La révélation de Baha'u'llah
Volume 2
Andrinople 1863-68

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CHAPITRE 10: Martyrs célèbres

* AQA NAJAF-‘ALIY-I-ZANJANI:

Aqa Najaf-‘Aliy-i-Zanjani était un croyant dévoué qui se rendit à Andrinople dans les premières années du séjour de Baha’u’llah dans cette ville. C’était un admirateur de Mulla Muhammad-‘Aliy-i-Hujjat et il avait été l’un de ses compagnons au cours du combat de Zanjan. (n236) Après l’horrible massacre qui y fut perpétré en 1851, quarante-quatre des survivants, y compris Aqa Najaf-‘Ali, furent envoyés à Téhéran. Tous furent mis à mort à l’exception d’Aqa Najaf-‘Ali dont la vie fut sauvée par la grâce d’un officier de l’armée. Plus tard, il se rendit à Bagdad et Baha’u’llah l’autorisa à rester en Irak. Il était l’un des compagnons dévoués de Baha’u’llah, qui reconnut son rang à l’époque de Bagdad.

‘Abdu’l-Baha mentionne (r1) que tout au long du chemin de Bagdad jusqu’au port de Samsun, Najaf-‘Ali aidait Mirza Muhammad-Quli (le plus jeune frère de Baha’u’llah) à dresser la tente de Baha’u’llah dans les diverses villes et villages où la caravane s’arrêtait pour se reposer. Une fois, ils rencontrèrent quelques difficultés. Le gouverneur de la ville, qui était présent, montra tant de respect pour Baha’u’llah qu’il insista pour dresser la tente de ses propres mains.

En l’année 1283 de l’Hégire (1866-1867), Najaf-‘Ali se trouvait à Andrinople. Baha’u’llah l’envoya en Perse et lui donna quelques épîtres à porter. À son arrivée à Téhéran, il fut arrêté et emmené en prison sur l’accusation d’être un disciple de Baha’u’llah. On le tortura pour qu’il divulgue l’identité de ceux pour qui il transportait les épîtres. Mais Aqa Najaf-‘Ali ne révéla aucun nom. Lorsqu’arriva le moment de son exécution, son corps était déjà couvert de blessures mortelles reçues à la suite de ces tortures. Baha’u’llah a mentionné son martyre en ces termes:

«On arrêta l’honorable Najaf-’Ali qui, avec ravissement et désir ardent, se hâta vers le champ du martyre en prononçant ces paroles: «Nous avons reçu tout à la fois Baha et le khun-baha (l’argent du sang) !» Sur ces paroles, il rendit l’âme.» (r2)

Shoghi Effendi a aussi écrit cette brève mais émouvante description du martyre d’Aqa Najaf-‘Ali:

«Parmi les suppliciés, on peut mentionner l’intrépide Najaf-‘Aliy-i-Zanjani, survivant du combat de Zanjan, immortalisé dans l’Épître au Fils du Loup, qui légua son or à son bourreau et qu’on entendit crier bien haut: «Ya Rabbiya’l-Abha», (n237) avant d’être décapité.» (r3)

* SIYYID ASHRAF ET ABA-BASIR :

Un jeune homme du nom de Siyyid Ashraf (n238) était une autre âme illustre originaire de Zanjan qui parvint en présence de Baha’u’llah à Andrinople et qui but plus tard le calice du martyre dans sa ville natale. Son père, Aqa Mir Jalil, un homme courageux et bénéficiant d’une influence considérable dans la ville, avait été l’un des compagnons de Hujjat dans le combat de Zanjan, et fut martyrisé. Sa mère, ‘Anbar Khanum, mentionnée dans les Écrits sous le nom d’Umm-i-Ashraf (Mère d’Ashraf) est reconnue comme l’une des héroïnes immortelles de la Foi.

Siyyid Ashraf naquit pendant le siège de Zanjan dans la forteresse de ‘Ali-Mardan Khan. (n239) Ni les épreuves et les souffrances de ce cruel et douloureux combat, ni le martyre de son époux bien-aimé, ne réussirent à briser la force d’âme d’Umm-i-Ashraf. Au contraire, tout cela servit à renforcer sa foi et son endurance physique. En dépit de nombreuses privations et tribulations, elle éleva ce bébé et deux fillettes avec une grande affection et beaucoup de soin.

Lorsque le message de Baha’u’llah toucha Zanjan, Umm-i-Ashraf et ses enfants embrassèrent sa Foi, reconnurent son rang et se tournèrent vers lui avec la plus grande dévotion. Alors qu’il était adolescent, pour rencontrer son Seigneur face à face, Siyyid Ashraf fit le voyage à Andrinople et il réalisa le désir de son coeur. Là, il se réchauffa au soleil des bontés de Baha’u’llah, il s’emplit d’un nouvel esprit et revint chez lui avec un zèle et un enthousiasme renouvelés. Le feu de l’amour de Baha’u’llah qui brûlait en son coeur, le poussa à faire encore un autre pèlerinage vers le séjour de son Bien-Aimé. Cette fois-ci, accompagné par Haji Iman, l’un des survivants du soulèvement de Zanjan, il emmena l’une de ses soeurs à Andrinople. Baha’u’llah déversa ses faveurs sur eux et après un court séjour, il leur ordonna de retourner à Zanjan.

Les circonstances de leur renvoi de la présence de Baha’u’llah sont décrites par une petite-fille d’Umm-i-Ashraf. Lorsque Siyyid Ashraf et sa soeur quittèrent Zanjan, un certain nombre de spéculations circulèrent sur leur destination, en particulier parmi les oncles paternels d’Ashraf, qui n’étaient pas baha’is. Ils étaient soucieux d’empêcher Ashraf et sa soeur de s’impliquer dans la Foi, aussi mirent-ils beaucoup de pression sur leur mère. Ils la blâmèrent d’avoir été la force motrice derrière les activités de son mari dans la Foi, des activités qui eurent pour conséquence son martyre, et qui constituaient désormais le facteur majeur de l’implication de ses enfants dans la Foi. Environ quatre mois après que le groupe eût quitté Zanjan, trois des oncles vinrent réprimander Umm-i-Ashraf pour avoir envoyé au loin ses enfants rejoindre Baha’u’llah. Ils devinrent très agressifs et, à un moment, ils prêtèrent même des intentions immorales à sa fille. Umm-i-Ashraf ne pouvait supporter plus longtemps leur méchanceté et leurs viles suggestions. Elle quitta la pièce en pleurant amèrement, leva les mains en supplication vers Baha’u’llah et le supplia dans une prière ardente de renvoyer ses enfants chez elle.

Plus tard, Siyyid Ashraf, en comparant la date avec sa mère, put vérifier que ce fut le lendemain matin après cette nuit que Baha’u’llah les convoqua en sa présence, lui, sa soeur et Haji Iman. Il leur dit que la nuit précédente, Umm-i-Ashraf l’avait prié de les renvoyer. Par conséquent, ils durent partir immédiatement. Ce matin-là, il déversa tout particulièrement sur Umm-i-Ashraf louange et générosité. On rapporte qu’Ashraf aurait dit à Baha’u’llah ces paroles: «Adam mangea du fruit défendu et fut chassé du ciel, dans notre cas, c’est notre mère qui nous a fait la même chose !»

Sur le chemin du retour, il apparut clairement à de nombreuses personnes qu’Ashraf avait été transformé en une nouvelle création. Il ne pouvait s’empêcher d’afficher un tel rayonnement spirituel que, comme cela est attesté par Haji Iman, tous ceux qui voyagèrent avec la caravane en furent profondément émus. Tout le long du chemin, il chantait, d’une belle voix, quelques poèmes et épîtres de Baha’u’llah qu’il connaissait par coeur. Lorsqu’il voulait chanter, il avait pour habitude de dérouler son turban vert, le signe de sa lignée et de le placer autour de son épaule. En ces occasions, il irradiait tant d’amour et il transmettait tant de pouvoir et de beauté par l’intermédiaire de sa voix, que les conducteurs de la caravane quittaient souvent leur poste pour marcher à ses côtés, ralentissant la vitesse de la caravane. Une fois, Haji Iman demanda à l’un d’entre eux de s’éloigner et de s’occuper de son travail, afin que le rythme s’accélère. «Comment puis-je partir ?» répondit-il. «Ne pouvez-vous entendre la voix vivifiante du descendant du Prophète. Sans aucun doute, c’est un homme saint. Je n’avais jamais vu un visage aussi radieux auparavant.»

Sur le conseil de Baha’u’llah, la soeur d’Ashraf fut unie dans le mariage à Haji Iman sur le chemin du retour. Tout au long de sa vie, Haji Iman devint la cible de nombreuses persécutions et il passa quelques années en prison à Téhéran. Une fois, il partagea le poids des chaînes et des entraves de la prison de Téhéran avec Mirza ‘Ali-Muhammad-i-Varqa (n240) et son fils Ruhu’llah, qui furent tous deux martyrisés. Mais la vie de Haji Iman fut providentiellement épargnée. Il vécut de nombreuses années après et servit la Cause avec un grand dévouement. Il fit le voyage à Acre en l’année 1330 de l’Hégire (1913) où il se retrouva en présence de ‘Abdu’l-Baha. Il passa le restant de ses jours à ‘Ishqabad, et mourut dans cette ville.

Quant à Siyyid Ashraf, Baha’u’llah lui ordonna d’enseigner sa Cause à ceux qui sont sincères au sein du peuple du Bayan. Il commença ce travail avec un zèle et un enthousiasme sans limites. Il construisit une salle sur les terres de son domaine à l’extérieur de la ville et en fit un centre des activités baha’ies, priant, lisant les écrits et rencontrant les croyants. Etant entré en contact avec la Source du pouvoir divin, et transformé en un géant spirituel, Siyyid Ashraf irradiait l’amour de Baha’u’llah aux amis. Il permit à beaucoup d’entre eux de le reconnaître comme le Promis du Bayan.

Un groupe de babis vint parler à Ashraf peu après son arrivée d’Andrinople. Ils étaient égarés par Mirza Yahya. L’un d’eux questionna Ashraf à propos du rang de Mirza Yahya. Il répondit simplement que Baha’u’llah était le Soleil de vérité resplendissant et rayonnant dans sa gloire, mais Mirza Yahya agissait comme un épais nuage sombre devant lui. Ces paroles provoquèrent la séparation, parmi les croyants de Zanjan, entre les hypocrites et les infidèles, et les véritables disciples de Baha’u’llah dans cette ville.

Dans son travail d’enseignement, Siyyid Ashraf fut soutenu de manière compétente par Aba-Basir, dont le nom est à jamais lié avec le sien. À l’origine, Aba-Basir s’appelait Aqa Naqd-‘Ali. son père, un certain Haji Muhammad-Husayn, fut martyrisé dans le combat de Zanjan. Aqa Naqd-‘Ali était né aveugle, mais il possédait une vision intérieure et une compréhension telles que Baha’u’llah lui donna le titre de Basir (celui qui voit). Il était l’un des disciples les plus fermes de Baha’u’llah à Zanjan. Lorsqu’il apparut clairement à certains membres de sa famille qu’il avait embrassé la cause de Baha’u’llah et qu’il l’enseignait activement, ils l’expulsèrent de chez lui. Après cet incident, Aba-Basir vint vivre avec Siyyid Ashraf. Les liens spirituels qui unissaient ces deux âmes en furent encore plus renforcés lorsqu’Aba-Basir épousa la soeur de Haji Iman, le beau-frère d’Ashraf et s’installa dans cette maisonnée de façon permanente. Aba-Basir, en dépit de sa cécité, était un homme de grande capacité. Il avait mémorisé de nombreux versets du Coran ainsi que des traditions. Il possédait une compréhension si profonde de leur signification que nombre d’étudiants en théologie recherchaient auprès de lui des éclaircissements.

Les activités d’Ashraf, de Aba-Basir et de quelques autres, dans la promotion de la cause de Baha’u’llah, suscitèrent la peur et l’antagonisme d’un ennemi qui se souvenait vivement du combat sanglant de Zanjan une vingtaine d’années auparavant, lorsque des milliers d’hommes et de femmes avaient lutté et étaient morts pour leur Foi avec courage et héroïsme. Le feu de la haine et du fanatisme, qui pour quelque temps était resté en dormance, commençait à présent à s’enflammer, engloutissant dans sa fureur les adhérents les plus actifs et les plus dévoués d’une Foi revivifiée et réanimée. Les religieux décrétèrent l’arrêt de mort d’Aba-Basir et d’Ashraf et le remirent au gouverneur de Zanjan pour exécution. En conséquence, des ordres furent donnés pour qu’ils soient mis à mort, à moins qu’ils renient. En conséquence, ces deux âmes furent arrêtées et Aba-Basir fut emmené à une réunion de religieux où on lui demanda de renier sa Foi. À la place, il parla ouvertement de la cause de Baha’u’llah et prouva son origine divine avec la plus grande éloquence. Cette confrontation audacieuse ne servit qu’à alimenter la colère du clergé qui, sans hésitation, exigea son exécution.

Le bourreau conduisit Aba-Basir sur la place publique devant la maison gouvernementale et le décapita alors qu’il s’agenouillait en prière, observé par des milliers d’hommes et de femmes qui s’étaient rassemblés pour le voir mourir. Pendant ce temps, alors que continuaient ces afflictions propres à émouvoir le coeur, Siyyid Ashraf était cruellement persécuté en prison. Pourtant, il se trouvait des gens, y compris Siyyid ‘Abdu’l-Vasi‘, l’Imam-Jum’ih de la ville et l’un de ses parents, soucieux de le sauver de son destin, car il était chéri par de nombreuses personnes pour ses merveilleuses qualités et sa bonne conduite. Ils tentèrent avec obstination de le persuader de renier et, lorsqu’ils ne purent atteindre leur objectif, ils mandèrent sa mère pour qu’elle vienne le faire renier.

Les religieux réclamèrent la mort d’Ashraf. Il fut battu si fortement que le sang s’écoulait de sous ses ongles et on l’emmena à la même place publique où le corps d’Aba-Basir reposait par terre, exposé aux regards des badauds. Dès qu’il vit le corps décapité de son compagnon, il courut vers lui et le tint entre ses bras. Sa mère, Umm-i-Ashraf, arriva alors qu’il était couvert de sang. Un membre de la famille d’Ashraf rapporta qu’elle s’avança, jeta ses bras autour de son fils, l’embrassa sur les joues, essuya la sueur et le sang de son visage, prit sa calotte tachée de sang en souvenir et le pressa de ne pas marchander sa foi précieuse pour les jours transitoires d’une vie mortelle. «Tu ne seras plus mon fils,» s’écria la mère lorsqu’elle fut amenée en face avec lui, «si tu cèdes à de si viles médisances et leur permets de te détourner de la vérité». (r4)

Bien que sa mère l’ait exhorté à rester fidèle à la cause de Dieu, Ashraf, qui était par deux fois parvenu en présence de Baha’u’llah, était par lui-même un monument de force. Il avait atteint le stade de certitude dans sa foi et il ne pouvait concevoir l’idée même du compromis.

Alors que ses amis le pressaient de renier, on rapporta que l’Imam-Jum’ih déjà mentionné, aurait pris Ashraf dans ses bras, lui aurait murmuré quelques mots à l’oreille et qu’ensuite, debout sur une plate-forme, il aurait faussement proclamé à la foule bourdonnante qu’Ashraf avait renié sa Foi et ne devrait plus être considéré comme baha’i. Lorsqu’il entendit cette fausse déclaration, Ashraf qui se tenait à ses côtés, leva les mains et d’une voix forte, récusa l’allégation et annonça qu’il n’avait jamais renié et qu’il ne le ferait jamais. Il resta ferme en son amour pour Baha’u’llah jusqu’à ce le bourreau s’avance et lui assène brutalement un coup mortel. Il fut décapité alors qu’il tenait le corps d’Aba-Basir dans ses bras.

Au sujet d’Ashraf et de sa mère, Nabil écrit:
Fidèle aux ordres de sa mère, Ashraf fit face à la mort avec un calme intrépide. Quoiqu’elle fût elle-même témoin des cruautés infligées à son fils, elle ne se lamenta point et ne versa point de larmes. Cette mère merveilleuse fit preuve d’un courage et d’une force d’âme qui étonnèrent les auteurs de cet acte ignoble. «J’ai maintenant présent à l’esprit,» s’exclama-t-elle en jetant un regard d’adieu sur le corps de son fils, «le voeu que je fis le jour de ta naissance, alors que nous étions assiégés dans le fort de ‘Ali-Mardan Khan. Je me réjouis de ce que tu m’aies permis, toi l’unique fils que Dieu m’ait donné, de tenir ma parole.» (r5)

Baha’u’llah a révélé une prière de souvenance conjointement pour Ashraf, Aba-Basir et Aqa Mirza Muhammad-‘Aliy-i-Tabib, qui donna aussi sa vie dans le sentier de Baha’u’llah dans la ville de Zanjan. Il a aussi chanté le rang d’Ashraf et de sa mère dans d’autres épîtres. Dans l’une, il a révélé ces paroles exaltées au sujet d’Umm-i-Ashraf et de son fils:

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Souviens-toi de l’attitude de la mère d’Ashraf, quand ce dernier eut offert sa vie en sacrifice sur la Terre de Za (Zanjan). Il est maintenant, sans aucun doute, au séjour de la vérité, jouissant de la présence du Tout-Puissant, le Très-Haut.

Les infidèles ayant, contre toute justice, décidé de le mettre à mort, ils mandèrent sa mère, dans l’espoir qu’elle l’adjurerait de renier sa foi et de marcher sur les traces de ceux qui ont répudié la vérité de Dieu, le Seigneur de tous les mondes.

Mais elle ne fut pas plutôt en présence de son fils qu’elle lui adressa des paroles à faire pleurer d’attendrissement tous les amis de Dieu et, au-delà d’eux, les membres de l’Assemblée céleste. En vérité, ton Seigneur sait ce que je dis et porte lui-même témoignage de la vérité de mes paroles.

S’adressant donc à son fils, elle dit: «Mon fils, mon enfant, ne manque pas l’occasion d’offrir ta vie dans le chemin de ton Seigneur. Garde-toi de trahir ta foi en celui devant qui se prosternent en adoration tous ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre. Va tout droit, ô mon fils, persévère dans le chemin du Seigneur, ton Dieu. Hâte-toi d’accéder à la présence de celui qui est le Bien-Aimé de tous les mondes.»

Sur cette femme sont mes bénédictions et ma miséricorde, ma louange et ma gloire ! J’expierai moi-même pour la perte qu’elle a subie de ce fils qui habite maintenant le tabernacle de ma majesté et de ma gloire, et dont la face rayonne d’une lumière qui enveloppe de son éclat les vierges du ciel dans leurs célestes demeures et, au-delà d’elles, les habitants de mon paradis et les hôtes de la cité sainte. Qui pourrait le voir s’écrierait: «N’est-ce pas là un ange du ciel !» (r6)
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Dans l’épître au Fils du Loup, Baha’u’llah fait allusion à Ashraf et à sa mère en ces termes:

«Réfléchis à la conduite d’Aba-Basir et de Siyyid Ashraf-i-Zanjani. On fit venir la mère d’Ashraf pour qu’elle le dissuade dans sa détermination, mais elle l’encouragea à persévérer et à subir le plus glorieux des martyres.» (r7)

* LAWH-I-ASHRAF :

Lorsque Siyyid Ashraf était à Andrinople, Baha’u’llah révéla une épître en arabe pour lui, qui est connue sous le nom de Lawh-i-Ashraf (épître à Ashraf). Une partie de cette épître a été traduite en anglais par Shoghi Effendi et est incluse dans Florilège d’écrits de Baha’u’llah. (n241) De son contenu, il apparaît que cette épître a été révélée quelque temps après l’attentat sur la vie de Baha’u’llah par Mirza Yahya. Il y presse Ashraf de remercier Dieu de lui avoir permis de parvenir en sa présence et de contempler sa gloire. Il le prie de prendre l’épître de Dieu de retour chez lui et de la partager avec ceux qui ont embrassé sa Cause. Il lui ordonne d’informer les croyants de ses souffrances aux mains des infidèles et de leur faire part des joyeuses nouvelles de sa Révélation. Il exhorte les fidèles à se lever pour assister sa Cause, il leur conseille d’être aussi généreux que la pluie envers ceux qui croient en Dieu et les prévient de l’influence des conceptions erronées des disciples de Mirza Yahya, ceux qui se sont opposés à Dieu, ont renié ses preuves et ont rassemblé tant d’audace qu’ils se sont tenus debout face à son visage et ont attenté à sa vie.

