Médiathèque baha'ie

Le siècle de lumière

La Maison Universelle de Justice


AVANT - PROPOS

La fin du vingtième siècle offre aux baha'is une perspective unique. Au cours des cent dernières années, notre monde a subi des changements beaucoup plus profonds que ceux de n'importe quelle période précédente de l'histoire, des changements qui sont, pour la plupart, peu compris par la génération présente. Ces mêmes cent dernières années ont vu la cause baha'ie sortir de l'obscurité, démontrant ainsi à une échelle mondiale le pouvoir unificateur conféré par son origine divine.
La convergence de ces deux développements historiques apparut de plus en plus clairement à mesure que le siècle se rapprochait de son terme.
Le siècle de lumière, préparé sous notre direction, réexamine ces deux processus et la relation qui existe entre eux, dans le contexte des enseignements baha'is. Nous le recommandons à l'étude studieuse des amis, certains que les perspectives qu'il ouvre s'avéreront enrichissantes spirituellement et apporteront une aide concrète pour partager avec d'autres les défis apportés par la révélation de Baha'u'llah.

LA MAISON UNIVERSELLE DE JUSTICE,
Naw-Ruz, 158 E.B.



LE SIÈCLE DE LUMIÈRE

LE VINGTIÈME SIÈCLE, le plus turbulent dans l'histoire de l'humanité, est arrivé à son terme. La plupart des peuples du monde sont épouvantés par le chaos moral et social qui l'a marqué de plus en plus profondément, et désirent ardemment laisser derrière eux le souvenir des souffrances que ces décennies ont apportées. En dépit de la fragilité apparente des fondements de la confiance dans le futur et de l'immensité des dangers qui se profilent à l'horizon, l'humanité s'acharne à croire qu'il sera possible, par quelque concours de circonstances fortuit, d'infléchir les conditions de la vie humaine selon les désirs dominants des hommes.

À la lumière des enseignements de Baha'u'llah, ces espoirs sont non seulement illusoires, mais de plus ils ne tiennent aucun compte de la nature et de la signification du tournant décisif pris par notre monde au cours de ces cent années cruciales. L'humanité ne sera pas prête à répondre aux défis qui l'attendent avant de comprendre les implications des évènements de cette période. Le poids de la contribution que nous, baha'is, pouvons apporter à ce processus exige que nous-mêmes saisissions la signification de la transformation historique élaborée par le vingtième siècle. La lumière émise par le Soleil levant de la révélation de Baha'u'llah et l'influence qu'elle exerce sur les affaires humaines nous permettent d'accéder à cette compréhension. C'est de cette possibilité que parlent les pages qui suivent.


I.

COMMENÇONS PAR RECONNAÎTRE l'ampleur de la dégradation que l'espèce humaine s'est elle-même infligée au cours de la période de l'histoire que nous examinons. Le nombre de vies perdues est, à lui seul, incalculable. La désagrégation des institutions fondamentales de l'ordre social, la violation - en fait, l'abandon - des normes de la décence, la trahison de la vie de l'esprit par la soumission à des idéologies aussi sordides que vides, l'invention et le déploiement de monstrueuses armes de destruction massive, la faillite de nations entières et la réduction de multitudes d'êtres humains à une pauvreté sans espoir, la destruction insouciante de l'environnement de la planète sont seulement les éléments les plus évidents d'un catalogue d'horreurs inconnues même aux âges les plus noirs du passé. Le simple fait de les mentionner rappelle les avertissements divins exprimés dans les mots de Baha'u'llah, il y a un siècle : "Ô insouciants, les merveilles de ma miséricorde enveloppent toutes choses créées, tant visibles qu'invisibles, les révélations de ma grâce et de ma munificence pénètrent chaque atome de l'univers, et cependant, douloureuse est la verge avec laquelle je châtie les méchants et terrible la véhémence de mon courroux contre eux (1)."

De peur qu'un observateur de la Cause ne soit tenté de prendre de tels avertissements pour de simples métaphores, Shoghi Effendi, dépeignant certains des évènements historiques, écrivit en 1941 :

"Une tempête balaie en ce moment la face de la terre, elle est sans précédent dans sa violence, imprévisible dans sa trajectoire, catastrophique dans ses effets immédiats, d'une gloire inconcevable dans ses conséquences ultimes. Sa force impérieuse gagne inexorablement en étendue et en vitesse. Sa force purificatrice passe presque inaperçue, mais s'accroît de jour en jour. L'humanité, sous les griffes de ce pouvoir dévastateur, est frappée par les preuves de son implacable colère. Elle ne peut ni percevoir son origine, ni sonder sa signification, ni discerner ses conséquences. Désorientée, agonisante et désarmée, elle regarde cet immense et puissant souffle divin qui envahit les régions de la terre les plus lointaines et les plus saines, qui ébranle ses fondations, dérègle son équilibre, brise ses nations, désorganise les foyers de ses peuples, dévaste ses villes, exile ses rois, détruit ses remparts, déracine ses institutions, affaiblit sa lumière et déchire le coeur de ses habitants (2)."

*

En ce qui concerne la richesse et l'influence, le "monde" de 1900 se réduisait à l'Europe et, accessoirement, aux États-Unis. L'impérialisme occidental continuait à exercer sur les populations des autres pays de la planète ce qu'il estimait être sa "mission de civilisation". Selon un historien, la première décennie du siècle apparaît essentiellement comme une continuation du "long dix-neuvième siècle (3)", une ère dont l'arrogance sans borne est bien illustrée par la célébration en 1897 du jubilé de diamant de la reine Victoria : un défilé avait paradé pendant des heures à travers les rues de Londres, avec une pompe et un étalage impérial du pouvoir militaire qui dépassaient de loin tout ce qu'avaient osé les civilisations passées.

En ce début de siècle, peu de gens, quelle qu'ait été leur sensibilité sociale ou morale, se rendaient compte des catastrophes qui les attendaient, et bien peu, s'il en fut, auraient pu percevoir leur ampleur. Les chefs militaires de la plupart des pays européens s'attendaient à ce qu'une guerre éclate, mais ils regardaient cette perspective avec sérénité, convaincus qu'elle serait courte et qu'ils la gagneraient. Des hommes d'états, des industriels, des savants, des média et des personnalités influentes aussi étonnantes que le tsar de Russie apportaient leur soutien au mouvement de paix international, dans une mesure qui tient presque du miracle. L'accroissement immodéré de l'armement était certes de mauvais augure, mais le réseau laborieusement tissé des alliances, qui souvent empiétaient les unes sur les autres, pouvait donner l'assurance qu'un conflit général serait évité et que les litiges régionaux seraient réglés comme ils l'avaient généralement été au cours du siècle précédent. Cette illusion était renforcée par l'image que donnaient les Têtes couronnées d'Europe. La plupart d'entre elles appartenaient à une seule famille élargie, et plusieurs exerçaient un égal pouvoir de décision. Elles s'adressaient familièrement l'une à l'autre par leurs surnoms, entretenaient une correspondance intime, épousaient les soeurs et les filles les uns des autres, et chaque année, elles passaient ensemble de longues périodes de vacances dans leurs châteaux, leurs pavillons de chasse ou sur leurs yachts. Dans les sociétés occidentales, on s'occupait même de la douloureuse disparité dans la distribution des richesses, de manière énergique sinon systématique : une législation avait été élaborée pour empêcher les pires exactions collectives organisées au cours des décennies précédentes et pour répondre aux besoins essentiels des populations urbaines croissantes.

La grande majorité de la famille humaine vivait en dehors du monde occidental, elle ne retirait que peu de bienfaits et ne partageait guère l'optimisme de sa fratrie européenne et américaine. En dépit de son ancienne civilisation et de son sentiment d'être "l'Empire du milieu", la Chine était devenue l'infortunée victime du pillage effectué par les nations occidentales et par son voisin japonais en pleine modernisation. En Inde où l'économie et la vie politique étaient tombées totalement sous la domination du Pouvoir impérial, au point de faire disparaître les intrigues habituelles pour obtenir des privilèges, les multitudes échappaient à certains des pires abus infligés aux autres pays, mais elles regardaient, impuissantes, s'épuiser les ressources dont elles avaient désespérément besoin. Dans la souffrance du Mexique se profilait déjà trop clairement l'agonie future de l'Amérique latine. Il avait subi l'annexion par son voisin du nord de vastes territoires et ses ressources naturelles avaient attiré l'attention avide d'entreprises étrangères. En Russie, l'Occident regardait comme un fait particulièrement embarrassant - à cause de la proximité de capitales européennes aussi brillantes que Berlin et Vienne - l'oppression médiévale sous laquelle une centaine de millions de serfs soi-disant libérés menaient une vie de misère sombre et désespérée. Le plus tragique de tout était la condition des habitants du continent africain, divisés et montés les uns contre les autres par la création de frontières artificielles, résultat de cyniques marchandages entre les Pouvoirs européens. On estime que, pendant la première décennie du vingtième siècle, plus d'un million de personnes périrent au Congo, affamées, battues, tuées au travail pour le profit de leurs maîtres lointains, un aperçu du destin qui allait engloutir bien plus d'une centaine de millions de leurs compagnons humains, à travers l'Europe et l'Asie, avant que le siècle ne touche à sa fin (4).

Ces masses humaines, dépouillées et dédaignées - mais représentant la majeure partie des habitants de la terre - n'étaient pas considérées comme des protagonistes, mais comme de simples éléments du processus civilisateur tant vanté de ce nouveau siècle. En dépit des avantages conférés à une minorité d'entre eux, les peuples colonisés existaient surtout pour qu'on puisse les modeler - les utiliser, les discipliner, les exploiter, les christianiser, les civiliser, les mobiliser - selon ce que dictaient les plans versatiles des Puissances occidentales. Ces plans éclairés ou égoïstes, appliqués de manière brutale ou douce dans le but de convertir ou d'exploiter, étaient élaborés par des forces matérialistes qui déterminaient à la fois leurs moyens et la plupart de leurs objectifs. Des convictions religieuses et politiques de styles différents dissimulaient pratiquement tout de ces objectifs et de ces moyens au public occidental. Celui-ci pouvait ainsi retirer une satisfaction d'ordre moral des bienfaits que sa nation était supposée octroyer aux moins méritants, pendant qu'il jouissait lui-même des fruits matériels de cette générosité.

Signaler les défaillances d'une grande civilisation ne veut pas dire nier ses réalisations. Alors que
commençait le vingtième siècle, les peuples d'Occident pouvaient s'enorgueillir à juste titre des progrès technologiques, scientifiques et philosophiques engendrés par leurs sociétés. Des dizaines d'années d'expérimentation avaient placé entre leurs mains des moyens matériels que le reste de l'humanité était loin de pouvoir évaluer.
De nombreuses industries avaient vu le jour à travers l'Europe et l'Amérique, consacrées à la métallurgie, à la fabrication de produits chimiques de toutes sortes, au textile, à la construction et à la production d'instruments qui facilitaient la vie sous tous ses aspects. Une succession sans fin de découvertes, d'inventions et d'améliorations avait permis d'accéder à une puissance d'une ampleur inimaginable, en particulier grâce à l'utilisation de combustibles bon marché et de l'électricité, avec, hélas, des conséquences écologiques également inimaginables à l'époque. "L'ère du chemin de fer" était bien avancée et les bateaux à vapeur sillonnaient les voies maritimes. Grâce à la multiplication des communications télégraphiques et téléphoniques, la société occidentale voyait le moment où elle serait libérée des limites imposées à l'humanité depuis l'aube de l'histoire par les distances géographiques.

Des changements au plus profond de la pensée scientifique eurent des implications encore plus considérables. Le dix-neuvième siècle en était resté à la vision newtonienne du monde envisagé comme un vaste système mécanique, mais à la fin du siècle des percées intellectuelles étaient venues défier cette théorie. De nouvelles idées émergeaient qui devaient conduire à la formulation de la mécanique quantique ; et avant peu, l'effet révolutionnaire de la théorie de la relativité allait remettre en question les croyances sur le monde phénoménal que le bon sens avait acceptées pendant des siècles. Ces avancées furent favorisées - et leur influence considérablement amplifiée - par une activité scientifique qui n'était plus le fait de penseurs isolés, mais résultait maintenant d'une démarche méthodique entreprise par une influente communauté scientifique qui bénéficiait d'installations universitaires, de laboratoires et de congrès où échanger ses découvertes au stade expérimental.

La force des sociétés en Occident ne résidait pas seulement dans le progrès scientifique et technique. Alors que débutait le vingtième siècle, la civilisation occidentale récoltait les fruits d'une culture philosophique qui devait rapidement libérer les énergies de ses populations et dont l'influence allait bientôt provoquer un impact révolutionnaire dans le monde entier. Cette philosophie nourrissait le système de gouvernement constitutionnel, elle prônait l'autorité de la loi, le respect des droits de tous les membres de la société, et offrait à tous ceux qu'elle touchait la vision d'une ère imminente de justice sociale. Les revendications de liberté et d'égalité qui gonflaient alors la rhétorique patriotique en Occident étaient loin de nos conditions actuelles, mais les occidentaux pouvaient à juste titre se féliciter des progrès réalisés dans ce sens au dix-neuvième siècle.

D'un point de vue spirituel, la période était en proie à une dualité étrange et paradoxale. Presque tout l'horizon intellectuel était obscurci par des nuages de superstition nés de l'imitation aveugle des temps anciens. Cela allait, pour la plupart des peuples, d'une profonde ignorance du potentiel humain et de l'univers physique à un attachement naïf à des doctrines religieuses qui ne s'appuyaient que peu ou pas sur l'expérience. Dans les classes instruites des pays occidentaux, là où les vents du changement avaient dissipé les brumes, le fléau d'une laïcité agressive avait trop souvent remplacé les principes religieux reçus en héritage ; elle mettait en doute et la nature spirituelle de l'humanité, et l'autorité des valeurs morales elles-mêmes. Partout, la laïcisation des classes supérieures de la société semblait aller de pair avec un obscurantisme religieux largement répandu parmi la population. Dans tous les pays et au niveau le plus profond, parce que l'influence de la religion s'enfonce au coeur de la psyché et revendique pour elle une forme unique d'autorité, les préjugés religieux avaient entretenu, de génération en génération, les feux latents d'une forte animosité qui allait alimenter les horreurs des décennies à venir (5).


II.

C'EST AU DÉBUT DU VINGTIÈME SIÈCLE, dans ce paysage de confiance trompeuse et de profond désespoir, de progrès scientifique et de ténèbres spirituelles, qu'apparaît le personnage rayonnant de 'Abdu'l-Baha. Il aborda ce moment essentiel de l'histoire de l'humanité après une errance de cinquante années faites d'exil, d'emprisonnement et de privation, dont pas un mois ne recela la moindre trace de tranquillité ou de facilité. Il arriva, résolu à proclamer aux esprits ouverts comme aux insouciants, l'établissement sur la terre du règne de la paix universelle et de la justice dont la promesse avait soutenu l'espoir des hommes à travers les siècles. Il déclara que ce règne serait fondé au cours de ce "siècle de lumière" sur l'union des peuples du monde :

"En ce jour... les moyens de communication se sont multipliés et les cinq continents de la terre se sont pratiquement fondus en un seul... De la même manière, les membres de la famille humaine deviennent chaque jour plus interdépendants, qu'ils soient issus du peuple ou dirigeants, habitants des villes ou des villages.... En conséquence, l'unité de l'humanité peut être réalisée en ce jour. En vérité ceci n'est rien d'autre qu'une des merveilles de cet âge prodigieux, de ce siècle glorieux (6)."

Pendant les longues années d'emprisonnement et de bannissement qui suivirent le refus de Baha'u'llah de servir le programme politique des autorités ottomanes, 'Abdu'l-Baha se vit confier la direction des affaires de la Foi ainsi que la responsabilité de représenter son père. Les échanges avec les autorités locales et provinciales, qui recherchaient ses conseils à propos de problèmes auxquels elles étaient confrontées, constituaient un aspect important de son travail.

Des besoins semblables se présentèrent dans le pays natal du Maître (7). Dès 1875, obéissant aux instructions de Baha'u'llah, 'Abdu'l-Baha adressa aux dirigeants et au peuple de Perse un traité intitulé Le secret de la civilisation divine où il exposait les principes spirituels qui modèleraient leur société à l'âge de la maturité de l'humanité. Les premières lignes enjoignaient au peuple iranien de réfléchir sur la leçon enseignée par l'histoire quant à la clé du progrès social :

"Considérez attentivement : tous ces phénomènes si variés, ces concepts, ce savoir, ces procédés techniques et systèmes philosophiques, ces sciences, arts, industries et inventions, tous sont des émanations de l'esprit humain. Tout peuple qui s'est aventuré plus avant dans cette mer sans rivage a surpassé les autres. Le bonheur et l'orgueil d'une nation résident dans son aptitude à briller tel le soleil dans le ciel du savoir. "Ceux qui possèdent le savoir et ceux qui ne l'ont pas seront-ils traités de même ?(8)" (9)

Le secret de la civilisation divine préfigurait les conseils qui jailliraient sous la plume de 'Abdu'l-Baha au cours des décennies à venir. Après le vide terrible laissé par l'ascension de Baha'u'llah, le Maître ranima et encouragea les croyants persans en les inondant d'un flot d'épîtres. Elles leur fournissaient, non seulement la nourriture spirituelle dont ils avaient besoin, mais aussi les directives pour se frayer une voie à travers le tumulte qui ébranlait l'ordre des choses dans leur pays. Ces messages atteignaient même les plus petits villages, ils répondaient aux requêtes et aux questions des innombrables croyants, ils guidaient, encourageaient et redonnaient confiance. Par exemple, dans une missive adressée aux croyants du village de Kishih, le Maître mentionne le nom de presque cent soixante d'entre eux. Il dit de l'ère qui commençait : "Voici le siècle de lumière", expliquant qu'il fallait comprendre cette image comme l'acceptation du principe d'unité avec ses implications :

"Mon propos est que les bien-aimés du Seigneur doivent considérer tout malveillant comme bienveillant… En d'autres mots, ils doivent fréquenter un ennemi comme s'il était un ami, et traiter un oppresseur comme s'il était un compagnon amical. Ils ne devraient pas s'attarder sur les fautes et les manquements de leurs ennemis ni prêter attention à leur inimitié, leur injustice ou leur tyrannie (10)".

Ce petit groupe de croyants persécutés vivaient dans un coin reculé d'un pays où l'on ne ressentait pratiquement pas les effets de ce qui se passait ailleurs sur le plan social et intellectuel. Aussi est-il tout à fait extraordinaire de voir comment, par cette missive, 'Abdu'l-Baha les appela à élever leur regard au-dessus des préoccupations locales et à considérer les implications de l'unité à l'échelle mondiale :

Ils devraient plutôt regarder tout homme à la lumière de l'appel de la Beauté bénie : toute l'espèce humaine est au service du Seigneur de puissance et de gloire car il a placé la création tout entière sous la coupe de sa parole miséricordieuse et nous a enjoint de faire preuve, à l'égard de tous et sans discrimination, d'amour et d'affection, de sagesse et de compassion, de fidélité et d'unité (11.)

Cet appel du Maître ne concerne pas seulement un nouveau degré de compréhension, mais implique la nécessité de l'engagement et de l'action. Dans ce langage pressant et assuré, on peut sentir le pouvoir qui conduisit les croyants persans à de grandes réalisations, au cours des décennies qui suivirent, à la fois dans la promotion de la Cause à travers le monde et dans l'acquisition d'aptitudes participant au progrès de la civilisation :

"Ô vous les bien-aimés du Seigneur ! Dans la plus grande joie et le plus grand bonheur, servez le monde humain, aimez l'espèce humaine. Détournez votre regard des restrictions et libérez-vous des contraintes car … s'en libérer attire les grâces et les bénédictions divines."

"Ne vous relâchez pas un seul instant ; ne vous accordez pas une minute de répit, pas un moment de repos. Surgissez, telles les lames d'une mer puissante, et rugissez, tel le Léviathan de l'océan d'éternité."

"Tant qu'il y aura une trace de vie dans vos veines, vous devez donc vous efforcer de travailler, de chercher à poser des fondations que le passage des ans et des siècles ne peut miner, et de construire un édifice que le cours des époques et des âges ne peut détruire, un édifice qui résistera à l'épreuve du temps afin d'établir et d'assurer la souveraineté des coeurs et des âmes dans les deux mondes." (12)

Dans le futur, bénéficiant d'un libre accès à la documentation originale, des sociologues étudieront minutieusement la transformation réalisée par le Maître en ces premières années, dans un contexte bien plus libre et plus universel qu'il pourrait l'être aujourd'hui. Bien qu'exilé au loin et harcelé sans cesse par la multitude d'ennemis qui l'entouraient, 'Abdu'l-Baha fut capable, jour après jour, mois après mois, non seulement de stimuler l'expansion de la communauté baha'ie persane, mais aussi de donner forme à sa conscience et à sa vie collective. Le résultat en fut l'émergence, évidemment localisée, d'une culture différente de tout ce que l'humanité avait jamais connu. Notre siècle, avec toutes ses crises et ses prétentions grandiloquentes à créer un ordre nouveau, n'a pas d'exemple comparable à cet usage systématique des compétences d'une seule intelligence pour construire une communauté indépendante et accomplie, considérant le monde lui-même comme son ultime sphère de travail.

Une vie nouvelle s'ouvrit pour la communauté baha'ie de Perse, malgré les atrocités intermittentes qu'elle subissait de la part du clergé musulman et de ses partisans, les différents monarques Qajar étant trop indolents pour lui accorder leur protection. Le nombre des croyants se multiplia dans toutes les régions du pays, des personnes de niveau social élevé adhérèrent, y compris plusieurs membres influents du clergé. Et des institutions administratives embryonnaires émergèrent sous la forme de corps consultatifs rudimentaires. L'importance de ce dernier point, à lui seul, est inexprimable. Une communauté représentant tout un éventail de la société avait rompu avec le passé, elle assumait seule la décision de ses affaires collectives par un procédé de consultation, dans un pays habitué à un système patriarcal séculaire qui concentrait tout le pouvoir de décision entre les mains d'un monarque absolu ou de mujtahids chiites.

Dans la société et la culture développées par le Maître, des énergies spirituelles s'exprimaient dans les sujets concrets traités au quotidien. L'importance qu'il donnait à l'éducation dans ses enseignements généra dans la capitale et en province l'élan nécessaire à la création d'écoles baha'ies, dont l'école Tarbiyat pour filles (13) qui acquit un renom national. Des cliniques et autres installations médicales suivirent avec l'aide de baha'is américains et européens. Dès 1925, des communautés dans un certain nombre de villes instaurèrent des classes d'espéranto, se rendant compte que dans les enseignements baha'is, une certaine forme de langage international auxiliaire devait être adoptée. Un réseau de messagerie, traversant tout le pays, fournit à la communauté baha'ie en lutte pour son existence un service postal rudimentaire qui faisait manifestement défaut au reste du pays. Les changements en cours affectaient les actes les plus ordinaires de la vie quotidienne. Par exemple, les baha'is persans obéissant aux lois du Kitab-i-Aqdas abandonnèrent l'usage des bains publics crasseux, propices à la prolifération d'infections et de maladies, et commencèrent à se doucher avec de l'eau claire.

Tous ces progrès, sociaux, organisationnels ou pratiques devaient leur force motrice à la transformation morale qui se produisait chez les croyants, une transformation qui mettait régulièrement les baha'is au premier rang pour l'attribution de postes de confiance, même aux yeux de ceux qui étaient hostiles à la Foi. Que des changements d'une telle portée puissent séparer si rapidement une portion de la population persane de la vaste majorité hostile qui l'entourait, cela démontre de manière évidente les pouvoirs libérés par l'alliance de Baha'u'llah avec ses disciples, et par la direction assumée par 'Abdu'l-Baha selon les pouvoirs dont cette alliance l'avait seul investi.

Pendant toutes ces années, la vie politique de la Perse connut un tumulte pratiquement incessant. En 1906, Muzaffari'd-Din Shah, successeur immédiat de Nasiri'd-Din Shah, fut contraint d'approuver une constitution. Son successeur, Muhammad-'Ali Shah, eut l'imprudence de dissoudre les deux premiers Parlements, en attaquant au canon dans un cas le bâtiment où l'Assemblée était en session. Le mouvement dit "constitutionnel" qui le renversa et qui obligea Ahmad Shah, le dernier des rois Qajar, à convoquer un troisième Parlement, fut lui-même déchiré par des factions rivales et manipulé sans vergogne par le clergé chiite. Les efforts des baha'is pour jouer un rôle constructif dans ce processus de modernisation furent déjoués à maintes reprises par des factions tantôt royalistes, tantôt populaires qui, guidées toutes deux par le préjugé religieux dominant, ne voyaient dans la communauté baha'ie qu'un bouc émissaire commode. Là encore, seule une époque plus mûre politiquement que la nôtre serait capable d'apprécier l'attitude du Maître qui, montrant l'exemple à suivre lors des futurs défis que la communauté baha'ie rencontrera inévitablement, incita la communauté opprimée à faire tout ce qui était possible pour encourager une réforme politique, et à prendre ses distances lorsque ces efforts étaient cyniquement repoussés.

Pour 'Abdu'l-Baha, ses écrits n'étaient pas le seul moyen d'exercer une influence sur une communauté baha'ie qui se développait rapidement dans le berceau de la Foi. Les croyants persans, contrairement aux Occidentaux, ne se distinguaient pas des populations du Proche-Orient par leurs habits ou leur aspect, de sorte que les voyageurs venant du berceau de la Foi ne soulevaient pas la suspicion des autorités ottomanes. En conséquence, un flot régulier de pèlerins persans fournit à 'Abdu'l-Baha un autre moyen puissant pour inspirer les amis, guider leurs activités et les amener à une compréhension encore plus profonde du dessein de Baha'u'llah. Certaines des personnalités les plus importantes de l'histoire baha'ie de la Perse figuraient parmi les voyageurs qui se rendirent à Acre et retournèrent chez eux prêts à donner leur vie si nécessaire pour la réalisation de la vision du Maître. L'inoubliable Varqa et son fils Ruhu'llah furent au nombre de ces privilégiés, ainsi que Haji Mirza Haydar 'Ali, Mirza Abul'l Fadl, Mirza Muhammad-Taqi Afnan et quatre Mains de la cause éminentes, Ibn-i-Abhar, Haji Mulla 'Ali Akbar, Adibu'l-Ulama et Ibn-i-Asdaq. L'esprit qui soutient aujourd'hui les pionniers persans dans le monde entier et qui anime si bien l'organisation de la vie de la communauté baha'ie remonte à ces jours héroïques, transmis directement de génération en génération. Rétrospectivement, il est évident que le double phénomène d'expansion et de consolidation que nous connaissons aujourd'hui trouve son origine dans ces années merveilleuses.

Inspirés par les paroles du Maître et les récits rapportés de Terre sainte, les croyants persans se levèrent pour entreprendre des voyages d'enseignement en Extrême-Orient. Pendant les dernières années du ministère de Baha'u'llah, des communautés s'étaient établies en Inde et en Birmanie, et la Foi portée jusqu'en Chine ; ce travail s'en trouva renforcé. Dans la province russe du Turkestan, une vigoureuse communauté baha'ie s'était également développée. Là, fut édifiée la première Maison d'adoration du monde (14,) ce projet, inspiré par le
Maître et guidé par ses conseils dès sa conception, témoigne des nouveaux pouvoirs libérés dans la Cause.

Une gamme étendue d'activités s'étirait maintenant de la Méditerranée à la mer de Chine, menée par un noyau sûr et toujours plus important de croyants.
Ces activités servirent de support à 'Abdu'l-Baha pour réaliser les opérations prometteuses qui avaient déjà été amorcées à l'Ouest au début du siècle. Ce support se caractérisait surtout par le fait qu'il englobait l'immense diversité des origines ethniques, religieuses et nationales de l'Orient. Devant les audiences occidentales,
'Abdu'l-Baha y puisa à maintes reprises les exemples qu'il utilisait lors de ses déclarations pour illustrer les forces d'intégration libérées par l'avènement de
Baha'u'llah.

La plus grande victoire de ces premières années fut pour le Maître la construction au prix d'immenses efforts d'un mausolée pour le Bab, à l'endroit même désigné par Baha'u'llah sur le Mont Carmel. Les restes du Bab avaient été transportés en Terre sainte en dépit d'énormes risques et difficultés. Shoghi Effendi a expliqué que si par le passé, le sang des martyrs avait été la semence de la foi individuelle, il constituait, en ce jour, la semence des institutions administratives de la Cause (15.) Une telle conception donne une signification particulière à la façon dont le centre administratif de l'ordre mondial de Baha'u'llah allait prendre forme à l'ombre du tombeau du Prophète-martyr de la foi. Shoghi Effendi place la réalisation du Maître dans une perspective historique mondiale :

Car, tout comme dans le monde de l'esprit, la réalité du Bab a été saluée par l'Auteur de la révélation baha'ie comme "le Point autour duquel gravitent les réalités des prophètes et des messagers", de même, dans ce monde visible, ces restes sacrés constituent le coeur de ce qui peut être considéré comme neuf cercles concentriques (16.)
Shoghi Effendi établit ainsi un parallèle entre les deux mondes, tout en y mettant davantage l'accent sur la position centrale que le Fondateur de notre foi accorde à celui "de qui Dieu a fait procéder la connaissance de tout ce qui fut et qui sera", "le Point premier qui a généré toutes choses créées (17)".

Shoghi Effendi exprime d'une manière émouvante ce que signifiait pour 'Abdu'l-Baha lui-même cette mission qu'il avait accomplie à un si grand prix :

"Lorsque tout fut fini et que la dépouille terrestre du Prophète-martyr de Chiraz fut enfin déposée en sécurité au coeur de la sainte montagne de Dieu, pour son éternel repos, 'Abdu'l-Baha, qui avait enlevé son turban, retira
ses chaussures et, rejetant son manteau, s'inclina bien bas sur le sarcophage encore ouvert. Sa chevelure argentée ondoyant autour de sa tête, le visage transfiguré et lumineux, il appuya son front sur le bord du cercueil de bois et, sanglotant avec force, il versa tant de larmes que tous ceux qui étaient présents pleurèrent avec lui. Cette nuit-là, il ne put dormir, tant l'émotion le terrassait (18)".

En 1908, la révolution dite "des jeunes-turcs" avait libéré la plupart des prisonniers politiques de l'empire ottoman, ainsi que 'Abdu'l-Baha. Brusquement, étaient levés les interdits qui l'avaient tenu confiné dans la ville prison d'Acre et ses alentours immédiats. Le Maître se trouva alors en mesure d'entreprendre une oeuvre que Shoghi Effendi devait décrire plus tard comme l'un des trois accomplissements majeurs de son ministère : la proclamation publique de la cause de Dieu dans les métropoles du monde occidental.

*

Les récits des voyages historiques du Maître ont quelquefois tendance à négliger l'importance de la première année passée en Égypte, à cause du caractère spectaculaire des événements qui se produisirent en Amérique du nord et en Europe. 'Abdu'l-Baha arriva en Égypte en septembre 1910 avec l'intention de rejoindre directement l'Europe, mais une maladie le contraignit à résider à Ramleh, un faubourg d'Alexandrie, jusqu'en août de l'année suivante. En fait, ces mois se révélèrent d'une grande richesse et leur effet sur la destinée de la Cause allait être ressenti pendant de longues années, tout particulièrement sur le continent africain. Sans doute, la voie avait-elle été préparée, dans une certaine mesure, par la vive admiration de Shaykh Muhammad 'Abduh pour le Maître qu'il avait rencontré à plusieurs reprises à Beyrouth. Il devint par la suite mufti d'Égypte et une des principales personnalités de l'université Al-Azhar.

C'est à l'occasion de ce séjour en Égypte qu'eut lieu la première proclamation publique du message de la Foi, et cela mérite une attention particulière. L'atmosphère plutôt cosmopolite et libérale qui régnait à l'époque au Caire et à Alexandrie permit des discussions franches et approfondies entre le Maître et des figures importantes du monde intellectuel de l'islam sunnite. Parmi ses interlocuteurs, il y avait des membres du clergé, des parlementaires, des administrateurs et des aristocrates. En outre, des rédacteurs et des journalistes de périodiques influents en langue arabe qui puisaient jusque-là leur information sur la Cause dans des rapports tendancieux émanant de Perse et de Constantinople, avaient maintenant la possibilité de connaître les faits par eux-mêmes. Des publications qui avaient été ouvertement hostiles changèrent de ton. Les éditeurs d'un de ces journaux commencèrent un article sur l'arrivée du Maître en faisant référence à "Son Eminence Mirza 'Abbas Effendi, docte dirigeant des baha´is d'Acre et autorité suprême pour les baha'is du monde entier" et en appréciant à sa juste valeur sa visite à Alexandrie (19). Dans cet article et dans d'autres, un hommage particulier était rendu à la fois à 'Abdu'l-Baha pour sa profonde connaissance de l'islam et aux principes d'unité et de tolérance religieuse qui reposent au coeur de ses enseignements.

L'interlude égyptien s'avéra être une grande bénédiction en dépit de la mauvaise santé du Maître qui en était la cause. Des diplomates et des hauts fonctionnaires occidentaux furent les observateurs directs du succès extraordinaire des échanges entre 'Abdu'l-Baha et les notables, dans une région du Proche-Orient à laquelle on portait un vif intérêt dans les cercles européens. En conséquence, quand le Maître embarqua pour Marseille le 11 août 1911, sa renommée l'avait précédé.


III.

UNE LETTRE ARDRESSÉE par 'Abdu'l-Baha à un croyant américain en 1905 contient une déclaration aussi claire que touchante. 'Abdu'l-Baha y fait référence à sa situation après l'ascension de Baha'u'llah, il parle d'une lettre qu'il avait reçue d'Amérique à "un moment où déferlait un océan d'épreuves et de tribulations..."

"Tel était notre état, lorsque nous parvint une lettre des amis américains. Ils s'étaient engagés - écrivaient-ils - à s'accorder en toutes choses et… à consentir des sacrifices dans le chemin de l'amour de Dieu pour atteindre ainsi la vie éternelle. Au moment précis où il lut cette lettre et le nom des signataires, 'Abdu'l-Baha éprouva une joie si intense qu'aucune plume ne saurait la décrire… (20)"

Il est vital que les baha'is d'aujourd'hui comprennent les circonstances dans lesquelles la Cause s'est étendue à l'Ouest, et ceci pour de nombreuses raisons. Cela nous permet de nous détacher d'une culture de communication banale et importune, devenue si courante dans la société d'aujourd'hui qu'elle passe presque inaperçue. Cela attire notre attention sur la finesse avec laquelle le Maître choisit de présenter à ses auditoires occidentaux les concepts révélés par Baha'u'llah concernant la nature et la société humaines, concepts révolutionnaires dans leurs implications et débordant le champ d'expérience de ses auditeurs. Cela explique la délicatesse avec laquelle il utilisait des métaphores ou se basait sur des exemples historiques, son approche souvent indirecte, l'intimité qu'il savait créer à volonté et la patience apparemment infinie avec laquelle il répondait aux questions dont beaucoup se fondaient sur une vision de la réalité dépassée depuis longtemps.

L'examen impartial du contexte historique dans lequel le Maître prenait la parole en Occident permet aussi à notre génération d'apprécier la grandeur spirituelle de ceux qui répondirent à son appel. Ces âmes entendirent ses appels en dépit et non à cause du monde dans lequel elles vivaient, un monde libéral en avance sur le plan économique, un monde que certainement elles chérissaient et appréciaient et où elles n'avaient d'autre choix que de continuer à vivre au quotidien. Leur réponse provenait d'un niveau profond de la conscience, là où naissait, quelquefois bien faiblement, le besoin désespéré de l'humanité pour un éveil spirituel. Pour rester fermes dans leur engagement, elles durent résister non seulement aux pressions familiales et sociales, mais aussi à la rationalisation facile d'une conception du monde dans laquelle elles avaient été élevées et à laquelle tout, autour d'elles, les exposait avec insistance. Les fondations de la plupart des communautés baha'ies d'aujourd'hui, en Occident comme dans beaucoup d'autres pays, furent édifiées sur le sacrifice de ces croyants de la première heure. Leur fermeté avait un goût d'héroïsme aussi émouvant à sa manière que celui de leurs coreligionnaires persans, affrontant dans le même temps persécution et mort pour la Foi qu'ils avaient embrassée.

Au premier plan des occidentaux qui répondirent à l'appel du Maître, se trouvaient les petits groupes de croyants intrépides salués par Shoghi Effendi du nom de "pèlerins ivres de Dieu". Ils eurent le privilège de rendre visite à 'Abdu'l-Baha dans la ville prison d'Acre, de constater par eux-mêmes le rayonnement de sa personne et d'entendre de ses propres lèvres des mots qui avaient le pouvoir de transformer la vie de l'homme. May Maxwell exprima ainsi l'effet produit sur ces croyants :

"De cette première rencontre... je ne me remémore ni joie ni peine, ni rien que je puisse exprimer. J'ai été transportée brusquement à une trop grande hauteur ; mon âme est entrée en contact avec l'Esprit divin et cette force si pure, si sainte, si puissante, m'a terrassée... (21 )"

Shoghi Effendi explique que leur retour chez eux fut "le signal d'un déferlement d'activités systématiques et soutenues qui... étendirent leurs ramifications sur l'Europe occidentale, les États et les provinces du continent nord américain...."22 Le Maître adressa un flot de lettres à des destinataires de chaque côté de l'Atlantique. Par ces messages qui ouvraient leur pensée aux concepts, aux principes et aux idéaux de la nouvelle révélation de Dieu, il nourrit leurs efforts ainsi que ceux des autres croyants et amena à la Cause un nombre croissant de nouveaux adeptes. On perçoit le pouvoir de cette force créatrice dans les mots qu'utilise le premier croyant américain, Thornton Chase, pour décrire ce qu'il voyait :

"Ses propres écrits (ceux du Maître), se déployant telles de blanches colombes depuis le Centre de sa présence jusqu'aux confins de la terre, sont si nombreux - des centaines se déversaient journellement - qu'un temps de réflexion n'avait pu leur être accordé ou que la démarche mentale de l'érudit n'avait pu leur être appliquée. Ces écrits jaillissaient tels les flots d'une source bouillonnante... (23)"

Ces réflexions éclairent davantage encore la détermination avec laquelle le Maître se leva pour entreprendre une aventure si ambitieuse qu'elle effraya bon nombre de ceux qui se trouvaient dans son entourage immédiat. Sans se soucier de l'inquiétude causée par son âge avancé, sa mauvaise santé et ses problèmes physiques après des dizaines d'années d'emprisonnement, il entreprit une série de voyages qui allaient durer près de trois ans et le conduire finalement jusqu'à la côte pacifique du continent nord américain. En ce début de siècle, les contraintes et les risques des voyages internationaux n'étaient que des obstacles mineurs à la réalisation des objectifs qu'il s'était fixés. Selon Shoghi Effendi :

"Celui qui, selon ses propres termes, était un jeune homme à son entrée en prison et un vieillard lorsqu'il en sortit, qui, de sa vie, n'avait jamais affronté un auditoire public, qui n'avait pas été à l'école, n'avait jamais fréquenté les milieux occidentaux et n'était pas familiarisé avec leurs coutumes et leurs langages, celui-là s'était levé, non seulement pour proclamer du haut des chaires et des tribunes, dans quelques-unes des principales capitales d'Europe et dans les grandes villes de l'Amérique du nord, les vérités particulières contenues dans la religion de son père, mais aussi pour démontrer l'origine divine des prophètes venus avant lui et pour dévoiler la nature du lien qui les rattachait à cette religion (24)"

*

Pour le premier acte de cette tragédie, on n'aurait pu rêver de scène plus brillante que Londres, capitale de l'empire le plus vaste et le plus cosmopolite que le monde ait jamais connu. Pour ces petits groupes de croyants qui avaient pris toutes leurs dispositions et attendaient avec impatience de voir son visage, le voyage fut un triomphe dépassant de loin leurs espoirs les plus fous. Notables, savants, écrivains, éditeurs, industriels, chefs de mouvements réformistes, membres de l'aristocratie britannique et membres influents du clergé de différentes confessions, tous le recherchèrent ardemment, ils l'invitèrent à leurs tribunes, dans leurs classes et leurs maisons, à parler en chaire, et montrèrent qu'ils appréciaient les idées qu'il exposait. Le dimanche 10 septembre 1911, le Maître parla pour la première fois en public du haut de la chaire du Temple de la Cité. Ses mots évoquèrent pour ses auditeurs la vision d'une ère nouvelle dans l'évolution de la civilisation :

"Ceci est un nouveau cycle du pouvoir humain. Tous les horizons du monde sont lumineux et en vérité le monde deviendra pareil à un jardin et à un paradis... Vous êtes délivrés des anciennes superstitions qui ont maintenu les hommes dans l'ignorance, détruisant les fondations de la véritable humanité."

