La perle inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani


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Chapitre 9. La guerre

En relisant mon journal (je n'ai cité qu'une faible partie des centaines de pages que j'ai écrites au cours des ans), il me paraît étrange de ne voir pratiquement aucune référence a la Guerre mondiale qui a fait rage partout pendant presque six ans et qui a constitué une menace terrible pour la sécurité du Centre Mondial et en particulier le Gardien, en tant que Chef de la foi. Ce vide, plus que toute autre chose témoigne éloquemment des commotions intérieures qu'il a traversées pendant ces années. Les pressions quotidiennes et le travail, l'inquiétude et l'épuisement étaient si grands qu'ils laissaient a l'arrière plan la mention de cette menace et de cette anxiété. Shoghi Effendi était un grand observateur de la conjoncture politique et suivait assidûment tous les événements. Son intelligence et ses facultés analytiques ne lui permettaient pas de se bercer de quelques fausses complaisances, y compris par l'idée infantile que certains ont sur la signification de "la foi". Il savait très bien qu'avoir "la foi en Dieu" ne veut pas dire qu'on ne doit pas se servir de la raison, évaluer le danger, anticiper les mouvements, prendre les décisions appropriées lors d'une crise.

C'est avec une grande répugnance que je parle de la vie privée du Gardien, si innocente, si pleine d'épreuves. Deux considérations me poussent néanmoins a le faire. La première c'est que tant qu'on ne saisit pas, ne serait ce qu'en un léger aperçu, ce qu'il fut en tant qu'être humain, on ne pourra réellement apprécier la grandeur de ses oeuvres. La seconde est que toute personne de renom est sujette, le long des siècles, a des recherches historiques poussées jusqu'aux détails; beaucoup de choses dans les notes trouvées ici ou la seront mises en lumière. S'il n'y a pas un témoin pour les expliquer, elles seront vraisemblablement mal interprétées et donneront lieu a de sottes légendes nées de la pure imagination.

A l'époque où Shoghi Effendi invita mon père a venir avec nous, après la mort inattendue de ma mère en Argentine en 1940, le Gardien avait décidé, pour des raisons personnelles de se rendre en Angleterre. Il est presque impossible de donner une image des difficultés qu'un tel déplacement, a un tel moment de l'histoire, impliquait a ceux qui n'étaient pas sur le théâtre de la guerre au Moyen-Orient européen. Malgré le prestige et l'influence du Gardien, les Autorités de la Palestine ne pouvaient donner aucun visa pour l'Angleterre. Notre demande de visa fut donc transmise a Londres.

Shoghi Effendi fit aussi appel a son viel ami, Lord Lemington, et lui demanda d'utiliser ses bons offices pour qu'un visa nous soit donné. Entre temps, il devint impératif pour nous de partir tout de suite pour l'Angleterre, si jamais nous devions y arriver. Les autorités de la Palestine n'avaient encore reçu aucune réponse et la réponse du Lord Lemington tardait a nous parvenir. Poussé par des forces qui l'animaient si mystérieusement dans toutes ses décisions, le Gardien décida de partir pour l'Italie, pays pour lequel nous avions obtenu un visa. Nous quittâmes donc Haïfa, le 15 mai, sur un petit et malodorant aquaplane italien. La mer nous éclaboussait par dessus bords et nous avions les pieds dans l'eau comme dans un vieux canot a rames. Nous arrivâmes quelques jours plus tard a Rome. Je partis pour Gênes accueillir mon père qui arrivait au dernier voyage que fit le "SS Rex" en tant que transporteur de passagers.

A notre retour, le Gardien nous envoya, mon père et moi, au Consulat britannique pour nous enquérir si, par hasard, notre visa avait été transmis de la Palestine. Il n'en était rien. Le Consul nous dit qu'il ne pouvait pas nous donner de visa car toutes les autorisations devaient venir de Londres et qu'il n'était plus en mesure de contacter son Gouvernement! Nous retournâmes avec cette mauvaise nouvelle. Il nous y envoya une nouvelle fois. Naturellement nous lui obéirent, parce qu'il était le Gardien. Mais ni mon père, ni moi ne voyions ce que nous pouvions faire de plus que, ce que nous avions déjà fait. Nous nous trouvâmes donc, une nouvelle fois, assis devant le Consul, lui disant et redisant les mêmes choses. Incidemment, je dis que Shoghi Effendi était le petit-fils de Sir 'Abdu'l-Baha 'Abbas. J'avais naturellement déjà dit qu'il était le Chef de la foi baha'ie etc... Le Consul me regarda et me dit "je me souviens d'Abdu'l-Baha"... et il raconta les quelques contacts qu'il avait eu avec le Maître.

Il était, de toute évidence, très ému par ces souvenirs. Il prit nos passeports, y apposa un visa pour l'Angleterre et dit qu'il n'avait pas le droit de le faire et que ce visa n'était pas valable, mais que c'était tout ce qu'il pouvait faire pour nous. Si nous voulions essayer d'entrer en Angleterre, cela nous regardait, mais nous risquerions d'être refusés. Nous partîmes aussitôt pour la France, passant a Menton le 25 mai et, continuant sur Marseille. Quelques jours plus tard, l'Italie entrait en guerre contre les Alliés.

Il est difficile de décrire la période qui suivit. Tout l'épisode ressemblait a un vrai cauchemar, un cauchemar personnel pour nous, un cauchemar géant où était plongée l'Europe. Nous primes le train pour Paris. A chaque gare une foule de réfugiés fuyait devant le front croulant du Nord. Il n'y avait aucun moyen d'obtenir des informations précises. Le chaos descendait. A Paris, nous découvrîmes avec consternation que tous les ports pour l'Angleterre étaient fermés. Il nous restait un espoir pour aller en Angleterre, un espoir qui diminuait d'heure en heure, c'était St. Malo. Nous attendîmes une semaine a St. Malo avec des centaines d'autres personnes essayant de rentrer chez elles, en Angleterre. Finalement deux bateaux se présentèrent.