Dans l’épître à Ashraf, Baha’u’llah admoneste les disciples du Bayan en ces termes:

«Mais ceux qui, parmi les partisans du Bayan, sont aveugles de coeur, se trouvent incapables, aussi longtemps que le soleil brille sur eux, de percevoir l’éclat de sa gloire et de sentir la chaleur de ses rayons, et de cela Dieu m’est témoin.
Dis: Ô peuple du Bayan ! vous avez été choisis dans le monde pour connaître et reconnaître notre Personne. Nous vous avons amenés du côté droit du paradis, tout près du lieu sacré d’où, en de multiples accents, le feu immortel s’écrie: «Il n’est pas d’autre Dieu que moi, le Tout-Puissant, le Très-Haut.» Prenez garde de ne pas vous fermer, comme par un voile, aux rayons de ce Soleil qui brille au-dessus de l’orient de la volonté de votre Seigneur, le Très-Miséricordieux, et dont la lumière a tout ensemble embrassé les petits et les grands de la terre. Clarifiez votre vue de telle sorte que vous puissiez percevoir sa gloire de vos propres yeux, sans dépendre à cet égard d’aucun autre que de vous-même, car Dieu n’a jamais chargé aucune âme au-delà de ce qu’elle pouvait supporter. Voilà ce qui fut transmis aux prophètes et aux messagers de l’ancien temps et ce qui se trouve rapporté dans les Écritures.» (r8)

Dans cette épître, Baha’u’llah invite Ashraf à écouter la voix de celui qui est l’Ancien des jours. Il proclame que la Beauté bénie, en ce jour, a projeté les rayons du Plus-Grand-Nom sur tous les autres noms et attributs. Il l’exhorte à se parer de bonnes actions et à rester ferme en son amour, afin qu’il puisse séjourner à l’ombre de son Nom exalté.

L’épître à Ashraf contient une affirmation significative concernant le pouvoir de la prière libérée du désir. Il déclare que le déluge de la grâce en ce jour est si grand, que si une personne devait lever les mains en supplication vers Dieu et demander les trésors de la terre et du ciel, son souhait serait exaucé avant même qu’elle abaisse les mains, pourvu qu’elle soit libérée de l’attachement à toutes choses créées. En effet, la clé pour parvenir à cette gloire réside dans le terme de «détachement». À partir de l’étude des Écrits, il apparaît évident que jusqu’à ce que l’homme parvienne à un état d’absolue servitude où il meurt à lui-même, et n’a d’autre désir que ce que Dieu désire, il ne pourra jamais atteindre un rang aussi élevé.

La forme la plus pure de la prière est celle qui est libérée du désir. Une telle prière fera se déverser les bénédictions de Dieu sur l’âme. Néanmoins, les êtres humains ont beaucoup de besoins en cette vie, et lorsqu’ils sont dans la difficulté, la souffrance ou le chagrin, ils se tournent vers Dieu pour réclamer son assistance. Le Bab et Baha’u’llah ont tous les deux révélé des prières particulières à dire en diverses occasions lorsque l’on est dans le besoin. Si un homme doit avoir un désir - et il est assez naturel pour lui qu’il en soit ainsi - sa prière doit être telle qu’à la fin, il puisse atteindre le bon plaisir de son Seigneur. Car tout autre désir, même le service à la Cause, aussi méritoire qu’il puisse être, ne résultera pas nécessairement en son salut. Il y a eu des personnes qui rendirent un service remarquable à la Cause et qui pourtant, virent leur vie s’achever spirituellement dans la tragédie. On peut se souvenir des paroles de Baha’u’llah:

«Combien de méchants avant de mourir recevront l'essence de la foi, goûteront le vin immortel et s'envoleront au royaume suprême ! Et combien de fidèles qui, au moment de l'ascension de leur esprit, auront changé d'attitude et résideront dans les derniers degrés de la géhenne !» (r9)

Cependant, la forme la plus convenable de la prière est celle qui consiste à louer Dieu. Par son intermédiaire, les canaux de la grâce sont grand ouverts et il accorde ses pouvoirs et ses bénédictions sur la personne. Se tourner vers Dieu dans la prière dans l’unique but de glorifier son nom et chanter ses attributs, est le mouvement le plus naturel que l’homme puisse faire envers son Créateur. C’est comparable à une plante qui se tourne vers le soleil. Bien que le soleil déverse ses énergies sans considération aucune, pourtant, par sa nature même, l’arbre ne peut s’empêcher d’étendre ses rameaux et ses branches dans la direction du soleil. Pour lui, rester insensible aux rayons vivifiants du soleil est un signe qu’il est mort. Pour employer une autre analogie, nous voyons dans la nature qu’un bébé pleure parce qu’il a faim et sa mère le nourrit. Mais s’il n’est pas affamé, c’est qu’il n’est pas en bonne santé même si sa mère le nourrit de force. Cette relation à deux sens constitue la base de la croissance. De même, Dieu accorde ses bontés et sa grâce illimitées à sa création, mais l’homme doit de son propre chef se tourner vers lui dans l’adoration et la louange afin de les recevoir. S’il manque à le faire, il se prive et s’affame spirituellement. Dans Les Paroles Cachées, Baha’u’llah le confirme lorsqu’il dit:

«Ô fils de l’existence !
Aime-moi pour que je t’aime. Si tu ne m’aimes pas, mon amour ne pourra jamais t’atteindre. Sache-le, ô serviteur.» (r10)

Le signe de la véritable vie spirituelle de l’homme est de languir après Dieu et désirer ardemment l’adorer et le glorifier. Le Bab et Baha’u’llah nous ont montré le chemin en révélant la plupart de leurs prières dans la louange de Dieu. Ces prières suscitent en l’âme des sentiments d’effacement de soi total et de pauvreté absolue, tandis que le pouvoir de Dieu et sa gloire deviennent l’influence motrice qui la guident et la soutiennent tout au long de sa vie.

Le pouvoir qui peut être engendré dans le coeur du croyant, lorsqu’il est libéré de tout désir et se tourne vers Dieu avec des chants de louanges et d’exaltation, va au-delà de la compréhension de l’homme. Il suffit de dire que de nombreux héros de la Foi ont puisé à cette source leur courage et leur fermeté. En l’occurrence, il convient de citer l’une des prières de Baha’u’llah qui glorifie le Tout-Puissant:

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Loué et glorifié sois-tu, ô Seigneur, mon Dieu ! Comment saurais-je parler de toi alors que, j’en suis convaincu, il n’est point de langue, aussi profonde qu’en soit la sagesse, capable de magnifier dignement ton nom, ni de coeur qui puisse espérer s’envoler jusqu’au ciel de ta science et de ta majesté, si ardente que soit son aspiration vers toi ?

Si je te représente, ô mon Dieu, comme celui qui perçoit toutes choses, je me trouve contraint d’admettre que ceux qui sont les plus hautes incarnations de la perception ont été créés par la vertu de ton ordre. Et si je t’exalte comme celui qui est le Très-Sage, je me vois aussi forcé de reconnaître que les sources mêmes de la sagesse furent engendrées par l’opération de ta volonté. Et si je proclame que tu es l’Incomparable, je découvre bientôt que ceux qui sont la plus pure essence de l’unité furent envoyés par toi et ne sont que les manifestations de ton oeuvre. Et si je t’acclame comme l’Omniscient, je dois confesser que ceux qui sont la quintessence du savoir ne sont eux-mêmes que la création et les instruments de ta Providence.

Exalté es-tu, immensément exalté, au-dessus des efforts de l’homme pour pénétrer ton mystère, décrire ta gloire ou même faire allusion à la nature de ton essence ! Car ces efforts, produits de ton décret et fruits de ton oeuvre, ne peuvent, quoiqu’ils puissent accomplir, donner des résultats dépassant les limites que tu as assignées à tes créatures. Le sentiment le plus élevé que les plus saints parmi les saints peuvent exprimer pour te louer, la plus profonde sagesse que les plus savants des hommes exercent pour comprendre ta nature, gravitent tous deux autour de ce Centre entièrement soumis à ta souveraineté, qui adore ta beauté et que ta plume anime de son propre mouvement.

Et Dieu me garde d’avoir prononcé des mots qui impliqueraient nécessairement l’existence de quelque lien direct entre la Plume de ta révélation et l’essence des choses créées. Ceux qui te sont unis sont bien au-delà d’un tel concept ! Ni comparaison ni ressemblance ne rendent justice à l’arbre de ta révélation et toute voie est barrée à la compréhension de la Manifestation de toi-même et de l’Aurore de ta beauté.

Ce que l’homme peut affirmer de toi, ou t’attribuer, et ces louanges par lesquelles il te glorifie sont bien éloignées de ta gloire ! Le devoir prescrit à tes serviteurs d’exalter à l’infini ta gloire et ta majesté est une preuve de ta grâce à leur endroit afin de les rendre capables de s’élever à cet état de la connaissance de soi accordé à leur être intime.

Nul autre que toi ne sondera jamais ton mystère ni n’exaltera convenablement ta grandeur. Tu resteras à jamais impénétrable et très au-delà de la louange des hommes. Il n’est de Dieu que toi, l’Inaccessible, l’Omnipotent, l’Omniscient, le Saint des saints. (r11)
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CHAPITRE 11: Quelques Epîtres remarquables

* SURIY-I-DAMM :

Cette épître, écrite en arabe, est adressée à Nabil-i-A’zam et contient de nombreux passages connus concernant la grandeur de sa révélation, ainsi que des conseils et des exhortations destinés à Nabil. Apparemment, elle a été révélée à une époque où Nabil, comme le lui avait demandé Baha’u’llah, était retourné en Perse après avoir été en sa présence à Andrinople.

Dans cette épître, Baha’u’llah ordonne à Nabil de voyager dans tout le pays, pour rencontrer les âmes sincères au sein de la communauté et déchirer les voiles douloureux qui les ont empêchées de reconnaître la Face de la gloire. Comme nous l’avons déjà mentionné, la mission de Nabil et des autres disciples de Baha’u’llah à cette époque, était principalement d’enseigner sa Cause aux membres de la communauté babie. Mais il l’avertit de ne pas fréquenter et même de fuir, ceux qui manifestent de l’animosité envers lui. C’est surtout une allusion aux babis qui furent infidèles à la Cause et attirés vers Mirza Yahya.

Cette exhortation à éviter ceux qui se lèvent au sein de la communauté pour s’opposer au Centre de la cause, est unique dans le domaine religieux. Elle visait à protéger les fidèles de l’influence pernicieuse des égoïstes, des vaniteux et des hypocrites qui s’efforcent de diviser la foi de Dieu et d’introduire le schisme dans ses rangs. Dans les révélations du passé, aucune disposition n’était prise pour protéger la Foi de la division. Dans de nombreux cas, les disciples interprétaient les paroles de leur prophète à leur convenance et, par conséquent, de nombreuses dénominations apparurent au sein de chaque religion. Dans cette révélation, Baha’u’llah a mis en place des dispositions strictes afin d’empêcher ceci d’arriver. Il n’a donné à personne, à l’exception du Centre désigné de son alliance, ‘Abdu’l-Baha, le droit d’interpréter ses Écrits avec autorité. (n242) Il a bien fait comprendre que si deux personnes se disputent entre elles concernant leur compréhension d’un sujet de la Foi, toutes deux ont tort. Ces dispositions figurent parmi celles qui sont incorporées dans l’institution de l’Alliance et qui garantissent l’unité de la communauté baha’ie.

Le Bab a passé une alliance avec ses disciples concernant «Celui-que-Dieu-rendra-manifeste». Mirza Yahya et ses partisans brisèrent cette alliance, et au lieu de manifester de la loyauté et de la soumission envers Baha’u’llah, ils se rebellèrent contre lui et firent tout ce qui était en leur pouvoir pour détruire la cause de Dieu. À la différence des Manifestations du passé, Baha’u’llah ne permit pas à ces éléments nocifs de demeurer dans le corps de la Cause et de le contaminer. Il les rejeta de la communauté et interdit à ses disciples de les fréquenter. (n243)

Baha’u’llah passa une alliance avec ses disciples, selon laquelle ils devaient tous se tourner vers ‘Abdu’l-Baha après son ascension. Ceux qui brisèrent cette alliance et se soulevèrent contre son Centre, se considéraient toujours comme baha’is. Mais ‘Abdu’l-Baha, suivant l’exemple donné par Baha’u’llah, expulsa ces éléments malsains de la communauté, purifia la Cause de leur pollution, et demanda aux croyants de les éviter pour leur propre protection.

Dans une épître (r1), ‘Abdu’l-Baha affirme que quelques personnes parviennent à la foi et à la certitude et se lèvent pour servir et enseigner la cause de Dieu, mais qu’ultérieurement, elles tombent dans la confusion et la désillusion. La raison en est qu’elles ont désobéi à ses commandements et ont fréquenté les impies. Baha’u’llah a clairement exhorté ses disciples à éviter la compagnie des êtres maléfiques. Dans Les Paroles Cachées, il enjoint:

«Ô fils de poussière !
Prends garde ! Ne va pas avec l’impie et ne recherche pas sa société, car une telle fréquentation change le rayonnement du coeur en feu de l’enfer.» (r2)

Dans l’une de ses épîtres, ‘Abdu’l-Baha déclare:

«En bref, le point est le suivant: ‘Abdu’l-Baha est extrêmement bon, mais lorsque la maladie est la lèpre, que dois-je faire ? Tout comme dans les maladies du corps, nous devons empêcher le contact et l’infection et mettre en pratique les lois sanitaires - car les maladies infectieuses physiques détruisent les fondations de l’humanité ; de même, l’on doit protéger et sauvegarder les âmes bénies des souffles et des maladies spirituelles fatales ; sinon la transgression, à l’instar de la peste, deviendra contagieuse et tous périront.» (r3)

Au cours du ministère de Shoghi Effendi, des événements similaires eurent lieu. Mais ceux qui levèrent la tête pour créer le schisme dans la Foi furent rejetés et, comme leurs prédécesseurs, ils périrent. Ce principe de purification de la communauté de l’influence pernicieuse des briseurs de l’Alliance, qui protège par là l’unité de la cause de Dieu, a été de la plus grande importance dans le passé et continuera à l’être à l’avenir.

Dans la Suriy-i-Damm, Baha’u’llah conseille à Nabil de se parer de ses caractéristiques, de faire flotter sur les croyants les brises chargées du musc de la sainteté et de supporter avec résignation et force d’âme les souffrances et les persécutions qui pourraient lui être infligées. Il l’exhorte à être résigné et soumis sous le joug d’une douloureuse oppression, lui rappelle que la résignation et la soumission figurent parmi ses propres attributs et déclare que de tous les actes, il n’y a rien de plus méritoire aux yeux de Dieu que les soupirs du persécuté et de l’opprimé qui endurent la souffrance avec patience et force d’âme. Il presse Nabil de rechercher, où qu’il aille, la compagnie des bien-aimés de Dieu, de paraître au milieu des gens avec dignité et sérénité, d’enseigner la cause de son Seigneur selon la capacité de ceux qui l’écoutent, et de s’en remettre à Dieu pour son assistance et ses confirmations.

Dans cette épître, Baha’u’llah insiste sur la nature de sa révélation exaltée ainsi que sur les souffrances et les persécutions qui furent accumulées sur lui par une génération perverse. Les passages suivants, traduits par Shoghi Effendi, sont extraits de la Suriy-i-Damm:

«Loué sois-tu, ô Seigneur, mon Dieu, pour les merveilleuses révélations de ton décret impénétrable et pour la multitude des maux et des épreuves que tu m’as réservés. Tu m’as une fois livré aux mains de Nemrod, et tu as, une autre fois, permis à Pharaon de me persécuter. Tu es seul à pouvoir estimer, par ta science qui embrasse toutes choses et par l’opération de ta volonté, les afflictions incalculables dont j’ai souffert en leurs mains. Tu m’as ensuite jeté dans la geôle réservée aux impies, pour la seule raison que j’avais fait à l’oreille des habitants les plus dignes de ton royaume une timide allusion à la vision que tu m’avais envoyée, en m’en révélant par le pouvoir de ta puissance le sens intime et caché. Puis tu as décrété que j’aurais la tête tranchée par l’épée des infidèles. Et j’ai été de surcroît crucifié pour avoir dévoilé aux hommes les perles cachées de ta glorieuse unité, et révélé à leurs yeux les signes merveilleux de ton pouvoir souverain et éternel. Qu’amères furent plus tard les humiliations accumulées sur ma tête dans la plaine de Karbila ! Quel fut, là, mon isolement au milieu de ton peuple ! À quel état d’abandon y fus-je réduit ! Mais non contents de ces indignités, mes persécuteurs me décapitèrent et, portant haut ma tête de pays en pays, ils en firent parade devant la multitude des infidèles et la déposèrent en trophée aux pieds des pervers et des mécréants. Ma poitrine fut, par la suite, offerte en cible aux traits cruels de mes ennemis, mes membres criblés de balles, et tout mon corps déchiré. Et vois comment, en ce jour, mes perfides ennemis se sont finalement ligués contre moi et ne cessent de comploter en vue d’instiller dans l’âme de tes serviteurs le venin de la malignité et de la haine. Ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour atteindre leur but... Mais pour cruel que soit mon sort, je te rends grâces, ô mon Dieu, et mon coeur est rempli de gratitude pour tout ce qui m’est advenu dans le chemin de ton bon plaisir. Je suis heureux de tout ce que tu as ordonné pour moi, et bienvenues me seront, si affligeantes qu’elles puissent être, toutes les peines dont tu voudras encore m’accabler.» (r4)

Nabil exécuta fidèlement les instructions de Baha’u’llah. Il voyagea dans toute la Perse et confirma un grand nombre d’âmes qui embrassèrent sa Cause.

* SURIHS DU HAJJ :

Au cours de cette période, Baha’u’llah révéla la Suriy-i-Hajj (Sourate du Pèlerinage) pour la visite à la maison du Bab. Il envoya cette épître à Nabil et lui ordonna de se rendre à Shiraz.

Dans cette épître, Baha’u’llah prescrit les rites qui doivent être accomplis lorsque les pèlerins iront visiter la maison du Bab. Il ordonna à Nabil de les exécuter en son nom. Lorsque Nabil accomplit ces longs rites, qui débutent à l’extérieur de la ville et continuent tout au long du chemin vers la maison et à l’intérieur, il attira l’attention d’un grand nombre et les badauds conclurent qu’il avait perdu la raison !

Ayant obéi aux instructions de Baha’u’llah à Shiraz, Nabil reçut une autre épître, la Suriy-i-Hajj (Sourate du Pèlerinage) pour la maison de Baha’u’llah à Bagdad et il reçut l’ordre de se rendre dans cette ville et d’accomplir les rites du pèlerinage pour cette maison aussi en son nom. Avec une grande dévotion et beaucoup d’enthousiasme, et en dépit d’un public curieux, il réussit une fois de plus à mettre en oeuvre les rites ordonnés par Baha’u’llah dans cette épître.

Ces règles sacrées furent plus tard confirmées dans le Kitab-i-Aqdas et seront respectées à l’avenir lorsque la cause de Baha’u’llah sera totalement établie et que les circonstances auront radicalement changé. (n244)

* L’HISTOIRE DU ROSSIGNOL ET DU CORBEAU :

À peu près au même moment où les disciples de Mirza Yahya furent rejetés de la communauté du Plus-Grand-Nom, Baha’u’llah révéla, en termes imagés, une magnifique épître en persan. Elle décrit la véritable relation entre Baha’u’llah et Mirza Yahya. Dans cette épître, Baha’u’llah se dépeint comme une Rose mystique apparaissant dans le Jardin du paradis. (r5) La Rose, l’objet de l’adoration du rossignol, appelle ses aimés à venir et à être unis à l’immortelle beauté du Bien-aimé.

