Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

3. L'amour et l'objectivité
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3.2. Gratitude: Quelle magie que celle de dire "Merci"

Se promenant un jour dans son jardin, un roi aperçoit un jardinier âgé de plus de quatre-vingts ans occupé à planter des arbres. "Qu'est-ce que tu fais-là " demande le roi? " Je plante des dattiers", répond le vieux jardinier.

"Combien de temps mettront-ils pour donner des fruits?"

"Vingt ans", répond le vieillard.

"Mais tu ne vivras pas jusque-là pour en cueillir les fruits, pourquoi alors plantes-tu ces arbres?", "Mes prédécesseurs ont planté des dattiers dont j'ai mangé les fruits et moi je plante ces dattiers pour que ceux qui viennent après moi en profitent."

Cette réponse plut au roi et il lui donna une pièce d'or. Le jardinier s'agenouilla et remercia le roi.

"Pourquoi te mets-tu à genoux?".

"Parce que grâce à Votre Majesté ces arbres ont déjà porté leurs fruits."

Cette réponse a encore plu au roi et il lui donna une autre pièce d'or. De nouveau le jardinier se mit à genoux en disant cette fois: "Je m'agenouille pour exprimer ma gratitude à Votre Majesté, car d'habitude les arbres ne portent leurs fruits qu'une fois par an, grâce à Votre Majesté, ils ont porté leurs fruits deux fois."

Touché par ces paroles, le roi lui donne une troisième pièce d'or et lui demande son âge.

"Douze ans, Votre Majesté."

"Comment, douze ans?"

"Durant le règne de votre prédécesseur, on était constamment en guerre, et ce n'était pas une vie. Depuis douze ans que vous régnez tout le monde est heureux. C'est donc avec votre règne que la vie a commencé pour moi."

Flatté par cette réponse, le roi lui remit une quatrième pièce d'or et dit: "Maintenant, je dois te laisser car si je continue à t'écouter il ne me restera plus rien."

Si j'ai raconté cette histoire, c'est pour dire combien nous gagnons dans la vie par cette vertu sublime qui est la gratitude.

Nous y gagnons surtout du point de vue moral, car par la gratitude d'abord, nous réjouissons le coeur de notre bienfaiteur et puis nous l'encourageons à faire le bien à tous et, par voie de conséquence, réjouir le coeur de tous. Or, réjouir le coeur des uns et des autres est le but sublime de la religion, dont tous les commandements (prière, service, pardon etc.) ne sont que des moyens pour atteindre ce but.

Il faut donc, en toutes circonstances, manifester sa gratitude. Indiscutablement, nous sommes plus disposés à exprimer notre gratitude quand on nous rend un grand service, nous ne trouvons pas de mots pour exprimer notre reconnaissance à un médecin qui nous sauve la vie. Et c'est normal. Mais, ce qui importe, c'est de manifester sa gratitude pour les petits services et de cette manifestation de la gratitude se faire une règle de vie. Cette règle de vie, on doit commencer à l'appliquer au sein du foyer familial. Si, dans le passé on disait qu'une charité bien ordonnée commence toujours par soi-même, c'est-à-dire à la maison, comme le disent les Anglais: Charity begins at home, aujourd'hui il faut y ajouter qu'une gratitude bien exprimée commence aussi à la maison. Et l'on commence à faire cette expérience surtout avec l'enfant, car le coeur de l'enfant est tendre et pur.

C'est donc à son égard qu'il faut être très attentif afin de stimuler son esprit de bienfaisance. Rien ne contribue plus que l'ingratitude à étouffer l'esprit de bienfaisance.

Un père se promenait un jour avec sa fillette dans les champs. A un moment donné la fillette cueille une fleur sauvage et dit à son père: "C'est pour maman. "- "Mais tu n'es pas folle", lui dit son père, "c'est une fleur sauvage et elle n'a aucune valeur". La fillette se met à pleurer. "Pourquoi pleures-tu? " lui demande son père. "Parce que je n'ai rien d'autre à offrir à Maman pour lui dire combien je l'aime."

"Cet incident, avoua plus tard le père, m'a servi de leçon et j'ai compris que pour ne pas étouffer l'esprit de bienfaisance il faut commencer à exprimer sa gratitude pour ce que généralement on prend pour de " petites choses".

Si nous sommes père de famille, nous devons adopter cette attitude à l'égard de notre épouse en cherchant par tous les moyens à lui exprimer notre gratitude pour le fait qu'elle tient la maison bien proprement, qu'elle range bien notre linge, pour les repas copieux qu'elle nous prépare, pour les boutons qu'elle recoud dès qu'ils sont perdus, pour toutes ces " petites choses".

Il ne faut pas que je sois comme ce mari qui disait " Je ne veux pas que ma femme travaille, il faut qu'elle reste à la maison." Comme si, à la maison, il n'y a aucun travail à faire. Et pourtant ce genre de travail est peut-être plus ennuyeux que le nôtre, car il est monotone et, s'il n'est pas encouragé, il devient démoralisant.