Je ne vis jamais le Gardien dans un état pareil qu'en ces jours. Du matin au soir, il restait assis, coi, immobile comme une statue de pierre et j'avais l'impression qu'il se consumait comme se consume une chandelle. Deux fois par jour il m'envoyait avec mon père a la compagnie de navigation, au port, pour nous enquérir des nouvelles d'un éventuel bateau. Deux fois par jour nous revenions dire "pas de nouvelles". Il peut paraître étrange aux autres que Shoghi Effendi ait été si inquiet. Mais une raison comme la sienne était infiniment plus équipée que la nôtre pour comprendre le danger de la situation. Et, Dieu sait si j'étais malade d'inquiétude. Mon père et moi étions encore sous le choc de la mort soudaine de ma mère et cela, ajouté a toutes les autres choses, rendait mon père, pour le moins, paralysé. Quant au Gardien il se rendait compte que s'il tombait dans les mains des Nazis, qui avaient déjà interdit la Cause dans leur propre pays et qui étaient étroitement liés avec le grand Mufti de Jérusalem (le grand Mufti était activement engagé dans la politique et était l'ennemi déclaré du Gardien), il serait vraisemblablement emprisonné, sinon pire, et que la Cause elle-même serait laissée sans leader, ni personne pour encourager et diriger le monde baha'i a cette époque de chaos mondial.

Il me paraît que la situation était très similaire a ces jours où le Maître, a 'Akka, était en danger d'être déporté vers une nouvelle terre d'exil et où il attendait les nouvelles d'un bateau. Nous embarquâmes finalement dans le premier des deux bateaux venus, dans la nuit du 2 juin, pour évacuer les personnes échouées a St. Malo. Nous navigâmes dans l'obscurité complète pour Southampton où nous arrivâmes le lendemain matin. Le lendemain de notre départ, les Allemands je m'en souviens, marchaient sur St. Malo.

Nous eûmes presque autant de difficultés pour sortir de l'Angleterre que pour y entrer. C'était a l'époque de la grande campagne "l'évacuation des enfants". Ils avaient la priorité absolue. C'était seulement grâce a la position de Shoghi Effendi et de l'amitié de mon père avec le Haut Commissaire Canadien a Londres que nous réussîmes a obtenir des places sur le "SS Cape Town Castle', a destination de Cap Town, en Afrique du Sud, le 28 juillet. On nous laissa, une fois quittés, sous bonne escorte, les rivages anglais. Je me rappelle, J'observais les étranges zigzags du sillage du navire sur la mer, alors qu'il poursuivait une course fantastique pour être une cible moins vulnérable aux sous-marins. Comme l'entrée en guerre de l'Italie avait fermé la Méditerranée aux bateaux alliés, la route a travers l'Afrique était la seule ouverte pour revenir en Palestine. Shoghi Effendi avait déjà parcouru l'Afrique, une fois, au début de son Gardiennat.

En septembre 1929, il s'était embarqué en Angleterre pour le Cap Town, puis il était parti de Cap Town au Caire, en majeure partie par la route. Mais a cette époque, il n'avait pu obtenir un visa pour le Congo belge qui le fascinait. Son esprit aventureux, son amour des beautés scéniques, l'attiraient vers les hautes montagnes et les forêts profondes de la terre, et l'avaient poussé a entreprendre son voyage précédent. Maintenant, au beau milieu de la guerre, par une sorte de miracle, nous obtînmes un visa pour le Congo belge. Quand nous arrivâmes a Stanleyville, nous fîmes une excursion dans la forêt vierge. Je m'aperçus alors que c'était l'amour de Shoghi Effendi pour les beautés naturelles qui avait été une des raisons qui l'avaient conduit la. Il voulait voir la forêt en fleurs. Hélas, ce n'était ni l'endroit ni la saison pour la voir. Et nous continuâmes notre chemin, déçus.

Shoghi Effendi, soucieux de la santé de mon père (il avait alors soixante-six ans et était de santé fragile) ne lui permit pas de nous accompagner par la route et nous le laissâmes dans un hôtel a Durban, en attendant qu'il puisse prendre un avion.

La liste d'attente était très longue et les personnes non gouvernementales ou non militaires devaient laisser leur place aux prioritaires. C'est pendant ces jours d'attente que mon père dessina la pierre tombale de ma mère, non seulement selon ses idées et les miennes mais avec des suggestions faites par Shoghi Effendi pour son embellissement.

Après un voyage en voiture de trois jours de Stanleyville a Juba, au Soudan, suivi d'une descente du Nil en barque, nous arrivâmes a Khartoum qui est, en ce qui me concerne, l'endroit le plus chaud du monde. Nous étions assis sous le porche de notre hôtel, après le dîner, quand un groupe de passagers, venu passer la nuit, sortit de l'obscurité et parmi eux M. W.S. Maxwell! En fait, c'était un étrange hasard d'être réunis au coeur de l'Afrique, et c'était également rassurant car aucun de nous n'avait la moindre idée de l'endroit où se trouvait l'autre et nous n'avions aucun moyen de prendre contact. A Durban, Shoghi Effendi avait simplement dit a mon père d'aller dans un hôtel a Nazareth et de nous y attendre afin que nous puissions retourner ensemble a Haïfa.

Le premier octobre, a notre grande surprise, le Gouverneur Général Sir Stewart Symes, nous invita a déjeuner au Palais. Après avoir renoué connaissance avec le Gouverneur, nous continuâmes notre route vers le Caire et la Palestine, rencontrant mon père, comme prévu et retournant a Haïfa, presque six mois après notre départ. On imagine très bien qu'un tel voyage chargé d'inquiétude, d'attente, de dangers du début jusqu'à la fin était en lui-même une grande expérience épuisante. Shoghi Effendi ne visita jamais l'Hémisphère occidental, n'alla pas plus loin que Damas, a l'Est. Mais il est intéressant de noter qu'il traversa l'Afrique deux fois du Sud au Nord.

Comme les Baha'is britanniques auraient été étonnés et émus, s'ils avaient su que lorsque le Gardien envoyait le 27 décembre 1940, le câble suivant a leur Assemblée Nationale "Télégraphiez sécurité amis Londres, Manchester - Prie constamment admiration affectueuse", il venait lui-même d'échapper de justesse au grand bombardement sur Londres, et a peine de réussir a rentrer en Terre Sainte!

Les années qui suivirent notre retour en Palestine comportèrent de graves dangers pour la Terre Sainte, dangers qui menacèrent le Centre Mondial de la foi et son Gardien, en même temps que les Baha'is de nombreux pays.