Quelques oiseaux ressemblant à des rossignols s’approchent de la Rose, mais ils ne sont pas ravis par son parfum ni par son charme. Un beau et émouvant dialogue s’engage entre les deux. Les oiseaux maintiennent qu’ils ont l’habitude des autres roses et ils se disputent sur le fait que celle-ci n’est pas une véritable Rose, car elle pousse dans un jardin différent. La Rose les appelle dans un langage affectueux et leur rappelle qu’il n’existe qu’une seule Rose ; elle apparut une fois en Egypte, une autre fois à Jérusalem et en Galilée, plus tard elle se manifesta en Arabie, ensuite à Shiraz et maintenant, elle a dévoilé sa beauté à Andrinople. Elle les réprimande d’avoir concentré leur attention sur ce qui les entourait plutôt que sur l’Ami véritable, et prétend qu’ils sont les incarnations du mal et se sont seulement déguisés en rossignols.

Puis la Rose leur raconte une histoire: elle compare les oiseaux au hibou (n245) qui autrefois avait soutenu que le chant du corbeau était bien plus mélodieux que celui du Rossignol. Défiant cette affirmation, le rossignol demanda une preuve et il invita le hibou à rechercher la vérité en entendant la mélodie produite par chaque oiseau, afin que la douce musique de l’Oiseau de paradis puisse être distinguée du croassement du corbeau. Mais le hibou refusa et dit: «Venant d’une roseraie, la voix enchanteresse d’un oiseau est parvenue une fois à mes oreilles, et lorsque j’en demandais l’origine, l’on m’informa que cette voix était celle du corbeau. En même temps, un corbeau s’envola du jardin et l’identité du chanteur m’apparut évidente.»

«Mais c’était ma voix,» fit le rossignol au hibou, «et pour le prouver, je suis capable de gazouiller sur-le-champ des mélodies similaires, si ce n’est de plus belles.» «Entendre tes chansons ne m’intéresse pas,» répliqua le hibou, «car j’ai vu le corbeau et d’autres m’ont assuré que la mélodie qui venait du jardin était la sienne. Si le son de cette musique céleste était le tien, comment cela se fait-il que tu étais caché aux yeux des hommes et que ta renommée ne leur soit pas parvenue ?» «C’est à cause de ma beauté,» répondit le rossignol, «j’ai été méprisé par mes ennemis. Ils étaient résolus à mettre fin à ma vie, et c’est pour cette raison que l’on ébruita mes mélodies sous le nom du corbeau. Mais ceux qui sont dotés d’un coeur sans tache et d’oreilles sanctifiées, ont pu distinguer la voix du véritable rossignol de celle du corbeau.» (n246)

L’histoire du hibou s’arrête là, et la Rose poursuit son dialogue avec les oiseaux déguisés en rossignols. Elle leur dit qu’eux aussi sont de la même nature que le hibou, car ils préfèrent leurs vaines imaginations à la multitude de preuves et de témoignages qui ont été démontrés par la beauté, semblable à une rose, de l’Ami. Elle les appelle à reconnaître la Rose par son charme et son parfum et non par leurs propres critères. Alors que ces exhortations atteignent leur apogée, un magnifique rossignol (n247) à la voix mélodieuse entre dans le jardin et, enchanté par la beauté de la Rose, commence à en faire le tour. «Bien que vous ressembliez de l’extérieur à des rossignols,» il s’adresse aux oiseaux sur un ton de reproche, «vous avez appris les manières et avez acquis les caractéristiques du corbeau, en conséquence de sa fréquentation.» Désignant la Rose, il déclare alors: «Cette Rose divine est l’objet de l’adoration des rossignols du paradis, et cette roseraie est leur demeure. Ce n’est pas une habitation pour les oiseaux mortels. Envolez-vous et partez.» (n248)

Ayant parlé dans ce langage imagé, Baha’u’llah exhorte ses disciples à ceindre leurs reins au service de leur Seigneur et à protéger la cause de Dieu des assauts des infidèles. Il leur conseille de se parer du vêtement des actes purs et d’un caractère digne de louanges, et il leur assure que c’est seulement en menant une vie vertueuse, qu’ils pourront remporter la victoire à la Cause et la protéger des attaques de l’ennemi.

Dans d’innombrables épîtres, Baha’u’llah a enjoint aux croyants la droiture de conduite, la sincérité, la foi, la sainteté et les actes nobles. Dans l’une d’elles, il appelle ses aimés à se lever et à l’aider en menant une vie sainte. Voici ses exhortations:

«Une seule action juste est douée d’une force capable de faire voler la poussière si haut qu’elle dépasse le ciel des cieux. Elle peut rompre tous les liens et rappeler à l’existence la force qui s’est consumée et a disparu...
Sois pur, ô peuple de Dieu, sois pur ; sois juste, sois juste... Dis: O peuple de Dieu ! tout ce qui peut assurer la victoire de celui qui est la Vérité éternelle, de ses armées et ses auxiliaires sur la terre, est consigné, aussi clair et manifeste que le soleil, dans les Livres sacrés et les Écritures. Ces armées ne sont autres que les actions justes, la conduite et le caractère qui trouvent grâce devant lui. Quiconque, en ce jour, se lève pour servir notre cause et appelle à son aide les armées du caractère louable et de la bonne conduite, accomplit un acte dont l’influence se fera très certainement sentir à travers le monde entier.» (r6)

Dans cette épître, Baha’u’llah avertit ses disciples de se tenir sur leurs gardes de peur que, par leurs mauvaises actions, ils attirent le déshonneur sur la Foi. Il déclare que toute action pécheresse qu’ils commettent, lui infligera un coup sérieux et servira à promouvoir les intérêts des ennemis de la cause de Dieu.

L’étude des Écrits démontre clairement que de toutes les souffrances infligées à Baha’u’llah, de loin les plus grandes et les plus graves proviennent de deux fronts: l’un, de ceux qui le trahirent, brisèrent l’Alliance du Bab, et suivirent Mirza Yahya ; l’autre, de quelques-uns de ses propres disciples qui, par leurs actions corrompues, abîmèrent la réputation de la Foi aux yeux des hommes et lui causèrent beaucoup d’angoisse et de douleur.

Dans l’une de ses épîtres, il épanche en ces termes ce qu’il a dans le coeur:

«Je ne me plains pas du fardeau de mon emprisonnement, ni ne m’afflige de mon abaissement ou de la souffrance que j’endure aux mains de mes ennemis. Par ma vie, c’est là ma gloire, une gloire dont le Seigneur a orné son propre soi, si vous le saviez !
L’affront qu’on m’a fait subir a révélé la gloire dont la création est investie. Et par les cruautés que j’ai subies, le soleil de la justice se manifeste et répand sa splendeur sur les hommes.
J’ai de la peine pour ceux qui, s’abandonnant à leurs passions corrompues, prétendent pourtant s’associer à la foi de Dieu, le Clément, le Loué.
Il convient au peuple de Baha de mourir au monde et à tout ce qu’il contient, d’être si détaché des choses terrestres que les habitants du paradis respirent sur leurs vêtements le délicieux parfum de la sainteté, et que tous les peuples reconnaissent sur leurs visages l’éclat du Très-Miséricordieux ; ainsi, ils pourront répandre au loin les signes de Dieu le Tout-Puissant, le Très-Sage. Ils sont manifestement dans l’erreur ceux qui, cédant aux inclinations de la chair, ont terni le beau nom de la cause de Dieu.» (r7)

Et encore:

«Ma captivité n’a pour moi rien d’infamant. Par ma vie, elle me confère la gloire. Ce qui peut me faire honte, c’est la conduite de ceux de mes disciples qui professent qu’ils m’aiment, alors qu’en fait, ils suivent le Malin. Ceux-là vraiment sont du nombre des égarés.» (r8)

* LAWH-I-NASIR :

La Lawh-i-Nasir fut révélée en l’honneur de Haji Muhammad-Nasir, originaire de Qazvin. Cette épître relativement longue est écrite, dans sa plus grande partie, en persan, et une petite part en a été traduite en anglais par Shoghi Effendi et est incluse dans Florilège d’écrits de Baha’u’llah. (n249)

Haji Nasir était un marchand bien connu et tenu en grande estime par ses concitoyens jusqu’à ce qu’il embrassât la Foi babie. À dater de cette époque, il endura des persécutions et le peuple s’opposa amèrement à lui. Il reconnut l’origine divine du message du Bab par l’intermédiaire de Mulla Jalil-i-Urumi, l’une des Lettres du Vivant. (n250) On rapporte que lorsque Haji Nasir a reconnu l’authenticité des prétentions du Bab, Mulla Jalil l’avertit qu’une simple reconnaissance n’était pas suffisante en ce jour, qu’il ne pouvait pas porter le nom de babi jusqu’à ce qu’il fût préparé à donner sa vie volontairement dans le sentier de Dieu, si l’ennemi devait se lever contre lui. Il lui demanda de rentrer chez lui et de rechercher en son coeur pour voir s’il avait une foi suffisante pour rester ferme en face des tortures et du martyre. Si c’était le cas, il était babi, autrement, il ne l’était pas. Haji Nasir répondit aux paroles de Mulla Jalil en passant toute la nuit dans la prière et la méditation. À l’aube, il se sentit possédé par une telle foi, un tel détachement, qu’il était prêt à sacrifier sa vie dans le sentier de son Bien-aimé. En une nuit, il avait acquis un zèle et un rayonnement nouveaux qui le soutinrent tout au long de sa vie mouvementée.

Bientôt, les persécutions débutèrent ; la première agression commença lorsque Haji Nasir devint la cible d’attaques perpétrées par une foule assoiffée de sang à Qazvin. Tous ses biens furent pillés et il fut temporairement obligé de quitter sa ville natale. Lorsque la situation se calma, il retourna chez lui. De là, en obéissance à l’appel du Bab, il se rendit dans le Khurasan. Il eut le privilège de participer à la conférence de Badasht où, comme l’ont affirmé quelques historiens, il servit de garde à l’entrée du jardin qui était réservé au séjour de Baha’u’llah. De Badasht, il se rendit dans le Mazindaran et il fut l’un des défenseurs de la forteresse de Shaykh Tabarsi. (n251) Comme l’histoire l’a retenu, des centaines de ses condisciples furent massacrés dans ce soulèvement, mais la main du pouvoir divin épargna la vie de Haji Nasir et lui permit de rendre d’autres services à la cause de Dieu.

Il revint à Qazvin et reprit son travail, mais bientôt un autre soulèvement cerna les croyants. L’attentat à la vie de Nasiri’d-Din Shah en 1852 (n252) déchaîna une vague de persécution contre les babis. Haji Nasir fut arrêté à Qazvin et jeté en prison. Mais après quelque temps, il fut libéré. Il subit un autre emprisonnement alors qu’il était à Téhéran, où il fut enchaîné et entravé. Une fois délivré de son épreuve, il découvrit que tous ses biens s’étaient envolés. Grâce à l’aide et à la coopération de Shaykh Kazim-i-Samandar (n253), Haji Nasir continua à gagner sa vie, en dépit de tant de harcèlement de la part de l’ennemi, mais il dut déménager à Rasht.

La couronne de gloire de toute sa vie fut de se retrouver en présence de Baha’u’llah à Acre. Lors de ce pèlerinage, il était accompagné de Shaykh Kazim mentionné plus haut. Baha’u’llah déversa sur lui ses générosités et l’assura de son affectueuse bonté. Il passa la dernière partie de sa vie dans la ville de Rasht et était engagé dans le travail d’enseignement de la cause de Dieu jour et nuit. Une fois de plus, les ennemis le jetèrent en prison. Cette fois, à cause de son grand âge, il ne put endurer les rigueurs de la vie carcérale et son âme, après tant d’années d’épreuves et de souffrances, prit son envol vers la demeure du Bien-aimé. Il mourut d’une mort de martyr dans la prison de Rasht en l’an 1300 de l’Hégire (1888).

Lorsque la nouvelle de la mort de Haji Nasir parvint aux oreilles des ennemis de la Cause, nombre d’entre eux, y compris des enfants, s’en prirent à sa dépouille et la lapidèrent. Dès que l’on ramena ses restes chez lui, un certain nombre de voyous forcèrent le passage et tentèrent de le démembrer. Il est impossible de décrire les sentiments d’horreur et de consternation qui accablèrent sa famille et ses bien-aimés alors qu’ils assistaient, impuissants, aux cruelles atrocités perpétrées par la foule de fanatiques impitoyables. Ceux-là firent couper le nez de Haji Nasir et arracher ses yeux avant que les voisins ne les arrêtent. Ces derniers jetèrent son corps dans un four de briques abandonné qui se trouvait à proximité et le couvrirent de pierres.

Baha’u’llah a rendu un magnifique hommage à Haji Nasir pour sa fermeté en la cause de Dieu et a révélé une prière de souvenance pour lui. Dans l’Epître au Fils du Loup, il se souvient de lui en ces termes:

«Parmi ces derniers figurait Haji Nasir qui était, sans conteste, une brillante lumière à l’horizon de la résignation. Après l’avoir martyrisé, on lui arracha les yeux, on lui coupa le nez, puis on lui infligea de telles indignités que des étrangers pleurèrent et se lamentèrent ; ces derniers collectèrent secrètement des fonds pour soutenir sa femme et ses enfants.» (r9)

La Lawh-i-Nasir fut révélée à Andrinople en réponse à la demande d’explication de Haji Nasir concernant la place de Mirza Yahya. Il avait essayé pendant quelque temps d’éclaircir cette mystérieuse situation et de découvrir le rang de Baha’u’llah. Lorsque la nouvelle de la rébellion de Mirza Yahya à Andrinople lui parvint, il écrivit à Baha’u’llah et le pria de l’éclairer. C’est dans cette épître que Baha’u’llah jette la lumière sur la nomination par le Bab de Mirza Yahya comme chef de la communauté babie et il mentionne que seulement deux personnes furent informées des véritables circonstances de sa désignation. (n254) Il condamne ses actes fourbes, sa tentative d’homicide sur Baha’u’llah et ses accusations éhontées qui lui attribuaient ses propres crimes.

Une portion considérable de cette épître s’adresse au peuple du Bayan. Baha’u’llah leur rappelle les innombrables prophéties et exhortations du Bab concernant le rang exalté de celui qui devait venir après lui. Il leur proclame, dans une langue sans équivoque, les bonnes nouvelles de sa révélation, leur conseille passionnément de purifier leur coeur des questions futiles et corrompues, les appelle avec la plus grande et la plus affectueuse des bontés à embrasser sa Cause, et s’afflige que nombre d’entre eux se soient levés pour s’opposer à lui.

Le passage suivant de la Lawh-i-Nasir, inclus dans Florilège d’écrits de Baha’u’llah, s’adresse au peuple du Bayan.

«Déchirez en mon nom les voiles qui, si fâcheusement, obscurcissent votre vision, et par le pouvoir qu’engendre votre croyance en l’unité de Dieu, brisez les idoles des vaines imitations. Entrez alors dans le saint paradis du bon plaisir du Très-Miséricordieux. Purifiez vos âmes de tout ce qui n’est pas Dieu et goûtez la douceur du repos au sein de son immense et puissante révélation, à l’ombre de sa suprême et infaillible autorité. Ne souffrez pas de rester enveloppés des voiles épais de vos désirs égoïstes. J’ai parfait en chacun de vous ma création, pour que l’excellence de mon ouvrage soit pleinement révélée aux yeux des hommes. Ainsi l’homme a toujours été et restera à jamais capable de sentir de lui-même la beauté de Dieu, le Glorifié. S’il n’avait pas cette faculté, comment pourrait-il être rendu responsable de ne l’avoir pas fait ? Si, au jour où tous les peuples de la terre seront rassemblés devant Dieu, il était demandé à un homme: «Pourquoi n’as-tu pas cru en ma beauté et t’es-tu détourné de moi ?» et que cet homme répondît: «Je n’ai fait ainsi que suivre l’exemple des autres dont pas un seul ne s’est trouvé pour tourner sa face vers la vérité et reconnaître la Beauté de l’Éternel», cette sorte de justification serait assurément rejetée. Car la foi de tout homme ne dépend de personne d’autre que lui-même.» (r10)

Dans cette épître, Baha’u’llah affirme que les bontés de Dieu ont été accordées à chaque être humain, mais seuls ceux qui en ont la capacité et dont le coeur est pur, peuvent les recevoir. Il donne l’exemple de la graine qui produira de bons arbres si elle est plantée dans un sol fertile, alors que dans une terre stérile, elle ne se développera pas. Il presse Nasir de devenir un réceptacle de la grâce de Dieu en ce jour, et affirme que si tous les peuples du monde devaient se priver de sa gloire, cela n’aurait aucun effet sur le déversement des bontés de Dieu.

Faisant allusion à lui-même comme le «céleste Adolescent», Baha’u’llah révèle ces émouvants versets dans la Lawh-i-Nasir et chante le rang de ceux qui l’ont reconnu:

«Ô Nasir, ô mon serviteur ! Dieu, l’éternelle Vérité, m’en est témoin. En ce jour, le céleste Adolescent élève, au-dessus de la tête des hommes, le calice de l’immortalité. Il se tient sur son siège dans l’attente, se demandant quel oeil reconnaîtra sa gloire et quel bras résolu se tendra pour saisir, de sa main blanche comme la neige, la coupe de vie pour y boire longuement. Un petit nombre seulement se sont jusqu’ici désaltérés à cette douce et incomparable grâce de l’ancien Roi. Ceux-là occupent les plus hautes demeures du paradis et sont fermement installés sur les sièges d’autorité. Par la justice de Dieu ! ni les miroirs de sa gloire, ni les révélateurs de ses noms, ni aucune chose créée, qui a été ou qui sera, ne les pourront jamais dépasser. Puissiez-vous le comprendre !
Ô Nasir, l’excellence de ce jour dépasse immensément la compréhension des hommes, si étendues que soient leurs connaissances et profond leur entendement ; et comme elle dépasse encore plus les vaines imaginations de ceux qui se sont égarés loin de sa lumière et ont été tenus éloignés de sa gloire ! Si tu déchirais le voile qui t’aveugle grièvement, tu contemplerais une générosité que rien n’a égalé ni n’égalera jamais et à quoi rien n’a ressemblé ni jamais ne ressemblera, depuis le commencement qui n’a pas de commencement jusqu’à la fin qui n’a pas de fin.» (r11)

Il existe un verset du Coran qui affirme: «Nous leur montrerons bientôt nos Signes dans l’univers et en eux-mêmes.» (r12) Ce verset fait allusion à l’influence que la Manifestation de Dieu exerce sur l’ensemble de la création. Par son avènement, il libère dans le monde une mesure de la puissance spirituelle. Il manifeste aussi les gages de sa grâce au sein du coeur des hommes. Baha’u’llah, dans la Lawh-i-Nasir, affirme que ces deux «signes» ont été manifestés en ce jour. Il déclare que les signes de son pouvoir et de son ascendance ont embrasé le monde et que toute la création a été dotée d’une capacité nouvelle. Ils ont même touché le coeur des hommes, et pourtant les gens y sont aveugles.

