Médiathèque baha'ie

Le pouvoir et la communauté baha’ie

Moojan Momen
Traduction de courtoisie par Pierre Spierckel i


Baha’u’llah voyait ses enseignements comme le début d’une révolution de la vie sociale de l’humanité. On peut dire que le "Royaume de Dieu" prophétisé dans les Écritures chrétiennes et dont la réalisation est confirmée par Baha’u’llah peut être défini ainsi : créer une nouvelle manière d’organiser la société afin que chaque individu puisse se développer physiquement, intellectuellement et spirituellement au mieux de ses capacités.

Pourtant, il y a plus de cinquante ans que Shoghi Effendi écrivait que le monde intellectuel avait déjà accepté les "grand et universels principes énoncés par Baha’u’llah".

Le monde (au moins le monde intellectuel) a intégré les grands et universels principes énoncés par Baha’u’llah il y a plus de 70 ans et donc, ils ne paraissent plus "neufs" pour lui.

En première lecture cette affirmation semble étrange. Si dès 1949, quand furent écrits ces mots, le monde intellectuel avait déjà intégré les "grands principes universels" de Baha’u’llah, qu’est-ce qu’il restait à faire aux baha’is ? Si tout le monde savait déjà ce qu’il devait savoir quel enseignement les baha’is pouvaient-ils apporter ? Il semble que quel que soit ce que les baha’is devaient faire, ce n’était pas simplement de faire connaître à l’humanité les "grands principes universels énoncés par Baha’u’llah".

Si nous cherchons ce que veut dire exactement Shoghi Effendi par cette phrase, il me semble que les "grands principes universels énoncés par Baha’u’llah" font référence aux enseignements sociaux de la Foi baha’ie présentés dans les discours de ‘Abdu’l-Baha en Occident, la liste courante des douze ou quatorze principes que l’on trouve dans les brochures et les introductions à la Foi. Les principes comme l’égalité de l’homme et de la femme, le besoin d’harmonie entre la science et la religion, l’importance de l’éducation, etc sont tous des idées acceptées par ce qu’il appelle le "monde intellectuel". Elles ne sont plus des nouveautés comme elles l’étaient quand ‘Abdu’l-Baha les énonçait quelque quarante ans avant que Shoghi Effendi n’écrive ces mots.

(Entre parenthèses, on peut remarquer qu’en dépit de l’opinion de Shoghi Effendi que cette présentation des enseignements baha’is n’apparaît plus comme une nouveauté pour les gens, qu’elle n’est plus séduisante, la plupart des baha’is continuèrent à utiliser couramment cette présentation de la Foi. Dans le monde entier, pour des conférences publiques, des coins-de-feux ou des brochures, ou au cours de discussions avec leurs amis ou leurs voisins, les baha’is utilisent cette présentation).

Revenant à la citation de Shoghi Effendi ci-dessus, si nous la lisons dans son contexte nous pouvons deviner ce qu’il suggérait comme nouvelle direction à prendre pour la Foi baha’ie. Dans cette lettre écrite en son nom, il disait :

"Il semble que ce dont nous avons besoin maintenant c’est d’une érudition profonde et coordonnée qui attirera des hommes comme ceux que vous contactez. Le monde - le monde intellectuel au moins - a accepté les grands principes universels énoncés par Baha’u’llah il y a plus de 70 ans et bien sûr cela n’a plus l’air "neuf" à ses yeux. Mais nous savons que les enseignements profonds, la capacité de son ordre mondial qui recréera la société, sont neufs et dynamiques. C’est ceux-là que nous devons apprendre à présenter intelligemment et d’une manière attirante à de tels hommes."

Ces "enseignements profonds" dont parle Shoghi Effendi ne sont évidemment pas la présentation habituelle des enseignements baha’is, comprenant douze ou quatorze "principes de la Foi baha’ie", puisque ceux-ci avaient été la manière habituelle de présenter la Foi depuis que ‘Abdu’l-Baha l’avait fait pendant son voyage en Occident entre 1911 et 1913. Pour exprimer ce qu’il veut dire par les "enseignements plus profonds" dans la manière de présenter la Foi et d’y intéresser les gens, Shoghi Effendi parle de la capacité de son ordre mondial qui recréera la société. Il est clair pour moi que le paragraphe suivant de la Maison universelle de justice, tiré de la Promesse de la paix mondiale et dans lequel elle offre au monde la communauté baha’ie comme un modèle à examiner, très proche de ce que dit Shoghi Effendi :

L’expérience de la communauté baha’ie peut être considérée comme un exemple de cette unité englobante. C’est une communauté de 3 à 4 millions de gens issus de nombreuses nations, classes et croyances, engagée dans un grand nombre d’activités ayant pour but de répondre aux besoins spirituels, sociaux et économiques de gens de nombreux pays. C’est un organisme social unifié qui représente la diversité de la famille humaine, qui conduit ses affaires grâce à un système de principes consultatifs accepté par tous les membres et qui aime toutes les révélations divines de l’histoire humaine sans préférence pour l’une ou l’autre. Son existence est une preuve de plus du caractère réaliste de la vision de son fondateur : un monde uni et c’est aussi une preuve de plus que les hommes peuvent vivre dans une société mondiale qui sera de taille à répondre à tous les défis que l’avenir contient. Si l’expérience baha’ie peut contribuer, dans quelque mesure que ce soit, à renforcer l’espoir dans la possibilité d’unir l’humanité, nous sommes heureux de l’offrir comme exemple à étudier.