(Photo)

Imprégnés des enseignements depuis son enfance, compagnon alerte et observateur de son grand-père, Shoghi Effendi semble avoir été toujours conscient de ce qu'il appela "les premières perturbations d'une catastrophe secouant le monde qui attend une humanité incroyante". Tout en prévoyant une autre guerre, il n'avait pas vécu dans un état constant de fausse urgence. Il rassura Martha Root qui, en 1937, lui écrivit d'Europe, exprimant ses craintes a ce sujet. Il lui répondit en effet: "En ce qui concerne l'éventualité d'une guerre qui, éclaterait en Europe, ne vous en inquiétez pas et ne vous en souciez pas du tout. Cette perspective est lointaine et le danger pour le futur immédiat inexistant". Et pourtant la même année, il affirmait qu'un autre conflit mortel devenait de plus en plus inévitable.

Il préparait constamment les Baha'is a affronter le fait qu'une conflagration mondiale allait venir. En 1938, il écrivait: "Les deux processus jumeaux de désintégration interne et de chaos extérieur s'accélèrent et, chaque jour, nous marchons inexorablement vers leur point culminant. Les grondements sourds qui précèdent l'éruption de ces forces qui doivent faire 'trembler les membres de l'humanité' peuvent déjà s'entendre. 'Le temps de la fin' 'les dernières années' prédits par les Ecritures, sont enfin sur nous". Et dans le lire "L'avènement de la Justice divine" ', qu'il écrivit fin décembre 1938, il prédisait nettement la guerre: "Qui ignore que ces rares fugaces années qui restent seront imprégnées de... conflits plus dévastateurs que tous ceux qui les ont précédés". Et en avril 1939, il avait écrit: "Les graines d'une civilisation moribonde s'épuisent inexorablement".

Alors que l'ombre épaisse de la guerre descendait sur l'Europe, je me rappelle très bien le sentiment tangible de la catastrophe qui m'emplit, quand Shoghi Effendi écrivit du coeur même du continent, les paroles poétiques et merveilleuses qui commençaient son télégramme du 30 août 1939: "Ténèbres nuit descendant humanité en danger s'épaississent inexorablement..." En juillet 1940, une semaine avant son embarquement de l'Angleterre pour l'Afrique du Sud, il télégraphiait via Haïfa (où passaient invariablement ses lettres et télégrammes pendant ses absences, que "les feux de la guerre... menacent maintenant dévaster a la fois Proche-Orient et Far West enchâssant respectivement Centre Mondial et principale citadelle restante foi Baha'u'llah..." -

Il semble incroyable qu'au milieu de tant d'inquiétudes et après une absence de six mois durant laquelle nous paraissions, a tout instant, atteindre le sommet d'une vague de fond (d'abord pour quitter Haïfa a temps, ensuite pour y revenir a temps) il semble donc incroyable que le Gardien ait eu la puissance mentale et la force physique de s'asseoir et d'écrire un livre tel que Voici venu le Jour Promis. Un livre où il dit clairement que la "calamité punitive" qui s'est abattue sur l'humanité, quelles qu'en soient les causes politiques et économiques, était due avant tout au fait qu'elle a ignoré pendant cent ans, le Message de Dieu pour ce jour.

Shoghi Effendi fit face avec un calme remarquable aux dangers et aux problèmes créés par la guerre a Haïfa et dans le monde Baha'i en général. Cela ne veut pas dire qu'il n'en souffrit pas. Le poids de la responsabilité était toujours la, il ne pouvait jamais le déposer un seul instant. Je me rappelle qu'une fois j'étais excédée de voir qu'il devait s'occuper de tout ce qu'on lui soumettait pour décision, même quand il était malade; il me dit que les autres leaders, même les Premiers Ministres, pouvaient déléguer leur pouvoir a l'autres, au moins pour un temps très court, lorsqu'ils y étaient obligés; mais que lui ne pouvait déléguer le sien, ne serait ce qu'un instant, aussi longtemps qu'il serait en vie. Personne d'autre n'était divinement guidé pour remplir ses fonctions et il ne pouvait déléguer son pouvoir de décision a personne d'autre.

La seconde guerre mondiale n'atteignit pas en pratique la Terre Sainte. Mais pendant des années, nous vécûmes dans le danger imminent qu'elle pourrait arriver a tout moment. Les bâtiments de la maison d'Abdu'l-Baha avaient presque cent fenêtres et c'était un vrai problème. Il n'était pas possible, ni nécessaire de les aveugler toutes, mais cela constituait un grand écart aux appels fréquents a l'obscurité de la garde aérienne irritée. Haïfa est un grand port et possède une grande raffinerie de pétrole, c'était donc un important point stratégique. La ville possédait de nombreux canons anti aériens, dont deux a environ un kilomètre et demi de la maison du Gardien. Il y eut quelques bombes sur la ville, mais les dommages étaient négligeables (en fait ce fut une protection miraculeuse) nous avions cependant souvent des raids aériens et les shrapnells que les gros canons antiaériens dispersaient partout... -

c'était une inquiétude supplémentaire pour Shoghi Effendi, car une pièce de shrapnell de la dimension d'un grain de raisin aurait facilement et irrémédiablement endommagé le beau monument en marbre élevé sur les tombes de la famille d'Abdu'l-Baha. On en trouvait souvent de grandes pièces près d'eux, mais jamais effectivement sur eux. Nous avions dû construire un abri anti aérien, mais le Gardien et moi, nous n'y allâmes jamais. Parfois quand l'alerte était donnée dans la nuit, le Gardien se levait pour regarder par la fenêtre, mais habituellement il ne le faisait pas. La plus grande opération eut lieu lorsque les Britanniques investirent le Liban. Pendant une semaine, nous pouvions entendre le feu intense, et le port qui est a 700 m. de notre maison, fut fréquemment bombardé par des bâtiments vichyssois.

Tout cela ne fut jamais bien grave, ni très dangereux. En novembre 1941, Shoghi Effendi, dans un message télégraphique, avait prévu l'avenir et avait décrit les prochaines années "... comme furie destruction effroyable ordre mondiale atteint période la plus intense..." Malgré ce qui attendait le monde, nous en Palestine, nous avions déjà passé, en 1941, les mois les plus angoissants de toute la guerre qui causèrent au Gardien le plus d'inquiétude. Cette année la eut lieu la révolution avortée anti alliée de Rachid Ali, en Irak; les forces britanniques étaient refoulées constamment en Libye par Rommel, et finalement les Allemands arrivaient aux portes d'Alexandrie ( 1942). Les forces nazies occupèrent la Crète (le second tremplin de leur conquête projetée du Moyen-Orient). Les forces françaises et britanniques envahirent le Liban et supplantèrent le régime contrôlé par le Gouvernement de Vichy, dans ce pays.