Lorsque Baha’u’llah fit ces déclarations à Nasir, les preuves de son influence dans le monde de l’humanité n’étaient pas aussi évidentes qu’elles le sont aujourd’hui. N’importe quel observateur impartial peut être témoin que les énergies libérées par sa révélation ont mis en branle un processus de régénération qui touche désormais la trame tout entière de la société humaine. D’une part, le pouvoir irrésistible issu de sa révélation a illuminé le coeur de millions de personnes qui ont reconnu son rang, suivi ses enseignements et sont devenus les réceptacles de sa Cause, les bâtisseurs et les défenseurs de son Ordre mondial. Le reste de l’humanité, d’autre part, qui n’est pas encore touchée par la lumière de sa Foi, est profondément affectée par l’esprit de l’âge qui est engendré et soutenu par chacun des enseignements de Baha’u’llah. Ces peuples sont entraînés dans le tourbillon de son invincible force. Impuissants et confus, ils reconnaissent leur incapacité à s’accrocher à leurs ordres antiques et périmés, qui avaient constitué leur unique havre, leur seul refuge pendant des siècles. Ils exercent tous les efforts possibles pour trouver un moyen de raviver ce qui est ancien afin qu’il puisse co-exister avec le nouveau. Mais au fur et à mesure que le temps passe, ils comprennent progressivement la futilité de ces tentatives. Certains tentent d’adapter leurs institutions établies de longue date au nouvel esprit de cet âge, mais compromis après compromis, ils affaiblissent leur cause. D’autres ont abandonné, désillusionnés et passifs, et souvent se sont radicalement placés en marge de la société.

Le processus d’intégration et de consolidation qui marque la croissance de la communauté baha’ie s’accélère à chaque jour qui passe, et tire sa force animatrice directement de la révélation de Baha’u’llah. Aucune force de l’univers ne peut, avant l’apparition de la prochaine Manifestation de Dieu, (n255) arrêter la marche en avant de la Foi ou la dévier de la route que Dieu a choisie pour dévoiler et établir ses institutions divines. Au contraire, comme l’histoire l’a clairement démontré, chaque incident, qu’il soit constructif ou destructif, a contribué au progrès de la foi de Baha’u’llah et continuera à le faire à l’avenir. Les activités désintéressées de ses adhérents déclarés, ainsi que l’opposition et les persécutions d’un monde incroyant, étendront, main dans la main, les intérêts de la Foi jusqu’au point où elle embrassera l’ensemble de l’humanité.

Le processus de désintégration, d’autre part, provoqué par l’indifférence de l’homme ou son opposition à la cause de Baha’u’llah, est en train de démolir brutalement l’ordre ancien. L’esprit de cet âge, libéré par Baha’u’llah, peut être comparé aux forces qui compriment l’humanité et la tirent vers l’universalité et l’unité du genre humain. Lorsque les gens, consciemment ou inconsciemment, s’opposent à ces forces, ils créent des tensions au sein de leur société. Comme la vague d’une marée qui gagnerait en ampleur, la magnitude des forces libérées par Baha’u’llah augmente jour après jour et, en conséquence, il arrivera un temps où ces tensions atteindront leur point de rupture.

Presque chaque guerre ou événement suscitant l’angoisse, qui s’est déroulé sur cette planète au cours des cent dernières années, a été causé par l’opposition de l’homme aux forces de l’universalité et de l’unité qui influencent le monde depuis la venue de Baha’u’llah. Les préjugés de race, de religion ou autre, le nationalisme, vont à l’encontre des enseignements de Baha’u’llah. Par conséquent, tout peuple, dont les actions sont motivées par les préjugés, la haine, l’égoïsme, l’avidité et surtout l’opposition au principe d’unité de l’humanité, engendrera l’agitation, la tension et le massacre dans le monde et, tôt ou tard, scellera son propre destin.

Après avoir vu brièvement l’apparition de ce «signe» de la révélation de Baha’u’llah dans le monde, dont il est fait allusion dans le verset du Coran et dans la Lawh-i-Nasir, ci-dessus mentionnés, examinons l’autre «signe» indiqué dans ce même verset, à savoir la manifestation des gages de Dieu au sein de la personne. Jamais depuis la déclaration de Baha’u’llah dans le jardin de Ridvan, sa révélation n’a doté chaque âme d’une nouvelle capacité et insufflé un esprit nouveau en chaque forme, (n256) ainsi qu’en attestent ses paroles:

«En vérité, sur notre ordre irrésistible et souverain, toutes les âmes ont expiré. Puis, nous avons appelé à l’être une création nouvelle en signe de notre grâce envers les hommes. Je suis en vérité le Très-Généreux, l’Ancien des jours.» (r13)

Et le Bab a prophétisé:

«Le germe d’une année, qui porte en lui-même le potentiel de la révélation à venir, est doué d’un pouvoir supérieur aux forces combinées du Bayan tout entier.» (r14)

De nos jours, les êtres humains de partout, sans considération de race, de couleur ou de nationalité, possèdent la capacité de parvenir à la connaissance de Dieu et d’acquérir les qualités spirituelles. Ils ont démontré qu’ils peuvent apprendre et devenir de manière égale compétents en matière d’art, de culture et de science, qu’ils viennent de l’Orient ou de l’Occident. Cela n’était pas possible par le passé, lorsque la majorité des peuples du monde étaient arriérés, lorsque l’esclavage était monnaie courante et que de vastes multitudes étaient sous la domination de quelques-uns. Mais l’universalité du message de Baha’u’llah et les forces d’une vie nouvelle, libérées par lui au sein de la personne, ont donné naissance à une nouvelle race d’hommes qui ont acquis une nouvelle vision et la volonté de penser avec indépendance et d’agir avec réflexion.


Parce qu’il a manqué de reconnaître Baha’u’llah, la nouvelle capacité de l’homme, au lieu de le mener vers le sentier de la vérité, a engendré un énorme conflit, une immense confusion dans son esprit. Afin d’apprécier ce point, nous devons regarder en arrière jusqu’à l’époque située juste avant la venue de Baha’u’llah. Les êtres humains d’alors, dans le monde entier, étaient raisonnablement satisfaits de leur sort. Il n’y avait pas autant de compétition et de lutte entre les gens. La majorité acceptait leurs croyances religieuses traditionnelles, et il n’y avait pas autant d’agnostiques et d’athées que maintenant, pas plus qu’il n’y avait autant de sectes religieuses. Mais avec la venue de Baha’u’llah, la situation a changé radicalement.

Pour illustrer ce propos, utilisons l’analogie de la lumière et de l’obscurité. Si un certain nombre de personnes devaient vivre dans une pièce obscurcie, il n’y aurait aucune raison pour eux de se disputer au sujet de choses qu’ils ne pourraient pas voir. Mais si la pièce devait être illuminée, tout le monde pourrait voir par soi-même. Ce serait alors à ce moment-là que des différences pourraient être suscitées concernant la forme et l’ordre des choses parmi ces personnes.

Avant que n’apparaisse la Foi de Baha’u’llah, l’humanité se trouvait dans un état d’obscurité. Les gens tenaient leurs croyances comme inéluctables et s’impliquaient rarement et de manière indépendante dans des controverses. C’était principalement les chefs politiques et religieux qui tenaient les rênes et guidaient les masses à ce qu’ils jugeaient approprié. Mais lorsque le Soleil de vérité apparut, l’esprit des hommes fut illuminé. Ils acquirent une vision nouvelle et commencèrent à penser par eux-mêmes. Les gens commencèrent à remettre en question la validité et la véracité de leur Foi et pendant une brève période, de grandes différences apparurent. Les religions furent divisées, de nombreuses sectes naquirent et multiplièrent avec le passage du temps. Un grand nombre de gens quittèrent totalement leur religion et basculèrent dans les rangs des agnostiques et des athées. Des millions de personnes se levèrent pour demander leurs droits. Des révolutions eurent lieu dans plusieurs parties du monde et de nouvelles doctrines et idéologies furent promulguées. Les arts et les sciences explosèrent soudainement, ouvrant une ère de progrès technologiques sans précédent, établissant un merveilleux système de communication à travers la planète. (n257)

Toutes ces avancées qui eurent lieu au cours des cent-cinquante dernières années, ne sont pas arrivées par hasard. Elles sont dues à l’introduction d’une nouvelle capacité en chaque âme. Baha’u’llah, dans l’une de ses épîtres, proclame:

«Par le mouvement de notre plume de gloire, nous avons, sur l’ordre du tout-puissant Ordonnateur des choses, insufflé dans chaque être humain un renouveau de vie et instillé dans chaque mot une puissance nouvelle. Toutes choses créées proclament les signes de cette régénération mondiale.» (r15)

En plus des deux «signes» précédemment mentionnés, Baha’u’llah déclare que la profusion même des Paroles envoyées vers lui par Dieu constitue encore un autre signe qui établit la vérité de sa révélation pour ce jour. Concernant cette profusion, Baha’u’llah informe Nasir que:

«Tels sont les torrents (...) provenant des nuées de la bonté divine, qu’en l’espace d’une heure, l’équivalent d’un millier de versets ont été révélés.» (r16)

Comme nous l’avons déjà mentionné, de nombreux disciples, présents lorsque Baha’u’llah révélait les versets de Dieu, étaient impressionnés et intimidés par les preuves extérieures de son grand pouvoir et de son immense gloire. (n258) Dans la Lawh-i-Nasir, Baha’u’llah y fait allusion et affirme que si cela n’avait pas été à cause de la faible spiritualité de l’homme, il aurait accordé à tous la permission d’assister à la révélation, afin qu’ils puissent voir son épanchement et contempler la majesté transcendante de celui qui est le Révélateur de la parole de Dieu.

Dans cette épître, Baha’u’llah dévoile le rang exalté des véritables croyants et décrit la misère de ceux qui récusent. Il déclare que chaque être humain en ce jour contient potentiellement en son sein tous les pouvoirs et attributs qui doivent être découverts dans la création physique. La contrepartie des cieux, de la montagne, de la vallée, de l’arbre, du fruit, de la rivière et de la mer, peuvent être découverts et être présents en chaque âme. Ils apparaissent comme des vertus divines chez les croyants, et comme des vices sataniques chez ceux qui renient. Par exemple, chez les fidèles, sont manifestés les cieux de la compréhension, les arbres de l’unité, les feuilles de la certitude, les fruits de l’amour de Dieu, les mers de la connaissance et les rivières de la sagesse. Tandis que chez ceux qui récusent, l’on peut trouver les cieux de l’infidélité, la terre de la haine, les arbres de la rébellion, les branches de l’orgueil et les feuilles de la luxure et de la méchanceté.

Mais les croyants sont de deux sortes. Certains ne sont pas conscients de cette générosité. Ils se sont privés de sa grâce par des actes indignes et ils sont tenus écartés de la contemplation de sa grande gloire comme par un voile. D’autres qui sont dotés de la vision intérieure par la Miséricorde de Dieu, sont capables, avec à la fois leurs yeux intérieurs et extérieurs, de voir en eux-mêmes les signes de son pouvoir et les merveilles de son ouvrage. C’est un état dans lequel l’individu devient indépendant de toutes choses sauf de Dieu, et possèdera d’infinis pouvoirs sur toutes choses. En effet, il embrassera en son âme tout ce qui a été créé dans cet univers. Baha’u’llah déclare que si une telle âme, consciente de ces pouvoirs en elle-même, se levait avec détermination pour servir la cause de Dieu, elle établirait son ascendant sur toute l’humanité, même si toutes les forces de cette dernière devaient se liguer contre elle.

L’histoire de la Foi est remplie d’histoire de l’héroïsme et du courage des hommes et des femmes qui parvinrent à ce rang élevé. Les noms immortels de Mulla Husayn, Quddus, Tahirih, Vahid, Hujjat et Badi’ ne constituent que quelques exemples parmi de nombreux autres. Ces âmes ont acquis un tel ascendant, une telle influence dans les royaumes de Dieu, que leur parole devenait créatrice. Lorsqu’elles étaient confrontées aux attaques de l’ennemi, elles démontraient une force et un pouvoir que l’on ne peut qualifier que de surhumain.

Mulla Husayn, le premier à croire en le Bab, a laissé le témoignage suivant concernant sa transformation complète, la nuit de sa déclaration:

«Cette révélation qui venait de m’être imposée d’une manière si soudaine et si impétueuse sembla, pendant un certain temps, tel un coup de foudre, avoir paralysé mes facultés. J’étais aveuglé par son éblouissante splendeur et accablé par sa force écrasante. L’émotion, la joie, la crainte et l’émerveillement remuaient les profondeurs de mon âme. Parmi ces sensations prédominait un sentiment de joie et de force qui semblait m’avoir transfiguré. Comme auparavant je m’étais senti faible et impuissant, timide et déprimé; je ne pouvais, à ce moment ni écrire ni marcher, tant mes mains et mes pieds tremblaient. Mais désormais, la connaissance de sa révélation galvanisait tout mon être. Je sentais en moi un courage et une puissance tels que même si le monde entier, tous ses peuples et ses potentats, devaient se liguer contre moi, je résisterais, seul et intrépide, à leurs assauts. L’univers ne semblait qu’une poignée de poussière dans ma main. Il me semblait être la voix de Gabriel personnifiée, appelant toute l’humanité en ces termes: "Réveille-toi. Regarde! La lumière de l’aube a pointé. Lève-toi car sa cause est manifestée. La porte de sa grâce est grande ouverte; entrez-y, ô peuples du monde, car celui qui est votre Promis est venu !"» (r17)


Depuis ce soir mémorable, Mulla Husayn fut doté d’un courage et d’une force d’âme surhumains. Chaque incident relié à sa vie de service à la nouvelle foi de Dieu le prouve. C’est vrai aussi pour de nombreux autres disciples du Bab et de Baha’u’llah.

Par exemple, l’incident suivant qui survint dans la vie de Vahid, (n259) illustre bien ses pouvoirs nés de Dieu et il rappelle de nombreux actes aussi héroïques. Dans l’année 1850, à Yazd, à l’instigation de Navvab-i-Radavi, l’un des puissants dignitaires de la ville, un très grand nombre de gens se levèrent pour attaquer Vahid. Voici comment Nabil-i-A‘zam relate l’histoire:

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Pendant ce temps, le navvab réussissait à provoquer une insurrection générale à laquelle la masse des habitants devait prendre part. Ceux-ci se préparaient à attaquer la maison de Vahid lorsque ce dernier appela Siyyid ‘Abdu’l-‘Azim-i-Khu’i, surnommé le Siyyid-i-Khal-Dar, qui avait pris part durant quelques jours à la défense du fort de Tabarsi, et dont la dignité de comportement attirait l’attention de beaucoup, et lui dit de monter son propre cheval et de lancer publiquement, à travers les rues et les bazars, un appel de sa part à toute la foule pour l’exhorter à embrasser la cause du Sahibu’z-Zaman. «Qu’elle sache, ajouta-t-il, que je me défends d’avoir l’intention que l’on me prête de mener la guerre sainte contre elle. Qu’elle soit avertie cependant que, si elle persiste à assiéger ma maison et poursuit ses attaques contre ma personne, au mépris de mon rang et de ma descendance, je serai contraint pour me défendre à la repousser et à la disperser. Si elle décide de rejeter mon conseil et cède aux médisances du rusé navvab, je donnerai l’ordre à sept de mes compagnons de la repousser et d’anéantir ses espoirs.»

Siyyid-i-Kha1-Dar enfourcha sa monture et, escorté de quatre de ses frères choisis entre tous, alla à travers le marché lancer, dans un langage majestueux, l’avertissement qu’il était chargé de proclamer. Non satisfait par le message qui lui avait été confié, il osa y ajouter, à sa propre manière inimitable, quelques paroles par lesquelles il essaya d’accroître l’effet qu’avait produit la proclamation. «Gare à vous, gronda-t-il, si vous dédaignez notre appel. Ma haute voix, je vous en avertis, suffira à faire trembler les murs mêmes de votre fort, et la puissance de mon bras sera capable de briser la résistance de ses portes!»

Sa voix de stentor se fit entendre telle une trompette et sema la consternation dans les coeurs de ceux qui l’entendirent. D’une seule voix, la population terrifiée déclara son intention de déposer les épées et de cesser de molester Vahid, dont la descendance, disait-elle, serait désormais reconnue et respectée. (r18)
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Peu après ces événements, lors d’un autre incident, un grand nombre de personnes entourèrent la maison de Vahid, avec l’intention de l’attaquer, ainsi que ses compagnons qui avaient récemment embrassé la nouvelle foi de Dieu. Voici ce que Nabil écrit à ce propos:

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L’ennemi le suivit jusqu’à cette maison, absolument décidé à s’emparer de lui et à le tuer. La clameur de la foule qui s’était massée autour de sa maison obligea Vahid à donner l’ordre à Mulla Muhammad-Riday-i-Manshadi, l’un des ‘ulamas les plus éclairés de Manshad, qui s’était débarrassé de son turban et s’était offert comme portier, de faire une sortie et, avec l’aide de six compagnons de son choix, d’éparpiller leurs forces. «Que chacun de vous élève la voix, leur commanda-t-il, et répète sept fois les mots "Allah-u-Akbar" (n260) et, à la septième invocation, qu’il se lance en avant, au même moment, au milieu des assaillants.»

Mulla Muhammad-Rida, que Baha’u’llah avait surnommé Rada’r-Ruh (n261), se leva d’un bond et se mit aussitôt, avec ses compagnons, à exécuter les instructions qu’il avait reçues. Ceux qui l’accompagnèrent, quoique frêles de corps et inexpérimentés dans le maniement de l’épée étaient embrasés par une telle foi qu’ils devinrent la terreur de leurs adversaires. Sept des plus redoutables ennemis périrent ce jour-là, c’est-à-dire le 27 Jamadiyu’th-thani. «À peine avions-nous mis l’ennemi en déroute, relata Mulla Muhammad-Rida, et nous en retournions-nous chez Vahid, que nous trouvâmes Muhammad-‘Abdu’llah gisant blessé devant nous.» (r19)
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Il est intéressant de remarquer que les babis, tout au long de leur histoire courte et mouvementée, ont eu recours à la force pour se défendre contre l’ennemi. (n262) Lors de ces batailles défensives, ils envoyaient souvent quelques hommes attaquer les grandes armées qui les entouraient, et dans presque tous les cas, ils infligeaient des défaites humiliantes à leurs adversaires.

Au moment où les ennemis de Baha’u’llah en Irak complotaient pour prendre sa vie et détruire la cause de Dieu, un certain nombre de religieux de ce pays, envisageaient de lancer la guerre sainte contre les babis. (n263) Un jour, quelques amis se tenaient en présence de Baha’u’llah, alors qu’il faisait les cent pas dans les appartements de réception de sa maison. Parmi eux se trouvaient deux hommes perfides étroitement liés à ces religieux, mais qui prétendaient être des amis de la Foi. Baha’u’llah parlait aux croyants et l’on rapporte qu’il aurait dit: «Les religieux ont appelé certains croisés de Najaf et de Karbila, à venir lancer la guerre sainte contre nous.» Puis se tournant vers les deux fauteurs de troubles, il déclara: «Je jure par le Dieu Tout-Puissant que je n’ai pas besoin d’envoyer plus de deux de mes gens pour les repousser et les poursuivre aussi loin que Kazimayn.» (n264) (r20)

Ces quelques exemples démontrent le pouvoir que la véritable foi de Dieu peut engendrer chez les croyants. Ce pouvoir qui animait les disciples du Bab et de Baha’u’llah, est le même que celui auquel le Christ fait allusion:

«... Car, en vérité je vous le déclare, si un jour vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette montagne: Passe d'ici là-bas, et elle y passera. Rien ne vous sera impossible.» (r21)

Baha’u’llah promet dans une épître (r22) que si un croyant devient ferme en l’amour de son Seigneur et se détache de ce monde, Dieu lui permettra d’influencer les réalités de toutes choses créées de telle manière que par le pouvoir du Tout-Puissant, il peut faire tout ce qu’il désire. Lorsqu’une personne atteint ce stade de maturité, elle ne prononcera de paroles si ce n’est pour Dieu, ne bougera pas si ce n’est pour lui et ne verra rien d’autre que sa Beauté. Une telle personne n’aura jamais peur de quiconque même si toute l’humanité devait se soulever contre elle.

* LAWH-I-KHALIL :

La nouvelle de la déclaration de Baha’u’llah d’une part, et de la rébellion de Mirza Yahya de l’autre, sema, comme cela a déjà été dit, le doute et la confusion dans l’esprit de certains croyants de Perse. Parmi ceux qui écrivirent à Baha’u’llah pour demander des explications et des éclaircissements, se trouvait Haji Muhammad-Ibrahim-i-Qazvini, auquel Baha’u’llah s’est adressé en le surnommant «Khalil». (n265) Ce croyant fut d’autant plus confus qu’il reçut quelques versets en arabe composés par Mirza Muhammad-‘Ali (n266) (un jeune fils de Baha’u’llah) et qu’il prétendait être les versets de Dieu envoyés par révélation divine, à l’instar de ceux de son Père. Dans ces écrits, il fait allusion à lui-même comme étant le révélateur de la parole de Dieu, lui qui fut introduit dans la plus grande révélation, et par les paroles duquel toute la création était venue à l’existence !

