Les jardiniers de Dieu


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Chapitre VII - Une religion contemporaine

7.1. Histoire moderne de la foi baha'ie

A la fin de notre séjour au Mont Carmel, il nous fut donné de rencontrer l'architecte Fariburz Sahba. Si la foi baha'ie ne bâtit pas d'églises, au sens conventionnel du terme, elle a cependant érigé, a travers le monde, sept temples symboliques. En Afrique à Kampala (Ouganda), en Australie à Sydney, en Amérique du nord à Wilmette, près de Chicago, en Amérique du sud à Panama, en Océanie à Apia, dans l'Ile de Samoa, en Europe, à Francfort, et en Inde à New Delhi. D'autres, sans doute, viendront s'y ajouter.

Fariburz Sahba, baha'i lui-même, a construit le temple de New Delhi achevé en 1985. Il a réussi, en utilisant les ressources les plus sophistiquées de la construction actuelle, un prodigieux bâtiment en forme de lotus aux pétales incurvés, auquel toutes les grandes revues d'architecture ont rendu hommage.

"Aucun style, aucun matériau, dit-il, ne m'ont été imposés. Il fallait juste un grand espace très simple où l'on puisse prier, lire nos écrits saints, mais sans prêches ni prêtres. Ce lieu devait avoir obligatoirement, comme tous nos "temples", neuf côtés, neuf portes, et être coiffé d'une coupole. A moi d'imaginer le reste."

Ces neuf côtés, ces neuf portes, cette coupole sont les symboles même de la religion baha'ie. Neuf portes pour exprimer l'ouverture à tous, et la possibilité d'entrer par, n'importe quel côté... Une coupole qui coiffe le tout pour signifier l'unicité de Dieu, des religions. et de la race humaine.

Le siège de la Maison de Justice du Mont Carmel, avec ses marches, ses piliers, son dôme, est, lui aussi, une construction symbolique de la structure de la religion baha'ie. Les marches correspondent aux Assemblées locales les piliers aux Assemblées nationales. Le dôme à la Maison de Justice, avec sa fonction de coordination, et de décision. Cette structure, basée sur les enseignements de Baha'u'llah, précisée par les instructions d'Abdu'l-Baha, ne s'est pas mise sur pied en un jour. Shoghi Effendi Rabbani, arrière petit-fils de Baha'u'llah, petit-fils d'Abdu'l-Baha, a puissamment contribué à sa mise en place. Le premier était le prophète, la Gloire de Dieu. Le second fut "le Serviteur". Au troisième vont échoir le titre de Gardien et la très lourde tâche que ce titre implique.

En novembre 1921, Shoghi Effendi, qui a alors 25 ans, poursuit ses études universitaires à Oxford, en Angleterre, lorsque lui est annoncée la mort de son grand-père maternel. Dans son testament, ce dernier précisait ce que devait être l'organisation de la religion baha'ie et prévoyait, entre autres instructions, la mise en place d'une nouvelle institution, "le Gardiennat". Aucun de ses fils n'ayant vécu, il indiquait que Shoghi Effendi, l'aîné de ses petits-fils, devait en assumer la responsabilité. Une précision ici s'impose. La succession ne passait pas automatiquement, comme dans une succession de droit divin, de l'ascendant au descendant le plus direct. Le testament du Serviteur prend soin de le préciser

"II incombe au Gardien de la Cause de Dieu de désigner, de son vivant, celui qui deviendra son successeur, afin qu'après sa disparition des différends ne puissent survenir, qui est désigné doit montrer du détachement pour toute Celui chose terrestre, il doit être l'essence de la pureté, manifester la crainte de Dieu et faire preuve de savoir, de sagesse et de science. Si le premier-né du Gardien de la Cause de Dieu ne manifestait pas la vérité de ces paroles: "l'enfant est l'essence secrète de son père", c'est-à-dire s'il n'héritait pas de l'élément spirituel qui est en lui, et si la noblesse de son caractère ne répondait pas à sa glorieuse origine, alors le Gardien de la Cause devrait choisir une autre branche pour lui succéder."

Toute affaire cessante, le jeune homme regagne Haïfa. D'écrasantes responsabilités l'attendent. Il lui faut à la fois maintenir la cohésion entre les fidèles, préserver les enseignements de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha de toute interprétation erronée et la doctrine de toute déviation, organiser le fonctionnement de l'institution baha'ie, s'employer, enfin, à la propagation de la foi.

Immédiatement, il se met à 1'oeuvre, et commence de concrétiser le schéma administratif prescrit par Abdu'l-Baha. La religion baha'ie doit reposer sur trois institutions: le Gardien de la Cause de Dieu, les Mains de la Cause de Dieu, les Maisons de Justice locales, nationales, et internationale. La fonction du Gardiennat est évidente. Les "Mains de la Cause" existent déjà à l'état embryonnaire: de son vivant, Baha'u'llah avait déjà désigné quatre personnes sûres et éprouvées pour l'aider à diriger et à encourager les activités des fidèles, et leur avait donné ce titre. Mais, dans son testament, Abdu'l-Baha prévoit la mise en place d'un corps permanent qui aidera le Gardien.

"Les Mains de la Cause de Dieu doivent être choisies et nommées par le Gardien de la Cause de Dieu. Elles ont pour devoir de diffuser les parfums divins, d'édifier les âmes, d 'encourager les études, d'améliorer le caractère des hommes et d'être, en tout temps et en toutes circonstances, sanctifiées et détachées des choses terrestres. Par leur conduite, leur attitude, leurs actes et leurs paroles, elles doivent manifester la crainte de Dieu... Ce corps des Mains de la Cause est sous la direction du Gardien. I1 doit les exhorter sans cesse à faire tous les efforts possibles pour diffuser de leur mieux les suaves parfums de Dieu et guider tous les peuples du monde, car c'est la lumière du sens divin qui produit l'illumination de tout l'univers."

Enfin les Maisons de Justice locales, nationales et internationales sont à créer. Abdu'l-Baha a indiqué que dès que neuf baha'is adultes, au moins, sont regroupés dans un même espace géographique, ils doivent élire une assemblée spirituelle locale qui décidera de la conduite à mener en faveur de la foi dans son secteur. Dès que les assemblées locales seront suffisamment nombreuses, elles devront à leur tour élire une assemblée spirituelle nationale, qui coordonnera les activités locales, et supervisera l'ensemble des actions en faveur de la foi à l'échelon du pays concerné. Les activités des assemblées spirituelles nationales seront à leur tour coordonnées et supervisées par la Maison Universelle de Justice. Mais chaque assemblée locale ou nationale est aussi. à son échelle, Maison de Justice.

Au moment où Shoghi Effendi prend sa charge, les temps, cependant, ne sont pas encore propices, les fidèles trop peu nombreux, et trop inorganisés, pour que ce fonctionnement démocratique puisse immédiatement se mettre en place. Il va donc procéder par étapes, s'entourer d'une équipe solide dans laquelle on comptera beaucoup de nord-américains, et procéder à l'établissement de plans successifs, à durée déterminée (cinq, six, sept ans) qui permettront chacun de franchir un nouveau palier dans la diffusion de la Cause, l'organisation, les activités sociales, l'édification du Centre Mondial, etc. En premier lieu, il met en place un corps de pionniers. Il s'agira de volontaires, hommes ou femmes qui iront partout où la foi l'exige, trouvant sur place la moyen de gagner leur vie, montrant par leur comportement ce qu'est leur religion, répondant, sans faire de prosélytisme et encore moins "d'évangélisation", aux questions qui leur seront posées, et, ainsi, susciteront de nouveaux croyants, jusqu'à ce que se forme une communauté. Ils pourront aussi être appelés à renforcer de petites communautés déjà existantes, et les aider dans la réalisation de leurs projets, que ceux-ci concernent le développement de la foi baha'ie, ou l'amélioration des conditions d'existence de l'ensemble de la population locale, sans distinction de races, de religions, de condition sociale, etc. C'est ainsi que l'on voit, à partir de cette époque, des baha'is de tous les âges, de toutes les origines, boucler leur sac et quitter leur pays, leur famille, leurs amis, une vie parfois tranquille et confortable, pour aller jeter l'ancre quelquefois aux antipodes, sans craindre les difficultés et la solitude qui les guettent, ni les périls physiques qu'ils devront affronter, notamment pour ceux qui oseront tenter l'aventure dans des états musulmans rigoristes.

A cette tâche d'administrateur, Shoghi Effendi ajoute celle de bâtisseur. C'est sous sa houlette que vont être peu à peu achetés les terrains du Mont Carmel, mis en route l'aménagement des jardins des Lieux saints dont il a lui-même dessiné l'ordonnance, et bâtis, au fur à mesure des possibilités financières, grâce à la contribution des communautés baha'ies dans le monde, le mausolée à coupole dorée qui va surmonter la tombe où voisinent les restes du Bab, ramenés d'Iran, et ceux de son grand-père Abdu'l-Baha, il doit aussi entreprendre la restauration des maisons où vécut Baha'u'llah, à Saint-Jean-d'Acre et à Bahji.

En tant que Gardien, et que parfait anglophone - n'a-t-il pas fait des études à Oxford- après avoir fréquenté l'Université Américaine de Beyrouth - il a également pour mission de traduire les écrits de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha en anglais. Oeuvre ardue, délicate, lourde de responsabilités: la plupart des textes, innombrables, sont en persan. Une langue subtile, compliquée, où la présence d'un accent peut changer le sens d'un mot, donc d'une phrase, voire la compréhension totale d'un texte. Le style lui-même, souvent allégorique, peut ouvrir la porte à des interprétations erronées. A lui, le Gardien pétri de l'esprit de la lettre, de mettre au point, en anglais, les versions officielles qui plus tard, seront traduites dans toutes les autres langues et dialectes, plus de sept cents à l'heure actuelle. Il est probable néanmoins que l'usage de l'anglais pour le premier train de traduction des textes fondateurs de la religion favorisa considérablement son implantation en Amérique du nord, alors qu'elle se répandait beaucoup plus lentement et difficilement en Europe et spécialement en France. Enfin, en tant que chef de la communauté baha'ie, et bien qu'il se mette fort peu en avant dans des circonstances officielles, il entretient une correspondance permanente avec les baha'is du monde entier, adresse des messages aux communautés, et reçoit les pèlerins. Entre toutes ces occupations, il trouve encore le temps d'écrire plusieurs livres, dont une histoire de ce premier siècle d'existence de la foi baha'ie, Dieu passe près de nous, (Shoghi Effendi. Dieu passe près de nous, Maison d'Edition Baha'ie, Bruxelles, 1976) et la Dispensation de Baha'u'llah (La Dispensation de Baha'u'llah, Maison d'Edition Baha'ie, Bruxelles, 1970) commentaire sur le sens de la mission du prophète et sa portée messianique.

