Le
Mashriqu'l-Adhkar
ou maison d'adoration de Dieu
Par Louis Hénuzet
(érudit baha'i - ancien professeur universitaire en étude comparée des
religions - conseiller continental baha'i)
Photo: Les Temples baha'is sur chaque continent sont tous construit autour
d'un dôme central, accessible par neuf portes symboles de l'unité dans la diversité.
I. Le Mashriqu'l-Adhkar ou "Maison
d'adoration" de Dieu
Photo: Maisons d'adoration baha'ies autour du globe.
Le Mashriqu'l-Adhkar, Orient de l'adoration de Dieu, est évoqué à trois reprises
par Baha'u'llah dans son Kitab-i-Aqdas, le Très-Saint Livre [1].
"Béni est celui qui, à l'aube, dirigeant ses pensées vers Dieu, occupé par son
souvenir, suppliant son indulgence, tourne ses pas vers le Mashriqu'l-Adhkar,
et y entrant, s'assied en silence pour écouter les versets de Dieu, le Souverain,
le Puissant, le Très-Loué. Dis : le Mashriqu'l-Adhkar est tout bâtiment érigé
dans une ville ou un village pour célébrer ma louange. Tel est le nom par lequel
il a été désigné devant le trône de gloire, si vous êtes de ceux qui comprennent
[2]."
Le Mashriqu'l-Adhkar est donc un édifice appelé aussi maison d'adoration dans
un autre verset : "Ô peuples du monde ! Édifiez dans tous les pays des maisons
d'adoration au nom de celui qui est le Seigneur de toutes les religions. Faites-les
aussi parfaites qu'il est possible en ce monde contingent et ornez-les de ce qui
leur convient, et non d'images ou d'effigies. Puis, d'une joie radieuse, célébrez-y
la louange de votre Seigneur, le Très-Compatissant. En vérité, son souvenir réjouit
les yeux et illumine le coeur [3]."
Néanmoins Abdu'l-Baha, lors d'un discours à l'occasion de l'inauguration du terrain
sur lequel la Maison d'adoration du Continent Nord-Américain fut construite, évoqua
les nombreux Mashriqu'l-Adhkar en Iran dans des maisons privées et dans des locaux
réservés à cette fin.
"En Perse, il y en a beaucoup ; certains sont des maisons utilisées à cette fin,
d'autres sont des locaux entièrement dévoués à la Cause divine et, en quelques
endroits, on a érigé des structures temporaires [4]. "
Définissant le concept du Mashriqu'l-Adhkar, la Maison de justice déclare :
"Le terme Mashriqu'l-Adhkar est utilisé dans les Écrits pour décrire plusieurs
choses :
La réunion d'amis à l'aube pour prier,
Un bâtiment où cette activité a lieu,
Une institution complète avec ses divers bâtiments et institutions,
Le bâtiment central de cette institution, appelé "maison d'adoration" ou temple
[5]."
L'institution du Mashriqu'l-Adhkar fait l'objet d'un développement progressif
comme le précise la Maison universelle de justice : "Alors que maintenant on n'a
pas la possibilité de construire des Mashriqu'l-Adhkar locaux, c'est le Haziratu'l-Quds
(maison sacrée) ou un simple centre local qui est "le point central de toute activité
baha'ie, le centre de la communauté locale dans lequel toutes ses activités cultuelles,
sociales ou administratives peuvent se dérouler. Il en résulte que le Haziratu'l-Quds
n'est pas seulement le siège du centre de l'administration baha'ie, il est aussi
le centre du culte et le centre de l'unité spirituelle [6]."
Quant au troisième verset, du Kitab-i-Aqdas, il dit :
"Enseignez à vos enfants les versets révélés du ciel de majesté et de pouvoir,
afin qu'ils puissent réciter les tablettes du Très-Miséricordieux, avec les intonations
les plus mélodieuses, dans les salles des Mashriqu'l-Adhkar. Quiconque a été transporté
par l'ivresse née de l'adoration de mon nom, le Très-Compatissant, récitera les
versets de Dieu de telle sorte que Dieu captivera les coeurs de ceux qui sont encore
plongés dans le sommeil. Heureux celui qui, en mon nom, un nom par lequel les
hautes montagnes majestueuses furent réduites en poussière, a bu à longs traits
le vin mystique de la vie éternelle dans les paroles de son Seigneur miséricordieux
[7]."