"Le don de Dieu en cet âge illuminé est la connaissance de l'unicité de l'humanité et de l'unicité fondamentale de la religion. La guerre cessera entre les nations, et par la volonté de Dieu, la plus grande paix viendra ; le monde sera perçu comme un nouveau monde et tous les hommes vivront comme des frères." (25)

Après un séjour supplémentaire de deux mois à Paris et un hiver à Alexandrie pour retrouver ses forces, 'Abdu'l-Baha reprit la mer le 25 mars 1912 à destination de la ville de New York où il arriva le 11 avril de la même année. Ne serait-ce que sur un simple plan physique, ce programme composé de centaines de conférences publiques, discours et causeries privées dans plus de quarante villes d'Amérique du nord et dix-neuf autres en Europe - dont certaines visitées plusieurs fois - constitue une prouesse probablement sans équivalent dans l'histoire moderne. Sur les deux continents, et particulièrement en Amérique du nord, 'Abdu'l-Baha reçut un accueil très favorable de la part d'auditoires brillants, passionnés par des sujets comme la paix, les droits des femmes, l'égalité raciale, la réforme sociale et le développement de la moralité. Presque quotidiennement, ses causeries et ses interviews furent largement couvertes par des journaux à grande diffusion. Lui-même écrivit plus tard qu'il avait ... "vu toutes les portes s'ouvrir ... et le merveilleux pouvoir du Royaume de Dieu éliminer tout obstacle et entrave" (26)

La sincérité avec laquelle il fut reçu autorisa 'Abdu'l-Baha à proclamer sans ambiguïté les principes sociaux de la nouvelle révélation. Shoghi Effendi résume ainsi les vérités exposées :

"Voici les éléments essentiels du système divin qu'il fit connaître aux grands penseurs ainsi qu'au public en général, au cours de ces missions : la recherche indépendante de la vérité, délivrée des entraves de la superstition ou de la tradition, l'unité du genre humain, principe crucial et doctrine fondamentale de la foi, l'unité qui existe à la base de toutes les religions, la condamnation de toutes les formes de préjugés, qu'ils soient religieux, raciaux, sociaux ou nationaux, l'harmonie qui doit régner entre la religion et la science, l'égalité entre l'homme et la femme qui sont les deux ailes permettant à l'humanité de prendre son essor, l'instauration de l'éducation obligatoire, l'adoption d'une langue auxiliaire universelle, l'abolition de l'extrême richesse et de l'extrême pauvreté, la création d'un tribunal mondial chargé de régler les différends entre les nations, l'élévation du travail au rang d'adoration lorsqu'il est exécuté dans un esprit de service, celle de la justice en principe souverain dans la société humaine, et celle de la religion comme rempart protecteur pour tous les peuples, enfin l'établissement d'une paix permanente et universelle, but suprême de l'humanité (27)"

Au coeur de son message, le Maître annonçait qu'était arrivé le jour promis depuis longtemps, le jour de l'unification de l'humanité et de l'établissement du royaume de Dieu sur la terre. Ce royaume que dévoile 'Abdu'l-Baha dans ses lettres et causeries ne doit absolument rien aux conceptions du monde de l'au-delà courantes dans les enseignements de la religion traditionnelle. En fait, le Maître proclamait que l'humanité atteindrait bientôt sa maturité et il affirmait l'émergence d'une civilisation mondiale. Dans cette civilisation, le développement de la gamme complète des potentialités humaines serait le fruit de l'interaction entre les valeurs spirituelles universelles et des progrès matériels dont on n'avait même pas encore osé rêver.

Il disait que les moyens permettant d'accomplir ce dessein existaient déjà. Ce qu'il fallait c'était la volonté pour agir et la foi pour persévérer :

"Nous savons tous que la paix internationale est bonne, qu'elle est source de vie, mais que la volonté et l'action sont nécessaires. Ce siècle étant le siècle de lumière, il garantit l'aptitude à réaliser la paix. Il est certain que
ces idées se répandront largement parmi les hommes et seront traduites en actes (28)."

Les principes de la nouvelle révélation furent exposés sans concession dans les rencontres tant privées que publiques tout en étant expliqués avec une courtoisie et une signification sans faille. Les actions du Maître étaient toujours aussi éloquentes que ses paroles. Aux États-Unis par exemple, rien n'aurait pu communiquer plus clairement la croyance des baha'is dans l'unicité de la religion que la facilité avec laquelle 'Abdu'l-Baha incluait des références au prophète Muhammad dans ses discours à des audiences chrétiennes, et l'énergie qu'il dépensait à défendre l'origine divine du christianisme et de l'islam face à la congrégation du Temple Emanu-El à San Francisco. Sa capacité à faire naître chez des femmes de tous âges l'assurance qu'elles possédaient des aptitudes spirituelles et intellectuelles absolument égales à celles des hommes, sa démonstration sans provocation du sens des paroles de Baha'u'llah sur l'unité du genre humain lorsqu'il accueillait à sa propre table et à celle de ses illustres hôtesses des invités noirs et des invités blancs, et l'accent qu'il mettait sur l'importance primordiale de l'unité dans les actions des baha'is, tous ces témoignages sur l'interaction des aspects spirituels et pratiques de la vie ouvrirent aux croyants les fenêtres de tout un nouveau monde de perspectives. Ces défis étaient énoncés avec un grand esprit d'amour inconditionnel qui parvint à vaincre les peurs et les incertitudes de ceux à qui le Maître s'adressait.

Le temps et l'énergie que consacrait le Maître à approfondir chez les croyants leur compréhension des vérités spirituelles de la révélation de Baha'u'llah étaient plus importants que l'effort déployé pour proclamer la Cause, ville après ville, du point du jour jusque tard dans la soirée ; les heures qui n'étaient pas consacrées à l'aspect public de sa mission étaient utilisées pour répondre aux questions des amis, aller à la rencontre de leurs besoins et leur insuffler un esprit de confiance dans leur contribution individuelle à la promotion de la cause qu'ils avaient embrassée. Lors de sa visite à Chicago, 'Abdu'l-Baha posa de ses propres mains la pierre angulaire de la première Maison d'adoration occidentale. Ce projet s'inspirait de celui déjà lancé à 'Ishqabad et que 'Abdu'l-Baha encourageait également depuis le moment de sa conception.

"Le Mashriqu'l-Adhkar est une institution des plus vitale dans le monde qui possède de nombreuses branches annexes. Tout en étant une Maison d'adoration, il est également associé à un hôpital, un dispensaire, un relais accueillant les voyageurs, une école pour orphelins et un centre universitaire de perfectionnement... Je souhaite que ce Mashriqu'l-Adhkar soit établi en Amérique et que soient mis en place progressivement l'hôpital, l'école, l'université, le dispensaire et le relais, et qu'ils fonctionnent avec méthode et efficacité (29)."

Seuls les historiens du futur pourront juger adéquatement de la puissance créatrice de ces voyages en Occident, de la même manière qu'ils jugeront le processus qui se déroulait simultanément en Perse. Ainsi qu'en témoignent lettres et mémoires, les rencontres, même brèves, avec le Maître allaient soutenir d'innombrables baha'is occidentaux, tout au long des années d'effort et de sacrifice qui suivirent, alors qu'ils luttaient pour développer et consolider la Foi. Sans cette intervention du Centre de l'alliance lui-même, il est difficile d'imaginer que ces petits groupes de croyants aient pu saisir si rapidement ce que la Cause attendait d'eux et entreprendre les tâches écrasantes alors en jeu. Ils manquaient en effet cruellement de cet héritage spirituel que leurs coreligionnaires persans tiraient de la longue implication de leurs parents et grands-parents dans les événements héroïques des babis et dans l'histoire baha'ie des premiers temps.

'Abdu'l-Baha demandait à ses auditeurs de devenir les agents aimants et confiants d'un important processus civilisateur dont le pivot était la reconnaissance de l'unité du genre humain. Il garantit qu'en entamant leur mission ils trouveraient, libérées à la fois en eux-mêmes et dans les autres, les capacités tout à fait nouvelles dont Dieu a doté les hommes en ce jour.

"Soyez l'âme même du monde, l'esprit de vie dans le corps des enfants des hommes. En cet âge merveilleux, en ce temps où l'ancienne Beauté, le plus grand Nom, porteur d'innombrables bénédictions, s'est élevé au-dessus de l'horizon terrestre, la parole de Dieu a infusé dans l'essence même de l'humanité un pouvoir si impressionnant qu'il a par sa puissance triomphante, rassemblé les peuples au sein d'un vaste océan d'unité, neutralisant les effets des caractéristiques naturelles des hommes (30)."

Plus que tout autre chose, l'unité qu'ils établirent entre eux témoigne remarquablement de la réponse des croyants à cet appel, une unité qui n'empêchait nullement des méthodes individuelles originales pour exprimer les vérités de la Foi. La relation entre l'individu et la communauté a toujours été une des plus grandes gageures de l'évolution de la société. La lecture, même superficielle, des récits de la vie des premiers baha'is occidentaux suffit pour se rendre compte de la forte individualité qui caractérisait beaucoup d'entre eux, surtout les plus actifs et les plus créatifs. C'était souvent après une étude approfondie de divers mouvements spirituels et sociaux de l'époque qu'ils trouvaient la Foi, et cette grande compréhension des soucis et des intérêts de leurs contemporains a certainement contribué à faire d'eux des enseignants de la Foi aussi efficaces. Il est clair cependant que leur grande variété d'expressions et de compréhensions ne les a pas empêché, ni eux ni leurs coreligionnaires, de participer à l'édification d'une unité collective qui était le principal attrait de la Cause. Comme le disent clairement les mémoires et les récits historiques de la période, le secret de cet équilibre entre l'individu et la communauté était le lien spirituel reliant tous les croyants aux paroles et à l'exemple du Maître. Dans le sens fort du terme 'Abdu'l-Baha était, pour eux tous, la cause baha'ie.

Seul un petit nombre de ceux qui avaient accepté la Foi - et un nombre infiniment plus petit encore dans les auditoires qui affluaient pour écouter ses paroles - a retiré de ces occasions inestimables, d'avantage qu'une faible compréhension des implications du message de 'Abdul'l-Baha. C'est un fait que toute étude objective de sa mission en Occident doit prendre en compte. Mesurant ces limites chez ses auditeurs, 'Abdul'l-Baha n'hésita pas, dans ses relations avec les croyants occidentaux, à engager des actions qui les appelaient à un niveau de conscience bien au-delà du simple libéralisme social ou de la tolérance. Par exemple, il encouragea, de manière spectaculaire et néanmoins modérée, le mariage de Louis Gregory et de Louise Mathews - l'un noir, l'autre blanche. Cette initiative servit de modèle à la communauté baha'ie américaine et lui donna le sens véritable de l'intégration raciale, même si ses membres se sont montrés timides et lents à répondre aux implications essentielles de ce défi.

Sans avoir une compréhension profonde des objectifs du Maître, ceux qui avaient accepté son message mirent en pratique les principes qu'il avait enseignés, quoi qu'il leur en coûtât. Les principes concernant le progrès de la civilisation avaient fait une très forte impression, en particulier l'engagement à la cause de la paix mondiale, l'abolition des extrêmes de richesse et de pauvreté qui sapaient l'unité de la société, la victoire sur les préjugés de nationalité, de race, etc., le soutien d'une éducation égale pour les garçons et les filles, et la nécessité de secouer les chaînes des dogmes anciens qui interdisaient la recherche de la vérité. Combien d'auditeurs du Maître, s'il en fut, ont saisi - auraient peut-être pu saisir - que seul un changement révolutionnaire dans la structure même de la société et la soumission délibérée de la nature humaine à la loi divine peuvent, en dernière analyse, produire les changements de comportement nécessaires.

*

Peu après son arrivée en Amérique du nord, 'Abdul'l-Baha donna la clé de cette vision de la transformation future de la vie individuelle et sociale de l'humanité lorsqu'il proclama l'alliance de Baha'u'llah et le rôle primordial que lui-même avait été appelé à y jouer. Selon les propres mots du Maître :

"L'ordonnance et la nomination du Centre de l'alliance sont la principale caractéristique de la révélation de Baha'u'llah, une spécificité qui n'existe chez aucun des prophètes du passé. Par cette nomination et cette disposition, il a protégé la religion de Dieu des divisions et des schismes, rendant impossible pour quiconque de créer une nouvelle secte ou une nouvelle école de croyance (31)."

'Abdu'l-Baha choisit la ville de New York et la désigna comme "la ville de l'Alliance", pour y dévoiler aux croyants occidentaux le nom de celui à qui le Fondateur de leur foi avait transmis l'autorité pour l'interprétation définitive de sa révélation. En vue de cette annonce historique, le Maître demanda à une croyante éminente, Lua Getsinger, de préparer le groupe de baha'is qui s'étaient rassemblés dans la maison où il résidait temporairement. Il vint au-devant d'eux et parla en termes généraux de quelques-unes des implications de l'Alliance. Juliet Thompson, qui s'était trouvée avec un des interprètes persans dans la chambre du haut au moment où cette tâche avait été confiée à son amie, a laissé un récit de ces évènements. Elle cite 'Abdu'l-Baha :

"… Je suis l'Alliance, nommé par Baha'u'llah. Et personne ne peut récuser sa parole. C'est le testament de Baha'u'llah. Vous le trouverez dans le Livre saint, l'Aqdas. Allez proclamer : "l'alliance de Dieu est parmi vous" (32)."

L'alliance conçue par Baha'u'llah pour être l'instrument qui devait, selon les mots de Shoghi Effendi, "perpétuer l'influence de la Foi, assurer son intégrité, la préserver des schismes et stimuler son expansion mondiale (33)", cette alliance avait été violée par des membres de la propre famille de Baha'u'llah, presque immédiatement après son ascension. Lorsque ces individus constatèrent que l'autorité dont était investi le Maître dans le Kitab-i-'Ahd, dans la Tablette de la Branche et divers documents connexes, frustrait leurs espoirs secrets de tourner la Cause à leur avantage, ils entreprirent une campagne obstinée pour saper sa position, d'abord en Terre sainte puis en Iran où le gros de la communauté baha'ie était concentré. Quand ces manigances échouèrent, ils tâchèrent alors d'utiliser les craintes du gouvernement ottoman et l'avarice de ses représentants en Palestine. Cet espoir s'effondra également quand "la révolution des jeunes-turcs" renversa le régime de Constantinople. Quelque trente et un de ses notables furent pendus dont certains étaient impliqués dans les plans des briseurs d'alliance.

En Occident, pendant les premières années du ministère du Maître, des représentants qu'il avait envoyés avaient déjà contrecarré avec succès les machinations d'Ibrahim Khayru'llah, qui, ironie du sort, avait amené nombre de croyants américains à la Cause. Il avait voulu s'assurer une position de pouvoir en s'associant à des briseurs d'alliance de la sainte famille. Tout cela avaient sans aucun doute préparé les croyants à la proclamation solennelle faite par le Maître de son rang et à la fermeté avec laquelle il leur enjoignit d'éviter tout contact avec de tels agents de division : " Certaines âmes faibles, capricieuses, méchantes et ignorantes… se sont efforcées de détruire l'Alliance et le Testament divins, de troubler l'eau claire afin de pouvoir y pécher (34)". Alors que les nouvelles communautés luttaient pour vaincre les différences d'opinions et résister à l'éternelle tentation humaine de l'esprit de discorde, ce n'est que progressivement que les implications de cette grande loi d'organisation de la nouvelle "dispensation" allaient émerger.

Dans ses discours publics et ses discussions privées, le Maître déployait la vision d'un monde d'unité et de paix que la révélation de Dieu pour aujourd'hui ferait naître, et mettait aussi vigoureusement en garde contre des dangers qui se profilaient déjà à l'horizon, pour la Foi et pour le monde. Selon les termes de Shoghi Effendi, 'Abdu'l-Baha prévoyait pour tous deux un "hiver d'une sévérité sans précédent".

En ce qui concerne la cause de Dieu, cet hiver-là devait entraîner de déchirantes trahisons de l'Alliance. En Amérique du nord, l'inconstance d'un petit nombre d'individus, frustrés dans leur aspiration au pouvoir, restait une source constante de difficulté pour la communauté, sapant la foi de certains et causant pour d'autres l'abandon de toute participation. En Perse également, la foi des amis était mise à l'épreuve de façon répétée par les intrigues d'individus ambitieux qui tout à coup pensaient voir des possibilités de se mettre en avant dans les succès des réalisations du Maître en Occident. Dans les deux cas, les conséquences de ces défections furent finalement d'affermir la dévotion des croyants fidèles.

C'est en termes inquiétants que 'Abdu'l-Baha annonçait la catastrophe qu'il voyait approcher pour l'humanité en général. Il ne laissa aucun doute à ses auditeurs quant à l'importance du danger, et mit l'accent sur l'urgence des efforts de réconciliation qui pourraient alléger dans une certaine mesure la souffrance des peuples du monde. Dans l'un des plus importants journaux de Montréal, qui couvrait en détail le voyage, on pouvait lire :

"Toute l'Europe est un camp armé. Ces préparations belliqueuses aboutiront nécessairement à une grande guerre. Les armements eux-mêmes sont source de guerre. Ce grand arsenal doit exploser. Il n'y a rien de prophétique en cela, dit 'Abdu'l-Baha, c'est basé sur la simple observation (35)."

Le 5 décembre 1912, celui qui avait été acclamé dans toute l'Amérique du nord comme "l'apôtre de la Paix" prit la mer à New-York pour Liverpool. Après des séjours relativement brefs à Londres et dans d'autres villes britanniques, il se rendit dans différentes cités sur le continent, consacrant de nouveau plusieurs semaines à Paris. Là, le Maître pouvait disposer des services d'Hippolyte Dreyfus dont la connaissance de l'arabe et du persan écrits répondait à ses besoins. Paris, capitale culturelle reconnue de l'Europe continentale, était le lieu de convergence pour les visiteurs en provenance de plusieurs parties du monde, y compris de l'Orient. Pendant ses deux longues visites dans la capitale, les causeries qu'il anima faisaient souvent référence aux grands sujets sociaux discutés ailleurs, et il semble qu'elles se distinguaient surtout par une spiritualité intime qui a dû toucher profondément le coeur de ceux qui eurent le privilège de le rencontrer :

"Portez vos regards au-delà de l'époque actuelle et regardez l'avenir avec les yeux de la foi. Aujourd'hui la semence est en terre, le grain tombe sur le sol ; et voyez, le jour viendra où il donnera un arbre resplendissant aux branches chargées de fruits. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, car ce jour se lève, tachez d'en apprécier la puissance car, véritablement, c'est un jour merveilleux (36)."

Le matin du 13 juin 1913, 'Abdu'l-Baha embarquait à Marseille sur le S.S. Himalaya qui devait arriver à Port Saïd, en Égypte, quatre jours plus tard. "Ses voyages historiques", comme les appela Shoghi Effendi, s'achevèrent avec son retour à Haïfa le 5 décembre 1913.

*

Deux ans, presque jour pour jour, après la déclaration de 'Abdu'l-Baha à l'éditeur du Montréal Daily Star, ce monde qui avait joui d'un sentiment d'assurance si enivrant et dont les fondations avaient paru inébranlables s'effondra brusquement. Selon l'opinion populaire, la catastrophe est associée au meurtre, à Sarajevo, de l'héritier du trône de l'empire austro-hongrois. Il est certain que le cortège de bévues, de menaces imprudentes et d'appels irresponsables à "l'honneur" qui menèrent directement à la première guerre mondiale fut déclenché par cet événement relativement mineur. En réalité, comme le Maître l'avait fait remarquer, certains signes avant-coureurs de cette toute première décennie du siècle aurait dû alerter les dirigeants européens de la fragilité de l'ordre existant.

Dans les années 1904-1905, les empires japonais et russe étaient entrés en guerre avec une violence telle qu'elle mena à la destruction de la presque totalité des forces navales de ce dernier et à la reddition de territoires vitaux pour ses intérêts, une humiliation qui devait avoir des répercussions internes et internationales de longue durée. À deux reprises, au cours de ces premières années du siècle, une guerre entre la France et l'Allemagne, à cause de projets impérialistes en Afrique du nord, fut évitée de justesse grâce à l'intervention intéressée d'autres Puissances. En 1911, les ambitions italiennes provoquèrent également une menace dangereuse pour la paix mondiale, avec l'annexion de la Libye actuelle qui dépendait alors de l'empire ottoman. L'engagement de l'Allemagne dans un programme intensif de constructions navales destiné à éliminer la suprématie britannique acceptée jusque-là, accentua l'instabilité du monde, ce que le Maître avait également signalé.

Les peuples soumis par les Romanov, les Habsbourg et l'Empire ottoman créaient des tensions qui exacerbaient ces conflits. Les peuples baltes, polonais, tchèques, serbes, grecs, albanais, bulgares, roumains, kurdes, arabes, arméniens, et beaucoup d'autres attendaient avec impatience le jour de leur libération, en espérant le tournant des événements qui briserait l'étreinte des systèmes vétustes qui les étouffaient. Toutes sortes de conspirations, de groupes de résistance et d'organisations séparatistes exploitaient inlassablement ce réseau de fissures dans l'ordre existant. Inspirées par des idéologies allant de l'anarchie presque incohérente d'un côté au racisme exacerbé et aux obsessions nationalistes de l'autre, ces forces clandestines partageaient une conviction naïve : si on pouvait abattre, d'une façon ou d'une autre, cette partie spécifique de l'ordre dominant qui était devenue leur cible, alors, la noblesse inhérente à l'autre partie de l'humanité qui encourageait leurs buts, ou la noblesse présumée de l'humanité en général, assurerait d'elle-même une nouvelle ère de liberté et de justice.

Seul, parmi ces prétendus agents de changements radicaux, un mouvement aux fondations solides avançait, méthodiquement et avec des desseins clairs et impitoyables, vers son objectif de révolution mondiale. Puisant dans les écrits de Karl Marx, idéologue du XIXe siècle, son élan intellectuel et sa confiance inébranlable en une victoire finale, le parti communiste avait réussi à établir des groupes de partisans dévoués dans toute l'Europe et divers autres pays. Le mouvement communiste soutenait que le génie de son maître avait incontestablement démontré la nature avant tout matérielle des forces qui avaient éveillé la conscience humaine et permit l'organisation sociale. Aussi rejeta-t-il la validité de la religion et des règles de la morale bourgeoise. À ses yeux, croire en Dieu était une faiblesse névrotique des hommes, une faiblesse qui avait simplement permis aux classes dirigeantes successives de faire de la superstition un instrument pour asservir les masses.

Pour les dirigeants du monde, qui marchaient aveuglément vers la conflagration universelle que l'orgueil et la folie avaient amorcée, les grands progrès accomplis par la science et la technologie représentaient surtout un moyen d'obtenir un avantage militaire sur leurs rivaux. Les adversaires européens de ces nations n'étaient pas néanmoins les populations coloniales misérables et en grande partie illettrées qu'ils avaient pu soumettre. La fausse confiance que les armes inspiraient menait inexorablement à une course pour équiper les armées de terre et de mer avec les armements les plus modernes, sur la plus grande échelle possible. Des mitraillettes, canons longue portée, cuirassés lourds, sous-marins, mines terrestres, gaz toxiques et la possibilité d'équiper des avions pour lancer des bombes devinrent les éléments de ce qu'un journaliste a nommé la "technologie de la mort (37) ". 'Abdu'l-Baha avait averti que tous ces instruments de destruction seraient déployés et perfectionnés au cours du conflit à venir.

La science et la technologie exerçaient aussi d'autres pressions plus subtiles sur l'ordre établi. Une production industrielle à grande échelle, alimentée par la course aux armements, avait accéléré le mouvement des populations vers les centres urbains. À la fin du siècle précédent, ce phénomène avait déjà commencé à saper le fondement des règles et des modèles hérités. Il exposait un nombre croissant de personnes à de nouvelles idées de changement social et il excitait l'appétit des masses pour des bienfaits matériels qui n'étaient autrefois accessibles qu'à l'élite de la société. Même sous des systèmes de gouvernements relativement arbitraires, la population commençait à percevoir combien l'efficacité de l'autorité civile dépendait de son habilité à gagner un large soutien populaire. Cette évolution sociale allait avoir des conséquences imprévues et d'une grande portée. Alors que la guerre allait s'éterniser et que la croyance irréfléchie dans sa candeur était mise en doute, des millions d'hommes, appelés sous les drapeaux des deux côtés, allaient commencer à s'apercevoir que leurs souffrances n'avaient en elles-mêmes aucun sens et ne généraient aucun bien-être, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs familles.

Au-delà de la portée de ces changements technologiques et économiques, le progrès scientifique semblait encourager des affirmations simplistes à propos de la nature humaine dont le sens était à peine perçu et que Baha'u'llah appela "la noire poussière de la science acquise (38)". Ces opinions superficielles circulaient parmi un public chaque jour plus nombreux. L'autorité des doctrines religieuses reconnues ainsi que celle des règles morales les plus répandues était minée par une presse populaire à sensation, par des débats enflammés entre scientifiques et érudits d'une part, théologiens et membres influents du clergé d'autre part, et dans un même temps, par le développement rapide de l'éducation des masses.

La combinaison des forces sismiques de ce nouveau siècle rendit extrêmement instable la situation qu'affrontait le monde occidental en 1914. Aussi, lorsqu'éclata la grande conflagration, le cauchemar dépassa de loin les pires craintes des esprits réfléchis. Il ne servirait à rien de réexaminer ici le cataclysme de la première guerre mondiale, déjà longuement analysé. Les statistiques dépassent l'entendement de l'esprit humain. On estime à environ soixante millions le nombre d'hommes jetés dans l'enfer le plus horrible que l'histoire ait jamais connu, huit millions d'entre eux ayant péri au cours de la guerre et 10 millions, ou plus encore, handicapés à vie par des mutilations,
des poumons gazés, ou encore effroyablement défigurés (39). Des historiens ont avancé que la dépense totale peut avoir atteint trente milliards de dollars, et qu'une partie substantielle de la richesse totale de l'Europe a été balayée.

Même des pertes aussi massives ne suffisent pas à donner la plus petite idée de l'étendue du désastre. Entre autres considérations, la conscience qu'il avait des dommages moraux à venir empêcha longtemps le président Woodrow Wilson de proposer au Congrès des États-Unis un débat sur la déclaration de guerre, pratiquement inévitable à ce moment-là. La particularité, et non la moindre, de cet homme d'état extraordinaire, dont 'Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi ont tous deux loué la perspicacité, était d'avoir compris que la sauvagerie humaine serait le pire héritage de la tragédie qui engloutissait alors l'Europe, un héritage irréversible (40).

Une réflexion sur l'ampleur des souffrances subies par l'humanité durant les quatre années de guerre - et le recul qui en résulta dans le long et pénible processus de l'évolution de la nature humaine - donne une force tragique aux paroles que le Maître avait adressées, deux ou trois années auparavant, à des auditeurs de villes européennes telles que Londres, Paris, Vienne, Budapest et Stuttgart, ainsi qu'en Amérique du nord. Voici ce qu'il dit un soir, au domicile de M. et Mme Maxwell Sutherland à Montréal :

"Aujourd'hui, le monde des hommes marche dans les ténèbres parce qu'il n'est plus en contact avec le monde de Dieu. C'est la raison pour laquelle on ne peut voir les signes de Dieu dans le coeur humain. Le pouvoir de l'Esprit Saint n'a aucune influence. Quand dans le monde de l'humanité se manifeste une lumière divine et spirituelle, quand apparaissent des directives et des enseignements divins, suit alors l'illumination, se réalise un esprit nouveau, descend une puissance nouvelle, et une nouvelle vie est donnée. On peut comparer cela au passage du règne animal au règne humain… Je vais prier, et vous devez prier aussi pour que ces bienfaits célestes se réalisent, pour que la rivalité et la haine soient bannies, que la guerre et les effusions de sang disparaissent, que les coeurs communient pleinement et que tous les peuples boivent à la même fontaine (41)."

Comme l'ont fait remarquer 'Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi, le traité de paix vindicatif imposé par les Puissances alliées à leurs ennemis vaincus, réussit seulement à semer les graines d'un autre conflit plus terrible encore. Les réparations ruineuses exigées des vaincus et l'injustice commise en leur imposant de reconnaître leur culpabilité dans une guerre dont toutes les parties étaient responsables, à un degré ou un autre, figuraient parmi les facteurs qui allaient préparer certains peuples démoralisés d'Europe à accepter d'un régime totalitaire des promesses d'assistance, ce qu'ils n'auraient peut-être pas envisagé autrement.

En dépit de la sévérité des réparations demandées aux vaincus, les supposés vainqueurs prirent conscience, avec consternation et par une ironie du sort, du fait que leur triomphe et la demande de reddition sans condition qui l'avait amené, étaient d'un prix écrasant. Des dettes de guerre stupéfiantes mirent fin pour toujours à la domination économique que les nations européennes avaient acquise en trois siècles d'exploitation impérialiste du reste de la planète. On peut considérer comme une perte irremplaçable la mort de millions de jeunes hommes dont on aurait eu tellement besoin pour relever les défis des prochaines décennies. Et l'Europe elle-même - qui, seulement quatre petites années auparavant, représentait visiblement le sommet de la civilisation et de l'influence dans le monde - perdit d'un coup cette prééminence ; pendant les décades qui suivirent, elle commença l'inexorable descente vers le statut d'auxiliaire du nouveau centre de pouvoir qui naissait en Amérique du nord.

Il sembla d'abord que la vision du futur qu'avait eue Woodrow Wilson allait se réaliser. Cela fut le cas en partie, lorsque les peuples européens assujettis devinrent maîtres de leurs propres destinées et qu'une série de nouveaux États-nations émergèrent, sortis des ruines des empires qui les avaient précédés. De plus, les "quatorze points" du président dotèrent pour un temps très court ses déclarations publiques d'une grande autorité morale dans l'esprit de millions d'européens, si bien que même ses pairs les plus récalcitrants parmi les chefs d'état alliés, ne purent complètement ignorer ses désirs. En dépit de mois de querelles à propos de colonies, de frontières et de clauses dans le texte de l'accord de paix, le traité de Versailles n'était en fin de compte qu'une forme édulcorée du projet de la Société des nations. On espérait que c que cette institution pourrait régler les différends à venir entre les nations et harmoniser les affaires internationales.

Le commentaire de Shoghi Effendi sur la signification de cette initiative historique nécessite la réflexion de tout baha'i qui cherche à comprendre les évènements de ce siècle tumultueux. Il expose deux faits étroitement reliés entre eux, qui sont associés aux prémices de la paix mondiale, en mettant l'accent sur le fait qu'ils sont "destinés à culminer, quand les temps seront révolus, en un seul glorieux couronnement final (42)". Le premier est décrit par le Gardien comme étant associé à la mission de la communauté baha'ie sur le continent nord-américain ; le second, au destin des États-Unis en tant que nation. Parlant de ce dernier phénomène qui date de la déclaration de la première guerre mondiale, Shoghi Effendi écrit :

"Il reçut son élan initial de la formulation des quatorze points du président Wilson, associant pour la première fois la république au sort du vieux continent. Il essuya son premier échec lorsque cette république se retira de la toute nouvelle Société des nations que le président s'était évertué à créer… Quelque long et tortueux que soit le chemin, il doit toutefois conduire, par une série de victoires et de défaites, à l'unification politique de l'Orient et de l'Occident, à l'émergence d'un gouvernement mondial et à l'établissement de la moindre paix, annoncée par Baha'u'llah et prophétisée par Isaïe. Il doit finalement culminer dans le déploiement de la bannière de la plus grande paix, au cours de l'âge d'or de la révélation de Baha'u'llah (43)."

Le sort de cette réalisation qui avait requis tous les efforts du président américain fut véritablement tragique. Il devint bientôt évident que la Société des nations était mort-née. Elle se composait bien de corps législatif, judiciaire et exécutif, soutenus par une bureaucratie, mais on l'avait privée de l'autorité vitale pour le travail qu'ostensiblement on attendait d'elle. Elle était prisonnière de l'idée d'une souveraineté nationale sans contrainte, héritée du dix-neuvième siècle, et ne pouvait prendre de décision qu'avec le consentement unanime des États membres.

Cette clause écartait tout action efficace (44). En outre, le vide du système fut mis en évidence par le fait que certains des États les plus puissants du monde n'y étaient pas inclus. L'Allemagne avait été rejetée en tant que nation défaite tenue pour responsable de la guerre, on avait initialement refusé l'entrée à la Russie à cause de son régime bolchevique, et les États-Unis eux-mêmes renoncèrent à faire partie de la Société des nations et à ratifier le traité - résultat du sectarisme politique étroit du Congrès. Par une ironie du sort, même les efforts peu enthousiastes pour protéger les minorités ethniques dans les nouveaux États-nations s'avérèrent n'être, en fin de compte, guère plus que des armes utilisées dans les continuels combats fratricides de l'Europe.

En somme, au moment précis de l'histoire de l'humanité où une explosion d'une violence sans précédent ébranlait les remparts du comportement civilisé reçu en héritage, les dirigeants du monde occidental émasculaient l'unique système alternatif de l'ordre mondial, système né de l'expérience de cette catastrophe et qui, seul, pouvait apaiser la souffrance beaucoup plus grande qui allait venir. Selon les paroles prophétiques de 'Abdu'l-Baha : "Paix, Paix... proclament sans cesse les lèvres des potentats et des peuples alors que le feu de haine inassouvie couve encore dans leurs coeurs." Il ajouta en 1920 : "Les maux dont souffre maintenant le monde se multiplieront ; les ténèbres qui l'enveloppent s'épaissiront... Les Puissances vaincues continueront à entretenir l'agitation. Elles auront recours à toutes les mesures qui pourraient ranimer la flamme de la guerre (45)."

*

Alors que l'enfer de la guerre engloutissait la planète, 'Abdu'l-Baha se consacra à la seule grande tâche qui lui restait à accomplir dans son ministère. Il s'agissait d'assurer jusqu'aux confins du monde, la proclamation du message qui avait été négligé, voir même combattu, tant dans la société islamique que dans la société occidentale. Le Plan divin est l'instrument qu'il conçut à cette fin et qu'il exposa en quatorze tablettes importantes, quatre d'entre elles adressées aux communautés baha'ies d'Amérique du nord, les dix autres en annexe, adressées à cinq groupes particuliers de cette communauté. Avec la Tablette à Carmel de Baha'u'llah et le Testament du Maître, les Tablettes du Plan divin constituent selon Shoghi Effendi les trois "chartes" de la Cause. Révélé durant les jours les plus noirs de la guerre, en 1916 et 1917, le Plan divin appelait le petit corps de croyants américains et canadiens d'assumer un rôle directeur dans l'instauration de la cause de Dieu sur toute la planète. La mission qui leur était confiée inspirait une crainte mêlée de respect. Selon les paroles du Maître :

"Voici l'espoir que 'Abdu'l-Baha chérit pour vous : que le même succès qui a marqué vos efforts en Amérique couronne vos entreprises dans les autres parties du monde ; que vous répandiez la renommée de la cause de Dieu à travers l'Orient et l'Occident ; que la venue du Royaume du Seigneur des armées soit proclamée sur les cinq continents de la terre. Dès que les croyants américains auront propagé ce message depuis les rives de l'Amérique à travers les continents d'Europe, d'Asie, d'Afrique, d'Australie et jusque dans les îles du Pacifique, cette communauté sera fermement établie sur le trône d'un empire éternel. Alors, tous les peuples du monde reconnaîtront que cette communauté est guidée par Dieu et qu'elle rayonne de spiritualité. Alors, la terre tout entière résonnera des louanges de sa majesté et de sa grandeur...(46)"

Shoghi Effendi nous rappelle que cette mission historique, qu'il explique comme étant "le droit d'aînesse de la communauté baha'ie nord-américaine (47)", a ses racines dans les paroles des Manifestations jumelles de Dieu pour cet âge de maturité de l'humanité. Elle apparut d'abord dans les paroles du Bab qui appela les "peuples d'Occident" à "sortir de vos cités" pour "aider Dieu avant le jour où le Seigneur de miséricorde descendra vers vous à l'ombre des nuages", et pour devenir "comme de véritables frères dans la religion de Dieu, une et indivisible, exempte de toute distinction... de façon à vous trouver reflétés en eux et eux en vous (48)". Dans ses appels aux "dirigeants d'Amérique et aux présidents de ses républiques", Baha'u'llah lui-même les investit d'un mandat sans équivalent dans les autres discours aux dirigeants du monde : "Des mains de la justice pansez les opprimés et de la verge des commandements de votre Seigneur, l'Ordonnateur, le Très-Sage écrasez l'oppresseur qui prospère (49)" . C'est également Baha'u'llah qui énonça une des plus profondes vérités sur le processus d'évolution de la civilisation : "À l'Est la lumière de sa révélation a point ; à l'Ouest les signes de son autorité suprême sont apparus. Méditez cela en vos coeurs, ô peuples… (50)"

Ainsi que le Gardien devait le dire plus tard, le Plan divin serait "ajourné" jusqu'à ce que le système nécessaire à son exécution ait été créé. Et pourtant 'Abdu'l-Baha avait sélectionné, et mandaté un groupe de croyants pour lancer ce projet, et lui avait donné tout pouvoir. La fin de sa vie approchait rapidement, mais il semble rétrospectivement que ces trois années qui lui restaient après la fin de la guerre mondiale avaient un avant-goût des victoires que la Cause connaîtrait au cours du siècle. La conjoncture avait changé en Terre sainte et le Maître était libre de poursuivre son travail sans entrave, cette nouvelle situation permettait à son intelligence et à son esprit brillants d'exercer leur influence sur des autorités gouvernementales, sur toutes sortes de dignitaires de passage et sur les différentes communautés qui constituaient la population en Terre sainte. En le nommant chevalier, l'autorité mandataire elle-même voulut exprimer son appréciation de l'effet unificateur de son exemple et du travail philanthropique qu'il avait accompli (51). Plus important encore : un flot continu de pèlerins et de lettres adressées aux communautés baha'ies orientales et occidentales stimula le développement du travail d'enseignement et l'approfondissement de la compréhension des amis quant aux implications du message de la Foi.

Les événements qui se produisirent à Haïfa immédiatement après son ascension, aux premières heures du 28 novembre 1921, illustrent de façon spectaculaire et mieux qu'aucun autre, le triomphe spirituel du Maître au Centre mondial de la Foi. Le lendemain, un vaste rassemblement de milliers de personnes, représentant les peuples et les sectes composites de la région, suivit le cortège funéraire en remontant les pentes du Mont Carmel dans un état de sincère désolation, tel que la ville n'en avait jamais vu de pareil auparavant. Il était conduit par des représentants du gouvernement britannique, des membres du corps diplomatique et les chefs de toutes les confessions de la région, dont un grand nombre prit part à la cérémonie dans le mausolée du Bab. Une telle explosion de chagrin, sans retenue et unanime, traduisait le sentiment soudain d'avoir perdu la figure exemplaire qui était le symbole de l'unité dans un pays révolté et divisé. À tous ceux qui pouvaient voir avec leurs yeux, elle se présentait comme l'apologie irrésistible de la véracité de l'unité de l'humanité que le Maître avait inlassablement proclamée.


I V.

AVEC LE DÉCES de 'Abdu'l-Baha, l'âge apostolique de la Cause toucha à sa fin. L'intervention divine avait terminé son travail, débuté soixante dix-sept ans plus tôt, la nuit où le Bab déclarait sa mission à Mulla Husayn - celle-là même où 'Abdu'l-Baha naissait. Selon les paroles de Shoghi Effendi, cela avait été "une période dont les splendeurs éclipsent toute victoire présente ou future, si brillante soit-elle… (52)". Suivront des milliers et des milliers d'années au cours desquelles se développeront progressivement les potentialités que cette force créatrice a implantées dans la conscience humaine.

