Nota : Cette introduction à la foi baha'ie est un bref passage du "Livre des
Sagesses" retraçant 130 portraits de maîtres spirituels ou de sages de tout horizon
et de toute époque: Moïse, Bouddha, les pères du désert, les lamas tibétains...
avec des questions existentielles et attitudes spirituelles communes à toutes
les sagesses.
1. La naissance d'une religion
"Notre siècle a vu un mouvement religieux tout aussi extraordinaire que ceux d'autrefois,
mouvement qui a provoqué autant d'enthousiasme, qui a eu déjà, toute proportion
gardée, plus de martyrs. Le Babisme a été un phénomène considérable." (Ernest
Renan - Les Apôtres, 1863)
Le mouvement babi, précurseur de la Foi baha'ie, naît dans un contexte messianique
propre à la Perse de la première moitié du XIXe siècle, où une succession de prédicateurs
appelés "Shaykhis" annonçaient le retour imminent du Promis de l'Islam. Parmi
eux, le célèbre fondateur de l'École musulmane shaykhie, Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i
(1753-1826), et son disciple et successeur Siyyid Kazim (1797-1843), dont l'ambition
était de "préparer le coeur des hommes à recevoir la vérité plus complète qui devait
être sous peu révélée [i]". Convaincu que l'Élu de Dieu était sur le point de
se manifester, Siyyid Kazim confia à un de ses disciples, Mulla Husayn (~1813-1849),
la mission de partir à sa recherche.
C'est ainsi qu'en l'an 1844, Mulla Husayn fut le premier à embrasser la cause
de Siyyid 'Ali-Muhammad (1819-1850), appelé le Bab (la Porte), un jeune marchand
de Shiraz en qui des milliers de disciples fervents allaient bientôt reconnaître
le Promis. Lui-même porteur d'une nouvelle révélation divine, le Bab enseigna
à ses disciples qu'un autre envoyé de Dieu, plus éminent que lui, viendrait sous
peu inaugurer une ère qui engendrerait une véritable révolution morale, spirituelle
et sociale.
Les revendications du Bab ainsi que l'ardeur de ses disciples à combattre la corruption
et la déchéance de la société, rencontrèrent un vif succès dans la population
mais suscitèrent aussi colère et hostilité chez le clergé musulman et les autorités
persanes. Le Bab est arrêté et emprisonné et, pendant ce temps, ses écrits se
répandent, tout particulièrement le plus important d'entre eux, le "Bayan" qui
annule la Loi islamique et lui substitue un ensemble de prescriptions très libérales.
Le 9 juillet 1850, après un simulacre de procès, le Bab est fusillé à Tabriz.
La répression qui s'engage fait des milliers de victimes, dans des conditions
atroces. Des témoins de l'époque, dont A.-L.-M. Nicolas [ii], ont laissé des comptes
rendus détaillés de ces événements.
2. La mission de Baha'u'llah
Avec la disparition du Bab, le clergé et le gouvernement croient avoir porté un
coup fatal au mouvement babi. Mais un jeune noble de Téhéran, Mirza Husayn-'Ali
(1817-1892), que l'on appellera Baha'u'llah (la Gloire de Dieu), prend courageusement
la défense de la nouvelle religion. Pressenti à de hautes charges de l'Etat, il
préfère se consacrer à des oeuvres de charité et entreprend de propager la cause
babie. Il en devient vite le plus ardent défenseur, ce qui lui vaut d'être incarcéré
en 1853, dans une prison lugubre de Téhéran, le cachot souterrain du Siyah-Chal.
C'est là que, dans l'attente d'une mort certaine, il reçoit le premier signe de
sa mission : "Une nuit, en rêve, ces paroles exaltées furent entendues de tous
côtés : En vérité, Nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne
t'attriste point de ce qui t'est advenu et n'en sois pas effrayé, car tu es en
sécurité. Sous peu, Dieu fera apparaître les trésors de la terre : des hommes
qui t'aideront par toi-même et par ton nom, grâce auquel Dieu a revivifié le coeur
de ceux qui l'ont reconnu [iii]. "Baha'u'llah attendra toutefois plusieurs années
avant de déclarer publiquement cette mission, qui allait lui coûter sa santé et
ses biens, la vie de son plus jeune fils, et faire de lui l'objet de persécutions
incessantes jusqu'à sa mort.
Relâché de prison, Baha'u'llah est condamné au bannissement et ses biens sont
confisqués. Débutent alors pour lui, quarante années d'exil dont la première étape
le mène à Baghdad, sous contrôle de l'Empire ottoman. Là, Baha'u'llah s'emploie
à reconstruire une communauté babie démoralisée et affaiblie par le martyre du
Bab et de milliers de ses disciples. Sa sagesse, son savoir et sa générosité ne
tardent pas à lui valoir une grande renommée, tant auprès de la population que
de nombreuses personnalités arabes et persanes, qui viennent lui rendre visite
dans sa modeste demeure. Son influence grandit tellement que les autorités persanes
s'en inquiètent et n'ont de cesse d'obtenir du Sultan ottoman son éloignement
des régions frontalières.