Pour définir la notion de réunion de prières, nous relevons les éléments suivants
:
1. Le verset 115 du Kitab-i-Aqdas commence par ces mots : "Béni est celui qui,
à l'aube...". Comment définir l'aube ? La question a été posée à Baha'u'llah qui
a répondu de la façon suivante :
"QUESTION : Concernant la commémoration de Dieu dans le Mashriqu'l-Adhkar à l'heure
de l'aube.
RÉPONSE : Bien que les mots "à l'heure de l'aube" soient utilisés dans le Livre
de Dieu, cette commémoration est acceptable pour Dieu dès le point du jour, entre
l'aube et le lever du soleil ou même, jusqu'à deux heures après le lever du soleil
[8]."
Les célébrations dans la Maison d'adoration ne se limitent toutefois pas à l'aube
; elles sont aussi organisées à d'autres moments de la journée, par exemple le
dimanche après-midi dans le Temple de Francfort.
2. "Célébrez-y la louange de votre Seigneur, le Très-Compatissant", verset 31.
Ou encore "pour écouter les versets de Dieu, le Souverain, le Puissant, le Très-Loué",
verset 115. Il convient donc de citer les Écritures, qu'elles soient baha'ies
ou tirées d'autres Écrits sacrés, principalement, mais pas exclusivement, la Bible
en Occident, le Coran dans les pays à majorité musulmane ou les textes hindous
ou bouddhistes en Extrême-Orient. Cela exclut les commentaires, les prêches ou
sermons.
3. "Que les versets soient récités avec les intonations les plus mélodieuses",
verset 150. Les versets sont donc récités ou chantés, mais sans accompagnement
d'instruments de musique, selon une prescription qui remonte à Baha'u'llah. Plusieurs
chorales baha'ies se sont créées pour interpréter des compositions musicales sur
des versets sacrés et les exécuter a capela lors de cérémonies solennelles liées
à des événements importants de la vie des communautés baha'ies.
Le récitant se tient debout ou assis, au besoin sur une estrade peu élevée car
l'usage de chaires est proscrit selon le Kitab-i-Aqdas : "L'usage des chaires
vous a été interdit. Que quiconque désire vous réciter des versets de son Seigneur
s'assoie sur une chaise placée sur une estrade, afin qu'il puisse mentionner Dieu,
son Seigneur, et le Seigneur de toute l'humanité. Il plaît à Dieu que vous soyez
assis sur des chaises et des bancs en marque d'honneur pour l'amour que vous Lui
portez et que vous portez à la manifestation de sa cause glorieuse et resplendissante
[9]."
Ces clauses ont leur antécédent dans le Bayan persan [10]. Le Bab interdit l'utilisation
de chaires pour faire des sermons et pour lire le texte. Il spécifia qu'une chaise
pour l'orateur devrait être placée sur une estrade afin de permettre à tous d'entendre
clairement la parole de Dieu.
En commentant cette loi, `Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi ont clairement expliqué
que dans le Mashriqu'l-Adhkar, le lecteur peut se tenir debout ou assis, qu'il
peut, si nécessaire, utiliser une estrade basse amovible afin d'être mieux entendu,
mais qu'aucune chaire n'est permise. Dans le cas de réunions dans des endroits
autres que le Temple, il est également permis au lecteur ou au conférencier de
s'asseoir ou de se tenir debout, et d'utiliser une
estrade. Dans une de ses tablettes réitérant l'interdiction d'utiliser les chaires
où que ce soit, `Abdu'l-Baha a souligné que lorsque les baha'is donnent des causeries
lors de réunions, ils doivent le faire dans une attitude de très profonde humilité
et d'abnégation de soi.