Mirza Muhammad-‘Ali avait envoyé secrètement ses écrits d’Andrinople à Qazvin. Trois croyants en particulier avaient succombé à l’influence de ses prétentions et constituaient ses principaux partisans. Il s’agissait de Mirza ‘Abdu’llah, Haji Hasan et son frère Aqa ‘Ali. (n267) En conséquence, cela suscita une grande controverse à Qazvin. Les quelques partisans de Mirza Muhammad-‘Ali, qui considéraient leur jeune champion comme ayant un rang égal à celui de son Père, s’accrochèrent avec les autres croyants de Qazvin. Il y eut de chauds débats au sein de la communauté et Shaykh Kazim-i-Samandar déclara avec insistance que les écrits de Mirza Muhammad-’Ali consistaient en une suite de phrases en arabe et n’avaient aucune relation avec la parole de Dieu. Ce fut principalement à cause de cette controverse que Khalil envoya une lettre à Baha’u’llah, lui demandant de faire la lumière sur son propre rang et celui de ses fils. Ce qui probablement fut fait au moment où Baha’u’llah emménagea dans la maison de Rida Big, car il fait allusion aux questions de Khalil dans la Lawh-i-Ruh. (n268)

Baha’u’llah réprimanda sévèrement Mirza Muhammad-‘Ali pour ses absurdes prétentions et le châtia de sa propre main. Il révéla une épître (r23) en réponse à Khalil, déclara son propre rang et expliqua la position de ses fils. Les incertitudes qui agitaient l’esprit de Khalil se dissipèrent. Il devint un croyant ferme et fut le destinataire d’autres épîtres. (n269)

Baha’u’llah déclare qu’aussi longtemps que ses fils croiront en lui, respecteront les commandements de Dieu, ne dévieront pas de la Foi et ne créeront pas de divisions dans la Cause, ils pourront être considérés comme les feuilles et les branches de son Arbre et les membres de sa sainte famille. Par leur intermédiaire, la miséricorde de Dieu sera révélée et sa lumière diffusée. Muhammad-‘Ali ne vécut pas selon ces critères. À part cette absurde prétention, il infligea d’autres blessures à la cause de Dieu du vivant de Baha’u’llah et après son ascension, il brisa son alliance et se rebella contre ‘Abdu’l-Baha. (n270)

Dans l’Epître à Khalil, Baha’u’llah fait allusion à ‘Abdu’l-Baha en des termes qui le distinguent très nettement des autres. Il fait allusion à lui comme celui parmi ses fils «de la bouche [duquel], Dieu fera couler les signes de sa puissance» et comme celui que «Dieu a spécialement choisi pour sa Cause». (r24) Et pourtant, du vivant de Baha’u’llah, ‘Abdu’l-Baha répugnait tant à écrire (n271) quoi que ce soit, qu’à un moment, les croyants se plaignirent. En réponse, il leur dit que lorsque la voix perçante de la Plume du Très-Haut se faisait entendre de tous côtés, il n’était guère approprié que d’autres écrivent.

Dans une épître (r25) adressée à l’Ismu’llah, Siyyid Mihdiy-i-Dahaji, Baha’u’llah réprimande certains croyants pour avoir désigné de manière idiote son fils comme étant son associé dans la révélation divine. Faisant allusion à Muhammad-‘Ali de nom, Baha’u’llah affirme dans cette épître: «Il n’est, en vérité, que l’un de mes serviteurs... S’il s’éloignait, fut-ce un moment, de l’ombre de la Cause, il serait sûrement réduit à néant.» (r26)

Dans un langage sans équivoque, Baha’u’llah affirme que la Manifestation de Dieu est exaltée au-dessus de toute l’humanité et ne peut s’associer avec quiconque. Il déclare dans ses écrits que Dieu accorde l’infaillibilité à ses Manifestations. Il appelle cela la Plus-Grande-Infaillibilité, qui est uniquement la prérogative du Prophète et de personne d’autre. On ne doit pas la confondre avec l’infaillibilité conférée que Baha’u’llah a accordée à ‘Abdu’l-Baha.

* LAWH-I-SIRAJ :

Mulla ‘Ali-Muhammad-i-Siraj, originaire d’Isfahan, écrivit à Baha’u’llah et posa certaines questions au sujet de la position de Mirza Yahya. Il était devenu babi dans les premiers jours de la Foi et avait retrouvé le Bab dans cette ville. Ce fut sa soeur Fatimih (n272) que le Bab, après beaucoup d’insistance de la part de Manuchihr Khan, le gouverneur d’Isfahan, prit comme sa seconde épouse. Mulla ‘Ali-Muhammad-i-Siraj devint un disciple de Mirza Yahya, et bien que Baha’u’llah expliquât dans cette épître tout ce qui était nécessaire concernant la cause de Dieu, il resta méfiant, et avec son frère, Mulla Rajab-‘Aliy-i-Qahir, il continua à soutenir les activités maléfiques de Mirza Yahya.

Cette épître révélée pour Siraj est très longue (n273), et comme nombre d’autres épîtres de cette période, elle réfute les mensonges de Mirza Yahya et de ceux de ses partisans. Baha’u’llah déclare, dans une langue émouvante et affectueuse, que sa motivation à révéler cette épître, était d’enseigner la foi de Dieu, afin que peut-être, quelques âmes puissent le reconnaître et se lever pour le triomphe de sa Cause. Il déclare qu’il ne peut y avoir de plus grande injustice dans le monde que celle où la Beauté bénie devrait avoir besoin d’apporter des preuves afin d’établir la vérité de sa propre mission, en dépit du fait qu’il est aussi évident que le soleil, et que les effusions de sa révélation ont embrassé le monde entier. Il affirme que la cause de Dieu est exaltée au-dessus des preuves et que jamais, on ne pourra la juger par quelque critère que ce soit, si ce n’est le sien propre. Pourtant, il a consenti, pour le bien de la gouverne de quelques âmes, à démontrer les vérités enchâssées dans sa Foi.

La question fondamentale posée par Siraj concernait les titres et le rang exaltés que le Bab avait conféré à Mirza Yahya. Il souhaitait savoir comment une telle personne pouvait être dénoncée par Baha’u’llah comme étant l’incarnation de Satan et le point central de la négation.

Les explications de Baha’u’llah sont à la fois profondes et simples, et elles sont principalement fondées sur les Écrits du Bab. Les décrire en l’absence d’une traduction n’est pas chose aisée. De plus, afin de les comprendre, il est nécessaire de se familiariser avec la terminologie islamique et babie. Cependant, l’explication fondamentale de Baha’u’llah est que, aussi longtemps que l’homme demeure à l’ombre de la cause de Dieu, ses vertus et ses qualités sont dignes de louanges, mais lorsqu’il se retire de cette générosité et s’oppose à la Foi, ses vertus deviennent des vices et sa lumière se change en ténèbres.


Dans de nombreuses épîtres, Baha’u’llah insiste sur ce thème. Par exemple, dans son épître à Shaykh Salman (n274), révélée à Andrinople, il déclare qu’un croyant véritablement fidèle à la cause de Dieu, manifeste des vertus divines. Par sa dévotion à Dieu, le Soleil de vérité jette ses rayons sur son âme et, par conséquent, ces vertus viennent à la lumière. Aussi longtemps qu’il reste dans cet état, ses attributs dignes de louanges, qui proviennent de Dieu, sont évidents et irréfutables.

Si la même personne devait, ultérieurement, répudier la cause de Dieu, toutes ses vertus retourneraient à leur origine et ses réussites deviendraient vaines. Dépouillée des qualités divines, on ne pourrait plus la considérer comme étant la même personne. Baha’u’llah affirme que même les habits qu’elle porte, bien que physiquement identiques qu’auparavant, sont en réalité différents. Car, aussi longtemps que cette personne reste un véritable croyant, bien qu’elle puisse porter le coton le plus rêche, aux yeux de Dieu ses vêtements sont aussi brillants que la soie du paradis, tandis qu’après son reniement, ils ne sont bons qu’à brûler au feu de l’enfer. (n275) Pour illustrer ce point, Baha’u’llah cite l’exemple d’une bougie. Aussi longtemps que la bougie est allumée, elle illumine tout autour d’elle. Mais si le vent l’éteint, la lumière le sera aussi.


Il y a de nombreuses personnes qui ont rendu des services remarquables à la Foi et leurs noms sont inscrits dans ses annales, pourtant lorsque souffla le vent des épreuves, elles furent incapables de subjuguer leur personne et leur ego. Non seulement elles perdirent la foi, mais aussi leur bonté et leurs vertus. Elles chutèrent des hauteurs de gloire dans l’abysse de l’humiliation et de l’ignominie.

Jamal-i-Burujirdi, dont il a été fait allusion précédemment (n276), constitue un exemple parlant. Au cours du ministère de Baha’u’llah, il était l’un des principaux enseignants de sa Cause. Où qu’il aille, les croyants se pressaient autour de lui afin de prendre leur part de ses connaissances.

Jamal était un homme fourbe qui désirait prendre les rênes du pouvoir et languissait après la gloire, mais la grande majorité des croyants ne s’en rendait pas compte. Ils le considéraient comme un homme de Dieu et le traitait avec grand respect.

Dans les communautés islamiques, les hommes érudits étaient révérés par le peuple. Baha’u’llah a aussi exhorté ses disciples à honorer les véritables érudits dans la Foi, ceux dont la connaissance et le savoir ne sont pas devenus une cause d’orgueil et de glorification de soi. Une personne qui est véritablement érudite dans la Foi, est celle qui a atteint de telles hauteurs de détachement qu’elle considère sincèrement son savoir comme le néant absolu en comparaison avec les vérités de la cause de Dieu. Elle devient l’incarnation de l’humilité et de l’effacement de soi. Le meilleur exemple en est Mirza Abu’l-Fadl, auquel une brève allusion a été faite précédemment. (n277) Avant d’embrasser la Foi, Mirza Abu’l-Fadl faisait souvent état de son propre savoir et de ses accomplissements. Après sa reconnaissance de la Foi, cependant, il devint si humble que dans toute sa vie de baha’i, jamais il ne chercha à s’élever au-dessus de quiconque et jamais il n’utilisa les mots «Moi, je...» pour signaler, ni même faire allusion à, ses propres réussites. Sa grandeur ne résidait pas simplement dans le fait qu’il ne disait pas «Moi, je...», mais en sa croyance authentique qu’il ne méritait pas de le dire.

Il ne fait aucun doute que c’est concernant de tels hommes que Baha’u’llah révèle ce qui suit dans le Kitab-i-Aqdas:
«Soyez heureux, ô vous les savants en Baha. Par le Seigneur ! Vous êtes les vagues du très puissant océan, les étoiles du firmament de gloire, les étendards du triomphe qui flottent entre terre et ciel. Vous êtes les manifestations de la fermeté parmi les hommes et les aurores de la parole divine pour tous ceux qui vivent sur terre. Heureux celui qui se tourne vers vous, et malheur à l'obstiné.» (r27)

Dans les premiers jours de la Foi, des individus tels que Jamal, qui se considéraient supérieurs aux autres en connaissance et élevés en rang, et qui prétendaient être les plus distingués, s’avérèrent toujours être la source de lutte et de compétition. Baha’u’llah a saisi le pouvoir et l’autorité des mains de ces hommes et a déclaré que les interprétations de tous les individus ne faisaient pas autorité, quand bien même on considérait ces derniers comme étant les plus savants dans la Foi. Au lieu de cela, il a décrété que toutes les questions soient soumises à des institutions élues de la Foi dont l’institution suprême, la Maison universelle de justice, est placée sous sa propre direction.

Jamal-i-Burujirdi fut pendant presque quarante ans l’un des plus éminents enseignants de la Foi. Au cours de cette période, il réussit à cacher son être véritable aux yeux des fidèles. Mais, comme nous l’avons affirmé, certains d’entre eux, dotés d’intuition, découvrirent qu’il était un maître d’hypocrisie et de tromperie. L’un d’eux était Ustad Muhammad ‘Aliy-i-Salmani (n278) qui rencontra Jamal à Andrinople quand ce dernier était venu pour se trouver en présence de Baha’u’llah. Dans ses mémoires, Salmani relate l’histoire suivante:

Un jour que j’apportais de l’eau dans l’appartement extérieur de la maison de Baha’u’llah, j’appris que Aqa Jamal-i-Burujirdi était arrivé. Je me rendis dans la salle de réception et le trouvais assis dans un coin, vêtu d’un ‘aba [manteau] et portant un grand turban. (n279) Il tenait ses mains de telle manière que si quelqu’un l’avait voulu, il aurait pu les baiser ! (n280) Il ne s’était pas encore retrouvé en la présence de Baha’u’llah. Cette créature semblait être un prêtre excentrique.

J’avais pour habitude de me considérer comme un homme rusé et roublard. Alors j’entrai, saluant en passant d’un «Allah-u-’Abha’», et sans plus lui prêter d’attention, à lui qui était assis à l’autre extrémité de la salle. Puis je m’allongeai par terre et après quelque temps, je me levai et m’assis encore. Je fis tout cela afin de blesser sa vanité car c’était là un homme pompeux qui était assis dans la salle de réception de la Beauté bénie avec un air de supériorité et un ego très enflé. Après l’avoir traité de cette façon sans respect, je le regardai pendant un moment et ensuite lui dit: «Comment allez-vous ?» Il secoua simplement la tête vers moi. Puis je le laissai là et sortis vaquer à mes corvées jusqu’à l’après-midi où l’on apporta la nouvelle qu’il était convoqué en présence de Baha’u’llah. J’entrai et l’invitai à me suivre. Je le conduisis vers les appartements privés de la maison. Nous montâmes les escaliers qui menaient à la chambre de Baha’u’llah. La Plus-Pure-Branche (n281) se tenait en présence de la Beauté bénie.

Je me tenais à l’entrée de la salle. Jamal entra en prétendant trembler de tous ses membres puis il se prosterna ; ce n’était là qu’une simple comédie. La Beauté bénie était assise ; la Plus-Pure-Branche s’avança pour aider Jamal à se redresser. Mais Baha’u’llah l’arrêta en disant: «Laisse-le, il se relèvera tout seul.» Après un moment, il se releva ; il s’assit d’abord et ensuite se leva. Baha’u’llah le renvoya de sa présence et ne dit rien. Jamal (...) resta quelques jours, puis Baha’u’llah le renvoya en Perse. Cet homme était corrompu dès le départ, son but n’était rien d’autre que prendre le commandement... (r28)

Ce fut cet appétit insatiable pour le pouvoir qui finalement détruisit Jamal. Car la Foi de Baha’u’llah ne permet pas à ces éléments malsains de rester en son sein. Elle repousse intrinsèquement les gens futiles et égoïstes. À l’instar d’un océan, lorsque monte la marée, elle rejette sur le rivage les cadavres et se purifie d’elle-même de leur pollution. Dans les premières années du ministère de ‘Abdu’l-Baha, avant que ne devienne publique la rébellion de Mirza Muhammad-‘Ali, Jamal plongea la communauté de Téhéran dans une situation de perplexité en y recherchant le pouvoir. Bien qu’il se fût allié à Mirza Muhammad-‘Ali, pendant quelque temps, néanmoins il apparut loyal à ‘Abdu’l-Baha. Durant cette période, il plongea les esprits de nombreuses personnes dans la confusion et rivalisa ouvertement avec les Mains de la cause de Dieu (n282) dans son combat pour gagner un rang pour lui-même dans la Foi. Lorsque la rébellion de Mirza Muhammad-‘Ali apparut au grand jour, Jamal devint l’un de ses lieutenants. Il fut rejeté de la Foi par le pouvoir de l’Alliance. ‘Abdu’l-Baha a dit que Jamal était un poison pour la communauté et que son expulsion de la Foi a purifié celle-ci de sa pollution. La chute de Jamal fut aussi spectaculaire que sa montée. Lorsqu’il se rebella contre ‘Abdu’l-Baha, le Centre désigné de la cause de Baha’u’llah, il devint un mort spirituel et périt bientôt. Ses derniers jours se passèrent dans le remord et la misère absolue. Les foules qui autrefois l’assaillaient avec enthousiasme pour entendre ses paroles, furent démantelées, car l’esprit de la foi avait quitté son âme. Même l’un de ses fils, Mirza Lutfu’llah, qui demeura ferme dans l’Alliance, se dissocia de lui. Mirza Lutfu’llah, qui plus tard prit le nom de famille de Mawhidat, était un artiste au talent remarquable. Il rendit un service unique à la Cause en enluminant un grand nombre d’épîtres qui sont conservées dans les archives de la Foi. Ces magnifiques enluminures restent comme un témoignage de son génie artistique ainsi que de sa dévotion à la cause de Dieu.

Dans son Épître à Siraj, Baha’u’llah déclare que les partisans de Mirza Yahya à Andrinople, avaient affirmé que, tout comme l’or ne peut se transmuer en un métal plus vil, ainsi une âme qui atteint un rang exalté (par exemple, Mirza Yahya), ne peut jamais le perdre. En réponse à cela, Baha’u’llah a révélé ces paroles:

Vois les doutes qu’ont semés dans le coeur des habitants de ce pays ceux qui se sont érigés en partenaires de Dieu. Ils demandent: «Est-il possible de changer le cuivre en or ?» Dis: Certes, par mon Seigneur ! cela est possible. Mais c’est un secret de notre science. Nous le révélerons à qui nous voudrons. Quiconque doute de notre pouvoir, qu’il demande au Seigneur, son Dieu, de lui découvrir ce secret et de l’assurer de sa vérité. Que le cuivre puisse être changé en or prouve que l’or peut aussi être changé en cuivre, si vous êtes de ceux qui peuvent comprendre cette vérité. À tout minéral on peut faire acquérir la densité, la forme et la substance de chacun des autres minéraux. La science de ceci est avec nous dans le Livre caché. (r29)

La question de l’alchimie a occupé l’esprit des gens pendant des siècles. Au cours du ministère de Baha’u’llah, c’était une question d’actualité dans laquelle plusieurs croyants étaient impliqués. Baha’u’llah les pressa de ne pas chercher à y parvenir à cette époque. Cependant, il confirma que la transmutation d’un métal vil en or, le rêve de tout alchimiste, était possible. Il promit qu’elle serait réalisée et affirma que cette réalisation constituerait l’un des signes de la maturité de l’humanité. Il prophétisa aussi qu’après sa découverte, une grande calamité attendrait le monde, à moins que l’humanité ne trouve refuge dans la cause de Dieu. (r30) De nos jours, les physiciens, par des procédés nucléaires particuliers, sont capables de transmuer divers éléments en d’autres.

Dans la Lawh-i-Siraj, Baha’u’llah insiste longuement sur les mauvaises actions de Mirza Yahya, fait allusion à lui-même comme étant Joseph, et décrit ses propres souffrances aux mains de son frère qu’il conseillait affectueusement de se repentir et de retourner vers son Dieu.

Concernant la révélation de sa Parole, Baha’u’llah informe Siraj que la Parole de Dieu a été envoyée avec une intensité et une profusion telles que «les secrétaires ne sont pas capables de le transcrire. Aussi, la plus grande partie n’a-t-elle pas été recopiée.» (r31) Il affirme que, bien qu’une grande partie de ses Écrits furent jetés à la rivière à Bagdad sur ses propres instructions, (n283) il existait pourtant l’équivalent de cent mille versets à Andrinople, dont aucun n’a été transcrit jusque-là. Il affirme que plusieurs personnes ont demandé l’autorisation de pouvoir compiler ces épîtres disponibles, en livres pour diffusion parmi les croyants, mais qu’il ne l’avait pas permis. À la place, il leur avait assuré que Dieu susciterait à l’avenir des hommes exaltés qui rassembleraient ses Écrits et les compileraient sous la meilleure forme possible. Il déclare que la révélation de la Parole constitue la fonction de la Manifestation de Dieu, tandis que sa promulgation concerne l’homme. Il donne l’exemple du Coran, qui fut compilé après Muhammad, tout comme les Évangiles après le Christ.