Dans ce passage, la Maison universelle de justice propose au monde d’étudier la communauté baha’ie comme modèle d’une nouvelle société "recrée". Alors la question se pose : comment présenter "la capacité de son ordre mondial a recréé la société" ? Savons-nous ce qu’est "la capacité de son ordre mondial à recréer la société" ? Comment la Foi baha’ie réalisera-t-elle cela ? Ce ne sera évidemment pas grâce à la propagation des enseignements sociaux baha’is qui, d’après Shoghi Effendi lui-même, sont partagés par le monde intellectuel depuis plus de cinquante ans. Quelle sorte de re-création de la société la Foi baha’ie va-t-elle accomplir et comment la présenter au monde ? La suite de ce texte est une tentative pour répondre partiellement à cette question.

Il nous faut regarder la société d’aujourd’hui et tenter de découvrir quelles sont les causes des problèmes qui l’affectent afin de voir de quelle manière pratique le fonctionnement de la communauté baha’ie concerne ces problèmes. J’aborderai surtout les sociétés occidentales qui sont les seules dont je crois pouvoir parler mais ce que je vais dire peut être vrai pour d’autres sociétés puisque les conditions que je vais décrire ne sont pas confinées à l’occident et que, de toute façon, les problèmes de l’occident se répandent tôt ou tard à d’autres parties du monde.

Évidemment, le monde doit faire face à de nombreux problèmes et je vais me concentrer sur deux d’entre eux qui sont en rapport l’un avec l’autre. UN, le fait qu’une grande proportion des gens se sentent exclus parce qu’ils n’ont pas de pouvoir dans la société ou qu’ils sont incapables de participer pleinement à la vie sociale à cause de barrières existantes. Ils se sentent incapables de s’épanouir ce qui suscite un sentiment d’injustice et de rancœur. DEUX, l’équilibre entre la liberté individuelle et l’autorité centrale de la société n’est pas résolu. Les régimes autoritaires sont renversés et les démocraties existent dans de nombreuses parties du globe mais maintenant beaucoup remarquent que le balancier est allé trop loin vers l’individualisme et le manque d’autorité centrale, que la liberté généralisée du marché conduit au danger de tomber dans la "loi de la jungle" où les plus riches et les plus puissants peuvent faire tout ce qu’ils veulent. On trouve la même situation dans les religions où fondamentalistes et libéraux sont en conflit sur la question de savoir si la société doit se soumettre aux formes traditionnelles de la religion ou si la religion doit changer et s’adapter aux réalités sociales.

* La société hiérarchisée ou hégémonique:

En revenant au premier problème soulevé : le fait qu’un grand nombre de gens se sentent exclus de la société dans une mesure plus ou moins grande. Ce fait est si répandu que dans la plupart des sociétés la majorité des gens rencontrent des barrières d’une sorte et d’une autre. Ce peut être une barrière de sexe, de race, de classe sociale ou même de manière de parler. Mais cela veut toujours dire que la majorité des gens dans chaque société connaît des barrières plus ou moins grandes, ce qui veut dire qu’ils ne sont pas traités avec équité, ne peuvent progresser dans le travail, ne peuvent obtenir les mêmes services que d’autres, ne peuvent vivre dans les mêmes lieux et ne peuvent pratiquer toutes les activités possibles en société. Ces barrières peuvent être légères (comme d’être obligé d’attendre plus longtemps que d’autres pour obtenir la même chose) ou elles peuvent être très lourdes à supporter (comme de s’apercevoir que certains métiers nous sont interdits).

Malgré l’intérêt de pure forme que manifeste la société occidentale, ce que la plupart des gens expérimentent c’est la constance de cette barrière. Dans la plupart des nations occidentales le principe d’égalité homme-femme est accepté depuis presque un siècle ce qui n’empêche pas les femmes de rencontrer dans leur carrière et leur profession ce qu’on a appelé un "plafond de verre". Elles arrivent à un point où, malgré leurs qualifications, elles ne peuvent plus progresser. Elles voient leurs collègues hommes, pourtant moins qualifiés et avec moins d’expérience, être promus à leur place.

Cette même expérience de progrès barré est expérimentée par les membres des minorités ethniques ou raciales, par les classes sociales inférieures et par de nombreux autres groupes humains. Les seules personnes qui ne connaissent pas ce genre d’expérience et qui bénéficient donc de tous les avantages de la société sont, dans les sociétés occidentales, les hommes blanc des couches supérieures de la société. Ce sont en général ces personnes-là qui sont en position d’analyser leur société d’une manière autoritaire et de proposer des transformations.

Le problème fondamental à la base de cette situation réside dans le fait que nous vivons dans des sociétés patriarcales ou hégémoniques, c’est-à-dire dirigées par des hommes et dominées par des hommes. Le pouvoir et l’autorité, tant au gouvernement que dans les affaires, l’industrie, le divertissement ou les associations, sont entre les mains d’hommes. Mais ce concept de société patriarcale dépasse la question du sexe de ceux qui détiennent l’autorité. La Grande-Bretagne a passé vingt ans avec une femme comme souverain et un Premier ministre comme femme, ce qui ne change pas le fait que c’est une société patriarcale. Si une femme veut arriver aux plus hauts degrés de la société, elle doit se masculiniser, devenir plus compétitive et plus agressive, plus "mâle" que les hommes. Les sociétés patriarcales sont très hiérarchisées et compétitives. Dans ces sociétés, les valeurs les plus prisées sont le pouvoir et la richesse. Les gens riches et qui détiennent le pouvoir sont appréciés, vus comme importants, consultés sur les problèmes majeurs et sont écoutés lorsqu’ils protestent. Dans ces sociétés, les décisions sont prises par un seul homme ou un groupe d’hommes pour être ensuite transmises en descendant pour être appliquées. Les structures sociales de ces sociétés sont pyramidales avec un ou quelques-uns à la tête et un nombre de plus en plus grand en descendant l’échelle. C’est ce que veut dire une société hégémonique.