En plus de ces dangers trop palpables, le grand Mufti de Jérusalem l'ennemi de la foi et du Gardien, était un ferme allié du Gouvernement nazi. Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour comprendre ce qui serait advenu de Shoghi Effendi, des Tombeaux, des documents du Centre Mondial et du matériel des archives, si une armée allemande victorieuse, accompagnée de l'intrigant et injurieux Mufti, avait pris la Palestine. Shoghi Effendi disait souvent qu'il ne s'agissait pas seulement de ce que feraient les Allemands mais aussi du fait qu'il y avait tellement d'ennemis locaux qui, combinés avec le Mufti, pouvaient intoxiquer complètement les Allemands contre lui et par la, aggraver une situation déjà suffisamment dangereuse puisque nos idées Baha'ies étaient, par bien des égards, si inamicales envers l'idéologie nazie.

Pendant des mois, Shoghi Effendi observa la marée toujours plus proche de la guerre avec inquiétude, pesant, dans son esprit, l'attitude a adopter si une invasion avait lieu et quel serait le meilleur moyen de protéger la foi dont il étai l'emblème vivant.

Pendant les années de guerre, Shoghi Effendi put maintenir le contact avec la masse des croyants dans le pays où les communautés les plus anciennes et les plus nombreuses existaient, la Perse, l'Amérique, l'Inde, la Grande Bretagne, ainsi que certains centres très rapidement croissants de l'Amérique Latine. Les communautés relativement petites du japon, des pays Européens, de la Birmanie et pendant quelques temps l'Irak, étaient les seules dont il était coupé. Cette séparation le chagrinait et lui causait beaucoup de soucis. Shoghi Effendi put, par ce contact quelque peu miraculeusement maintenu avec le corps des croyants partout dans le monde Baha'i, non seulement envoyer ses directives aux différentes Assemblées nationales, mais aussi indiquer ce que cette grande guerre signifiait pour nous, les Baha'is.

Dans son épître intitulé "Voici venu le Jour Promis", il affirmait que "Le dessein de Dieu n'est d'autre que d'introduire, par des voies que Lui seul peut amener, et dont Lui seul peut sonder la pleine signification, le grand Age d'Or d'une humanité longtemps divisée, longtemps affligée. Son état actuel, et même en fait son futur immédiat est sombre, effroyablement sombre. Son avenir lointain, toutefois, est brillant, glorieusement brillant, si brillant que notre oeil ne peut le visualiser... L'âge de l'enfance et de la jeunesse est passé pour ne plus revenir, tandis que le grand Age, la consommation de tous les âges, qui doit marquer l'apogée de la race humaine tout entière, est encore a venir. Les convulsions de cette période transitoire et des plus troublées des annales de l'humanité, représentent les conditions préalables essentielles et annoncent la proximité inévitable de cet âge des âges, 'le temps de la fin', pendant lequel la folie et le tumulte du conflit qui a, depuis l'aube de l'histoire, noirci les annales du genre humain, se sera finalement transformé en une paix calme, sage et tranquille, universelle et durable où la discorde et la séparation des enfants des hommes auront cédé la place a une réconciliation mondiale et a l'unification complète des divers éléments constitutifs de la société humaine... C'est de ce stade que l'humanité, bon gré, mal gré, s'approche inéluctablement. C'est pour ce stade que cette vaste et brûlante épreuve de feu qu'expérimente l'humanité, pave mystérieusement le chemin".-

Le soulagement et la joie du Gardien furent si grands quand la phase européenne de la guerre finit en mai 1945, qu'il télégraphia a l'Amérique: "Disciples Baha'u'llah partout cinq continents se réjouissent unanimement fin partielle guerre ayant déchiré humanité soulèvement titanesque" et exprima son sentiment profond: "acclame avec reconnaissance signal évidence interposition Providence divine qui pendant années si périlleuses permit Centre Mondial notre foi échapper..." et continue a exprimer une reconnaissance égale pour la manière dont les autres communautés ont été si miraculeusement préservées, récapitulant les victoires vraiment étonnantes remportées par la foi pendant et malgré la guerre. Le 20 août 1945, il câbla une nouvelle fois: "Coeurs exaltés rendent grâce cessation complète long conflit mondial sans précédent". Il presse les croyants américains a se lever et a poursuivre leur travail, saluant la levée des restrictions qui leur permettra maintenant de lancer la seconde étape du Plan divin. Rien, mieux que ces messages envoyés au lendemain de la pire des guerres de toute l'histoire, ne peut illustrer la détermination, l'enthousiasme et la brillante direction du Gardien.

La situation interne de la Palestine continua cependant a empirer a tous égards. L'holocauste qui avait englouti les Juifs européens, l'amertume des juifs de la Palestine envers la politique britannique concernant l'immigration juive qui était strictement contrôlée et limitée, l'ardent ressentiment des Arabes envers cette même politique, tout servit a augmenter les tensions et les haines locales. Alors que les autres pays commençaient lentement a sortir de la période de restrictions et du rationnement sévère de l'alimentation, nous y entrions. Tout était difficile. Nous n'étions plus en danger d'invasion ou de bombardement, mais la perspective d'avenir de ce cher pays, petit mais sacré, devenait de plus en plus sombre. Nous entrions dans cette période décrite par Shoghi Effendi comme "la plus grave agitation ébranlant la Terre Sainte dans les temps modernes".

Shoghi Effendi était exténué par la tension des années de guerre, pendant lesquelles non seulement il écrivit Voici venu le jour Promis et Dieu passe près de nous, mais encore il poursuivit (car qui peut le nier? il était la fontaine inépuisable d'énergie, d'enthousiasme et d'encouragement qui galvanisèrent les baha'is en action)

le premier Plan de Sept ans, cinq années durant, jusqu'à son achèvement, pendant lesquelles, il avait réconforté, inspiré et assuré la cohésion du monde baha'i; pendant lesquelles il avait solidement élargi le rayon d'action de la Cause, approfondi et développé la vie des communautés nationales; pendant lesquelles l'élaboration du projet unique de construction de la superstructure du Mausolée du Bab avait commencé, et pendant lesquelles il avait perdu, sans espoir de retour, la famille d'Abdu'l-Baha, y compris sa propre famille. Il approchait maintenant de la cinquantaine, ses cheveux blanchissaient aux tempes, ses épaules se courbaient a force de se pencher sur son bureau, il avait le coeur non seulement attristé par ce qu'il avait traversé, mais aussi, je le crois fermement, usé a cause de cela.