Tous les pouvoirs, cependant, ne sont pas réunis dans la seule main du Gardien. S'il a celui d'interpréter les écrits fondateurs, il n'a pas celui de légiférer, qui sera réservé, plus tard, à la Maison Universelle de Justice. Entre 1951 et 1957, il institutionnalise le corps des Mains de la Cause, et. sous ce titre, par nominations successives, charge 32 fidèles aux mérites avérés, hommes et femmes de plusieurs nationalités, d'enseigner la foi et de protéger les institutions de la religion. Le sommet de la structure administrative globale devait cependant être la Maison Universelle de Justice telle que l'a conçue et nommée Baha'u'llah. Les membres de cette institution sont élus à travers le vote des représentants nationaux.

Au début de novembre 1957, alors qu'il séjourne à Londres pour y acheter l'équipement nécessaire au bâtiment des archives du Centre Mondial, il contracte la grippe asiatique, et meurt le 4, d'une crise cardiaque, à 61 ans. On l'enterre près de Londres, à Amos Grove. Il laisse une veuve, Ruhiyyih Rabbani, mais pas d'enfants, et aucune indication sur sa succession, si ce n'est que tout doit être pris en main par la Maison Universelle de Justice. On peut supposer qu'il n'a pas trouvé, au sein de sa propre famille, celui qui serait apte à devenir un second Gardien.

Moins riche en péripéties, en rebondissements dramatiques, moins charismatique apparemment que celle de Baha'u'llah ou d'Abdu'l-Baha, la vie de Shoghi Effendi offre peu d'éléments spectaculaires, propres à alimenter un mythe. Ce fut lui, pourtant. qui évita tout schisme susceptible de naître d'une certaine anarchie, ou d'une mauvaise interprétation des Ecrits, lui surtout qui fut le ferment de la modernité de sa religion. Il suffit en outre de lire certains de ses écrits, tel cet extrait datant de 1931, pour vérifier qu'il possédait bien, comme l'indiquait son grand-père Abdu'l-Baha, "l'essence spirituelle" et un singulier don d'analyse, si ce n'est celui de prophétie,

"Dix années d'incessant trouble, surchargées d'anxiété et d'incalculables conséquences pour l'avenir de la civilisation ont amené le monde à deux doigts d'une calamité trop terrible à envisager. En vérité, le contraste est navrant entre les manifestations d'enthousiasme confiant auxquelles les Plénipotentiaires se laissèrent aller à Versailles (N.D.A. allusion au traité de paix signé en 1919 entre la France, ses alliés, et l'Allemagne) et les cris de détresse évidente que vainqueurs et vaincus poussent maintenant à l'heure de l'amère désillusion (...) la détresse économique et la confusion politique, les effondrements financiers, l'inquiétude religieuse et les haines de race semblent avoir concouru à accroître outre mesure le faix sous lequel gémit un monde appauvri et las de la guerre (...) Sur quelque continent que se dirige notre regard, quelque éloignée que soit la région sur laquelle porte notre examen, le monde est partout assailli par des forces qu'il ne peut ni expliquer ni maîtriser (...) Qui peut dire si une souffrance plus intense que celles qu'elle ait jamais supportées ne devra pas être infligée à l'humanité pour qu'une conception aussi élevée puisse être consolidée (...) Pour fonder et souder ensemble les éléments discordants de la société actuelle et en faire des membres intégraux de la Communauté de tous les peuples de l'avenir, il ne faudra rien moins que le feu d'une rude épreuve d'intensité sans égale. C'est là une vérité que les événements futurs se chargeront de toujours mieux démontrer. " (Shoghi Effendi, Vers l'apogée de la race humaine, Maison d'Edition Baha'ie, Bruxelles, 1969)

La mort de Shoghi Effendi laissait la communauté baha'ie dans un certain désarroi. Un schisme allait-il survenir? Un nouveau leader apparaître, et prendre un pouvoir pour lequel il n'aurait pas été désigné? Il n'en fut rien. On passa simplement à la prise de décision collective.

Réunies autour de la veuve de Shoghi Effendi, animatrice et à son tour vestale vigilante, vingt-sept des trente-deux Mains de la Cause qui avaient été désignées par le Gardien de son vivant et étaient encore en activité prirent le relais, et, six années durant, assurèrent l'ordre administratif, l'achèvement des plans en cours de réalisation, et la continuation de la propagation de la foi. En 1963, la mission des pionniers ayant porté ses fruits, il existait suffisamment de communautés locales, et, partant, nationales, pour élire les délégués mondiaux qui constitueraient la Maison Universelle de Justice, et disposeraient à leur tour, collectivement, du pouvoir de légiférer. Ce fut fait le 25 avril, un siècle exactement après la proclamation de la foi baha'ie par son prophète dans les jardins de Rezvan.

Par souci de démocratie, les Mains de la Cause s'abstinrent et demandèrent à ne pas être élues. L'ordre baha'i entrait dans l'organisation de son âge adulte. Actuellement, cet ordre forme, exactement, la pyramide voulue par le prophète et ses successeurs. Au premier échelon, les assemblées locales. Dès qu'une communauté comporte neuf membres ou plus, elle forme une assemblée spirituelle. Si elle en compte moins, elle est rattachée à l'assemblée spirituelle nationale. Chaque année, au cours d'une convention à laquelle participent les délégués de toutes les communautés locales, les neuf membres de l'assemblée spirituelle nationale sont élus, lesquels enfin élisent à leur tour, tous les cinq ans, au cours d'une convention internationale, les neuf membres de la Maison Universelle de Justice.

Tout baha'i majeur, homme ou femme, quels que soient sa race, sa condition sociale, son âge, son niveau de culture, est éligible. En revanche, nul n'a le droit de mener campagne en vue de son élection, ni même de se déclarer candidat. Chaque électeur, méditant, priant, réfléchissant, s'informant, doit apporter son suffrage, en son âme et conscience, à celui dont la personne, la conduite en paroles et surtout en actes, lui semblent les plus conformes à l'esprit de la foi, et les plus aptes à l'exercice de responsabilité.

Les dernières élections de la Maison Universelle de Justice ont eu lieu à Haifa en mai 1988. 660 délégués représentant plus de 70 nations ont voté. Nous avons eu l'occasion de voir quelques extraits d'un film en vidéo tourné à cette occasion, et nous avons été véritablement impressionnés par les images de ces hommes et de ces femmes incarnant un si grand nombre de peuples et de races, comme dans une image symbolique de la fraternité universelle, à la fois allègres et paisibles, souvent d'une dignité impressionnante dans le costume d'apparat de leur peuple, tel ce délégué Papou dont nous n'oublierons pas de si tôt la magnifique et émouvante vision. Parmi les neuf membres qui furent élus alors, deux sont iraniens, quatre Américains dont un noir, et l'on compte également un Anglais, un Australien, un Irlandais. Quatre assument leur fonction depuis25 ans, un depuis 20 ans, un depuis six ans, un depuis un an, deux ont été élus cette année. Ces proportions nous ont amenés à formuler deux remarques:

1°) Une prédominance des américains. "Exact, nous fut-il répondu, puisqu'effectivement les américains ont joué un rôle important dans le développement de notre religion, mais aujourd'hui son extension est suffisante pour que l'on puisse augurer, aux prochaines élections, une élection plus représentative des nationalités, des races et des cultures mondiales, avec notamment des Sud-américains, des Indiens, des Africains, etc."

2°) Il nous paraissait évident, devant ces chiffres - cinq membres sur neuf assurant leur fonction depuis plus de 20 ans - que sauf décès ou retrait volontaire, les mêmes sont toujours réélus, d'autant que les délégués nationaux ne peuvent connaître tous les baha'is du monde entier qui sont théoriquement éligibles. Les élections n'ont-elles pas, en ce sens, un caractère un peu moins démocratique qu'il peut y paraître à première vue? Nous avons interrogé là-dessus des délégués nationaux. Réponse: "Nous prions, nous méditons et nous nous informons. La communication entre les communautés est suffisamment bien établie pour que nous sachions qui fait quoi et où, qui s'est distingué par l'ardeur de son action, l'intégrité de sa conduite, la clarté de son jugement. Nous jugeons selon notre conscience et nous prions Dieu de nous inspirer le meilleur vote." Il s'agit cependant d'un point sur lequel nous sommes revenus en conclusion de notre enquête.

Cela dit, chaque type d'assemblée, locale, nationale ou internationale correspond à une fonction précise.

L'assemblée locale s'occupe de l'organisation des activités sociales, prend des initiatives à l'échelon de son secteur géographique, célèbre les mariages, s'assure que les fêtes et jours fériés du calendrier baha'i sont respectés autant que faire se peut, organise des réunions d'information et d'approfondissement de la foi qui, sous le nom de "coin de feu", se tiennent à tour de rôle chez les uns et les autres, mêlant croyants et non croyants. Parallèlement, elle peut organiser des conférences publiques. Elle est autonome mais fonctionne en liaison avec les autres assemblées spirituelles locales du pays.