Il existe beaucoup de signes qui prouvent que les filles sont moins tentées par la compétition et plus par la coopération que les garçons. C’est pourquoi, dans une société où le pouvoir est la plus grande valeur et où rien ne le limite, les filles/femmes seront dominées par les garçons/hommes. Dans la société occidentale où presque toutes les positions sont acquises par la compétitivité (soit par une compétition ouverte, soit par une série d’interviews où la compétitivité est l’élément le plus apprécié) le résultat inévitable est que les hommes dominent dans tous les postes de pouvoir.

Cette dominance masculine n’est pas facile à faire évoluer. Ceux qui ont l’autorité et le pouvoir contrôlent aussi les médias et l’éducation. Ils ont la possibilité d’imposer leur vision du monde sur les autres. Les femmes n’ont alors qu’une alternative : Soit elles acceptent le système et gardent une place inférieure dans la société, soit elles luttent contre le système en se mettant en compétition avec les hommes pour le pouvoir. Mais ce faisant, elles perpétuent ce système où le pouvoir est la valeur ultime. Elles se transforment en "hommes honoraires". Même si elles réussissent à gagner le pouvoir, elles perdent leurs valeurs propres. C’est au final le système patriarcal qui gagne.

On voit ainsi que les valeurs patriarcales sont perverses : elles pervertissent ceux qui essaient de les combattre. Ce fut le sort des révolutions depuis le 18ième siècle. La révolution française et les révolutions communistes furent toutes faites au nom d’une société plus égalitaire, où le pouvoir n’était plus la valeur principale. Mais les chefs de ces révolutions furent obligés de prendre le pouvoir, pervertissant ainsi leurs valeurs initiales. Avec pour résultat une société aussi hiérarchisée qu’avant, avec simplement d’autres personnes au pouvoir. George Orwell dans "La ferme des animaux" expose brillamment le processus.

Ce qui est vrai pour la situation des femmes dans une société patriarcale est vrai aussi pour d’autres groupes. Les minorités raciales ou ethniques et les classes les plus pauvres ont à faire aux mêmes barrières et aux mêmes problèmes que les femmes et ont les mêmes difficultés à les combattre. Si l’on considère que la moitié de la société est composée de femmes et qu’on y ajoute les divers groupes et classes qui sont aussi dominés par la catégorie des blancs de classes moyenne et supérieure, on voit que dans les sociétés occidentales qui sont soi-disant égalitaires, il n’y a qu’un faible pourcentage qui a accès à tous les bienfaits et les possibilités et que la majorité des gens sont bien moins "égaux".

Un autre fait qui rend difficile le changement dans les sociétés patriarcales c’est qu’on a du mal à seulement faire accepter que le problème existe. Ce sont les hommes des classes dominantes qui contrôlent les médias et le système éducatif. Ce sont eux qui sont les journalistes, les rédacteurs en chef, les analystes sociaux, les professeurs de science sociale ; ils ne rencontrent pas ces barrières et ne voient donc pas le problème. Ces hommes affirment qu’il n’y a pas de barrière dans leur société parce qu’ils n’en font jamais l’expérience et ils en concluent qu’il n’y a pas lieu de changer quoi que ce soit. Ils affirment que leur société est juste, égalitaire et démocratique et que tout le monde a les mêmes possibilités.

On devine que dû à ses barrières invisibles et à sa nature subversive, il n’est pas facile de changer cette sorte de société. Question : la Foi baha’ie a-t-elle une solution à cette situation difficile ? Puisqu’elle veut l’égalité entre les hommes et les femmes et une société plus égalitaire, comment la Foi baha’ie cherche-t-elle à résoudre ce problème ? On a compris par ce qui précède que ce qui est nécessaire est un changement radical et un changement qui ne sera pas subverti lui-même.

Il faut, bien sûr, commencer par établir un ensemble de valeurs dans lequel le pouvoir et la richesse ne seront pas placés au sommet ; c’est peut-être le plus facile à faire. On trouve dans la plupart des religions un ensemble de valeurs dans lequel on insiste sur l’amour, le service, l’humilité, etc. et où la richesse est vue comme une barrière au progrès spirituel. La Foi baha’ie a des enseignements similaires. On trouve un grand nombre de citations qui affirment l’égalité de tous les êtres humains et d’autres qui insistent sur l’égalité des hommes et des femmes

Dès le début de son histoire la religion babie-baha’ie commença à renverser les structures de pouvoir qui forment les bases de la société. Lorsque le Bab et Baha’u’llah affirment que pour comprendre une vérité religieuse il n’est pas nécessaire de passer des heures à étudier dans des écoles islamiques mais plutôt qu’il faut être pur et posséder ce discernement spirituel que chacun peut cultiver ; quand le Bab fait l’éloge d’un simple tamiseur de blé pour avoir vu la vérité et avoir reconnu le Bab, alors qu’échouèrent tous les érudits d’Ispahan, il commence à détruire les fondations de la structure sociale hégémonique qui admirait la connaissance livresque de la classe religieuse d’où elle tirait autorité et privilèges.

