jouée, est
une nourriture spirituelle pour l'âme et le coeur [108]. Dans
de nombreux écrits, le terme arabe (qalb) ou persan (dil) a été traduit par "heart"
(coeur) par Shoghi Effendi. C'est une référence au siège de la compréhension intuitive,
plutôt que le siège des émotions.
Il s'agit toutefois d'étudier les sciences qui profitent à l'humanité et non celles
qui engendrent des disputes mesquines. C'est pourquoi le commandement du Bayan
de détruire les livres a été aboli (§ 77). La vraie connaissance est aussi celle
qui conduit à l'humilité, et non celle qui est affichée par ceux qui convoitent
les places d'honneur ou par ceux qui prétendent diffuser une connaissance qui
se prétend plus profonde que la connaissance intérieure (§ 36). Il faut y voir
la condamnation des connaissances ésotériques qui deviennent un voile empêchant
ces soi-disant savants de reconnaître la Manifestation [109].
Baha'u'llah recommande également l'étude des langues dans le but d'enseigner la
Cause à tous les peuples (§ 118), en attendant que les membres des parlements
du monde ne choisissent une langue et une écriture universelles qui assureront
l'unité du monde et sera un signe de sa maturité (§189).
Le Bab avait interdit de poser des questions autrement que par écrit à celui que
Dieu allait rendre manifeste. Baha'u'llah lève cette interdiction (§126) et c'est
ainsi qu'il a répondu à de nombreuses questions orales ou écrites.
Le plus méritoire des raffinements est l'acquisition des vertus. De nombreuses
vertus sont mentionnées dans le Kitab-i-Aqdas [110]. L'idéal
moral qui doit animer le vrai croyant est au bout de l'effort journalier. "Ceux
qui évitent l'iniquité et l'erreur, qui sont fidèles à la vertu, sont aux yeux
du seul vrai Dieu parmi ses créatures favorites. Leurs noms sont célébrés par
l'assemblée des royaumes d'en haut et par ceux qui vivent dans ce tabernacle élevé
au nom de Dieu (§ 71)."
5. La Famille
Baha'u'llah établit à 15 ans l'âge de maturité tant pour l'homme que pour la femme
[111]. C'est à partir de cet âge que les devoirs religieux
doivent être accomplis. C'est aussi à partir de cet âge que les baha'is peuvent
fonder une famille en observant ce qui est prescrit dans le Livre. "Dieu vous
a prescrit le mariage (§ 63)" , "une forteresse de bien-être", sans que cela soit
une obligation [112]. Mais à tous ceux qui ne sont pas mariés,
Baha'u'llah prescrit la chasteté en interdisant la fornication et l'adultère (§
19). Le terme arabe "zina" a ces deux significations, ou encore celle de viol.
Le terme a été traduit par adultère, mais doit être compris dans son sens général.
Par contre 'Abdu'l-Baha a interprété que la sanction pécuniaire prévue au § 49,
concerne la fornication et qu'il appartiendra à la Maison de justice de fixer
les punitions pour l'adultère, la formication, la sodomie et le viol, comme d'ailleurs
pour tous les autres crimes dont les degrés sont à établir [113].
Il en résulte que le mariage repose sur le pilier de la fidélité conjugale.
Les autres piliers du mariage sont la notion d'égalité entre les deux sexes, qui
doivent se choisir librement, selon ce qui avait déjà été prescrit par le Bab
et l'unité de la famille élargie qui suppose le consentement des parents au choix
des futurs époux (§ 65).