En sortant de notre appartement, il faut que nous soyons attentifs à ce que fait notre concierge; qu'est-ce que je perds en lui disant un mot de reconnaissance et d'encouragement quand je la vois en train de nettoyer soigneusement l'entrée de notre immeuble. Si je prends un taxi et que je constate qu'il choisit le plus court chemin pour m'amener à destination, qu'à part le pourboire, je lui dise aussi un " merci " très cordial. C'est l'attitude qu'adoptait `Abdu'l-Baha (Successeur de Baha'u'llah, fondateur de la foi baha'i) durant ses voyages en Occident où tout en étant extrêmement généreux pour le personnel du service des hôtels, c'est surtout à leur égard qu'il était très attentif. Un domestique américain qui avait reçu de lui un pourboire remarquable, accompagné d'un geste d'appréciation disait qu'il ne dépenserait jamais l'argent reçu car c'était quelque chose de sacré pour lui.

Et c'est de cet exemple que les baha'is s'efforcent de s'inspirer dans la vie.

Selon les enseignements baha'is, étant donné que tout travail aussi insignifiant soit-il, est considéré comme un service, en tant que tel il implique que celui à qui il est destiné en exprime sa gratitude.

Je m'explique par un exemple.

Si j'ai une femme de ménage qui fait très consciencieusement son travail, dois-je me contenter de la payer uniquement en salaire? Non. Dois-je me contenter d'un bref " merci "? Non plus. Je dois la traiter comme un membre de notre famille, lui offrir de temps en temps un petit cadeau, bien loin d'agir comme cette maîtresse de maison: "Comment est-elle ta patronne? " demande une domestique à une autre.

"Oh! elle est dure! Le premier jour, par hasard, j'ai cassé une assiette et je le lui ai dit. Elle l'a retenue sur mon salaire!"

"Et alors, est-ce que tu en as cassé moins?"

"Pas du tout. Seulement maintenant je ne le lui dis plus."

Il faut toujours chercher la moindre occasion pour remercier et non faire des reproches.

On pourra nous faire remarquer qu'à notre époque de matérialisme, jamais personne ne cherche à nous rendre service pour rien, alors quelle gratitude devons-nous leur exprimer?

A cette question, les baha'is répondent : "Cherchez et vous trouverez."
Car pour un baha'i, le commandement de Jésus: "Cherchez et vous trouverez" s'applique dans beaucoup de domaines et plus particulièrement dans l'art d'exprimer sa gratitude. Et c'est tout un art où il faut s'entraîner, étant donné qu'il arrive souvent qu'on exprime sa gratitude et puis, par suite d'une distraction, on oublie totalement le service pour lequel on s'est montré reconnaissant.

Mais quand on est bien entraîné en cet art, quand exprimer sa gratitude devient une habitude, on ne l'oublie pas.

A ce propos, permettez-moi de vous raconter une histoire. Un jour, le sultan Mahmoud ayant coupé un melon l'a donné à son vizir Ayaz. Voyant toute la gratitude que celui-ci en exprimait et le plaisir qu'il éprouvait en le mangeant, le sultan lui en demande une tranche. Mais à peine l'a-t-il goûté qu'il la crache, en disant: "Mais c'est amer, comment non seulement tu ne te plains pas, mais tu trouves encore un moyen pour m'en remercier?"

"J'ai reçu de Votre Majesté, répondit le vizir, tant de choses douces que si exceptionnellement je reçois quelque chose d'amer, le moindre signe de mécontentement serait de l'ingratitude."

Le vizir a cherché et il a trouvé comment remercier le sultan. Dans ce cas c'était le souvenir des faveurs qu'il avait reçues du sultan.

La recherche des moindres occasions pour manifester notre gratitude nous rend optimiste, ce qui est l'un des signes de la foi et l'un des facteurs qui contribue puissamment à l'entente et l'harmonie, comme au maintien de la santé corporelle..

Nous y reviendrons lors d'un autre exposé, ce sujet présentant une importance capitale.

L'entraînement en l'art d'exprimer sa gratitude se fait chez les baha'is par la prière, ce qui est au fond l'expression de la gratitude à l'égard de Dieu et, par conséquent, à l'égard de notre sort. Pour un baha'i, se plaindre de la " malchance", accuser sa " mauvaise étoile", est un défaut qu'il doit s'efforcer de combattre. Car personne n'est né sous une mauvaise étoile, il y en a qui regardent mal le ciel.

Par la prière et la méditation sur ses paroles, un baha'i apprend à bien regarder le ciel, à comparer ce qu'il a apporté à la société avec ce que celle-ci lui a donné, ce qu'il a fait pour les autres et ce que les autres ont fait pour lui, et il arrive à la conclusion qu'il a toujours reçu plus qu'il ne mérite et, par conséquent, il doit dire " Merci la Vie! Merci mon Dieu!"

Loin de nous pousser à une résignation passive aux circonstances malheureuses, la prière et la méditation nous apprennent à lutter contre nos faiblesses, à contribuer davantage à l'amélioration du monde. Les paroles mêmes des prières baha'ies traduisent ces sentiments.

Encore une fois, c'est un sujet qui doit être traité à part.

Exprimer sa gratitude, que ce soit à l'égard de Dieu ou de nos semblables est l'un des devoirs de tout baha'i. Ici, il m'est facile de remplir ce devoir étant donné l'attention bienveillante que vous m'avez accordée.

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