‘Abdu’l-Baha poursuivit ce processus en définissant quelques-uns des mots associés à cette tendance hégémonique vers la compétitivité et en subvertissant leur sens. Par exemple, pour le mot "victoire", ‘Abdu’l-Baha écrit que concernant la Foi baha’ie, "sa victoire consiste à se soumettre et à céder" en citant Baha’u’llah : "Aujourd’hui, la "victoire" ne sera jamais l’opposition à quelqu’un, ni la lutte contre quelqu’un, mais plutôt ce qui est agréable, c’est-à-dire : que la cité du cœur de l’homme sur laquelle règne les troupes tyranniques de l’égoïsme et de la convoitise sera conquise par l’épée du verbe de Sagesse et de l’exhortation". De même, ‘Abdu’l-Baha subvertit le concept de compétition en le détournant de son sens habituel dans une société masculine de conquête du pouvoir pour le rediriger vers une approche dans le domaine du service : "rivaliser les uns avec les autres au service de Dieu et de sa cause. Voilà ce qui vous est profitable dans ce monde et dans le monde à venir". Aux yeux de ‘Abdu’l-Baha le but de l’ambition personnelle et la source de la plus grande gloire ne réside pas chez celui qui prend le pouvoir mais chez celui qui excelle à servir pour "l’amélioration et l’élévation de la condition humaine" et pour la "cause de la plus grande paix".

Avoir des valeurs égalitaires et subvertir les fondations de la société hégémonique, c’est très bien. Mais la question demeure : quoi mettre à la place ? Beaucoup de gens et de groupes ont eu ces principes mais ne furent pas capables de les transformer en pratique à cause de la nature perverse du pouvoir. Ce qu’il faut c’est trouver le moyen de rendre ces valeurs courantes dans la société sans les pervertir. Comment peut-on créer une communauté plus égalitaire ? La communauté baha’ie offre un modèle pour un tel système social.

Premièrement, dans la communauté baha’ie le pouvoir n’est pas dans les mains des individus. On n'y trouve pas de prêtres ni de professionnels de la religion ayant des pouvoirs particuliers ou une autorité en vertu de leur position. Ce sont des institutions agissant en tant qu’institutions qui détiennent le pouvoir. Il est vrai que ce sont des individus qui sont élus membres de ces institutions, mais ces individus ne détiennent pas de pouvoir ou d’autorité eux-mêmes. Même le président de l’Assemblée spirituelle nationale, le gouvernement des baha’is d’un pays, n’a pas d’autorité individuelle. Un membre de l’assemblée spirituelle nationale est toujours soumis à l’autorité du conseil local, l’assemblée spirituelle locale du lieu où il habite. Certains individus sont nommés à des positions telles que le Corps des Conseillers et le Corps Auxiliaire, mais ces personnes nommées n’ont pas de pouvoir ni d’autorité, leur rôle est d’exhorter et de conseiller.

Deuxièmement, les décisions dans la communauté baha’ie sont prises en consultation. Le processus de consultation baha’ie encourage tous ceux qui sont présents à participer. Cela aide les membres de groupes ou d’ethnies minoritaires, ou de basses classes sociales, qui n’ont pas assez d’assurance pour parler en public. La consultation baha’ie idéale procure un environnement favorable et sûre à ces gens pour qu’ils puissent s’exprimer. Tout comme les hommes sont meilleurs en compétition, les femmes sont plutôt meilleures dans l’environnement coopératif créé par le processus de consultation. Elles se sentent plus à l’aise pour exprimer leur point de vue (ce qui n’est pas le cas dans un environnement compétitif) et sont alors capables de jouer un rôle majeur dans la vie communautaire baha’ie.

Il y a d’autres dispositions dans la vie communautaire baha’ie qui tendent à encourager les minorités. La Foi baha’ie s’est répandue grâce à des actions planifiées dans lesquelles on essayait délibérément d’attirer tous les genres de minorités vivant dans une région. Un des moyens fut de traduire de la documentation baha’ie dans le plus de langues possibles. Un autre exemple est le fait que lors d’une élection baha’ie, en cas de ballottage, si l’un des deux fait partie d’un groupe minoritaire, il est automatiquement choisi.

Si nous arrivions à résoudre ce problème en créant des sociétés plus égalitaires, non seulement un grand nombre de gens qui ne se sentent rejetés et injustement traités par les structures de la société patriarcale seraient mieux intégrés, mais cela aiderait aussi à résoudre d’autres problèmes sociaux. Réduire la compétitivité et l’agressivité associées à une société patriarcale hégémonique serait un grand pas vers la paix mondiale puisque ces maux internes à la société se retrouvent aussi dans les relations externes avec pour résultat une agressivité inutile et un manque de coopération au niveau international. Si la coopération était une valeur plus appréciée dans nos sociétés, le résultat en serait une meilleure coopération au niveau mondial et dans la résolution des problèmes de la planète. Selon les enseignements baha’is, une plus grande implication des femmes dans les affaires sociales conduirait aussi à la paix mondiale.

La compétitivité dans le monde professionnel est un facteur majeur de pollution et de dégradation de l’environnement. Cette compétitivité exigée par la société patriarcale résulte en une pression inexorable pour réduire les coûts de production avec souvent pour résultat une augmentation de la pollution. Lorsque des règlements locaux empêchent cette pollution, au lieu de les considérer comme le prix à payer pour protéger leur environnement, les industriels modernes délocalisent vers des pays aux règlements moins stricts. Malheureusement, si les réglementations ont des effets locaux, la pollution causée par l’industrie n’a, elle, pas de frontières et ses effets sont mondiaux. Une société qui ne serait pas autant motivée par la compétition serait aussi moins pollueuse.