La nature du mariage est décrite par 'Abdu'l-Baha : "Parmi les disciples de Baha...
le mariage doit être à la fois l'union du corps et de l'esprit, car ici, mari
et femme sont tous deux enivrés du même vin ; tous deux sont amoureux du même
visage incomparable ; tous deux vivent et agissent dans le même esprit ; tous
deux sont illuminés par la même gloire. Cette relation entre eux est d'ordre spirituel
et ainsi, c'est un lien qui demeurera à jamais" [114]. Il
arrive malheureusement que certains couples ne parviennent pas à réaliser l'idéal
décrit par 'Abdu'l-Baha et en arrivent à ne plus pouvoir vivre ensemble. Dans
ce cas Baha'u'llah demande à chaque conjoint de patienter pendant au moins une
année afin de restaurer leur amour mutuel (§ 68). Ce n'est qu'en cas d'échec de
cette tentative que le divorce est permis. De toute manière, "en vérité, le Seigneur
aime l'union et l'harmonie; il abhorre la séparation et le divorce (§ 70)" .
Baha'u'llah a vécu dans un milieu qui pratiquait la polygamie. Le Bab avait déjà
limité à deux le nombre d'épouses autorisées. Voulant introduire la monogamie,
Baha'u'llah utilise un moyen qui permette à son époque de comprendre cette nécessité.
Il semble confirmer la loi du Bayan qui autorise deux épouses, mais il conseille
de s'en tenir à une seule afin que le mari et la femme vivent dans la tranquillité.
Muhammad avait limité à quatre épouses la pratique très ancienne de la polygamie.
Il avait de plus, conditionné cette pratique à la justice. Toutes ces données
ont permis à 'Abdu'l-Baha de conclure que le temps était venu de pratiquer la
monogamie [115]. Il fallait de même régler la situation selon
laquelle un homme ne pouvait prendre dans son ménage, une servante sans l'épouser.
Baha'u'llah abolit cette pratique de l'islam chiite et permet de prendre à son
service des servantes, jeunes ou vieilles, contre rémunération (§ 63).
Bien d'autres dispositions sont encore énoncées dans le Livre réglant par exemple
la question des fiançailles (Q 43), de la dot (§ 66), de la virginité (Q 47) ou
de l'interdiction d'épouser en seconde noce, les époux de son père ou de sa mère
(§107).
Un des buts essentiels du mariage est la procréation. "Unissez-vous par les liens
du mariage, ô peuple, afin de pouvoir donner naissance à celui qui me mentionnera
parmi mes serviteurs. Ceci est mon commandement pour vous; suivez-le, telle une
aide pour vous-même (§ 63)" .
"Cela n'implique pas que le couple est obligé d'avoir autant d'enfants qu'il le
peut... Il appartient aux époux de décider ensemble du nombre d'enfants qu'ils
veulent avoir. Mais la décision de n'avoir aucun enfant fausserait le but premier
du mariage à moins, naturellement qu'il n'y ait des raisons médicales qui nécessiteraient
une telle décision ["116]. Mettre des enfants au monde entraîne
une responsabilité primordiale, celle de leur éducation. Cette responsabilité
incombe aux parents, et plus particulièrement au père en ce qui concerne l'aspect
financier. Si celui-ci manque à son devoir, la Maison de justice (locale) prélèvera
sur ses biens de quoi assurer cette éducation et en tout cas assumera cette responsabilité
(§ 48). 'Abdu'l-Baha a complété cette injonction en mentionnant que l'éducation
des filles était encore plus nécessaire que celle des garçons, car les filles
sont les premières éducatrices de la génération suivante [117].
Dans les Questions et Réponses, Baha'u'llah, après avoir rappelé le devoir des
enfants de servir leurs parents, souligne le but de l'éducation qui est de faire
apparaître les capacités déposées par Dieu dans la réalité intime de l'homme,
notamment la loyauté, la piété, la véracité et la sincérité (Q 104 et 105).
6. L'ordre dans la société
Le Kitab-i-Aqdas est la charte fondamentale d'un nouvel ordre mondial, méritant
d'être traité plus amplement dans un autre commentaire [118].
D'autres dispositions sont destinées à assurer l'ordre dans la société, comme
celle de ne pas pénétrer dans les maisons sans la permission de l'occupant (§
145), ou comme celle prescrivant l'obéissance aux gouvernements (§95) ou encore
l'interdiction de porter des armes sauf dans des circonstances spéciales (§ 159).