Le Mashriqu'l-Adhkar est toutefois plus que la simple cérémonie ou même que la
Maison d'adoration. "La maison d'adoration baha'ie est consacrée à la louange
de Dieu. La maison d'adoration constitue l'édifice central du Mashriqu'l-Adhkar
(l'Orient de la louange à Dieu), un complexe qui, lorsqu'il se développera dans
l'avenir, comprendra en plus de la maison d'adoration, un certain nombre de dépendances
consacrées à des fins sociales, humanitaires, éducatives et scientifiques [11]"
`Abdu'l-Baha décrit le Mashriqu'l-Adhkar comme "une des institutions les plus
vitales du monde" et précise le genre d'institutions qu'il y a lieu d'envisager
pour entourer la Maison d'adoration : un hôpital, une pharmacie, une maison d'accueil
pour voyageurs, une école pour orphelins, une université et une maison de retraite.
Shoghi Effendi y voit "un exemple tangible d'intégration de "l'adoration et du
service baha'i". Anticipant le développement futur de cette institution, Shoghi
Effendi envisage que "la maison d'adoration et ses dépendances procurent le soulagement
à celui qui souffre, la subsistance au pauvre, l'abri au voyageur, la consolation
à l'affligé et l'éducation à l'ignorant". Il ajoute : "Dans l'avenir, des maisons
d'adoration seront construites dans chaque ville et chaque village [12]"."
Baha'u'llah n'a donné aucune indication pour la construction des maisons d'adoration.
'Abdu'l-Baha a précisé qu'elles devaient être de forme circulaire et posséder
neuf côtés. Les constructions doivent-elles être surmontées d'une coupole ou dôme
? Shoghi Effendi dans une lettre datant du 20 avril 1955 à l'Assemblée nationale
des baha'is d'Allemagne indique qu'il n'y a aucune prescription dans les Écrits
prévoyant un dôme, mais qu'un dôme ou des dômes rendent généralement la construction
plus gracieuse. Néanmoins dans une seconde lettre datée de Novembre 1955, il précise
que les maisons d'adoration devraient avoir, pour l'instant, un dôme.
Jusqu'à présent, huit maisons d'adoration ont été construites par la Communauté
baha'ie et des plans et dessins ont été approuvés pour d'autres constructions.
On peut les classer en quatre catégories :
- Celles qui épousent l'héritage musulman parce qu'elles sont construites ou prévues
dans un milieu musulman.
- Celles qui paraissent être une synthèse de styles et concepts occidentaux, tout
en intégrant une recherche vers un certain universalisme.
- Celles qui marquent une transition vers une conception nouvelle, mais avec parfois
un
relent d'inspiration locale.
- Celles qui sont résolument tournées vers un art nouveau, même si celui-ci s'inspire
d'un élément local original.
II. Les Maisons d'adoration en région
musulmane
a) Ishqabat dans le Turkestan
Les persécutions en Iran avaient contraint de nombreuses familles baha'ies à émigrer
vers une région plus hospitalière, notamment l'Empire russe et plus particulièrement
le Turkestan proche de l'Iran, peuplé majoritairement par des musulmans. L'environnement
des populations restait encore hostile, mais les autorités protégeaient la communauté
si bien que celle-ci put se développer jusqu'à compter plusieurs milliers de personnes
qui se distinguèrent par leur activité, leur éducation systématique et leur moralité.
Très rapidement, la communauté d'Ishqabat, la plus nombreuse et la plus florissante
de l'époque, conçut le projet de construire un Mashriqu'l-Adhkar, selon les dispositions
du Kitab-i-Aqdas. Dessiné en 1902 par l'architecte Valkoff, il fut construit en
une vingtaine d'années sous l'impulsion de Haji Mirza Muhammad Taqi, Vakilud-Dawlih,
un cousin du Bab.
La construction intégrait un certain nombre de caractéristiques communes aux tombes
et mosquées en Iran, notamment une entrée importante en forme d'arc, flanquée
de deux minarets. Si les balcons où prennent place les Muezzins dans les mosquées,
étaient maintenus, cela n'avait pas grande signification puisque cette pratique
n'existe pas dans le culte baha'i.