Ainsi, créer des sociétés moins hiérarchisées et plus égalitaires conduirait à résoudre de nombreux problèmes qui affligent le monde, depuis les sentiments de rejet et d’injustice qui nourrissent les révoltes, le vandalisme et la violence jusqu’aux problèmes mondiaux comme la guerre et la pollution.

* Individualisme et autorité:

Un autre sujet trouble beaucoup de gens, car c’est un problème qui n’a été résolu dans aucune société : l’équilibre entre l’individu et l’autorité et, corollairement, le maintien nécessaire de l’équilibre entre l’autorité centralisée nationale ou internationale d’une part et l’initiative locale et l’indépendance d’autre part. Aucune société n’a su établir cet équilibre. Dans les sociétés qui ont penché vers trop d’individualisme, le culte de l’individu menace la cohésion sociale et l’ordre moral de la société. Au prétexte de la liberté individuelle, quelques individus vont jusqu’à en soumettre d’autres à un esclavage virtuel (les pauvres se noient dans des dettes qui les rendent virtuellement esclaves de leurs créditeurs), à des abus sexuels et physiques d’enfants. L’opposé est une sorte de collectivisme qu’on a vu dans les sociétés "communistes" où l’individu est complètement effacé au bénéfice supposé de la communauté. Ni l’un ni l’autre de ces extrêmes ne permet le développement humain ou la prospérité. Tous les êtres humains sont évidemment des individus qui ont droit d’avoir la liberté de développer leurs talents et leur potentiel. Mais autoriser cet excès de liberté qui permet de descendre à un niveau bestial en opprimant d’autres humains retarderait le développement individuel et conduirait la société, par la décadence et la corruption morale, à la destruction. À l’opposé, un contrôle excessivement centralisé paralysera les initiatives et ne produira que perte morale, manque d’enthousiasme et d’esprit d’initiative parce que les gens ne se sentiront pas concernés dans les décisions qui affectent leur vie.

On peut voir les deux extrêmes, d’individualisme excessif et de contrôle exagéré, dans de nombreuses situations. Grosso modo, on peut dire que les États-Unis d’Amérique penchent à l’extrême vers l’individualisme et les droits à la liberté dans tous les domaines. En pratique, cela veut dire que ceux qui ont l’argent et le pouvoir se servent de cette liberté pour contrôler les médias et la politique dans un sens favorable à leur avantage et pour imposer leurs intérêts à la société. Paradoxalement, c’est dans ces sociétés où l’individu a la plus grande liberté qu’au final l’individu est le plus manipulé par des intérêts, commerciaux et autres. L’Europe, au contraire, penche vers un contrôle centralisé et de nombreux aspects de la vie quotidienne sont décidés par l’autorité centrale de l’Union européenne. Le résultat c’est que les gens se sentent éloignés des centres de décision et se sentent de plus en plus justifiés de rebeller ou d’ignorer les directives centrales. Bien sûr, on trouve dans le monde de nombreux pays où l’autorité centrale va bien plus loin qu’en Europe et ces régimes, supprimant encore plus l’initiative individuelle conduisent leurs peuples à être démoralisés et sans esprit d’initiative.

On retrouve ces extrêmes dans d’autres domaines que le politique. Dans l’aide internationale, par exemple, on a vu le balancier passer d’un contrôle centralisé très strict des méthodes et des moyens de déployer les aides nécessaires (conduisant souvent à des aides inadéquates parce que les gens qui travaillaient au centre ne connaissaient pas les besoins sur place), à un système beaucoup plus relax, à des décisions prises localement (résultant souvent en corruption et dissipation des efforts). Dans le domaine religieux particulièrement, cette tension fut l’un des éléments récurrents de la vie religieuse du siècle passé. Dans presque toutes les traditions religieuses on trouve un conflit plus ou moins ouvert entre les tenants d’une doctrine stricte et centralisée, avec une autorité organisée de la religion (souvent associés avec le fondamentalisme religieux) et les partisans d’une liberté individuelle qui veulent que chacun soit libre de croire et d’expérimenter la religion comme il lui convient (décrits souvent comme des libéraux).

On trouve dans la Foi baha’ie plusieurs manières d’atteindre à l’équilibre entre la liberté individuelle et l’autorité centralisée. D’une part, Baha’u’llah approuve la démocratie et félicite la reine Victoria d’avoir "confié les rênes du conseil aux mains des représentants du peuple". D’autre part, il condamne l’excès de liberté qui conduit à des situations libertaires et affirme que cela "exercera une influence pernicieuse sur l’homme". Shoghi Effendi résume tout cela en écrivant que "la conception baha’ie de la vie sociale ne supprime pas l’individu ni ne l’exalte au point d’en faire une créature anti-sociale, un danger pour la société. Comme en tout, elle suit la règle d’or".

De même que beaucoup de groupes et de mouvements partagent l’idéal baha’i d’arriver à une société plus égalitaire, nombreux sont ceux qui cherchent à atteindre "la règle d’or". Pourtant, en pratique, on voit des associations ou des groupes qui, soit sont attirés vers un extrême ou l’autre, ou qui balancent entre les deux comme un pendule. On voit qu’aucune société ou groupe important n’a réussit à trouver un moyen de s’en tenir à la "règle d’or". C’est dans la mise en pratique de cet état qu’ils ont échoué.