De nos jours, les disciples de Baha’u’llah assistent à l’accomplissement de ces paroles. Plusieurs volumes des épîtres de Baha’u’llah ont été depuis compilés dans les langues persane et arabe d’origine, ainsi que quelques-uns dans d’autres langues. Ce processus prend à présent de l’ampleur et au fur et à mesure que le temps passe, de plus en plus seront disponibles. À part tout ceci, la Maison universelle de justice, l’institution suprême de la Foi, depuis les premiers jours de sa création, (n284) s’est donnée pour tâche de réunir les Écrits saints, une tache qui, par vertu de son importance suprême, joue un rôle significatif dans le déroulement de la révélation de Baha’u’llah.


CHAPITRE 12: Épreuves de foi

* LA CHUTE DES ETOILES :

En novembre 1866, alors que Baha’u’llah résidait dans la maison de Rida Big, une averse météorique spectaculaire eut lieu. Des milliers d’étoiles filantes illuminèrent le ciel au moment où elles s’enflammaient en pénétrant dans l’atmosphère. Cet événement, qui avait été appelé la «chute d’étoile» de 1866, fut observé par des millions de gens en Orient et en Occident, et pour nombre d’entre eux, ce fut terrifiant. (n285)

D’après les Évangiles, la chute des étoiles constitue l’un des signes de la venue du Christ dans la gloire du Père. (n286) Baha’u’llah, dans l’une de ses épîtres citée dans l’Épître au Fils du Loup, y fait référence:

«Ô toi qui as tourné ton visage vers les splendeurs de ma face ! De vagues chimères ont circonvenu les habitants de la terre et les ont empêchés de se tourner vers l’horizon de la certitude, vers son éclat, ses manifestations et ses lumières. Les superstitions les séparent de celui qui ne dépend que de lui-même. Mus par leurs propres fantaisies, ils parlent et ne comprennent point. Ainsi, il y a ceux qui disent... «Les étoiles sont-elles tombées ?» Dis: «Oui, lorsque l'Indépendant résidait au pays du mystère (Andrinople). Soyez avertis, vous qui êtes doués de discernement !» Tous les signes apparurent quand nous sortîmes la main de pouvoir du sein de la majesté et de la puissance.» (r1)

Bien que cette manifestation fascinante de chutes d’étoiles ait constitué un accomplissement littéral des anciennes prophéties, on doit trouver son sens réel dans les Écrits de Baha’u’llah et de ‘Abdu’l-Baha où sont interprétés les termes des Évangiles. Baha’u’llah explique que la chute des étoiles signifie la chute des chefs religieux qui perdent de leur influence sur l’humanité parce qu’ils ont refusé la révélation de Baha’u’llah. S’adressant aux ecclésiastiques chrétiens, Baha’u’llah proclame dans l’une de ses épîtres:

«Ô assemblée d’évêques ! vous êtes les étoiles du ciel de ma connaissance. Ma miséricorde ne désire pas vous voir tomber sur la terre. Pourtant ma justice déclare: «C’est ce que le Fils (Jésus) a décrété.» Et tout ce qui est sorti de sa bouche innocente, véridique et digne de confiance ne pourra jamais être altéré.» (r2)

Et encore:

«Ils sont tombés les astres du ciel de la connaissance, ceux qui, pour démontrer la vérité de ma Cause, produisent leurs preuves et parlent de Dieu en mon Nom. Et cependant, lorsque je vins vers eux dans ma majesté, ils se détournèrent de moi. En vérité, ils sont du nombre de ceux qui sont tombés.» (r3)

Aussi loin que le montre l’histoire écrite, chaque religion a eu ses dirigeants. Dans les révélations du passé, le clergé a joué un rôle majeur dans la conduite des affaires de la religion. Ses membres sont devenus l’élément le plus vital dans la trame de la société humaine, et ils ont exercé une influence puissante dans la vie de la communauté. Ils ont acquis une autorité importante qui ne s’est jamais affaiblie jusqu’à l’arrivée de Baha’u’llah, lorsque par un trait de sa plume exaltée, il les a dépouillés du pouvoir dont ils bénéficiaient depuis le commencement des temps. Il a écrit dans l’une de ses épîtres:

«À deux classes parmi les hommes, le pouvoir a été retiré: aux rois et au clergé.» (r4)

L’influence créatrice des paroles de Baha’u’llah dans cette déclaration, ainsi que dans d’autres du même style, a mis en marche le processus de désintégration des institutions religieuses et la chute progressive de leurs dirigeants, lesquels sont de plus en plus conscients de leur impuissance à exercer une influence significative sur leurs communautés. (n287)

Dans cette révélation, Baha’u’llah a aboli la prêtrise. Il a confié la gestion de sa Foi aux institutions qu’il a désignées de l’expression de «Maisons de justice». (n288)

* SURIY-I-‘IBAD :

La Suriy-i-‘Ibad (Sourate des serviteurs) fut révélée en arabe à Andrinople en l’honneur de Siyyid Mihdiy-i-Dahaji. Siyyid Mihdi, dont il fut question dans un chapitre précédent (n289), fut surnommé par Baha’u’llah, Ismu’llahu’l-Mihdi (le Nom de Dieu, celui qui est guidé). C’était l’un des célèbres enseignants de la Cause durant le ministère de Baha’u’llah, mais à l’instar de Jamal-i-Burujirdi, qui était aussi surnommé «‘Ismu’llah», c’était un homme fier et ambitieux qui finalement brisa l’alliance de Baha’u’llah et se rebella contre ‘Abdu’l-Baha.

Siyyid Mihdi était natif de Dahaj dans la province de Yazd. Il vint en la présence de Baha’u’llah à Bagdad, Andrinople et Acre et il fut l’objet de son infaillible générosité. Tout comme Jamal, il voyagea beaucoup dans toute la Perse et était très honoré par les croyants. Pourtant, les personnes douées de discernement le trouvèrent hypocrite, égoïste et profondément attaché aux choses de ce monde. Haji Mirza Haydar-‘Ali est notamment l’un de ceux qui ont écrit leurs impressions à son sujet. Il avait écrit aussi à propos de Jamal-i-Burujirdi. Une lecture de ses récits démontre clairement que ces deux hommes avaient au moins une chose en commun, à savoir un appétit insatiable et prononcé pour le pouvoir. Siyyid Mihdi entrait toujours dans les réunions baha’ies en affichant un air de supériorité. Il aimait voir marcher derrière lui une suite de fidèles, et la nuit, il était précédé par un certain nombre de croyants qui portaient des lanternes pour lui. (n290) En ce temps-là, cela donnait un spectacle voyant, car normalement un serviteur ou un ami avec une lanterne accompagnait une personne la nuit. Mais dans son cas, certains croyants rivalisaient les uns avec les autres afin de rendre ce service, et Haji Mirza Haydar-‘Ali se souvient d’un soir où pas moins de quatorze hommes, lanterne en main, l’escortèrent à une réunion !

De tels hommes finissent toujours par tomber. La foi de Baha’u’llah n’abrite pas d’égoïstes qui cherchent à se glorifier. La servitude est son empreinte et la norme qu’elle exige consiste en la pureté d’intention et la sincérité. Il n’est donc pas surprenant de découvrir que Siyyid Mihdi et Jamal-i-Burujirdi furent terrassés lorsque les vents des épreuves commencèrent à souffler. Tous deux brisèrent l’alliance de Baha’u’llah, et dans l’espoir de devenir les chefs indiscutés de la Foi en Perse, s’allièrent avec Mirza Muhammad-‘Ali (n291) et se rebellèrent contre le Centre désigné de la cause de Dieu. (n292) Lorsque ce fait fut porté à la connaissance des croyants en Perse, ces derniers les abandonnèrent à leurs propres machinations et bientôt, leur gloire se transforma en humiliation. Ils firent d’abord retentir une grande clameur et beaucoup de bruit au sein de la communauté. Ils perturbèrent l’esprit de nombre de personnes, mais le pouvoir de l’Alliance les balaya dans les abysses de l’ignominie et purifia la Foi de leur pollution.

Au cours de son ministère, Baha’u’llah tut les fautes et les torts de Siyyid Mihdi. Dans ses épîtres, il déversa sur lui sa tendre bonté et l’exhorta à la sincérité, à la pureté et au détachement. Il n’y a guère d’épîtres révélées en son honneur dans laquelle ces points n’aient pas été mis en exergue. Lorsque Baha’u’llah quitta Bagdad pour Constantinople, il demanda à Siyyid Mihdi de venir vivre dans sa maison (n293) et de devenir son intendant.

Alors qu’il résidait dans cette maison, un petit incident survint qui révéla la faiblesse de sa foi et démontra son attachement aux choses matérielles. Quelques voleurs entrèrent par effraction dans la maison et dérobèrent certains de ses effets personnels. La perte de ces quelques petits biens causa chez Siyyid Mihdi tant de chagrin qu’il alla s’en plaindre à Baha’u’llah. En réponse, Baha’u’llah révéla une épître dans laquelle il lui conseillait d’être détaché des choses de ce monde. Il lui rappelait que ses chagrins étaient semblables au néant absolu comparés aux souffrances que Baha’u’llah lui-même avait endurées dans le sentier de Dieu.

La Suriy-i-‘Ibad fut révélée par Baha’u’llah dans les premiers temps de son séjour à Andrinople alors que Siyyid Mihdi était toujours l’intendant de la Plus-Grande-Demeure de Bagdad. Il l’y enjoint de mener une vie pieuse, de purifier son coeur de la souillure du monde et de se détacher de sa propre personne et de toutes choses créées. Baha’u’llah chante sa propre Essence et déclare que pendant de nombreuses années, il avait révélé les Paroles de Dieu avec une grande profusion tout en cachant sa gloire derrière de nombreux voiles de dissimulation. Lorsque eut sonné l’heure propice, il a cependant dévoilé son rang exalté et jeté une mesure infinitésimale de la lumière de son visage sur toutes choses créées. En conséquence de cette effusion, l’Assemblée céleste (n294) et les élus de Dieu furent frappés de stupeur et de terreur mystérieuse.

Une partie considérable de cette épître relate les événements du voyage de Bagdad vers Andrinople. Elle sert aussi de canal de communication entre Baha’u’llah et les croyants en Irak, car il s’y adresse aux croyants en général et à quelques-uns en particulier. Il les exhorte à la droiture de conduite, à la fermeté en son amour et à l’unité entre eux.

Bien que la vie de Siyyid Mihdi, en tant que baha’i, s’achevât dans l’infamie et qu’il périt spirituellement, il avait un neveu, Haji Siyyid ‘Ali-Akbar-i-Dahaji, une incarnation de la foi et de la servitude, que Baha’u’llah aimait beaucoup. À propos de ce croyant, voici ce qu’écrit Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri dans son inédite «Histoire de la Foi dans la Province de Yazd»:

«Feu Haji Siyyid ‘Ali-Akbar-i-Dahaji était l’un des premiers croyants. Rarement il y eut une âme aussi distinguée et aussi pieuse que la sienne. C’était un neveu de Siyyid Mihdi, l’Ismu’llah (...) Physiquement, il était très bel homme et il possédait une voix douce et mélodieuse. On aurait pu dire que lorsqu’il chantait les Paroles de Dieu, même l’Assemblée céleste et les habitants du Royaume d’Abha étaient ravivés par sa voix (...) Je n’ai jamais entendu quiconque chanter aussi magnifiquement que lui. Il parvint en présence de la Beauté bénie plusieurs fois et devint le réceptacle des faveurs et des générosités infinies de Baha’u’llah. Sa relation avec lui était réellement celle d’un amant avec son Bien-aimé. De nombreuses épîtres furent révélées en son honneur. Entre autres parmi elles, se trouve la fameuse Épître d’Ihtiraq. (n295) (...) Haji Siyyid ‘Ali-Akbar mourut à Téhéran à son retour de Terre sainte après s’être une dernière fois retrouvé en présence de Baha’u’llah. Après son décès, Baha’u’llah indiqua qu’il était si attaché à Haji Siyyid ‘Ali-Akbar qu’il souhaitait que l’on mentionnât le nom de ce croyant en sa présence. Par la suite, il demanda que dorénavant, son oncle Siyyid Mihdi, l’Ismu’llah, fût appelé Siyyid ‘Ali-Akbar.» (r5)

Muhammad-Javad-i-Qazvini est une autre personne que l’on pourrait considérer être de la même trempe que Siyyid Mihdi et Jamal-i-Burujirdi, bien qu’il ne possédât pas le savoir de ces deux derniers. Baha’u’llah lui conféra le titre d’Ismu’llahu’l-Javad (Le Nom de Dieu, le Très-Généreux). Il devint aussi un briseur de l’Alliance et l’un de ceux qui infligèrent de grandes souffrances à la personne de ‘Abdu’l-Baha. Adolescent, Javad se trouva en présence de Baha’u’llah à Bagdad. En 1867, il se rendit à Andrinople avec Nabil-i-A‘zam et figura parmi ceux qui eurent la permission d’accompagner Baha’u’llah à Acre.

Pendant le ministère de Baha’u’llah, Javad bénéficia de sa proximité et en dépit de nombre de ses défauts, Baha’u’llah lui conféra ses faveurs et tut ses fautes. Mais après l’ascension de Baha’u’llah, Javad, mené par ses ambitions et ses aspirations, s’allia avec Mirza Muhammad-‘Ali, l’archi-briseur de l’alliance de Baha’u’llah, causa beaucoup d’angoisse et de douleur à ‘Abdu’l-Baha, et l’attaqua gravement dans ses écrits venimeux qui contenaient nombre d’inexactitudes, de mensonges et de calomnies. Ainsi se termina tragiquement la carrière de quelqu’un que Baha’u’llah avait élevé par sa générosité affectueuse. Cela ne prit guère de temps avant que ses projets et ses aspirations ne soient contrariés et, à l’instar de Jamal et de Siyyid Mihdi, il périt sans gloire.

* L’EPREUVE DE L’OR :

Ayant fait référence à la chute de Javad-i-Qazvini, il est intéressant de relater l’histoire de son frère aîné, Haji Muhammad-Baqir-i-Qazvini qui eut une vie inhabituelle pour un baha’i. Il fut l’un de ceux qui tombèrent en disgrâce mais fut sauvé vers la fin de sa vie. Haji Muhammad-Baqir parvint en présence de Baha’u’llah à Bagdad. Une fois là-bas, il demanda à Baha’u’llah de lui accorder la richesse. Baha’u’llah accéda à sa requête et lui assura que Dieu exaucerait son voeu. Peu après, il devint très riche mais en conséquence de cela, il devint de plus en plus insouciant de la cause de Dieu.

Au cours du récit, par Haji Mirza Haydar-‘Ali, de ce qui paraît être la première audience avec Baha’u’llah à Andrinople, nous trouvons l’histoire suivante de Haji Muhammad-Baqir. Ayant expliqué qu’il ne pouvait exprimer en paroles l’excitation, la crainte et l’émerveillement de ce qu’il ressentait en son coeur lorsqu’il se retrouvait en présence de Baha’u’llah, Haji Mirza Haydar-’Ali écrit:

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Parce c’était les premiers jours de la montée de l’Étoile du matin du monde (n296), Baha’u’llah me demanda de lui faire le récit de l’état des croyants à Téhéran, Qazvin, Zanjan et Tabriz, les villes par lesquelles j’étais passé. Il questionna à propos de leur foi et de leur amour pour la Cause. Je ne répondis pas. (n297) Après avoir été renvoyés de sa présence, on nous [Haji Mirza Haydar-‘Ali et ses deux compagnons] emmena vers un lieu qui avait été arrangé pour notre séjour. Là, Baha’u’llah envoya quelqu’un à qui je pourrais relater l’état des croyants. Je dis tout ce que je savais sur chaque personne, y compris sur feu Haji Muhammad-Baqir qui en ce temps-là, était un marchand bien connu, figurant parmi les premiers des croyants en foi, certitude et enthousiasme, et qui servait la Cause avec dévouement et sacrifice de soi.

Le messager partit et après quelques minutes, revint avec une épître exaltée qui avait été révélée en l’honneur du Haji. Il déclara [au nom de Baha’u’llah]: «Cet homme a rencontré Baha’u’llah à Bagdad. Là-bas, il lui écrivit une lettre et demanda la richesse et la prospérité. En réponse, cette épître exaltée et merveilleuse fut révélée pour lui. Baha’u’llah y déclare que sa requête sera exaucée et que les portes de la prospérité et de la richesse seraient ouvertes pour lui, dans toutes les directions. Cependant, il l’avertit de se tenir sur ses gardes et de ne pas permettre aux richesses de s’ériger en barrières et le rendre insouciant.

«Maintenant vous êtes ici pour rencontrer Baha’u’llah et à l’avenir, vous verrez que cet homme [Haji Muhammad-Baqir] sera submergé par la peur dans une telle mesure qu’il renoncera à Dieu et à sa cause. Peu de temps après, il subira des pertes substantielles, à la suite de quoi il écrira à Baha’u’llah une lettre de repentir. Dieu changera alors ses pertes en profit et il renouera de nouveau franchement avec le succès dans ses affaires et il deviendra l’un des éminents marchands à Constantinople et à Tabriz. Pourtant, il devint encore plus orgueilleux qu’auparavant, plus insouciant et plus malheureux (...) Cette fois, il perdra tous ses biens, sera incapable de continuer son commerce et deviendra impuissant à organiser ses affaires. C’est alors qu’il se repentira et reviendra, et qu’il sera content de vivre comme un pauvre homme. Il passera les jours de sa vie au service de la cause de Dieu. Sa fin sera bénie et il recevra de grandes confirmations de Dieu.» Puis il me dit: «Souvenez-vous de toutes ces choses, car elles arriveront et vous les verrez.»

Nous étions à Andrinople lorsque la nouvelle que Javad, le plus jeune frère du Haji, avait été arrêté et jeté en prison. Haji Muhammad-Baqir avait payé mille toumans (n298) pour la libération de son frère et avait quitté Tabriz pour Constantinople en grande hâte. À son arrivée, il avait rendu visite à feu Mushiru’d-Dawlih, l’Ambassadeur de Perse, et là, en sa présence, il renia sa Foi. Baha’u’llah affirma que c’était là le début de ses épreuves et demanda que les croyants qui passaient par Constantinople, ne le fréquentent pas.

Plus tard, je quittai Andrinople pour Constantinople où je résidai pendant quatorze mois. Là, j’entendis que le Haji avait acheté d’énormes quantités de coton et parce que les cours avaient soudainement chuté de manière drastique, non seulement il avait perdu toutes ses possessions, mais il était aussi incapable de payer ses créanciers (...) Lorsque ceci arriva, il écrivit une lettre de repentir suppliant Baha’u’llah. Une épître sacrée et bénie fut révélée en son honneur. Baha’u’llah lui fit part des bonnes nouvelles que bientôt, il ferait d’énormes bénéfices. Lorsque je me rendis en Egypte, j’entendis que le prix du coton s’était redressé considérablement et la richesse du Haji, en conséquence, fut multipliée par dix. (r6)
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Cette fois, Haji Muhammad-Baqir devint très riche et influent. Il émergea comme étant l’un des marchands les plus éminents à Constantinople et il acquit une grande réputation. Cependant, sa richesse devint encore une fois une barrière entre Dieu et lui. Une fois encore, il abandonna la Cause et coupa complètement les ponts avec Baha’u’llah. Après quelques années, Baha’u’llah demanda à Haji Abu’l-Hasan-i-Amin (n299) d’entrer en contact avec lui et de chercher à savoir comment il allait. Haji Amin alla le voir à Constantinople. Il le trouva totalement insouciant et oublieux de Baha’u’llah et de la Cause. Le monde et ses attraits avaient tellement pris possession de lui qu’à un moment de l’entretien, Haji Muhammad-Baqir désigna un coffre et dit: «Mon dieu est dans cette boîte !»