L'examen de cette conjoncture majeure de l'histoire de la civilisation met la lumière sur cette personne dont la nature et le rôle n'ont pas d'équivalent en six mille ans. Baha'u'llah appelle 'Abdu'l-Baha "le Mystère de Dieu". Pour Shoghi Effendi, il est "le Centre et le Pivot" de l'alliance de Baha'u'llah, "l'Exemple parfait" des enseignements de la révélation de Dieu pour l'âge de la maturité de l'humanité et "le principal Artisan de l'unité de l'humanité". Aucune des révélations divines qui ont donné naissance aux autres grands systèmes religieux enregistrés dans l'histoire ne s'est accompagnée d'un phénomène comparable à sa venue. Elles n'ont toutes été que des étapes préparant l'humanité à sa maturité. 'Abdu'l-Baha fut la création suprême de Baha'u'llah, celle qui rendit possible tout le reste.

Sa manière de comprendre cette vérité incita un baha'i américain perspicace à écrire :

"Arrivait le moment où un message de Dieu devait être dispensé et aucun être humain n'était là pour l'entendre. Aussi Dieu donna-t-il 'Abdu'l-Baha au monde. Et c'est au nom de l'humanité que 'Abdu'l-Baha reçut le message de Baha'u'llah. Il entendit la voix de Dieu ; il fut inspiré par l'esprit ; il arriva à une connaissance parfaite de la signification du message et il engagea les hommes à répondre à la voix de Dieu... Pour moi, c'est cela l'Alliance : le fait qu'il y ait sur cette terre quelqu'un qui soit le modèle d'une race humaine non encore créée. Il n'y avait que des tribus, des familles, des croyances, des classes, etc., mais pas un seul homme sauf 'Abdu'l-Baha, et en tant qu'homme, 'Abdu'l-Baha prit le message de Baha'u'llah pour lui seul et promit à Dieu qu'il amènerait tous les hommes à l'unité et ferait naître une humanité qui pourrait véhiculer les lois de Dieu (53)."

Lorsqu'il commença sa mission, le Maître était prisonnier d'un régime brutal et inculte. Assailli sans répit par des frères sans foi qui en fin de compte ne cherchaient que sa mort, c'est tout seul qu'il fit, par la transformation de la communauté baha'ie persane, la brillante démonstration du développement social que la Cause pouvait produire. Il inspira l'expansion de la Foi en Orient, fit naître des communautés de croyants dévoués en Occident, élabora un plan pour l'épanouissement de la Cause dans le monde entier. Il gagna le respect et l'admiration des grands penseurs partout où son influence se faisait sentir. Et, aux disciples de Baha'u'llah à travers le monde, il fournit un ensemble d'écrits faisant autorité pour les guider et pour les éclairer sur les lois et enseignements de la Foi. Sur les pentes du Mont Carmel, il érigea avec énormément de peine et de difficulté le mausolée abritant les restes du Bab martyrisé, d'où émanent les processus qui détermineront progressivement la vie de notre planète. À travers tout cela, à chaque instant de sa vie remplie de soucis et d'exigences de toutes sortes - une vie sans cesse exposée aux regards de l'ennemi et de l'ami - il s'assura que la postérité posséderait le trésor dont les poètes, les philosophes et les mystiques ont rêvé tout au long des âges, manifestant ainsi une perfection humaine éclatante.

Enfin, 'Abdu'l-Baha s'assura que l'Ordre divin conçu par Baha'u'llah pour l'unification de l'humanité et l'instauration de la justice dans la vie collective de l'humanité, disposerait des moyens nécessaires au dessein de son Fondateur. Deux conditions fondamentales sont indispensables pour que l'unité existe entre les êtres humains, même au niveau le plus élémentaire. Ceux qui sont concernés doivent en premier lieu s'accorder sur la nature de la réalité, car elle affecte les relations qu'ils ont entre eux et avec le monde phénoménal. En second lieu, ils doivent s'accorder sur des moyens notoires et faisant autorité qui permettront de prendre les décisions affectant leurs rapports réciproques et définissant leur objectif commun.

L'unité ne peut se résumer à un état résultant d'un sentiment de bonne volonté mutuelle et de partage d'un objectif commun, aussi profond et sincère qu'il soit, pas plus qu'un organisme n'est une association fortuite et amorphe d'éléments variés. L'unité est un phénomène au pouvoir créatif dont l'existence devient apparente grâce aux effets que produit une action collective et dont l'absence est révélée par l'impuissance de tels efforts. Souvent handicapée par l'ignorance et la perversité, cette force a constitué l'influence première sur le chemin
du progrès de la civilisation, générant des lois, des institutions sociales et politiques, des oeuvres d'art, des réalisations technologiques infinies, des acquisitions morales, une prospérité matérielle, et de longues périodes de paix civile dont les dernières lueurs vécurent dans les mémoires des générations suivantes, tels des rêves d'"âges d'or".

La totalité des potentialités de cette force créative a enfin été libérée et les moyens nécessaires à la réalisation du dessein divin ont été créés grâce à cette révélation de Dieu pour l'âge de maturité de l'humanité. Dans son Testament, "charte" de l'Ordre administratif selon Shoghi Effendi, 'Abdu'l-Baha expose dans le détail la nature et le rôle des institutions jumelles que sont le Gardiennat et la Maison universelle de justice, ses successeurs désignés dont les fonctions complémentaires garantissent l'unité de la cause baha'ie et son couronnement pour la durée de la "dispensation". Il met tout particulièrement l'accent sur l'autorité ainsi transmise :

"Tout ce qu'ils décident vient de Dieu. Quiconque n'obéit pas au Gardien ou à la Maison universelle de justice, n'obéit pas à Dieu ; quiconque se révolte contre lui ou contre elle, se révolte contre Dieu : quiconque s'oppose à lui, s'oppose à Dieu ; quiconque les conteste, conteste Dieu… (54)"

Shoghi Effendi explique ainsi ce texte extraordinaire :

"Notons que l'Ordre administratif établi d'après ce document historique est, en vertu de son origine et de son caractère, unique dans les annales des différentes confessions du monde. On peut affirmer avec sûreté qu'aucun prophète avant Baha'u'llah… n'a établi, avec autorité et par écrit, quoi que ce soit de comparable à l'Ordre administratif que l'interprète autorisé des enseignements de Baha'u'llah a institué, ordre qui … d'une manière qui n'a pas d'équivalent dans les religions du passé, doit protéger et protégera du schisme la foi qu'il a engendrée (55)."

Avant la lecture et la diffusion de ce Testament, la grande majorité des membres de la Foi supposait que le prochain stade de l'évolution de la Cause serait l'élection de la Maison universelle de justice, institution fondée par Baha'u'llah lui-même dans le Kitab-i-Aqdas pour être l'organe directeur du monde baha'i. Il est important pour les baha'is d'aujourd'hui de comprendre que le concept de gardiennat était inconnu de la communauté baha'ie avant ce moment-là. Le monde se réjouit à la nouvelle de la distinction unique que le Maître avait conférée à Shoghi Effendi, et de ce lien ininterrompu avec les Fondateurs de la foi que sa fonction lui conférait. Jusque-là, on n'avait rien perçu de l'intention de Baha'u'llah quant à la mise en place d'une telle institution, ni de sa fonction interprétative - une fonction dont l'importance vitale est devenue évidente depuis et dont, avec le recul, il devient clair qu'elle était implicite dans certains de ses écrits.

Dans la vie de la Cause, le Testament du Maître avait engagé une transformation qui dépassait de loin l'imagination de tous ceux qui vivaient alors, qu'ils soient fidèles ou malintentionnés. "Si vous saviez ce qu'il adviendra après moi, vous prieriez certainement pour que ma fin soit avancée" avait déclaré
'Abdu'l-Baha (56)


V.

LA PLACE DU GARDIENNAT dans l'histoire baha'ie ne sera appréciée à sa juste valeur qu'après un examen objectif des circonstances dans lesquelles la mission de Shoghi Effendi dût s'accomplir. Le fait que la première moitié de son ministère se soit déroulée au milieu des guerres est d'une importance capitale, une période marquée par l'accroissement de l'incertitude et de l'anxiété quant aux affaires humaines sous tous leurs aspects. D'une part, des progrès significatifs avaient été accomplis, qui triomphaient des barrières entre les nations et les classes ; mais d'autre part, l'impuissance politique et la paralysie économique qui en découlait, freinaient grandement les efforts visant à bénéficier de ces ouvertures. On ressentait partout le besoin urgent d'une redéfinition fondamentale de la nature de la société et du rôle que ses institutions devraient jouer, en fait une redéfinition du sens même de la vie.

À la fin de la première guerre mondiale, l'humanité se trouvait à maints égards capable d'explorer des horizons inconnus jusque-là. À travers l'Europe et le Proche-Orient, les systèmes absolutistes qui avaient constitué de puissantes barrières contre l'unité se trouvaient balayés. Et dans une large mesure, les dogmes religieux fossilisés qui avaient soutenu moralement les forces de conflit et d'aliénation étaient remis en question. Des peuples autrefois assujettis se retrouvaient libres de bâtir des plans pour leur futur collectif et d'assumer la responsabilité de leurs relations les uns avec les autres grâce à leur instauration par le traité de Versailles en États-nations. Cette même ingéniosité qui avait présidé à la production d'armes de destruction était maintenant détournée vers les tâches exigeantes mais gratifiantes de l'expansion économique. Les jours les plus noirs de la guerre avaient fait naître des récits poignants, tel l'élan qui avait brièvement poussé les soldats britanniques et allemands à quitter l'abattoir des tranchées pour commémorer ensemble la naissance du Christ, donnant un faible aperçu de l'unité de l'humanité infatigablement proclamée par le Maître au cours de ses voyages sur ce même continent (57). Et par-dessus tout, un extraordinaire effort d'imagination avait permis à l'unification de l'humanité de faire un immense bond en avant. Les gouvernants du monde avaient créé - à leur corps défendant - un système consultatif mondial qui, bien qu'estropié par les intérêts privés, avait donné ses premiers contours à cet idéal d'un ordre international.

Le réveil d'après-guerre s'exprima dans le monde entier. Sous le commandement de Sun Yat-Sen, le peuple chinois s'était déjà libéré du régime impérial décadent qui avait compromis le bien-être du pays, et cherchait à faire renaître la grandeur de son pays. Dans toute l'Amérique latine, en dépit d'échecs terribles et répétés, des mouvements populaires se battaient eux aussi pour retrouver le contrôle du destin de leur pays et de l'utilisation des immenses ressources naturelles de leur continent. En Inde, Mohandas Gandhi, l'une des personnalités marquantes de ce siècle, se lança dans une entreprise qui allait non seulement révolutionner l'avenir de son pays, mais aussi prouver au monde le pouvoir de la force spirituelle. L'Afrique attendait encore le moment de sa destinée, de même que les habitants d'autres contrées colonisées, mais pour quiconque avait des yeux pour voir, un processus de changement était lancé, qui ne serait pas étouffé parce qu'il représentait les aspirations universelles de l'humanité.

Ces progrès, bien qu'encourageants, ne pouvaient cacher la tragédie historique qui s'était produite. Pendant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, la proclamation du Jour de Dieu adressée par Baha'u'llah aux dirigeants de son époque - qui tenaient en leurs mains la destinée de l'humanité - avait été rejetée ou ignorée par ses destinataires en Orient comme en Occident. Réfléchir à une telle absence de foi permet d'envisager sobrement l'accueil que reçut ensuite la mission de 'Abdu'l-Baha en Occident. Aussi réjouissantes que puissent être les louanges partout déversées sur le Maître, les résultats immédiats de ses efforts n'en représentaient pas moins un nouvel et immense échec moral pour une portion considérable de l'humanité et de ses gouvernants. Le message qui avait été étouffé en Orient, était avant tout ignoré par le monde occidental. Celui-ci s'enfonçait dans la voie du naufrage auquel son autosatisfaction démesurée l'avait préparé de longue date, ce qui l'amena finalement à trahir l'idéal représenté par la Société des nations.

Shoghi Effendi avait à peine endossé la responsabilité de la défense de la cause de Dieu qu'une période de plus en plus sombre s'installa dans le monde occidental pour deux décennies ; elle reflétait, semble-t-il, un recul massif dans le processus d'intégration et d'éveil proclamé avec tant de confiance par le Maître. C'était comme si la vie politique, sociale et économique était tombée dans une sorte d'oubli. Des doutes importants naissaient à propos des aptitudes de la tradition libérale démocrate à faire face aux problèmes de l'époque ; en fait, dans un certain nombre de pays européens, des gouvernements inspirés par de tels principes furent remplacés par des régimes totalitaires. Bientôt, le crash économique de 1929 réduisit le bien-être matériel dans le monde entier, entraînant toutes les insécurités morales et psychologiques qui en résultaient.

Une étude de ces circonstances permet de comprendre l'ampleur du défi auquel Shoghi Effendi dut faire face au commencement de son ministère. Objectivement, rien dans la condition de l'humanité telle qu'elle était n'aurait pu laisser espérer que la vision d'un nouveau monde que lui avaient léguée les Fondateurs de la cause baha'ie aurait des chances de progresser de façon significative pendant les années qui lui seraient allouées.

Les moyens à sa disposition ne semblaient posséder ni la puissance, ni la souplesse, ni la sophistication nécessaires à sa tâche. En 1923, quand Shoghi Effendi fut enfin en mesure d'assumer la pleine direction de la Cause, le noyau des disciples de Baha'u'llah était composé de l'ensemble des croyants en Iran, dont le nombre n'avait pas encore pu être déterminé avec certitude. Très limitée matériellement, la communauté iranienne était privée de la plupart des moyens nécessaires à la promotion de la Cause et était harcelée sans répit. En Amérique du nord, de petites communautés de croyants étaient chargées de l'imposante responsabilité du Plan divin, et alors que la crise économique s'aggravait de jour en jour, ils se trouvèrent aux prises avec le simple problème de gagner leur vie et de subvenir aux besoins de leur famille. En Europe, en Australasie et en Extrême-Orient, la flamme de la Foi était entretenue par des groupes de baha'is encore moins importants, des groupes isolés, des familles et des individus éparpillés à travers le reste du monde. La littérature, y compris en anglais, n'était pas appropriée ; la traduction des Écrits dans d'autres langues importantes et le financement nécessaire à leur publication représentaient des charges presque impossibles à assumer.

La vision communiquée par le Maître était toujours aussi flamboyante, et cependant, compte tenu des conditions qui prévalaient partout, les moyens dont disposaient les baha'is ont dû leur apparaître misérablement inadéquats. Les fondations du futur temple-mère de l'Occident qui s'élevaient, noires et massives, sur les rives du lac au nord de Chicago semblaient défier les concepts éclatants qui avaient ébloui le monde de l'architecture peu d'années auparavant. À Bagdad, les opposants à la Foi s'étaient emparés de "la Maison la plus sacrée" que Baha'u'llah avait désignée comme le coeur du pèlerinage baha'i. En Terre sainte même, la maison de Baha'u'llah tombait en ruine, résultat de la négligence des briseurs d'alliance qui l'occupaient, et le mausolée contenant les précieux restes du Bab et de 'Abdu'l-Baha en était toujours à la simple structure de pierre élevée par le Maître.

Après une série de consultations préliminaires avec des baha'is notoires, le Gardien vit clairement que même une discussion officielle avec des croyants qualifiés à propos de la création d'un secrétariat international serait inutile et irait très probablement à l'encontre du but recherché. C'est donc seul que Shoghi Effendi se mit à l'oeuvre pour faire avancer la vaste entreprise qui lui était confiée. Pour les croyants actuels, il est presque impossible de comprendre à quel point il était seul, et dans la mesure où quelqu'un s'en rend compte, cette prise de conscience est très douloureuse.

Les membres de la famille élargie du Maître étaient partout très respectés par les baha'is pour leur lignage distingué ; le Gardien pensa donc initialement qu'ils se réjouiraient de pouvoir l'aider à réaliser le dessein exposé dans un langage si impérieux et si émouvant par le Testament du Maître. En conséquence, il invita ses frères, ses cousins et une de ses soeurs à lui apporter l'aide administrative que son travail de Gardien exigeait car leur éducation les qualifiait pour cela. Tragiquement, à mesure que le temps passait, ces personnes s'avérèrent l'une après l'autre insatisfaites du rôle d'assistants qui leur avait été confié et négligèrent l'exécution de leur fonction. Et, chose bien plus grave, Shoghi Effendi dut faire face à une situation où l'autorité qui lui était conférée, bien qu'exprimée en termes sans équivoque dans le Testament, était considérée par ceux qui lui étaient apparentés comme étant d'un caractère purement nominal. Ces individus avaient choisi de voir dans la conduite de la Foi une affaire essentiellement familiale dans laquelle un grand poids devait être accordé aux idées des plus âgés qui étaient supposés avoir la compétence de cette prérogative. Au début, la situation fut marquée par des manifestations de mécontentement, puis elle se dégrada régulièrement jusqu'au point où les enfants et les petits-enfants de 'Abdu'l-Baha crurent pouvoir marquer leur désaccord avec son successeur désigné et désobéir à ses instructions.

Ruhiyyih Khanum vécut les dernières étapes de ce phénomène de détérioration, elle fut témoin de ses effets sur le travail de la Cause autant que sur la personne du Gardien et en souffrit beaucoup. Elle a écrit :

"...Il s'agit de comprendre la vieille histoire d'Abel et de Caïn, le récit des jalousies familiales qui, tel un fil sombre dans le tissu de l'histoire, se reproduit d'âge en âge et se retrouve dans tous ses épisodes… La faiblesse du coeur humain qui s'attache souvent à un objet sans valeur, la faiblesse de la raison encline à la vanité et sûre de ses propres opinions, conduit l'homme à un chaos d'émotions qui aveugle son jugement et l'égare… Même si la violation de l'Alliance semble constituer un phénomène inhérent à la religion, cela ne signifie pas qu'elle ne nuit pas
à la Cause… Et cela ne signifie surtout pas qu'elle n'a aucune répercussion dévastatrice sur le Centre de l'alliance lui-même. Toute la vie de Shoghi Effendi fut assombrie par les attaques personnelles hargneuses dont il fut l'objet (58)."

Ce sombre décor met en lumière de façon encore plus brillante les réalisations de "la plus sainte Feuille", soeur de 'Abdu'l-Baha et dernière survivante de l'âge héroïque de la Foi. Bahiyyih Khanum joua un rôle vital en protégeant les intérêts de la Cause après la mort du Maître et elle devint le seul véritable soutien de Shoghi Effendi. Sa fidélité suscita de la plume de celui-ci les passages les plus profondément émouvants qu'il ait peut-être jamais écrits. L'éloge qu'il lui adressa, après son décès en 1932, parut dans une lettre aux baha'is de tout l'Occident. En voici un extrait :

"Seules des générations et des plumes futures, plus qualifiées que je ne le suis, seront capables de lui rendre un hommage digne de l'extrême noblesse de sa vie spirituelle, du rôle unique qu'elle joua tout au long des étapes tumultueuses de l'histoire baha'ie, rôle dont il ne reste aucune trace et ignoré de la grande majorité de ses admirateurs ardents en Orient et en Occident, un hommage digne des expressions de louanges dithyrambiques qui ont coulé des plumes de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha, le Centre de l'alliance, un hommage digne du rôle qu'elle a eu sur le cours de certains des événements majeurs notés dans les annales de la Foi, digne encore des souffrances qu'elle a endurées, des sacrifices qu'elle a consentis, des précieux gestes de compassion inépuisable qu'elle dispensait de manière remarquable. Ces faits et beaucoup d'autres encore sont si inextricablement imbriqués dans la trame de la Cause qu'aucun futur historien de la foi de Baha'u'llah ne peut les ignorer ni les minimiser… Lesquels de ses bienfaits vais-je rapporter parmi ceux qu'elle déversait sur moi dans sa sollicitude sans faille aux heures les plus critiques et les plus troublées de ma vie ? Pour moi qui avait un besoin insatiable de la grâce vivifiante de Dieu, elle était le symbole vivant de bien des attributs que j'avais appris à admirer chez 'Abdu'l-Baha (59)."

Durant de longues années, le Gardien sentit que pour la protection de la Cause, il devait garder le silence à propos de la détérioration de la situation dans la sainte famille. Finalement, l'opposition explosa en actes de défi manifestes, impliquant la famille dans une collaboration honteuse et jusque dans des mariages avec des membres du clan des briseurs d'alliance - dont la traîtrise avait fait l'objet d'une mise en garde véhémente dans le Testament du Maître - ainsi qu'avec une autre famille du voisinage qui était profondément hostile à la Cause. Et c'est seulement alors que le Gardien se sentit obligé d'expliquer au monde baha'i la nature des forfaits et la situation qu'il devait affronter (60)

Cette triste histoire est importante pour comprendre la Cause au vingtième siècle, non seulement en raison des "ravages" - comme le dit le Gardien - qu'elle causa au sein de la sainte famille, mais en raison de l'éclairage apporté aux défis que la communauté baha'ie devra affronter de plus en plus souvent dans les années suivantes, défis prédits en langage explicite à la fois par le Maître et par le Gardien. En dehors du manque de sincérité qui marquait beaucoup trop d'entre eux, les membres de la famille de Shoghi Effendi n'avaient pas conscience, ou seulement très peu, de la nature spirituelle du rôle qui lui était confié dans le Testament. Que la révélation de Dieu pour cette époque de la maturité de l'humanité apporte avec elle une autorité nécessaire pour la restructuration de l'ordre social - et c'était là une caractéristique essentielle de sa mission - représentait un défi spirituel qu'ils semblaient incapables de comprendre, ou peut-être ne le cherchèrent-ils jamais. Le fait qu'ils aient abandonné le Gardien est une leçon qui restera pour la postérité, tout au long des siècles de la "dispensation" baha'ie. Pour tous ceux qui lurent leur histoire, le destin de ce groupe d'individus, privilégiés mais indignes, souligne l'importance de l'alliance de Baha'u'llah dans l'unification de l'humanité et les exigences sans compromis qu'elle réclame de ceux qui recherchent sa protection.

*

Lorsqu'ils considèrent les événements du ministère de Shoghi Effendi, les baha'is doivent faire un effort d'imagination pour porter le même regard que lui sur la nature de la mission qui lui a été confiée. L'ensemble des écrits qu'il a laissés nous sert de guide. Dans un très grand nombre de textes et de causeries, 'Abdu'l-Baha proclame le principe essentiel du message de
Baha'u'llah : "Dans cette prodigieuse révélation, ce siècle glorieux, la conscience de l'unité de l'humanité est la base de la foi de Dieu et le trait caractéristique de sa loi (61)." 'Abdu'l-Baha avait montré autant d'emphase en affirmant, comme cela a déjà été noté, que l'unification de l'humanité était maintenant devenu un objectif réaliste grâce aux changements révolutionnaires intervenus dans tous les domaines humains. C'est cette vision qui fournit au travail de Shoghi Effendi sa puissance organisatrice pendant les trente-six années de son Gardiennat. Ses implications furent le thème de certains des plus importants messages qu'il écrivit. S'adressant en 1931 aux amis occidentaux, il ouvrit pour eux une perspective lumineuse :

"Le principe de l'unité de l'humanité, pivot autour duquel évoluent tous les enseignements de Baha'u'llah, ne représente ni un simple débordement d'émotivité ignorante ni une expression d'espoir vague et pieux. Son appel ne peut être simplement qualifié de réveil de l'esprit de fraternité ou de bonne volonté entre les hommes, pas plus qu'il ne vise uniquement à promouvoir une coopération harmonieuse entre les différents peuples et nations. Ses implications sont plus profondes, ses prétentions sont plus grandes que celles avancées par les prophètes du passé. Son message ne s'adresse pas seulement à l'individu, mais s'intéresse d'abord à la nature des relations essentielles qui doivent relier tous les États et nations comme les membres d'une seule famille… Ce qui implique une transformation structurelle fondamentale de la société d'aujourd'hui, telle que le monde n'en a jamais connue… Ce qui ne nécessite rien de moins qu'une reconstruction et une démilitarisation de tout le monde civilisé - un monde unifié méthodiquement dans tous les aspects fondamentaux de sa vie, de son appareil politique, de ses aspirations spirituelles, de son commerce et de sa finance, de son écriture et de sa parole, et conservant cependant une infinie diversité dans les caractéristiques de ses éléments fédérés (62)."

La métaphore fondamentale par laquelle Baha'u'llah, et après lui 'Abdu'l-Baha, avait saisi le processus millénaire qui amena l'humanité à ce point culminant de son histoire collective est un concept très fort dans les écrits du Gardien. Cette image montre l'analogie possible entre les étapes par lesquelles la société humaine s'est graduellement organisée et unifiée, et le processus par lequel chaque être humain développe lentement les facultés de sa maturité à partir des limitations de son enfance. De nombreux écrits de Shoghi Effendi sur la transformation qui a lieu à notre époque mettent cela clairement en évidence :

"L'humanité a laissé loin derrière elle les longues périodes de la petite enfance et de l'enfance qu'elle avait dû traverser. Elle aborde maintenant l'adolescence, cette époque la plus turbulente de son évolution, et connaît les secousses qui lui sont invariablement associées alors que l'impétuosité et la véhémence de la jeunesse atteignent leur paroxysme avant d'être progressivement remplacées par le calme, la sagesse et la maturité qui caractérisent l'âge adulte (63)."

Réfléchissant sur cette vaste conception Shoghi Effendi fut amené à proposer au monde baha'i une description cohérente du futur. Depuis, celle-ci a permis à trois générations de croyants d'exposer clairement partout dans le monde, aux gouvernements, aux médias et au grand public, les perspectives dans lesquelles la foi baha'ie poursuit son travail :

"L'unité de l'humanité telle qu'elle est envisagée par Baha'u'llah implique l'établissement d'un "Commonwealth" mondial où toutes les nations et les races, les croyances et les classes sont profondément et définitivement unies, où l'autonomie de ses États membres, la liberté individuelle, l'initiative des personnes sont totalement garanties pour toujours. Dans la mesure où on peut se le représenter, cette fédération devra comporter un corps législatif mondial dont les membres, en tant que mandataires de toute l'humanité, contrôleront finalement la totalité des ressources de toutes les nations participantes, ils édicteront les lois nécessaires pour réglementer la vie, satisfaire les besoins et accorder les relations de toutes les races et de tous les peuples. Un pouvoir exécutif mondial, soutenu par une armée internationale, fera appliquer les décisions prises et les lois décrétées par le corps législatif et garantira l'unité organique de toute la fédération. Un tribunal mondial arbitrera et rendra un verdict exécutoire et sans appel pour tous les conflits qui pourront surgir entre les divers éléments constituant ce système universel… Les ressources économiques du monde seront gérées méthodiquement, ses matières premières seront extraites et utilisées de manière mesurée, ses marchés seront harmonisés et développés, et ses produits seront équitablement distribués (64)."

Dans l'interprétation définitive de l'Ordre administratif que donne son ouvrage, La dispensation de Baha'u'llah, Shoghi Effendi fit notamment référence au rôle que l'institution qu'il représentait jouerait en permettant à la Cause "d'avoir un dessein large et continu couvrant les générations à venir...." Ce talent unique s'exprima avec une clarté toute particulière pour décrire la nature duelle du processus historique qu'il voyait se dérouler durant le vingtième siècle. Il dit que le paysage économique international sera progressivement refaçonné par les forces jumelles d'"intégration" et de "désintégration", échappant en fin de compte au contrôle humain. À la lumière de ce que nous avons aujourd'hui sous les yeux, sa vision du fonctionnement de ce double processus est à couper le souffle : la création d'un "mécanisme d'intercommunication mondiale... fonctionnant avec une merveilleuse rapidité et une parfaite régularité (65)", l'ébranlement de l'État-nation comme arbitre suprême de la destinée humaine, les effets dévastateurs sur la cohésion sociale de l'écroulement moral croissant dans le monde, la désillusion générale du public face à la corruption politique ; et - inimaginable à son époque - l'émergence d'institutions internationales dédiées à la promotion du bien-être, harmonisant l'activité économique, définissant les normes internationales et encourageant un sens de solidarité parmi les différents peuples et cultures. Le Gardien expliqua que ces progrès, ainsi que d'autres, changeraient fondamentalement les conditions dans lesquelles la cause baha'ie poursuivrait sa mission au cours des décennies à venir.

Ainsi que Shoghi Effendi le releva dans les Écrits qu'il fut appelé à interpréter, un de ces progrès frappants concernait le futur rôle des États-Unis en tant que nation, et, dans une moindre mesure, celui de ses nations soeurs en Occident. Sa clairvoyance est d'autant plus remarquable si l'on se souvient qu'il écrivait à un moment de l'histoire où les États-Unis étaient résolument isolationnistes, leur politique étrangère s'accordant parfaitement avec les convictions de la majorité des citoyens. Shoghi Effendi eut cependant la vision d'un pays assumant un "rôle actif et décisif... dans l'organisation et l'instauration d'un équilibre pacifique des affaires de l'humanité". Il rappela aux baha'is la prédiction de 'Abdu'l-Baha selon laquelle les États-Unis avaient développé des aptitudes qui leur permettraient d'être "la première nation à construire les fondations d'un accord international", à cause de la nature unique de leur composition sociale et de leur politique - et non par quelque "excellence intrinsèque ou mérite particulier de leur peuple". En effet, il augurait que les gouvernements et les peuples de tout l'Occident s'orienteraient de plus en plus dans cette direction (66).

Dès la naissance de la Cause, dans les appels adressés à ses disciples, le Bab annonçait déjà le rôle que la communauté baha'ie serait appelée à jouer pour faire aboutir ce processus historique :

"Ô mes amis bien-aimés ! Vous êtes en ce jour les porteurs du nom de Dieu... Vous êtes les humbles dont Dieu, dans son livre, a parlé en ces termes : "Et nous désirons accorder nos faveurs aux humbles de la terre, en faire des guides spirituels parmi les hommes, et en faire nos héritiers." Vous avez été appelés à ce rang ; vous n'y parviendrez qu'en foulant aux pieds chaque désir terrestre et en vous efforçant de devenir ces "dignes serviteurs de Dieu qui se taisent tant qu'il n'a point parlé et qui exécutent ses commandements"… Ne considérez pas votre faiblesse ni votre fragilité ! Fixez votre regard sur le pouvoir invincible du Seigneur, votre Dieu, le Tout-Puissant… Levez-vous en son nom, mettez toute votre confiance en lui et soyez assurés de l'ultime victoire (67)."

Déjà en 1923, Shoghi Effendi ressentit le besoin d'ouvrir son coeur aux amis d'Amérique du nord sur ce sujet :

"Prions Dieu ! En ces jours où les ténèbres envahissent le monde, où les forces obscures de la nature, de la haine, de la révolte, de l'anarchie et de l'opposition menacent la stabilité même de la société, où les fruits les plus précieux de la civilisation sont soumis à des épreuves sévères et sans précédent, puissions-nous tous comprendre encore plus profondément qu'en ce jour nous sommes les instruments choisis de la grâce de Dieu bien qu'une poignée seulement parmi les masses agitées du monde, que notre mission est des plus urgentes et des plus vitales pour le destin de l'humanité, et puissions-nous nous lever, forts de ces convictions, pour accomplir le dessein sacré de Dieu pour l'humanité (68)."

*

Shoghi Effendi était pleinement conscient de l'état de décadence de la société, des conséquences de la trahison des membres de sa famille dont il avait pu espérer quelque assistance, et de la faiblesse relative des ressources dont il disposait dans la communauté baha'ie elle-même. Il entreprit de forger les instruments nécessaires à la mission dont il avait hérité.

La plupart des baha'is concevaient plus ou moins que les assemblées qu'on leur avait demandé de former avaient une signification dépassant de loin la simple direction des affaires ordinaires dont elles étaient chargées. 'Abdu'l-Baha avait encouragé leur établissement et les qualifiait ainsi :

"… des lampes étincelantes et des jardins célestes d'où sont diffusés en toutes régions les parfums de sainteté, et d'où les lumières de la connaissance sont répandues sur toutes choses créées. De ces assemblées, l'esprit de vie rayonne dans toutes les directions. Ce sont, en vérité, les sources puissantes du progrès humain, à tout instant et en toutes circonstances... (69)"

C'est à Shoghi Effendi qu'il revint, en fait, d'aider la communauté à comprendre la place et le rôle de ces corps consultatifs nationaux et locaux dans la structure de l'Ordre administratif créé par Baha'u'llah et élaboré selon les dispositions du Testament du Maître. Un nombre significatif de croyants se heurtèrent à l'obstacle que constituait l'hypothèse non vérifiée, mais admise par beaucoup, selon laquelle la Cause était essentiellement une association "spirituelle" dont l'organisation ne constituait pas un trait inhérent au dessein divin - cela n'étant d'ailleurs pas nécessairement antithétique.

Soulignant que le Kitab-i-Aqdas et le Testament "ne sont pas seulement complémentaires, mais... se valident l'un l'autre, et sont parties inséparables d'une unité (70)", le Gardien invita les croyants à méditer sur une vérité essentielle de la Cause qu'ils avaient embrassée :

"Nombreux sont ceux qui admettront que l'esprit insufflé par Baha'u'llah dans le monde, qui se manifeste plus ou moins intensément grâce aux efforts conscients de ses disciples avérés et indirectement grâce à certaines organisations humanitaires, ne pourra jamais ni pénétrer ni influencer l'humanité tant qu'il ne se sera pas incarné en un ordre visible qui portera son nom, s'identifiera à ses principes et fonctionnera selon ses lois (71)."

Il pressa les disciples de la Foi de comprendre la différence essentielle entre la révélation de Baha'u'llah, dont les textes révélés contiennent des dispositions détaillées concernant l'autorité de cet Ordre, et ces révélations annonciatrices qui, dans leurs Écritures, n'ont rien dit sur la gestion des affaires et rien expliqué des desseins de leur Fondateur. Selon les paroles de
Baha'u'llah : "En vérité, le cycle prophétique est clos. La Vérité éternelle est maintenant venue. Il lève bien haut l'étendard du pouvoir... (72)" Selon Shoghi Effendi, contrairement aux "dispensations" du passé, la révélation de Dieu pour notre temps a donné naissance à "un organisme vivant" dont les lois et les institutions constituent "les fondements d'une économie divine", "un modèle pour la société future", "le seul organe pour l'unification du monde et la proclamation du règne de la droiture et de la justice sur terre (73)".

Le Gardien exhortait les amis à comprendre que les assemblées spirituelles qu'ils établissaient laborieusement à travers le monde préfiguraient les "maisons de justice" locales et nationales imaginées par Baha'u'llah. Elles étaient donc parties intégrantes de l'Ordre administratif qui, en temps utile "s'imposerait et se ferait reconnaître comme le noyau et le modèle exact du nouvel ordre mondial destiné à embrasser, le moment venu, la totalité de l'humanité (74)".

Pour quelques membres des jeunes communautés de l'Ouest, un tel éloignement des conceptions traditionnelles de la nature et du rôle de la religion s'avéra être une épreuve trop difficile, et ces communautés baha'ies eurent la douleur de voir s'éloigner de vaillants compagnons vers une recherche spirituelle plus conforme à leurs tendances naturelles. Cependant, pour la vaste majorité des croyants, d'importants messages de la plume du Gardien tels que Le but d'un nouvel ordre mondial et La dispensation de Baha'u'llah firent toute la lumière sur la question qui justement les intéressait le plus, la relation entre la vérité spirituelle et le développement social, faisant naître en eux la détermination de participer à l'édification du futur de l'humanité.

Le Gardien apporta également la vision qui allait structurer ce travail considérable. Il déclara que "l'âge héroïque" de la dispensation de Baha'u'llah s'était terminé avec le décès de 'Abdu'l-Baha. La communauté baha'ie s'engageait maintenant dans l'"âge de fer", "l'âge formatif", durant lequel l'Ordre administratif serait édifié sur toute la planète, ses institutions établies, et les pouvoirs de "construction de la société" qui lui sont inhérents seraient complètement révélés. Loin au-delà se trouve ce que Shoghi Effendi appelle l'"âge d'or" de la "dispensation", menant finalement
à l'émergence de la fédération mondiale baha'ie qui concourra à l'établissement sur terre du royaume de Dieu et à la création d'une civilisation mondiale (75). L'élan initial communiqué à la conscience humaine par la révélation du Verbe créateur lui-même et les implications sociales à caractère révolutionnaire que le Maître en a donné, étaient maintenant transposés par leur interprète désigné dans le vocabulaire d'une évolution politique et économique utilisé dans le discours public de l'époque. L'alliance que Baha'u'llah établit avec ceux qui se tournent vers lui confère une force irrésistible à ce processus, met en lumière les dimensions toujours nouvelles que prend l'expérience baha'ie et sert de moteur à l'unification de l'humanité qu'il proclame. Bien que n'ayant pas au début le nom d'assemblées spirituelles, les conseils créés en Perse à l'instigation de 'Abdu'l-Baha par les communautés locales baha'ies assumaient la responsabilité de la gestion de leurs affaires. À la lumière de ce qui allait suivre, quiconque possédant un certain sens de l'histoire sera frappé du fait que la première assemblée spirituelle, celle de Téhéran, fut fondée en 1897, année même de la naissance de Shoghi Effendi. Sous la direction du Maître, des réunions ponctuelles animées par les quatre Mains de la cause en Perse avaient graduellement évolué vers cette institution qui servait simultanément d'assemblée spirituelle centrale pour la Perse et d'organe directeur pour la communauté locale de la capitale. Au moment du décès de 'Abdu'l-Baha, on comptait en Perse plus de trente assemblées spirituelles locales. Dès 1922, Shoghi Effendi appela à l'établissement officiel de l'Assemblée spirituelle nationale de Perse, mais cet objectif fut retardé jusqu'en 1934 à cause des difficultés d'un recensement fiable de la communauté, base de l'élection des délégués.

Hors de Perse, dans le Turkestan russe, les croyants de `Ishqabad élirent leur première assemblée spirituelle locale. Celle-ci joua un rôle important dans le projet du premier Mashriqu'l-Adhkar baha'i, à `Ishqabad. En Amérique du nord toutes sortes de groupements consultatifs - appelés à l'époque "Boards of Council", "Council Boards", "Boards of Consultation" et "Working Committees" (76) - exécutèrent des fonctions analogues et évoluèrent progressivement en corps élus, précurseurs des assemblées spirituelles. Au moment du décès du Maître, environ une quarantaine de ces comités fonctionnaient en Amérique du nord. Ces réalisations préparèrent la voie à l'émergence prochaine de la première Assemblée spirituelle nationale des baha'is des États-Unis et Canada qui se développa à partir du "Temple Unity Board" (77), un corps créé en 1909 pour coordonner la construction de la future maison d'adoration. L'Assemblée spirituelle nationale fut formée en 1923, bien que les exigences administratives du Gardien pour cette étape n'aient été satisfaites qu'en 1925. Avant 1925, des assemblées nationales avaient été établies dans les Iles britanniques, en Allemagne et Autriche, en Inde et Birmanie, également en Égypte et Soudan (78).

Alors que des assemblées spirituelles nationales et locales se formaient, le Gardien souligna le fait qu'elles devraient obtenir une reconnaissance légale en tant que personnes morales. Le réaliser de manière appropriée permettrait aux institutions administratives baha'ies de posséder des propriétés, de signer des contrats et d'obtenir graduellement toute une gamme de droits essentiels aux intérêts de la Cause. L'importance que Shoghi Effendi attachait à ce nouveau stade de l'évolution de l'administration devient évidente à travers les photocopies de ces actes civils qui prenaient une place de plus en plus importante dans différents volumes du "Baha'i World", retraçant en photographies l'expansion de la Foi. Et, une fois le Manoir de Bahji reconquis, totalement restauré tel qu'à l'origine et meublé comme il convient, Shoghi Effendi rassembla un grand nombre de ces documents de grande valeur qu'il y exposa afin d'encourager et d'éduquer le flot toujours croissant des pèlerins au Centre mondial.

Le processus d'enregistrement légal commença en 1927 avec l'adoption des statuts de l'Assemblée spirituelle nationale des baha'is des États-Unis et Canada, qui obtint deux ans plus tard sa reconnaissance légale en tant qu'association. Le 17 février 1932, l'Assemblée de Chicago, première assemblée locale baha'ie, établit les documents qui avec ceux de l'Assemblée de New York, datés du 31 mars de cette année-là, devaient devenir un modèle dans le monde entier. En 1949, l'Assemblée spirituelle nationale des baha'is du Canada - formée après la scission l'année précédente de l'assemblée de l'Amérique du nord - pu officialiser la reconnaissance légale de ses statuts par un décret, une victoire que Shoghi Effendi salua comme "un acte sans précédent dans les annales de la Foi dans tous les pays, en Orient comme en Occident (79)".