Ici aussi la communauté baha’ie propose un modèle sur la manière d’arriver à cet équilibre par une séparation originale entre pouvoir et autorité. Dans la plupart des sociétés, des associations, des groupes, il est tenu pour acquis que ceux qui ont l’autorité ont aussi le pouvoir de l’appliquer. Des mécanismes sont installés pour obliger leurs membres à suivre les directives de ceux qui ont l’autorité. Ce peut être des lois pour une société, un code de discipline pour une organisation ou un règlement pour une association. Ceux qui ont l’autorité ont aussi le pouvoir de sanctionner quiconque ne suit pas leurs directives.

Dans la communauté baha’ie on essaie de séparer quelque peu l’autorité et le pouvoir. On a déjà signalé que les individus n’ont ni autorité ni pouvoir dans la communauté baha’ie. Les institutions élues de la communauté baha’ies ont l’autorité pour diriger les affaires de la communauté mais ils ont l’obligation de tenter d’atteindre leur objectif en gagnant le soutien des individus baha’is. En s’adressant aux membres élus des institutions baha’ies, Shoghi Effendi affirme :

"N’oublions pas que l’idée-force de la Cause de Dieu n’est pas l’autorité dictatoriale, mais l’humble camaraderie, non le pouvoir arbitraire mais l’esprit de consultation franche et amicale. Rien ne peut espérer réconcilier les principes de miséricorde et de justice, de liberté et de soumission, de sainteté du droit de l’individu et de renonciation personnelle, de vigilance, de discrétion et de prudence d’une part et, d’autre part, de camaraderie, de franchise et de courage, sauf l’esprit d’un vrai baha’i".

Si on les compare aux autorités centrales d’autres religions, les institutions baha’ies élues ont, dans de nombreux domaines, très peu de pouvoir réel pour faire respecter leur autorité. Elles n’ont pas d’autorité doctrinale, pas d’autorité pour déterminer la doctrine correcte ou pour créer une nouvelle doctrine ou une nouvelle théologie ni pour interpréter le texte des Écritures. Elles ont l’autorité de diriger la communauté baha’ie en établissant des plans d’actions mais ses membres mais n’ont aucun moyen de sanction ou de coercition pour forcer les baha’is à accomplir ces plans. Par exemple, un baha’i qui décide d’ignorer complètement le Plan de cinq ans de la Maison universelle de justice, est tout à fait libre de le faire sans crainte de sanctions. La situation générale est ainsi résumée par la Maison universelle de justice :

"L’autorité et les directives viennent des Assemblées alors que le pouvoir d’accomplir les tâches est entre les mains des croyants".

Le pouvoir qu’ont ces institutions sur les croyants ne peut s’exercer que dans des situations extrêmes rarement rencontrées par le baha’i moyen. Ce pouvoir concerne les baha’is dont les actions dépassent certaines limites. Ce pouvoir comprend, par exemple, les sanctions administratives appliquées à des baha’is qui agissent publiquement en négligeant le code moral baha’i : se saouler en public ou agir publiquement à l’encontre de la moralité sexuelle baha’ie (il faut noter que ce que font les baha’is en privé ne concerne pas les institutions baha’ies). Des sanctions plus sévères seront prises envers ceux qui cherchent à créer des divisions ou un esprit sectaire dans la communauté (il faut noter qu’avoir des opinions différentes n’est pas un mal, seule la tentative de créer une secte ou un groupe autour d’une opinion donnée est punissable). La grande majorité des baha’is ne se trouvera jamais dans une telle situation.

Avec une telle liberté de penser et d’ignorer les exhortations de leurs institutions, comment l’unité de la communauté baha’ie peut-elle être préservée (car si la religion baha’ie veut réaliser son but d’unir l’humanité, il est évident qu’il faut qu’elle soit elle-même unie) ? Le principe qui permet à un baha’i d’être libre dans ses pensées tout en maintenant l’unité s’appelle l’Alliance. Dans la Foi baha’ie il n’y a ni doctrine ni credo sur la nature de Dieu ou la nature de Baha’u’llah que l’individu doit accepter. Le baha’i est libre de lire les Écritures par lui-même et de comprendre à sa manière les questions théologiques. La seule limite à ne pas dépasser c’est de prétendre que sa compréhension des questions théologiques fait autorité ou s’impose aux autres baha’is (créant ainsi une secte ou lançant une cabale). Seules les interprétations de ‘Abdu’l-Baha et de Shoghi Effendi font autorité. Tous deux étant morts, leurs écrits font désormais partie des Écritures ou textes officiels. Il n’y a plus d’interprète officiel vivant. Ce qui préserve l’unité de la communauté baha’ie malgré l’individualisme idéologique est le concept de l’Alliance : tous les baha’is font le serment d’obéir aux instructions du Centre de l’Alliance qui, depuis 1963 est la Maison universelle de justice. La Maison universelle de justice ne crée pas de doctrine ou de dogme ; elle dirige les affaires de la communauté baha’ie. Obéir aux instructions du Centre de l’Alliance ne limite donc pas la liberté de l’individu de penser ce qu’il veut dans le domaine théologique. Ils n’ont seulement pas le droit de créer des sectes ou des coteries autour d’une interprétation individuelle.

L’autorité et les pouvoirs des conseils locaux de la communauté baha’ie sont établis dans les textes baha’is officiels et c’est un autre aspect de l’équilibre entre l’autorité centrale et la démocratie dans ces communautés. Ces conseils ont des droits intrinsèques purement locaux, une autorité qui ne peut être retirée par le conseil national. Ainsi, on ne peut rencontrer la situation connue dans beaucoup de pays où les autorités locales ont vu leurs droits retirés par le désir du gouvernement central de centraliser et de contrôler tous les aspects de la vie de la nation.