Les assemblées spirituelles nationales, chacune composée de ses neuf membres élus lors de la convention nationale annuelle, planifient toutes les activités qui ne peuvent être entreprises qu'à l'échelon du pays tout entier, campagnes d'enseignement de la foi, publications, information, programmes éducatifs ou de développement, contact avec les autorités gouvernementales etc... Sans leur être subordonnées, les assemblées locales ont le devoir de les informer de leurs activités et se tournent vers elles pour obtenir une assistance lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés qu'elles ne peuvent résoudre par leurs propres moyens. La Maison Universelle de Justice, enfin, est l'organe suprême de l'ensemble de la communauté baha'ie mondiale. Elle veille à ce que l'application des Ecrits saints soit toujours conforme à l'interprétation d'Abdu'l-Baha et de Shoghi Effendi. Elle seule a le pouvoir de légiférer sur tout sujet qui n'a pas été explicitement prévu par Baha'u'llah dans son Livre des Lois (Version française publiée par la Maison d Edition Baha'ie, Bruxelles, 1996), et découle donc directement des modes de vie ou d'événements très contemporains. Ses délibérations sont absolument secrètes, ses décisions, prises à la majorité, font l'objet d'une déclaration collective. Nul ne peut savoir quel point de vue a été défendu par tel ou tel de ses élus. Durant notre enquête, il nous a semblé que ce secret pouvait éventuellement favoriser une certaine autocratie au sein de la démocratie.

Ne permettrait-il pas, par exemple, l'émergence d'un leader qui entraînerait l'institution sur les voies de l'autoritarisme, de l'intégrisme, d'un excessif conservatisme, ou pire encore? Un baha'i éminent nous a rétorqué que cette dérive est possible et effectivement se produit souvent lorsque deux ou trois hommes seulement assument le pouvoir de législation mais devient beaucoup plus difficile, voire improbable, lorsqu'ils sont neuf. Et comme nous insistions sur le fait que l'impossibilité de savoir qui prend quelles positions au cours des débats ne favorisait pas l'information et, partant, le choix des votants au moment des élections à la Maison Universelle de Justice, il insista sur le fait que, finalement, les membres de l'institution comptent infiniment moins que l'institution elle-même, et que le principe même de son fonctionnement et du nombre de ses élus constitue une garantie suffisante.

A ce propos, il convient de souligner que ni au niveau local, ni au niveau national, ni au niveau international, aucun élu ne dispose de prérogatives, de pouvoir ou d'influence personnels. Il n'assume pas non plus de responsabilité individuelle face à ceux qui l'ont élu. Ce n'est que lorsqu'une assemblée, après s'être réunie, a pris une décision à l'unanimité ou à la majorité qu'elle peut exercer son autorité et revendiquer sa responsabilité face aux croyants de sa juridiction.

Avec la Maison Universelle de Justice fonctionnent, à Haifa, un secrétariat général, un comité administratif notamment chargé des questions de gestion et de finances, un office public d'information qui a ses équivalents à New York, Paris, Hong Kong et Genève, un bureau du développement économique et social, un service de statistiques, plus tous les éléments décrits au début de cette enquête, bibliothèque centrale, service de recherches sur les écrits baha'is, etc.

Parallèlement aux institutions élues existent des corps dont les membres ont été choisis et nommés. C'est notamment le cas d'un élément vital de l'organisation: les Corps continentaux de conseillers. Ils ont en fait, peu à peu, vers 1968, remplacé les Mains de la Cause. En changeant ce titre, la première Maison Universelle de Justice marquait son respect vis-à-vis des Ecritures et des appellations antérieurement données par Baha'u'llah et ses descendants.

Les missions de ces conseillers continentaux s'étendent à la terre entière. Elles couvrent un immense champ d'application: service intercontinental à l'échelle mondiale, protection et propagation de la foi, encouragement, inspiration et soutien des croyants. Ils mènent consultations et collaboration avec les assemblées spirituelles nationales, décident du découpage d'un continent en petites zones d'activités. Ils nomment et dirigent, enfin, des corps d'auxiliaires qui jouent également un rôle très important. Ils n'ont cependant aucun pouvoir de décision ni d'interprétation.

Les auxiliaires agissent à un échelon plus restreint: pays ou région, et entretiennent des rapports suivis avec les assemblées spirituelles locales. Ils agissent en tant que représentants, assistants et conseillers des corps continentaux. Il leur appartient de renforcer le travail de propagation et de protection de la foi, de stimuler par leurs visites les assemblées, groupes, et baha'is isolés. La durée de leur mandat est variable, selon les besoins de la région où ils sont délégués. En principe ils doivent, sur place, subvenir, par leur travail, à leurs propres besoins. Cependant, dans des zones particulièrement défavorisées, ils peuvent être pris en charge par un fonds qu'administre le corps continental.

Le corps des conseillers continentaux compte actuellement 72 membres, et celui des auxiliaires environ 700.

Enfin, en 1973 a été créé, à Haïfa même, un centre international d'enseignement dont les responsables, nommés par la Maison de Justice pour une durée indéterminée, travaillent à plein temps et sont rétribués.

Leur rôle est de coordonner, de stimuler, de diriger les corps continentaux de conseillers, qui, de leur côté, les informent des nécessités et des problèmes de la Cause sur le continent qu'ils ont en charge. D'assurer la liaison entre ces conseillers et la Maison Universelle de Justice. De déterminer quels sont les besoins en pionniers, enseignants itinérants, et quelles fournitures leur sont nécessaires - livres, matériel audiovisuel, etc. - non seulement pour favoriser une extension quantitative de la foi baha'ie mais aussi pour jouer un rôle qualitatif auprès des communautés, dans le sens de la spiritualité et de l'éducation.


7.2. Progression et répartition des croyants

Grâce à ces corps de conseillers continentaux, d'auxiliaires, de pionniers, renforçant les premières implantations dues à la propagation par le bouche à oreille, la foi baha'ie, "comme une fine résille posée sur la terre" dit en souriant Sandra Todd, touche aujourd'hui les cinq continents. La Maison Universelle de Justice s'efforce de la faire progresser par paliers, en mettant en oeuvre des plans à durée déterminée. Le dernier arrivé à échéance, qui couvrait la période 1979- 1986, a vu le nombre global des fidèles progresser de 31 %. Ils étaient passés de 603.000 à 969.000 en Afrique (gain: 61%). De 665.000 à 857.000 en Amérique du Nord et du Sud (gain: 29 %). De 2.264.000 à 2.807.000 en Asie (gain: 24%). De 70.000 à 84.000 en Australie (gain 20 0/%). Et de 19.000 à 22.000 en Europe (gain: 16 %).

Une telle progression, avec cette répartition, appelle évidemment un commentaire. Pourquoi est-ce en Asie que les fidèles sont les plus nombreux? Pourquoi est-ce en Afrique que leur progression est la plus spectaculaire? Pourquoi l'implantation sur le continent américain est-elle presque 40 fois supérieure à celle du continent européen? La première question obtient une réponse spécifique: l'Asie est plus réceptive à une foi d'origine islamique. D'autre part, la plupart des baha'is d'Asie sont en Inde, et s'ils s'y comptent par milliers, c'est que, dès leur naissance, les indiens sont en contact avec des valeurs spirituelles, tandis que l'Europe est plus matérialiste. Le cas du continent américain est plus particulier. Les liens entre Abdu'l-Baha, puis Shoghi Effendi et l'Amérique du Nord furent très forts. Abdu'l-Baha pensait même que les Etats Unis pouvaient servir de "berceau" à l'ordre administratif conçu par Baha'u'llah parce qu'il s'agissait d'une nation jeune, placée à un tournant de l'histoire humaine. "Le jour approche, dit une de ses épîtres, où l'Ouest aura remplacé l'Est, et fera rayonner la lumière de la direction divine." Après lui, Shoghi Effendi eut de nombreux américains parmi ses principaux collaborateurs, et c'est essentiellement par l'intermédiaire de sa correspondance avec les communautés des Etats Unis et du Canada qu'il définit progressivement le mode de fonctionnement des institutions locales et nationales.

En ce qui nous concerne, nous avons fait la remarque que la foi baha'ie progresse plus fort et plus vite dans les pays en voie de développement que dans les pays nantis: l'Amérique latine, par exemple, compte pour une bonne part dans les dernières statistiques américaines. Il nous a semblé, aussi, sans que cela nous ait été dit, sans que nous en ayons une preuve formelle, qu'elle touche davantage, dans les régions défavorisées, les gens les plus humbles, et inversement, dans les pays à haut revenu, des individus plutôt cultivés, issus de classes relativement aisées.

Cette différence de comportement peut être expliquée par les actions non seulement spirituelles, mais éducatives et sociales, que mènent les assemblées locales et nationales. Des actions qui ont sans doute puissamment contribué, en même temps que ses prises de position en faveur de la paix mondiale ou contre le racisme, à faire admettre la communauté baha'ie, en 1970, au Conseil Economique et Social de l'ONU, en tant qu'Organisation Non Gouvernementale, avec un statut consultatif, et, en novembre 87, au réseau "Préservation et Religion" du Fonds International pour la Nature.

Il importe ici d'éclairer le rôle que jouent les assemblées spirituelles locales - il en existe actuellement près de 30.000 disséminées dans plus de 160 pays - et les 148 assemblées nationales. Toutes ne sont évidemment pas confrontées aux mêmes types de situation. Dans certains cas, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud, dans des îles perdues du Pacifique ou de l'Océan indien, dans des zones défavorisées, presque abandonnées, que l'administration centrale de l'état concerné n'a pas encore atteintes, elles constituent parfois la seule forme d'organisation sociale existante. Il arrive très souvent que dans ce cas, elles prennent en charge l'organisation de la scolarisation des enfants, l'alphabétisation des adultes, la mise sur place de structures médicales, évaluent les besoins matériels et spirituels de l'ensemble de la population, et, toujours par plans successifs à durée déterminée, se mettent en devoir d'y faire face. "Il est très important, souligne Holly Vick, une jeune américaine coordinatrice du Bureau de développement économique et social, de bien comprendre dans quel esprit nous agissons. Il ne s'agit en aucun cas d'assistance.

Dès qu'un embryon de communauté baha'ie se constitue quelque part, elle commence par le commencement: éducation et spiritualité. Un être inculte, abandonné par la civilisation, dès qu'il devient baha'i, dès qu'il se sait l'égal de n'importe quel autre homme sur la terre, se sent noble. Et le sentiment de ses capacités lui permet de les développer et de faire quelque chose. Vous me dites qu'au dessous d'un minimum de calories quotidiennes, on doit être incapable de penser à autre chose qu'à sa survie journalière. La malnutrition est effectivement un fléau qu'il faut vaincre, mais elle n'empêche pas la conscientisation, pour peu que la graine soit semée. Le progrès matériel, quand il est la conséquence du progrès spirituel, est celui qui est le plus solide et porte le plus de fruits. Il ne suffit pas d'envoyer de l'argent pour lutter contre la faim. L'important est de donner aux êtres l'envie et la capacité de la faire disparaître par leurs propres moyens, et je peux, notamment en Amérique latine, vous donner d'innombrables exemples de réussites par cette façon d'agir.