La situation en Palestine empirait de plus en plus, a l'approche du 14 mai 1948, terme du mandat britannique. Tout le pays était en émoi, l'appréhension, la haine, le terrorisme augmentaient de jour en jour. Arabes, juifs, et Anglais s'affrontaient. Mais tous savaient bien que le Gardien se tenait a l'écart des jeux et des affaires politiques. Il n'est pas trop exagéré de dire qu'il était universellement respecté et laissé tranquille. C'est un fait d'importance majeure, car pendant des années et particulièrement pendant les mois qui précédèrent la fin du Mandat britannique il n'y avait pas de terrains neutres. Les juifs payèrent pour la défense de la communauté juive, les arabes payaient pour la défense de la communauté arabe, de fait que le Gardien put diriger la petite communauté baha'ie locale, en toute sécurité, a travers les rapides dangereux de ces jours, le fait qu'on ne lui ait pas demandé de fonds pour soutenir ses concitoyens (car on savait qu'il était né et avait grandi dans ce pays), témoignent de la haute réputation qu'il s'était faite d'un homme de principe intransigeant et inflexible.

Cela ne signifie pas, toutefois, qu'il n'était pas exposé aux dangers, ni que la situation de la Cause n'était pas grave. Les grandes propriétés non construites entourant le Mausolée du Bab étaient la plus grande source d'inquiétude, car elles étaient bordées de toutes parts des domaines occupés par des arabes. Tout espace ouvert, tout endroit surélevé était une source de peur pour les deux parties de la population qui étaient si fréquemment victimes de coups de feu d'attaques a la bombe, et de jets de grenades.

Ce fut un choc pour Shoghi Effendi, quand il découvrit un jour, en regardant a la jumelle la propriété du Mausolée, que les soldats britanniques avaient installé un canon sur notre propriété, surplombant la route. Ils pensaient évidemment que la bas, ils seraient en bonne position pour riposter en cas d'attaques dans le voisinage. Ils n'y restèrent pas. Mais l'alerte était donnée: nous courrions le terrible danger d'être accusés de prendre parti et impliqués, de quelque manière, et par inadvertance dans la tuerie qui continuait tout autour de nous.

je me rappelle un jour, un juif qui faisait quelques travaux pour nous, venait de quitter la propriété du Mausolée quand quelques arabes vinrent le demander; ils l'auraient probablement tués s'ils l'avaient trouvé, et cela aurait eu des répercussions terribles pour une communauté si passionnément opposée a l'écoulement de sang qui avait lieu ces jours, si totalement neutre dans la lutte politique. Il y avait souvent, autour de la maison du Maître, des fusillades, ressemblant parfois a de petites batailles. Personne, toutefois, ne tira sur nous, ni ne nous attaqua. On ne devait pourtant pas sous-estimer le danger d'être frappé. Avec l'augmentation du terrorisme, certaines régions, dont la nôtre, restaient la nuit dans l'obscurité totale, volontairement, sans aucune lumière dans les rues. Il y avait souvent le couvre-feu pendant la journée, quand les batailles rangées ou d'importants actes de terrorisme avaient lieu. Seules les troupes britanniques se déplaçaient, leurs grands chars roulant dans les rues désertes tirant au hasard. Le gémissement de leurs sirènes étaient des plus étranges et des plus déplaisants. La nuit cela devenait vraiment terrifiant pour une population aux nerfs détraqués, vivant au bord d'un volcan pouvant exploser a tout moment.

Shoghi Effendi, pendant ce temps, montait au Mont Carmel comme a l'accoutumée, poursuivait ses propres affaires, supervisait le travail dans les jardins, visitait les Mausolées, et rentrait a la maison avant la tombée de la nuit. Une ou deux fois seulement, je m'en rappelle, il ne put le faire (le couvre-feu l'en empêchait). Un jour, alors que Mme Weeden le conduisait au Mausolée, (notre chauffeur arabe avait quitté le pays) deux voitures échangeaient des coups de fusils. Soudain l'une d'elle dépassa l'auto du Gardien. Pendant un moment, il fut ainsi entre les deux voitures, finalement la seconde dépassa également la voiture du Gardien, et les deux autos continuèrent leur petite guerre privée. -

On peut imaginer notre émoi, lorsque nous apprîmes cet incident, plus tard! Nous ne pouvions cependant rien faire. Ceux qui ont vécu de telles expériences savent qu'il n'y a que deux solutions: partir, ou continuer comme a l'ordinaire. Nous continuâmes. L'extrait suivant de mon journal daté du 22 février 1948, évoque bien l'atmosphère dans laquelle nous vivions: "Nous savons que Baha'u'llah nous protège. Mais, êtres humains, nous avons nos moments d'angoisse, comme quand la fusillade fait rage dans la ville et que le bien-aimé Gardien n'est pas encore descendu du Mausolée et que la route est barrée et qu'il doit revenir a pieds. Alors, nous savons seulement que cela dépend de Baha'u'llah... Il n'est pas exagéré de dire que nous n'avons plus de nuit sans fusillade. Parfois, le tir commence, s'arrête, recommence, toute la nuit. Et vous vous endormez bientôt, malgré tout, sauf pour une bombe..."

Cependant ce n'étaient pas ces dangers la qui tenaient éveillé le Gardien. Son plus grand souci était la protection des deux Mausolées sacrés et jumeaux. Quand le mandat prit fin et que la guerre judéo arabe éclata, un danger réel les menaçait et il en éprouvait un grand tourment. Bahji était seulement a environ 22 Km de la frontière par où pouvait passer, a tout moment une invasion armée. C'était une inquiétude. Une autre, plus grande encore, venait du projet, un moment sérieusement considéré, de placer les frontières du nouvel Etat juif de telle sorte que la frontière septentrionale séparerait Haïfa d'Akka. Ainsi le Centre Mondial serait divisé en deux: le centre administratif dans un pays, et le Point le Plus Sacré, le Qiblih de la foi, dans un autre, hostile au premier et hostile a la foi elle-même.