Ces nécessités administratives urgentes ne détournèrent pas Shoghi Effendi d'autres tâches qui étaient essentielles à la formation de la vie spirituelle d'une communauté mondiale. La plus importante fut le travail difficile qu'il était seul à pouvoir exécuter, celui de fournir au corps grandissant des croyants qui n'étaient pas d'origine persane un accès sûr et direct aux Écrits des Fondateurs de la Foi. Les Paroles cachées, le Kitab-i-Iqan, les trésors sans prix rassemblés avec tant d'amour et d'acuité sous les titres de Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Prières et Méditations , Épître au fils du Loup" ainsi que sa traduction et sa publication de la Chronique de Nabil fournirent la nourriture spirituelle dont le travail de la Cause avait un besoin pressant.

Les pèlerins baha'is trouvèrent un enrichissement spirituel d'une qualité bien différente dans les lieux sacrés et les sites historiques que le Gardien avait acquis - souvent au prix de longues et douloureuses négociations - et qu'il restaura avec amour. Shoghi Effendi sut également profiter des occasions qui se présentaient lorsqu'elles étaient en accord avec sa vision de l'histoire. En Égypte en 1925, un tribunal religieux musulman sunnite refusa de reconnaître les mariages contractés entre des musulmanes et des baha'is, insistant sur le fait que "la foi baha'ie est une nouvelle religion, entièrement indépendante" et que "aucun baha'i ne peut donc être considéré comme musulman" et n'est pas, de ce fait, qualifié pour épouser une musulmane (80). Utilisant les implications les plus larges de cette défaite apparente, le Gardien fit amplement usage du jugement définitif du tribunal pour renforcer dans les cercles internationaux la nature indépendante, distincte de ses racines islamiques, que revendiquait la Cause.

*

Alors que la communauté baha'ie construisait les bases administratives qui lui permettraient de jouer un rôle efficace dans les affaires de ce monde, le processus de désintégration en marche qu'avait perçu Shoghi Effendi sapait le tissu de l'ordre social. Ses origines, bien que résolument ignorées par nombre de théoriciens sociaux et politiques, commencent seulement après plusieurs décennies à être reconnues lors de conférences internationales consacrées à la paix et au développement. À notre époque, il n'est plus inhabituel de rencontrer dans de tels cercles des références naïves au rôle essentiel que les forces "spirituelles" et "morales" doivent jouer dans la résolution des problèmes urgents. Pour un lecteur baha'i, une reconnaissance aussi tardive fait écho à un avertissement adressé plus d'un siècle auparavant par Baha'u'llah aux dirigeants du monde : "La vitalité de la foi des hommes en Dieu se meurt dans tous les pays... La corrosion de l'impiété dévore les organes vitaux de la société humaine... (81)"

Le Gardien soulignait que la responsabilité de la pire des tragédies repose principalement sur les épaules des dirigeants religieux du monde. La condamnation la plus sévère de Baha'u'llah est réservée à ceux qui, prétendant parler au nom de Dieu, ont imposé aux masses crédules, un fatras de dogmes et de préjugés qui ont constitué le pire obstacle au progrès de la civilisation. Tout en reconnaissant les actes charitables d'un nombre incalculable de religieux, il souligne les conséquences, tout au long de l'histoire, de l'interposition des élites religieuses autoproclamées entre l'humanité et toutes les voix du progrès qui se sont élevées, même celles des messagers de Dieu. Il demande : "Existe-t-il oppression plus cruelle que celle de l'âme qui, recherchant la vérité et souhaitant atteindre à la connaissance de Dieu, ne sait pas où aller pour cela… (82)" À une époque avancée du progrès scientifique et de l'éducation généralisée, à cause des effets cumulés de la désillusion qui en résultait, la foi religieuse paraissait inadaptée. Incapables de gérer eux-mêmes la crise spirituelle, la plupart de ces religieux d'obédience diverses qui prirent connaissance du message de Baha'u'llah ignorèrent l'influence morale évidente qu'il portait, ou bien s'y opposèrent activement (83).

Reconnaître ce trait de l'histoire ne diminue pas le mal fait par ceux qui ont cherché à profiter du vide spirituel ainsi laissé. Le désir ardent d'avoir une croyance est impossible à éteindre, il fait partie de ce qui est immanent à l'être humain. Quand ce désir est bloqué ou trahi, l'âme rationnelle cherche dans une autre direction, aussi inadéquate ou indigne soit-elle, où cette âme peut expérimenter et oser de nouveau assumer les risques inévitables de la vie. C'est en ce sens que Shoghi Effendi avertit les disciples de la Foi, dans un langage particulièrement fort, de la nécessité de comprendre la calamité spirituelle qui submergea une grande partie de l'humanité entre les deux guerres mondiales :

"En vérité, Dieu lui-même a été détrôné du coeur des hommes, et un monde idolâtre salue et adore avec clameur et passion les faux dieux créés aveuglément par ses propres chimères, et exaltés avec impiété par ses mains égarées ... Leurs grands prêtres sont les politiciens et les mondains habiles, les philosophes matérialistes de cette époque ; leur sacrifice est la chair et le sang des multitudes égorgées ; leurs incantations, les doctrines désuètes et les formules insidieuses et irrévérencieuses ; leur encens, la fumée de l'angoisse qui monte du coeur déchiré des affligés, des mutilés et des sans-abri (84)."

Telles des affections opportunistes, les idéologies agressives profitèrent de la situation créée par le déclin de la vitalité religieuse. Bien que dans la corruption de la foi leur responsabilité respective ne soit pas discernable, les trois systèmes de croyance qui ont joué un rôle dominant dans les affaires humaines au cours du vingtième siècle différaient nettement dans leurs évidentes caractéristiques secondaires sur lesquelles le Gardien attira l'attention. En dénonçant "les doctrines sombres, fausses et perverses" qui apporteraient la dévastation sur "tout homme ou peuple qui croirait en elles", Shoghi Effendi mit particulièrement en garde contre les divinités du nationalisme, du racisme et du communisme (85).

Il n'y a pas grand-chose à dire du régime fasciste créé en 1922 par la "marche sur Rome". Longtemps avant que le régime et son dirigeant aient été balayés dans l'oubli durant les derniers mois de la seconde guerre mondiale, le fascisme était devenu un objet de ridicule pour la majorité de ceux qui l'avaient soutenu à l'origine. Son importance réside plutôt dans la foule d'imitateurs qu'il engendra et qui devaient proliférer depuis lors dans le monde entier, telle une série de mutations pernicieuses.

Alimentée par un nationalisme fou, cette aberration de l'esprit humain déifiait l'État, découvrait partout des menaces imaginaires contre la survie nationale des peuples malheureux qu'elle avait subjugués et prêchait à qui voulait l'entendre la notion de guerre "ennoblissant" l'âme humaine. La parade, style opéra comique, des uniformes, des bottes de cavaliers, des bannières et des trompettes qui lui étaient généralement associés, ne devrait pas cacher à un observateur contemporain l'héritage virulent que le fascisme a laissé à notre temps, enchâssant dans le vocabulaire politique des termes aussi angoissants que "desaparecidos" (les disparus).

Partageant l'idolâtrie du fascisme pour l'État, le nazisme, son frère en idéologie, se fit la voix d'une perversion beaucoup plus ancienne et insidieuse. En son coeur noir gisait une obsession relative à ce que ses défenseurs appelaient "la pureté de la race". La détermination obstinée avec laquelle le nazisme poursuivait ses buts meurtriers n'était en aucune façon affaiblie par les postulats, à l'évidence faux, sur lesquels il se basait. Le système nazi était unique de par la pure bestialité de l'acte le plus communément associé à son nom, à savoir le programme de génocide systématiquement appliqué aux populations considérées comme sans valeur ou encore nuisibles pour le futur de l'humanité, programme comportant une tentative délibérée d'extermination de la totalité du peuple juif. Finalement, c'est la détermination du nazisme de voir une "race maîtresse" de sa propre conception régner sur la planète tout entière qui donna raison à 'Abdu'l-Baha dans sa mise en garde prophétique, vingt ans auparavant, contre une autre guerre bien plus terrible que la première, qui ravagerait le monde. Comme le fascisme, le nazisme a laissé des débris perdurant jusqu'à notre époque. Dans son cas, ceci prend la forme d'un langage et de symboles à travers lesquels une frange de la société d'aujourd'hui, démoralisée par la décadence économique et sociale environnante et désespérée par l'absence de solution, laisse éclater sa rage impuissante sur des minorités jugées responsables de ses déceptions.

Le faux dieu identifié de façon explicite par le Maître et nommément dénoncé par Shoghi Effendi, avait démontré son caractère dès le début en détruisant brutalement, durant la dernière partie de la première guerre mondiale, le premier gouvernement démocratique jamais établi en Russie. Pendant de longues années, le système soviétique créé par Vladimir Lénine réussit à donner à beaucoup l'image d'un bienfaiteur de l'humanité et du champion de la justice sociale. À la lumière des événements historiques, de telles prétentions étaient grotesques. Les documents disponibles actuellement fournissent la preuve irréfutable de crimes si énormes et de folies si abyssales qu'ils n'ont aucun équivalent dans les six mille ans d'histoire. À un degré que jamais on n'a imaginé auparavant, ni même seulement tenté d'imaginer, la conspiration léniniste contre la nature humaine chercha aussi systématiquement à éteindre la foi en Dieu. Quelle que soit l'opinion que peuvent avoir actuellement des théoriciens politiques sur la situation, personne ne peut être surpris qu'une telle violence délibérée contre les racines de la motivation humaine mena inexorablement à la ruine économique et politique de ces sociétés assez infortunées pour être tombées sous la domination soviétique. Malheureusement son effet spirituel à long terme fut de détourner au profit de son programme amoral le grand désir légitime de liberté et de justice des peuples soumis à travers le monde entier.

D'un point de vue baha'i, l'adoration de l'humanité pour des idoles de sa propre invention a son importance, non à cause des événements historiques associés à ces forces, aussi abominables soient-ils, mais en raison de la leçon qu'on en retire. Portant un regard en arrière sur le monde crépusculaire dans lequel ces forces diaboliques ont menacé le futur de l'humanité, on doit se demander quelle faiblesse de la nature humaine la rendait vulnérable à de telles influences. Voir en quelqu'un comme Benito Mussolini l'image d'un "envoyé du destin", se sentir obligé d'intégrer les théories raciales d'Adolf Hitler comme n'importe quoi excepté des produits d'un esprit à l'évidence malade, accueillir sérieusement la réinterprétation de l'expérience humaine à travers des dogmes ayant donné naissance à l'Union soviétique de Joseph Staline, cela constitue un rejet délibéré de la raison pour une partie considérable de l'élite intellectuelle de la société et exige de rendre des comptes à la postérité. Entrepris sans passion, un tel bilan doit, tôt ou tard, concentrer l'attention sur une vérité qui parcourt comme un fil les Écrits de toutes les religions de l'humanité. Baha'u'llah l'exprime par ces mots :

Sur l'essentielle réalité de chaque chose créée, il a répandu la lumière d'un de ses noms, et de chacune d'elles il a fait le siège d'un de ses attributs. Mais sur la réalité de l'homme, il a concentré l'éclat de tous ses noms et attributs et il en a fait le miroir de sa propre Personne. Seul entre toutes choses créées, l'homme a été choisi comme objet d'une si grande faveur... Mais ces énergies dont l'Étoile du matin de la bonté divine et la Source de la direction divine ont doté l'essentielle réalité de l'homme ne sont en lui que latentes, comme est latente la flamme dans la bougie et comme les rayons de la lumière sont en puissance dans la lampe… Ni la lampe, ni la bougie ne peuvent s'allumer d'elles-mêmes et le miroir ne saurait davantage, par ses propres moyens, se débarrasser de ses souillures (86).

La conséquence de l'engouement de l'humanité pour les idéologies conçues par son propre esprit fut l'accélération terrifiante du processus de désintégration qui dissolvait le tissu de la vie sociale et cultivait les impulsions les plus viles de la nature humaine. La sauvagerie engendrée par la première guerre mondiale était maintenant omniprésente dans la vie sociale de la majeure partie de la planète. "Ainsi avons-nous rassemblé les artisans d'iniquité !", avait averti Baha'u'llah plus d'un siècle auparavant. "Nous les voyons se précipiter vers leur idole... Ils se hâtent vers le feu de l'enfer, et le prennent pour la lumière." (87)


VI.

PARALLÈLEMENT À LA MISE EN PLACE de la structure administrative de la Cause, Shoghi Effendi tournait son attention sur la tâche qu'il avait été obligé de retarder pendant si longtemps, la mise en oeuvre du Plan divin du Maître. En Perse, ce processus était déjà bien avancé. D'abord dirigé par Baha'u'llah puis par 'Abdu'l-Baha, un corps d'enseignants, les muballighin, tout particulièrement désignés à cette fin, stimulaient le travail au niveau local dans tout le pays, et l'existence d'une vie communautaire intense contribua à l'intégration relativement rapide de nouveaux déclarés. Les fonds du Huququ'llah, complétés par la pratique de la délégation qui était une particularité déjà ancrée dans la conscience des baha'is en Perse, fournirent un support matériel à ces activités d'enseignement.

En Occident, en réponse à l'appel du Maître, des personnages aussi exceptionnels que Lua Getsinger, May Maxwell et Martha Root apportèrent le souffle nécessaire à l'avancement de la Foi. Le simple fait de mentionner ces noms met en évidence une caractéristique du développement de la Cause en Occident à laquelle le Maître portait une attention toute particulière :

"En Amérique, les femmes ont surpassé les hommes et ont pris la tête dans ce domaine. Elles se consacrent davantage à guider les peuples du monde, et leurs efforts sont plus grands. Elles sont fortifiées par les grâces et les bénédictions divines (88)."

En Orient, les conditions sociales de l'époque ont pratiquement imposé que ce soit en majorité des hommes qui entreprennent de faire avancer la Cause. De telles contraintes n'existaient presque plus en Amérique du nord et en Europe où une pléiade de femmes inoubliables devinrent les principales messagères des enseignements baha'is de part et d'autre de l'Atlantique. On pense à Sarah Farmer dont l'école de Green Acre servit de plate-forme à la communauté baha'ie naissante pour introduire la Foi auprès de penseurs influents ; à Lady Sara Blomfield dont la position sociale apporta une force plus grande encore à son ardeur à promouvoir les enseignements ; à Marion Jack, immortalisée par Shoghi
Effendi comme modèle pour les pionniers baha'is, à Laura Dreyfus-Barney qui légua à la Foi le recueil inestimable des Causeries de 'Abdu'l-Baha à Paris, à Agnes Parson co-fondatrice avec Louis Gregory des actions Race Amity (concorde entre les peuples) inspirées par 'Abdu'l-Baha ; à Corinne True, Keith Ransom-Kehler, Helen Goodall, Juliet Thompson, Grace Ober, Ethel Rosenberg, Clara Dunn, Alma Knobloch et tant d'autres dont la plupart explorèrent de nouveaux domaines de services à rendre à la Foi.

Il convient d'ajouter à cette liste la reine Marie de Roumanie que l'histoire saluera comme la première tête couronnée à avoir reconnu la révélation de Dieu en ce jour. Le courage dont cette femme solitaire fit preuve en déclarant publiquement sa foi par le biais de lettres qu'elle adressa sans crainte aux éditeurs de plusieurs journaux en Europe et en Amérique du nord, fit sans aucun doute connaître le nom de la Cause auprès de plusieurs millions de lecteurs.

En dépit des réactions impressionnantes que ces premiers efforts suscitèrent, le manque de moyens concertés pour tirer parti de ces résultats limita d'abord les bénéfices qu'auraient pu en retirer les communautés baha'ies des pays occidentaux. La mise en place de l'Ordre administratif modifia brusquement cette situation. Tandis que de nouvelles assemblées spirituelles locales naissaient, des objectifs furent fixés, des ressources furent mises à disposition de la communauté pour soutenir les efforts individuels d'enseignement. Et ceux qui déclarèrent leur foi furent rapidement associés aux nombreuses activités d'une vie communautaire baha'ie captivante. Il fut dès lors possible de traduire et de publier méthodiquement des ouvrages et de partager des nouvelles d'intérêt général, et les liens qui reliaient les croyants avec le Centre mondial de la Foi se renforcèrent régulièrement.

Les deux principaux instruments utilisés par Shoghi Effendi pour nourrir un dévouement plus grand à l'enseignement en Orient comme en Occident furent les mêmes que ceux sur qui le Maître s'était appuyé. Un courant régulier de correspondance adressée à des communautés et à des individus, ouvrit à leurs destinataires de nouvelles perspectives sur les croyances qu'ils avaient embrassées. Toutefois, les communications adressées aux assemblées spirituelles locales et nationales devenaient maintenant les plus importantes. Leur effet était renforcé par le flot de pèlerins qui partageaient à leur retour leurs impressions après un contact direct avec le Centre de la cause. À travers ces relations, chaque croyant était encouragé à se considérer comme un instrument de la puissance émanant de l'Alliance. La compilation inestimable qui parut finalement sous le titre de Messages à l'Amérique 1932-1946 offre une rétrospective des étapes qui permirent à Shoghi Effendi d'amener les croyants nord-américains à une connaissance plus approfondie des implications du Plan divin du Maître en vue de "la conquête spirituelle de la planète" :

"Dans un monde pollué par ses corruptions incurables, paralysé par ses peurs lancinantes, déchiré par ses haines dévastatrices, et périclitant sous le fardeau de son insoutenable misère, les croyants, grâce à la sublimité et la sérénité de leur foi, grâce à la sûreté et à la clarté de leur vision, à l'incorruptibilité de leur caractère, à la rigueur de leur discipline, à la pureté de leur morale et à l'exemple unique de leur vie communautaire, peuvent et même doivent démontrer la validité de leur revendication à être reconnus comme seuls dépositaires de cette faveur dont dépendent la délivrance totale, la réorganisation fondamentale et la félicité suprême de l'humanité tout entière (89)."

Le Gardien offrit à la communauté baha'ie nord-américaine une vision de sa destinée spirituelle. Ses membres étaient "les descendants spirituels des héros de la cause de Dieu", disait-il, et ses institutions grandissantes étaient "les symboles visibles de son indubitable souveraineté (celle de la Foi)", les enseignants et les pionniers qu'elle envoyait étaient les "porte-flambeaux d'une civilisation à venir", son défi collectif était d'assumer "une part prépondérante" dans l'établis-sement des fondations de l'ordre mondial "que le Bab avait annoncé, que l'esprit de Baha'u'llah avait pressenti et dont 'Abdu'l-Baha, son architecte, avait dessiné les contours (90)."

Le langage de ces messages est magnifique, envoûtant. Tout en constatant cette obscurité qu'engendraient l'absence de Dieu, la violence et l'immoralité rampante, Shoghi Effendi décrivait le rôle que les baha'is doivent jouer partout en tant qu'instruments de la puissance transformatrice de la nouvelle révélation :

"Il leur appartient de tenir bien haut et brillant le flambeau de la direction divine, tandis que les ombres de la nuit recouvrent tout le genre humain. Il est dans leur fonction, au milieu de ces tumultes, périls et agonies, de témoigner de la vision et de proclamer l'avènement de cette société recréée, ce royaume promis par le Christ, cet ordre mondial dont l'élan générateur n'est autre que l'esprit de Baha'u'llah en personne, dont le domaine est la planète entière, dont le mot d'ordre est l'unité, dont le pouvoir animateur est la force de la justice, dont le but proclamé est le règne de la droiture et de la vérité, et dont la gloire suprême est la félicité totale, sereine et durable pour tout le genre humain (91)."

En 1936 le Gardien estima que la structure administrative de la Cause était suffisamment étendue et solide en Amérique du nord pour pouvoir entamer la première étape de la mise en oeuvre du Plan divin lui-même. Dans un monde qui glissait vers une nouvelle conflagration générale, où le champ d'action possible des croyants persans se trouvait strictement limité, l'attention devait nécessairement se concentrer sur l'expansion et la consolidation de la communauté baha'ie occidentale afin de préparer les actions à venir, plus importantes encore. Faisant appel aux "agents" désignés du plan, les croyants d'Amérique du nord, le Gardien lança un plan de sept ans, allant de 1937 à 1944. Ses objectifs étaient d'établir au minimum une assemblée spirituelle locale dans chaque État des États-Unis, dans chaque province du Canada, et d'ouvrir à la Cause quatorze pays d'Amérique latine. À ces objectifs, fut ajoutée la tâche particulièrement difficile pour une communauté encore très limitée en nombre et disposant de ressources financières réduites, de terminer la décoration extérieure du "Temple Mère de l'Occident".

Ruhiyyih Khanum a souligné un parallèle frappant entre deux développements au cours de cette période de l'histoire. D'un côté, des nations puissantes lançaient des armées conquérantes pour s'emparer des ressources naturelles de leurs voisins, ou simplement pour satisfaire une soif de conquête. De l'autre, Shoghi Effendi mobilisait la troupe de pionniers extrêmement petite dont il disposait et la dirigeait sur les objectifs du plan qu'il avait conçu. En peu d'années, ces immenses bataillons destructeurs allaient être définitivement écrasés, leurs noms et conquêtes rayés de l'histoire. Et la petite troupe des croyants qui étaient partis, risquant leur vie pour remplir la mission que le Gardien leur avait confiée, aura atteint, voire même dépassé, la totalité de ses buts, donnant bientôt naissance à des communautés florissantes (92).

Pour évaluer cette entreprise, il est utile que les baha'is comprennent à la fois le rôle que joue cette planification dans la vie de la Cause et la nature unique de cet outil dans son expression baha'ie. L'identification méthodique des objectifs à atteindre et les décisions quant à la manière de les atteindre ne veulent pas dire que la communauté baha'ie prend la responsabilité de "concevoir" son propre futur, comme l'implique habituellement le concept de planification. Les institutions baha'ies s'efforcent plutôt de conformer le travail de la Cause au processus animé d'un souffle divin qu'ils voient se mettre en oeuvre dans le monde, un processus qui finira assurément par aboutir, quels que soient les circonstances ou les événements de l'histoire. Le défi de l'Ordre administratif consiste à s'assurer que, selon le voeu de la Providence, les efforts des baha'is sont en harmonie avec le plan majeur de Dieu, car c'est en agissant ainsi que les potentialités implantées dans la Cause par Baha'u'llah porteront leurs fruits. Que les dispositions prises dans le Kitab-i-Aqdas et le Testament de 'Abdu'l-Baha assurent le succès des efforts des baha'is est démontré de façon saisissante dans la suite ininterrompue de triomphes qu'ont remportés les plans mis en place par Shoghi Effendi.

Dès août 1944, Shoghi Effendi était en mesure de célébrer l'achèvement du premier plan de sept ans. Le Gardien marqua l'événement par un présent aux baha'is du monde qui représente une des plus grandes réalisations de sa vie. La publication, en 1944, de Dieu passe près de nous, son histoire détaillée et réfléchie des cent premières années de la Cause, éclaira les croyants sur le processus spirituel en cours qui réalisait le dessein de Baha'u'llah pour l'humanité.

L'histoire est un instrument puissant. Au mieux, elle donne une perspective du passé et éclaire le futur. Elle peuple la conscience humaine de héros, de saints et de martyrs dont les exemples éveillent chez tous ceux qu'elle touche des capacités dont ils ne s'imaginaient pas pourvus. Elle aide à donner un sens au monde, et à l'expérience humaine. Elle inspire, console et guide. Elle enrichit la vie. Dans l'ensemble de la littérature et des légendes qu'elle a laissé à l'humanité, on peut voir la main de l'histoire à l'oeuvre, donnant forme aux étapes de la civilisation : dans les légendes qui ont inspiré les idéaux de tous les peuples depuis l'aube des temps, ainsi que dans les épopées du Ramayana, dans les exploits célébrés dans l'Odyssée et l'Énéïde, dans les sagas
nordiques, dans le Shahnameh , et à de nombreux endroits dans la Bible et le Coran.

Dieu passe près de nous élève cet immense travail de l'esprit à un niveau ardemment recherché mais jamais atteint par le passé. Ceux qui s'ouvrent à sa vision découvrent en cet ouvrage une multitude d'approches menant à la compréhension du dessein de Dieu, convergeant avec les vastes horizons que nous ouvrent les traductions hors pair des textes révélés, effectuées par le Gardien. Sa parution pour le centenaire de la naissance de la Cause - juste au moment où le monde baha'i célébrait le succès des premiers efforts collectifs qu'elle ait jamais entrepris - proclama aux croyants de toute part la grandeur et la signification d'une centaine d'années de sacrifices ininterrompus.

*

Quelque temps après le début de la seconde guerre mondiale, le Gardien montra ce conflit aux baha'is sous un jour bien différent de celui qui prévalait à l'époque. La guerre devrait être envisagée, disait-il, "comme une suite directe" de la conflagration qui éclata en 1914. Elle sera considérée comme "un préalable essentiel à l'unification du monde". L'entrée en guerre des États-Unis, dont le président, faisant preuve d'initiative visionnaire, avait lancé le projet d'un système d'ordre international qu'il avait rejeté par la suite, conduirait cette nation, prédit Shoghi Effendi, à "assumer dans l'adversité une part prépondérante de responsabilité dans l'établissement définitif de vastes fondations internationales et inattaquables de ce système discrédité et pourtant impérissable (93)".

Ces affirmations s'avérèrent prophétiques. Avec la fin des hostilités, il devint de plus en plus clair qu'un glissement fondamental s'opérait dans les consciences à travers le monde et que les présomptions du passé, les institutions et les priorités qui avaient été progressivement minées par des forces à l'oeuvre durant la première moitié du siècle s'effondraient maintenant. S'il n'était pas encore possible de décrire ce changement comme une conviction naissante de l'unité de l'humanité, aucun observateur objectif ne pouvait se tromper sur le fait que les barrières empêchant une telle réalisation et ayant survécu aux assauts menés contre elles précédemment, étaient enfin en train de céder. Pensons aux paroles prophétiques du Coran : "Tu verras les montagnes, que tu croyais immobiles, passer comme des nuages (94)" Il s'agissait d'insuffler aux esprits progressistes ce sentiment de confiance : il était possible de bâtir un nouveau type de société qui préserverait une paix à long terme dans le monde, et enrichirait la vie de tous ses habitants.

Ce nouveau regain d'espoir résultait essentiellement, ainsi que l'avait prédit Shoghi Effendi, de cette "terrible épreuve" qui avait enfin réussi à "implanter ce sens de la responsabilité" que les dirigeants avaient cherché à éviter dans les premières décennies du siècle (95). À cette nouvelle conscience s'étaient ajoutés les effets de la peur induite par l'invention et l'utilisation de l'arme atomique, une réaction qui rappelait aux baha'is les affirmations prémonitoires du Maître en Amérique du nord, à savoir que la paix arriverait enfin parce que les nations seraient forcées de l'accepter. Le quotidien Montreal DaiIy Star avait cité ses paroles : "Elle (la paix) sera universelle au vingtième siècle.
Toutes les nations y seront contraintes (96)".Les années qui suivirent 1945 furent témoins d'une progression dans la mise en place d'un nouvel ordre social qui dépassait de loin les espoirs les plus optimistes des décennies précédentes.

Mais le plus important était la volonté des gouvernements nationaux de créer un nouveau système d'ordre international, et de lui conférer l'autorité de gardien de la paix dont la défunte Société des nations avait été si tragiquement privée. Se rencontrant à San Francisco en avri1 1945, dans l'état où 'Abdu'l-Baha avait prophétiquement annoncé : "Puisse le premier drapeau de la paix internationale être hissé dans cet Etat (97)", les délégués de cinquante pays adoptèrent la charte de l'Organisation des Nations unies, dont le nom même avait été proposé par le président Franklin D. Roosevelt. La ratification par le quorum nécessaire d'États membres suivit en octobre, et la première assemblée générale de la nouvelle organisation eut lieu le 10 Janvier 1946 à Londres. En Octobre 1949, la pierre angulaire du siège permanent des Nations unies fut posée en la ville de New-York que 'Abdu'l-Baha avait saluée trente-sept ans auparavant en tant que "ville de l'Alliance". Durant sa visite dans cette ville, il avait prédit : " Il ne fait pas de doute que... la bannière de la concorde internationale sera déployée ici afin de s'étendre à toutes les nations du monde (98)".

Il est significatif que ce soit aussi sur l'initiative d'un dirigeant politique d'un pays occidental à qui Baha'u'llah s'était adressé, que soient enfin suivis d'actions concrètes ses appels à une sécurité collective, appels qui rejaillirent en premier lieu dans les sanctions nominatives votées par la Société des nations contre l'agression fasciste en Éthiopie. En Novembre 1956, Lester Bowles Pearson, alors Ministre des Affaires Étrangères puis Premier Ministre du Canada, obtint la création par les Nations unies de la première unité armée pour la paix, ce qui lui valut par la suite le prix Nobel de la paix (99). La pleine nature de l'autorité contenue dans un tel mandat allait apparaître comme la principale caractéristique des relations internationales pendant la deuxième moitié du siècle. D'abord destiné à réglementer les accords contractés par les États hostiles, le principe de l'action collective dans la défense de la paix prit peu à peu la forme d'interventions militaires telle que celle de la guerre du Golf, au cours de laquelle la conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité fut imposée par la force aux États et factions hostiles.

En même temps que le nouveau système des Nations unies était mis en place et que les étapes pour faire appliquer ses sanctions étaient franchies, une seconde percée remarquable se produisit. Avant même la fin des hostilités, le public du monde entier fut stupéfait par les retransmissions filmées sur la libération des camps de la mort nazis, lesquelles exposaient à la vue de tous les horribles conséquences du racisme. Ce que l'on pourrait décrire comme un profond sentiment de honte devant la propension à faire le mal dont l'humanité a montré qu'elle était capable, bouleversa la conscience de celle-ci. Profitant de cette opportunité, un groupe de femmes et d'hommes dévoués et clairvoyants obtint, sous la houlette éclairée de personnages tels que Eleanor Roosevelt, l'adoption par les Nations unies de la Déclaration universelle des droits de l'homme. L'engagement moral que cela représentait fut ensuite institutionnalisé par la mise en place de la Commission des droits de l'homme. La communauté baha'ie elle-même sera bien placée pour apprécier, en temps opportun, l'importance du système en tant que bouclier protégeant les minorités des abus du passé.

La décision prise par les nations victorieuses lors des récents conflits de traduire en justice les principaux instigateurs du régime nazi souligne l'importance de ces deux avancées. Pour la première fois dans l'histoire, les dirigeants d'une nation souveraine - des hommes qui cherchaient à prouver la légitimité des positions politiques qu'ils avaient occupées - furent traduits en justice, leurs crimes impitoyablement examinés, documents à l'appui ; ils furent ensuite dûment condamnés et ceux qui n'avaient pas fui en se suicidant furent soit pendus, soit condamnés à de lourdes peines de prison. Aucune protestation sérieuse ne s'éleva contre cette procédure qui, en théorie, contrevenait fondamentalement aux normes de la loi internationale en vigueur. Bien que l'intégrité des procédures fût sérieusement troublée par la participation de juges nommés par une dictature soviétique dont les propres crimes égalaient et même dépassaient ceux du régime des accusés, cet acte créa un précédent historique. Il démontrait, pour la première fois, que le culte de la "souveraineté nationale" avait des limites identifiables et contraignantes.

Commencée au cours de ces mêmes années, la réalisation d'un idéal longtemps différé s'accomplit avec la dissolution des grands empires qui n'avaient pas seulement survécu à 1918, mais avaient même réussi à étendre leurs territoires par l'acquisition de "mandats", de "protectorats" et de colonies saisies aux Puissances défaites. Désormais, ces systèmes désuets d'oppression politique se trouvaient submergés par une marée montante de mouvements de libération nationale dépassant largement leurs capacités affaiblies à résister. Avec une rapidité surprenante, tous abandonnèrent de plein gré leurs prérogatives, ou furent forcés par des rebellions coloniales de se plier au même destin qu'avaient connu leurs prédécesseurs des empires ottoman et des Habsbourg au début du siècle.

Les peuples de la terre trouvèrent soudain un lieu où se tenir en toute dignité, un forum au sein duquel il leur était possible d'exprimer les préoccupations qui les affectaient au plus profond d'eux-mêmes, et découvrirent les prémices d'un rôle à jouer dans la décision de leur propre futur et de celui de l'humanité en général. Un tournant avait été pris qui laissait derrière lui six millénaires ou plus d'histoire. Par-delà les déséquilibres persistants en matière d'éducation, les inégalités économiques et les entraves créées par des manoeuvres politiques et diplomatiques - par-delà toutes ces limitations réelles mais historiquement éphémères - une nouvelle autorité oeuvrait dans les affaires humaines, à laquelle tous pouvaient raisonnablement espérer faire appel d'une manière ou d'une autre. Des représentants des peuples jusqu'alors assujettis, dont les guerriers vêtus de manière exotique fermaient la marche de la procession du Jubilé d'or à Londres cinquante ans auparavant, devenaient maintenant délégués du Conseil de sécurité et occupaient des postes importants aux Nations unies et dans diverses organisations non gouvernementales. Le fait que l'actuel Secrétaire général des Nations unies soit ghanéen,
immédiatement après un Égyptien et un Péruvien, témoigne de l'amplitude de ce changement (100).

Ce changement n'était pas seulement d'ordre purement formel et administratif. Le temps passant, un nombre croissant de personnalités exceptionnelles de tous horizons échappaient aux limites habituelles de l'identité ethnique, religieuse ou culturelle. Sur chaque continent du globe, des noms tels que Anne Franck, Martin Luther King Jr., Paolo Freire, Ravi Shankar, Gabriel Garcia Marques, Kiri Te Kanawa, Andréi Sakharov, Mère Theresa et Zhang Yimou devinrent des sources d'inspiration et d'encouragement pour un grand nombre de leurs concitoyens (101). Dans chaque domaine de la vie, l'héroïsme, l'excellence professionnelle ou une morale élevée allaient de plus en plus parler d'eux-mêmes et être adoptés par la majorité de l'humanité. L'effusion d'amitié et de joie qui, dans le monde entier, devait accueillir Nelson Mandela au sortir de son emprisonnement et ensuite, lors de son élection comme président de son pays, reflétaient l'idée selon laquelle, au sein des populations de chaque ethnie et de chaque nation, l'ensemble de ces événements historiques représentaient autant de victoires de la famille humaine.

De même, il devint clair que les conceptions d'avant-guerre concernant l'utilisation et la répartition des richesses devaient être complètement reconsidérées. Exception faite des principes de justice sociale qui sans aucun doute motivèrent un grand nombre de ceux qui se consacrèrent à cette tâche, les bouleversements économiques produits par les événements des trois décennies précédentes avaient fait clairement apparaître que les dispositions existantes étaient à la fois anachroniques et inopérantes. Suite à la grande dépression de 1930, des expériences furent engagées dans plusieurs pays pour tenter de pallier ces problèmes au niveau national. Dès lors, un système d'institutions s'interpénétrant, orienté vers la reconnaissance que les économies nationales constituaient des éléments d'un tout mondial, fut progressivement élaboré et mis en place. Le Fonds monétaire international, l'Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT), la Banque mondiale, et autres agences annexes commencèrent un peu tardivement à s'attaquer aux implications engendrées par un monde en pleine mondialisation et aux questions concernant la distribution des richesses inhérentes à ce développement. Des penseurs dans les pays en voie de développement firent rapidement remarquer que de telles initiatives servaient en premier lieu à satisfaire les besoins du monde occidental. Néanmoins, leur émergence attestait un changement radical de direction qui permettrait progressivement la participation d'un nombre croissant d'États et d'institutions.

Une initiative humanitaire d'un genre jamais imaginé auparavant donna une nouvelle dimension à l'intégration mondiale en cours. Avec le "plan Marshall" conçu par le gouvernement des États-Unis pour relever les nations européennes déchirées par la guerre, celles d'entre elles qui en avaient la possibilité se concentrèrent sur l'élaboration de programmes destinés à renforcer le développement économique et social des nations naissantes. Une publicité importante éveilla un sentiment de solidarité avec le reste du monde chez les habitants des pays qui bénéficiaient d'un niveau raisonnable d'éducation, de santé publique et de technologies appliquées. Avec le temps, cette action ambitieuse se trouva attaquée à cause des raisons complexes qui la motivaient. Et personne ne pourra nier que les résultats à long terme des projets développés furent terriblement décevants car ils ne purent combler le gouffre qui séparait les riches des pauvres. Aucune circonstance ne peut cependant effacer le sentiment de simple humanité qui imprégnait ses objectifs et qui s'exprima peut-être plus éloquemment dans la réponse qu'elle suscita chez une armée de jeunes idéalistes dans de nombreux pays.

Paradoxalement, en particulier en Extrême-Orient, la guerre elle-même eut un certain effet libérateur sur les consciences. Dès 1904, le conflit russo-japonais avait été considéré dans plusieurs parties de l'Orient comme une preuve encourageante de la résistance des peuples non-occidentaux à la puissance apparemment invincible de l'Occident. Cet effet avait été amplifié par les événements de la première guerre mondiale, et largement confirmé par le succès des armes japonaises à résister aussi longtemps à l'impressionnant dispositif occidental mis en oeuvre pour les détruire entre 1941 et 1945. La deuxième moitié du siècle vit cette nouvelle expertise technologique donner naissance aux économies modernes dans une demi-douzaine de nations de la région, dont les produits innovants et l'énergie industrielle, surtout dans les domaines du transport et de l'information, étaient capables de rivaliser avec ce que le reste du monde avait à leur offrir.

*

En 1946, la fin des hostilités avait permis à Shoghi Effendi de lancer un second plan de sept ans, lequel bénéficiait de la nouvelle réceptivité au message de la Foi que produisait le changement de conscience déjà apparent. Encore une fois, la communauté baha'ie nord-américaine fut chargée d'une lourde responsabilité, celle de consolider et de développer les réalisations acquises lors du plan précédent. Toutefois il y avait maintenant plusieurs autres communautés baha'ies en mesure de participer, ce qui faisait une grande différence. Déjà en 1938, les baha'is de l'Inde, du Pakistan et de Birmanie avaient élaboré leur propre plan. Lorsque progressivement les hostilités internationales cessèrent, les Assemblées spirituelles nationales de Perse, des Iles Britanniques, d'Australie et Nouvelle-Zélande, d'Allemagne et Autriche, d'Égypte et Soudan, et d'Irak - libérées des restrictions qui leur avaient été imposées par la guerre - mirent en oeuvre des projets de durées variées afin d'élargir l'assise de l'Ordre administratif, d'établir des pionniers avec des objectifs locaux et internationaux, et de multiplier la littérature baha'ie disponible.

En 1953, toutes ces réalisations avaient été menées à terme. Trois nouvelles assemblées spirituelles nationales avaient été établies et avaient entrepris des plans d'enseignement supplémentaires. Bon nombre de nouvelles assemblées spirituelles locales avaient été formées en Europe, et les initiatives de cinq communautés nationales différentes, agissant de concert avec l'Assemblée spirituelle nationale des îles Britanniques, avaient permis l'établissement de pionniers en Afrique de l'Est et de l'Ouest ; l'important chantier que le Maître avait lancé en posant la première pierre du Temple-mère de l'Occident était enfin terminé (102). Avant même que les croyants aient pu fêter ces réussites, Shoghi Effendi lança un nouveau défi aux dimensions vertigineuses. Poussé par les forces historiques dont il était le seul à pouvoir mesurer l'ampleur, le Gardien annonça le lancement au prochain Ridvan d'un plan de dix ans d'envergure mondiale qu'il appela "croisade spirituelle". Nécessitant l'énergie de l'ensemble des douze assemblées spirituelles nationales existant alors - la douzième étant celle de la communauté italo-suisse - ce plan prévoyait l'établissement de la Foi dans cent trente et un pays et territoires supplémentaires, en même temps que la formation de quarante-quatre nouvelles assemblées spirituelles nationales et l'enregistrement légal de trente-trois d'entre elles, un accroissement important de la littérature baha'ie, la construction de Maisons d'adoration en Iran et en Allemagne (la première ayant été remplacée par un temple en Afrique et en Australie lorsque le projet de Téhéran fut bloqué), ainsi que l'augmentation à cinq mille du nombre des assemblées spirituelles locales dans le monde et l'enregistrement légal de trois cent cinquante d'entre elles. Rien dans leur expérience collective n'avait préparé les baha'is du monde à une entreprise aussi colossale. Shoghi Effendi souligna l'ampleur du défi dans un télégramme daté du 8 octobre 1952 :

"Heure propice pour proclamer à l'ensemble du monde baha'i le projet du lancement... de la croisade spirituelle d'ampleur mondiale, lourde de conséquences, bouleversante, d'une durée de dix ans… nécessitant la participation concertée de toutes les assemblées spirituelles nationales du monde baha'i, destinée à placer rapidement sous l'autorité spirituelle de Baha'u'llah... tous les États souverains restants, les principales dépendances, y compris les principautés, les sultanats, les émirats, les territoires sous la juridiction d'un Shaykh, les protectorats, les territoires sous mandat international et les colonies de la Couronne royale éparpillés sur toute la surface de la planète. La communauté tout entière des partisans indéfectibles de la Foi toute conquérante de Baha'u'llah se voit maintenant désignée pour réaliser en une seule décennie des exploits de nature à éclipser entièrement les réussites qui illustrèrent les annales des pionniers baha'is au cours des onze décennies précédentes (103)."