C'est à la société de rendre la justice et non aux individus. C'est la base du
principe de la non violence. 'Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi ont toutefois indiqué
qu'il était légitime de défendre sa vie lorsque celle-ci était en danger. L'utilisation
d'armes est aussi permise pour la pratique limitée de la chasse et dans certains
sports [119]. La notion de la guerre sainte a été abolie
par Baha'u'llah dans la tablette Bisharat [120].
Baha'u'llah érige le travail au rang d'acte d'adoration. Il appartient donc à
chacun de rechercher un moyen de contribuer au progrès et au développement de
la société par sa profession, son travail, ou son art (§ 33). La mendicité est
défendue, de même que donner aux mendiants (§ 147).
Dans la tablette Ishraqat (Les Splendeurs), Baha'u'llah nous exhorte à être des
"aurores de l'amour de Dieu et les aubes de sa tendre bonté et de ne pas être
cause de chagrin et encore moins de discorde et de conflit" [121].
Il nous met en garde contre les méfaits de la médisance qu'il place parmi les
grands délits : "Il vous a été interdit de commettre le meurtre ou l'adultère,
de vous livrer à la médisance ou à la calomnie. Évitez donc ce qui a été prohibé
dans les Tablettes et les Livres saints (§ 19)" .
Il condamne la sodomie dont il refuse même de parler (§ 107). Ces commandements
sont évidemment d'application pour les croyants, même si les peines que Baha'u'llah
a mentionnées ne le sont pas encore parce que toujours régies par les lois des
pays où les croyants résident. Pour certains crimes, comme le meurtre délibéré
et l'incendie volontaire, Baha'u'llah va jusqu'à prescrire la peine de mort comme
un châtiment possible tout en précisant que l'emprisonnement à vie est une alternative
permise par le Livre. Comme les détails des lois pénales ne sont pas précisés
dans le Kitab-i-Aqdas, ils devront faire l'objet de la législation de la Maison
universelle de justice lorsque la société évoluera vers la constitution d'États
baha'is fédérés. De même, il faudra déterminer les degrés de responsabilité pour
ceux qui se rendront coupables de ces délits. La Maison de justice adaptera donc
ces modalités d'application aux conditions du temps. Il en sera de même pour le
vol qui pourra être puni d'exil et de bannissement, avec identification du voleur
par une marque sur le front à la deuxième récidive (§ 45). Nous ne pouvons préjuger
jusqu'où ira la dégradation de la société actuelle, mais il est assez logique
de penser qu'il faudra des mesures sévères pour rétablir le respect de valeurs
fondamentales à l'échelle du monde entier.
Ce qui incombe aux peuples du monde, c'est de vivre dans l'amitié, surtout entre
les religions. "Fréquentez toutes les religions dans l'amitié et la concorde,
afin qu'elles puissent respirer sur vous les doux parfums de Dieu. Veillez à ce
que, parmi les hommes, la flamme de l'ignorance stupide ne vous domine. Toutes
les choses procèdent de Dieu et retournent à Lui. Il est la Source de toutes choses
et, en Lui, toutes choses finissent (§ 144)" . Ce commandement important est confirmé
par Baha'u'llah dans la tablette Tarazat (Ornements). Le deuxième Taraz fait de
la tolérance et de la justice deux lumières dans l'obscurité du monde et deux
éducateurs pour l'édification de l'humanité [122].
La société humaine s'achemine laborieusement vers sa maturité, dont l'un des signes
sera que "personne n'acceptera de porter le fardeau de la royauté". Le Kitab-i-Aqdas
évoque deux autres signes de l'accession à cette maturité, l'un sera "l'émergence
d'une science qui est décrite comme une philosophie divine qui inclura la découverte
d'une approche radicale à la transmutation des éléments ["123]
et le second l'adoption d'une langue et d'une écriture universelles (§ 189).
7. La vie communautaire
Le Kitab-i-Aqdas évoque la constitution d'une communauté de croyants qui est régie
par un ordre administratif doté d'institutions dont il jette les bases. Ce thème
a été traité spécialement [124].
