Médiathèque baha'ie

Le Bab, Baha'u'llah et la foi baha'ie

par William S. Hatcher
avec Lyne-Andrée Mathieu et Élizabeth Wright
Extrait du "Livre des Sagesses, l'aventure spirituelle de l'Humanité"
de M. Lenoir


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Table des matières

1. La naissance d'une religion
2. La mission de Baha'u'llah
3. La nature de l'homme
4. Le couronnement de l'évolution humaine
5. L'unité et la justice
6. Le dessein de la religion
Notes

Nota : Cette introduction à la foi baha'ie est un bref passage du "Livre des Sagesses" retraçant 130 portraits de maîtres spirituels ou de sages de tout horizon et de toute époque: Moïse, Bouddha, les pères du désert, les lamas tibétains... avec des questions existentielles et attitudes spirituelles communes à toutes les sagesses.


1. La naissance d'une religion

"Notre siècle a vu un mouvement religieux tout aussi extraordinaire que ceux d'autrefois, mouvement qui a provoqué autant d'enthousiasme, qui a eu déjà, toute proportion gardée, plus de martyrs. Le Babisme a été un phénomène considérable." (Ernest Renan - Les Apôtres, 1863)

Le mouvement babi, précurseur de la Foi baha'ie, naît dans un contexte messianique propre à la Perse de la première moitié du XIXe siècle, où une succession de prédicateurs appelés "Shaykhis" annonçaient le retour imminent du Promis de l'Islam. Parmi eux, le célèbre fondateur de l'École musulmane shaykhie, Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i (1753-1826), et son disciple et successeur Siyyid Kazim (1797-1843), dont l'ambition était de "préparer le coeur des hommes à recevoir la vérité plus complète qui devait être sous peu révélée [i]". Convaincu que l'Élu de Dieu était sur le point de se manifester, Siyyid Kazim confia à un de ses disciples, Mulla Husayn (~1813-1849), la mission de partir à sa recherche.

C'est ainsi qu'en l'an 1844, Mulla Husayn fut le premier à embrasser la cause de Siyyid 'Ali-Muhammad (1819-1850), appelé le Bab (la Porte), un jeune marchand de Shiraz en qui des milliers de disciples fervents allaient bientôt reconnaître le Promis. Lui-même porteur d'une nouvelle révélation divine, le Bab enseigna à ses disciples qu'un autre envoyé de Dieu, plus éminent que lui, viendrait sous peu inaugurer une ère qui engendrerait une véritable révolution morale, spirituelle et sociale.

Les revendications du Bab ainsi que l'ardeur de ses disciples à combattre la corruption et la déchéance de la société, rencontrèrent un vif succès dans la population mais suscitèrent aussi colère et hostilité chez le clergé musulman et les autorités persanes. Le Bab est arrêté et emprisonné et, pendant ce temps, ses écrits se répandent, tout particulièrement le plus important d'entre eux, le "Bayan" qui annule la Loi islamique et lui substitue un ensemble de prescriptions très libérales. Le 9 juillet 1850, après un simulacre de procès, le Bab est fusillé à Tabriz. La répression qui s'engage fait des milliers de victimes, dans des conditions atroces. Des témoins de l'époque, dont A.-L.-M. Nicolas [ii], ont laissé des comptes rendus détaillés de ces événements.


2. La mission de Baha'u'llah

Avec la disparition du Bab, le clergé et le gouvernement croient avoir porté un coup fatal au mouvement babi. Mais un jeune noble de Téhéran, Mirza Husayn-'Ali (1817-1892), que l'on appellera Baha'u'llah (la Gloire de Dieu), prend courageusement la défense de la nouvelle religion. Pressenti à de hautes charges de l'Etat, il préfère se consacrer à des oeuvres de charité et entreprend de propager la cause babie. Il en devient vite le plus ardent défenseur, ce qui lui vaut d'être incarcéré en 1853, dans une prison lugubre de Téhéran, le cachot souterrain du Siyah-Chal. C'est là que, dans l'attente d'une mort certaine, il reçoit le premier signe de sa mission : "Une nuit, en rêve, ces paroles exaltées furent entendues de tous côtés : En vérité, Nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne t'attriste point de ce qui t'est advenu et n'en sois pas effrayé, car tu es en sécurité. Sous peu, Dieu fera apparaître les trésors de la terre : des hommes qui t'aideront par toi-même et par ton nom, grâce auquel Dieu a revivifié le coeur de ceux qui l'ont reconnu [iii]. "Baha'u'llah attendra toutefois plusieurs années avant de déclarer publiquement cette mission, qui allait lui coûter sa santé et ses biens, la vie de son plus jeune fils, et faire de lui l'objet de persécutions incessantes jusqu'à sa mort.