Une victoire dans une entreprise aussi ambitieuse signifiait que la Foi devait englober toute la planète, que les fondations institutionnelles de son ordre administratif devaient se multiplier par cinq et que la vie communautaire devait s'enrichir de la participation de croyants issus d'un nombre important de nations, de cultures et de tribus non encore touchées.

En fait, ce plan prévoyait que la Cause effectue un pas de géant englobant ce qui aurait pu autrement représenter plusieurs étapes de son évolution. Shoghi Effendi avait clairement vu - et seules les capacités de clairvoyance d'un Gardien pouvaient voir cela - qu'un concours de circonstances historique offrait à la communauté baha'ie une occasion qui ne se représenterait pas et dont les étapes futures du Plan divin dépendraient entièrement. Ce qu'il n'hésita pas à appeler L'appel du Seigneur des armées était incorporé dans un message qui frappa l'imagination des baha'is du monde entier :

"Peu importe la durée de la période qui les sépare de la victoire finale ; aussi ardue que puisse être la tâche ; quelle que soit l'importance des efforts qui leur sont demandés ; quelle que soit la noirceur des jours que l'humanité, perplexe et durement éprouvée, doit traverser pendant cet enfantement ; aussi rudes que soient les épreuves auxquelles seront confrontés ceux qui rachèteront son destin... Par ce sang précieux qui coula abondamment, par la vie des innombrables saints et héros qui furent immolés, par le sacrifice suprême et glorieux du prophète et précurseur de notre Foi, par les tribulations que son Fondateur lui-même accepta de subir afin que sa Cause vive, que son Ordre rachète un monde écroulé et que sa gloire inonde la planète entière, je les conjure, tandis que cette heure solennelle approche, de se résoudre à ne jamais faillir, à ne jamais hésiter, à ne jamais faiblir tant que les objectifs des plans à venir ne sont pas complètement réalisés (104)."

La réponse fut immédiate. En l'espace de quelques mois des messages émanant du Centre mondial commencèrent à annoncer une série de victoires, pays par pays. Les pionniers qui, les premiers, établirent la Foi dans un pays ou territoire furent nommés "Chevaliers de Baha'u'llah", et leurs noms furent inscrits sur une liste d'honneur destinée à être déposée, ainsi que le demanda le Gardien, sous le seuil d'entrée du tombeau de Baha'u'llah. Le fait que dans chacun des États nés au lendemain de la seconde guerre mondiale, les communautés et assemblées spirituelles baha'ies faisaient déjà partie du tissu de la vie nationale atteste de manière saisissante et plus que tout autre chose les prémonitions incorporées dans les plans successifs de Shoghi Effendi.

Une succession éclatante de réussites suivit les premières. En octobre 1957, alors que la Foi était implantée dans plus de deux cent cinquante pays et territoires, Shoghi Effendi fut en mesure d'annoncer l'acquisition de propriétés pour la construction de dix nouveaux temples, et le lancement des travaux des Maisons d'adoration de Kampala, Sydney et Francfort ; l'acquisition de propriétés pour quarante-six centres nationaux ; une augmentation importante de la production de littérature baha'ie ; l'enregistrement légal d'assemblées, portant leur nombre total à cent quatre-vingt-quinze ; une plus grande reconnaissance du mariage et des jours fériés baha'is ; et la bonne progression des travaux du bâtiment des archives internationales baha'ies, le premier à être construit sur le grand Arc dessiné par le Gardien sur la pente du Mont Carmel. Quiconque se penche sur les événements de cette époque ne peut qu'être profondément saisi par la sollicitude paternelle avec laquelle Shoghi Effendi s'assura de la réussite de ces prodigieux résultats, comme le montre la liste nominative de chacune des soixante-trois conférences régionales d'enseignement et instituts tenus cette année-là dans le monde baha'i, liste qu'il prit le soin d'établir dans son dernier message sur la croisade, en avril 1957.

Une telle rétrospective resterait incomplète sans une compréhension des actions simultanées de l'Ordre administratif à un niveau international, que le Gardien entreprit au cours de ces mêmes années. Ces étapes s'avérèrent cruciales non seulement pour remporter la croisade mais surtout pour consolider et protéger l'avenir de la Cause. Parallèlement au pouvoir de décision qui incombait aux institutions élues de la Foi, une fonction similaire de l'Ordre administratif consiste à exercer une influence spirituelle, morale et intellectuelle à la fois sur ces institutions et sur la vie des membres de la communauté. Le Testament du Maître confère essentiellement aux Mains de la cause de Dieu cette responsabilité conçue par Baha'u'llah lui-même, consistant à "diffuser les parfums divins, à édifier l'âme des hommes, à promouvoir la connaissance, à améliorer le caractère de tous les hommes... (105)".

Au cours des ministères de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha, ces croyants à qui furent conférées ces hautes fonctions jouèrent un rôle majeur dans le développement de l'enseignement en Orient. Tandis que la conception de la croisade de dix ans prenait forme dans son esprit, Shoghi Effendi mobilisa le soutien spirituel que cette institution pouvait apporter pour mener à bien les tâches de ce plan. Dans un télégramme daté du 24 décembre 1951, il annonça la nomination du premier contingent de douze Mains de la cause de Dieu, réparties équitablement entre la Terre sainte, l'Asie, les Amériques et l'Europe. Ces éminents serviteurs de la Cause se virent confier la tâche de concentrer toutes leurs forces pour mobiliser les énergies des amis et fournir aux corps élus conseils et encouragements. Peu après, le nombre des Mains de la cause passa de douze à dix-neuf.

La décision du Gardien, en octobre 1952, demandant aux Mains de la cause de créer cinq corps auxiliaires, un pour chaque continent, accrut les ressources disponibles pour leur permettre de faire face à cette responsabilité ; ceux d'Amérique, d'Europe et d'Afrique se composaient de neuf membres chacun, tandis que ceux d'Asie et d'Australasie en comportaient respectivement sept et deux. Par la suite, des corps auxiliaires séparés furent créés pour participer au travail de protection de la Foi, la seconde des deux fonctions principales des Mains de la cause.

Dans un message du 3 juin 1957, le Gardien louait l'action du gouvernement israélien qui faisait appliquer la décision de la cour d'appel de ce pays : le groupe des derniers briseurs d'alliance encore en vie devait enfin être expulsés du Haram-i-Aqdas entourant le coeur du monde baha'i à Bahji (106). Pourtant, dès le lendemain, un second télégramme inquiétant fit part de la nécessité qu'il y avait pour les institutions majeures de la Foi d'agir de concert afin de se protéger des nouveaux dangers que le Gardien voyait se profiler à l'horizon. Il fut suivi en octobre d'un message annonçant que le nombre des Mains de la cause de Dieu passait maintenant de dix-neuf à vingt-sept ; il nommait ces dignitaires de haut rang "Régisseurs principaux de la fédération mondiale embryonnaire de Baha'u'llah", et les chargeait de la responsabilité de consulter les assemblées spirituelles nationales sur les mesures à prendre de toute urgence afin de protéger la Foi.

Moins d'un mois plus tard, le monde baha'i fut atterré par l'annonce de la nouvelle du décès de Shoghi Effendi, le 4 Novembre 1957, suite à des complications survenues après une grippe asiatique contractée au cours d'une visite à Londres. Le Centre de la cause, qui, pendant trente-six ans avait guidé son évolution jour après jour, dont la vision embrassait à la fois le cours des événements et les actions que la communauté baha'ie devait engager, et dont les messages d'encouragement avaient été le lien spirituel d'innombrables baha'is autour de la planète, s'était tout à coup éteint laissant la grande croisade inachevée et l'avenir de l'Ordre administratif incertain.

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La douleur et l'immense sentiment de désolation produite par la disparition du Gardien donne encore plus de sens au triomphe du plan qu'il avait conçu et inspiré. Le 21 avril 1963, le vote des délégués de cinquante-six assemblées spirituelles nationales dont les quarante-quatre nouvelles assemblées requises et établies avec succès au cours de la croisade de dix ans, donna naissance à la Maison universelle de justice, cet organe législatif de la Cause conçu par Baha'u'llah et qui serait divinement guidé dans l'exercice de ses fonctions, avait-il assuré de manière non équivoque :

"Il incombe aux administrateurs de la Maison de justice de se consulter ensemble sur ces sujets qui n'ont pas été ouvertement révélés dans le Livre, et de faire appliquer l'objet de leur accord. Dieu en vérité les inspirera de la manière qu'il voudra, et il est, en vérité, le Bienfaiteur, l'Omniscient (107)."

Il sembla particulièrement approprié que ces élections - par les délégués réunis et par ceux qui votaient par correspondance - aient lieu dans la demeure du Maître qui, près de soixante ans plus tôt, avait décrit dans son Testament le dessein et la portée de l'autorité conférée par ces paroles de Baha'u'llah :

"C'est vers le plus saint Livre que tous doivent se tourner et tout ce qui n'y est pas expressément écrit doit être déféré à la Maison universelle de justice. La décision que ce corps prendra, que ce soit à l'unanimité ou à la majorité des voix, est assurément la vérité et le dessein de Dieu lui-même. Quiconque s'en écarte est en vérité de ceux qui affectionnent la discorde ; il est enclin au mal et s'est détourné du Seigneur de l'alliance (108)."

En 1951, lorsqu'il avait nommé les membres du Conseil international destiné à l'assister dans ses travaux, Shoghi Effendi avait franchi une étape préliminaire importante pour cette élection. En 1961, ainsi qu'il l'avait prévu, ce processus franchit une seconde étape avec l'évolution de cette institution en un conseil de neuf membres, élus par les membres des assemblées spirituelles nationales. Par conséquent, lorsque la croisade de dix ans se termina avec succès en 1963, le monde baha'i avait acquis l'expérience nécessaire pour relever le défi qui lui était lancé.

Les historiens rendront assurément hommage aux Mains de la cause qui ont su mobiliser les efforts nécessaires pour rendre ce moment possible, ils assurèrent la coordination dont le monde baha'i avait été privé par la perte du Gardien. Parcourant le monde sans relâche pour promouvoir le plan de Shoghi Effendi, organisant des assises annuelles pour encourager et informer, inspirant les actions de leurs adjoints nouvellement nommés et déjouant les manoeuvres d'une nouvelle faction de briseurs d'alliance pour miner l'unité de la Foi, ce petit groupe d'hommes et de femmes accablés de douleur réussit à assurer la réalisation des objectifs ambitieux de la croisade dans les temps impartis, et la mise en place des fondations nécessaires à l'édification de l'organe couronnant l'Ordre administratif. En demandant que leurs propres membres ne soient pas éligibles à la Maison universelle de justice afin de poursuivre les tâches que le Gardien leur avait assignées, les Mains de la cause offrirent au monde baha'i une distinction spirituelle sans précédent dans l'histoire de l'humanité ; cela constituait un second héritage important. Jamais encore auparavant des personnes qui tenaient entre leurs mains les rênes du pouvoir souverain d'une grande religion et qui jouissaient d'un niveau de respect sans équivalent dans leur communauté n'avaient demandé à ne pas participer à l'exercice de l'autorité suprême, se mettant entièrement au service du corps choisi pour ce rôle par l'ensemble des croyants (109).


VII.

LA DISTANCE ENTRE LA FONCTION de Gardien et le rang unique de Centre de l'alliance est immense, pourtant le rôle joué par Shoghi Effendi après le décès du Maître occupe une position exceptionnelle dans l'histoire de la Cause. Il continuera à occuper cette place centrale dans la vie de la Foi au cours des siècles à venir. À bien des égards, on peut dire que Shoghi Effendi a prolongé de trente-six années décisives l'influence du Maître dans la construction de l'Ordre administratif et l'expansion et la consolidation de la foi de Baha'u'llah. On ne peut qu'imaginer avec inquiétude le destin de la très jeune cause de Dieu si elle n'avait pas été tenue fermement pendant sa période de grande vulnérabilité, par la main de quelqu'un que 'Abdu'l-Baha avait préparé dans ce but et qui acceptait de devenir -au plein sens du terme - son Gardien.

Il est clair que Shoghi Effendi - tout en mettant l'accent pour l'ensemble de ses coreligionnaires sur le fait que les successeurs jumeaux du Maître étaient "inséparables" et "complémentaires" dans les fonctions qu'ils devaient l'un et l'autre accomplir - accepta très tôt les implications du fait que la Maison universelle de justice ne pouvait naître qu'après la création, résultat d'un long processus de développement administratif, de la structure des assemblées spirituelles nationales et locales nécessaires à son établissement. Il fut parfaitement honnête avec la communauté baha'ie quant aux implications d'assumer seul cette responsabilité suprême. Selon ses propres mots :

"Dissocié de la non moins essentielle institution de la Maison Universelle de Justice, ce système (110) du Testament de 'Abdu'l-Baha serait paralysé dans son action et incapable de combler les vides que l'auteur du Kitab-i-Aqdas a laissé délibérément subsister dans le corps de ses ordonnances législatives et administratives (111)."

Conscient de cette vérité, Shoghi Effendi examina de manière particulièrement attentive les contraintes que lui imposaient les circonstances, une scrupulosité qui fera la fierté des disciples de Baha'u'llah dans les âges à venir. Les annales de ses trente-six années au service de la Foi - annales qui, comme celles de son grand-père, sont accessibles et peuvent être examinées et évaluées pour la postérité - ne relatent, ainsi qu'il l'avait assuré à la communauté baha'ie, aucune action de sa part qui pourrait, d'une manière ou d'une autre "transgresser le domaine sacré et prescrit" de la Maison universelle de justice. Non seulement Shoghi Effendi s'abstint de légiférer, mais il remplit son mandat en n'introduisant que des ordonnances provisoires, laissant entièrement à la Maison universelle de justice le soin de décider sur ces sujets.

Nulle part, cette réserve n'est plus frappante que dans le problème essentiel d'un successeur au Gardien. Shoghi Effendi n'avait pas d'héritier et les autres branches de la sainte famille avaient violé l'Alliance. Les écrits baha'is ne contiennent aucune directive pour une telle éventualité, mais le Testament du Maître est explicite sur la manière de résoudre tout point obscur :

"Il incombe à ces membres (ceux de la Maison universelle de justice) de se réunir dans un lieu déterminé et de délibérer sur tous les problèmes qui sont cause de désaccord, sur toutes les questions obscures qui ne sont pas expressément traitées dans le Livre. Leurs décisions auront le même effet que le Texte lui-même (112)."

Shoghi Effendi resta silencieux, conformément à ces recommandations de la plume du Centre de l'alliance, laissant la question de son ou de ses successeurs à ce corps, seul autorisé à décider en la matière. Cinq mois après sa naissance, la Maison universelle de justice clarifia le sujet dans un message daté du 6 octobre 1963 à toutes les assemblées spirituelles nationales :

"Après un examen recueilli et approfondi des textes sacrés, … après mûre réflexion,… la Maison universelle de justice estime qu'il ne lui est pas possible de nommer ni de légiférer pour nommer un second gardien destiné à succéder à Shoghi Effendi (113)."

En s'embarquant dans une mission qui n'avait pas de précédent dans l'histoire, Shoghi Effendi ne pouvait se tourner que vers les écrits des Fondateurs de la Foi et l'exemple du Maître pour y puiser les directives nécessaires à son travail. Il n'avait aucun conseiller pour l'aider à déterminer le sens des textes qu'il devait interpréter pour une communauté baha'ie qui avait placé en lui toute sa confiance. Tout ce qu'il avait lu des travaux publiés par des historiens, des économistes et des politologues, lui apportait seulement la matière première que sa vision de la Cause devait alors agencer. La confiance et le courage requis pour mobiliser une communauté hétérogène de croyants et l'inciter à entreprendre des tâches qui étaient, en toute objectivité, bien au-delà de leurs capacités, ne pouvaient être puisés que dans les ressources spirituelles de son propre coeur. Tout observateur impartial du vingtième siècle, aussi sceptique soit-il quant aux revendications de la religion, reconnaîtra assurément que l'intégrité qui fit accepter une responsabilité si imposante à un jeune homme d'une vingtaine d'années et l'ampleur de la victoire qu'il remporta sont les marques de l'extraordinaire pouvoir spirituel inhérent à la Cause qu'il défendait.

Admettre tout ceci signifie reconnaître que les facultés dont l'Alliance a doté la fonction de Gardien n'allaient pas de soi. L'exercice réussi de ces facultés nécessitait, comme l'a écrit Ruhiyyih Khanum de manière émouvante, toute une série d'expériences, d'évaluations et de perfectionnements. On est rempli de respect devant la précision avec laquelle Shoghi Effendi analysa les mécanismes politiques et sociaux aux premiers stades de leur développement, et devant la maîtrise avec laquelle son esprit cerna des événements toujours changeants, à la fois actuels et historiques, établissant leurs liens avec le déroulement des desseins de la Providence. Que ce travail de l'intelligence s'opère à un niveau bien supérieur à celui où l'esprit humain oeuvre habituellement, ne rend pas les efforts moins réels ni moins pénibles. L'inverse était plutôt le cas, étant donné la capacité d'introspection et de motivation dans la nature humaine, indissociable de l'institution que Shoghi Effendi représentait (114).

Avec le recul des quarante années écoulées depuis le décès de Shoghi Effendi, la portée de son oeuvre dans l'évolution de l'Ordre administratif commence clairement à émerger. Si les circonstances avaient été différentes, le Testament du Maître offrait une possibilité qu'il y ait un ou plusieurs successeurs à l'institution que Shoghi Effendi représentait. Nous ne pouvons, évidemment, pénétrer l'esprit de Dieu. Il est clair et indéniable cependant que, grâce à son autorité interprétative, la réalisation - en tout et en détail- par Shoghi Effendi du mandat que le Maître lui avait confié, a fixé pour toujours la structure de l'Ordre administratif et le cours que prendrait son développement futur. Et il est tout aussi clair et indéniable que la structure de l'Ordre administratif et son cours représentent la volonté de Dieu.


VIII.

LES MISES EN GARDE PROPHÉTIQUES de Shoghi Effendi s'avéraient justes et des forces sapant les divers systèmes et croyances du passé s'activaient parallèlement au processus d'intégration à l'oeuvre dans le monde. Il n'est donc pas surprenant que l'euphorie provoquée par le rétablissement de la paix en Europe et en Orient ait été de très courte durée. Les hostilités à peine finies, les dissensions idéologiques entre marxisme et démocratie libérale éclatèrent par des tentatives visant à dominer les blocs de nations qu'elles inspiraient. Le phénomène de "guerre froide", dans lequel la lutte pour le pouvoir restait à la limite du conflit militaire, s'affirma comme le modèle politique dominant des décennies suivantes.

La menace que constituait une nouvelle crise dans l'ordre international était amplifiée par les avancées technologiques dans le domaine nucléaire et l'accroissement de l'équipement en armes de destruction massive des deux blocs. Au travers des terribles images de Hiroshima et de Nagasaki, l'humanité avait pris conscience de l'effroyable possibilité qu'une série d'incidents relativement mineurs - et aussi peu prévisibles que le processus déclenché par l'incident de Sarajevo en 1914 - puisse, cette fois, conduire à la destruction d'une partie considérable de la population mondiale et rendre inhabitables de vastes régions du globe. Pour les baha'is, l'idée ne pouvait que rappeler vivement le sombre avertissement de Baha'u'llah quelques décennies auparavant : "Des choses étranges et étonnantes existent sur la terre, mais elles sont cachées à l'esprit et à la compréhension des hommes. Ces choses sont capables de changer toute l'atmosphère terrestre et leur contamination pourrait s'avérer mortelle (115)".

Mais cette dernière lutte pour la domination du monde entraîna de loin la plus importante des tragédies : elle porta un coup fatal aux espoirs des peuples soumis jusqu'alors ; ceux-ci avaient accueilli avec joie cette occasion qui leur était offerte de construire une nouvelle vie dont ils seraient les acteurs, du moins le pensaient-ils.

La détermination avec laquelle quelques-uns des derniers pouvoirs coloniaux s'obstinaient à éliminer de tels espoirs - attitude condamnée à l'échec aux yeux de tout observateur objectif - ne laissait pas d'autre issue à ce besoin pressant de libération ressenti par de nombreux pays que de prendre la forme d'une lutte révolutionnaire. En 1960, ces mouvements, qui constituaient déjà l'un des traits du paysage politique au début du siècle, allaient représenter la principale forme d'activité politique autochtone de la plupart des nations soumises.

Comme l'élément moteur du colonialisme était l'exploitation économique, il était sans doute inévitable que la plupart des mouvements de libération se moulent dans une idéologie largement socialiste. En l'espace de quelques années, ces conditions avaient créé un sol fertile pour être exploité par les Super-puissances du monde. Pour l'Union soviétique, la situation semblait offrir l'occasion de modifier l'alignement des nations de cette époque en acquérant une influence prépondérante sur ce qui prit alors le nom de "Tiers monde". La réponse de l'Occident - partout où l'aide au développement n'avait pas réussi à conserver la loyauté des populations bénéficiaires - était d'encourager et d'armer tout un éventail de régimes autoritaires.

Tandis que des forces extérieures manipulaient les nouveaux gouvernements, on détournait de plus en plus l'attention d'une considération objective des besoins en matière de développement vers des luttes idéologiques et politiques qui avaient très peu ou pas de relation avec la réalité sociale ou économique. Les résultats furent pareillement dévastateurs. Banqueroutes économiques, importantes violations des droits de l'homme, détérioration de l'administration civile et montée d'élites opportunistes qui ne voyaient dans la souffrance de leurs nations qu'une opportunité de s'enrichir personnellement, tel fut le tragique destin qui engloutit l'une après l'autre les nouvelles nations alors que peu d'années auparavant, elles avaient entamé une vie pleine de belles promesses.

L'inexorable montée et l'enracinement du matérialisme, maladie de l'âme humaine infiniment plus destructrice que n'importe laquelle de ses manifestations plus spécifiques, inspiraient ces crises politiques, sociales et économiques. Son triomphe marqua un stade nouveau et inquiétant dans le processus de dégénérescence sociale et spirituelle que Shoghi Effendi avait identifié. Conçu par la pensée européenne du dix-neuvième siècle, acquérant une énorme influence grâce aux succès de la culture capitaliste américaine et doté par le marxisme d'une crédibilité feinte particulière à ce système, ce matérialisme émergea pleinement dans la seconde moitié du vingtième siècle comme une sorte de religion universelle revendiquant une autorité absolue dans la vie à la fois personnelle et sociale de l'humanité. Son credo était la simplicité même : la réalité est essentiellement de nature matérielle, y compris la réalité humaine et le processus par lequel elle évolue ; le but de la vie humaine est, ou devrait être, la satisfaction des besoins et des désirs matériels ; la société existe pour faciliter cette quête et le souci collectif de l'humanité devrait être le perfectionnement constant de ce système, de façon à le rendre plus efficace pour accomplir la tâche fixée.

Avec l'effondrement de l'Union soviétique, l'élan visant à imaginer ou à promouvoir une croyance matérialiste formelle disparut. De tels efforts n'auraient servi aucun but utile dans la mesure où le matérialisme ne rencontrait plus de défi significatif dans la plupart des régions du monde. La religion, lorsqu'elle ne retombait pas dans le fanatisme ou le rejet irréfléchi du progrès, fut progressivement réduite à une sorte de choix personnel, à une prédilection, à une quête destinée à satisfaire les besoins spirituels et émotionnels de l'individu. La conscience d'une mission historique, qui était à la base des principales religions, dû se contenter de fournir une caution religieuse aux campagnes de changement social menées par des mouvements séculiers. Le monde universitaire qui fut le théâtre du succès de la raison et de l'esprit s'était installé dans le rôle d'une sorte d'industrie savante occupée à gérer son dispositif de colloques et de symposiums, ses crédits de publication et de subventions.

L'effet du matérialisme, s'appliquant au monde en général ou à un niveau personnel, est d'extraire de la motivation humaine - et même de l'intérêt humain - l'élan spirituel qui distingue l'âme douée de raison. "Car l'amour de soi", dit 'Abdu'l-Baha, "est ancré dans l'argile même de l'homme et il n'est pas évident que, sans l'espoir d'une récompense substantielle, il néglige son propre bien matériel (116)". En l'absence de certitude quant à la nature spirituelle de la réalité et de la satisfaction qu'elle est seule à offrir, il n'est pas surprenant de trouver au coeur même de la crise actuelle de la civilisation le culte de l'individualisme qui n'admettra bientôt plus aucune contrainte et qui élève les possessions et le progrès personnel au rang de valeurs culturelles essentielles. La désagrégation de la société qui en résulte a marqué une nouvelle étape dans le processus de désintégration dont les écrits de Shoghi Effendi parlent instamment.

Accepter volontairement la rupture, l'un après l'autre, des fils du tissu moral qui guident et disciplinent la vie de l'individu dans n'importe quel système social, constitue une approche défaitiste de la réalité. Si les penseurs étaient impartiaux dans leur évaluation des signes à leur portée, c'est là qu'ils trouveraient la cause première de problèmes apparemment sans relation, tels que la pollution de l'environnement, les bouleversements économiques, la violence ethnique, l'indifférence publique grandissante, l'accroissement du nombre des crimes et les épidémies qui déciment des populations entières. Même si l'application d'une expertise juridique, sociologique ou technologique est importante, il serait irréaliste de penser que ces efforts produiront un redressement significatif sans une modification fondamentale de la conscience morale et du comportement.

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Devant des perspectives aussi sombres, les réalisations du monde baha'i au cours de ces mêmes années acquièrent encore plus d'éclat. Il est impossible d'exagérer l'importance de la performance qui donna naissance à la Maison universelle de justice. Depuis pratiquement six mille ans, l'humanité a fait l'expérience d'une variété quasi illimitée de méthodes de prise de décision collective. Vu du vingtième siècle, l'histoire politique du monde présente une scène en perpétuel mouvement sur laquelle l'ingéniosité humaine a essayé toutes les possibilités. Des systèmes basés sur des principes aussi différents que la théocratie, la monarchie, l'oligarchie, la république, la démocratie, et l'anarchie presque totale se sont développés librement, en même temps que des innovations sans fin qui ont cherché à combiner les différentes caractéristiques bénéfiques de ces possibilités. Bien que la plupart des choix faits se soient prêtés à des abus d'un genre ou d'un autre, la grande majorité d'entre eux a sans aucun doute contribué, à divers degrés, à satisfaire les espoirs de ceux dont ils prétendaient servir les intérêts.

Au cours de ce long processus d'évolution, alors que l'un ou l'autre de ces systèmes de gouvernement exerçait son contrôle sur des populations plus nombreuses et diversifiées, la tentation d'un empire universel s'empara à maintes reprises de l'imagination de ces César ou Napoléon qui dirigeaient de telles expansions. Les séries d'échecs désastreux qui s'ensuivirent et qui font que l'histoire fascine autant qu'elle effraye, semblent apporter des preuves convaincantes que la réalisation d'une telle ambition est hors de portée de toute action humaine, quelles que soient les ressources disponibles ou la confiance dans le génie d'une culture particulière.

Pourtant, il apparaît clairement que l'étape suivante de l'évolution de la civilisation sera l'unification de l'humanité par un système de gouvernement qui fera ressortir toutes les potentialités latentes de la nature humaine, et qui permettra leur expression dans des programmes établis pour le bénéfice de tous. L'unification physique de la planète à notre époque et le réveil des aspirations de l'ensemble de ses habitants ont enfin fourni les conditions permettant d'aboutir à cet idéal, bien que d'une manière fort différente de celle imaginée par les rêveurs impérialistes du passé. Les gouvernements du monde ont contribué à cette action en fondant l'Organisation des Nations unies, avec ses immenses promesses, ses imperfections regrettables.

De nouveaux changements importants nous attendent et le principe même de gouvernement mondial s'imposera. Les Nations unies ne possèdent pas ce mandat, et les discours actuels des dirigeants politiques n'envisagent pas vraiment une restructuration aussi radicale de la gestion des affaires de la planète. Baha'u'llah a annoncé sans équivoque que cela se produirait en son temps. Et il apparaît hélas tout aussi clairement que des désillusions et de nouvelles souffrances toujours plus grandes seront encore nécessaires pour forcer l'humanité à faire ce grand pas en avant. Sa mise en oeuvre nécessitera que les gouvernements nationaux et les autres centres de décision abandonnent au profit d'un pouvoir de décision international, sans condition et sans retour possible, la pleine mesure de l'autorité suprême implicite dans le mot "gouvernement".

Tel est le contexte dans lequel les baha'is doivent s'efforcer de comprendre la victoire extraordinaire remportée par la Cause en 1963 et que les années ont confortée. Une véritable compréhension de sa signification est impossible à présent et le restera sans doute pour plusieurs générations de croyants. Dans la mesure où les baha'is la saisissent, ils se dévoueront sans compter, déterminés à servir ses objectifs.

Rendu possible par la réussite des trois étapes initiales du Plan divin du Maître sous la direction de Shoghi Effendi, le processus menant à l'élection de la Maison universelle de justice constitua très probablement la première élection démocratique à l'échelle du monde. Depuis, c'est un ensemble de plus en plus important et diversifié d'élus de la communauté qui a effectué chacune des élections suivantes ; à l'heure actuelle, cet évènement représente incontestablement la volonté d'un groupe significatif de l'ensemble des hommes. Rien aujourd'hui - rien qui soit conçu par des hommes - ne ressemble, de près ou de loin, à cette réalisation.

Si de plus, on considère l'atmosphère spirituelle qui anime les élections baha'ies, et les règles morales que nécessitent ses plus simples opérations, on acquiert une humilité que seule une plus grande conscience apporte. L'élection de l'institution suprême gouvernant notre Foi témoigne de l'effort maximum dont l'être humain est capable pour satisfaire Dieu. C'est une détermination unie et ardente, et rien, ni les influences culturelles, ni les impulsions personnelles, ne devrait permettre d'entacher la pureté de cet acte collectif fondamental. C'est la limite du pouvoir de l'homme. Cet acte marque les limites de ce que l'humanité peut accomplir, et Dieu, en acceptant le saint effort de ceux qui ont embrassé sa Cause, dote l'institution ainsi créée de l'autorité promise dans le Kitab-i-Aqdas ainsi que dans le Testament de 'Abdu'l-Baha. Il n'est pas étonnant que 'Abdu'l-Baha ait vu dans le processus, culminant en 1963 avec cet instant historique du centenaire de la déclaration de sa mission par Baha'u'llah, l'accomplissement de la vision du prophète Daniel, "Heureux celui qui attendra, et qui arrivera jusqu'à mille trois cent trente-cinq jours (117)". Selon les propres termes du Maître :

"D'après cette méthode de calcul, un siècle doit s'écouler après l'aurore du Soleil de vérité, à ce moment, les enseignements de Dieu auront été établis fermement sur terre et la lumière divine inondera le monde de l'Orient jusqu'à l'Occident. En ce jour tout croyant se réjouira (118)."

Avec l'établissement de la Maison universelle de justice, venait d'apparaître la deuxième des deux institutions appelées par 'Abdu'l-Baha à lui succéder et à garantir l'intégrité de la Cause. Le vaste ensemble des écrits du Gardien et le modèle de vie administrative qu'il avait conçus et qui se gravaient à jamais dans la conscience baha'ie avaient doté le monde baha'i des moyens sûrs pour arriver à un accord universel sur le dessein de la révélation de Dieu. Avec la Maison universelle de justice, la Cause disposait maintenant de l'autorité suprême conçue par Baha'u'llah pour exercer les fonctions de prise de décision dans l'Ordre administratif. Ainsi que l'explique le Testament, les deux institutions partagent la promesse divine d'être infailliblement guidées :

"La jeune branche sacrée, le Gardien de la cause de Dieu, de même que la Maison universelle de justice qui doit être établie par des élections universelles, sont tous deux sous la garde et la protection de la Beauté d'Abha, infailliblement guidés par sa Sainteté, l'Exalté (que ma vie leur soit offerte à tous deux). Tout ce qu'ils décident vient de Dieu (119)."

Shoghi Effendi expliqua par la suite que la relation entre ces deux centres d'autorité était complémentaire, certaines fonctions étant partagées et d'autres plus spécifiquement du ressort de l'une ou de l'autre. Il prit néanmoins la peine de souligner ce qui suit :

"Chaque croyant doit savoir que l'institution du Gardiennat ne peut, en aucune manière, abroger ni même amoindrir un tant soit peu les pouvoirs que Baha'u'llah accorde à la Maison universelle de justice dans le Kitab-i-Aqdas, et que 'Abdu'l-Baha confirme solennellement, à plusieurs reprises dans son Testament. "L'institution du Gardiennat ne constitue en aucune manière une contradiction avec le Testament ni avec les Écrits de Baha'u'llah, pas plus qu'elle n'annule aucune de ses instructions
révélées (120)".

La réalisation du caractère unique de ce que Baha'u'llah a mis en oeuvre nous permet d'imaginer les contributions que la Cause est susceptible d'apporter à l'unification de l'humanité et à la construction d'une société planétaire. La responsabilité immédiate de l'établissement d'un gouvernement mondial repose sur les épaules des États-nations. La communauté baha'ie de son côté est appelée, à ce stade d'évolution sociale et politique de l'humanité, à participer par tous les moyens dont elle dispose pour créer les conditions qui encourageront et faciliteront cette tâche phénoménale. De même que Baha'u'llah a assuré aux monarques de son temps que "Notre désir n'est pas de mettre la main sur vos royaumes (121)", de même la communauté baha'ie n'a aucun programme politique, s'abstient de tout engagement dans des activités partisanes et accepte sans aucune réserve l'autorité du gouvernement civil dans les affaires publiques. Quelles que soient les préoccupations des baha'is sur les conditions actuelles ou sur les besoins de leurs propres membres, ils les expriment par l'intermédiaire des voies constitutionnelles.

Aussi le pouvoir que possède la Cause d'influer sur le cours de l'histoire réside dans la force spirituelle de son message et dans l'exemple qu'elle donne. Baha'u'llah affirme que "La lumière de l'unité est si puissante qu'elle peut illuminer la terre entière (122)" . L'unité de l'humanité contenue dans la Foi ne représente pas, comme Shoghi Effendi le souligne, "une simple explosion d'émotivité ignorante, ni l'expression d'un souhait vague et pieux." L'unité organique de l'ensemble des croyants et l'Ordre administratif qui l'a rendu possible sont autant de preuves de ce que Shoghi Effendi appelait "le pouvoir que possède leur foi de construire une société (123)". Au fur et à mesure de son développement et de la mise en évidence des potentialités latentes de son Ordre administratif, la Cause attirera davantage l'attention des grands penseurs, insufflant aux esprits éclairés l'assurance que ses idéaux sont accessibles. Selon les termes de Shoghi Effendi :

"Les dirigeants religieux, les promoteurs de théories politiques, les administrateurs des institutions humaines qui assistent à présent, avec perplexité et effarement, à la ruine de leurs idées, et à l'effritement de leur oeuvre, feraient bien de tourner leur regard vers la révélation de Baha'u'llah et de méditer sur l'Ordre mondial qui, enchâssé dans ses enseignements, émerge lentement et imperceptiblement de la confusion et du chaos de la civilisation actuelle (124)."

Cette observation attirera l'attention sur les forces ayant permis la réalisation de l'unité baha'ie, ainsi que sa consolidation et son maintien. "La lumière des hommes est la justice" dit Baha'u'llah. Son objectif, ajoute-t-il "est l'avènement de l'unité parmi les hommes. L'océan de la sagesse divine surgit de cette parole exaltée (125)". L'appellation "Maisons de justice" donnée aux institutions qui règneront sur l'Ordre mondial qu'il a conçu à un niveau local, national et international, reflète le caractère essentiel de ce principe dans les enseignements de la Révélation et dans la vie de la Cause. Tandis que la communauté baha'ie devient un acteur toujours plus familier de la vie de la société, son expérience met en évidence l'importance de cette loi fondamentale pour la guérison des innombrables maux qui, en dernière analyse, sont les conséquences de la désagrégation qui affecte l'humanité. "Sache, en vérité, que ces grandes oppressions qui affligent le monde le préparent à l'avènement de la plus grande justice", explique Baha'u'llah (126).

Il est clair que cette étape culminante de l'évolution de la société humaine aura lieu au sein d'un monde très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui.


IX.

LA RÉUSSITE DE LA CROISADE DE DIX ANS et l'établissement de la Maison universelle de justice eurent pour effet immédiat de donner une puissante impulsion à la progression de la Cause. Cette fois, le progrès touchait pratiquement tous les aspects de la vie baha'ie et prenait la forme d'activités de longue haleine que l'on évaluera mieux si l'on considère la période débutant en 1963 comme un tout. Au cours de ces années cruciales, le travail avança rapidement sur deux pistes parallèles : l'expansion et la consolidation de la communauté baha'ie et, en même temps, un accroissement spectaculaire de l'influence de la Foi qui se manifesta dans la vie de la société. La gamme des activités baha'ies se diversifiait considérablement, et la plupart des efforts contribuaient directement à l'un ou l'autre des deux axes principaux.

Au tout début de cette période, une décision de la Maison de justice s'est avérée capitale pour les différents aspects du développement de l'enseignement et de l'administration. Lorsqu'on se rendit compte que personne ne succèderait à Shoghi Effendi, il devint évident que la nomination des Mains de la cause n'était plus envisageable. Les fonctions de cette institution s'étaient avérées essentielles au progrès de la Foi, d'une manière indéniable au cours de six années de tourmente, de 1957 à 1963. Aussi, en juin 1968, en accord avec le mandat l'autorisant à créer de nouvelles institutions baha'ies (127) selon les besoins de la Cause, la Maison de justice établit les corps continentaux des conseillers. Habilitée à assumer dans le futur les fonctions des Mains de la cause en ce qui concerne la protection et la propagation de la Foi, la nouvelle institution se chargea de guider le travail des corps auxiliaires déjà existants et soutint les assemblées nationales dans leur charge de faire progresser la Foi. Les grandes et magnifiques victoires célébrées en 1973 à l'issue du plan de neuf ans reflétaient bien l'aisance extraordinaire avec laquelle le nouveau corps administratif avait pris ses fonctions et l'accueil empressé des croyants et des assemblées à son égard. Cette période fut marquée par une autre réalisation majeure de l'Ordre administratif : la création du Centre international d'enseignement ; cet organe assumerait dans le futur certaines des responsabilités des "Mains de la cause résidant en Terre sainte" et dès lors, coordonnerait les tâches des corps des conseillers dans le monde.