En 1863, juste avant d'entamer une nouvelle étape de son exil vers Constantinople,
puis Andrinople, Baha'u'llah annonce sa mission prophétique. Cette mission, il
ne l'a pas choisie : "Je n'étais qu'un homme comme les autres, endormi sur ma
couche, lorsque les brises du Très-Glorieux soufflèrent sur moi et m'enseignèrent
la connaissance de tout ce qui a été. Cette chose n'est pas de moi, mais de celui
qui est tout-puissant et omniscient [iv]." Cible d'accusations et d'insinuations
toujours plus nombreuses de la part de membres des clergés et des gouvernements,
Baha'u'llah est soumis à un emprisonnement beaucoup plus sévère dans un lieu à
l'écart des zones de grands peuplements, la forteresse de Saint-Jean-d'Acre en
Palestine (Akko), une colonie pénitentiaire connue pour son insalubrité et ses
mauvaises conditions de détention. Là, comme partout ailleurs, sa renommée et
le comportement exemplaire de ses fidèles, les baha'is, viennent à bout de la
mauvaise réputation qui les précédait et, en 1892, Baha'u'llah s'éteint à Bahji,
à proximité de 'Akka (Akko). Il a laissé au monde de nombreux textes qui précisent
ce que sont les buts et les objectifs véritables de la religion, et qui énoncent
les moyens de parvenir au "royaume de Dieu sur terre".
3. La nature de l'homme
La nature de l'homme est spirituelle et constituée de potentialités qui ne peuvent
se développer pleinement que dans le cadre d'une vie spirituelle organisée. Dans
l'homme, Dieu a enfoui "un dépôt divin" constitué par les "noms et attributs"
de sa nature divine, c'est-à-dire par les qualités que nous attribuons habituellement
à Dieu : amour, miséricorde, justice, compassion, etc. Ces qualités sont comme
des gemmes précieuses qu'il convient d'abord d'extraire de la mine, puis de tailler
et polir, et enfin de préserver des pollutions de la vie matérielle par le maintien
d'une attitude de détachement.
Au-delà de la vie, n'existent ni enfer ni paradis, mais une succession d'états
spirituels que l'âme parcourt dans un voyage vers la perfection, lequel ne prendra
jamais fin et s'effectuera à travers des mondes successifs qui représentent des
horizons ontologiques de plus en plus grands. Ainsi l'âme se rapproche de plus
en plus de Dieu sans jamais pouvoir l'atteindre.
4. Le couronnement de l'évolution humaine
L'histoire de l'humanité serait un processus de développement des capacités latentes
dans la nature humaine, notre histoire passée étant le récit de notre enfance
et de notre adolescence collectives. Vue sous cet angle, "la révélation de Baha'u'llah,
dont la mission suprême n'est autre que d'accomplir cette unité organique et spirituelle
de l'ensemble des nations, devrait être considérée comme marquant l'entrée dans
l'âge adulte de la race humaine tout entière [v]." Les Etats-nations ayant désormais
atteint leurs limites de développement, l'humanité doit prendre conscience de
son unité propre et concrétiser celle-ci en s'engageant dans un processus d'intégration
entre les nations.
Porteur d'une révélation divine, Baha'u'llah a ainsi "jeté les fondements d'une
société planétaire qui reflète l'unicité de la nature humaine [vi]". Ses enseignements
nous conduisent à reconsidérer tous les aspects de l'expérience humaine pour relever
les défis actuels, qui sont pour la plupart d'ordre mondial et universel et non
plus régional et particulier.
5. L'unité et la justice
Selon les écrits baha'is, la nouvelle organisation planétaire devra s'appuyer
sur des concepts et des moyens qui visent tous à développer, chez les individus
et les peuples, la conscience de leur unité fondamentale. Cette unité, selon Baha'u'llah,
ne reposera sur des bases solides que si elle s'appuie sur les notions d'unicité
de Dieu, d'unité des religions et d'unité du genre humain.
L'unicité de Dieu exclut toute forme de multiplicité comme celle que propose la
conception trinitaire chrétienne, du moins dans sa forme ontologique, et toute
forme de panthéisme : créateur et origine ultime de toute existence, Dieu n'est
ni la somme des étants ni l'être lui-même.
L'unité des religions consiste à reconnaître que Dieu se révèle progressivement,
que tous les fondateurs des grandes religions - Moïse, Zoroastre, Bouddha, Jésus,
Muhammad et d'autres - ont véritablement reçu l'inspiration divine, que leurs
enseignements correspondaient aux besoins de leur époque, et que c'est par leur
intermédiaire que le genre humain a cheminé au cours des siècles vers l'intégration
de ses composantes, jusqu'à l'étape actuelle de sa maturité.