Jamais notre bureau de développement économique et social ne décide que telle ou telle communauté a tel ou tel besoin qu'il nous incombe de satisfaire. Ce sont les gens qui sont sur place, directement concernés, qui doivent les évaluer, établir un plan pour y faire face, et, dans la mesure du possible, trouver le moyen de le mettre en oeuvre. A eux aussi de décider s'ils ont besoin ou non d'aide et, dans l'affirmative, de la demander. Alors nous faisons tout notre possible pour les aider, et dans ce cas, puisqu'il s'agit d'équipements collectifs au service de tous, et pas seulement des baha'is, nous n'hésitons pas à faire appel à des organisations non gouvernementales, à des dons individuels de non baha'is, etc. Je peux vous donner quelques exemples. Au Honduras, dans une zone très reculée, à peuplement indien, où vivaient deux familles de pionniers iraniens dans des conditions si rudimentaires qu'elles habitaient presque dans les arbres, il y a eu un projet d'installation d'hôpital pour lequel un capteur solaire était nécessaire. Nous avons lancé un appel. Le capteur nous a été fourni par des baha'is du Minnesota, et l'armée américaine a pris en charge sa livraison par avion et son parachutage. Dans l'Ile de Tanna, dans l'océan Pacifique, il y avait un problème d'eau: une source existait, mais il fallait créer un système de distribution. De l'argent est arrivé d'Australie, du Canada, de Nouvelle Zélande, le projet a été mis sur pied, et c'est le gouvernement qui a finalement construit le réseau de distribution.

Ailleurs, une communauté baha'ie a du affronter une épidémie de méningite. Nous avons alerté l'O.M.S. et les vaccins, à la suite d'un télex, sont arrivés de France, via New-Dehli. Même chose en Afrique. Au Zaïre, par exemple, nous avons installé plus de 100 centres d'éducation. Des moniteurs baha'is y sont enseignants volontaires- Il s'agit d'éduquer les jeunes, mais aussi - c'est au moins un quart de leur tâche - d'alphabétiser les adultes. Personne n'a d'argent, mais chacun apporte sa contribution en travail. Et souvent, les gouvernements demandent à utiliser les écoles.

Ce que construisent les baha'is devient un outil collectif. Ils donnent aussi, souvent, l'impulsion, puis les autres suivent. Par exemple, encore au Zaïre, plus de cinquante personnes sont impliquées dans un processus d'amélioration de l'agriculture: l'enseignement agricole occupe une place importante dans les plans de nos communautés dans les pays en voie de développement, parallèlement à l'éducation. Dans la foulée, elles ont reconstruit un hôpital gouvernemental. La communauté baha'ie à démarré ce projet, puis d'autres, non baha'is, sont venus se joindre à la tâche. Aux îles Fidji nous avons installé des écoles primaires. En Inde, où les gens ont un sens inné de l'esthétique, un très gros effort est fait sur l'enseignement de métiers manuels, artisanaux et le gouvernement nous en demande de plus en plus. Aux Philippines, avant l'arrivée au pouvoir de Cori Aquino, l'accès à l'instruction était très difficile, voire impossible, pour le plus grand nombre des enfants. Un programme de scolarisation a été mis en place par des assemblées locales, qui se sont formées. L'assemblée nationale a envoyé des maîtres. Pas mal d'enfants ont acquis ainsi un bagage qui leur a permis ensuite d'entrer dans d'autres écoles, et ils ont eu un tel pourcentage de réussite aux examens que le bruit s'en est répandu, et que les Nations Unies ont envoyé des observateurs.

Nous insistons beaucoup sur le fait qu'il ne s'agit pas de développer partout, sous le couvert d'une religion unique et d'une organisation type, une culture indifférenciée. Chaque groupe ethnique doit conserver sa culture spécifique, son enracinement. Je peux encore vous donner un exemple. Au Pérou, il existe une communauté baha'ie d'Indiens Quechuas assez importante: 700 membres. Ils ont tout à fait conservé leurs traditions, leur mode de fonctionnement social qui d'ailleurs, par bien des points, coïncide avec le modèle de notre religion. Ce sont leurs propres leaders qui les ont incités à déterminer et à exprimer leurs besoins profonds, et à établir des plans successifs pour les satisfaire".

Tandis qu'Holly Vick nous ouvrait ainsi l'éventail des réalisations dans le Tiers-monde, des films vidéo, des photographies illustraient ses propos. Au Zimbabwe, un cours d'alphabétisation des femmes: en Haïti, une campagne de vaccination de jeunes enfants: en Inde, de jeunes élèves apportant des plants pour le reboisement du village, une fontaine d'eau potable dans un lieu très déshérité, un cours d'hygiène pour les femmes vivant en zone rurale: en Swaziland, une école primaire: au Zaïre, des baha'is et des non baha'is mêlés s'employant collectivement à la construction d'un centre baha'i. Aux Fidji un jardin d'enfants. Aux Philippines, un centre médical. Au Panama, une station d'enseignement mobile.

Et le plus sophistiqué: en Equateur, au Panama, au Pérou, des stations de radio qui diffusent des reportages, des programmes éducatifs, mais aussi la musique typique de ces régions. "Nos communautés ont installé sept stations de radio en Amérique du Sud, précisa Holly Vick. Celle du Panama est entièrement assurée par des Indiens Guaymis qui peuvent ainsi promouvoir leur propre culture. Ces stations de radio organisent aussi des festivals de musique qui ont un très grand impact". Ces manières de concevoir le développement peuvent aujourd'hui paraître, somme toute, assez banales. Suffisamment de voix autorisées s'élèvent à présent partout pour dénoncer l'assistance sous forme d'aumône, et prendre comme règle de base le sage proverbe chinois "Donne un poisson à un homme, tu le nourris une fois. Mais s'il apprend à pêcher, il pourra se nourrir lui-même toute sa vie". L'originalité des baha'is est qu'ils les mettent en pratique depuis très longtemps.

Même en ce qui concerne la musique. Serait-elle une des voies qui mènent à l'harmonie universelle? L'Occident a pu en avoir l'impression, depuis deux ou trois ans, avec les concerts réalisés par des chanteurs et musiciens de tous les pays au profit de l'Aide Internationale, ou d'Amnesty. Là encore, les baha'is avaient pris les devants, et l'avait inscrite dans leur dernier plan international de sept ans, mis en oeuvre en 1979. On peut lire, dans le rapport final de ce plan, rédigé en 1986:

"La musique a toujours été un moyen unique et inspiré d'amener les gens à être ensemble. Durant le Plan de sept ans, elle a été de plus en plus utilisée pour consolider les communautés baha'is. Le nombre d'enregistrements musicaux proposés par les distributeurs baha'is, a augmenté chaque année du plan. Des musiciens de toutes les parties du monde se sont réunis pour la première conférence internationale de Musique, qui s'est tenue au Costa-Rica en février 1985, afin d'explorer et de discuter l'utilisation de la musique dans la propagation de la Foi. L'Assemblée nationale des Philippines considère la qualité et la popularité croissante de sa fête annuelle de la musique comme une de ses réalisations les plus importantes du plan de sept ans. En Malaisie, des jeunes travaillent ensemble à composer des chansons et à mettre des prières en musique dans plusieurs langues et les utilisent lors de leur enseignement itinérant. Les festivals de musique associés aux stations de radio baha'ies en Amérique du sud sont devenus un élément de catalyse pour la promotion des cultures indigènes. Le festival annuel de la radio baha'ie en Equateur constitue l'événement culturel le plus important de la région, avec une telle popularité qu'il faut maintenant organiser six compétitions préliminaires pour accommoder tous les participants."

Les actions sont évidemment moins spectaculaires en Occident, puisque les problèmes posés sont très différents. "Les communautés d'Europe et d'Amérique du nord, dit Holly Vick, doivent prendre conscience de leurs propres besoins. S'ils ne sont pas de même nature que ceux des communautés des pays en voie de développement, les problèmes n'en existent pas moins. La drogue, la pollution, la dégradation de l'environnement, l'injustice sociale, le racisme, etc ..."


7.3. Les projets de développement

Actuellement. les communautés baha'ies sont engagées dans 1482 projets de développement économiques et sociaux à travers le monde. L'éducation y occupe une place prédominante, mais aussi la mise en valeur des ressources locales - forêt et agriculture -, l'installation de services de santé et de services sociaux, de stations de radio, etc...

Les initiatives de la communauté baha'ie française peuvent donner un bon exemple de l'activité de ces communautés dans les pays occidentaux, où elles ont, comme le soulignait Holly Vick, à définir et évaluer leurs propres besoins. Cette communauté comporte environ un millier de membres, répartis dans une trentaine d'assemblées spirituelles locales. Elle n'est pas ou fort peu implantée en Champagne, Corse, Franche-Comté, Limousin, Basse Normandie, Picardie, Pays Basque, Lorraine, et d'une façon plus générale dans les milieux agricoles et/ou de forte tradition catholique. Elle s'est dotée d'un Comité National d'Enseignement, d'un Comité d'Approfondissement, et d'un Comité des Jeunes.

Comme toutes les autres assemblées spirituelles, elle met en oeuvre des plans à durée déterminée (actuellement un plan de six ans) proposés par les assemblées locales, examinés par l'assemblée nationale avec la collaboration des conseillers continentaux, et enfin soumis à l'approbation de la Maison Universelle de Justice. Le plan actuellement en cours de réalisation vise deux objectifs que l'on pourrait définir par l'interne et l'externe.

Dans la première catégorie, concernant essentiellement la conduite des fidèles, viennent s'inscrire le respect de la prière quotidienne, la lecture des Textes sacrés, l'incitation à l'observation du jeûne, le développement de la vie communautaire, la consolidation des assemblées locales, l'approfondissement de la foi par la multiplication des "coins de feu", l'encouragement à l'exigence personnelle d'un haut niveau de conduite, l'accroissement de la participation aux ressources financières de la communauté nationale.