Prévoyant l'évolution de la Cause, Shoghi Effendi avait évoqué les " entreprises mondiales, qui seront lancées en des temps futurs de cet âge (de formation) par la Maison universelle de justice, et qui symboliseront l'unité, coordonneront et unifieront les activités .... des assemblées nationales (128)". Ces actions à l'échelle planétaire débutèrent en 1964 avec le plan de neuf ans, suivi par les plans de cinq ans [1974], de sept ans [1979], de six ans [1986], de trois ans [1993], de quatre ans [1996], et un plan de douze mois qui termina le siècle. Les différences importantes qui ont distingué les uns des autres ces programmes successifs fournissent un indice utile sur la croissance de la Cause au cours de ces décennies ainsi que sur les opportunités et les nouveaux défis que cette croissance engendrait. Les actions indispensables à la réalisation des plans ne faisaient que prolonger des actions engagées par Shoghi Effendi, et ce fait est plus important que ces évolutions elles-mêmes. Il avait à son tour saisi et façonné les fils tissés par les Fondateurs de la foi : éduquer les assemblées spirituelles, traduire, éditer et distribuer des écrits, encourager la participation générale des amis, s'assurer de l'enrichissement spirituel de la vie baha'ie, veiller à la participation de la communauté baha'ie dans la société, renforcer la vie de famille ainsi que l'éducation des enfants et des jeunes. Ces différentes actions continueront indéfiniment à offrir de nouvelles possibilités, et le fait que chacune trouve son origine dans l'élan créatif de la révélation elle-même confère à tout ce qu'entreprend la communauté baha'ie une force unificatrice qui est à la fois le secret et la garantie de sa victoire finale.

Les vingt premières années furent une période des plus enrichissantes jamais vécues par la communauté baha'ie. En un temps très court, le nombre des assemblées spirituelles locales se multiplia et la diversité culturelle et ethnique des adhérents devint une caractéristique chaque jour plus évidente de la communauté. Bien que l'effondrement de la société ait créé des difficultés aux institutions baha'ies, il eut également pour effet de susciter un intérêt accru pour le message de la Cause. La communauté fut tout de suite confrontée au défi "d'enseigner aux masses". En 1967, elle fut appelée "à lancer, à l'échelle planétaire et dans toutes les couches de la société humaine, une campagne de proclamation intensive et continue pour annoncer la venue salvatrice du Promis (129)."

Au cours de leurs vastes campagnes pour atteindre la masse des populations du monde dans les villages et les zones rurales, les croyants des centres urbains rencontrèrent une réceptivité au message de Baha'u'llah qui dépassait tout ce qu'ils avaient pu imaginer. Les nouveaux déclarés furent reçus chaleureusement avec leur réponse qui prenait généralement des formes très différentes de celles auxquelles les enseignants étaient habitués. Des dizaines de milliers de nouveaux baha'is vinrent grossir les rangs de la Cause sur le continent africain, en Asie et en Amérique latine ; ils représentaient souvent presque tous les habitants d'un village. Les années 60 et 70 furent grisantes pour une communauté baha'ie dont la croissance hors d'Iran avait été lente et mesurée. C'est aux amis du Pacifique que revient l'honneur d'avoir attiré à la Cause le premier souverain, son Altesse Malietoa Tanumafili Il de Samoa ; c'est seulement dans l'avenir que la portée de cet événement deviendra évidente.

C'est l'engagement individuel de chaque croyant qui a été au coeur même de cette croissance, comme cela a été le cas depuis le début dans la vie de la Cause. Pendant le ministère de Shoghi Effendi, quelques personnes clairvoyantes avaient déjà pris l'initiative de contacter les populations indigènes dans des pays comme l'Ouganda, la Bolivie ou l'Indonésie. Au cours du plan de neuf ans un nombre encore plus grand de ces enseignants se mit à l'ouvrage, en particulier en Inde, dans plusieurs pays d'Afrique, dans la plupart des régions d'Amérique latine, dans les îles du Pacifique, en Alaska, ainsi que parmi les peuples autochtones du Canada et les populations noires des régions rurales du sud des États-Unis. L'activité de pionnier apporta un support essentiel à ce travail, encourageant l'émergence de groupes d'enseignants au sein des croyants indigènes.

Malgré cela, il devint bientôt évident que l'initiative individuelle seule, tout inspirée et énergique qu'elle fut, ne pouvait pas répondre de manière appropriée à toutes les opportunités. Aussi, les communautés baha'ies se lancèrent-elles dans des campagnes d'enseignement et des activités de proclamation très diverses, rappelant les périodes héroïques des précurseurs. Des équipes d'enseignants enthousiastes découvrirent qu'il était maintenant possible de présenter le message de la Foi non seulement à des chercheurs individuellement, mais également à des groupes et même des communautés entières. Les dizaines de milliers devinrent des centaines de milliers. Jusque-là, l'expérience des membres des assemblées spirituelles se limitait à confirmer la compréhension de la foi des postulants individuels issus de cultures où régnait le doute ou le fanatisme religieux. La croissance de la Foi les obligea à s'adapter aux expressions de foi de groupes entiers pour qui conscience et réponse religieuses étaient des traits naturels de la vie quotidienne.

Personne dans la communauté baha'ie n'apporta de contribution plus énergique et plus significative que celle des jeunes à cet éclatant processus de croissance. Dans leurs prouesses tout au long de ces décennies cruciales - comme assurément à travers toute l'histoire des cent cinquante années précédentes - on voit encore et toujours que, dans leur grande majorité, tous les héros qui lancèrent la Cause au début du dix-neuvième siècle étaient jeunes. Le Bab déclara sa mission lorsqu'il était âgé de vingt-cinq ans, et Anis qui connut la gloire impérissable de mourir avec son Seigneur n'était qu'un adolescent. Quddus répondit à l'appel lorsqu'il n'avait que vingt-deux ans. Zainab, dont l'âge n'est pas connu, était une très jeune femme. Tendrement chéri par Quddus et Mulla Husayn, Shaykh 'Ali fut martyrisé à l'âge de vingt ans, tandis que Muhammad-i-Baqir-Naqsh n'avait que quatorze ans lorsqu'il rendit l'âme. Tahirih était âgée d'une vingtaine d'années lorsqu'elle embrassa la cause du Bab.

Par la suite, des milliers de jeunes baha'is se levèrent sur les pas de ces personnages extraordinaires, pour proclamer le message de la Foi à travers les cinq continents et dans les îles disséminées de par les mers. À la fin des années 60 et durant les années 70, une culture internationale de la jeunesse commençait à émerger dans la société. Des croyants doués en musique, théâtre et peinture illustrèrent alors les paroles de Shoghi Effendi : " La Cause se propagera telle une traînée de poudre le jour où son esprit et ses enseignements seront représentés sur scène, dans les beaux-arts ou la littérature…. (130)"
L'esprit de ferveur et d'enthousiasme qui caractérise les jeunes a aussi constamment poussé l'ensemble de la communauté à explorer avec toujours plus d'audace les implications sociales révolutionnaires des enseignements de Baha'u'llah.

L'explosion des déclarations a cependant entraîné des difficultés tout aussi importantes. En premier lieu, les moyens des communautés baha'ies engagées dans ce travail s'avérèrent rapidement insuffisants face à l'obligation de fournir l'approfondissement soutenu nécessaire aux masses de nouveaux croyants et à celle de consolider leurs nouvelles communautés et assemblées spirituelles. Puis les obstacles culturels se reproduisirent, identiques à ceux rencontrés par les premiers croyants persans qui avaient cherché à introduire la Foi dans les pays occidentaux, mais cette fois à l'échelle mondiale. Les principes théologiques et administratifs qui pouvaient être d'un intérêt profond pour les pionniers et ceux qui enseignaient avaient rarement un intérêt primordial pour les nouveaux déclarés de milieux culturels et sociaux extrêmement différents. Les divergences d'opinion sur des points aussi élémentaires que l'emploi du temps ou de simples conventions sociales ont souvent creusé des fossés d'incompréhension qui ont rendu la communication très difficile.

Au départ, ces problèmes s'avérèrent stimulants tandis que les institutions baha'ies et les croyants eux-mêmes se débattaient pour trouver de nouvelles façons d'appréhender les choses - en fait, de nouveaux chemins pour comprendre d'importants passages des écrits baha'is. Des efforts décidés furent engagés pour suivre les directives du Centre mondial selon lesquelles l'expansion et la consolidation sont deux processus jumeaux qui doivent avancer ensemble. Pourtant, un certain découragement s'installa fréquemment là où les résultats espérés se faisaient attendre. La rapide augmentation des déclarations du début se ralentit considérablement dans de nombreux pays, et quelques institutions et communautés baha'ies furent tentées par un retour à des activités plus familières et à des auditoires plus accessibles.

La principale conséquence de ces reculs fut de faire comprendre à ces communautés que les hautes espérances des premières années n'étaient pas réalistes, sous certains aspects. Bien que les succès faciles des activités d'enseignement du début aient été encourageants, ils n'ont pas construit à eux seuls une vie communautaire qui satisfasse les besoins de ses nouveaux adhérents et qui se nourrisse d'eux-mêmes.
Au lieu de cela, les pionniers autant que les nouveaux croyants se trouvaient confrontés à des questions pour lesquelles l'expérience baha'ie en Occident, et même en Iran, n'offrait que peu de réponses. Comment former des assemblées spirituelles locales, et comment les faire fonctionner dans des endroits où un grand nombre de nouveaux croyants s'étaient ralliés à la Cause du jour au lendemain, par le seul pouvoir de leur appréhension spirituelle de sa vérité ? De quelle manière accorder l'égalité aux femmes dans des sociétés dominées par les hommes depuis l'aube des temps ? Comment dispenser systématiquement l'éducation à un grand nombre d'enfants dans des milieux culturels où la pauvreté et l'illettrisme l'emportaient ? Quelles priorités devraient guider l'enseignement moral baha'i et comment harmoniser au mieux ces objectifs avec les habitudes locales ? Comment cultiver une vie communautaire intense qui stimulerait la croissance spirituelle de ses membres ? Quelles priorités choisir pour ce qui concerne la production de publications baha'ies, si l'on tient compte en particulier de l'explosion soudaine du nombre des langues dans la communauté ? Comment ouvrir l'activité fondamentale de la fête des dix-neuf jours à l'influence enrichissante de cultures différentes tout en maintenant l'intégrité de cette institution baha'ie ? Et comment se procurer, renforcer et harmoniser les moyens indispensables dans chacun des domaines concernés ?

La pression exercée par ces défis, urgents et imbriqués les uns dans les autres, lança le monde baha'i dans un processus d'apprentissage aussi important que son expansion elle-même. On peut dire sans erreur qu'au cours de ces années il n'y eut pratiquement pas d'enseignement, ni de combinaison d'activités d'expansion, de consolidation ou de proclamation, pas de choix administratif, ni d'effort envers une adaptation culturelle qui n'aient été tentés de façon énergique quelque part dans le monde baha'i. Le résultat de cette expérience est qu'une grande partie de la communauté baha'ie fit l'apprentissage intensif de l'enseignement des masses, ce qu'elle n'aurait pu connaître sans cela. De par sa nature, le processus se déroulait plutôt sur les plans local et régional, ses résultats étaient plus qualitatifs que quantitatifs, et les progrès enregistrés, concentrés plutôt qu'à grande échelle. Cependant, sans le travail de consolidation laborieux, toujours difficile et souvent frustrant, poursuivi pendant ces années, la stratégie de systématisation de l'entrée en masses qui suivit aurait manqué de bras.

Le fait que le message baha'i pénétrait maintenant non seulement la vie de petits groupes d'individus mais aussi celle de communautés entières, eut également l'effet de faire renaître une caractéristique essentielle des premiers temps de l'avancement de la Cause. Pour la première fois depuis des décennies, la Foi s'est retrouvée dans une situation où l'enseignement et la consolidation étaient inséparablement liés au développement économique et social. Dans les premières années du siècle, les croyants iraniens, privés du droit de prendre leur juste part des avantages pourtant limités qu'offrait la société d'alors, s'étaient levés sous la bienveillante direction du Maître et du Gardien pour construire avec difficulté une vie communautaire unie. Celle-ci dépassait de loin les exigences et les possibilités des groupes baha'is relativement isolés du continent nord-américain et d'Europe occidentale. En Iran, l'avancement moral et spirituel, les activités d'enseignement, la création d'écoles et de cliniques, l'établissement d'institutions administratives et l'encouragement d'initiatives visant à l'autosuffisance économique et à la prospérité sont tous très tôt devenus des caractéristiques inséparables d'un processus de développement fondamentalement unifié. Maintenant, on retrouvait les mêmes défis et les mêmes situations en Afrique, en Amérique latine et en certains endroits d'Asie.

Depuis longtemps, des activités de développement économique et social avaient été entreprises, en particulier en Amérique latine et en Asie, mais c'étaient des projets isolés, engagés par des groupes de croyants guidés par une assemblée nationale particulière, sans lien avec un quelconque plan. Dès octobre 1983, les communautés baha'ies du monde furent appelées à incorporer ces réalisations au sein de leur programme régulier d'activités. Un Bureau de développement économique et social fut créé au Centre mondial, avec la mission de coordonner l'apprentissage et d'aider à rechercher des fonds.

La décennie suivante fut le théâtre d'une vaste expérimentation dans un domaine d'activités pour lequel la plupart des institutions baha'ies n'étaient que peu préparées. Tout en s'efforçant de profiter des modèles testés par les multiples agences de développement à travers le monde, des communautés baha'ies se trouvèrent confrontées à la difficulté de relier leur compréhension des principes baha'is à ce qu'elles découvraient dans divers domaines comme l'éducation, la santé, l'alphabétisation, l'agriculture, la communication. Étant donné l'importance des ressources investies par des gouvernements et par des associations, étant donné la confiance avec laquelle cet effort fut poursuivi, la tentation était forte d'emprunter tout simplement les méthodes en vogue à l'époque ou d'adapter l'effort des baha'is aux théories prédominantes. Cependant, à mesure que le travail se poursuivait, les institutions baha'ies s'efforcèrent d'imaginer des paradigmes de développement en mesure d'intégrer ce qu'ils observaient dans la société à la conception des potentialités humaines particulière à la Foi.

Dans ce domaine, la stratégie des plans successifs n'a nulle part été défendue de façon aussi impressionnante qu'en Inde. Là-bas, la communauté est maintenant devenue un géant de la Cause avec plus d'un million de croyants. Son travail s'étend à travers tout l'espace d'un vaste sous-continent, abritant une grande diversité de cultures, de langues, de groupes ethniques et de traditions religieuses. Sous bien des aspects, l'expérience de ce vaste corps béni de croyants résume les luttes, les expériences, les revers et les victoires de tout le monde baha'i pendant ces trois décennies critiques. L'augmentation spectaculaire du nombre des adhésions a entraîné dans son sillage tous les problèmes rencontrés ailleurs dans le monde, mais à une échelle considérable. La longue route qui conduisit la communauté baha'ie indienne à sa position éminente actuelle fut semée des difficultés les plus douloureuses, certaines d'entre elles faillirent plusieurs fois submerger les moyens dont disposait l'administration. Les victoires remportées préfigurent cependant les confirmations qui viendront en leur temps récompenser les efforts des communautés baha'ies faisant face aux mêmes problèmes sur les autres continents. En 1985, la croissance de la Foi en Inde avait atteint le point où les besoins et les ouvertures de tant de régions diverses sollicitèrent beaucoup plus d'attention que n'en pouvait dispenser toute seule l'Assemblée spirituelle nationale. Ainsi naquit la nouvelle institution du conseil baha'i régional, mettant en marche le processus de décentralisation administrative qui s'est montré depuis si efficace dans d'autres pays.

En 1986, l'expansion et la consolidation mises en oeuvre en Inde furent justement couronnées par l'inauguration du somptueux "temple du lotus". Le projet avait fait naître des attentes très optimistes quant à l'impact de sa réalisation sur la reconnaissance publique de la Foi, et pourtant la réalité a dépassé de loin les espoirs les plus fous. Aujourd'hui la maison d'adoration de l'Inde est devenue l'un des sites les plus visités du sous-continent, avec en moyenne dix mille visiteurs par jour, et elle est à l'honneur dans des publications, des films et des reportages télévisés. L'intérêt suscité par une Foi qui a su inspirer une création si magnifique et s'y incarner apporte un sens nouveau au nom d'"enseignants silencieux de la Foi" utilisé par
'Abdu'l-Baha pour décrire les temples baha'is.

L'avancée de la communauté baha'ie indienne, à la fois dans son développement interne et dans ses relations avec la société en général, est illustrée par un projet de pionniers engagé en novembre 2000 dans le domaine du développement économique et social. Profitant de la réputation méritée qu'elle avait gagnée auprès de mouvements progressistes dans le pays, l'Assemblée spirituelle nationale organisa en collaboration avec l'Institut For Studies in Global Prosperity, nouvellement créé par la Communauté internationale baha'ie, un symposium sur la science, la religion et le développement (131). Cet évènement vit la participation de plus d'une centaine d'organisations de développement les plus influentes du pays et fut l'objet d'une couverture médiatique nationale. Cet événement, contribution spécifique des baha'is à la promotion du progrès social, ouvrit la voie à des symposiums de même type en Afrique, en Amérique latine et dans d'autres régions où des communautés baha'ies inventives participent à l'écriture de ce qui pourrait bien devenir l'une des principales histoires à succès de la Foi.

Au cours de ces mêmes années, le continent asiatique fut aussi témoin de l'essor soudain de la communauté baha'ie de Malaisie. Véritable moteur du travail d'expansion, elle atteignit ses objectifs intérieurs à une vitesse vertigineuse et envoya des pionniers et enseignants itinérants sur les îles avoisinantes. C'est grâce aux liens d'union spirituelle qui avaient été tissés entre les croyants d'origines chinoise et indienne que cette avancée spectaculaire fut possible. Les visiteurs de la Malaisie parlaient avec une sorte d'émerveillement de la communauté malaise qui, malgré beaucoup de contraintes et de handicaps, semblait parfaitement incarner les métaphores militaires utilisées par Shoghi Effendi dans ses écrits pour rendre l'esprit des efforts d'enseignement baha'is.

Cependant, ni la croissance mondiale de la communauté baha'ie, ni le processus d'apprentissage dont elle faisait l'expérience ne racontent l'histoire entière de ces décennies tumultueuses et inventives. Finalement, lorsque l'histoire de cette période sera écrite, un des chapitres les plus remarquables concernera les victoires spirituelles remportées par les communautés baha'ies, en particulier celles de l'Afrique, qui ont survécu à la guerre, à la terreur, à l'oppression politique, aux privations extrêmes et qui sont sorties de ces épreuves avec une foi intacte, déterminées à achever leur travail d'édification d'une vie collective baha'ie durable. La communauté d'Ethiopie, terre de traditions culturelles parmi les plus anciennes et les plus riches du monde, a réussi à préserver le moral de ses membres et la cohérence de ses structures administratives malgré la forte pression d'une dictature brutale. Quant aux amis d'autres pays du continent, il est certain que le chemin de leur fidélité à la Cause traversa un enfer de souffrance rarement égalé dans l'histoire moderne. Les annales de la Foi possèdent peu de témoignages plus émouvants sur l'absolue puissance de l'esprit que ces histoires de courage et de pureté de coeur émergeant de la fournaise qui assaillait les amis dans ce qui était alors le Zaïre. Ces histoires inspireront les générations à venir, elles ont apporté une contribution sans prix à la création de la culture baha'ie mondiale. Des pays comme l'Ouganda et le Rwanda ont ajouté leurs exploits inoubliables à ce record de tribulations héroïques.

Source d'inspiration également que l'aptitude à se renouveler inhérente à la Cause qui s'est manifestée dans les camps de réfugiés cambodgiens le long de la frontière thaïlandaise. Grâce aux efforts héroïques d'une poignée d'enseignants, des assemblées spirituelles locales furent établies parmi ceux qui avaient survécu à un génocide insupportable à l'esprit humain ; elles avaient perdu un nombre incalculable de personnes aimées et tout ce qu'elles possédaient, mais en elles brûlait encore l'ardent désir de l'âme humaine pour la vérité spirituelle. De hauts faits tout aussi remarquables furent accomplis par la communauté baha'ie libérienne. Chassés de chez eux et exilés dans des pays voisins, nombre de ces courageux croyants conservèrent leur vie communautaire. Ils établirent des assemblées spirituelles locales, poursuivirent le travail d'enseignement et l'éducation de leurs enfants, ils utilisèrent leur temps pour acquérir de nouvelles compétences, et puisèrent dans la musique, la danse et le théâtre les forces spirituelles qui les aidèrent à garder espoir en attendant le retour dans leur pays.

Le programme éducatif des méthodes d'enseignement aux masses qui se mettait en place transforma la nature de la communauté. En 1992, le monde baha'i célébra sa seconde année sainte, elle marquait le centenaire de l'ascension de Baha'u'llah et de la proclamation de son alliance. Mieux que des mots, la diversité des ethnies, des cultures et des nations représentées par les 27000 croyants qui se rassemblèrent au Javits Convention Center de la ville de New-York - ainsi que des milliers de présents aux neuf conférences annexes de Bucarest, Buenos-Aires, Moscou, Nairobi, New-Delhi, Panama, Singapour, Sydney et du Samoa occidental - a apporté une preuve flagrante de la réussite de l'enseignement baha'i dans le monde entier. Lorsque les réseaux de diffusion par satellites relièrent la manifestation de Moscou à celle qui avait lieu dans la ville de New-York, ce fut un moment particulièrement émouvant. Partout les baha'is vibrèrent aux souhaits de bienvenue en russe - langue de quelque 280 millions de personnes dans au moins 15 pays - qui annonçaient une nouvelle phase dans la réponse donnée par l'humanité à Baha'u'llah.

Les conférences de Moscou et de Bucarest, ont permis d'entrevoir la renaissance de communautés baha'ies quasiment anéanties par l'oppression du régime soviétique et de ses collaborateurs. Une des trois dernières Mains de la cause encore vivante, 'Ali-Akbar Furutan, qui a vécu en Russie, eut l'immense joie de retourner à Moscou à l'âge de 86 ans pour l'élection de l'Assemblée nationale de ce pays. Les assemblées spirituelles locales jaillirent partout dans ces régions nouvellement ouvertes, et six nouvelles assemblées spirituelles nationales furent élues. En peu de temps, dans des pays sur la bordure méridionale de l'ancien empire soviétique où la Foi avait également été proscrite, d'autres assemblées locales et huit nouvelles assemblées spirituelles nationales virent le jour, grâce à l'activité d'enseignement et aux pionniers. Des publications baha'ies furent traduites dans plusieurs nouvelles langues, des mesures énergiques furent prises pour s'assurer de la reconnaissance civile des institutions baha'ies, et des représentants de pays de l'Europe de l'Est et de l'ancien bloc soviétique participèrent avec d'autres croyants à des activités extérieures à la Foi sur un plan international.

De même, le message de la Foi fut accueilli petit à petit dans plusieurs provinces chinoises et parmi les populations chinoises à l'étranger. Des publications baha'ies furent traduites en mandarin, des érudits baha'is furent invités à s'adresser à des auditoires universitaires dans de nombreuses villes chinoises, un Centre d'études baha'ies (132) fut créé à Pékin dans le prestigieux Institut des religions mondiales qui fonctionne au sein de l'Académie des sciences sociales, et plusieurs dignitaires chinois se sont montré prodigues dans leur appréciation des principes qu'ils découvraient dans les Écritures. La haute estime que le Maître portait à la civilisation chinoise et à son rôle dans le futur de l'humanité, laisse présager de la contribution créative que les croyants de cette culture apporteront à la vie morale et intellectuelle de la Cause dans les années à venir (133).

La signification de ces trois décennies de luttes, d'apprentissages, de sacrifices, devint apparente lorsque arriva le moment de concevoir un plan mondial qui réunirait les connaissances acquises et les ressources mises en oeuvre. La communauté baha'ie qui établit le plan de quatre ans en 1996 était bien différente de celle des croyants de 1964 qui, enthousiaste mais nouvelle et sans expérience, s'était aventurée dans la première de ces entreprises sans plus avoir le soutien de Shoghi Effendi pour les guider. Chacun des éléments distincts des différents plans apparaissait en 1996 comme partie intégrante d'un tout cohérent.

Cette expérience avait permis une perspective bien utile sur ce qui avait été accompli. L'expansion de la Cause au cours des trois précédentes décennies constituait la réponse des millions d'êtres humains touchés par leur rencontre avec le message de Baha'u'llah au point de se fondre à des degrés divers avec la cause de Dieu. Ils étaient conscients de la venue d'un nouveau messager du Divin, ils avaient saisi quelque chose de l'esprit de la Foi et avaient été fortement impressionnés par l'enseignement baha'i sur l'unicité de l'humanité. Une petite minorité d'entre eux étaient capable d'aller au-delà. Mais pour la plupart, ces amis étaient essentiellement bénéficiaires de programmes d'enseignement conduits par des pionniers et enseignants venus de l'extérieur. Une des plus grandes forces de la masse humaine d'où venaient les nouveaux croyants, résidait dans une largesse de coeur contenant le potentiel pour générer une transformation sociale durable. Jusqu'à maintenant, le plus grand handicap de ces populations reste une passivité due à l'exposition durant des générations à des influences extérieures qui, quelle qu'ait été l'importance de leurs avantages matériels, poursuivaient des programmes qui n'avaient souvent que de vagues rapports, lorsqu'ils en avaient, avec la réalité des besoins et de la vie des peuples indigènes.

Le plan de quatre ans fut une avancée considérable sur ceux qui le précédaient alors ; il était conçu afin de profiter des opportunités et des idées offertes. Faire avancer le processus d'entrée en masses devint le seul objectif de cette action. Les leçons tirées au cours des plans précédents plaçaient maintenant l'accent sur le développement des aptitudes des croyants où qu'ils soient, de manière à ce que chacun se lève plein de confiance tel un protagoniste de la mission de la Foi. L'instrument pour accomplir cet objectif avait été perfectionné au cours des plans précédents et avait démontré son efficacité.

Cet instrument, comme la plupart des autres méthodes et des activités grâce auxquelles la Foi progressait, avait été conçu des dizaines d'années auparavant par le Maître ; dans Les tablettes du Plan divin, il enjoint aux croyants approfondis : "réunissez les jeunes animés de l'amour de Dieu dans des écoles et enseignez-leur toutes les preuves divines et les arguments irréfutables, commentez et éclairez l'histoire de la Cause, expliquez de même les prophéties et les preuves qui concernent la manifestation du Promis et sont rapportées dans les Épîtres et Écrits divins... (134)" Un tel travail de pionnier et une telle formation organisée avaient déjà été entrepris en Iran au début du siècle par le très aimé Sadru's-Sudur (135). Les années passant, des écoles d'hiver et d'été se sont multipliées, et des plans successifs ont également encouragé des expériences de développement des instituts baha'is.

L'avancée de loin la plus significative dans ce domaine vit le jour au début des années 70 en Colombie et dura deux décennies ; un programme d'enseignement systématique et soutenu sur les Écritures fut conçu et bientôt adopté dans les pays voisins. Parallèlement, les efforts de la communauté colombienne dans le développement économique et social influencèrent cette percée, et le fait qu'elle s'accomplissait malgré la violence et l'anarchie qui bousculaient la vie de la société tout autour, la rendit d'autant plus impressionnante.

La réussite colombienne s'avéra être une grande source d'inspiration et d'exemple pour les communautés baha'ies partout dans le monde. Au moment où le plan de quatre ans se termina, plus de cent mille croyants dans le monde participaient aux programmes de plus de trois cents instituts d'enseignement permanents. Réalisant cet objectif, une majorité d'instituts régionaux ont franchi une étape supplémentaire dans la création de réseaux de "cercles d'étude" qui utilisent le talent des croyants pour reproduire le travail de l'institut à un niveau local. Il apparaît déjà que la réussite du travail de l'institut a largement renforcé le processus à long terme par lequel un système universel d'éducation baha'ie prendra forme (136).

Bien que les luttes de ces décennies aient été relativement peu importantes - du moins lorsqu'on les compare avec ce qui était habituel pendant l'âge héroïque -, elles ouvrent à la génération baha'ie actuelle une fenêtre sur ce que Shoghi Effendi décrivait comme la nature cyclique de l'histoire de la Foi :

"Une série de crises internes et externes, d'une gravité variable, dévastatrices dans leurs effets immédiats, mais libérant chacune, mystérieusement, son équivalent en force divine et prêtant ainsi une impulsion nouvelle à son déroulement (137)". Ces paroles soulignent la succession d'efforts, d'expériences, de douleurs et de victoires qui caractérisèrent les débuts de l'enseignement à grande échelle, et préparèrent la communauté baha'ie aux bien plus grands défis de l'avenir.

Tout au long de l'histoire, les masses humaines furent, au mieux, spectatrices du progrès de la civilisation. Leur rôle consista à servir les desseins d'une élite ou de toute élite qui contrôlait temporairement le processus. Les révélations successives du divin, dont les objectifs étaient la libération de l'esprit humain, ont été, en leur temps, retenues prisonnières par "le moi insistant" ; elles furent gelées dans des dogmes, rituels, privilège clérical et querelles sectaires, façonnés par l'homme, et c'est frustrées dans leur dessein ultime qu'elles virent venir leur fin.

Baha'u'llah est venu pour libérer l'humanité de ce long esclavage, et la communauté de ses disciples consacra la fin du vingtième siècle à une expérimentation inventive pour atteindre son objectif. La poursuite du Plan divin n'entraîne rien de moins que l'engagement du corps tout entier de l'humanité dans le travail de développement intellectuel, social et spirituel. Les épreuves rencontrées par la communauté baha'ie depuis 1963 sont celles qui étaient indispensables pour renforcer l'effort et purifier la motivation de ceux qui y prendraient part, et pour les rendre dignes d'une confiance si grande. Ces épreuves démontrent avec certitude le processus de maturation que 'Abdu'l-Baha décrivit avec tant d'assurance.


X.

LA MISSION DE BAHA'U'LLAH ne se limite pas à la construction de la communauté baha'ie. La révélation de Dieu est venue pour l'ensemble de l'humanité, et elle emportera l'adhésion des institutions de la société dans la mesure où ces dernières trouveront dans son exemple l'encouragement et l'inspiration nécessaires aux efforts pour établir les fondations d'une société juste. Afin d'apprécier l'importance de cette autre préoccupation, il suffit de se rappeler le temps et le soin que consacra Baha'u'llah lui-même à entretenir des relations avec de hauts dignitaires du gouvernement, avec de grands penseurs, des figures emblématiques de divers groupes minoritaires, et des diplomates des gouvernements étrangers en fonction dans l'empire ottoman. L'impact spirituel de cet effort apparaît dans les hommages rendus à sa personnalité et à ses principes, même par des ennemis jurés tels que 'Ali Pasha ou l'ambassadeur de Perse à Constantinople, Mirza Husayn Khan. Le premier, qui exila son prisonnier dans la colonie pénale d'Acre, fut cependant amené à le décrire comme "un homme d'une grande distinction, d'une conduite exemplaire, d'une grande modération, et très respectable" dont les enseignements étaient, selon le ministre, "dignes d'une haute estime (138)." Quant au second, dont les machinations avaient largement participé à la corruption des esprits de 'Ali Pasha et de ses collègues, il reconnut avec franchise des années plus tard, l'énorme contraste entre la stature morale et intellectuelle de son ennemi, et le tort causé aux relations turco-persanes par la réputation d'avidité et de malhonnêteté qui caractérisait la plupart de ses concitoyens résidant à Constantinople.

Dès le début, 'Abdu'l-Baha se prit d'un vif intérêt pour les efforts visant à créer un nouvel ordre international. Il est significatif par exemple, qu'en Amérique du nord, dans ses premières références publiques sur la raison de sa visite, il soulignait tout particulièrement l'invitation du comité organisateur de la conférence sur la paix du Lac Mohonk à intervenir dans cette rencontre internationale. Sa générosité apparaît également dans les encouragements et les conseils sincères qu'il prodigua à l'Organisation centrale pour une paix durable, à La Haie. Les lettres que lui a adressées le Comité exécutif de la commission de La Haie au cours de la guerre ont fait l'objet d'une réponse qui attira l'attention des organisateurs sur les vérités spirituelles énoncées par Baha'u'llah qui seules pouvaient constituer les assises nécessaires à la réalisation de leurs objectifs :

"Ô vous qui avez toute ma considération ! Vous êtes des pionniers parmi ceux qui aspirent au bien de l'humanité !... Aujourd'hui la paix universelle est un sujet de très haute importance, mais l'unité de conscience est essentielle afin de s'assurer des fondations de cette dernière, renforcer son établissement et fortifier cet édifice... À ce jour, rien d'autre que la puissance de la parole de Dieu qui englobe les réalités des choses ne peut rassembler les pensées, les âmes, les coeurs et les esprits sous l'ombre d'un seul arbre. Il est puissant en toutes choses, l'Animateur des âmes, le Sauveur et le Juge de l'humanité (139)."

En dehors de ceci, la liste des personnes influentes que le Maître écouta patiemment en Amérique du nord et en Europe - en particulier les personnes qui s'efforçaient de promouvoir la paix mondiale et le bien de l'humanité - illustre sa conscience de la responsabilité que porte la Cause envers l'humanité en général. Il suivit cette voie jusqu'à la fin de sa vie, comme l'atteste l'extraordinaire réaction que suscita son décès.

Shoghi Effendi reprit le flambeau pratiquement dès le début de son ministère. Dès 1925, il encouragea une croyante américaine, Jean Stannard, à établir un Bureau international baha'i, l'aiguillant vers Genève, siège de la Société des nations. Si ce bureau ne disposait d'aucune autorité administrative, il agissait, selon les termes du Gardien, "en tant qu'intermédiaire entre Haïfa et les autres centres baha'is" et servait "de centre de distribution" de l'information au coeur de l'Europe. Son rôle fut officiellement reconnu lorsque la maison d'édition de la Société des nations demanda et publia un compte-rendu des activités de ce bureau (140).

Une crise inattendue contribua à promouvoir l'implication baha'ie dans la société en général à un niveau international, comme cela avait souvent été le cas dans l'histoire de la Cause. En 1928, Shoghi Effendi encouragea l'assemblée spirituelle de Bagdad à faire appel à la commission permanente de la Société des nations contre la saisie, par les opposants chiites, de la résidence de Baha'u'llah dans cette ville. Reconnaissant le préjudice causé, le Conseil de la Société s'adressa unanimement, en mars 1929, aux autorités mandataires britanniques pour faire pression sur le gouvernement irakien "en vue du redressement immédiat de l'injustice commise envers les signataires de la demande". En raison de dérobades répétées du gouvernement irakien, y compris la violation d'une promesse formelle faite par le monarque lui-même, le dossier traîna des années, session après session de la commission de l'autorité mandataire, laissant la demeure entre les mains de ceux qui l'avaient saisie, une situation qui perdure encore aujourd'hui (141).

Aucunement ébranlé par cet échec, Shoghi Effendi attira l'attention de la communauté baha'ie sur l'avantage historique que la Cause tirait de cette campagne. Comme cela avait été le cas précédemment lorsque la cour de justice musulmane sunnite avait rejeté l'appel que faisait une communauté baha'ie égyptienne au sujet du mariage, le Gardien fit remarquer :

"Il suffit de dire qu'en dépit de ces interminables délais, protestations et dérobades ... la publicité que valut à la Foi ce litige mémorable, et la défense de sa cause - la cause de la vérité et de la justice - par le plus important tribunal de la terre, furent à même de susciter l'émerveillement de ses amis et de jeter la consternation parmi ses ennemis (142)."

La naissance des Nations unies offrit à la Foi une tribune bien plus grande et plus efficace pour tenter d'exercer une influence spirituelle sur la vie de la société. Dès 1947, un comité "spécial Palestine" rattaché aux Nations unies sollicita le point de vue du Gardien concernant l'avenir de ce territoire sous mandat. Sa réponse à cette demande lui offrit l'occasion de leur adresser un exposé autorisé de l'histoire et des enseignements de la Cause elle-même. La même année, encouragée par Shoghi Effendi, l'Assemblée spirituelle nationale des États-Unis et Canada présenta à cette organisation internationale un document intitulé "Une déclaration baha'ie sur les droits et devoirs des hommes", qui devait dans les décennies qui suivirent, inspirer des orateurs et écrivains baha'is (143). Un an après, les huit assemblées spirituelles nationales de l'époque, obtinrent auprès de l'organisme responsable des Nations unies le statut d'organisation internationale non gouvernementale pour la Communauté internationale baha'ie.

Le Gardien ne se contenta pas d'apporter son soutien aux seules relations lentement émergentes de la Foi avec le nouvel ordre international. Les pages de "Dieu passe près de nous" et les mémoires d'Amatu'l-Baha sur le Gardien sont remplies de références aux réactions d'organisations et d'individus influents face aux initiatives engagées par Shoghi Effendi, et aux événements qui engagèrent la participation de représentants baha'is tout autour du monde. Dans une perspective historique, il est frappant de voir l'importante disparité entre le nombre de ces évènements relativement anodins, et l'attention qui leur a été accordée par une personnalité dont l'oeuvre n'était pas seulement d'une importance considérable pour le futur de l'humanité, mais qui percevait aussi parfaitement la portée des événements qui se déroulaient devant elle. Ces annales minutieuses fournissent à la communauté baha'ie un guide sur la manière de saisir les occasions croissantes dont les prémices peuvent être très modestes.

Dès que son statut lui fut accordé, la Communauté internationale baha'ie commença à jouer un rôle actif au sein des Nations unies. Une activité lui apporta une certaine reconnaissance : un programme effectué grâce aux réseaux grandissants des assemblées baha'ies et visant à faire connaître au grand public les Nations unies elles-mêmes, et qui soutenait largement les associations des Nations unies oeuvrant difficilement à travers le monde. En 1970, la communauté obtint un statut consultatif auprès du Conseil économique et social des Nations unies (ECOSOC). Ce qui fut suivi en 1974 par une association officielle avec le Programme environnemental des Nations unies (UNEP) et en 1976 par l'acquisition du statut consultatif auprès du Fonds pour les enfants des Nations unies (UNICEF).

L'influence et l'expertise développées durant toutes ces années firent leurs preuves en 1955 et 1962, lorsque la communauté obtint l'assurance d'une intervention des Nations unies pour les croyants persécutés en Iran et au Maroc.

*

En 1980, le travail patient de relations extérieures mené par les assemblées spirituelles nationales et le bureau de la Communauté auprès des Nations unies connut subitement une nouvelle étape dans son développement. La tentative faite par le clergé chiite en Iran d'exterminer la Cause dans le pays de sa naissance en fut le catalyseur. Et ses conséquences furent aussi imprévisibles pour ses persécuteurs que pour ses défenseurs.

Durant les longues décennies pendant lesquelles les croyants du berceau de la Foi connurent des persécutions intermittentes en raison de leurs croyances, les mollahs, qui incitaient et menaient ces attaques, agissaient de concert avec les monarques successifs du pays. Ces derniers, apparemment tout puissants dans leur autorité, étaient en fait bridés par des calculs d'ordre politique qui les rendaient vulnérables aux pressions extérieures, en particulier à celles des gouvernements occidentaux. C'est ainsi que les crimes dénoncés par les Russes, les Britanniques et d'autres missions diplomatiques contraignirent Nasiri'd-Din Shah à mettre un terme à la débauche de violence qui coûta la vie à tant de croyants au début des années 1850 et menaça jusqu'à la vie même de Baha'u'llah. Au cours du vingtième siècle ses successeurs Qajar furent de même soucieux d'apaiser l'opinion des gouvernements étrangers. Le même schéma se reproduisit en 1955 lorsque le second des Shahs Pahlavi, qui avait été poussé par les Mollahs à approuver une vague de violence perpétrée contre les baha'is, fut contraint par les Nations unies et par des objections formulées par le gouvernement américain, d'interrompre brutalement cette campagne - ces deux interventions préfigurant les événements à venir.

La révolution islamique de 1979 balaya ces contrôles sur le comportement du clergé. Soudain, les mollahs se retrouvèrent au pouvoir, nommant leurs propres candidats aux plus hautes positions de la nouvelle république, quand ils ne s'y nommaient pas eux-mêmes. Des "tribunaux révolutionnaires" furent établis, uniquement redevables aux membres du haut clergé. Une armée de "gardes révolutionnaires", bien plus efficace que les forces secrètes du Shah, et tout aussi brutale, prit le contrôle de tous les aspects de la vie publique.

Pendant que l'attention de la nouvelle caste dirigeante se concentrait principalement sur ce qu'elle considérait être des menaces de la part de gouvernements étrangers, quelques membres influents en son sein virent enfin une occasion de détruire la communauté baha'ie iranienne (144).