Afin de resserrer les liens d'une telle communauté, Baha'u'llah invite les croyants
à se réunir pour fêter leur rencontre une fois par mois du nouveau calendrier
Badi qu'il confirme par ailleurs (§ 57). Le Bab avait, en effet, instauré ce calendrier
qui devient le calendrier de la nouvelle révélation (§ 127).
Il précise que le calendrier débute par la fête de Naw-Ruz (Nouvel an) qui clôture
le mois du jeûne, dernier mois du calendrier. Afin de mettre fin à la confusion
qui régnait au sujet des jours intercalaires, Baha'u'llah place ceux-ci entre
le dix-huitième et le dix-neuvième mois (§ 16).
Il instaure une série de célébrations pour commémorer des anniversaires, célébrations
qui seront en même temps des jours fériés pendant lesquels le travail devra être
suspendu. Les deux plus grandes fêtes commémorent la déclaration de Baha'u'llah
dans le Jardin de Ridvan et celle du Bab à Shiraz. Deux autres fêtes célébrent
les jours jumeaux car le Bab est né le 1er Muharram 1235 et Baha'u'llah le 2 Muharram
1233 (§ 110). La commémoration réunit donc les deux jours dits jumeaux. Comme
les croyants occidentaux, selon le conseil de Shoghi Effendi, célèbrent ces anniversaires
selon le calendrier grégorien, les jours jumeaux ont été dissociés, mais la Maison
universelle de justice réglera cette question dans l'avenir. Comme la fête du
Ridvan qui dure douze jours, comporte trois jours fériés (Q 1), nous obtenons,
avec la déclaration du Bab, les naissances du Bab et de Baha'u'llah, et Naw-Ruz,
sept jours fériés instaurés par le Kitab-i-Aqdas. Durant le ministère de Baha'u'llah,
on célébra également le martyre du Bab et 'Abdu'l-Baha instaura la commémoration
de l'ascension de Baha'u'llah, ce qui porte à neuf le nombre des jours fériés
pendant lesquels le travail est suspendu.
Ce qui doit animer la communauté, c'est le principe de la consultation, non seulement
au cours des rencontres communautaires, mais également pour aider chacun à résoudre
les problèmes personnels. Le mécanisme en a été précisé par la question n° 99.
Si le problème ne trouve pas de réponse au sein d'un premier groupe de personnes,
d'autres personnes doivent être adjointes en répétant le processus jusqu'à ce
qu'une solution soit trouvée. Cette méthode a été révélée avant que les Assemblées
spirituelles ne soient constituées. C'est avec celles-ci que la consultation a
lieu habituellement, mais il est toujours possible aux amis baha'is de pratiquer
la méthode énoncée dans la question 99 sans recourir a l'aide d'une assemblée
spirituelle, pour trouver conseil dans leurs affaires personnelles [125].
La consultation est aussi la base du fonctionnement de l'ordre administratif et
Baha'u'llah la prescrit pour les Maisons de Justice. "Il leur (les membres des
maisons de justice) incombe d'être les personnes de confiance du Miséricordieux
parmi les hommes et de se considérer comme les gardiens désignés par Dieu de tous
ceux qui demeurent sur la terre. Ils sont tenus de se consulter et de se préoccuper,
par amour pour Lui, des intérêts des serviteurs de Dieu, comme ils le font pour
leurs propres intérêts, et de choisir ce qui est convenable et bienséant. (§ 30)."
8. La justice économique
Un des principes de la foi baha'ie est la recherche de la justice socio-économique,
par l'approche spirituelle des problèmes. Le but est d'éliminer les extrêmes de
pauvreté et de richesse. Le Kitab-i-Aqdas offre quelques solutions dans cette
direction.