Dans la deuxième s'enchaînent la propagation de la foi en direction des groupes ethniques minoritaires installés sur le sol français (Chinois, Vietnamiens, Arméniens, Tziganes, etc.), l'encouragement au volontariat d'enseignants itinérants dans les pays francophones, et plus spécialement en Afrique, le développement de l'esprit pionnier et l'installation de quelques-uns de ces volontaires, susceptibles de subvenir à leurs propres besoins, dans cette même Afrique; l'implantation dans les régions françaises où la foi baha'ie n'est pas représentée. Il est également prévu de faire progresser de quarante à soixante le nombre des assemblées locales; de développer des relations cordiales avec les personnalités politiques, universitaires, etc... de veiller à la publication des brochures; d'agir sur le plan professionnel pour faire connaître la foi à travers les mass-medias... Dans le même but de communication, doit être créée une société audiovisuelle pour la production d'émissions destinées au câble et aux télévisions régionales qui, traitant des problèmes de l'environnement, du racisme, de l'athéisme, etc, serviront simultanément à informer et à amorcer des thèmes de discussion pour des "coins de feu", des débats publics, etc.

Seront enfin étudiés en coopération avec d'autres associations ayant les mêmes buts, quelques projets de développement social et économique. Les jeunes qu'il nous a été donné de rencontrer au cours de Journées Nationales d'Enseignement qui se sont tenues à Lyon en novembre 88 font montre d'un dynamisme, d'un pragmatisme, et parfois d'un esprit contestataire mais positif, plutôt sympathiques. Ils ont leurs propres projets. 1989 doit les voir à l'oeuvre par exemple dans le Sud-Ouest, employés à la castration du maïs (l'argent gagné sera envoyé en Afrique), installant un coupe-feu dans une zone boisée de la Corse, ou travaillant en Bretagne dans un parc naturel. Leur tactique offre une illustration parfaite de la manière dont se fait la propagation de leur foi: le travail leur donne l'occasion d'entrer en contact avec des gens qui l'ignorent, et de prêcher par l'exemple, sans jamais dissocier le travail de l'enseignement.

Les baha'is ne se limitent cependant pas à ces actions localisées. Grâce à son statut consultatif auprès notamment de l'ONU, leur communauté internationale participe par ses propositions, ses déclarations, ses actions, aux grandes affaires mondiales.

Ainsi, en 1974, à une Conférence Mondiale de l'Alimentation qui s'est tenue à Rome, elle signait une déclaration insistant, dans une perspective de solution au problème alimentaire mondial, sur la nécessité d'arriver à une conviction individuelle et collective de l'unité organique de l'humanité, à une conception de l'éducation et du travail au service non seulement des citoyens d'un même pays, mais de l'ensemble des peuples de la terre, et la reconnaissance de l'agriculture comme une activité humaine vitale, justifiant une place de prestige dans la société. "Un pareil changement d'attitude, était-il écrit en conclusion, pourrait attirer de nombreuses personnes dans ce secteur essentiel et ralentir l'exode rural, permettant ainsi la décentralisation si nécessaire des établissements humains".

En 1978, à Genève, lors de la Conférence Mondiale pour la lutte contre le racisme et la discrimination raciale, elle était représentée. La même année, à la séance spéciale de l'assemblée générale des Nations Unies consacrée au désarmement, elle signait un texte intitulé "La promesse du désarmement et de la paix".

En 1979, à Vienne, elle apportait sa contribution à la Conférence des Nations Unies sur la science et la technique au service du développement dans une déclaration intitulée "La science et la technique en vue de l'avancement humain."

En 1986, au Grand-Duché du Luxembourg, l'Association Européenne pour les études baha'ies, dans le cadre de ses troisièmes rencontres, proposait deux journées de conférences sur le thème "Place et contribution des minorités dans la société", en présence des ministres de la justice et de la culture du Grand-Duché. Dans le même temps, toute la communauté était engagée dans la célébration de l'Année internationale de la paix, ce qui lui donnait à la fois l'occasion de militer pour une cause essentielle, de propager son point de vue sur la question, et de se faire mieux connaître.

Tout commença avec un rapport rédigé par la Maison Universelle de Justice intitulé "La promesse de la paix mondiale", adressé à tous les peuples de la terre, et, plus spécialement, à leurs dirigeants. Ce texte fut directement remis à soixante six d'entre eux, chefs d'états souverains ou de territoires sous tutelle, par des envoyés de la communauté baha'ie, tandis que ses représentants à l'ONU le faisaient connaître aux délégations des pays où l'assemblée spirituelle nationale ne pouvait avoir de contact direct avec le gouvernement. Plusieurs présentations firent l'objet de cérémonies officielles, notamment à Washington, à la Maison Blanche, lors de la journée annuelle consacrée aux Droits de l'homme. Les premiers ministres, les cours suprêmes, les parlementaires et les membres de toutes les instances importantes reçurent également copie de ce texte.

Dans le même temps, toutes les Assemblées spirituelles locales ou nationales faisaient de la communication des enseignements sur la paix de Baha'u'llah une de leurs activités essentielles. On vit, en Papouasie Nouvelle-Guinée, dans le magazine national le plus important, la publication intégrale, illustrée par des images, du document préparé par la Maison de Justice. Au Bénin, à la demande du Président de cet état, une conférence de presse fut organisée par son chef du protocole pour permettre aux baha'is de présenter le texte à l'ensemble des médias.

En Suisse, 2.200 grands posters affirmant "La paix n'est pas seulement possible mais inévitable" furent disséminés dans les principales villes, les transports publics, tandis que fonctionnait un téléphone spécial pour répondre aux questions et que se succédaient les réunions d'explication publiques ou privées. L'Australie organisa, à Sydney, sur les terrains dépendant du temple où, plutôt, comme disent les baha'is, de la Maison d'Adoration une exposition de dix jours intitulée "Les dix jours incroyables" avec conférences, rencontres, concerts, ateliers, auxquels participèrent plus de 7300 personnes, baha'is et non baha'is, organisations civiles, sociales, humanitaires, etc. Le Centre national de Wilmette, dans l'Illinois, là ou se trouve également un des cinq temples baha'is, diffusait quant à lui un dépliant bleu et blanc où volait une colombe signée Georges Braque qui résumait l'essentiel du rapport de la Maison de Justice en trois paragraphes significatifs:

"Il est évident que toutes les guerres et conflits ont été la conséquence de quelques formes de préjugés religieux, raciaux ou nationalistes. Le préjugé est le destructeur des fondations du monde, de l'humanité... Reconnaître que l'humanité forme une seule famille est la première marche à franchir dans la réorganisation des affaires mondiales pour parvenir à la paix finale.

L'unicité de l'humanité est un fait confirmé autant par la croyance en un créateur commun que par toutes les sciences humaines. L'élimination de la suspicion et du doute engendrés par les préjugés commence par l'authentique association entre les groupes et l'éducation des enfants pour faire comprendre l'intérêt de la diversité. Il en résultera une meilleure compréhension entre les nations et la construction d'un nouvel ordre dans les affaires mondiales qui unira politiquement, économiquement et socialement les pays et mettra fin à la guerre en même temps qu'il protégera la diversité des cultures...

Le préjugé est la plus grande barrière à la paix mondiale. Ses aspects les plus redoutables sont le racisme, le nationalisme et le fanatisme religieux. Ces trois catégories de préjugés constituent la base des attitudes qui divisent le monde entre "nous" et "eux". Le racisme empêche le progrès humain en masquant les potentialités de ses victimes et dégrade ceux qui le pratiquent. L'extrémiste nationaliste, à l'opposé d'un amour raisonnable de son pays, empêche la coopération entre nations qui dépendent les unes des autres pour leur survie. L'intolérance religieuse est cause de guerres et de persécutions bien que les fondateurs des religions mondiales n'aient jamais approuvé un pareil comportement... La fin des guerres n'est pas seulement une affaire de traités entre les nations. La paix peut seulement s'installer quand les principes spirituels, que certains peuvent appeler "valeurs humaines", guident la recherche des solutions aux problèmes mondiaux. Quelques uns des principes à mettre en oeuvre dans le dépassement des obstacles qui s'opposent à la paix sont l'élimination des préjugés raciaux, nationaux et religieux, la disparition de l'extrême distance entre les riches et les pauvres, l'égalité des hommes et des femmes et l'éducation universelle."

Un slogan: "La terre est un seul pays", une brève définition de la foi baha'ie et un appel à tous pour travailler avec ses fidèles, chacun selon son propre point de vue, à l'édification d'un monde sans guerre complétaient le dépliant. Au total, la "Promesse de la paix mondiale" a été traduite en 47 langues et fait l'objet de 143 éditions. L'ensemble de ces initiatives valut à la communauté baha'ie de se voir décerner, en 1987, par l'ONU. le titre de "Messager de la paix".

Actuellement, un nouveau plan de six ans, établi par la Maison Universelle de Justice, se déroule à l'échelle mondiale, avec des objectifs tous azimuts qui concernent autant les affaires internes de la communauté baha'ie que ses actions vers l'extérieur. Y sont notamment programmés, pour les entreprises internes, la poursuite de la traduction et de la publication des textes sacrés, l'extension du message de Baha'u'llah, la mise en oeuvre de nouvelles constructions sur le Mont Carmel, la multiplication des Assemblées spirituelles locales et nationales à travers le monde, le renforcement du corps des pionniers (sur un objectif de 429 personnes, 131 sont actuellement à l'oeuvre sur les cinq continents) et pour les actions tournées vers l'extérieur la promotion de l'enseignement, l'intensification des relations avec l'ONU, ses différents organismes spécialisés et le Parlement Européen dans des actions en faveur de l'éducation, de l'environnement, de la lutte contre la faim dans le monde, des droits de l'homme, de la santé, de la jeunesse, de l'émancipation des femmes.