Les détails poignants de la campagne qui s'ensuivit n'ont pas besoin d'être passés en revue ici. On trouvera plutôt leur sens dans la réponse que donnèrent à ces attaques des milliers de baha'is, hommes, femmes et enfants, à travers tout le pays. Leur refus de transiger avec leur foi, même au prix de leur vie, inspira à leurs coreligionnaires du monde entier un mouvement de dévouement accru pour la Cause qui engendrait ces sacrifices. Les membres de la foi ne furent pas les seuls à être affectés par ces événements. Plusieurs décennies auparavant, en 1889, un émérite commentateur occidental avait eu une vision prophétique de l'héroïsme de ces "premiers disciples d'un jour nouveau" et des souffrances des premiers croyants :

"Ce sont les vies et les morts de ceux-ci, cet espoir qui ne connaît pas le désespoir, cet amour qui jamais ne s'éteint, cette détermination qui jamais ne faiblit, qui marquent ce merveilleux mouvement d'un sceau totalement indépendant... Ce n'est ni insignifiant, ni facile que d'endurer ce que ceux-ci ont enduré et ce qui à leurs yeux vaut leur vie même mérite certainement que l'on s'y intéresse. Je ne dirai rien de l'influence importante - du moins je le crois - que la foi babie (sic) exercera dans le futur, ni de la vie nouvelle qu'elle insufflera peut-être à un peuple mort ; en effet, qu'elle réussisse ou qu'elle échoue, le magnifique héroïsme des martyres babis est quelque chose d'éternel et d'indestructible... Mais ce que je ne peux espérer vous avoir retransmis, c'est l'ardente ferveur de ces hommes et l'influence indescriptible que cette ferveur, alliée à d'autres qualités, exerce sur quiconque les côtoie (145)."

Ces paroles préfigurent l'apparition de sentiments semblables chez des observateurs non baha'is durant la révolution islamique ; ce qui allait devenir l'une des forces principales pour faire sortir la Cause de l'obscurité. Ces paroles des premiers temps recelaient déjà la nature profondément spirituelle de ce qui a toujours été en jeu dans le berceau de la Foi. Au-delà de la révulsion que provoqua la brutalité absurde de la persécution, de plus en plus de personnes à l'étranger furent profondément émues par la réaction des baha'is iraniens.

Le vingtième siècle a été malheureusement submergé par les souffrances d'innombrables victimes de l'oppression. L'attitude adoptée par ceux qui subissaient ces souffrances a conféré un caractère unique à la situation des baha'is. Les croyants iraniens ont refusé d'accepter de jouer le rôle trop familier de victime. Tout comme les Fondateurs de la Foi qui les avaient précédés, ils assumèrent la responsabilité morale de ce qui les opposait à leurs adversaires. Eux-mêmes, et non les tribunaux ou les gardes révolutionnaires, fixèrent dès le départ les termes de la confrontation, et cette étonnante réalisation n'affecta pas seulement le coeur mais aussi l'esprit de ceux qui observaient la situation de l'extérieur. La communauté persécutée n'attaquait pas ses oppresseurs, ni ne cherchait à tirer de la crise un quelconque avantage politique, pas plus que ses défenseurs baha'is dans d'autres pays ne demandaient le démantèlement de la constitution iranienne, et encore moins vengeance. Ils ne réclamaient tous que la justice - la reconnaissance des droits garantis par la Déclaration universelle des droits de l'homme, cautionnés par la communauté des nations, ratifiés par le gouvernement iranien, dont beaucoup étaient incorporés dans les clauses même de la constitution islamique.

Cette crise fit accomplir au monde baha'i des prouesses. Les assemblées spirituelles nationales qui n'avaient que peu, voire aucune expérience de travail avec les officiels des gouvernements de leur pays furent appelées à solliciter un soutien de la part de leur gouvernement pour que soient prises des résolutions à divers niveaux du système international des droits de l'homme. Et elles le firent avec un succès considérable. Année après année, pendant vingt ans, le cas des baha'is iraniens passa par les canaux du système international des droits de l'homme. Ils obtinrent un soutien accru grâce à des résolutions successives et une réelle attention à leurs doléances lors des missions des rapporteurs nommés par la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Ils consolidèrent ces acquis par des décisions prises par le troisième comité de l'Assemblée générale des Nations unies. Aucune tentative du régime iranien pour éviter une condamnation internationale du traitement qu'elle infligeait à ses citoyens baha'is ne put ébranler le soutien que la question baha'ie trouvait auprès d'une majorité de nations sympathisantes représentées à la commission. Ce succès fut d'autant plus remarquable que les membres changeaient continuellement et que l'ordre du jour chargé incluait les atteintes portées aux droits de l'homme dans d'autres pays avec des millions de victimes.

Au moment même où une pression directe était exercée sur le gouvernement iranien, l'affaire attira une publicité sans précédent à travers le monde dans des journaux, des revues, à la radio et à la télévision. Des journaux lus dans le monde entier comme The New York Times, Le Monde ou le Frankfurter Allgemeine Zeitung, couvrirent largement les persécutions, et les réseaux de télévision en Australie, au Canada, aux États-Unis, et dans certains pays européens, produisirent des documentaires détaillés. Les abus furent dénoncés dans des éditoriaux souvent virulents. Une telle publicité, qui renforçait les efforts menés pour obtenir une intervention efficace auprès de la Commission des droits de l'homme, eut pour effet de présenter, pour la première fois et devant un auditoire de dizaines de millions de personnes, une information précise et favorable concernant les croyances et les enseignements baha'is. La publicité ainsi que la campagne menée par le biais des Nations unies fournirent à des personnalités influentes de par le monde une bonne occasion de juger par elles-mêmes à la fois des enseignements de la Cause et du caractère de la communauté baha'ie.

Un problème surgit suite aux persécutions : plusieurs milliers d'iraniens baha'is se trouvèrent livrés à eux-mêmes, sans passeport valide, dans les pays où ils servaient en tant que pionniers, ou bien forcés de fuir l'Iran parce qu'eux-mêmes ou leur famille étaient devenus des cibles de l'extermination. En 1983, un Bureau international de réfugiés baha'is fut établi au Canada (146) où le gouvernement s'était montré particulièrement réceptif lors des entretiens qu'il avait eus avec l'Assemblée spirituelle nationale de ce pays. Dans les années qui suivirent, avec l'aide du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies, d'autres pays ouvrirent pareillement leurs portes à plus de 10.000 baha'is iraniens et beaucoup d'entre eux remplirent des buts de pionniers dans leurs nouveaux lieux de résidence.

*

La communauté, mais aussi l'Organisation des droits de l'homme des Nations unies, tirèrent avantage de cette longue bataille. Dans un premier temps, suite à la révolution islamique, la communauté des croyants en Iran se trouva confrontée à une menace directe pour sa propre survie. La Commission des droits de l'homme des Nations unies, malgré la lenteur et la relative lourdeur de ses opérations pour un simple observateur, réussit à contraindre le régime iranien de mettre un terme aux pires persécutions. De cette manière, le "cas des baha'is d'Iran" offrit une victoire significative à la Commission et à la foi baha'ie. Elle démontra de manière saisissante la capacité que possédait la communauté des nations, agissant par le biais de l'appareil créé dans ce but, de contrôler les modèles d'oppression qui avaient de tout temps noirci les pages de l'histoire. Cet événement met en lumière l'adéquation des activités de la Foi avec la vie de la société au sein de laquelle ces efforts se font. En même temps que la paix dans le monde, le besoin qu'une communauté internationale prenne de réelles dispositions pour mettre en oeuvre les idéaux de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de ses traités connexes est un défi que l'humanité doit rapidement relever en cette période de son histoire. Il existe relativement peu d'endroits au monde où les populations minoritaires ne se voient pas encore dénier certains de leurs besoins humains fondamentaux en raison de préjugés religieux, ethnique ou national. Aucun corps constitué sur terre ne comprend mieux cette question que la communauté baha'ie. Elle a enduré - et endure encore dans certains pays - des préjudices pour lesquels il n'existe aucune justification concevable, qu'elle soit morale ou légale ; elle a eu ses martyrs et versé des larmes, tout en demeurant fidèle à sa ferme conviction que la haine et la vengeance sont tout aussi nuisibles à l'âme ; et elle a appris à utiliser, comme peu d'autres communautés, le système des droits de l'homme des Nations unies de la manière prévue à l'origine par ses concepteurs, sans avoir recours à un quelconque sectarisme politique et encore moins à la violence. Tirant les leçons de cette expérience, elle essaie d'encourager aujourd'hui les gouvernements d'une vingtaine de pays à mettre en place des programmes d'éducation sur les droits de l'homme en fournissant dans la mesure du possible sa propre assistance matérielle (147). Elle participe activement à travers le monde à promouvoir les droits de la femme et de l'enfant. Et par-dessus tout, elle donne l'exemple de la fraternité qui redonne courage et espoir à un nombre incalculable de gens de l'extérieur.

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Pendant ces évènements en Iran, une initiative prise par la Maison universelle de justice donna soudain une dimension entièrement nouvelle aux relations avec l'extérieur de la communauté baha'ie. En 1985, la déclaration La Promesse de la paix Mondiale, adressée à l'ensemble de l'humanité, fut diffusée par l'intermédiaire des assemblées spirituelles nationales. Dans cette déclaration, la Maison de justice affirmait, en des termes qui se voulaient pacifiques mais fermes, l'assurance qu'avaient les baha'is de l'avènement de la paix internationale en tant que prochaine étape de l'évolution de la société. Y étaient exposés des éléments sur la forme que ce développement tant attendu devait prendre, bon nombre d'entre eux allant bien plus loin que les termes politiques communément utilisés sur le sujet. Elle concluait :

"L'expérience de la communauté baha'ie peut être un des exemples de cette unité grandissante (de l'humanité)… Si l'expérience baha'ie peut contribuer de quelque manière que ce soit à renforcer l'espoir en l'unité de l'humanité, nous sommes heureux de la proposer comme modèle à étudier. "

Si l'objectif immédiat de cette annonce était de fournir aux institutions baha'ies et aux croyants une base cohérente de discussion dans leurs relations avec les autorités gouvernementales, les organismes de la société civile, les médias et les personnalités influentes, elle fut parallèlement le point de départ d'une éducation intensive et continue de la communauté baha'ie elle-même sur d'importants enseignements baha'is. L'influence des idées et des perspectives de ce document se fit rapidement sentir un peu partout, lors des conventions, dans les publications, les écoles d'hiver et d'été, tout comme dans les propos des croyants en général.

Sous bien des aspects, on peut considérer que La promesse de la paix mondiale a déclenché à partir de 1985 un calendrier d'actions communes aux baha'is et aux Nations unies assistées de ses organismes satellites. En l'espace de quelques années seulement, asseyant la réputation qu'elle s'était déjà acquise, la Communauté internationale baha'ie devint l'une des plus influentes organisations non gouvernementales. Du fait qu'elle soit entièrement non partisane - et elle est considérée comme telle - elle s'est vue de plus en plus souvent confier la présidence lors de discussions complexes et fréquemment tendues à des niveaux internationaux, sur des sujets importants touchant au progrès social. Cette réputation se trouva renforcée par le fait que la communauté s'abstenait, par principe, de tirer profit d'une telle confiance pour favoriser son propre calendrier. Dès 1968, un représentant baha'i fut élu membre du Comité exécutif des organisations non-gouvernementales affiliées au Bureau de relations publiques, et il en assura par la suite le rôle de président et de vice-président. À partir de ce moment-là, les représentants de la communauté furent de plus en plus appelés à remplir les fonctions de conveneure ou de président d'assemblée d'une grande variété d'organisations : comités permanents et commissions ad hoc, groupes de travail et organes consultatifs. Au cours des quatre dernières années, la Communauté a servi en tant que secrétaire de la Conférence des organisations non-gouvernementales, le principal organe de coordination des organisations non-gouvernementales affiliées aux Nations unies.

La structure de la Communauté internationale baha'ie reflète les principes qui guident son travail. Elle ne s'est pas fait étiqueter comme un quelconque groupe de pression aux intérêts particuliers. Tout en utilisant pleinement les compétences et les ressources exécutives de son bureau aux Nations unies et de son bureau d'information publique, la communauté est maintenant reconnue par les autres associations non-gouvernementales affiliées, comme une "association" de "conseils" nationaux élus démocratiquement, représentant un échantillonnage de l'humanité. Les délégations baha'ies à des événements internationaux incluent généralement des membres nommés par différentes assemblées spirituelles nationales qui ont une expérience sur les sujets traités et qui peuvent apporter des perspectives régionales.

Cette caractéristique, à savoir l'implication de la Foi dans la vie de la société - dans laquelle le principe moteur et la méthode utilisée représentent les deux dimensions d'une approche unifiée aux solutions - a fait ses preuves lors de plusieurs sommets internationaux et autres conférences associées organisés par les Nations unies entre 1990 et 1996. Pendant ces six années ou presque, les dirigeants politiques du monde ont été réunis à maintes reprises sous les auspices du secrétaire général des Nations unies afin de discuter des défis majeurs confrontant l'humanité en cette fin de vingtième siècle. Aucun baha'i ne peut considérer les thèmes de ces rencontres historiques sans réaliser à quel point les ordres du jour reflétaient les principaux enseignements de Baha'u'llah. Il semble approprié que le centenaire de son ascension se situe à mi-chemin de ce processus, conférant ainsi, d'un point de vue baha'i, à ces rencontres une signification spirituelle qui allait au-delà de leurs objectifs affichés.

Parmi ces rencontres, la Conférence mondiale sur l'éducation pour tous, en Thaïlande [1990], le Sommet mondial pour les enfants à New-York [1990], la Conférence des Nations unies sur l'environnement à Rio de Janeiro [1992], une conférence internationale douloureuse et chaotique sur les Droits de l'homme à Vienne (1993), la Conférence internationale sur la démographie au Caire [1994], le Sommet mondial pour le développement social à Copenhague [1995] et la très émouvante quatrième Conférence mondiale des femmes à Beijing [1995] (148), font figure d'événements essentiels dans ce processus de discours planétaire sur les problèmes affectant les peuples du monde. Aux conférences non-gouvernementales menées simultanément, les délégations baha'ies constituées de membres provenant d'un grand nombre de pays, eurent l'occasion de placer les questions dans une perspective tant spirituelle que sociale. Le fait que les délégations baha'ies aient été choisies à maintes reprises par leurs pairs pour faire partie des quelques groupes à qui était accordée l'occasion très convoitée de prendre la parole à la tribune au cours de ces conférences - plutôt que de distribuer des imprimés de présentation - est une preuve de la confiance dont jouit la communauté parmi les centaines d'organisations non-gouvernementales.

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Au cours des dernières années du siècle, de nombreuses assemblées spirituelles nationales remportèrent d'impressionnantes victoires dans le domaine des relations extérieures. Deux exemples particulièrement remarquables montrent le caractère et l'importance de ces développements. Le premier fut réalisé par l'Assemblée spirituelle nationale d'Allemagne, où les autorités locales avaient mis en doute la nature des corps élus baha'is, les déclarant techniquement incompatibles avec le cadre du droit civil allemand. En soutenant l'appel de l'Assemblée spirituelle locale des baha'is de Tübingen contre cette décision, la Haute cour constitutionnelle d'Allemagne en vint à conclure que l'ordre administratif baha'i fait partie intégrante de la Foi, et en tant que tel, est inséparable de la croyance baha'ie. La Haute cour a justifié sa décision en la matière en apportant la preuve que la foi baha'ie est une religion à part entière, un jugement aux implications très profondes dans une société où les Églises opposantes ont de tout temps cherché à dénaturer la Cause en la qualifiant de "culte" ou de "secte". Les termes finals utilisés dans le jugement méritent d'être repris :

"… le caractère de la foi baha'ie en tant que religion et de la communauté baha'ie en tant que communauté religieuse ressort de façon évidente tant dans sa vie journalière, que dans sa tradition culturelle, dans la compréhension du grand public et celle de la science des religions comparées (149)."

C'est dans le domaine des affaires extérieures que la communauté brésilienne baha'ie remporta une victoire unique à ce jour dans l'histoire baha'ie. Le 28 Mai 1992, le plus haut corps législatif de ce pays, la Chambre des députés, tint une session extraordinaire pour rendre hommage à Baha'u'llah lors du centenaire de son ascension. Le président lut un message de la Maison universelle de justice, et des représentants de tous les partis se levèrent l'un après l'autre pour attester de la contribution de la Foi et de son Fondateur au progrès de l'humanité. Un discours émouvant d'un éminent député décrivit les enseignements baha'is comme étant "l'oeuvre religieuse la plus colossale jamais écrite par la plume d'un seul homme (150)".

De telles appréciations sur la nature de la Cause et sur le travail qu'elle essaie d'accomplir - provenant des sphères supérieures juridique et législative, comme ce fut le cas dans deux des plus importantes nations du monde - furent des victoires de l'esprit aussi importantes à leur manière que celles remportées dans le domaine de l'enseignement. Elles ont contribué à ouvrir ces portes par lesquelles l'influence bénéfique de Baha'u'llah commence à pénétrer dans la vie même de la société.


XI.

'ABDU'L'BAHA UTILISAIT l'image de la lumière pour bien présenter à ses auditeurs la future transformation de la société. Il voyait dans l'unité la force qui illumine et fait progresser toute forme d'entreprise humaine. Dans l'avenir, l'époque qui naissait serait considérée comme "le Siècle de lumière", car elle verrait l'accomplissement de la reconnaissance universelle de l'unicité de l'humanité. Une fois cette base établie, le processus de construction d'une société mondiale incarnant des principes de justice commencera.

Le Maître expliqua cette perspective dans plusieurs lettres et allocutions. C'est dans une lettre adressée à Jane Élizabeth Whyte, épouse de l'ex-président de l'Église libre d'Écosse, que 'Abdu'l-Baha l'exposa le plus complètement. Madame Whyte était une fervente sympathisante des enseignements baha'is, elle avait rendu visite au Maître à Acre et plus tard, c'est elle qui organisa la réception particulièrement chaleureuse qui l'accueillit à Edimbourg. Utilisant la métaphore habituelle des flambeaux, 'Abdu'l-Baha écrivit à Madame Whyte :

"Ô Honorable dame ! Vois comme sa lumière (celle de l'unité) pointe à l'horizon obscurci du monde. Le premier flambeau est celui de l'unité du monde politique ; les premières lueurs en sont déjà perceptibles. Le deuxième flambeau est celui de l'unité de pensée dans les affaires du monde ; on en verra bientôt l'éclat. Le troisième flambeau est celui de l'unité dans la liberté, elle ne peut manquer d'apparaître. Le quatrième flambeau est l'unité de la religion qui constitue la pierre angulaire de l'édifice même et qui, par la puissance de Dieu, sera révélée dans toute sa splendeur. Le cinquième flambeau est l'unité des nations qui sera solidement établie en ce siècle et amènera tous les peuples du monde à se considérer comme les citoyens d'une même patrie. Le sixième flambeau est l'unité du genre humain qui fera de tous les habitants de la terre les peuples et les tribus d'une seule et même famille. Le septième flambeau, enfin, est l'unité de langage, c'est-à-dire le choix d'une langue universelle que tous les peuples étudieront et qu'ils utiliseront pour communiquer entre eux. Tous ces flambeaux, sans exception, se manifesteront inéluctablement, dans la mesure où la puissance du royaume de Dieu contribuera à leur avènement (151)."

Bien que des décades, ou peut-être beaucoup plus, soient encore nécessaires pour que se réalise complètement la vision contenue dans ce document remarquable, les caractéristiques essentielles de ce qui a été promis sont maintenant des réalités pour le monde entier. Pour certains des grands changements envisagés, l'unité du genre humain et l'unité de religion, le sens des paroles du Maître est clair, et les processus engagés sont déjà bien avancés malgré l'importance de la résistance en certains endroits. Dans une large mesure, ceci est également vrai en ce qui concerne l'unité de langue. La nécessité en est maintenant reconnue partout, ainsi que le démontrent les circonstances qui ont obligé les Nations unies et par la plupart des organismes non-gouvernementaux adopter plusieurs langues officielles. En attendant qu'une résolution internationale statue sur la question, le développement de l'Internet et de vocabulaires techniques divers, l'organisation du trafic aérien, et l'éducation universelle elle-même ont permis à la langue anglaise de combler le vide dans une certaine mesure.

Le concept de "l'unité de pensée dans les affaires mondiales" - concept pour lequel même les plus idéalistes des aspirations du début du vingtième siècle manquaient de référence - est également visible à tous les niveaux dans de vastes programmes de développement social et économique, d'aide humanitaire et de protection de l'environnement de la planète et de ses océans. Pour ce qui est de "l'unité dans le domaine de la politique", Shoghi Effendi a expliqué qu'il s'agissait de l'unité réalisée entre eux par les États souverains, un processus qui se développe et dont l'étape actuelle est l'établissement des Nations unies. D'autre part, "l'unité des peuples" promise par le Maître attendait avec impatience que, malgré l'importance de leurs différences, les peuples du monde acceptent le fait qu'ils sont les habitants d'une seule patrie mondiale - comme c'est maintenant le cas.

Bien entendu, "l'unité dans la liberté" est aujourd'hui devenue une aspiration universelle des habitants de la terre. Parmi les principaux phénomènes l'étayant, le Maître avait probablement à l'esprit l'extinction spectaculaire du colonialisme et la naissance de l'autodétermination qui s'ensuivit en tant que caractéristique dominante de l'identité nationale à la fin du siècle.

Quelles que soient les menaces qui pèsent encore sur le futur de l'humanité, le monde a été transformé par les évènements du vingtième siècle. Que les caractéristiques de ce processus aient pu aussi être décrites par la Voix qui les a prédites avec une telle confiance devrait conduire les esprits sérieux de par le monde à une réflexion profonde.

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Les changements de la vie sociale et morale de l'humanité furent fortement cautionnés lors d'une série de réunions internationales sous l'égide des Nations unies pour marquer la fin proche d'un millénaire et le commencement d'un nouveau. Du 22 au 26 mai 2000, des représentants de plus d'un millier d'organisations non-gouvernementales se réunirent à New York à l'invitation de Kofi Annan, le secrétaire général des Nations unies. Dans la déclaration issue de cette réunion, les porte-parole de la société civile livrèrent cet idéal à leurs organisations : "…Nous sommes une seule famille humaine, dans toute notre diversité, vivant dans une seule patrie commune et partageant un monde juste, soutenable et pacifique, guidés par des principes universels de démocratie…. (152)"

À quelque temps de là, du 28 au 31 août 2000, un second rassemblement réunit également les dirigeants de la plupart des communautés religieuses du monde au quartier général des Nations Unies. La Communauté internationale baha'ie fut représentée par son secrétaire général qui prit la parole pendant l'une des séances plénières. Tous auront été frappés par l'appel officiel des dirigeants des religions du monde à leurs communautés, appel "au respect du droit à la liberté de religion, à la réconciliation, et à l'engagement mutuel dans le pardon et la guérison... (153)"

Ces deux évènements préliminaires préparèrent la voie au Sommet du millénaire lui-même qui se réunit au quartier général des Nations Unies du 6 au 8 septembre 2000. Rassemblant 149 chefs d'états et de gouvernements, cette consultation visait à donner espoir et assurance aux populations des nations représentées. Le Sommet prit l'heureuse initiative d'inviter un porte-parole du forum des organisations non-gouverne-mentales pour partager les préoccupations identifiées au cours de cette réunion préparatoire. Fait significatif autant que gratifiant pour les baha'is : ce grand honneur fut accordé en tant que co-président du forum au représentant de la Communauté internationale baha'ie auprès des Nations Unies. Rien n'illustre de manière aussi impressionnante la différence entre le monde de 1900 et celui de 2000 que le texte de la résolution de ce Sommet, signée par tous les participants et remise à l'Assemblée générale des Nations unies :

"En cette occasion historique, nous réaffirmons solennellement que les Nations unies sont l'indispensable maison commune de la famille humaine tout entière, à travers laquelle nous chercherons à réaliser nos aspirations universelles pour la paix, la coopération et le développement. Nous nous engageons donc à soutenir sans réserve ces objectifs communs et à les mener à bien avec détermination (154)."

En des termes étonnamment naïfs - termes qui, pour de nombreux baha'is, faisaient écho à l'avertissement sévère de Baha'u'llah aux rois et empereurs maintenant disparus qui avaient été les prédécesseurs de ces dirigeants -, Monsieur Annan, pour conclure cette série de réunions historiques, s'adressa aux dirigeants du monde réunis :"Il est en votre pouvoir,
et vous avez donc la responsabilité, d'atteindre les objectifs que vous avez définis. Il ne dépend que de vous que les Nations unies relèvent le défi (155)."

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En dépit de l'importance historique de ces réunions et du fait que la majeure partie des chefs politiques, civils et religieux du monde y prirent part, le Sommet du millénaire fit peu impression sur l'esprit du public dans la plupart des pays. Certains de ces évènements bénéficièrent d'une large couverture médiatique, mais beaucoup de lecteurs et d'auditeurs notèrent l'expression de scepticisme qui caractérisait le ton des éditoriaux sur le sujet ou la note de doute, de cynisme même, qui s'introduisait dans nombre des informations elles-mêmes. Ce fossé profond entre un évènement qui pouvait légitimement revendiquer le fait de marquer un tournant majeur dans l'histoire de l'humanité et le peu d'enthousiasme ou même d'intérêt qu'il provoqua dans les populations supposées en bénéficier, fut peut-être la caractéristique la plus frappante des observations relatives au Sommet. Il montre la profondeur de la crise que le monde traverse à la fin du siècle, où les processus d'intégration et de désintégration, qui avaient gagné du terrain durant les cent dernières années, semblent s'accélérer d'avantage chaque jour.

Ceux qui voudraient vraiment croire les déclarations visionnaires des dirigeants du monde se débattent en même temps sous l'emprise de deux phénomènes qui sapent leur confiance. Le premier a déjà été examiné en partie dans ces pages. L'écroulement des bases morales de la société a laissé la majeure partie de l'humanité se débattre sans points de référence dans un monde qui devient de jour en jour plus menaçant et imprévisible. Suggérer que le processus arrive presque à son terme revient à donner de faux espoirs. Il est possible d'apprécier les efforts politiques intenses accomplis, les progrès scientifiques poursuivis et les améliorations des conditions économiques réalisées pour une portion de l'humanité, sans y voir pourtant le moindre espoir de sécurité pour sa propre vie ni même, ce qui est plus important, pour celle de ses enfants. Shoghi Effendi avait mis en garde contre le sentiment de désillusion, maintenant largement répandu, que créerait la propagation de la corruption politique dans les esprits des hommes. Des manifestations d'anarchie localisées deviennent endémiques dans les villes et les campagnes de nombreux pays. L'échec des contrôles sociaux, les efforts pour justifier les comportements déviants extrêmes comme étant avant tout l'expression des droits civiques, et une célébration, presque universelle dans les arts et les médias, de la dégénérescence et de la violence sont parmi les manifestations d'une condition proche de l'anarchie morale, qui suggèrent un avenir paralysant l'imagination. Sur ce fond de paysage désolé, la vogue intellectuelle du moment qui cherche à transformer une dure et sévère nécessité en vertu s'est donné le nom et la mission de "déconstructionisme".

Le second de ces deux développements sapant la foi en l'avenir fut le thème central de quelques-uns des débats les plus douloureux du Sommet du millénaire. La révolution de l'information, amorcée au cours de la dernière décennie du siècle par l'invention de l'Internet, transforma de façon irréversible presque toute l'activité humaine. Le processus de "mondialisation" qui avait suivi une longue courbe ascendante sur une période de plusieurs siècles fut galvanisé par de nouvelles perspectives dépassant l'imagination. Dans les années 90, des forces économiques, se libérant des contraintes traditionnelles, donnèrent naissance à un nouvel ordre mondial dans l'élaboration, la génération et la distribution de la richesse. Le savoir devint lui-même une marchandise considérablement plus précieuse que le capital et les ressources matérielles. En un rien de temps, les frontières nationales déjà attaquées devinrent perméables : d'énormes sommes d'argent les traversaient à la simple commande d'un signal informatique. Des opérations de production complexes furent reconfigurées de manière à réaliser le maximum d'économies par la contribution d'un éventail de participants spécialisés, sans tenir compte de leur pays de résidence. Si l'on s'abaisse à des considérations purement matérielles, la terre a déjà acquis quelques caractéristiques d'"un seul pays" et les habitants de ses diverses régions, le statut de "citoyens" consommateurs.

La transformation n'est pas non plus seulement économique. La mondialisation prend de plus en plus des dimensions politiques, sociales et culturelles. Il est clair maintenant que les forces de cette institution qu'est l'État-nation, auparavant arbitre et protectrice du destin de l'humanité, se sont considérablement érodées. Tandis que les gouvernements nationaux continuent à jouer un rôle crucial, ils doivent aussi faire une place à des Puissances telles que les multinationales, les agences des Nations unies, les organisations non-gouvernementales de toutes sortes, les immenses groupes financiers de l'information, dont la coopération devient vitale pour la réussite de la plupart des programmes visant d'importants objectifs économiques ou sociaux. Les barrières nationales n'entravent que bien peu les transferts d'argent ou les migrations de sociétés ; elles ne sont pas non plus en mesure d'exercer de véritables contrôles sur la dissémination de la connaissance. L'Internet, qui détient le pouvoir de transmettre en quelques secondes le contenu de bibliothèques entières qu'il a fallu des siècles de recherche pour réunir, enrichit considérablement la vie intellectuelle de quiconque peut l'utiliser ; il apporte un moyen d'apprentissage sophistiqué dans de vastes domaines professionnels. Le système, décrit il y a soixante ans dans la vision prophétique de Shoghi Effendi, crée un esprit de communauté entre ses utilisateurs, tout à fait indépendamment des distances géographiques et culturelles.

Les avantages pour des millions de personnes sont évidents et impressionnants. La baisse des coûts résultant de la coordination d'opérations auparavant concurrentes tend à mettre les produits et les services à la portée de populations qui n'auraient pas pu espérer en profiter précédemment. L'énorme augmentation des fonds alloués à la recherche et au développement accroît la diversité et la qualité de tels avantages. On remarque une égalisation des chances concernant l'emploi, en raison de la facilité avec laquelle les entreprises peuvent transférer leur base opérationnelle d'un point du monde à un autre. Le démantèlement des barrières du commerce international réduit encore le coût des marchandises pour les consommateurs. D'un point de vue baha'i, il n'est pas difficile d'évaluer le potentiel qu'ont ces transformations à édifier les fondations de la société mondiale dont on trouve la vision dans les Écrits de Baha'u'llah.

Cependant, loin d'inspirer l'optimisme pour le futur, la mondialisation est considérée par un nombre toujours grandissant de personnes dans le monde comme la principale menace pour ce futur. La violence des affrontements suscités par les rencontres ces deux dernières années de l'Organisation mondiale du commerce, de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international témoigne de la profondeur de la peur et du ressentiment provoqués par la montée de la mondialisation. La couverture médiatique de ces éclats inattendus attira l'attention du public sur les protestations contre les énormes inégalités dans la répartition des avantages et des opportunités, que la mondialisation ne fait semble-t-il qu'accroître, et sur les avertissements concernant les conséquences catastrophiques dans les domaines social, politique, économique et environnemental, si des contrôles efficaces ne sont pas mis en place rapidement.

De telles inquiétudes semblent fondées. Les statistiques économiques révèlent à elles seules une image profondément troublante des conditions mondiales actuelles. Le gouffre funeste entre le cinquième de la population du monde qui vit dans les pays à plus haut revenu et le cinquième vivant dans les pays au revenu le plus bas ne cesse de grandir. Selon le Rapport sur le développement humain de 1999, publié par le Programme des Nations unies pour le développement, cet écart présentait en 1990 une proportion de soixante pour un. C'est-à-dire qu'une partie de l'humanité jouissait de soixante pour cent des richesses mondiales tandis qu'une autre, aussi importante en nombre, se débattait pour survivre avec seulement un pour cent de ces richesses. En 1997, à la suite de la progression rapide de la mondialisation, et en sept années seulement, l'écart s'était élargi dans la proportion de soixante-quatorze pour un. Ce fait terrifiant ne prend même pas en compte l'appauvrissement régulier de la majorité des milliards d'êtres humains restants, pris au piège dans l'isthme toujours plus étroit entre ces deux extrêmes. Loin d'être maîtrisée, la crise s'amplifie. Les implications pour l'avenir de l'humanité en termes de privations et de désespoir noyant plus des deux tiers de la population de la terre aident à comprendre l'apathie avec laquelle furent reçues les réalisations tant vantées du Sommet du millénaire ; elles sont pourtant véritablement historiques si l'on s'en tient à des critères raisonnables.

La mondialisation elle-même est un élément intrinsèque de l'évolution de la société humaine. Elle a donné naissance à une culture socio-économique qui, sur le plan pratique, constitue le monde dans lequel les aspirations de l'humanité se poursuivront dans le siècle qui s'ouvre maintenant. Nul observateur objectif ne niera que les deux réactions contradictoires qu'elle soulève sont, dans une grande mesure, pleinement justifiées. L'unification de la société humaine, forgée par les feux du vingtième siècle, est une réalité qui ouvre chaque jour de nouvelles possibilités à couper le souffle. La revendication de la justice d'être l'unique moyen capable d'exploiter ces importantes potentialités pour le progrès de la civilisation est une réalité qui s'impose partout aux esprits sérieux. Le don de prophétie n'est pas nécessaire pour savoir que le destin de l'humanité dans le siècle qui s'ouvre sera déterminé par la relation établie entre ces deux forces fondamentales du processus historique : les principes inséparables d'unité et de justice.

*

En référence aux enseignements de Baha'u'llah, le plus grand des dangers de cette crise morale et des iniquités associées à la mondialisation dans sa forme actuelle réside en une attitude philosophique figée qui cherche à justifier et à excuser ces faillites. Le renversement des systèmes totalitaires du vingtième siècle ne signifie pas la fin de l'idéologie. Au contraire. Il n'existe pas une seule société au monde, aussi pragmatique, innovatrice ou multiforme qu'elle ait été, qui ne se soit construite sur une interprétation de la réalité. Un tel système de pensée règne encore à ce jour, pratiquement incontesté dans le monde, sous le nom de "civilisation occidentale". D'un point de vue philosophique et politique, il se présente comme une sorte de relativisme libéral ; et d'un point de vue économique et social, comme le capitalisme - deux systèmes de valeurs qui se sont peu à peu tellement ajustés l'un à l'autre en se renforçant réciproquement qu'ils constituent virtuellement une vision mondiale unique et complète.

Les avantages dont jouit une minuscule minorité des habitants de la terre en termes de liberté personnelle, de prospérité sociale et de progrès scientifique sont appréciables, mais ne peuvent empêcher un être réfléchi de reconnaître la faillite du système sur les plans moral et intellectuel. Ce système a contribué de son mieux au progrès de la civilisation, comme le firent tous les précédents, et comme eux, il reste incapable de répondre aux besoins d'un monde que n'avaient jamais imaginé les visionnaires du dix-huitième siècle qui conçurent la plupart de ses éléments. Shoghi Effendi ne limitait pas son attention aux monarchies de droit divin, aux Églises établies ou aux idéologies totalitaires lorsqu'il posait cette question brûlante :"Pourquoi, dans un monde sujet à la loi immuable du changement et du déclin, ceux-ci devraient-ils être affranchis de la détérioration qui s'abat nécessairement sur toute institution humaine ? (156)"

Baha'u'llah presse ceux qui croient en lui : "vois par tes propres yeux et non par ceux d'autrui", "comprends par ta propre connaissance et non par celle de ton voisin". Hélas, ce que les baha'is constatent dans la société actuelle est une exploitation sans borne des masses humaines, avec une avidité qui ne s'explique que par l'opération des forces impersonnelles du marché. Ce qu'ils rencontrent partout est la destruction des bases morales, vitales pour le futur de l'humanité, par un sybaritisme flagrant, sous couvert de "liberté de parole". Ce contre quoi ils luttent chaque jour est la pression d'un matérialisme dogmatique se proclamant voix de la "science" et cherchant à exclure systématiquement de la vie intellectuelle toute impulsion qui viendrait de la sphère spirituelle de la conscience humaine.

Or, pour un baha'i, les enjeux ultimes sont spirituels. La Cause n'est ni un parti politique ni une idéologie, encore moins un moteur d'agitation politique contre telle ou telle injustice sociale. Le processus de transformation qu'elle met en oeuvre progresse en encourageant un changement radical de conscience, et le défi qu'elle lance à quiconque la sert consiste à se libérer de l'attachement aux hypothèses et aux choix reçus en héritage et qui sont incompatibles avec la volonté de Dieu pour cette époque de maturité de l'humanité. De façon paradoxale, le désarroi provoqué par le contexte actuel qui viole la conscience apporte une aide à ce processus de libération spirituelle. Finalement, cette désillusion conduit le baha'i à affronter une vérité soulignée maintes et maintes fois dans les écrits de la Foi :

Dans le monde, il a choisi les coeurs de ses serviteurs et en a fait le siège de la révélation de sa gloire. Purifiez-les donc de toute souillure, afin qu'y puisse être gravé tout ce pour quoi ils furent créés (157).


XII.

LE PROLOGUE DE L'ÉVANGILE attribué à Jean, disciple de Jésus - "Au commencement était le verbe..." - a fasciné des lecteurs pendant deux mille ans. Le verset se poursuit avec l'affirmation, déconcertante de simplicité et de franchise, d'une vérité spirituelle au centre de toutes les religions révélées, et reprise maintes et maintes fois dans les civilisations qui se sont succédées à travers les âges : "II était dans le monde et le monde fut créé par lui". La Manifestation promise de Dieu apparaît ; une communauté de croyants se forme autour de ce centre de vie de spiritualité et d'autorité ; un nouveau système de valeurs commence à remettre de l'ordre dans les consciences et les comportements ; les arts et les sciences réagissent ; les lois et la gestion des affaires sociales se restructurent. Lentement mais sûrement une nouvelle civilisation émerge qui satisfait les idéaux et mobilise les aptitudes de millions d'être humains au point de constituer véritablement un nouveau monde, un monde bien plus réel pour ceux qui "vivent, se meuvent et existent (158)" que les fondations terrestres sur lesquelles il repose. Au cours des siècles qui s'ensuivent, la société continue à dépendre essentiellement, pour sa cohésion et sa sécurité, de l'élan spirituel qui l'a fait naître.

Avec l'apparition de Baha'u'llah, le phénomène s'est reproduit - cette fois à l'échelle de la planète tout entière. Dans les événements du vingtième siècle, on peut voir les prémices de la transformation universelle de la société que cette révélation a mise en branle et à propos de laquelle Baha'u'llah écrivit :

"Je témoigne qu'aussitôt que le premier Mot fut sorti de sa bouche, par le pouvoir de sa volonté et selon son dessein… la totalité de la création fut révolutionnée, et tout ce qui est dans les cieux et tout ce qui est sur la terre fut ébranlé jusque dans ses fondements. Par ce Mot, les réalités de toutes choses créées furent secouées, divisées, séparées, éparpillées, associées et réunies à nouveau, faisant apparaître, tant dans le monde contingent que dans le royaume céleste, les éléments d'une nouvelle création, et révélant, dans les mondes invisibles, les signes et preuves de ton unité et de ton unicité (159)."

Shoghi Effendi décrit ce processus d'unification mondiale comme étant le "plan majeur" de Dieu, qui continuera à oeuvrer, gagnant force et énergie, jusqu'à ce que l'humanité soit réunie en une société mondiale d'où la guerre sera bannie et qui prendra en charge sa destinée collective. Les tribulations du vingtième siècle ont permis le changement fondamental d'orientation que le Plan divin requiert. Ce changement est irréversible. Il n'existe aucun retour possible en arrière vers des situations antérieures, même si des éléments de la société seront parfois tentés de le faire.

L'importance de la percée historique qui s'est ainsi produite ne peut en aucune façon être amoindrie par le fait que ce processus vient à peine de commencer. Comme Shoghi Effendi l'a clairement exprimé, ceci doit mener en temps voulu à la spiritualisation de la conscience humaine et à l'émergence d'une civilisation mondiale qui incarnera la volonté de Dieu. Le simple fait de formuler cet objectif fait prendre conscience de l'immense chemin que l'humanité doit encore parcourir. C'est contre une résistance particulièrement intense, à tous les niveaux de la société, parmi les gouvernants et les gouvernés, que les principaux changements politiques, sociaux et conceptuels furent réalisés. Ils furent en fin de compte réalisés au prix de souffrances terribles. Il serait irréaliste de penser que les défis à venir ne nécessitent pas un tribut plus lourd encore pour une humanité qui cherche à éviter, par tous les moyens en son pouvoir, les implications spirituelles de l'épreuve qu'elle subit toujours. Les paroles de Shoghi Effendi sur les conséquences de cette insensibilité extrême du coeur et de l'esprit nous ramènent à la réalité :

"Des adversités effroyables et impensables, des crises et des bouleversements inimaginables, guerres, famines et pestes, pourraient bien s'allier pour graver dans l'âme d'une génération insouciante ces vérités et ces principes qu'elle a dédaigné de reconnaître et de suivre (160)."