Ce qui s'écarte toutefois de l'héritage islamique, c'est la présence des neuf
côtés, symbolisant neuf entrées avec plaques et inscriptions tirées du Kitab-i-Aqdas.
La communauté d'Ishqabat avait complété le Mashriqu'l-Adhkar en construisant une
école, une maison d'accueil pour voyageurs et une librairie.
Avec l'arrivée du communisme et de l'Union soviétique, la communauté connut de
plus en plus de vexations et beaucoup de baha'is éminents furent arrêtés, condamnés
à plusieurs années d'emprisonnement et leur famille souvent expulsée vers l'Iran.
Le Temple fut confisqué, mais la communauté put obtenir un bail de cinq ans, qui
fut renouvelé une fois. Un troisième bail fut refusé et les autorités soviétiques
transformèrent le Temple en musée. Lors du tremblement de terre du 5 octobre 1948,
qui détruisit en 20 secondes une grande partie de la ville, le Temple fut très
endommagé et seule sa partie centrale était encore utilisable. Mais de fortes
pluies survenues par la suite ont achevé sa détérioration de sorte qu'il dut être
rasé. Aujourd'hui, la communauté d'Ishqabat s'est reformée et une Assemblée nationale
baha'ie préside à la destinée d'un certain nombre de communautés locales. Peut-être,
le Temple sera-t-il un jour reconstruit !
b) Le projet d'un Temple à Téhéran
Un projet présenté par Charles Mason Remey en 1955 a été approuvé par Shoghi Effendi.
Il ressemble assez au Temple d'Ishqabat. Ce projet n'a pu être exécuté en raison
de la persécution systématique dont les baha'is font l'objet en Iran et rien ne
nous permet de dire ce qu'il en adviendra dans l'avenir. Le projet de C.M.Remey
sera-t-il encore retenu lorsque la construction deviendra possible ?
c) Un troisième projet
Il y aurait eu un troisième projet pour une maison d'adoration à Marv dans le
Turkestan, mais on ignore le nom de l'architecte et ses caractéristiques.
III. Temples présentant une synthèse
de styles occidentaux
a) Wilmette (USA)
En 1909, un comité fut constitué pour la construction d'une maison d'adoration
aux Etats-Unis. Il a lancé un appel de dessins chez les architectes des États-Unis
et du Canada. Plusieurs projets ont été présentés dont ceux de Charles Mason Remey
et de Louis Bourgeois. Ceux-ci ne semblent pas avoir recueilli beaucoup d'enthousiasme
et Louis Bourgeois lui-même confessa qu'il n'était pas très content de son projet.
Il le remania à plusieurs reprises car c'est le sien qui semblait être le mieux
accepté. De fait, il le sera une fois le terrain acquis. Louis Bourgeois descend
d'émigrés acadiens, notamment d'un certain Antoine Wilmette qui est venu s'établir
dans la région des Grands Lacs à proximité de Chicago et aurait fondé la petite
ville dans les faubourgs de Chicago, qui prendra le nom de Wilmette. C'est dans
cette ville que le terrain fut acquis et inauguré par 'Abdu'l-Baha en 1912, lors
de son séjour aux Etats-Unis. Dans son discours à l'occasion de cette inauguration,
'Abdu'l-Baha évoqua "l'importance vitale" de cette institution, les temples futurs
à construire, les réunions qui ont lieu en Iran et qui, portent le nom de Mashriqu'l-Adhar
ainsi que le Temple d'Ishqabat en voie d'achèvement à l'époque, avec d'ailleurs
ses constructions connexes.
Les projets furent présentés lors des Conventions nationales pendant lesquelles
les baha'is réélisent leur Assemblée spirituelle nationale.
Lorsque Bourgeois revint de nombreux voyages en Europe et en Orient où il visita
cathédrales et mosquées, il ressentit la nécessité de faire une maquette car,
dit-il, ses plans et ses dessins ne peuvent présenter ses conceptions de façon
adéquate.