7.4. Interview du philosophe Ervin Laszlo

A travers les différentes interventions de la communauté baha'ie dont nous ne pouvions, dans cet ouvrage, que donner quelques exemples, l'impression s'installe qu'en fait elle propose, pour tous les problèmes qui se posent à l'échelon mondial, un remède universel en trois points:
* métaphysique il n'y a qu'un seul Dieu, toutes les querelles religieuses sont mal fondées et doivent être dépassées.
* humain il n'y a qu'une seule espèce de terriens, et toute suprématie de race, toute inégalité entre ethnies, entre sexes, entre riches et pauvres doivent être comblées.
* social, il n'y a qu'une seule planète terre, dont toutes les ressources doivent être collectivement préservées, gérées et réparties au profit de tous les peuples, tous les motifs de conflit arbitrés et désamorcés par une instance supranationale disposant de l'autorité suprême et des moyens de la faire respecter.

On peut voir dans cette doctrine des trois unités une splendide et irréalisable utopie, pas si éloignée, finalement, de toutes celles qui fleurirent en Europe entre le XVIe et le XIXe siècle, de Thomas More à Robert Owen, en parallèle avec des mouvements millénaristes tel celui dont Claude-Henri de Saint-Simon avec son "Nouveau Christianisme" fut au XIXe siècle l'instigateur. On peut même remonter plus loin encore dans le temps, jusqu'à l'antiquité. N'est-ce pas précisément en Asie mineure qu'un certain Aristonicos tenta, bien avant l'avènement de l'ère chrétienne, la réalisation d'un millénarisme social et anti-esclavagiste? Il est possible que le Bab ou que Baha'u'llah aient eu connaissance des utopies qui traversaient leur siècle: l'Iran, rappelons-le, fut longtemps un carrefour de circulation des idées. Il semble en revanche peu probable qu'ils aient su quoi que ce soit d'Aristonicos.

Il nous parait plus intéressant et plus révélateur de comparer la conception baha'ie, entièrement issue, il faut s'en souvenir, d'une doctrine conçue au XIXe siècle, à certains points de vue émanant d'autorités contemporaines reconnues, comme par exemple celles du Club de Rome. L'un de ses membres, Ervin Laszlo, musicien, philosophe, scientifique de renom, par ailleurs rédacteur en chef de l'Encyclopédie de la paix publiée par l'ONU, et directeur du comité consultatif du projet de perspectives européennes de l'Université des Nations Unies vient de signer, avec une préface d'Alexander King, président du Club de Rome, un ouvrage intitulé Le Monde moderne et ses limites (Ervin Laszlo, Le monde moderne et ses limites, Tacor International, Paris, 1988).

L'objet essentiel en est un constat à la fois pessimiste et optimiste. Pessimiste: la terre risque d'atteindre, dans un futur pas si lointain, les limites de sa croissance matérielle. Optimiste: ces limites peuvent ne jamais être atteintes car il existe un certain nombres de freins économiques, sociaux, culturels, politiques ou créés par la nature elle-même qu'il importe de mettre en oeuvre.

Pour mémoire, l'auteur rappelle les schémas prospectifs qui avaient été réalisés sur ordinateur, en 1972, à la demande du Club de Rome, par le M,I.T (Institut de Technologie du Massachusetts) et dont les résultats eurent des allures de prévisions-catastrophes, comme les films du même nom. Ayant pris en compte des milliers de données, le diagnostic du M.I.T fut en effet que si les tendances à la croissance se poursuivaient sans modifications, les limites possibles seraient atteintes dans les cent prochaines années, avec pour corollaire un déclin rapide et incontrôlable de la capacité industrielle et de la population. Le mal, cependant, n'était pas sans remèdes. Pour retrouver la perspective d'un monde viable, l'ordinateur indiquait des solutions telles que retrouver, dès 1975, une proportion des naissances égale à celle des décès. Stabiliser le capital industriel mondial en limitant la proportion des investissements pour 1990. Réduire, en 1975, la consommation des ressources mondiales par unité de production industrielle au quart de sa valeur en 1990 et, dans la même proportion la pollution mondiale. Transposer les préférences économiques de la société vers des services plutôt que des biens. Diriger les capitaux vers la production de nourriture même si cette production n'est pas rentable, et utiliser en priorité les capitaux agricoles pour préserver et enrichir le sol.

Ce fut, à l'époque, un beau tollé et une mémorable polémique. Beaucoup contestèrent, ricanements à l'appui, le "modèle" né de l'ordinateur.

Quelques réactions plus positives se produisirent, mais...entre l'Amérique qui considérait que ce qui est bon pour elle est bon pour le monde entier et l'Est qui continuait de voir dans le communisme le moyen de surmonter toutes les difficultés, on en resta à des solutions nationales, sur des plans à courts termes, sans comprendre vraiment qu'il s'agissait d'une affaire mondiale, exigeant une politique à long terme et planétaire.

"Tout cela, explique Ervin Laszlo, par manque d'idéaux positifs qui préexistent pourtant dans toutes les grandes religions, les morales du comportement, les concepts universels et devraient être réaffirmés et séparés des pratiques politiques auxquels ils sont associés." Sa réflexion le conduisit finalement à la conception de nouvelles valeurs correspondant à l'âge mondial qui prend la relève des âges industriels et postindustriels aujourd'hui obsolètes. En substance, il les décrit ainsi.

"En ce moment, pour survivre, il faudra être en symbiose avec les autres et l'environnement et non rechercher des fins immédiates et égoïstes au détriment du milieu.

La théorie de la richesse descendant vers les plus pauvres n'ayant pas fonctionné dans la pratique, la seule manière d'aider les pauvres de cette terre est de créer volontairement et systématiquement de meilleures conditions de vie pour eux, et plus d'occasions pour qu'ils progressent et participent d'une façon plus significative aux processus économiques, sociaux et politiques (même si cela implique le sacrifice de quelques uns des privilèges traditionnellement associés à notre propre richesse et à notre puissance).

La sagesse éternelle des grandes religions, des grands artistes et des grands humanistes est le complément nécessaire à l'expérience technique des sciences, car l'homme et la société sont et ont toujours été plus qu'un assemblage de processus réductibles à des faits scientifiquement déterminables.

La technologie devrait être le serviteur et non le maître de l'humanité et l'on devrait décider de ses applications non seulement en fonction des bénéfices économiques mais aussi en terme de bénéfices humains, sociaux, et surtout sur l'environnement.

L'efficacité ne doit plus être assimilée purement et simplement à la productivité maximale mais à la production de produits et services socialement utiles en employant d'une manière sensée le maximum de la force de travail disponible, même si cela signifie à court terme une réduction du rendement et des profits.

En dépit d'une plus grande difficulté à prévoir et à contrôler les comportements, il faudra encourager le développement complet des personnalités dans leurs diversités et non plus imprégner les individus avec une "rationalité purement économique" les réduisant à l'état de robots calculant leur propre rapport coût/bénéfice.

Une fidélité exclusive et aveugle à "mon pays qu'il ait tort ou raison" est une attitude aussi égoïste et à courte vue que l'allégeance aveugle à soi-même, le chauvinisme n'étant que l'égoïsme en plus grand. Ainsi ces allégeances devraient plutôt se porter sur les sphères relationnelles concentriques allant de la famille immédiate à la famille de tous les peuples et de toutes les cultures dans lesquelles chacun se retrouverait. La souveraineté et l'indépendance des états-nations d'aujourd'hui n'existent que sur la base d'un raisonnement légal mais arbitraire qui accorde une fausse légitimité à d'égoïstes décisions gouvernementale. Les citoyens conscients ne devraient plus agir comme si leur pays était isolé de tout par son indépendance, mais ils devraient tenter de soutenir ses intérêts en tant que membre parmi tant d'autres d'une communauté internationale interdépendante.

Les richesses de la terre ne nous sont pas données pour les piller à volonté car la nature se venge avec des cycles écologiques détraqués, des environnements invivables et des habitudes climatiques dangereusement, perturbées. Les ressources naturelles et les sources d'énergie doivent être utilisées à bon escient et les technologies étudiées soigneusement pour leurs bénéfices à long terme ainsi que pour leurs possibles effets secondaires.

Le bonheur, c'est chercher et non atteindre. On ne le trouve pas seulement dans les possessions matérielles mais aussi dans la créativité personnelle, dans l'équité et l'honnêteté, dans l'amour et l'amitié, dans la solidarité communautaire, dans l'harmonie avec la nature et dans la bonne conscience ressentie après avoir fait tout ce qui est en son pouvoir non seulement pour soi-même mais aussi pour sa société et pour toute l'humanité.

La planète terre est un bel objet fragile qui abrite un mélange de formes de vie extrêmement rares sinon uniques dans tout l'univers et la préservation de son intégrité est maintenant le privilège et la responsabilité de l'humanité". (Ervin Laszlo, op cit.).

Ce credo d'un humaniste-scientifique, renforcé par la remarque préliminaire d'Alexander King: "Les problèmes contemporains sont vus de plus en plus comme étant de nature mondiale, qu'ils soient d'économie, de monnaie, de chômage ou d'environnement. Il paraît donc impossible à un pays individuel et isolé de les résoudre" nous a semblé correspondre d'assez près à l'ensemble des conceptions baha'ies. Nous avons profité d'une conférence que donnait Ervin Laszlo au siège de l'Unesco, à Paris. pour lui en demander confirmation, dans un entretien dont voici l'essentiel:

- E.L (Ervin Laszlo)
"Il y a beaucoup de points communs entre mes propres conceptions et les concepts baha'is. Mais ces points communs ont été d'abord découverts côté baha'is, beaucoup plus tard de mon côté... J'ai eu pas mal de conversations avec des baha'is, à New York, ou en d'autres lieux, comme Haifa... Je connais la religion, la culture baha'ies. Pas assez. Mais j'ai un peu des sentiments, des convictions et des valeurs des baha'is. Ce que nous avons découvert ensemble, c'est que les perspectives qui surgissent actuellement de la science, dans sa complexité, donnent une logique de développement, une logique de l'évolution, qui est tout à fait comparable à celle des grands écrits baha'is."