Dans tous les aspects de la vie communautaire baha’ie on insiste sur la décentralisation, qui laisse au niveau local le traitement de toutes les affaires qui peuvent se gérer à ce niveau-là. "(La loi de Baha’u’llah) rejette la centralisation excessive et toute tentative d’uniformité. Son mot d’ordre est unité dans la diversité". Pour compenser les problèmes qui peuvent surgir de cette décentralisation (où des préjugés locaux peuvent créer des discriminations contre des individus ou des groupes) les individus ont tous les pouvoirs pour faire appel des décisions de leur conseil local auprès du conseil national ou même, si nécessaire, au niveau international.

Ici, j’aimerais suggérer que les deux aspects de la dynamique sociale de la communauté discutés ci-dessus peuvent être vus comme deux aspects de l’affirmation faite par Baha’u’llah, ‘Abdu’l-Baha et Shoghi Effendi : L’humanité vient d’entrer dans l’âge de la maturité collective.

Baha’u’llah : Dès que l’humanité eut atteint sa maturité, le Verbe révéla aux yeux des hommes les énergies latentes dont il est doté, énergies qui se manifestèrent dans la plénitude de leur gloire lorsque l’Ancienne beauté apparue, en l’an soixante, dans la personne de ‘Ali-Muh?ammad, le Bab.

‘Abdu’l-Baha : Il y a de même des étapes dans la vie collective de l’humanité qui traversa la période de l’enfance puis de la jeunesse et qui maintenant est entrée dans l’âge longtemps attendu de la maturité dont on remarque les preuves partout. Les conditions et exigences des temps passés ne sont plus les mêmes et se fondent dans ce qu’exigent les caractéristiques de l’âge actuel du monde... les dons accordés à la jeunesse, suffisants et adaptés à l’adolescence de l’humanité sont maintenant incapables de répondre aux exigences de notre temps. Les jouets de l’enfance ne peuvent plus satisfaire l’intérêt de l’esprit adulte.

Shoghi Effendi : C’est cette étape qu’une humanité toujours en progrès approche collectivement. La révélation confiée à Baha’u’llah par le tout-puissant Ordonnateur est dotée, ses disciples en sont fermement convaincus, de potentialités en proportion avec la maturité de l’espèce humaine, étape finale et la plus importante de son évolution, de l’enfance à l’âge adulte.

On voit à quel point les sujets discutés ici s’appliquent bien à cette métaphore. Quand on a des enfants, on leur impose une hiérarchie de pouvoir et on les instruit en leur disant ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire. On a sur eux pouvoir et autorité. De même, selon le concept baha’i de la révélation progressive, les religions apparues dans l’enfance de l’humanité créèrent des formes de sociétés hiérarchisées où les gens qui avaient le pouvoir et la connaissance dominaient ceux qui ne les avaient pas. Quand les enfants grandissent et deviennent adolescents puis adultes, les parents sages réduisent progressivement leurs ordres et laissent peu à peu les enfants prendre des responsabilités. Le pouvoir qu’ils exerçaient sur l’enfant, ils le transmettent à l’adulte une fois qu’il a atteint la maturité. Cette diminution des hiérarchies et ce passage du pouvoir à des individus responsables peuvent être considérés comme la réponse appropriée donnée à une humanité qui atteint sa maturité collective.

Une objection qu’on peut soulever : alors que toutes ces considérations peuvent être vraies pour la communauté baha’ie, peuvent-elles appliquer à toute une société ? Peut-on, par exemple, diriger une société dans laquelle les autorités administratives n’ont pas de pouvoir ? Bien sûr, il faut dire immédiatement qu’en ce qui concerne les attitudes extrêmes : l’activité criminelle, par exemple, il faut que les institutions aient le pouvoir d’arrêter, de juger et de punir les individus concernés. Mais les institutions administratives baha’ies ont ce pouvoir, comme mentionné plus haut. Pourtant, dans la vie quotidienne des gens ordinaires, les enseignements baha’is ont tendance à se reposer sur la maturité et le sens de responsabilité des individus pour régler leurs affaires. Cela reviendrait à décentraliser vers les autorités locales les questions d’éducation, de santé et de police. Mais cela signifierait alors une plus grande implication du citoyen dans la gestion de sa communauté locale, par le moyen de la consultation authentique. Les citoyens devraient aussi prendre la responsabilité de s’informer des problèmes locaux afin de n’être pas manipulé par un groupe de pression ni par des intérêts commerciaux ou financiers.

Cette approche a des applications variées dans de nombreux aspects de la vie sociale, au-delà du simple système politique. Par exemple, dans le monde du travail, on verrait un renversement de la tendance actuelle d’un plus grand contrôle des travailleurs par la direction, tant dans le domaine public que privé, et une plus grande latitude accordée aux gens pour faire leur travail sans contrôles incessants de la manière dont ils le font, sans listes de buts à atteindre et sans paperasse à remplir, avec perte de temps et travail déformé.

Bien sûr, ce renversement de tendance, des individus comme des institutions, ne peut se produire sans une évolution équivalente du sens des responsabilités et de la maturité des individus afin que le vide ainsi créé soit rempli. Cela exige des individus qui soient assez mûrs pour participer aux activités sociales d’une manière équilibrée et constructive. Cela nécessite aussi que tous les individus soient probes et s’impliquent dans la société bien plus que ce qui se pratique actuellement. Ce qui implique que l’individu ait des ressources spirituelles, sujet qui dépasse les limites de cette présentation. Il est cependant intéressant de remarquer, qu’après des décennies à se concentrer sur son expansion géographique, la communauté baha’ie dans son ensemble s’engage dans le Plan quinquennal actuel dans des activités dont le but est précisément de créer les sortes de ressources humaines qui sont nécessaires pour la mise en pratique réussie de ce modèle de communauté et de société. Le but des plans actuels de la communauté baha’ie est de passer d’un type de communauté caractérisé par la passivité de ses membres à un type de société où l’ensemble des membres supportent le gros des activités et des responsabilités.