Dans les années 1890, l'art architectural aux Etats-Unis avait subi une grande
évolution sous l'impulsion d'un certain Louis Sullivan. Pour ce dernier, l'art
architectural ne s'était pas complètement développé car il n'avait pas encore
réussi à unir harmonieusement émotion et intellect. "La seule chose qui importe
en architecture, disait-il, est représentée par ses résultats spirituels (sic)".
Beaucoup pensent que les conceptions de Sullivan ont influencé Louis Bourgeois
qui assista à la Convention nationale baha'ie de 1919 et en sortit plein d'ardeur.
Il réunit les fonds pour la construction de sa maquette qui avait 9 pieds de haut
et 12 de diamètre à la base. Plans et maquette, primés par un jury international,
furent exposés à Carnegie Hall en 1919.
Le projet de Bourgeois fut accepté par 28 des 49 délégués lors de la Convention
de 1920, les autres voix se répartissant à raison de 7 voix pour le projet 1 de
M.Remey, 13 voix pour le projet 2 (projet appelé projet indien) et 1 voix pour
le projet Maxwell. Les fonds furent recueillis pour entamer la construction qui
prit néanmoins 34 ans car elle ne fut achevée qu'en 1953.
Des constructions religieuses classiques en Occident, le projet retient :
- un vaste hall au rez-de-chaussée ;
- une claire-voie à niveau d'un premier étage, voire un péristyle à ce même niveau
;
- une superstructure en forme de dôme, éventuellement surmontée d'une flèche.
Pour Louis Bourgeois, ces éléments devaient toutefois se combiner avec des notions
qui transcendent le temps ou la culture locale. Il écrira : "Dans ce nouveau dessin
du Temple, se tisse en une forme symbolique, le grand enseignement baha'i de l'unité
de toutes les religions de l'humanité". Pour symboliser l'unité des religions,
Bourgeois décora de symboles religieux les pans préfabriqués et les colonnes :
le cercle symbole de l'éternité et du divin, le swastika zoroastrien, la croix
chrétienne, l'étoile et le croissant islamique, les étoiles à cinq et à neuf branches.
Pour éviter les masses de briques dans les parties inférieures, le Temple est
formé d'un squelette en acier sur lequel viennent se greffer des pans préfabriqués
en bétons et ciselés comme une dentelle. Il faut de larges fenêtres pour laisser
passer la lumière extérieure le jour et la lumière intérieure de l'éclairage électrique
la nuit. La lumière est un concept important dans les Écrits baha'is. 'Abdu'l-Baha
n'a-t-il pas qualifié le XXe siècle de "siècle de lumière" !
Les critiques firent remarquer que Bourgeois n'avait fait que développer un projet
qu'il avait présenté pour la construction du Palais de la Paix à La Haye.
Aimer ou ne pas aimer est très subjectif et le croyant animé de sa foi ne fait
pas particulièrement preuve d'objectivité. Sa nièce, Françoise Gaudet-Smet écrira
: "Il continue à vivre par cette merveille de dentelle en transparence, opalisée
par les moindres rayons de soleil, éclairante en toutes obscurités. Souvenance
des lignes gothiques, byzantines des vieux âges, assouplies de renaissance et
de vitalité renouvelante. Des cercles se joignent et s'unissent, se croisent,
des entrelacs tels des neumes d'orantes font mélodie. Des arabesques, des rinceaux,
des volutes créent entente, harmonie et sympathie. Le plus vieux symbole de la
mystique hindoue, la croix gammée aux crochets fidèlement retournés vers la droite,
rejoint pacifiquement la croix égyptienne, la grecque, la latine, la tréflée,
la potencée et l'ancrée" [13].
b) Les trois autres maisons d'adoration
Photo: Maison d'adoration d'Australie près de Sidney
Photo: Maison d'adoration d'Ouganda à Kampala
Les trois autres maisons d'adoration ont été dessinées par Charles Mason Remy
; en 1952 pour le projet du Temple à construire sur le Mont Carmel à Haïfa, en
1956 pour les projets des Temples à construire à Mona Vale, près de Sidney en
Australie et à Kampala en Ouganda. Trois projets furent acceptés par Shoghi Effendi,
mais dont deux seulement ont été construits et terminés en 1961.