S'appuyant sur les plus récentes recherches faites par la science, et particulièrement en biologie et en mathématiques, sur les modèles et le développement des systèmes. Ervin Laszlo souligne ensuite les analogies entre les constats de sa recherche scientifique et la conception baha'ie d'une évolution vers la globalité:

"J'y vois des points communs parce qu'il y a une continuité entre la nature et l'humanité, ensuite une directionnalité dans l'évolution des choses, sans que ce soit une volonté fataliste, et enfin parce que ces grandes tendances sont nettement non linéaires. Bien sûr, nos concepts mathématiques sont ceux du XXe siècle. Ils ne s'exprimaient pas de cette manière au XIXe siècle, dans les écrits de Baha'u'llah, mais ils y correspondent exactement. On y trouve la définition de ce que nous appelons une "bifurcation". Quand on parle de maturité de l'humanité, c'est une paraphrase, c'est une manière d'expliquer que le processus évolutif est arrivé à ce stade que l'on appelle "mature" dans un écosystème. On pourrait appliquer la même chose à l'humanité. Ce processus directionnel, non linéaire, probabiliste mais pas purement casuel, qui conduit finalement vers un système où toute l'humanité serait intégrée, un système à la fois divers et global, correspond, il me semble, à la conception baha'ie d'une humanité unie, puisque c'est effectivement un système ouvert et évolutif, une grande diversité coordonnée par des règles non pas absolues, décidées de manière rigide, mais établies par la compréhension, la consultation, l'information... Vraiment, sur le plan théorique, il y a beaucoup de points de convergence. Côté pratique, ces conceptions d'avant-garde qui émergent du côté scientifique sont effectivement vécues. mises en pratique, par des millions de gens.

- Question:
"Les conceptions Baha'ies ont-elles induit ou influencé votre démarche?.

- E-L:
"Ça l'a renforcée. Parce que lorsque on trouve une idée, une conception, et puis que l'on constate que cette idée est arrivée d'une autre façon qui a aussi pris l'esprit et l'imagination des gens, c'est une confirmation. Moi je suis toujours très content quand je trouve les mêmes conceptions, les parallélismes, dans les religions. Mais c'est assez rare, à part chez les baha'is, de trouver des parallélismes exacts. Dans les religions orientales, taoïsme, bouddhisme, il y a beaucoup de choses qui correspondent tout à fait aux conceptions nouvelles de la physique, sur l'intégration. Pour moi c'est toujours une joie. une jubilation, de retrouver ces mêmes idées à cent ans, deux mille ans au quatre mille ans de distance. Dans la tradition judéo-chrétienne, il y a les baha'is à cause de leur évolutionnisme, de leur humanisme et de leur oecuménisme."

- Q:
"Les suivez-vous jusqu'au bout, jusqu'à leur conception d'un système unique, avec un pouvoir supranational, une justice, une police supranationales, une religion unique, etc."

- E.L:
"Je ne peux pas décider pour le moment. En tant que scientifique et philosophe, je crois qu'il est trop tôt pour dire si nous aurons un système ou un autre de coordination des valeurs globales... Le modèle baha'i est très intéressant, très important. Mais je ne peux pas me risquer à dire bon, eh bien voilà, c'est le seul. Il y aura un système global, c'est sûr, mais il peut être conçu de manière différente, pessimiste, "Orwellienne", ou optimiste. Le système baha'i est optimiste. Mais dans le monde des sciences, le futur n'est pas lisible. Il n'y a pas de garanties, seulement des probabilités. On a peut-être l'opportunité et, de toute façon, le devoir d'influencer ces probabilités. On peut influencer l'évolution vers un modèle comme celui des baha'is, mais, à leur différence, je ne crois pas que ce soit déjà écrit. Il n'y a pas de modèle achevé. J'insiste sur ce point."

- Q:
"Le modèle baha'i est en outre un modèle purement religieux. La perspective d'une religion unique ne vous inquiète pas?"

- E.L:
"Moi vous savez j'ai une religion qui est celle du philosophe, un peu personnelle. Je crois que l'on n'explique pas tout par la science, il y a un sens beaucoup plus vaste que ce que nous observons dans la nature. En tant que scientifique, je ne peux pas le connaître. Je peux seulement savoir qu'il existe. Donc, la religion pour moi, c'est simplement l'affirmation qu'il y a dans la nature des mystères que nous devons respecter, que nous devons approcher avec intuition, mais que nous ne pouvons pas saisir de manière "opérationnelle", rationnelle. Si la religion dévient une doctrine, un ensemble de dogmes, alors, je ne suis pas pour. Si c'est l'affirmation qu'il y a un destin, une responsabilité humaine, alors là j'accepte et j'essaie d'agir de façon à aider les gens à se rendre compte. J'établis une très grande différence entre une religion comme spiritualité, dans le sens d'une réalité suprême et une religion avec les lois, des règles. Dans le premier cas, ça ne me fait pas peur. Dans le second cas, ça devient dogmatique, ça me fait un peu peur."

- Q:
"N'êtes-vous un peu un utopiste?"

E.L:
"Utopiste dans le sens que lui a donné l'inventeur du mot, Thomas More, de lieu qui n'existe nulle part, non, parce que ce n'est pas positif. Mais si vous dites visionnaire, alors oui... Je pense que le destin n'est pas déjà déterminé, que nous avons la liberté de choisir, pas tout mais un certain nombre de choses. Il y a quand même une énorme gamme de possibilités devant nous, et si nous avons des visions de ce que nous pourrions atteindre, nous pouvons essayer de choisir dans cette gamme le chemin qui amène vers ces visions. On n'arrive jamais exactement là où on veut aller, mais on peut progresser dans cette direction.

Donc il faut avoir une vision. Là où il n'y a pas de vision, les gens meurent. Dans ce cas là, d'accord avec l'utopie. Mais l'utopie n'est pas un lieu qui n'existe pas. C'est plutôt comme une étoile dans la nuit..." Peut-être après tout, comme l'écrivait André Gide, est-ce "par la porte étroite de l'utopie qu'on entre dans la réalité bienfaisante." Reste pourtant cet aspect religieux sur lequel s'interroger.

Depuis sa naissance, la religion baha'ie vise un but final: la prise de conscience de l'unité du genre humain, de l'unité de la religion et de l'unité de Dieu mais aussi d'un ordre mondial uni s'inspirant de l'ordre administratif baha'i. Si le projet d'une puissance supranationale comporte encore quelques flous, il a, à partir des enseignements du prophète, été assez clairement esquissé par Shoghi Effendi dans "Vers l'apogée de la race humaine", une épître adressée aux baha'is d'Occident dès 1936. Ce texte, par ailleurs constat d'une lucidité remarquable sur l'état de la société et d'une prémonition étonnante des péripéties qu'allait connaître la terre entière dans les années suivantes jusqu'à nos jours, mérite, ne serait-ce qu'à ce titre, d'être très attentivement lu.  Ouvrir le livre Ecrits de Shoghi Effendi

Mais il y est aussi écrit:
"L'unité de la race humaine telle que la conçoit Baha'u'llah implique l'établissement d'une communauté universelle où nations, races, classes et croyances seront étroitement et définitivement unies, où l'autorité des dirigeants et la liberté personnelle, ainsi que l'initiative des individus qui la composent, seront complètement et pour toujours sauvegardées.
Cette communauté, pour autant que nous pouvons l'imaginer, comportera une législature universelle dont les membres, en tant que représentants de la race humaine, auront le contrôle suprême de toutes les ressources des nations qui, la composeront, elle édictera les lois nécessaires pour régler la vie, pourvoir aux besoins et harmoniser les relations de tous les peuples et de toutes les races.
Un Pouvoir exécutif universel, s'appuyant sur une Force internationale, veillera à l'exécution des décisions arrêtées par cette assemblée, à l'application des lois qu'elle aura votées, et à la sauvegarde de l'unité de la communauté toute entière.
Un Tribunal universel se prononcera en dernier ressort dans tous les conflits et discordes qui pourront s'élever entre les membres de ce système universel.
Un mécanisme d'intercommunication mondiale sera imaginé qui embrassera toute la planète, qui sera affranchi de toutes les restrictions nationales et fonctionnera avec une merveilleuse rapidité et une régularité parfaite.
Une capitale universelle sera le foyer où convergeront toutes les forces unifiantes de la vie et d'où rayonneront toutes les influences vitalisantes.
Une langue universelle sera inventée ou choisie parmi celles qui existent déjà et enseignée dans toutes les écoles des nations fédérées comme langue auxiliaire de la langue maternelle. Une écriture universelle, une littérature universelle, un système uniforme de poids et mesures viendront simplifier et faciliter les relations entre les peuples et les races.
Dans cette société, les deux grandes puissances de la vie humaine, la religion et la science, seront réconciliées, elles coopéreront et se développeront dans l'harmonie.
La presse, tout en donnant libre cours à l'expression des vues et convictions diversifiées du genre humain, cessera d'être vendue à des intérêts publics ou privés et sera libérée de l'influence des gouvernements et des peuples en conflit.
Les ressources économiques du monde seront organisées, toutes les sources de matières premières seront exploitées à plein rendement, tous les marchés coordonnés et développés, et la distribution des produits équitablement réglée. (...) L'anormale distinction entre les classes disparaîtra complètement.
La suppression de la propriété cessera d'être envisagée en même temps que cessera l'accumulation de la richesse entre un petit nombre de mains."


Shoghi Effendi évoque enfin un système de fédération universelle "qui régira la terre entière (...), incarnera tout ensemble l'idéal de l'Orient et celui de l'Occident (...) qui sera affranchi de la malédiction de la guerre et de ses misères (...) dans lequel la Force sera mise au service du Droit et dont la vie sera soutenue par la reconnaissance universelle de Dieu et l'obéissance à une seule Révélation (...)" Ce qui peut paraître aux disciples de Baha'u'llah une "Pax Baha'ie" plus angélique que ne fut la Pax Romana, un âge d'or à venir, peut aussi donner aux autres l'inquiétante vision d'un scénario de science-fiction: un ordre religieux régnant sur la terre entière, avec ses prescriptions et ses interdits, sans parler de ces terrifiants dérapages qui ont souvent fait de religions tissées, à leur naissance, d'intentions généreuses et pures, d'effroyables vecteurs de contrainte et de répression. Pour les rédacteurs de cette enquête, ce fut en tout cas une interrogation primordiale. A cela les baha'is répondent que la religion baha'ie n'est pas une église, un ordre religieux qui s'impose aux autres. Comme toutes les Révélations avant elles, elle est créatrice de civilisation. C'est cette civilisation qui "régnera sur la terre entière".