L'accumulation de richesses peut provenir d'héritages. Pourtant Baha'u'llah n'a
réglementé que l'héritage en l'absence de testament, un testament qu'il enjoint
à chaque croyant de rédiger, en l'ornant du plus grand Nom et en témoignant de
l'unicité de Dieu (§ 109). Quant à la dévolution des biens, elle est laissée à
la libre appréciation du testateur qui a la juridiction totale sur ses biens,
à condition d'avoir payé toutes ses dettes et le Huququ'llah [126].
Ce sont donc des principes de justice envers ses héritiers et envers la société
qui guideront la conscience des croyants [127]. Les croyants
ne sont nullement tenus de suivre les règles énoncées dans le Kitab-i-Aqdas pour
rédiger leur testament. Mais en l'absence de testament, les biens seront répartis
selon les paragraphes 20 à 28 du Livre, entre sept catégories d'héritiers. Baha'u'llah
reprend les dispositions du Bayan, mais avec quelques corrections. Ces dispositions
ne peuvent pas être appliquées actuellement, car dans la plupart des pays, la
question des héritages est réglée par la loi civile. Les dispositions du Kitab-i-Aqdas
s'appliqueront donc dans un stade ultérieur d'évolution de la société mondiale.
L'accumulation de richesses par une personne de son vivant est considérée par
Baha'u'llah comme devant être limitée par une sorte de purification spirituelle.
Il instaure deux lois à cette fin. La première est la loi de Zakat (dîme) (§ 146)
qui frappe certaines catégories de revenus. Pour l'application de cette loi, Baha'u'llah
indique qu'il faut suivre ce qui est stipulé dans le Coran [128].
Mais comme le Coran ne règle pas un certain nombre de détails indispensables comme
les limites d'exemption, les catégories de revenus, la fréquence des paiements
et les taux à appliquer, ces matières devront être réglées par une législation
future de la Maison universelle de justice [129]. En attendant
cette loi est remplacée par la contribution volontaire aux fonds baha'is.
La seconde loi est celle du Huququ'llah (droit de Dieu) qui est en application
pour tous les croyants depuis 1992. Cette loi ne s'applique pas aux revenus comme
la loi du Zakat, mais à l'épargne, c'est-à-dire à ce qui n'a pas été affecté à
des dépenses normales pour le ménage et pour le commerce. Le mécanisme en est
réglé par le § 97, et par plusieurs questions et réponses. Il serait trop long
d'évoquer ces détails dans le cadre de cette étude. Soulignons seulement que le
paiement du Huququ'llah est une obligation spirituelle pour le croyant qui doit
l'offrir avec joie et amour afin qu'elle soit acceptée par la bienveillance divine.
'Abdu'l-Baha, dans ses discours en Occident, a évoqué la nécessité de partager
les bénéfices des entreprises entre les patrons et les travailleurs. Ce conseil
qui s'inscrit dans l'esprit du Kitab-i-Aqdas, contribuera également à une meilleure
répartition des richesses.
9. Préceptes moraux
Comme déjà indiqué, Baha'u'llah exhorte ses disciples à pratiquer une morale rigoureuse
qui est la base de la fraternité et de l'amour entre les hommes. Ces vertus ne
sont pas nouvelles car nous les retrouvons dans toutes les révélations. C'est
leur champ d'application qui est aujourd'hui étendu de manière explicite à l'humanité
tout entière même si cela était déjà implicite dans le passé. La liste de ces
vertus figure à la section D, 3, q de la codification du Livre [130].
Chercher à les appliquer est le plus sûr moyen de se distinguer par de bonnes
actions. "Dis : Ô frères, que les actes soient votre parure et non les mots [131]."
10. Dispositions diverses
Le Kitab-i-Aqdas contient encore d'autres dispositions comme par exemple le sort
qui doit être fait à la découverte de trésors (Q 17), la gestion de biens confiés
(Q 96), le traitement des animaux et plus particulièrement les animaux de bât
(§ 187) ainsi que la chasse (§ 60), etc.