Enfin, il est essentiel, pour établir la paix entre les peuples, d'affirmer l'unité
du genre humain et d'enchâsser ce principe dans des chartes universelles de droits
et responsabilités : "Le bien-être de l'humanité, sa paix et sa sécurité ne pourront
être obtenus tant que son unité n'est pas fermement établie [vii]" D'où l'importance,
maintes fois soulignée dans les enseignements sociaux de la Foi baha'ie, de combattre
les préjugés, qu'ils soient d'ordre racial, religieux, culturel ou autre, de proclamer
sans équivoque l'égalité des sexes, et d'assurer le partage des richesses et des
ressources de la planète. Ces principes s'appuient sur l'idée de justice, "la
seule force qui puisse transformer la conscience naissante de l'unité de l'humanité
en une volonté collective capable d'ériger sereinement les structures nécessaires
à une vie communautaire mondiale [viii]".
Pour instaurer la justice, Baha'u'llah préconise une structure institutionnelle
permettant d'organiser et de soutenir l'action collective. Et c'est dans ce cadre
qu'il fait de la concertation entre les individus et entre les peuples - que Baha'u'llah
appelle la "consultation" - l'outil par excellence pour éclairer toute question.
Enrichie par la conscience grandissante de l'unité organique de l'humanité, la
consultation permettra aux nations du monde de puiser dans la richesse de leur
patrimoine commun afin d'y trouver des solutions satisfaisantes aux nombreux problèmes
de notre époque. La recherche de la justice exige également de réhabiliter le
dialogue entre la science et la religion, et d'adopter, à l'échelle mondiale,
des mesures destinées à rendre l'éducation accessible à tous et à toutes. L'accès
universel à la connaissance contribuera grandement à développer les capacités
individuelles et collectives, et à faire progressivement disparaître les préjugés.
6. Le dessein de la religion
Les règles et les principes énoncés par Baha'u'llah montrent son intention évidente
de fonder un véritable système spirituel, et non de proposer une simple philosophie
mystique. Tout en affirmant que le lien mystique entre l'individu et Dieu est
au coeur même de la spiritualité, Baha'u'llah soutient que la religion poursuit
également un but social et collectif : "Le dessein de Dieu en envoyant ses prophètes
aux hommes est double. Le premier est de libérer les enfants des hommes des ténèbres
de l'ignorance, de les guider vers la lumière de la vraie compréhension. Le second
est d'assurer la paix et la tranquillité de l'humanité, en lui fournissant tous
les moyens par lesquels cette paix peut être établie [ix]."
Dans la conception baha'ie, l'être humain, dont la finalité et le sens de la vie
consistent à connaître et à adorer Dieu, est invité à établir et à maintenir une
relation personnelle avec Dieu, grâce à la prière, à la méditation et à d'autres
pratiques spirituelles. La collectivité humaine, pour sa part, doit "travailler
à l'établissement et à l'amélioration constante de la civilisation [x]", en suivant
les préceptes révélés par les messagers de Dieu.
La religion a, selon Baha'u'llah, un but pratique et concret ; elle n'est pas
une fin en soi. Elle doit servir à établir des relations authentiques, d'une part
entre Dieu et l'homme, et d'autre part entre les êtres humains, et non à promouvoir
la croyance en une idéologie : "Le dessein fondamental qui anime la foi de Dieu
et sa religion est de sauvegarder les intérêts et de promouvoir l'unité de la
race humaine, de stimuler l'esprit d'amour et de fraternité parmi les hommes.
N'acceptez pas qu'il devienne une source de dissension et de discorde, de haine
et d'inimitié [xi]."
S'inscrivant dans la lignée des prophètes monothéistes et auteur d'une religion
universelle à caractère profondément social, Baha'u'llah rejoint les grands courants
mystiques qui voient, dans le véritable mysticisme, l'éveil de la conscience à
des états supérieurs. Il renouvelle l'alliance entre Dieu et l'humanité, et fait
cette promesse : accepter d'être guidés par l'autorité spirituelle de la révélation
divine fournira, tant à chaque être humain qu'à l'ensemble des peuples du monde,
la force morale nécessaire à l'édification de la civilisation mondiale.
Notes
i. Muhammad-i-Zarandi, La chronique de Nabil, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies,
1986, p. 15.
ii. A.-L.-M. Nicolas : consul à Tauris, puis à Tiflis, il s'est voué à l'étude
des réformateurs persans du commencement du XIXe siècle.
iii. Baha'u'llah, Epistle to the Son of the Wolf, Wilmette, Baha'i Publishing
Trust, 1979, p. 21 (traduction provisoire).
iv. Baha'u'llah, Thornhill, Publications Baha'i Canada, 1999, p. 50.
v. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions
baha'ies, 1993, p. 152.
vi. Écrire l'avenir, Thornhill, Publications Baha'i Canada, 1999, p. 6.
vii. Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions
baha'ies, 1979, p. 189.
viii. Vers une humanité prospère, Thornhill, Publications Baha'i Canada, 1995,
p. 9.
ix. Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions
baha'ies, 1979, p. 54.
x. Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions
baha'ies, 1979, p. 141.
xi. Baha'u'llah, Les Tablettes de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies,
1994, p. 176-177.