Les trois projets se ressemblent par beaucoup de côtés, le projet pour Haïfa ajoutant
des colonnes à l'apparence de minaret tant au rez-de-chaussée qu'aux claires-voies
des deuxième et troisième niveaux. Selon Madame Rabbani, Shoghi Effendi a pensé
que les projets pour Sidney et Kampala "étaient dignes, plaisants dans leurs proportions,
conservateurs dans leur style et relativement modestes quant au coût". L'heure
était à l'économie et les communautés locales étaient peu nombreuses en Australie
et assez pauvres en Afrique.
IV. Temples au style de transition
a) Le Temple de Francfort
L'architecte allemand Teuto Rocholl ignora les silhouettes des autres temples.
Il élimina aussi la claire-voie d'un premier étage, plaçant la coupole immédiatement
au-dessus de l'auditorium. Ce projet fut le dernier approuvé par Shoghi Effendi.
Que celui-ci ait accepté un projet qui rompe avec la tradition et s'ouvre vers
le modernisme, est peut-être une indication pour signifier qu'il n'y a pas d'architecture
baha'ie spécifique et que les constructions baha'ies peuvent accueillir toutes
sortes de style et notamment refléter des tendances locales. L'Assemblée nationale
des baha'is d'Allemagne avait proposé un autre projet beaucoup plus classique.
Dans une lettre à cette Assemblée nationale, Shoghi Effendi suggérait de "créer
quelque chose qui soit séduisant et approprié à votre région" [14].
Ce Temple est une construction très moderne, alliant béton et verre, témoin d'une
société contemporaine. La lumière entre à profusion dans un vaste hall d'où l'on
peut admirer la voûte élancée avec le signe du plus grand Nom à son sommet.
Le projet fut approuvé en 1956, mais il fallut attendre quelque temps avant de
pouvoir le réaliser. Car il suscita une violente opposition des milieux protestants
en Allemagne. L'Assemblée nationale dut changer plusieurs fois le choix du terrain
car le permis de bâtir était chaque fois refusé pour un prétexte ou un autre.
Finalement, le permis fut accordé pour un terrain situé dans le hameau de Langenhain
de la commune de Hofheim, près de Francfort. Ce hameau est situé sur un plateau
dans les contreforts du Taunus. Les habitants du hameau furent très hostiles dans
un premier temps. Aujourd'hui, ils se réjouissent. Le hameau est devenu une commune
importante, considérablement étendue et recevant la visite de nombreux baha'is
venant de tous les coins de l'Europe pour visiter leur Temple continental.
b) Le Temple de Panama City
Le projet du Temple de Panama City est l'oeuvre de l'architecte Peter Tillotson.
Le souhait exprimé par la Maison universelle de justice était que le temple reflète
la culture indigène. Le premier projet présenté fut renvoyé à l'auteur demandant
que celui-ci "soumette un nouveau projet, basé sur la conception du premier, mais
incorporant des motifs pré-colombiens et utilisant des matériaux locaux". Ce projet
remanié fut approuvé en 1966 par la Maison universelle de justice. La construction
fut terminée en 1972.
c) Le Temple de Apia
Un projet pour ce temple fut présenté en 1978 par Husayn Amanat. Il doit beaucoup
à son héritage polynésien, et au style des maisons des indigènes. Dans les larges
ouvertures sur les côtés seront aménagés dans l'avenir des panneaux qui sont en
train d'être façonnés par l'artisanat polynésien. La construction fut terminée
en 1984.
V. Symbolisme local et art nouveau
Comment définir le dernier temple construit jusqu'à présent à un endroit au nom
prédestiné : Bahapour, près de New Delhi, Indes ?