Conclusion
En guise de conclusion, il faut rappeler que beaucoup de dispositions peuvent
nous paraître comme ne répondant pas toujours à la condition actuelle de notre
monde occidental ; mais ce monde est aujourd'hui une minorité par rapport à la
population du globe, même s'il détient encore le pouvoir et la majorité des richesses.
Ceux qui ne veulent pas rester aveugles, se rendent compte que cette situation
ne pourra pas durer indéfiniment et qu'il faudra rééquilibrer les modes de vie
pour promouvoir une société plus juste et plus fraternelle, en un mot une société
unie. Tel est le but de la révélation de Baha'u'llah, telle est sa mission salvatrice.
Ce monde nouveau qui commence à naître sous nos yeux et qui se débat encore dans
les affres de l'enfantement, se bâtira avant tout sur des principes spirituels
que nous découvrons dans le Kitab-i-Aqdas et dans les Tablettes connexes et dont
les dispositions pratiques ne sont souvent que des illustrations. Le Livre sacré
est bien la charte de la civilisation future.
NOTES
1. Les citations du "Kitab-i-Aqdas" sont suivies du n° de §. Les autres citations
sont identifiées par des notes de bas de page.
2. "Les Secrets d'Hénoch", XXII, 11, 12.
3. "des livres" selon les versions éthiopiennes, "un livre" selon les versions
latines et slaves.
5. Ishraqat ( Splendeurs), "Tablettes de Baha'u'llah" , MEB, 1994, p. 112.
6. Lettre de Shoghi Effendi, 12.11.1933, "Lights of Guidance", BPT India, 1988,
page 497.
7. Shoghi Effendi, " Dieu passe près de nous " MEB, Bruxelles, 1976, page 24.
8. Appellation que Baha'u'llah se donne dans de nombreux Écrits.
9. "Extraits des Écrits de Baha'u'llah", MEB, Bruxelles, 1990, page 57.
10. "Extraits des Écrits de Baha'u'llah", p. 59.
11. Shoghi Effendi, " Dieu passe près de nous ", page 24.
12. Introduction au "Kitab-i-Aqdas" , MEB, Bruxelles, 1996, page 2.
13. "Vin de choix ou vin cacheté", expression coranique se référant à un breuvage
agréable et parfumé promis aux fidèles dans le Paradis (Coran LXXXIII, 25). Baha'u'llah
emploie cette expression pour symboliser les mystères divins révélés à la fin
des temps.
14. Man-Yuzhiruhu' llah.
15. Synopsis et codification des lois et ordonnances du "Kitab-i-Adas" , MEB,
Bruxelles, 1981, page 4.
16. Introduction au "Kitab-i-Aqdas", page 7.
17. Introduction au "Kitab-i-Aqdas" , page 6.
18. Anthony Lee, "Choice Wine", dans N. Saiedi, "Logos and Civilisation", University
Press of Maryland, 2000, page 225.
19. Nader Saiedi suggère que le livre est dominé par quatre principes: 1. L'interdiction
ou suppression de l'épée (ce qui inclut la notion plus large de non-violence;
2. L'alliance; 3. La révélation universelle; 4. Le principe du coeur. Saiedi divise
le livre en groupes de versets qui s'articulent autour de ces quatre principes
qui reviennent comme autant de leitmotivs. Nader Saiedi: "Constitutive Principles
of the Kitab-i-Adas", in "Logos and Civilization", pages 242 à 257.
20. "Dieu passe près de nous", page 204.
21. Adib Taherzadeh, "Revelation of Baha'u'llah, Vol.III", George Ronald, 1992,
page 276.
22. Extraits des Écrits de Baha'u'llah, MEB, 1990, pages 138, 139.
23. "Kitab-i-Aqdas" , p. 276, note 194.
24. "Kitab-i-Aqdas", note 194.
25. Idem.
26. "Dieu passe près de nous", page 206.
27. "Trou noir", prison à Téhéran dans laquelle Baha'u'llah fut incarcéré pendant
quare mois en 1852.
30. "Livre de la Certitude", P.U.F, Paris, 1965, page 39.
31. "Paroles Cachées", page 103.