La communauté baha’ie n’est qu’au début de ce processus et, pour l’instant, elle reflète largement la société dans son ensemble. La plupart des communautés baha’ies sont encore dirigées par une poignée d’individus. Mais au cours du vingtième siècle de grands progrès furent accomplis pour transférer le pouvoir et l’autorité depuis les individus vers les institutions, suivis par une tendance à transmettre ce pouvoir et cette autorité depuis les institutions nationales vers les institutions locales. La fin de ce processus : développer les capacités de la majorité des membres de la communauté afin de leur transmettre le pouvoir parce qu’ils seront capables d’en assumer la responsabilité, est le but de la série actuelle des plans.

Pour terminer, je pense que tout ceci a de grandes implications dans la manière dont les baha’is se présentent. La citation de Shoghi Effendi qui commence cet exposé abordait le problème causé par le fait que le monde intellectuel avait déjà intégré les principes sociaux de la Foi baha’ie et qu’une nouvelle manière de présenter cette Foi était nécessaire. En Occident, les baha’is sont confrontés à une situation dans laquelle le renouveau religieux existant les concerne, mais négativement. On connaît aujourd’hui un regain d’intérêt dans les questions spirituelles, mais la sorte de religiosité que ce regain provoque n’aide pas la Foi baha’ie. L’accroissement du sentiment religieux se fait dans deux directions :

1. La religion ultra-traditionaliste. Dans le monde entier, la version traditionnelle locale est vue comme une résurgence de ce qu’on appelle le fondamentalisme. Les incertitudes, les choix déroutants offerts aux gens par la vie moderne, plus le déclin moral qui se développe en même temps que les gens profitent des libertés qu’on trouve dans la société moderne, ont provoqué une réaction qui explique pourquoi les gens se tournent vers les certitudes de la religion traditionnelle et vers ce qu’ils considèrent comme étant les préceptes moraux plus élevés de la religion traditionnelle. Ces gens tentent de retourner 300 ou 400 ans en arrière pour retrouver un monde ou les valeurs traditionnelles et sociales étaient au centre de la société. Il est évident que représentant une nouvelle religion en compétition avec les anciennes, la religion baha’ie ne rencontrera pas la faveur des adeptes de cette religiosité. Pourtant, il ne faut pas oublier que la religion baha’ie possède elle-même des normes morales et éthiques très élevées et elle s’accorde sur de nombreux points avec la religion traditionnelle et c’est, sans doute, une voie à explorer dans l’idée de présenter la Foi baha’ie aux disciples de cette tendance.

2. religiosité Nouvel Âge. Cela dit de plus en plus de monde rejette les affiliations officielles avec la religion organisée pour choisir un genre de religiosité mixte, personnalisée, individuelle et hétéroclite. Ils prennent des idées dans toutes les religions - surtout orientales : chakras, réincarnation, astrologie, etc et s’essaient à différentes pratiques religieuses : méditation, répétition de mantras… avec, au final, un mélange d’idées et de pratiques qui leur convient. Ces personnes assisteront aux réunions baha’ies, exprimerons leur admiration pour quelques idées baha’ies, mais ne rejoindront pas la communauté soit parce qu’ils croient fermement à certaines idées qui ne sont pas partagées par les enseignements baha’is (la réincarnation, par exemple) ou simplement parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise avec l’idée de rejoindre un groupe religieux organisé. Il est possible aussi qu’ils ne rejoignent pas la communauté baha’ie parce qu’ils n’y trouvent pas la solution miracle que de nombreux groupes spirituels prétendent posséder. Rejoindre la communauté baha’ie suppose de s’y impliquer, et de commencer une longue lutte spirituelle, choses qui n’attirent pas cette sorte de chercheurs. La communauté baha’ie n’offre pas non plus cette sorte d’expérience religieuse immédiate offerte par de nombreux groupes religieux à succès.

Tout ceci fait que la religion baha’ie ne profite pas du renouveau d’intérêt dans les choses spirituelles qu’on constate. Ce n’est pas une religion traditionnelle capable de profiter de la montée du fondamentalisme et si les gens attirés par le mouvement "New Age" expriment parfois leur appréciation de ses enseignements, et peuvent même les adopter dans leur spiritualité personnelle, il est peut probable qu’ils auront envie de s’impliquer dans les responsabilités qu’implique l’engagement baha’i.

Ainsi, concernant la question de la présentation de la foi baha’ie, l’analyse ci-dessus cherche à démontrer que la communauté baha’ie s’intéresse à quelques-uns des principaux problèmes qui assaillent l’humanité et qu’elle leur apporte quelques réponses. Dans le climat actuel de religiosité hétéroclite et de gens refusant de s’impliquer dans des religions organisées, il serait peut-être plus productif d’attirer l’attention des gens sur le genre de société que la religion baha’ie s’efforce de créer, de montrer que cette sorte de société peut solutionner les problèmes sociaux et les tensions de la société moderne. Et pour présenter la Foi baha’ie de cette manière avec efficacité, le mieux serait de cesser de craindre de s’impliquer et de s’engager dans ce que demande la Foi baha’ie en devenant un membre actif de cette communauté qui possède une dynamique sociale potentiellement capable de résoudre quelques-uns de ces problèmes.

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