Ils ajoutent que les "effrayants dérapages" de l'histoire ne furent jamais le fait d'une religion mais d'êtres avides de pouvoir qui, sous couvert d'une idéologie politique, ont asservi d'autres hommes. Ils précisent que cette idéologie peut être d'origine cléricale ou philosophique, et font enfin remarquer que le XXe siècle, qui se dit a-religieux, abattu, en ce domaine, tous les records. D'autres questions nous étaient également venues au fur à mesure de notre travail, sur des points que nous n'avions pas suffisamment fait éclaircir au cours de notre séjour d'initiation au Mont Carmel. Nous avons donc, avant de poser le point final, adressé un court questionnaire à la Maison Universelle de Justice. Le voici, questions et réponses in extenso:

- Q:
"Peut-il être dans la nature de Dieu de prendre plaisir au luxe des hommes alors qu'il a, lui, créé la nature dans toute sa splendeur? Les sommes considérables investies dans les aménagements ornementaux du Centre Mondial ou la construction de temples comme celui de New Delhi ne seraient-elles pas mieux utilisées si elles aidaient à la réalisation de projets des communautés établies dans des pays défavorisés?"

- R:
"La construction d'édifices tels que le Mausolée du Bab à Haïfa ou les Maisons d'Adoration dans le monde est considérée par les baha'is comme un acte de dévotion en l'honneur des Fondateurs de leur foi. Dans le même esprit, ces édifices sont entourés de superbes jardins. En ce qui concerne les projets de développement dans les pays du tiers monde, de nombreuses fondations et organisations caritatives d'Amérique du Nord et d'Europe sont prêtes, pour ne pas dire ardemment désireuses, à promouvoir des projets de développement dans le monde par le canal des institutions baha'ies. Mais les choix qui gouvernent la dépense des fonds pour de tels projets exigent, dans le cadre baha'i, la participation des personnes concernées à la base. Le progrès dans l'établissement de fondations solides et sûres est nécessairement lent. Aujourd'hui, il existe près de 1500 projets entrepris sous la supervision des baha'is dans 95 pays de tous les continents."

- Q:
"La foi baha'ie condamne toute guerre, toute agression. Mais quelles sont ses prises de position lorsqu'il s'agit de guerres économiques telles qu'elles se livrent actuellement. Il nous a été dit que l'alcool étant absolument interdit, un baha'i ne peut en aucun cas jouer un rôle dans sa fabrication ou sa commercialisation. Il ne pourrait donc y avoir, en France par exemple, de baha'i vigneron. En revanche, nous n'avons pas vu trace de condamnation pour les gens qui vivent des industries de l'armement ou de tout ce qui s'y rattache, moins encore de ceux qui, dans les sociétés multinationales, sont acteurs des guerres économiques. Quelle est, sur ces deux points, la position précise de la Maison Universelle de Justice?"

- R:
"Les enseignements de Baha'u'llah condamnent clairement la guerre entre nations et demandent la démilitarisation du monde. Ceci ne sera pas tant que n'existera pas un super-Etat mondial bien constitué et fonctionnant avec vigueur. Sous un tel gouvernement mondial, des armements seront encore nécessaire pour préserver l'ordre et la sécurité. En attendant l'établissement de ce super-Etat, les peuples du monde connaissent une période de transition avec de nombreuses guerres régionales de dimensions diverses et continuent à en faire l'expérience. Pendant cette période, si une nation aux intentions belliqueuses s'arme jusqu'aux dents, il est naturel que les nations voisines fassent de même pour leur protection et pour décourager un conflit direct. Cette situation est temporaire. Tout en annonçant une période de convulsions et d'agitation, Baha'u'llah a donné l'assurance que le monde mûrit et qu'il atteindra bientôt l'âge adulte, inaugurant une période de paix universelle et de concorde, phase essentielle d'une évolution sociale et politique.

Cette réponse nous a un peu laissés sur notre interrogation, notamment en ce qui concerne les guerres économiques.

- Q:
"Pourquoi n'y a-t-il aucune femme parmi les neuf membres de la Maison de Justice. Ne serait-ce pas une survivance, contraire aux enseignements du Prophète, des ségrégations installées par les juifs, les chrétiens et les musulmans?"

- R:
"C'est dans les écrits de la Foi que l'on trouve l'instruction explicite limitant aux hommes l'appartenance à la Maison Universelle de Justice. Mais cette restriction ne s'applique à aucune autre institution baha'ie présente ou future. Pour les baha'is, ce principe est essentiellement un point de foi. Vous savez sans doute que les Ecrits baha'is demandent aux parents de donner, quand il s'agit d'éducation, la préférence aux filles sur les garçons? Alors que des féministes seraient facilement sensibles à ce principe, tant sur un plan émotionnel qu'intellectuel, il est clair que la majorité de l'humanité aurait du mal a l'accepter.

Au fur à mesure que l'humanité comprendra mieux ses besoins et que les bienfaits que l'on peut tirer de l'application de ce principe seront mieux perçus dans la vie de la communauté baha'ie, sa sagesse deviendra évidente. La raison de la limitation aux hommes de pouvoir servir comme membres de la Maison Universelle de Justice deviendra elle aussi, croyons-nous, évidente dans le futur. Le principe baha'i de l'égalité des droits et des opportunités entre les hommes et les femmes ne repose pas sur l'autorité législative de la Maison Universelle de Justice mais sur le texte de la Parole révélée elle-même. Pour la première fois dans l'histoire, la révélation de Dieu a explicitement établi l'égalité entre hommes et femmes. L'émergence de la femme dans le plein exercice de son égalité est un aspect essentiel de l'âge adulte de l'humanité et sera, croyons-nous, une caractéristique de la civilisation baha'ie."

- Q:
"Peut-on considérer que les sept cents électeurs de la Maison de Justice votent en toute connaissance de cause puisqu'ils n'ont aucun moyen de connaître la totalité de leurs coreligionnaires et que, d'autre part, le plus grand secret entourant les délibérations du conseil, ils ignorent quelle est l'action de chacun à l'intérieur de ce conseil. Ne s'agit-il pas, en fait, d'un poste à vie, puisque l'on constate que sauf décès ou retrait pour cause d'âge avancé ou de fatigue, les mêmes sont réélus depuis la création de la Maison Universelle de Justice?"

- R:
"Il faut se souvenir que les neuf membres de la Maison Universelle de Justice ne sont pas directement élus par la masse des croyants mais par un collège électoral sélectionné, dont les membres sont l'élite de chaque communauté nationale, élus par la base des croyants du pays. Les qualifications pour être membre sont les suivantes: "... seuls ceux qui peuvent le mieux réunir les qualités nécessaires de loyauté incontestable, de dévouement désintéressé, d'esprit bien fait, de mûre expérience et de capacité reconnue..." On demande aux électeurs de se tourner en prière vers Dieu et de choisir, parmi ceux qu'ils savent posséder les qualités mentionnées ci-dessus, les neuf personnes qui les harmonisent le mieux. Alors que jusqu'à maintenant, pendant ces 25 dernières années. les membres ont toujours été réélus, rien ne peut assurer qu'il en sera de même dans le futur, d'autant moins que la communauté mondiale baha'ie, comme tout organisme vivant, atteindra rapidement sa maturité spirituelle et administrative."

- Q:
"N'y aurait-il pas une notion d'infaillibilité attachée aux décisions des neuf membres de la Maison Universelle de Justice, qui joueraient, en quelque sorte, le rôle de "papes" ? Dans le même ordre d'idée, l'obéissance étant une règle de la foi, quelle serait la réaction de la communauté baha'ie si des décisions de la Maison de Justice s'avéraient contraires aux enseignements du Prophète. Comment être sûr que serait impossible une évolution dégénérée qui pourrait, en quelques siècles, comme ce fut le cas pour le christianisme par exemple, transformer une religion non violente et tolérante en religion conquérante et impérialiste?"

- R:
"C'est Baha'u'llah qui a créé l'institution administrative suprême de sa religion et qui lui a donné, en termes incontestables, l'assurance "qu'il leur inspirera ce qu'il veut". Le Christ n'a ni créé la hiérarchie qui devint la structure minutieuse de son Eglise, ni donné l'assurance de sa direction divine à l'institution qui en vint à diriger cette Eglise. Au contraire de la papauté, la Maison Universelle de Justice bénéficie, venant des Fondateurs et de l'Interprète autorisé de la religion baha'ie, d'un ensemble de directives légales, éthiques, sociales et administratives dont elle ne peut dévier et qui forment la fondation de son autorité et de son fonctionnement. Quand les baha'is acceptent Baha'u'llah, ils acceptent aussi le système qu'il a établi, non seulement pour la promotion et la protection de sa foi, mais aussi comme son héritage pour l'humanité: le pivot de l'unicité de l'humanité, de son unité et de sa paix. Il a pourtant prévu l'apparition d'autres Messagers qui, en de futures Dispensations, contribueront à développer et à promouvoir une civilisation en constant progrès qui est inaugurée par la Foi de Baha'u'llah."

Ainsi se termina notre voyage à la rencontre des baha'is. Tour à tour séduits ou agacés, convaincus ou sceptiques, émus parfois, troublés souvent, nous ne l'avons pas achevé tels que nous l'avions commencé. Il nous a en tout cas été donné de voir comment naît et se développe une religion. Ce ne fut pas le moins fascinant. Nous avons découvert Baha'u'llah. Chacun, selon ses propres convictions, peut admettre ou rejeter l'idée qu'il fut un envoyé de Dieu. Mais la lecture de ses écrits, les témoignages sur sa vie démontrent, de manière indubitable, que cet homme fut en tout point exceptionnel. Chemin faisant, nous nous sommes retrouvés confrontés aux problèmes les plus cruciaux de notre temps. Les baha'is y apportaient des réponses que l'on peut contester, mais pas éliminer sans réflexion ni discussion, et c'est en cela que leur foi nous est apparue comme une métaphysique contemporaine. Aux lecteurs qui ont mis leurs pas dans nos pas de poursuivre s'ils le veulent l'enquête et de se faire, le mot pour facile qu'il soit s'impose, une religion sur cette religion.


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