Relâché de prison, Baha'u'llah est condamné au bannissement et ses biens sont confisqués. Débutent alors pour lui, quarante années d'exil dont la première étape le mène à Baghdad, sous contrôle de l'Empire ottoman. Là, Baha'u'llah s'emploie à reconstruire une communauté babie démoralisée et affaiblie par le martyre du Bab et de milliers de ses disciples. Sa sagesse, son savoir et sa générosité ne tardent pas à lui valoir une grande renommée, tant auprès de la population que de nombreuses personnalités arabes et persanes, qui viennent lui rendre visite dans sa modeste demeure. Son influence grandit tellement que les autorités persanes s'en inquiètent et n'ont de cesse d'obtenir du Sultan ottoman son éloignement des régions frontalières.

En 1863, juste avant d'entamer une nouvelle étape de son exil vers Constantinople, puis Andrinople, Baha'u'llah annonce sa mission prophétique. Cette mission, il ne l'a pas choisie : "Je n'étais qu'un homme comme les autres, endormi sur ma couche, lorsque les brises du Très-Glorieux soufflèrent sur moi et m'enseignèrent la connaissance de tout ce qui a été. Cette chose n'est pas de moi, mais de celui qui est tout-puissant et omniscient [iv]." Cible d'accusations et d'insinuations toujours plus nombreuses de la part de membres des clergés et des gouvernements, Baha'u'llah est soumis à un emprisonnement beaucoup plus sévère dans un lieu à l'écart des zones de grands peuplements, la forteresse de Saint-Jean-d'Acre en Palestine (Akko), une colonie pénitentiaire connue pour son insalubrité et ses mauvaises conditions de détention. Là, comme partout ailleurs, sa renommée et le comportement exemplaire de ses fidèles, les baha'is, viennent à bout de la mauvaise réputation qui les précédait et, en 1892, Baha'u'llah s'éteint à Bahji, à proximité de 'Akka (Akko). Il a laissé au monde de nombreux textes qui précisent ce que sont les buts et les objectifs véritables de la religion, et qui énoncent les moyens de parvenir au "royaume de Dieu sur terre".


3. La nature de l'homme

La nature de l'homme est spirituelle et constituée de potentialités qui ne peuvent se développer pleinement que dans le cadre d'une vie spirituelle organisée. Dans l'homme, Dieu a enfoui "un dépôt divin" constitué par les "noms et attributs" de sa nature divine, c'est-à-dire par les qualités que nous attribuons habituellement à Dieu : amour, miséricorde, justice, compassion, etc. Ces qualités sont comme des gemmes précieuses qu'il convient d'abord d'extraire de la mine, puis de tailler et polir, et enfin de préserver des pollutions de la vie matérielle par le maintien d'une attitude de détachement.

Au-delà de la vie, n'existent ni enfer ni paradis, mais une succession d'états spirituels que l'âme parcourt dans un voyage vers la perfection, lequel ne prendra jamais fin et s'effectuera à travers des mondes successifs qui représentent des horizons ontologiques de plus en plus grands. Ainsi l'âme se rapproche de plus en plus de Dieu sans jamais pouvoir l'atteindre.


4. Le couronnement de l'évolution humaine

L'histoire de l'humanité serait un processus de développement des capacités latentes dans la nature humaine, notre histoire passée étant le récit de notre enfance et de notre adolescence collectives. Vue sous cet angle, "la révélation de Baha'u'llah, dont la mission suprême n'est autre que d'accomplir cette unité organique et spirituelle de l'ensemble des nations, devrait être considérée comme marquant l'entrée dans l'âge adulte de la race humaine tout entière [v]." Les Etats-nations ayant désormais atteint leurs limites de développement, l'humanité doit prendre conscience de son unité propre et concrétiser celle-ci en s'engageant dans un processus d'intégration entre les nations.

Porteur d'une révélation divine, Baha'u'llah a ainsi "jeté les fondements d'une société planétaire qui reflète l'unicité de la nature humaine [vi]". Ses enseignements nous conduisent à reconsidérer tous les aspects de l'expérience humaine pour relever les défis actuels, qui sont pour la plupart d'ordre mondial et universel et non plus régional et particulier.


5. L'unité et la justice

Selon les écrits baha'is, la nouvelle organisation planétaire devra s'appuyer sur des concepts et des moyens qui visent tous à développer, chez les individus et les peuples, la conscience de leur unité fondamentale. Cette unité, selon Baha'u'llah, ne reposera sur des bases solides que si elle s'appuie sur les notions d'unicité de Dieu, d'unité des religions et d'unité du genre humain.

L'unicité de Dieu exclut toute forme de multiplicité comme celle que propose la conception trinitaire chrétienne, du moins dans sa forme ontologique, et toute forme de panthéisme : créateur et origine ultime de toute existence, Dieu n'est ni la somme des étants ni l'être lui-même.

L'unité des religions consiste à reconnaître que Dieu se révèle progressivement, que tous les fondateurs des grandes religions - Moïse, Zoroastre, Bouddha, Jésus, Muhammad et d'autres - ont véritablement reçu l'inspiration divine, que leurs enseignements correspondaient aux besoins de leur époque, et que c'est par leur intermédiaire que le genre humain a cheminé au cours des siècles vers l'intégration de ses composantes, jusqu'à l'étape actuelle de sa maturité.