32. Suriy-i-Muluk (Épître aux Souverains), "Proclamation de Baha'u'llah", MEB,
Bruxelles, 1983, page 13.
33. Lawh-i-Sultan (Épître à Nasiri'd-Din Shah), Idem, page 58.
34. Épître à Napoléon III, Idem, pages 21 et 22.
35. Épître au Tsar Alexandre II, Idem, page 29.
36. Épître au Pape Pie IX, Idem, page 81.
37. "Extraits des Écrits de Baha'u'llah", pages 20 et ss.
38. Lieu vers lesquel il faut se tourner pour la prière prescrite. Jérusalem pour
les juifs et les musulmans dans un premier temps. Puis La Mecque lorsque Muhammad
décida de changer la Qiblih. Le Tombeau de Baha'u'llah à Bahji pour les baha'is.
53. Kitab-i-'Ahd, "Tablettes de Baha'u'llah", page 232.
54. Taherzadeh, "Revelation of Baha'u'llah, Volume II", George Ronald, Oxford
1977, page 260.
55. "Dieu passe près de nous", page 232.
56. "Kitab-i-Aqdas" , note 1, page 173.
57. Descendants masculins de Baha'u'llah en ligne direct.
58. Descendants des oncles et beaux-frères du Bab.
59. Les grands enseignants de la Cause.
60. "Testament de 'Abdu'l-Baha", M.E.B. Bruxelles, 1984, page 23.
61. "Kitab-i-Aqdas" , notes 66 et 67.
62. "Kitab-i-Aqdas" , Note 189.
63. Tajalliyat, "Tablettes de Baha'u'llah", page 52.
64. Paroles du Paradis, "Tablettes de Baha'u'llah", page 69.
65. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah", page 130.
66. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah", page 134.
67. Cité par Shoghi Effendi dans "The Promised Day is come'', page 76. Dans ce
verset, Baha'u'llah anticipe la chute des monarchies dans divers pays ainsi que
du pouvoir temporel du clergé.
68. Lawh-i-Dunya, "Tablettes de Baha'u'llah", page 101. Voir également Lawh-i-Maqsud,
"Tablettes de Baha'u'llah", page 179 : Le Grand Etre dit: L'homme de grande érudition
et le sage doté d'une sagesse pénétrante sont les deux yeux du corps de l'humanité.
69. Lawh-i-Hikmat, "Tablettes de Baha'u'llah", page 138.
70. Kitab-i-'Ahd, "Tablettes de Baha'u'llah", page 231.
71. "Kitab-i-Aqdas" , Note 183, page 270.
72. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 26. Le Testament définit également le mode
d'élection de ce Conseil.
73. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 27.
74. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 25.
75. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 27.
76. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah", page 133.
77. Huitième feuille du Paradis, "Tablettes de Baha'u'llah", page 71.
78. Neuvième feuille du Paradis, "Tablettes de Baha'u'llah", page 72.
79. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah" , page 134.
80. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah" , page 130
81. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah" , page 133
82. Lawh-i-Dunya, "Tablettes de Baha'u'llah" , pages 93-94. Ishraqat, page 132.
Dans l'épître au Fils du Loup, Baha'u'llah rapporte qu'il avait déjà chargé Kamal
Pasha et les autres membres du gouvernement ottoman de choisir une telle langue
internationale parmi les langues existantes ou d'en créer une nouvelle.
83. Tablette du Monde. "Tablettes de Baha'u'llah" , page 93.
84. Ishraqat, "Tablettes de Baha'u'llah" , page 134.
85. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 32.
86. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 31.
87. Shoghi Effendi: La Dispensation de Baha'u'llah, dans "L'ordre mondial de Baha'u'llah",
MEB, Bruxelles, 1993, page 133.
88. "Kitab-i-Adas", note 126.
89. "Kitab-i-Adas" , Note 129.
90. "Kitab-i-Aqdas" , note 1.