Haji Amin a affirmé que Baha’u’llah devint très triste lorsqu’il lui rapporta cela. Alors qu’il faisait les cent pas, il s’arrêta, tendit la main, paume vers le haut, et dit: «De cette main, nous lui avons conféré la richesse.» Puis, d’un mouvement brusque, il retira et ferma la main et dit: «Maintenant, de cette même main, nous la lui reprenons.»

Bientôt Haji Muhammad-Baqir perdit tous ses biens. Il se repentit de nouveau et écrivit à Baha’u’llah. Cette fois-ci, une épître fut révélée pour lui dans laquelle Baha’u’llah affirmait clairement que Dieu avait repris ses richesses afin qu’il puisse se tourner de nouveau vers lui et devenir ferme en son amour. Il ordonna à Haji Muhammad-Baqir de quitter Constantinople et de s’occuper à transcrire les Écrits sacrés.

Après cet incident, Haji Muhammad-Baqir vécut le restant de ses jours dans la pauvreté la plus absolue. Sa foi se renforça et il consacra son temps au service de la Cause. Haji Mirza Haydar-‘Ali, qui le rencontra après cet événement, écrivit:
... Je l’ai rencontré [Haji Muhammad-Baqir] à Tabriz. Il disait: «Après la révélation de l’épître de Baha’u’llah, ce fut comme si les clous dans le mur, les rideaux de la salle, et tout le reste avait des oreilles pour entendre et accomplissait l’ordre de Baha’u’llah. J’ai perdu tout ce que j’avais gagné. La maison dans laquelle je vis désormais est la propriété de ma femme et les habits que je porte sont taillés par mes enfants.» (r7)

Haji Muhammad-Baqir ne fut pas le seul à avoir demandé à Baha’u’llah de lui accorder des richesses par le pouvoir de Dieu. Il y en eut d’autres, dont certains qui devinrent totalement insouciants de la cause de Dieu après leur succès dans la vie. C’est la nature de l’homme que d’être attiré par les choses matérielles. Cependant, s’il permet aux richesses terrestres de le posséder et de gouverner son âme, alors il sera privé des bienfaits de Dieu, et il périra spirituellement. La richesse et l’attachement aux biens matériels font partie des plus grandes épreuves pour l’âme de l’homme. Baha’u’llah déclare dans Les Paroles Cachées:

«Ô fils de l’existence !
Ne t’occupe pas de ce monde. Par le feu, nous éprouvons l’or et, par l’or nos serviteurs.» (r8)

Comme nous l’avons déjà évoqué, (n300) il n’y a rien dans les écrits de Baha’u’llah qui condamne la richesse aussi longtemps qu’elle ne s’interpose pas entre l’homme et Dieu. Au contraire, il glorifie le rang du riche dont l’aisance ne l’a pas empêché de reconnaître sa Cause et de le servir avec dévouement. L’opinion selon laquelle on doit être pauvre pour devenir pieux et spirituel n’est pas nécessairement fondée. Le critère de la proximité de Dieu consiste dans le détachement et bien qu’il soit plus difficile pour l’homme riche de parvenir à ce rang élevé, une personne pauvre doit souvent livrer de nombreuses batailles avec elle-même avant de se détacher de ce monde.

‘Abdu’l-Baha, dans l’une de ses épîtres, (r9) (n301) explique que c’est une exigence fondamentale pour l’ordre de la création que d’avoir à la fois des riches et des pauvres dans la société humaine. Si tous étaient égaux, l’équilibre en ce monde serait renversé et le progrès humain s’arrêterait.

La nature aussi confirme l’explication de ‘Abdu’l-Baha et démontre la fausseté et l’impraticabilité de ces idéologies qui visent à établir l’égalité dans la société humaine. Que tous les êtres humains aient des droits et des privilèges égaux constitue l’un des enseignements essentiels de Baha’u’llah. Mais il est bien expliqué que les gens ne sont pas égaux dans leurs capacités, leur intelligence et leurs accomplissements. Par conséquent, la société doit comprendre en son sein des hommes de tous rangs et de toutes positions qui sont reliés les uns aux autres dans leurs diverses fonctions.

‘Abdu’l-Baha affirme, dans l’épître mentionnée précédemment, que la pauvreté est méritoire aux yeux de Dieu si elle survient en son sentier. Il donne l’exemple de ceux qui furent persécutés et perdirent tous leurs biens parce qu’ils suivirent la cause de Dieu. Il existe de nombreuses épîtres dans lesquelles Baha’u’llah et ‘Abdu’l-Baha ont exhorté les croyants à être patients et contents dans la pauvreté et généreux dans la prospérité. Dans Les Paroles Cachées, Baha’u’llah révèle:

«Ô fils de ma servante !
Ne sois pas troublé dans la pauvreté ni confiant dans la richesse, car la pauvreté succède à la richesse et la richesse à la pauvreté. Toutefois, être pauvre en tout sauf en Dieu, est un bienfait merveilleux ; n’en amoindris pas la valeur car, à la fin, il te rendra riche en Dieu et tu saisiras la signification de la parole: «En vérité, vous êtes les pauvres» ; et le verset sacré «Dieu est le possesseur de toutes choses», surgira comme le vrai matin, resplendissant de toute sa gloire à l’horizon du coeur de l’amant. Et tu te trouveras en sûreté sur le trône de la richesse.» (r10)

Au cours de l’une de ses causeries à ses compagnons, ‘Abdu’l-Baha déclare (r9) qu’un homme pauvre, qui se montre patient et endurant, est meilleur qu’un homme riche qui fait preuve de gratitude. Cependant, un homme pauvre qui est reconnaissant est plus digne de louange que celui qui est patient, tandis que le plus méritoire de tous est l’homme riche qui dépense son bien pour les autres.

Il apparaît clairement dans les enseignements de Baha’u’llah que l’homme doit gagner sa vie tout au long de son existence en s’engageant dans quelque forme de travail, de métier ou de profession. Dans Les Paroles Cachées, Baha’u’llah dit:

«Ô mes serviteurs !
Vous êtes les arbres de mon jardin. Vous devez produire des fruits beaux et merveilleux dont vous-mêmes et d’autres bénéficierez. Aussi importe-t-il à chacun de s’engager dans un métier ou une profession, car là gît le secret de la prospérité, ô hommes d’entendement ! Les résultats dépendent en effet des moyens et que la grâce de Dieu vous suffise. L’arbre qui ne porte pas de fruits se jette au feu.»

«Ô mon Serviteur !
Les meilleurs des hommes sont ceux qui gagnent leur vie dans leur travail et qui, pour l’amour de Dieu, le Seigneur de tous les mondes, dépensent leur argent pour eux-mêmes et pour leurs proches.» (r12)

Cependant, l’un des attributs les plus importants pour celui qui gagne sa vie, est le contentement et la résignation à quoi que ce soit que Dieu décrète pour lui. (n302) «La source de tout bien,» affirme Baha’u’llah, «c’est la confiance en Dieu, la soumission à son commandement et le contentement en sa volonté sacrée et son bon plaisir.» (r13)


CHAPITRE 13: Lawh-i-Salman

La Lawh-i-Salman (Épître à Salman) (n303) est une épître qui, dans la profondeur et la richesse de son savoir, se distingue comme l’un des écrits de Baha’u’llah les plus remarquables. Elle fut révélée à Andrinople en l’honneur de Shaykh Salman. Nous avons déjà mentionné cette épître auparavant. (n304) Shaykh Salman, dont l’histoire de la vie est contée dans le premier volume (n305), était un serviteur dévoué de Baha’u’llah et il consacra sa vie à voyager pour lui. Il transmettait ses écrits aux croyants de Perse et lui rapportait leurs lettres et des nouvelles à leur sujet. Il rendit ce service avec un tel soin qu’aucune des épîtres de Baha’u’llah n’est jamais tombée aux mains de l’ennemi. On a rapporté qu’une fois, ayant compris qu’il était sur le point d’être recherché par les autorités dans une ville de Perse, il mangea les quelques épîtres qu’il transportait afin de protéger la Cause et les croyants auxquels elles étaient destinées !

Salman était un homme très simple, doté d’un coeur pur. Les croyants appréciaient toujours sa compagnie mais il se trouvait quelques amis occupant de hauts rangs qui étaient gênés et parfois effrayés de le rencontrer à cause de sa simplicité et de sa franchise. Haji Mirza Haydar-‘Ali écrit à ce propos dans son Bihjatu’s-Sudur:

«Je passais quelque temps à Shiraz où j’avais l’habitude de me trouver en présence du célèbre Salman (...) J’étais empli d’une joie infinie en le fréquentant. C’était véritablement une lampe brillante. De l’extérieur, c’était un homme illettré et très simple, mais à l’intérieur, il était l’essence de la sagesse et du savoir qui pouvait résoudre des problèmes difficiles et expliquer des questions hermétiques dans un langage simple. Salman était l’essence de l’altruisme, il ne possédait aucun ego. Il n’était capable en aucune façon de flatter les gens ou de traiter avec eux sur le mode de la duperie. C’était pour cette raison que les croyants au coeur pur lui étaient réellement dévoués. Mais ceux qui étaient sophistiqués et conventionnels n’étaient pas enclins à le fréquenter. Car ils craignaient qu’il puisse ruiner leur prestige dans les assemblées des amis. Il est communément admis - et c’est vrai - qu’une fois la Beauté ancienne dit à Salman de montrer du respect envers les personnalités dans les réunions, et de ne pas leur parler mal. Salman répondit: «Je ne considère personne comme grand à l’exception de la Beauté ancienne et du Maître. Les soi-disant grands ne sont rien d’autre que des gens pompeux.» Cette remarque amusa Baha’u’llah.» (r1)

Dans l’Épître à Salman, Baha’u’llah lui demande de voyager dans tout le pays avec les pieds de la fermeté, les ailes du détachement et un coeur enflammé du feu de l’amour de Dieu, afin que les forces du mal ne puissent l’empêcher de mener à bien sa mission.

Révélée au moment où Mirza Yahya s’était ouvertement soulevé contre Baha’u’llah, cette épître contient aussi de nombreux passages concernant l’infidélité, la fourberie, l’impiété de Mirza Yahya et ses activités indignes, y compris ses projets pour attenter à la vie de Baha’u’llah. Dans une langue émouvante, il épanche son coeur à Salman et parle de l’angoisse de son propre coeur, de ses douleurs et de ses souffrances infligées par celui qu’il avait élevé avec tant d’affectueuse bonté, de soin et de considération. Il rappelle l’époque où Mirza Yahya était jour et nuit à servir avec constance. Il se tenait humblement en sa présence et écoutait les Paroles de Dieu révélées avec grand pouvoir et majesté. Mais alors que la Cause commençait à grandir, il fut séduit par la perspective de sa propre renommée. Tout son être était tellement empli de l’amour du pouvoir, qu’il abandonna son Seigneur et se rebella contre lui. Baha’u’llah, dans cette épître, confie à Shaykh Salman qu’il est tellement submergé par le chagrin et la douleur, que sa plume ne peut accorder la connaissance de Dieu au peuple et révéler certains des mystères de sa Cause.

Une grand partie de l’Épître de Salman est une réponse à une question concernant le sens d’un vers tiré d’un poème écrit par Mawlavi. (n306) Afin d’estimer les explications profondes de Baha’u’llah, on doit être bien versé en philosophie islamique et bien connaître la signification des termes mystiques. Sinon, ce n’est pas une tâche facile que de comprendre cette partie de l’épître. De plus, Baha’u’llah affirme qu’il répugne à interpréter les oeuvres des mystiques et des sages du passé. Car, proclame-t-il, le Soleil de vérité s’est levé et des océans de la connaissance ont surgi de sa révélation. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’insister sur les paroles et les enseignements du passé. Les gnostiques et les hommes de science doivent se tourner vers lui comme la source de la connaissance et recevoir de lui l’illumination.

Baha’u’llah appelle Salman à rencontrer les serviteurs de Dieu et à les conseiller en son nom. Ils doivent purifier leur coeur afin de pouvoir reconnaître la Beauté de son visage, marcher dans ses traces, méditer sur ses paroles, et savoir que, si les mondes de Dieu étaient limités à celui-ci, le Bab ne se serait jamais permis de tomber aux mains de ses ennemis, pas plus qu’il n’aurait sacrifié sa vie dans le sentier de Dieu. Dans une autre épître (r2) Baha’u’llah affirme que s’il y avait un quelconque mérite en ce monde mortel, il aurait lui-même occupé ses trônes les plus élevés et il aurait possédé tous ses trésors. Le fait que le Créateur de ce monde n’a pas fixé sa propre affection sur lui, constitue une preuve qu’il y a des mondes spirituels bien plus glorieux que celui-là. C’est vers ces mondes que l’âme du croyant s’envole après sa séparation du corps. (n307)

Baha’u’llah, dans l’Épître à Salman, promet que, par l’influence de sa révélation, certaines âmes se lèveront qui, renonçant au monde, se tourneront totalement vers lui avec la plus grande dévotion, et considèreront le sacrifice de la vie en son sentier comme la chose la plus facile entre toutes. Il affirme que Dieu a choisi ces âmes pour sa propre personne, et que les habitants des royaumes célestes languissent de parvenir en leur présence.

L’histoire de la Cause a en mémoire, avec fierté, de nombreux épisodes de la vie de ces croyants, qui ont jeté un éclat immense sur la foi de Baha’u’llah. L’arbre de la cause de Dieu en ce jour, a grandi et fleuri principalement en conséquence de deux facteurs: l’un, l’effusion de la révélation de Baha’u’llah qui, comme les rayons du soleil, lui a imparti une mesure de ses énergies vivifiantes ; l’autre, le sang des martyrs qui donnèrent volontiers leur vie afin de le nourrir et de l’arroser.

Baha’u’llah, dans cette épître, confère un rang exalté à l’âme du croyant. Il affirme que si la gloire d’un tel rang était révélée en ce monde, même dans la mesure du chas d’une aiguille, chaque âme expirerait par l’extase. A cause de cela, le rang du véritable croyant est gardé caché en cette vie. Dans une autre épître révélée à Acre, Baha’u’llah fait une déclaration similaire:

«Bénie l’âme qui, à l’heure où elle est séparée du corps, est purifiée des vaines imaginations des peuples de ce monde ! Une telle âme vit et se meut selon la volonté de son Créateur... Si l’homme savait ce qui est réservé à son âme dans les mondes de Dieu, le Seigneur des cieux et de la terre, il se consumerait du désir d’atteindre un si sublime, un si resplendissant état...» (r3)

Dans l’Épître à Salman, Baha’u’llah explique l’un des mystères les plus intéressants du Coran, un mystère qui était jusque là passé sous silence. Il fait allusion à la phrase «Il n’y a de Dieu que lui». C’est la profession cardinale de foi que chaque musulman doit faire et qui constitue le fondement de la religion musulmane.

Comme nous l’avons écrit auparavant (n308), la Parole de Dieu recouvre de nombreuses significations qui vont au-delà de la compréhension des hommes. Il y existe des sens latents, enchâssés dans la Parole de Dieu que seuls sa Manifestation et ceux qu’il guide comprennent. Baha’u’llah explique que dans cette phrase «Il n’y a de Dieu que lui», le concept de la négation précède celui de l’affirmation. Par conséquent, en résultat de l’influence créatrice de cette phrase depuis qu’elle fut révélée, les transgresseurs de la cause de Dieu, représentant la lettre de la négation, ont dominé les fidèles par le passé. Toutes les souffrances que les mains des briseurs de l’Alliance de Dieu infligèrent aux musulmans loyaux, ainsi que leur apparente supériorité, constituaient l’accomplissement des Paroles prononcées par Muhammad. Dieu avait, par sa sagesse, ainsi destiné que les impurs et les rebelles devaient dominer les sincères.

L’on croit, dans la foi baha’ie, que ceux qui usurpèrent le droit de l’Imam ‘Ali, le successeur légitime de Muhammad et l’interprète de sa Parole, agissaient contre les voeux exprimés de leur prophète. Ils négligèrent les injonctions de Muhammad concernant son successeur, devinrent la cause première de la division au sein de la foi de l’islam, provoquèrent la mort des saints Imams et persécutèrent leurs disciples. Ils furent les lettres de la négation et jusqu’à la fin de la révélation de Muhammad, ils dominèrent ses fidèles disciples. (n309)

L’histoire démontre que de grands différends ont surgi parmi les disciples de chaque religion peu après la mort de son fondateur. Ces différends ont mené à des schismes et à des divisions qui augmentèrent avec le passage du temps. Ce processus, cependant, ne doit pas être mal compris au point de nous inciter à croire que les fondateurs des grandes religions du monde dans le passé n’étaient pas capables de créer des moyens d’unir leurs disciples, ni d’empêcher les mains des infidèles de corrompre la religion de Dieu.

Que les religions se soient divisées en confessions n’est pas dû aux enseignements de leurs fondateurs, mais plutôt à l’immaturité de leurs disciples. Tout comme des enfants sont trop jeunes pour être tenus responsables du bon état de leurs vêtements alors qu’ils jouent dehors, ainsi l’humanité dans les révélations du passé, n’avait pas acquis une maturité suffisante pour protéger la religion de Dieu de la désunion et de la discorde.

Même dans l’islam, la plus récente des anciennes religions, les hommes n’étaient pas suffisamment matures pour recevoir de Muhammad une alliance ferme, similaire à celle établie par Baha’u’llah, une alliance qui exigerait de ses disciples de suivre de manière stricte sa Foi sans engendrer la division en son sein. Au contraire, comme nous l’avons déjà remarqué à partir de la phrase auparavant mentionnée, tirée du Coran, Muhammad savait que ses disciples ne seraient pas aptes à conserver leur unité après lui. Il savait que s’il devait établir une alliance irrévocable par écrit, le peuple de l’islam n’aurait pas eu la maturité et la capacité, à cette époque, de respecter à la lettre ses dispositions. Mais l’on ne doit pas considérer cela comme un échec de l’islam, ni des religions plus anciennes qui connurent des divisions similaires. Il était bien naturel de la part de l’humanité, immature, de négliger ses devoirs et de se conduire de manière irresponsable. Cependant, grâce à l’indulgence et à la justice de Dieu, les disciples des religions reçurent leur nourriture spirituelle sans considération des confessions qu’ils créèrent.

Par exemple, la primauté de Pierre est reconnue dans les Évangiles. Pourtant, des différends surgirent et les disciples du Christ se divisèrent. Néanmoins, chaque dénomination reçut une mesure des bienfaits du Christ. L’arbre du christianisme fleurit même après avoir acquis plusieurs branches, et chacune d’entre elles resta verte et épanouie jusqu’à l’avènement de l’islam lorsque fut close la révélation du Christ. De même, les deux branches majeures de l’islam continuèrent à faire partie de cette religion. Même ceux qui transgressèrent les voeux du Prophète ne furent pas coupés de l’arbre de l’islam. Tous reçurent leur nourriture de lui jusqu’à l’avènement du Bab lorsque la révélation de l’islam arriva à son terme.

Cependant, la révélation de Baha’u’llah est entrée dans un nouveau jour. Par la puissance de sa révélation, l’humanité est destinée à mûrir et Baha’u’llah lui a donné la responsabilité. Il a passé une alliance irréfutable avec ses disciples, en désigna le Centre, ‘Abdu’l-Baha, exhorta les croyants à le suivre et expliqua bien clairement que dans cette révélation, il n’y aurait plus de place pour la désunion et la division. La cause de Dieu est une et indivisible, et l’homme, ayant laissé derrière lui les stades de l’enfance et de l’adolescence, doit désormais jouer un rôle responsable dans le maintien de l’unité, la consolidation de sa structure mondiale et la protection de ses institutions naissantes contre les infidèles.