*

Un tiers du vingtième siècle s'était à peine écoulé que le Gardien exhorta les disciples de Baha'u'llah à pousser leur connaissance de la Cause bien plus loin que tout ce qu'ils avaient pu évaluer jusque-là. La Foi avait atteint le point, disait-il, où elle "cessait de se qualifier de mouvement, de fraternité, et termes similaires", dénominations qui, bien que peut-être appropriées à l'époque où le message fut introduit en occident, "causaient maintenant du tort à un système en constant développement". Pensant que même le terme "religion" était inadéquat lorsqu'il était pris dans un sens familier, il souligna que déjà la Foi :

"… réussit visiblement aujourd'hui à démontrer son droit et son titre de religion mondiale, destinée à atteindre, quand les temps seront révolus, le statut d'une fédération englobant le monde, qui serait tout à la fois l'instrument et le gardien de la plus grande paix annoncée par son auteur (161)."

Alors que le siècle avançait, la même force créatrice qui éveillait l'ensemble de l'humanité à son unité, libérait progressivement les forces inhérentes à la Cause et lui donnait un rôle nouveau dans les affaires de ce monde. Pendant les vingt premières années du siècle, grâce aux soins apportés par le Maître, les fondations spirituelles et administratives nécessaires au dessein de Baha'u'llah furent établies. Sur cette base - durant les trente-six années de son propre ministère et les six années qui suivirent alors que sa croisade de dix ans guidait les efforts de la communauté -, Shoghi Effendi se consacra à affiner les outils administratifs nécessaires à la poursuite du Plan divin. En 1963, avec l'établissement réussi de la Maison universelle de justice, les baha'is du monde lancèrent la première étape d'une mission de longue durée : enrichir spirituellement l'ensemble de l'humanité afin qu'elle devienne l'acteur de son propre progrès. À la fin de ce siècle, cet immense effort avait fait naître une communauté représentative de la diversité de l'humanité, unie dans ses croyances et sa fidélité, engagée dans l'établissement d'une société mondiale qui sera le reflet sur terre de la vision spirituelle et morale de son Fondateur.

Ce processus fut particulièrement renforcé en 1992 avec la publication tant attendue de la traduction annotée du Kitab-i-Aqdas, une mine de directives
divines pour l'âge de la maturité de l'humanité. Un nombre toujours croissant de traductions permit bientôt aux disciples de la Foi dans le monde d'accéder directement à un ouvrage que son auteur décrivit comme "l'aurore de la connaissance divine, si vous êtes de ceux qui comprennent, et l'orient des commandements de Dieu, si vous êtes de ceux qui saisissent (162)". Mis à part la reconnaissance de la Manifestation de Dieu par l'âme, rien d'autre que la certitude morale n'a la force d'éveiller un aussi grand sentiment de confiance et de vitalité dans la conscience humaine, tant individuelle que collective. Dans le Kitab-i-Aqdas, les lois élémentaires de la vie personnelle et communautaire ont été reformulées dans le contexte d'une société qui englobe la totalité de la diversité humaine. De nouvelles lois et concepts s'adressent aux besoins futurs du genre humain qui entre dans sa maturité. "Ô peuples de la terre" lance Baha'u'llah, "rejetez ce que vous possédez, et, sur les ailes du détachement, élevez-vous par-delà toutes choses créées. Ainsi vous le commande le Seigneur de la création, dont la plume, par son mouvement, a révolutionné l'âme de l'humanité (163)".

La capacité de la Foi à surmonter les attaques qui sont menées à son encontre est l'une des caractéristiques des cent dernières années du développement baha'i, et tout observateur devrait le remarquer. Comme cela avait été le cas pendant les ministères du Bab et de Baha'u'llah, certains éléments de la société, irrités par la montée en puissance de la nouvelle religion ou craignant les principes qu'elle enseignait, cherchèrent à l'étouffer par tous les moyens possibles. Il ne s'est pratiquement pas passé dix années sans de telles tentatives, allant des persécutions sanglantes menées par le clergé chiite ou des abominables accusations mensongères concoctées et répandues par leurs homologues chrétiens, aux tentatives systématiques de suppression par divers régimes totalitaires, et finalement, aux violations de leur engagement envers Baha'u'llah perpétrées par des détracteurs, des ambitieux ou des malveillants parmi ses adhérents déclarés. Selon des critères humains, la Cause aurait dû succomber à ce barrage d'opposition sans précédent dans l'histoire contemporaine. Loin de s'écrouler, elle prit de l'ampleur. Sa réputation grandit, le nombre de ses membres augmenta considérablement, son influence dépassa les rêves des premières générations de ses adeptes. Les persécutions servirent à galvaniser les efforts de ses fidèles. La calomnie conduisit les croyants à rechercher une compréhension plus mature de son histoire et de ses enseignements. Et, comme l'avaient promis le Maître et le Gardien, la violation de l'Alliance supprima de ses rangs les individus dont les attitudes et le comportement avaient fragilisé la foi des autres et entravé son développement. Si la Cause devait n'apporter d'autre témoignage des forces qui la soutiennent, cette succession de triomphes devrait à elle seule suffire.

*

Trois ans avant son décès, Shoghi Effendi profita de l'acquisition du dernier lot de terrain nécessaire à l'édification du bâtiment des archives internationales pour décrire au monde baha'i la nature et la signification des projets de construction sur le Mont Carmel que le Maître avait inaugurés et que lui-même poursuivait :

"Ces édifices, en forme d'arc tendu, et d'architecture harmonieuse, entoureront les tombeaux de la plus sainte Feuille... de son frère... et de leur mère… La fin ultime de cette magnifique entreprise marquera le point culminant du développement d'un ordre administratif mondial divinement établi dont les origines remontent aux dernières années de l'âge héroïque de la Foi (164)."

L'étape actuelle de cette entreprise ambitieuse se termina avec succès au cours de la dernière année du siècle. Un flot de ressources déversé par les croyants du monde entier fit écho à la vision de Baha'u'llah pour ce lieu sacré qu'annonce sa Tablette à Carmel : "Sois dans l'allégresse, car en ce jour Dieu a établi son trône sur toi, a fait de toi l'orient de ses signes et l'aurore des preuves de sa révélation". Avec cet ensemble de magnifiques bâtiments qui s'étendent le long de l'Arc et cette envolée de jardins en terrasse qui s'élèvent depuis la base du mont jusqu'à son sommet, la Cause dont l'influence s'est répandue jusqu'aux confins de la terre au cours de ce siècle de lumière a définitivement émergé comme présence visible et imposante. Avec la foule des visiteurs qui affluent chaque jour dans les escaliers et les allées, et le flot d'invités de marque qui sont accueillis dans les salles de réception du Centre mondial, les esprits perspicaces perçoivent déjà les prémices de l'accomplissement de la vision consignée deux mille trois cents ans plus tôt par le prophète Isaïe : "Il arrivera dans l'avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines. Toutes les nations y afflueront (165)."

La cause baha'ie se présente avant tout comme un ensemble organisé inaliénable. Incarnant le principe de l'unité qui repose au coeur de la révélation de Baha'u'llah, cet ensemble témoigne de la présence de l'esprit qui habite et anime la Foi. Seule parmi les religions de l'histoire, la Cause a su résister à ces éternels fléaux que sont le schisme et la faction, en dépit d'efforts répétés pour rompre son unité. Le fait que la révélation elle-même créa les instruments qu'elle utilise, que les Fondateurs de la Foi conçurent les méthodes pour mener à bien le Plan divin et qu'ils mirent eux-mêmes en oeuvre dans le moindre détail ce projet, assure le succès du travail d'enseignement de la communauté. Au cours du vingtième siècle, grâce aux efforts de 'Abdu'l-Baha et du Gardien, le Mont Carmel lui-même est devenu une expression de cette unité de la Foi. À la différence des autres religions du monde, les centres spirituels et administratifs de la Cause sont liés de façon inséparable dans un même lieu, les institutions qui la dirigent étant établies autour du mausolée de son prophète martyr. Pour de nombreux visiteurs, l'harmonie obtenue dans les jardins environnants où abondent tant de fleurs, d'arbres et de buissons colorés, semble elle aussi proclamer l'idéal d'unité dans la diversité qui les attire dans les enseignements de la Foi.

Ces cent années se terminèrent de façon dramatique avec un événement qui plongea les croyants du monde entier dans un profond chagrin. Le 19 Janvier 2000, un message de la Maison universelle de justice annonça :

Tôt ce matin, l'âme d'Amatu'l-Baha Ruhiyyih Khanum, épouse bien-aimée de Shoghi Effendi et dernier maillon de la chaîne reliant le monde baha'i avec la famille de 'Abdu'l-Baha, fut libérée des liens qui l'attachaient à cette vie terrestre... Pour évoquer ses vingt années de vie commune avec elle, Shoghi Effendi utilisa des termes élogieux tels que "mon associée", "mon bouclier", "mon infatigable collaboratrice dans les tâches ardues que j'entreprends…"

Une fois passé le choc que provoqua cette annonce, une autre des inépuisables bénédictions de Baha'u'llah s'imposa. À cette personnalité qui avait traversé presque tout le siècle - et dont l'esprit indomptable avait affronté des difficultés et des sacrifices baha'is tout au long de sa seconde partie - il avait été donné de vivre et de célébrer les splendides victoires auxquelles elle avait si magnifiquement contribué.

*

En appelant ceux qui l'ont reconnu à partager avec d'autres le message du Jour de Dieu, Baha'u'llah se tourne à nouveau vers le langage de la création elle-même : "Tout corps appelle une âme. Les âmes saintes doivent, avec le souffle de la parole de Dieu, animer les corps morts d'un nouvel esprit (166)". 'Abdu'l-Baha fait remarquer que ce principe est tout aussi vrai pour la vie collective de l'humanité que pour la vie de ses individus : "La civilisation matérielle est comme le corps. Aussi gracieux, élégant et beau qu'il puisse être, il est inanimé. La civilisation divine est comme l'esprit, et le corps reçoit sa vie de l'esprit... " (167)

Cette analogie très forte résume la relation entre les deux développements historiques que la volonté de Dieu propulsa sur des chemins convergents tout au long de ce siècle de lumière. Seule une personne aveugle aux capacités intellectuelles et sociales latentes dans le genre humain, et insensible aux besoins désespérés de l'humanité, pourrait ne pas être profondément satisfaite des progrès réalisés par la société au cours des cent dernières années, plus spécifiquement des processus reliant entre eux les peuples et les nations de la terre. De telles réalisations sont tout particulièrement appréciées des baha'is qui voient en elles le dessein même de Dieu. Pourtant, ce corps de la civilisation matérielle de l'humanité appelle son âme à haute voix et la désire chaque jour un peu plus. Tant que cette humanité ne sera pas ainsi animée et que ses facultés spirituelles ne se seront pas développées, elle ne trouvera ni paix, ni justice, ni même cette unité qui s'élève au-dessus de toute négociation ou compromis, ainsi qu'il en a été pour toutes les grandes civilisations dans l'histoire. S'adressant aux représentants du peuple élus dans chaque pays,
Baha'u'llah écrivit :

"Le Seigneur a prescrit l'union de tous ses peuples en une Cause universelle, en une Foi commune, comme remède souverain et tout puissant instrument pour la guérison du monde entier (168)."

Par conséquent, le travail de la Cause ne consiste pas seulement à fournir un soutien, un encouragement ou même un exemple. La communauté baha'ie continuera à participer de toutes les manières possibles aux efforts visant à l'unification mondiale et l'amélioration sociale, mais de telles contributions sont secondaires face à ses objectifs. Son but est d'aider les peuples du monde à ouvrir leurs coeurs et leurs esprits à la seule Puissance qui peut pleinement satisfaire leur plus secrète attente. Personne ne peut leur apporter cette aide si ce n'est ceux qui se sont eux-mêmes éveillés à la révélation de Dieu. Personne qui puisse offrir un témoignage crédible de l'avènement d'un monde de paix et de justice sinon ceux qui comprennent, ne serait-ce que faiblement, les mots avec lesquels la voix de Dieu enjoignit à Baha'u'llah de se lever pour entreprendre sa mission :

"Ô plume, peux-tu trouver un autre que moi en ce jour ? Qu'est-il advenu de la création et de ses manifestations ? Et les noms et leur royaume, que sont-ils devenus ? Où sont passées toutes les choses créées, tant visibles qu'invisibles ? Et qu'en est-il des secrets cachés et des révélations de l'univers ? Vois, la création tout entière s'est éteinte ! Il ne reste que mon visage, l'Éternel, le Resplendissant, le Très-Glorieux. "

Voici le jour où seules se voient les splendeurs de la lumière qui rayonne de la face de ton Seigneur, le Clément, le Généreux. En vérité, sur notre ordre irrésistible et souverain, toutes les âmes ont expiré. Puis, nous avons appelé à l'être une création nouvelle en signe de notre grâce envers les hommes. Je suis en vérité le Très-Généreux, l'Ancien des jours (169).


NOTES :

1. Shoghi Effendi, Avènement de la justice divine, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1973, p.96.

2. Shoghi Effendi, Voici le Jour promis, Paris, Comité national baha'i de publication, 1960, p. 1.

3. Eric Hobsbawn, Age of Extremes : The short Twentieth Century, 1914-1991 (London : Abacus, 1995), p. 584.

4. Léopold II, roi des Belges, administra la colonie à titre personnel pendant trois décades (1877-1908). Les exactions commises sous sa mauvaise administration soulevèrent des protestations internationales. En 1908, il fut contraint de confier l'administration du territoire au gouvernement belge.

5. Les processus qui provoquèrent ces changements, sont décrits avec quelque détail par A.N. Wilson § Cie, God's Funeral, (Londres : John Murray, 1999). En 1892, un livre publié par Winwood Reade sous le titre The Martyrdom of Man (Londres : Pemberton Publishing, 1968), qui devint une sorte de "Bible" séculière dans les premières décades du vingtième siècle, émit l'opinion que "les hommes parviendraient finalement à maîtriser la nature. Ils deviendraient les architectes et les façonneurs de mondes. L'homme atteindrait alors laperfection. Il serait le créateur et celui que le vulgaire adorerait comme dieu." Cité par Anne Glyne-Jones, Holding up a Mirror ; how Civilations décline ( Londres : Century, 1996) pp. 371-372).

6. Sélections des écrits de 'Abdu'l-Baha, (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1983), p. 31, section 15.

7. Titre donné à 'Abdu'l-Baha par Baha'u'llah.

8. Coran 39 : 9 "Ceux qui savent et les ignorants sont-ils égaux ?"

9. 'Abdu'l-Baha, Le secret de la civilisation divine (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1973), page 18.

10. Makatib-i-'Abdu'l-Baha (Tablettes de 'Abdu'l-Baha), vol. 4, (Téhéran, Iran National Publishing Trust, 1965), pp.132-134, traduction provisoire.

11. Makatib-i-'Abdu'l-Baha (Tablettes de 'Abdu'l-Baha), vol. 4, (Téhéran, Iran National Publishing Trust, 1965), pp.132-134, traduction provisoire..

12. ibid.

13. Cette école fut fermée en 1934, par ordre de Reza Shah, parce qu'elle observait les jours saints comme congés religieux. Il s'en suivit la fermeture de toutes les écoles baha'ies d'Iran.

14. The Baha'i World, vol. XIV (Haïfa, Baha'i World Centre, 1975) pp. 479-481, pour l'histoire.

15. Shoghi Effendi, L'Ordre mondial de Baha'u'llah (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1993), page 46.

16. Le cercle extérieur de ce vaste système, contrepartie visible de la position centrale conférée au Héraut de notre foi, n'est autre que la planète entière. Au coeur de cette planète se trouve "la Terre la plus sainte", que 'Abdu'l-Baha a nommée "nid des prophètes" et que l'on doit considérer comme le centre du monde et la Qiblih des nations. À l'intérieur de cette Terre la plus sainte, se dresse la montagne de Dieu d'une sainteté immémoriale, le vignoble du Seigneur, le refuge d'Elie dont le Bab lui-même symbolise le retour. Au coeur de cette montagne sainte s'étendent les vastes propriétés à jamais dédiées au saint sépulcre du Bab dont elles constituent l'enceinte sacrée. Au centre de ces propriétés, considérées comme biens internationaux de la Foi, se situe la Cour la plus sainte, un espace comprenant jardins et terrasses qui embellissent les lieux sacrés et leur donnent un charme particulier. Enchâssé dans cet environnement plaisant et verdoyant, se dresse dans toute sa beauté délicate le mausolée du Bab, l'enveloppe destinée à conserver et orner la structure originelle construite par 'Abdu'l-Baha pour servir de tombeau au Héraut-martyr de notre foi. Dans cet écrin est sertie cette Perle de grand prix, le Saint des saints, ces pièces qui furent construites par 'Abdu'l-Baha pour servir de tombeau. Au coeur de ce Saint des saints, se trouve le tabernacle, le caveau dans lequel repose le cercueil le plus saint. Ce caveau abrite le sarcophage d'albâtre dans lequel les restes sacrés du Bab, ce joyau inestimable, ont été déposés. Shoghi Effendi, Citadel of Faith (Wilmette, Baha'i Publishing Trust, 1995), pp 95-96.

17. ibid., p.95.

18. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1976), p. 266.

19. H. M. Balyuzi, 'Abdu'l-Baha : The Center of the Covenant of Baha'u'llah, 2nd ed. (Oxford : George Ronald, 1992), p. 95-96.

20. Sélections des écrits de 'Abdu'l-Baha, op. cit, p. 240, section 200.

21. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p.246.

22. ibid p.247.

23. The Baha'i Century 1844-1944, compilé par l'Assemblée spirituelle nationale des baha'is des États-Unis et du Canada (Wilmette : Baha'i Publishing Committee, 1944), pp. 140-141.

24. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p. 270.

25. 'Abdu'l-Baha à Londres, (Bruxelles : Maison d'éditions baha'ies, 1998), p. 7.

26. 'Abdu'l-Baha, Tablettes du Plan divin, (Assemblée spirituelle nationale des baha'is du Canada, 1981), p. 92.

27. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p.271.

28. 'Abdul'-Baha, Promulgation of Universal Peace, (Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1993), p. 121.

29. Sélections des Écrits de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p. 99, Section 64.

30. Sélections des Écrits de 'Abdu'l-Baha, op. cit., Section 7, p.20

31. Sélections des Écrits de 'Abdu'l-Baha, op. cit., Section 7, p.20.

32. Juliet Thompson, The diary of Juliet Thompson (Los Angeles : Kalimat press, 1983), p.313.

33. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p. 234.

34. Baha'i World Faith (Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1976), p. 429.

35. 'Abdu'l-Baha in Canada (Forest : National Spiritual Assembly of Canada, 1962), p.51.

36. Causeries de 'Abdu'l-Baha à Paris (Bruxelles : Maison d'éditions baha'ies, 1987), p.59.

37. Eric Hobsbaum, Age of Extremes, The Short twentieth Century, 1914-1991, op. cit., p.23.

38. Extraits des Écrits de Baha'u'llah (Bruxelles : Maison d'éditions baha'ies, 1990), p. 174.

39. Edward R. Kantowicz, The Rage of Nations (Cambridge : William B. Eerdmans Publishing Company, 1999), p. 138. Kantowicz ajoute que la perte totale de la population en Europe est de 48 millions, dont 15 millions de disparus à cause de leur santé précaire qui les avait rendus vulnérables aux épidémies de grippe de l'après-guerre et à cause de la chute brutale du taux des naissances, conséquence de ces désastres. Hobsbawn estime que la France a perdu presque vingt pour cent de ses hommes en âge de servir, que la Grande-Bretagne a perdu un quart des diplômés d'Oxford et de Cambridge qui avaient servi dans l'armée pendant la guerre, tandis que les pertes en Allemagne atteignaient 1,8 million soit treize pour cent de la population en âge de servir. (voir Eric Hobsbawm, Age of Extremes, The Short twentieth Century, 1914-1991, 1914-1991, op. cit., p 26.

40. Le président Wilson a fait l'objet de nombreuses biographies au cours des années qui ont suivi sa mort. Trois biographies assez récentes sont celles de Louis Auchincloss, Woodrow Wilson (New York : Viking Penguin, 2000) ; A. Clements Kendrick, Woodrow Wilson : World Statesman (Lawrence University Press of Kansas, 1987) ; Thomas J. Knock, To End All Wars : Woodrow Wilson and the Quest for a New World Order (Oxford : Oxford University Press, 1992).

41. 'Abdu'l-Baha, The Promulgation of Universal Peace, op. cit., p. 305.

42. Shoghi Effendi, Citadel of Faith, op. cit., p. 32.

43. Shoghi Effendi, Citadel of Faith, op. cit., p. 32-33.

44. L'article X de la Charte de la Société des nations, tel qu'il fut finalement adopté, ne requérait pas une intervention militaire collective en cas d'agression, mais se bornait à déclarer "… Le Conseil avisera quant aux moyens de remplir cette obligation".

45. Shoghi Effendi, L'Ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., pp. 24-25.

46. Shoghi Effendi, Citadelle of Faith, op. cit., p. 28-29.

47. ibid., p.7.

48. Sélections des écrits du Bab, (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies,1984), p. 50-51.

49. Baha'u'llah, Kitab-i-Aqdas, le Très-Saint Livre (Maison d'éditions baha'ies, Bruxelles, 1996), § 88, pp. 53-54.

50. Baha'u'llah, Tablettes révélées après le Kitab-i-Aqdas (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1994), page 13.

51. Cette citation fait référence à la valeur des conseils du Maître aux autorités britanniques qui s'efforçaient de restaurer la vie civile à la suite de l'éviction du régime turc dans la région, elle ajoute qu'il a oeuvré pour le bien… Voir Moojan Momen, ed., The Babi and Baha'i Religions, 1844-1944 ; Some contemporary Western Accounts (Oxford : George Ronald, 1981), p. 344.

52. The Baha'i World- vol. XV (Haïfa : Baha'i World Center 1976), p. 132

53. Horace Holley, Religion for mankind (London : George Ronald, 1956), p.243-244.

54. Testament de 'Abdu'l-Baha (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1970), p.24.

55. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p.316.

56. Shoghi Effendi, Baha'i Administration (Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1998) p.15.

57. Bien que la "trêve de Noël" concernait surtout les soldats britanniques et allemands, des troupes françaises et belges y ont également participé. BBC News, Online Network Summary of Brown, Malcoln and Shirley Seaton, "Christian Truce".

58. Ruhiyyih Rabbani, La Perle inestimable (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies 1976), pp.150-151.

59. Shoghi Effendi, Baha'i Administration, op. cit., pp.187-188,194.

60. De forfait en forfait, la mauvaise conduite avérée des frères, soeurs et cousins de Shoghi Effendi ne lui avait finalement pas laissé d'alternative que d'informer le monde baha'i qu'ils avaient brisé l'Alliance.

61. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit.,p. 31.

62. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p.38.

63. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p.196.

64. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., pp. 197-198.

65. ibid. p. 203.

66. Shoghi Effendi, L'avènement de la justice divine, op. cit., pp. 118-112-29.

67. Nabil-i-A'zam, La chronique de Nabil (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1986), pp. 81, 82, 83.

68. Shoghi Effendi, Baha'i Administration, op. cit., p. 52.

69. Sélections des écrits de 'Abdu'l-Baha,op. cit., p.79-80, section 3.

70. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op.cit., p. 2.

71. ibid. p. 15.

72. Extraits des écrits de Baha'u'llah, op. cit., extrait 25 p. 41.

73. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 16.

74. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 133.

75. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit. p. 25.

76. Note de traduction: ces termes n'ont pas été traduits parce qu'ils n'ont jamais existé dans la terminologie francophone.

77. ibid.

78. The Baha'i World, vol.X (Wilmette : Baha'i Publishing Committee, 1949), pp. 142-149, donne un aperçu détaillé de l'expansion de la Cause jusqu'à la fin du plan de sept ans.

79. Shoghi Effendi, Messages to Canada, 2nd ed. (Thornhill : Baha'i Canada Publications, 1999), p.114.

80. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p. 354.

81. Extraits des Ecrits de Baha'u'llah, op. cit., p. 131, section XCIX.

82. Baha'u'llah, Le livre de la certitude, Paris, Presses universitaires de France 1987, p. 16. Selon la traduction de H. Dreyfus : "Quelles afflictions plus grandes que celles-ci ? Un homme qui veut connaître la vérité et atteindre à la connaissance de Dieu ne sait où aller ni qui interroger, tant les idées et les voies sont nombreuses et contradictoires".

83. En Europe au début du vingtième siècle, la moralité faisait autorité pour la plupart …. Aussi les Européens réfléchis pouvaient-ils également croire au progrès moral et au recul des vices et de la barbarie. À la fin du siècle, il est plus difficile de faire confiances aux lois ou au progrès de la morale." Jonathan Glover, Humanity : A Moral History of the Twentieth Century (London : Jonathan Cape, 1999), p.1. L'étude de Glover porte en particulier sur la montée et l'influence des idéologies du vingtième siècle.

84. Shoghi Effendi, Voici le jour promis, op. cit., p. 105.

85. Ibid..

86. Extraits des écrits de Baha'u'llah, op. cit., p.45 (section XXVII).

87. Extraits des écrits de Baha'u'llah, op. cit., p.29, (section XVII).

88. La Femme ; extraits des écrits de Baha'u'llah, de 'Abdu'l-Baha, de Shoghi Effendi et de la Maison universelle de justice, compilés par le Département de recherche de la Maison universelle de justice (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1986), p. 54.

89. Shoghi Effendi, Messages to America (Wilmette Baha'i Publishing Committee, 1947), p. 28.

90. ibid., pp. 9, 10, 14, 22.

91. Shoghi Effendi, Messages to America (Wilmette Baha'i Publishing Committee, 1947), p.28

92. Ruhiyyih Rabbani, La perle inestimable, op. cit., p. 448.

93. Shoghi Effendi, Messages to America, op. cit., p. 53.

94. Coran : 27: 88.

95. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 41.

96. 'Abdu'l-Baha in Canada, op. cit., p.51.

97. 'Abdu'l-Baha, Promulgation of Universal Peace, op. cit., p. 377.

98. 'Abdu'l-Baha, Les bases de l'unité du monde (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1981), p.24.

99. Lester Bowles Pearson (1897-1972) reçut le prix Nobel de la paix en 1957 pour l'élaboration d'un système international dans la période qui suivit la seconde guerre mondiale, en particulier pour son projet qui conduisit à la création de la première force d'intervention d'urgence des Nations unies dans l'affaire du Canal de Suez en 1956, pour régler la crise que l'invasion de l'Égypte par les forces militaires britanniques et françaises solidaires des forces israéliennes avait provoquée suite à la fermeture du canal par l'Égypte. Le premier vote officiel de sanctions internationales contre l'agression, en 1936 par la Société des nations, suite à l'invasion de l'Ethiopie par l'Italie fasciste fut salué par Shoghi Effendi comme : "un événement sans pareil dans l'histoire de l'humanité". (voir Shoghi Effendi, l'Ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 184).

100. Les trois secrétaires généraux des Nations unies mentionnés ici sont, dans l'ordre chronologique, Javier Pérez de Cuellar (1982-1991), Pérou ; Boutros Boutros-Ghali (1992-1996), Égypte ; Khofi Anan (1997…), Ghana.

101. Anne Frank (1929-1945) - jeune juive victime du génocide nazi, arrêtée dans la maison où se cachait sa famille, en Hollande en août 1944, et envoyée au camp de concentration de Belsen où elle mourut un an plus tard. Son journal fut publié en 1952 sous le titre Le journal d'Anne Frank, il fut par la suite adapté à la scène et pour l'écran.

Martin Luther King Jr. (1929-1968) - pasteur protestant américain et prix Nobel, l'un des principaux chefs du American civil rights movement (Mouvement des droits civiques américains) qui fut assassiné le 4 avril 1968 à Memphis, Tennessee. Aux États-Unis, on commémore son souvenir par un jour férié le troisième lundi de janvier.

Paulo Freire (1921-1997) - éducateur novateur brésilien dont le travail de précurseur dans le domaine de l'éducation des adultes lui valut une renommée internationale et l'a conduit à deux séjours en prison dans son propre pays.

Kiri te Kanawa (1944…) d'origine maorie, née en Nouvelle Zélande, aujourd'hui une des plus grandes divas du monde. En 1982, la reine Elisabeth II lui conféra le titre de membre du Order of Dame Commander of the British Empire.

Gabriel Garcia Marquès (1928…) Écrivain et romancier colombien qui reçut le prix Nobel de littérature en 1982 et fut obligé de s'exiler au Mexique et en Espagne de 1960 à 1970 pour échapper aux persécutions dans son propre pays.

Ravi Shankar (1920…) - Compositeur indien et joueur de cithare dont les talents impressionnants et les tournées en Europe et en Amérique du nord ont largement contribué à éveiller l'intérêt de l'Occident pour la musique indienne.

Andrei Dmitriyevitch Sakharov (1921-1989) - Physicien russe du nucléaire, qui abandonna la recherche scientifique pour devenir porte-parole des libertés civiques en Union soviétique, ce pour quoi il reçut le prix Nobel de la paix en 1975 alors qu'il était exilé dans son propre pays. -

Mère Teresa, Agnès Gonxha Borjaxhiu (1910-1997) soeur albanaise, née catholique romaine, fondatrice des missions des Petites soeurs de la charité, dont l'engagement total auprès des pauvres, des sans abris et des mourants de Calcutta lui valut le prix Nobel de la paix en 1979.

Zhang Yimou (1951…) - Un des principaux metteurs en scène des productions cinématographiques chinoises de la "Cinquième Génération", lauréat de nombreux prix pour son travail sensible et artistique.

102. Ces trois nouvelles assemblées spirituelles nationales étaient celles du Canada qui avait constitué une assemblée séparée de celle des États-Unis en 1948, l'Assemblée régionale d'Amérique centrale et des Antilles instituée en 1951 et celle d'Amérique du sud en 1951.

103. Shoghi Effendi Messages to the Baha'i World, 1950-1957 (Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1995), p.41

104. Shoghi Effendi Messages to the Baha'i World, 1950-1957

(Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1995), pp. 38-39.

105. Testament de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p.27.

106. Sous la conduite de deux des demi-frères de 'Abdu'l-Baha, 'Ali Muhammad et Badi'u'llah, ainsi que d'un cousin, Majdi'd-Din, le groupe des briseurs d'alliance qui avaient longtemps occupé la demeure de Bahji après la mort de Baha'u'llah conduisit une campagne d'attaques et de machinations ininterrompue contre le Maître et le Gardien. Sous le mandat britannique, ils avaient été obligés d'évacuer la demeure à cause de l'état de délabrement dans lequel ils l'avaient laisse sombrer, ce qui permit ainsi au Gardien de restaurer le bâtiment et de lui donner un rang de lieu saint aux yeux des autorités civiles. Par la suite, Shoghi Effendi s'était assuré que le nouvel État israélien reconnaissait ce caractère privilégié à toute la propriété ; un arrêté fut publié, exigeant l'évacuation des derniers briseurs d'alliance de l'affreux bâtiment voisin qu'ils occupaient encore. Lorsque leur appel auprès de la Cour suprême fut rejeté, l'ordre d'éviction fut mis à exécution, le bâtiment fut détruit sur les instructions du Gardien et le dernier obstacle à l'embellissement de la propriété fut balayé.

107. Baha'u'llah, Tablettes révélées après le Kitab-i-Aqdas, op. cit., p.71.

108. Le Testament de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p.43.

109. Amatu'l-Baha Ruhiyyih Khanum fournit un récit complet du rôle joué par les Mains de la cause de Dieu durant ces années critiques, Ministry of the Custodians (Haïfa : Baha'i World Centre, 1997.

110. NDT : l'Ordre mondial de Baha'u'llah.

111. Shoghi Effendi, L'Ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p 138.

112. Le Testament de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p.44.

113. Maison universelle de justice, Messages from the Universal House of Justice, 1963-1986 : The third Epoch of the Formative Age (Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1996), p.14.

114. Ce sujet est traité à plusieurs reprises dans La Perle inestimable, pp.96, 107, 112, 156, 194.

115. Tablettes de Baha'u'llah révélées après le Kitab-i-Aqdas, op. cit., p. 72.

116. 'Abdu'l-Baha, Le secret de la civilisation divine, op. cit., p. 123.

117. Daniel XII :12.

118. J.E. Esselmont, Baha'u'llah et l'ère nouvelle (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1990), p.259.

119. Testament de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p.24.

120. Shoghi Effendi, L'Ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 6.

121. Baha'u'llah, le Kitab-i-Aqdas, op., cit., § 83, p. 51.

122. Baha'u'llah, Epître au Fils du Loup, (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 2002), p. 15.

123. Shoghi Effendi, L'Ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 187.

124. Ibid., p. 7.

125. Tablettes de Baha'u'llah révélées après le Kitab-i-Aqdas, op. cit., p. 69.

126. Shoghi Effendi, L'avènement de la justice divine, op. cit., p. 40.

127. The Establishment of the Universal House of Justice, compilé par le Département de recherche de la Maison universelle de justice
(Oakham : Baha'i Publishing Trust, 1984), p. 17.

128. Maison universelle de justice, Messages from the Universal House justice 1963-1986, the Third Epoch of the Formative Age, op. cit., p. 52.

129. Maison universelle de justice, Messages from the Universal House justice 1963-1986, the Third Epoch of the Formative Age, op. cit., p. 104.

130. Baha'i News n°73 May 1933 (Wilmette : National Spiritual
Assembly of the baha'is of United States), p. 7.

131. Cet institut, organe de la Communauté internationale baha'ie, fut créé en 1998 par la Maison universelle de justice et ses rapports lui sont transmis par le Bureau d'information public. Sa mission consiste à rechercher les bases spirituelles et matérielles du savoir humain, et les schémas de développement du progrès social.

132. Le Centre entreprend des recherches méthodiques sur la Foi baha'ie, sa culture religieuse, son esprit d'humanité, et son éthique religieuse.

133. Cité dans Star of the West, vol.13, N° 7, octobre 1922, pp. 184-186.

134. 'Abdu'l-Baha, Tablettes du Plan divin, op. cit, p. 54.

135. Un érudit iranien, croyant connu sous le nom de Sadru's-Sudur, créa à Téhéran, vers 1904, la première classe de formation d'enseignants pour les jeunes baha'is avec les encouragements de 'Abdu'l-Baha. Les cours étaient quotidiens et les diplômés qui avaient reçu une formation sur les autres religions ainsi que sur divers aspects de la foi baha'ie apportèrent une contribution importante à l'expansion et la consolidation de la Foi dans leur pays natal.

136. Le modèle en question est "l'institut Ruhi" dont le matériel et la méthode ont été adoptés par beaucoup de communautés baha'ies dans le monde. La philosophie qui l'anime consiste à intégrer des activités de service et une étude ciblée des écrits baha'is. Le système s'organise en une série de niveaux d'étude, "tronc" central constitué par les compréhensions de base des vérités spirituelles essentielles enseignées par Baha'u'llah ; il permet d'y greffer de manière presque infinie des sous-ensembles servant des besoins particuliers.

137. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., introduction,
p. X.

138. Moojan Momen, The Babis and Baha'i Religion 1844-1944 : Some Contemperary Western Accounts, op., cit., pp. 186-187.

139. The Baha'i World, vol.XV, op. cit., pp.29, 36.

140. The Baha'i World, vol.IV (New York City : Baha'i Publishing Commitee,1933), pp. 257-261. On y trouve résumé l'établissement du bureau et la manière dont il fonctionne.

141. The Baha'i World, vol.III (New York City : Baha'i Publishing Commitee,193O), pp. 198-206). Y est inclus le texte d'une requête officielle des baha'is d'Iraq à la commission permanente de la
Société des nations, qui résume l'histoire de cette affaire.

142. Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, op. cit., p. 348.

143. Le texte complet de cette déclaration se trouve dans World Order Magazine, avril 1947, Vol. XIII, N° 1.

144. The Baha'i Question, Iran's Secret Blueprint for the Destruction of a Religious Community, An Examination of the Persecution of the Baha'is of Iran (New-York : Baha'i International Community, 1999), document préparé par le bureau de la Communauté internationale baha'ie auprès des Nations unies pour être distribué aux membres de la Commission des droits de l'homme des Nations unies.

145. Extrait d'un discours d'Edward Granville Browne, publié dans Religious Systems of the World : A contribution to the Study of Comparative Religion, 3ième édition (New York: Macmillan, 1892),
pp. 352-353.

146. Au cours des neuf années qu'a duré sa formation, ce Bureau géra l'installation d'environ 10 000 iraniens dans vingt-sept pays.

147. À ce jour, 99 assemblées spirituelles nationales ont reçu une formation intensive à ce programme.

148. La conférence de Beijing sur les femmes devait permettre à cinquante des deux mille organisations non-gouvernementales représentées de faire une déclaration publique. Étant donné que la Communauté internationale baha'ie avait eu ce privilège lors de précédentes conférences, en particulier à Rio de Janeiro sur l'environnement et à Copenhague sur le développement social et économique, les représentants de la communauté cédèrent le temps de parole qui leur avait été accordé au profit du "Centre d'études sur l'égalité des sexes" de Moscou.

149. On peut trouver un compte-rendu détaillé, comprenant le texte de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande, dans The Baha'i World, vol.XX (Haïfa: Baha'i World Center, 1998), pp. .571-606.

150. Sessao Solene da Câmara Federal, Brasilia, 28 mai 1992, réimprimé dans sa traduction anglaise par l'Assemblée spirituelle nationale des baha'is du Brésil, 1992.

151. Sélections des Écrits de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p 31/32, (section 15).

152. Assemblée générale des Nations unies, 54 ème session, n° 49 (b) de l'Agenda. Mesures de réforme et propositions : Assemblée du millénaire des Nations unies, 8 août 2000, (document n°A/54/959) p.2.

153. Voir Commitment to global peace, déclaration du Sommet du millénaire des dirigeants religieux et spirituels pour la paix mondiale, présentée à Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, le 29 août 2000, pendant une session du sommet lors de l'Assemblée générale des Nations unies.

154. Assemblée générale des Nations unies, 54ème session, n° 61(b.) Assemblée générale du millénaire des Nations unies, le 8 septembre 2000, (document n°A/55/L.2), section 32.

155. Les objectifs respectifs des trois rassemblements du Millénaire, ainsi que la part prise par la communauté baha'ie dans ces réunions, sont résumés dans une lettre datée du 24 septembre 2000, de la
Maison universelle de justice à toutes les assemblées spirituelles nationales.

156. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit. p. 37.

157. Extraits des écrits de Baha'u'llah, op. cit. p. 195 (section CXXXVI).

158. Baha'u'llah, Le Kitab-i-Iqan, op. cit., p 18.

159. Baha'u'llah, Prayers and Meditations (Wilmette : Baha'i Publishing Trust, 1998), p.295, (section CLXXVIII).

160. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 186.

161. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, op. cit., p. 189-190.

162. Baha'u'llah, Le Kitab-i-Aqdas, op. cit., § 186, p. 88.

163. ibid., § 54, p. 41.

164. Shoghi Effendi, Messages to the Baha'i World, 1950-1957, op. cit., pp.29-30.

165. Isaïe 2-2 , traduction TOB.

166. Shoghi Effendi, Avènement de la justice divine, op. cit., p 109.

167. Extraits des écrits de 'Abdu'l-Baha, op. cit., p.302 (Extrait 227).

168. La Proclamation de Baha'u'llah (Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1983), p.67.

169. Extraits des écrits de Baha'u'llah, op. cit., pp.21-22, (extrait XIV).


© Centre mondial baha'i - 2001,
Traduction française par la Commission de traduction
© Maison d'éditions baha'ies, 205, Rue du Trône, 1050 Bruxelles, Belgique
D/1547/2004/2 - ISBN 2-87203-62-X - Imprimé en Belgique




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