L'architecte, Fariburz Sahba, confesse qu'il se rendit sur place et médita longuement
pour trouver un élément de base. C'est alors que la fleur du Lotus s'imposa, symbole
de pureté et de beauté émergeant du marécage, symbole aussi de méditation, largement
utilisé dans les traditions religieuses de l'Inde, un pont entre le monde terrestre
et le monde céleste. Le lotus évoque l'acte de création émanant de l'esprit de
Vishnu. Le symbole du lotus est aussi largement utilisé dans le bouddhisme. Pour
Fariburz Sahba, le lotus devint le symbole de la Manifestation de Dieu. Il évoque
cette prière bouddhiste :"Toi, Joyau dans le lotus ! Le Seigneur Bouddha dit que
tu ressembles au lotus qui vit dans l'eau sale et est pourtant d'une beauté sans
égale, échappant à la corruption de son environnement".
Fariburz Sahba n'eut pas recours au lotus pour en faire un élément décoratif de
son projet. Le lotus devint le temple lui-même. Achevé en 1986, cet édifice attire
de cent à deux cent mille visiteurs par mois. Il fut célébré dans le monde entier,
comme une merveille architecturale. Il reçut quatre distinctions en 1987, 1988
et 1989 d'organisations internationales aux Etats-Unis, en Angleterre et aux Indes.
La forme circulaire et les neuf entrées sont respectées. L'intérieur a l'aspect
d'une cloche qui se termine au sommet par un dôme. Cet intérieur est fermé par
trois séries de neuf éléments. La première s'élance de la base jusqu'au sommet
; la seconde se dresse de la base jusqu'à environ trois quarts de la hauteur totale
en s'écartant légèrement de la première. Quant à la troisième, elle se courbe
vers l'extérieur pour former les porches d'entrée.
Les neuf éléments de chaque série sont identiques et représentent les pétales
d'une fleur de Lotus. Les entrées sont entourées de bassins d'eau ; le lotus surgit
de son élément aquatique naturel.
Les éléments ont été coulés en béton, mais recouverts de feuilles de marbre, toutes
de dimensions différentes. Les surfaces de chacun de ces éléments ont été calculées
par ordinateur ; ceux-ci ont été préfabriqués et parfaitement assemblés sur place.
La main d'oeuvre locale a été largement utilisée pour la construction des échafaudages,
des coulées de bétons. Cela a procuré un revenu substantiel à quelque 800 travailleurs
dans une région très déshéritée d'avril 1980 à décembre 1986.
VI. Nouveau projet
Photo: Maquette du nouveau temple d'Amérique du Sud au Chili.
Dans les prochaines années, un nouveau temple sera construit en Amérique du Sud,
afin que les trois parties du Continent américain aient chacune leur Maison d'adoration
baha'ie. Un concours a été lancé auprès d'architectes baha'is et non baha'is pour
présenter des projets.
Conclusion
Cette rapide évocation des temples baha'is illustre une fois de plus un principe
essentiel de la foi baha'ie. Si la pensée humaine a ses limitations, celles qui
lui sont données par les révélations, elle doit pouvoir s'épanouir dans un grand
espace de liberté. Les règles pour la construction des temples sont peu nombreuses,
en fait il n'y en a que deux : la forme circulaire et les neuf entrées. Dans ce
cadre, l'imagination, le respect de l'héritage culturel, l'adoption de techniques
nouvelles, la vision globale de l'humanité ont marqué l'évolution des conceptions
des temples bâtis jusqu'à présent dans le souci de ce principe : l'unité dans
la diversité.