Enfin, il est essentiel, pour établir la paix entre les peuples, d'affirmer l'unité du genre humain et d'enchâsser ce principe dans des chartes universelles de droits et responsabilités : "Le bien-être de l'humanité, sa paix et sa sécurité ne pourront être obtenus tant que son unité n'est pas fermement établie [vii]" D'où l'importance, maintes fois soulignée dans les enseignements sociaux de la Foi baha'ie, de combattre les préjugés, qu'ils soient d'ordre racial, religieux, culturel ou autre, de proclamer sans équivoque l'égalité des sexes, et d'assurer le partage des richesses et des ressources de la planète. Ces principes s'appuient sur l'idée de justice, "la seule force qui puisse transformer la conscience naissante de l'unité de l'humanité en une volonté collective capable d'ériger sereinement les structures nécessaires à une vie communautaire mondiale [viii]".

Pour instaurer la justice, Baha'u'llah préconise une structure institutionnelle permettant d'organiser et de soutenir l'action collective. Et c'est dans ce cadre qu'il fait de la concertation entre les individus et entre les peuples - que Baha'u'llah appelle la "consultation" - l'outil par excellence pour éclairer toute question. Enrichie par la conscience grandissante de l'unité organique de l'humanité, la consultation permettra aux nations du monde de puiser dans la richesse de leur patrimoine commun afin d'y trouver des solutions satisfaisantes aux nombreux problèmes de notre époque. La recherche de la justice exige également de réhabiliter le dialogue entre la science et la religion, et d'adopter, à l'échelle mondiale, des mesures destinées à rendre l'éducation accessible à tous et à toutes. L'accès universel à la connaissance contribuera grandement à développer les capacités individuelles et collectives, et à faire progressivement disparaître les préjugés.


6. Le dessein de la religion

Les règles et les principes énoncés par Baha'u'llah montrent son intention évidente de fonder un véritable système spirituel, et non de proposer une simple philosophie mystique. Tout en affirmant que le lien mystique entre l'individu et Dieu est au coeur même de la spiritualité, Baha'u'llah soutient que la religion poursuit également un but social et collectif : "Le dessein de Dieu en envoyant ses prophètes aux hommes est double. Le premier est de libérer les enfants des hommes des ténèbres de l'ignorance, de les guider vers la lumière de la vraie compréhension. Le second est d'assurer la paix et la tranquillité de l'humanité, en lui fournissant tous les moyens par lesquels cette paix peut être établie [ix]."

Dans la conception baha'ie, l'être humain, dont la finalité et le sens de la vie consistent à connaître et à adorer Dieu, est invité à établir et à maintenir une relation personnelle avec Dieu, grâce à la prière, à la méditation et à d'autres pratiques spirituelles. La collectivité humaine, pour sa part, doit "travailler à l'établissement et à l'amélioration constante de la civilisation [x]", en suivant les préceptes révélés par les messagers de Dieu.

La religion a, selon Baha'u'llah, un but pratique et concret ; elle n'est pas une fin en soi. Elle doit servir à établir des relations authentiques, d'une part entre Dieu et l'homme, et d'autre part entre les êtres humains, et non à promouvoir la croyance en une idéologie : "Le dessein fondamental qui anime la foi de Dieu et sa religion est de sauvegarder les intérêts et de promouvoir l'unité de la race humaine, de stimuler l'esprit d'amour et de fraternité parmi les hommes. N'acceptez pas qu'il devienne une source de dissension et de discorde, de haine et d'inimitié [xi]."

S'inscrivant dans la lignée des prophètes monothéistes et auteur d'une religion universelle à caractère profondément social, Baha'u'llah rejoint les grands courants mystiques qui voient, dans le véritable mysticisme, l'éveil de la conscience à des états supérieurs. Il renouvelle l'alliance entre Dieu et l'humanité, et fait cette promesse : accepter d'être guidés par l'autorité spirituelle de la révélation divine fournira, tant à chaque être humain qu'à l'ensemble des peuples du monde, la force morale nécessaire à l'édification de la civilisation mondiale.


Notes

i. Muhammad-i-Zarandi, La chronique de Nabil, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1986, p. 15.

ii. A.-L.-M. Nicolas : consul à Tauris, puis à Tiflis, il s'est voué à l'étude des réformateurs persans du commencement du XIXe siècle.

iii. Baha'u'llah, Epistle to the Son of the Wolf, Wilmette, Baha'i Publishing Trust, 1979, p. 21 (traduction provisoire).

iv. Baha'u'llah, Thornhill, Publications Baha'i Canada, 1999, p. 50.

v. Shoghi Effendi, L'ordre mondial de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1993, p. 152.

vi. Écrire l'avenir, Thornhill, Publications Baha'i Canada, 1999, p. 6.

vii. Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1979, p. 189.

viii. Vers une humanité prospère, Thornhill, Publications Baha'i Canada, 1995, p. 9.

ix. Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1979, p. 54.

x. Baha'u'llah, Extraits des Écrits de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1979, p. 141.

xi. Baha'u'llah, Les Tablettes de Baha'u'llah, Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 1994, p. 176-177.

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