On pourrait se demander pourquoi le Gardien, divinement guidé, s'inquiétait tant de telles choses. Je voudrais donner une explication de ceci tel que je le comprends. Il me semble qu'il y a toujours trois facteurs qui interviennent dans une situation: la volonté de Dieu dans laquelle sont impliquées sa Providence, son omnipotence et la destinée qu'il a ordonnée pour l'homme, l'élément accidentel qu'Abdu'l-Baha dit inhérent a la nature, et le libre arbitre et la responsabilité de l'homme. Il n'est donc pas surprenant que le Gardien soit soucieux des situations affectant les intérêts et la protection de la foi, qu'il pèse anxieusement les problèmes, cherchant a trouver d'une manière certaine la solution exacte, a saisir la meilleure occasion, a obtenir le plus grand bénéfice pour la foi.

Shoghi Effendi parlait souvent de la protection miraculeuse du Centre mondial pendant la période dangereuse couvrant la fin du Mandat britannique et l'établissement de l'Etat juif. La liste même des dangers évités, des réalisations effectuées pendant cette période, énumérée dans le télégramme du Gardien a la Convention des baha'is de l'Amérique, câble envoyé le 25 avril 1949, cette liste seule est suffisante pour avoir une idée de son angoisse et de la gravité des problèmes affrontés. La version publiée de ce télégramme soulignait la grandeur "des preuves protection divine sauvegardé Centre mondial foi cours troisième année second Plan de Sept ans" et poursuivait "hostilités prolongées ravageant Terre Sainte terminées providentiellement. Lieux Saints baha'is contrairement ceux autres fois miraculeusement sauvegardés. Périls non moins graves que ceux menacèrent Centre mondial foi sous 'Abdu'l-Baha et Jamal Pacha et par intention avortée Hitler faire conquête Proche-Orient. Etat indépendant souverain dans confins duquel Terre Sainte établie reconnu marquant fin vingt siècles statut provincial - Assurance formelle protection lieux saints baha'is continuation pèlerinage baha'i donnée par Premier Ministre état nouvellement émergé. Invitation officielle envoyée par son gouvernement occasion historique ouverture premier parlement de l'Etat. Procès verbal mariage baha'i confirmé - Dotations baha'ies exonérées par autorités responsables ce même Etat. Merveilleux voeux bien-être futur foi Baha'u'llah envoyé par écrit par Chef Etat nouvellement élu, en réponse au message félicitations adressé occasion son entrée fonction."

Au cours des années d'après guerre, alors que les victoires remportées par les baha'is se multipliaient et que les Nations Unies, le plus grand instrument de paix que l'homme ait jamais conçu, émergeaient, beaucoup d'entre nous espéraient, sans doute, et croyaient ardemment que nous avions laissé derrière nous la pire période de la longue histoire de guerres de l'humanité et que nous pouvions maintenant, discerner les premières lueurs de l'aube qui (nous, baha'is, nous en sommes convaincus) attend le monde. Mais la raison tempérée du Gardien, guidée par Dieu, ne voyait pas les événements sous cette optique. Il continua, jusqu'à la fin de sa vie, a faire les mêmes remarques (remarques basées sur les propres paroles de Baha'u'llah) qu'il avait faites si souvent avant la guerre: "L'avenir lointain est très brillant mais le futur immédiat est très sombre "

Cette note d'avertissement et de pressentiment revenait a tout moment dans les messages d'encouragement qu'il envoyait fréquemment aux baha'is du monde, dans ses louanges pour les merveilleux services qu'ils rendaient, dans les plans qu'il avait conçus avec tant de détails pour qu'ils les réalisent. En 1947, il affirmait que les baha'is étaient ainsi aidés, avec bienveillance, a poursuivre leur route "non déviée par les courants contraires et par les vents violents des tempêtes qui doivent nécessairement agiter de plus en plus la société humaine avant qu'approche l'heure de sa Rédemption finale".

Dans cette communication qui invitait la communauté américaine a progresser dans le travail, suprêmement important, du second Plan de Sept ans, il parlait également de l'avenir: "Alors que la situation internationale empire, alors que le sort du genre humain sombre dans un déclin de plus en plus bas... alors que les trames de la société d'aujourd'hui s'étirent et craquent sous la pression de la violence des événements de mauvais augure et des calamités, alors que les fissures, accentuant les clivages, séparant les nations des nations, les classes des classes, les races des races et les croyances des croyances, se multiplient..." Loin d'avoir doublé le cap et tourné le dos a notre malheureux passé, "une crise de plus en plus profonde" nous attendait.

En mars 1948, il allait encore plus loin dans une conversation que je notai dans mon journal:
"Ce soir Shoghi Effendi m'a dit quelque chose d'intéressant: il a déclaré rudement qu'affirmer qu'il n'y aurait pas une autre guerre, a la lumière des conditions présentes, était idiot et dire que s'il y a une autre guerre la bombe atomique ne sera pas utilisée, c'était encore idiot. Ainsi, nous devons croire qu'il y aura probablement une autre guerre et que la bombe sera utilisée et qu'il y aura une destruction terrible. Mais il pense que les baha'is s'en sortiront pour former le noyau de la future civilisation mondiale. Il a ajouté que ce n'était pas juste de dire que les bons périront avec les mauvais, car, dans un sens, tous sont mauvais, toute l'humanité est a blâmer pour avoir ignoré et répudié Baha'u1lah qui a d'une manière répétée, proclamé au son de la trompette son Message a tout le monde. Il a dit que les saints des monastères et les pécheurs des pires ripailles de l'Europe sont tous coupables d'avoir rejeté la Vérité. Il a dit que c'est faux de penser, comme le font certains baha'is, que le bien périrait avec le mal, tous les hommes sont mauvais parce qu'ils ont répudié Dieu en ce jour et s'en sont détournés. Il a dit encore que nous pouvons seulement croire, que d'une façon mystérieuse, malgré la terrible destruction, il en restera suffisamment pour construire l'avenir."-

En novembre de la même année, encourageant encore une fois les baha'is américains a persévérer dans leur Plan, il écrivait: "Alors que la menace de convulsions encore plus violentes d'un âge en gestation s'accroît, et que les ailes d'un autre conflit, destiné a contribuer pour une part distincte et peut-être décisive a la naissance du nouvel ordre qui doit marquer l'avènement de la Moindre Paix, assombrissent l'horizon... les grondements sourds d'autres catastrophes encore plus meurtrières agitent avec une fréquence croissante un monde douloureusement tendu et chaotique... ainsi, toute aggravation de l'état d'un monde harassé par les ravages d'un conflit dévastateur et planant aux bords d'une lutte encore plus critique, doit-elle être accompagnée par une manifestation encore plus ennoblissante de l'esprit de cette seconde croisade..."