Notes
1. Le Kitab-i-Aqdas, rédigé en 1873 à Acre, fut publié pour la première fois en
1891 à Bombay (sans nom de l'éditeur). Une édition en 1931 à Bagdad (Matba'ata'l-adab)
présente un certain nombre de divergences par rapport au texte authentique. Les
publications ultérieures de cette oeuvre ne portent pas de mention de lieu ni
de date, en raison de l'interdiction pour les baha'is de pratiquer leur religion
dans la plupart des pays islamiques. Dès 1899, apparaît une traduction russe par
A. H. Toumanski (Mémoires de l'Académie impériale des Sciences de St-Pétersbourg,
Classes es sciences historico-philosophiques, VIIIe série, t. II, St-Pétersbourg,
1889). On trouve un compte rendu de cette traduction fait par l'orientaliste britannique
E. G. Browne, in Journal of the Royal Asiatic Society, 1900, 354 sq. L'article
du même auteur paru dans cette revue sous le titre "The Babîs of Persia" (New
series 21, 1899, 993 sq.) contient également un bref aperçu du contenu de cette
oeuvre. Une traduction en anglais effectuée par les missionnaires presbytériens
Earl E. Elder, Ph D, DD & William Mc. E. Miller, M. A. DD (Al Kitab al-Aqdas or
the Most Holy Book by Mirza Husayn 'Ali Baha'u'llah ; Londres, 1961) est critiquée
par les baha'is comme étant tendancieuse et peu satisfaisante, tant sur le plan
linguistique que sur celui du contenu. Les réserves émises contre les traductions
disponibles jusqu'à présent résultent de ce que ces traductions, publiées sans
apport d'explications quant aux références religieuses, théologiques et juridiques,
sans faire appel aux lois complémentaires et aux explications parues dans les
ouvrages révélés ultérieurement par Baha'u'llah, ni aux nombreux éclaircissements
apportés par les interprètes autorisés ('Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi) ne sont
que fragmentaires, et par là même source d'interprétations erronées. Le Kitab-i-Aqdas
a en effet une annexe volumineuse, non publiée jusqu'ici : il s'agit des réponses
de Baha'u'llah aux questions posées par son secrétaire, un ancien mujtahid, au
sujet de l'application des lois, réponses qui font partie du livre révélé. La
publication intégrale et commentée de cette oeuvre et de son annexe en anglais
est prévue pour 1992." (Encyclopédie Philosophique Universelle, Volume III, Les
Oeuvres philosophiques, Tome I, page 1585, Presses Universitaires de France, 1992
).
La traduction anglaise a été publiée en 1992 par le Centre mondial baha'i à Haïfa.
La traduction française a été publiée en 1996 par la Maison d'éditions baha'ies
à Bruxelles.
2. Kitab-i-Aqdas, Maison d'éditions baha'ies à Bruxelles, 1996, verset 115, page
62.
3. Kitab-i-Aqdas, Maison d'éditions baha'ies à Bruxelles, 1996, verset 31, page
31.
4. The Baha'i World 1926-1928, Baha'i Publishing Trust, Wilmette, 1980, page 119.
5. Lettres de la Maison universelle de justice des 20 avril 1997 et 24 février
1998
6. Lettre de la Maison universelle de justice du 20 avril 1997.
7. Kitab-i-Aqdas, Maison d'éditions baha'ies à Bruxelles, 1996, verset 150, page
75.
8. Kitab-i-Aqdas, Maison d'éditions baha'ies à Bruxelles, 1996, page 113.
9. Kitab-i-Aqdas, Maison d'éditions baha'ies à Bruxelles, 1996, Verset 154, page
75.
10. Le Bayan est le livre principal de la Révélation du Bab, le précurseur de
Baha'u'llah (1819-1850). Le Bab en rédigea une version courte en arabe et une
version plus complète en persan. Des extraits ont été traduits et publiés dans
Sélection des Ecrits du Bab, Maison d'éditions baha'ies, Bruxelles, 1984, pages
69-104. Une traduction française de l'oeuvre complète a été réalisée par l'orientaliste
français A.L.M. Nicolas, consul de France en Iran. Cette traduction a été publiée
en 4 volumes sous le titre "Seyyed Ali Mohammed, dit le Bab : Le Béyan Persan,
traduit du persan par A.L.M. Nicolas, consul de France à Tauris ", Librairie Paul
Geuthner, Paris, 1911.
11. Kitab-i-Aqdas, note 53, page 125.
12. Idem.
13. Magazine "Perspective", 19 mai 1973 Vol. 15, N° 20.