91. Lawh-i-Maqsud, "Tablettes de Baha'u'llah", page 170.
92. "Kitab-i-Aqdas", note 2.
93. "Kitab-i-Adas" note 23.
94. 'Abdu'l-Baha, "Leçons de St Jean d'Acre", PUF, Paris, 1982, page 12.
95. "Kitab-i-Aqdas" , note 126.
96. Extrait d'une tablette citée dans l'introduction du "Kitab-i-Aqdas" , page
6
97. Le(s) droit(s) de Dieu. Partie (19 %) de l'épargne à verser à la dotation
internationale au Centre mondial.
98. Introduction du "Kitab-i-Aqdas" , page 7.
99. "Testament de 'Abdu'l-Baha", page 44.
100. Orient de la louange de Dieu. Voir plus loin : prières.
101. Les instructions qui se trouvent dans les livres de prières et qui ont été
données par Shoghi Effendi sont souvent mal comprises. Il ne faut pas dire six
fois de suite "Allah-u-Abha", mais faire une fois cette invocation avant la récitation,
dix-neuf fois, de chaque verset. Comme il y a six versts, l'invocation est faite
six fois.
102. Pour les commémorations, voir § 7 ci-après au sujet de la vie communautaire.
104. Lettres de la Maison universelle de justice des 20.04.97 et 24.02.98.
105. "Kitab-i-Aqdas", notes 14, 20, 30 et 31.
106. En Iran, les musulmans évitaient tout contact physique avec les juifs, surtout
les jours de pluie.
107. "Kitab-i-Aqdas", notes 57 et 58.
108. "Kitab-i-Aqdas", note 79.
109. "Kitab-i-Aqdas", note 60.
110. Voir la liste dans le "synopsis et codification".
111. "Kitab-i-Aqdas", question 20.
112. "Kitab-i-Aqdas", question 46.
113. "Kitab-i-Aqdas", question 49.
114. "Sélections des Ecrits de 'Abdu'l-Baha", êß, ßruxelles, 1983, page 116.
115. "Kitab-i-Aqdas" , note 89.
116. "Lights of Guidance", § 1163.
117. "Kitab-i-Aqdas", note 76.
118. Voir chapitre traitant de l'ordre mondial.
119. "Kitab-i-Aqdas", note 173.
120. Bisharat (Bonnes Nouvelles), "Tablettes de Baha'u'llah" , pages 21 à 29.
121. "Tablettes de Baha'u'llah", page 134.
122. "Tablettes de Baha'u'llah", page 36.
123. "Kitab-i-Aqdas", note 194.
124. Voir chapitre sur l'ordre mondial.
125. "Kitab-i-Aqdas", note 52.
126. "Kitab-i-Aqdas", question 69 et note 136.
127. "Kitab-i-Aqdas", note 38.
128. "Kitab-i-Aqdas", question 107.
129. "Kitab-i-Aqdas", note 161.
130. "Kitab-i-Aqdas" , page 167.
131. "Les Paroles cachées", page 52.
BIBLIOGRAPHIE
Baha'u'llah :
- Le plus saint Livre, MEB, Bruxelles, 1999.
- Les Tablettes de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1994.
- Extraits des Écrits de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1990.
- Les paroles cachées, MEB, Bruxelles, 1990.
- La proclamation de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1983.
- Les sept vallées, MEB, Bruxelles, 1982.
- Épître au Fils du Loup, MEB, Bruxelles, 2001.
'Abdu'l-Baha :
- Testament, MEB, Bruxelles, 1984.
- Sélection des Écrits, MEB, Bruxelles, 1983.
- Les leçons de St Jean d'Acre, PUF, Paris, 1982.
Shoghi Effendi
- Dieu passe près de nous, MEB, 1976.
- L'ordre mondial de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1993.
- La dispensation de Baha'u'llah, MEB, Bruxelles, 1967.
- The Promised Day is come, BPT, Wilmette, 1943.
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Taherzadeh Adib :
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1977.
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- Logos and Civilization, University Press of Maryland, 2000.