Le même mois il faisait allusion a "l'approfondissement d'une crise menaçant de façon inquiétante, de rompre l'équilibre d'une société politiquement ébranlée, économiquement déséquilibrée, socialement ruinée, moralement décadente et spirituellement moribonde". Et il poursuivait en parlant des "grondements sourds et prémonitoires d'une troisième épreuve de feu menaçant d'engloutir les hémisphères occidental et oriental', et il ajoutait la perspective du monde s'assombrit de plus en plus". Il pressait les baha'is de "courir en avant vers le futur, sereinement confiants car l'heure de leurs plus grands efforts et l'occasion suprême de leurs plus grands exploits doivent coïncider avec le soulèvement apocalyptique marquant le reflux le plus bas de la destinée rapidement déclinante du genre humain."

Et cela continua toujours et toujours. Les victoires remportées, les louanges, les encouragements, la joie du Gardien et ses avertissements. En 1950, il disait aux baha'is qu'ils devaient être "intrépides" dans les périls d'une "situation internationale se détériorant progressivement", et en 1951, il informait la Conférence Européenne d'Enseignement que les "périls" qu'affrontaient ce "continent douloureusement éprouvé s'amoncelaient de plus en plus". Mais ce fut en 1954, dans une lettre d'un ton grave et poussant a la réflexion, que Shoghi Effendi s'étendit le plus longuement sur ce conflit futur, ses causes, son cours, ses effets et ses conséquences en Amérique, avec plus de détails, et un langage plus énergique que Jamais auparavant.

Il associe "le matérialisme cancéreux" et "grossier" qui prévaut aujourd'hui dans le monde, aux avertissements de Baha'u'llah et affirme qu'il l'a comparé "a une flamme dévorante" et l'a considéré "comme le facteur principal précipitant les épreuves sinistres et les crises ébranlant le monde qui doivent nécessairement impliquer l'incendie des villes et la propagation de la terreur et de la consternation dans le coeur des hommes". Et Shoghi Effendi poursuit: "En fait un avant goût de la dévastation que ce feu dévorant exercera sur le monde et qui ravagera les cités des nations participant a cette tragique lutte mondiale, marquant la seconde étape de ce ravage de tout le globe que l'humanité, oublieuse de son Dieu et négligente des avertissements de son Messager désigné pour ce jour, doit hélas, inévitablement expérimenter."

La lettre dans laquelle ces terrifiantes prédictions sont exprimées était adressée aux baha'is américains. Le Gardien y souligne que la détérioration de la situation d'un "monde insouciant" et l'accroissement des armements de plus en plus destructifs auxquels contribuaient les deux blocs engagés dans une lutte mondiale, "saisis dans un tourbillon de crainte, de suspicion et de haine", affectaient de plus en plus leur propre pays et devaient, si on n'y remédiait pas, "impliquer la nation américaine dans une catastrophe de dimensions inimaginables et de conséquences inouïes pour la conception, le mode de vie et la structure sociale du peuple et du gouvernement américain... La nation américaine... traverse, en fait, sous quelque angle qu'on observe son destin immédiat, un grave péril. Les afflictions et les tribulations qui la menacent sont en partie évitables, mais pour la plupart inévitables et envoyées par Dieu..." Il souligne que les changements que ces afflictions inévitables doivent apporter dans la "doctrine surannée de la souveraineté absolue" a laquelle son gouvernement et son peuple restaient encore fidèles et qui étaient si "manifestement contraire aux besoins d'un monde déjà rétréci en un voisinage et qui crie pour son unité".

Il affirme que cette nation sera purifiée, par ses afflictions, de ses conceptions anachroniques et préparée a jouer le grand rôle qu'Abdu'l-Baha a prédit pour elle dans l'établissement de la moindre Paix. Les "tribulations enflammées" a venir, non seulement "souderaient la nation américaine a ses nations soeurs dans les deux hémisphères" mais aussi l'assainiraient "des déchets accumulés qu'ont créé un préjugé racial ancré, un matérialisme rampant, une impiété largement répandue et un relâchement moral, au cours des générations successives, et qui l'ont ainsi empêchée d'assumer le rôle de la direction spirituelle prédit par la plume infaillible d'Abdu'l-Baha, un rôle qu'elle devrait remplir dans le travail et la peine."-

Pendant le dernier hiver de sa vie, comme si déjà fatigué par sa longue lutte contre nos faiblesses, par ses années de labeurs incessants et de dévouement total, le Gardien parlait plus fortement que jamais sur ce sujet... Son thème n'était pas seulement un avertissement sur ce que l'avenir tenait caché, mais aussi une éva1uation sévère du manquement des baha'is, de tous les baha'is de l'Est et de l'Ouest, a poursuivre en nombre adéquat leur grande tâche et a enseigner la Cause de Dieu partout, dans les territoires et les îles du globe récemment ouverts, tant qu'ils avaient encore le temps et l'opportunité de le faire, et créer ainsi, par un grand accroissement du nombre des adeptes de la foi, ces noyaux spirituels qui pourraient repousser les forces de destruction en travail dans la société d'aujourd'hui et constituer les plates-bandes du futur Ordre mondial qui, nous le croyons fermement, peut et doit émerger du chaos présent.

Nous devons être en alerte, mais non paralysés. Dans une de ses dernières lettres, écrite en août 1957, a une Assemblée nationale d'Europe, son secrétaire écrit de sa part: "Il ne veut pas que les amis soient craintifs ou s'attardent sur les possibilités déplaisantes de l'avenir. Ils doivent avoir cette attitude: S'ils font leur part qui est d'accomplir les buts du Plan de Dix ans, ils peuvent être sûrs que Dieu fera sa part et les protégera." La politique des baha'is en ce temps de crise mondiale a été définie dans une autre lettre écrite de sa part par son secrétaire, un mois plus tôt, a une Assemblée nationale d'Afrique: "Alors que la situation du monde et de votre région, empire constamment les amis ne doivent pas perdre un seul instant pour s'élever aux plus hauts niveaux de dévotion et de service, et particulièrement de conscience spirituelle. C'est notre devoir de sauver autant que nous pouvons, de nos semblables dont les coeurs sont illuminés, avant que quelque grande catastrophe ne les surprennent, soit qu'ils y seront engloutis sans espoir, soit qu'ils en sortiront purifiés et fortifiés et prêts a servir. Quand ce temps viendra, plus nombreux seront les croyants pour servir de balises dans les ténèbres, mieux cela sera, d'où l'importance suprême de l'enseignement en ces jours".

A une autre période de sa vie Shoghi Effendi avait déjà souligné que "Quelque sévère que soit le défi quelques multiples que soient les tâches, quelque court que soit le temps, quelque sombre que soit la perspective du monde, quelque limitées que soient les ressources matérielles d'une communauté adolescente fortement pressée, néanmoins, les sources de la force céleste dont elle peut user sont incommensurables dans leurs pouvoirs, et déverseront sans hésitation leurs influences énergétiques si le nécessaire effort quotidien est fait et si les sacrifices exigés sont volontairement acceptés." Tant de choses dépendaient de nous! Ce qui dépendait de Dieu, nous pouvions, avec confiance, le lui laisser, une fois que nous avions fait notre effort suprême.

Si nous nous demandions, nous, la génération de l'aurore précédant le lever du soleil de ce jour nouveau, pourquoi nous devrions affronter de telles catastrophes, toutes les réponses sont la, claires et nettes données par le Gardien, dans ses grands exposés sur la signification et les implications de nos enseignements. Il nous a appris que deux facteurs interviennent. Le premier est contenu dans ces paroles de Baha'u'llah: "Bientôt le présent ordre des choses sera révolu et un Nouvel Ordre prendra sa place." Déchirer le voile protecteur, longtemps honoré, d'innombrables sociétés, chacune empêtrée dans ses propres coutumes, superstitions et préjugés, et leur donner une nouvelle ossature d'existence, est une opération que seul Dieu Tout-Puissant peut réaliser et qui est nécessairement une opération douloureuse. Elle est rendue encore plus douloureuse par l'état de l'âme et de l'esprit de l'homme.

Certaines sociétés sont victimes d'un "sécularisme flagrant, fruit direct de l'irréligion" d'autres sont aux prises avec "un matérialisme et un racisme criards" qui ont, a dit Shoghi Effendi, "usurpé les droits de Dieu lui-même", mais toutes et tous les peuples de la terre, sont coupables d'avoir, pendant plus d'un siècle, "refusé de reconnaître celui dont l'avènement avait été promis a toutes les religions, et c'est dans sa foi seule que toutes les nations peuvent et doivent chercher leur vrai salut." Fondamentalement c'était a cause de cette nouvelle foi, cette "gemme inestimable de la révélation divine enchâssant l'esprit de Dieu et incarnant son Dessein pour l'humanité de cet âge", comme l'a décrite Shoghi Effendi, que le monde "subissait de telles agonies". Baha'u'llah lui-même a dit: "L'équilibre du monde a été rompu par la vibrante influence de ce plus grand, de ce Nouvel Ordre mondial."

"Les signes de convulsions et de chaos imminents peuvent maintenant être discernés, attendu que l'ordre régnant apparaît être lamentablement défectueux." "Le monde est en travail et son agitation augmente de jour en jour. Sa face est tournée vers l'obstination et l'incroyance. Telle sera sa condition que la révéler maintenant ne serait ni convenable ni séant. Sa perversité continuera encore longtemps. Et lorsque l'heure sonnera, il apparaîtra soudain ce qui fera trembler membres de l'humanité. Alors, et alors seulement, sera déployé l'étendard divin, et le Rossignol du paradis chantera sa mélodie." "Après un temps, tous les gouvernements de la terre changeront. L'oppression enveloppera le monde. Et suivant une convulsion universelle, le soleil de la justice se lèvera a l'horizon du royaume invisible."

Toutefois, la vision de l'avenir, décrit par Shoghi Effendi pour nous, est si enthousiasmante qu'elle efface toute crainte et emplit le coeur de chaque baha'i d'une telle confiance et d'une telle joie que la perspective de la souffrance et de la privation ne peut affaiblir sa foi ou broyer son espérance. "En vérité, le monde est en marche vers sa destinée", écrivait Shoghi Effendi, "l'interdépendance des peuples et des nations de la terre, quoi que disent ou fassent les dirigeants des forces qui divisent le monde, est déjà un fait accompli". La communauté mondiale "destinée a émerger, tôt ou tard, du carnage, de l'agonie et des ravages de cette grande convulsion mondiale", était la fin certaine du travail de ces forces.

Viendra d'abord la moindre Paix que les nations de la terre, encore inconsciente de la Révélation de Baha'u'llah établiront elles-mêmes; "ce pas historique et mémorable, impliquant la reconstitution du genre humain, résultat de la reconnaissance universelle de son unité et de son universalité, apportera dans son sillage la spiritualisation des masses consécutive a la reconnaissance du caractère et a la connaissance des revendications de la foi de Baha'u'llah, condition essentielle de cette fusion finale de toutes les faces, croyances, classes et nations qui doit marquer l'émergence de son nouvel Ordre mondial." Et il poursuit: "Alors sera proclamée et célébrée par tous les peuples et les nations de la terre, la venue de l'âge de l'unité de la race humaine tout entière. Alors sera hissée la bannière de la plus grande Paix. Alors la souveraineté mondiale de Baha'u'llah... sera reconnue, acclamée et fermement établie. Alors avec une plénitude de vie que le monde n'a jamais vue, ni ne peut encore concevoir...

Alors la planète, galvanisée par la croyance universelle de ses habitants en un Dieu et leur allégeance a une Révélation commune... sera... acclamée comme le paradis terrestre, capable de l'accomplissement de cette destinée ineffable qui lui est fixée depuis les temps immémoriaux, par l'amour et la sagesse de son Créateur."


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