Faisant allusion à la phrase auparavant mentionnée «Il n’y a de Dieu que lui», Baha’u’llah, dans l’Épître à Salman, proclame dans un langage majestueux et puissant, qu’il a enlevé la lettre de la négation qui avait été placée avant celle de l’affirmation. Cette phrase, que le Prophète de l’islam, dans sa sagesse universelle, considérait comme la pierre angulaire de sa Foi, est désormais, dans la révélation de Baha’u’llah, remplacée symboliquement par la phrase affirmative «Il est Dieu», ce qui signifie que le révélateur de la cause de Dieu tient en ses mains les rênes de l’autorité, et, à la différence des révélations du passé, personne n’a le pouvoir de les lui arracher. Les transgresseurs et les briseurs de l’alliance de Baha’u’llah, comme l’a montré l’histoire, ont été impuissants à introduire la dissension au sein de sa Foi, à arrêter sa marche en avant et à influencer sa glorieuse destinée.

Combien frappantes sont les preuves du pouvoir créateur des paroles de Baha’u’llah, que par un seul mouvement de sa plume, il inversa un processus qui avait persisté durant des siècles, qui avait engendré des schismes au sein des religions et placé les véritables interprètes de la Foi de Dieu sous la domination des infidèles. Après l’ascension de Baha’u’llah, ‘Abdu’l-Baha fut confronté à l’opposition de son propre frère, Mirza Muhammad-‘Ali. Ce fils de Baha’u’llah tenta, contre les dispositions du Testament de son Père et en compagnie d’un certain nombre d’enseignants remarquables de la Foi, de saper le rang élevé que Baha’u’llah avait conféré à ‘Abdu’l-Baha. Finalement, le pouvoir de l’Alliance de Baha’u’llah relégua Mirza Muhammad-‘Ali dans les abysses de l’ignominie et il mourut sans gloire. Par le même pouvoir, les briseurs de l’Alliance furent aussi abattus au cours du ministère de Shoghi Effendi.

Il est important de noter que ceux qui se rebellèrent contre ‘Abdu’l-Baha et brisèrent l’Alliance, n’étaient pas du genre idiot et fou. Au contraire, la plupart d’entre eux étaient des hommes intelligents et capables. Certains étaient des enseignants hautement reconnus et immensément respectés par la communauté. Jamal-i-Burujirdi était un mujtahid distingué doté d’un esprit acéré, Siyyid Mihdiy-i-Dahaji était une personne érudite et un orateur puissant. Il y eut plusieurs autres comme eux qui furent autrefois des disciples remarquables de Baha’u’llah, qui servirent la Foi avec distinction, mais dont l’ego les détruisirent finalement. Briser l’Alliance est une maladie spirituelle mortelle. Elle a existé dans les révélations du passé, mais comme nous l’avons déjà expliqué, elle engendra les schismes et les divisions. Cette maladie est contagieuse et, si elle n’est pas détectée, elle peut détruire les fondations mêmes de la religion. C’est pour cette raison que Baha’u’llah et ‘Abdu’l-Baha ont averti les croyants de ne pas fréquenter les briseurs de l’Alliance. Grâce à ce commandement vital, entièrement nouveau dans l’histoire de la religion, la cause de Dieu, qui depuis ses débuts a été trahie de nombreuses fois par des hommes orgueilleux et vaniteux, et dont les Centres désignés furent l’objet d’une opposition manigancée par la main de disciples égoïstes, est sortie victorieuse de ces crises très sévères, son unité est demeurée intacte et sa solidarité fut encore accrue.

En gardant à l’esprit les troubles de l’époque dans laquelle nous vivons et l’esprit de rébellion qui agite la société humaine de nos jours, nous comprenons que la Cause de Baha’u’llah aurait été divisée à présent en des centaines de dénominations, s’il n’y avait pas eu le pouvoir de l’Alliance de Baha’u’llah et l’influence créatrice de ses Paroles, dans lesquelles nous trouvons l’assurance que ceci est «le Jour qui ne sera pas suivi par la nuit.» (n310) (r4)


CHAPITRE 14: Confrontation avec Mirza Yahya

Premier parmi les «lettres de la négation» que Baha’u’llah mentionne dans l’Épître à Salman, se trouve Mirza Yahya, qui fut rapidement frappé par la main du pouvoir et de la puissance.

Durant l’année que Baha’u’llah passa dans la maison de Rida Big et son retour ensuite à la maison d’Amru’llah, il ne rencontra jamais Mirza Yahya ni Siyyid Muhammad qu’il avait expulsés de sa présence. Mirza Yahya vivait dorénavant avec sa famille dans une maison séparée, et Siyyid Muhammad vivait parmi les musulmans de la ville. Après être resté environ trois mois dans la maison d’Amru’llah, Baha’u’llah emménagea dans la maison de ‘Izzat Aqa qui était sise dans le même quartier de la ville. Il y demeura jusqu’à la fin de son séjour à Andrinople.

Peu après avoir transféré sa résidence dans cette maison, un événement de la plus haute portée survint qui fit basculer Mirza Yahya vers son destin et le discrédita aux yeux de ses partisans et des autorités d’Andrinople. Cela se passait au mois de Jamadiyu’l-Avval, en l’an 1284 de l’Hégire (septembre 1867). Siyyid Muhammad-i-Isfahani avait pendant des années observé l’exemplaire patience avec laquelle Baha’u’llah avait enduré toutes les calomnies et les mensonges dont Mirza Yahya l’avait accablé tout en comptant sur son indulgence, il savait que Baha’u’llah ne cherchait généralement pas à apparaître en public et supposait qu’il n’envisagerait jamais de rencontrer face à face son infidèle de frère, aussi, afin de renforcer sa propre position, affirma-t-il, à quelques Persans musulmans d’Andrinople que Mirza Yahya et lui-même étaient prêts à confronter Baha’u’llah en public, car il était certain que Baha’u’llah ne relèverait pas ce défi.

Cette forme de confrontation, connue sous le nom de mubahilih, avait lieu dans l’islam. Par exemple, lorsqu’une délégation de chrétiens de Najran à Médine parlèrent de proposer un défi au prophète Muhammad, il s’agissait d’une confrontation sous la forme d’une mubahilih. C’est un défi entre la vérité et le mensonge ; les deux parties se réunissent, chacune invoquant Dieu pour annihiler l’autre et appelant sa colère à abattre l’infidèle. L’on s’attend, en de telles circonstances, que le pouvoir de la vérité détruisent les forces du mensonge.

La personne qui devint l’instrument destiné à amener cette question à sa conclusion, fut Mir Muhammad-i-Mukari de Shiraz, un caravanier qui avait conduit le Bab lors de son pèlerinage à La Mecque, et plus tard Baha’u’llah de Bagdad à Constantinople. (n311) Bien qu’il n’ait guère reçu d’éducation, Mir Muhammad était doté d’un grand discernement, de beaucoup de sagesse et de courage. C’était un babi et il fit le voyage tout spécialement à Andrinople afin de rechercher la vérité par lui-même, tant les différends soulevés dans la Foi l’avaient rendu perplexe. Alors qu’il se trouvait dans cette ville, il se déplaçait librement autant parmi les compagnons de Baha’u’llah que parmi les partisans de Mirza Yahya.

Peu après son arrivée, il entendit la propagande de Siyyid Muhammad au sujet d’une confrontation avec Baha’u’llah. Cela suscita un énorme intérêt chez Mir Muhammad qui pressa Siyyid Muhammad d’inciter Mirza Yahya à rencontrer Baha’u’llah dans un lieu public pour une mubahilih. En retour, il promit d’inviter personnellement Baha’u’llah à relever le défi. Voici comment Shoghi Effendi décrit cet événement important:

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Un certain Mir Muhammad, babi de Shiraz, fort irrité tant par les prétentions de Mirza Yahya que par sa réclusion poltronne, réussit à obliger Siyyid Muhammad d’engager celui-ci à rencontrer Baha’u’llah face à face, de sorte qu’on puisse distinguer au grand jour la vérité de l’erreur. Présumant de façon stupide que son illustre frère n’accepterait jamais une telle proposition, Mirza Yahya désigna la mosquée du Sultan Salim comme lieu de rencontre. Aussitôt informé de cet arrangement, Baha’u’llah se mit en route, à pied, dans la chaleur de midi, accompagné par ce même Mir Muhammad, pour ladite mosquée, située dans une partie éloignée de la ville. Tout en marchant à travers les rues et les marchés, Baha’u’llah récitait des versets, avec une voix et d’une manière qui étonnèrent grandement ceux qui le virent et l’entendirent.

Ainsi qu’il le mentionne dans une épître, voici quelques-unes des paroles qu’il prononça à cette occasion mémorable: «Ô Muhammad, celui qui est l’Esprit est vraiment sorti de sa demeure, et avec lui sont sorties les âmes des élus de Dieu ainsi que la réalité de ses messagers. Voyez donc les habitants des royaumes célestes, au-dessus de ma tête, et dans ma main, tous les témoignages des prophètes. Dis: Si tous les prêtres, tous les sages, tous les rois et gouvernants de la terre se rassemblaient, en vérité, je les affronterais et je proclamerais les versets de Dieu, le Souverain, le Tout-Puissant, l’infiniment Sage. Je suis celui qui ne craint personne, quand bien même tous ceux qui existent sur terre et dans le ciel se lèveraient contre moi (...) C’est ma main que Dieu a rendue blanche pour que tous les mondes la voient. Voici mon bâton ; si nous le jetions à terre, en vérité, il avalerait toutes les choses créées.» (n312) Mir Muhammad, qui avait été envoyé en avant pour annoncer l’arrivée de Baha’u’llah, revint bientôt et l’informa que celui qui avait mis son autorité au défi souhaitait, en raison de circonstances imprévues, retarder l’entrevue d’un jour ou deux. De retour chez lui, Baha’u’llah révéla une épître dans laquelle il racontait ce qui s’était passé et fixait la date de l’entrevue manquée ; il apposa son sceau sur l’épître et la confia à Nabil, lui disant de la remettre à l’un des nouveaux croyants, Mulla Muhammad-i-Tabrizi ; ce dernier devait la transmettre à Siyyid Muhammad qui venait souvent à la boutique de ce croyant. Il fut convenu de demander à Siyyid Muhammad, avant de remettre cette épître, une note cachetée, promettant que Mirza Yahya, au cas où il ne viendrait pas au lieu du rendez-vous, affirmerait par écrit la fausseté de ses revendications. Siyyid Muhammad promit d’apporter, le jour suivant, le document en question, mais bien que Nabil, pendant trois jours consécutifs, attendît la réponse dans cette boutique, le Siyyid n’apparut pas et n’envoya aucune note. Vingt-trois ans plus tard, Nabil, racontant cet épisode historique dans ses chroniques, affirma que cette épître jamais remise, se trouvait encore en sa possession, «en aussi bon état que le jour où la Plus-Grande-Branche (n313) l’avait écrite et où le cachet de la Beauté ancienne l’avait scellée et ornée», témoignage tangible et irréfutable de la suprématie de Baha’u’llah établie sur un adversaire vaincu. (r1)
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Mirza Aqa Jan mentionne (r2) que lorsque Baha’u’llah quitta la mosquée avec Mir Muhammad, lui-même ne se trouvait pas à la maison car il était sorti pour s’occuper de quelque affaire en ville. Il entendit la nouvelle et se hâta de rentrer. Sur le chemin du retour, il vit une grande foule des deux côtés de la rue et on lui raconta que Baha’u’llah venait juste de se rendre à la mosquée du Sultan Salim. Mirza Aqa Jan se rendit sur-le-champ à la mosquée, où il trouva Baha’u’llah prononçant les paroles de Dieu d’un ton majestueux et avec une grande profusion. Baha’u’llah n’autorisa aucun de ses compagnons à l’accompagner, à l’exception de Mir Muhammad et de Mirza Aqa Jan. L’assistance présente à la mosquée, fut stupéfaite par cette scène. Si puissantes étaient les paroles de Baha’u’llah qu’un Persan qui les avait entendues, en fut effrayé ; il tremblait de tous ses membres et des larmes ruisselaient de ses yeux. Baha’u’llah ordonna à un moment à Mir Muhammad d’aller appeler Mirza Yahya avec tous ses péchés et ses transgressions et de faire face à son Seigneur. (r3) Baha’u’llah resta dans la mosquée jusqu’à l’approche du crépuscule, tandis que Mirza Yahya et Siyyid Muhammad restèrent chez eux et fournirent quelques excuses à Mir Muhammad pour leur absence.

Haji Mirza Haydar-‘Ali, qui se trouvait à Andrinople à ce moment-là, écrivit un récit de cette journée. Voici une traduction de certains de ses souvenirs:

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La rencontre devait être pour le vendredi à la mosquée du Sultan Salim au moment de la prière en congrégation lorsque les musulmans se réunissent à l’intérieur en grand nombre (...) Mir Muhammad-i-Mukari de Shiraz, qui était babi (...) ne pouvait pas imaginer qu’Azal avait brisé l’Alliance. Alors il pria la Beauté bénie de l’éclairer. Baha’u’llah lui dit que si jamais Azal venait face à face avec lui dans un lieu de réunion, alors il pourrait considérer comme vraies les prétentions d’Azal. Mir Muhammad accepta cette déclaration comme critère de distinction entre la vérité et le mensonge et il s’efforça de provoquer cette rencontre.

La nouvelle et la date de la confrontation se répandirent au sein des populations de religion musulmane, chrétienne et juive de la ville. Tous avaient entendu parler des miracles de Moïse et de l’histoire de sa confrontation avec Pharaon. Et à présent, ils s’attendaient à la rencontre face à face, dans la mosquée, entre Sa Sainteté le Shaykh Effendi (un nom par lequel les gens désignaient Baha’u’llah pour exprimer leur déférence à son endroit) et Mirza ‘Ali qui l’avait renié. (Par crainte d’être reconnu, Azal s’était donné ce nom). Par conséquent, du vendredi matin jusqu’avant midi, une grande foule issue des disciples de ces trois religions, s’était ruée dans la zone entre la maison d’Amru’llah (...) et l’entrée de la mosquée. La foule était si importante qu’il était difficile de circuler. (n314) Baha’u’llah, le Soleil de gloire, sortit de chez lui (...) et alors qu’il traversait la foule, les gens témoignèrent une déférence difficile à décrire. Ils l’accueillirent par des salutations, s’inclinèrent et ouvrirent un chemin pour qu’il puisse passer. Nombre d’entre eux se prosternaient à ses pieds et les embrassaient. Baha’u’llah, le visage de la majesté et de l’omnipotence, retourna le salut de la foule en levant les mains (comme c’était la coutume chez les Ottomans), et exprima ses bons souhaits. Cela continua tout au long du chemin vers la mosquée. Dès qu’il entra dans la mosquée, le prêcheur, qui était en train de faire son sermon, en resta sans voix ou peut-être qu’il en oublia ses paroles. Baha’u’llah s’avança, s’assit et ensuite donna la permission au prêcheur de continuer. Finalement, le prêche et les prières s’achevèrent. Mais Azal ne se montra point. Nous entendîmes qu’il avait feint la maladie et qu’il demandait à être excusé.

Dans chaque ville de l’Empire ottoman, il y a des Mawlavis, qui sont des derviches et des adeptes de Mawlavi (n315), l’auteur du Mathnavi. Chaque vendredi, ils tenaient leurs services dans leur takyih (centres de congrégation) où ils tournent autour de leur maître et chantent certaines paroles à l’unisson. À l’intérieur de ses salles, certains jouent de la musique et chantent de délicieuses mélodies. Lorsque Baha’u’llah fut sur le point de quitter la mosquée, il dit: «Nous devons rendre visite aux Mawlavis. Nous ferions mieux d’aller dans leur takyih.» Alors qu’il se levait pour partir, le gouverneur d’Andrinople et d’autres dignitaires, avec des religieux, saisirent l’opportunité de se trouver en sa présence et ainsi ils l’accompagnèrent. En gage de leur humilité et de leur courtoisie, le gouverneur, le Shaykhu’l-islam (n316), les ‘Ulama (n317) et autres dignitaires marchèrent quatre ou cinq pas derrière Baha’u’llah alors que s’écoulait le flot de ses paroles. (n318) Parfois, par sa grâce et son affectueuse bonté, Baha’u’llah s’arrêtait et faisait signe au gouverneur et aux autres de marcher devant. Mais ils refusaient de le faire. C’est ainsi que Baha’u’llah, avec une majesté et une gloire divines, arriva au takyih. À ce moment-là, le Shaykh des Mawlavis se tenait au milieu et les derviches tournaient autour de lui et chantaient. Dès que leurs yeux se posèrent sur lui, tous interrompirent leur service sans raison aucune. Ils s’inclinèrent, lui témoignèrent du respect et devinrent absolument silencieux. Puis Baha’u’llah s’assit, autorisa les autres qui l’accompagnaient à en faire autant. Ensuite il donna la permission au Shaykh de reprendre de nouveau son service.

La nouvelle circula amplement dans Andrinople que lorsque le Shaykh Effendi (n319) était entré dans la mosquée, le prêcheur fut incapable de continuer son sermon et lorsqu’il se rendit au takyih, les derviches et leur chef oublièrent leurs paroles et interrompirent leur service. Le soir d’après, certains croyants se retrouvèrent en sa présence et j’étais de leur nombre (...) Baha’u’llah fit cette remarque: «Lorsque nous sommes entrés dans la mosquée bondée, le prêcheur oublia les paroles de son sermon, et lorsque nous avons pénétré dans le takyih, les derviches furent soudainement saisis d’une telle stupeur et d’un tel émerveillement, qu’ils en restèrent sans voix et silencieux. Pourtant, comme les gens sont éduqués dans les vaines imaginations, ils considèrent sottement ces événements comme des actes surnaturels et les perçoivent comme des miracles !» (n320) (r4)
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Haji Mirza Haydar-‘Ali décrit alors combien il fut touché par ces paroles de Baha’u’llah. Par ces paroles, il vit clairement la différence entre les voies de Dieu et celles de l’homme. Il rappelle ses rencontres avec des hommes éminents, des chefs religieux et des personnalités remarquables qui, sans exception, étaient soucieux de faire connaître leurs moindres accomplissements et de saisir chaque occasion par laquelle ils pourraient accroître leur renommée et consolider leur position. Mais ce n’est pas le cas avec les Manifestations de Dieu. Baha’u’llah, dans cet exemple, en réfutant les prétentions des gens qui lui attribuaient des miracles, démontra que sa gloire ne dépend pas des louanges et des actions des hommes. Il se tient bien au-dessus du monde humain et il est son Gouvernant.

Les nouvelles détaillées de la mubahilih et de l’échec de Mirza Yahya à paraître devant Baha’u’llah, furent communiquées aux croyants de Perse par un certain Aqa Mirza Hadiy-i-Shirazi. Il écrivit un récit complet de cet événement et cita ces épîtres que Baha’u’llah avait révélées en cette occasion particulière. Son récit fut largement diffusé parmi les croyants. Cet événement, qui établissait l’ascendant de Baha’u’llah aux yeux de l’opinion publique, sur celui qu’il a stigmatisé comme étant la «source de la perversion», dissipa les voiles des yeux de nombreuses personnes parmi les disciples du Bab et leur permit d’embrasser la cause de Baha’u’llah.

L’étudiant de la Bible pourra trouver intéressant de remarquer que, d’après Shoghi Effendi, le Gardien de la foi baha’ie, la montée et la chute de Mirza Yahya furent clairement prédites par Saint Paul dans les passages suivants:

«Que personne ne vous séduise d'aucune manière. Il faut que vienne d'abord l'apostasie et que se révèle l'Homme de l'impiété, le Fils de la perdition, celui qui se dresse et s'élève contre tout ce qu'on appelle dieu ou qu'on adore, au point de s'asseoir en personne dans le temple de Dieu et de proclamer qu'il est Dieu.
Alors se révélera l'Impie, que le Seigneur (...) détruira du souffle de sa bouche et anéantira par l'éclat de sa venue.» (r5)

La chute spectaculaire de Mirza Yahya fut accompagnée d’une effusion par Baha’u’llah de la révélation sans précédent qui eut, peu après, la proclamation de son message aux rois et dirigeants du monde pour conséquence.

Shoghi Effendi, dans ses écrits magistraux, a décrit la prodigieuse vague de la Révélation de Baha’u’llah en ces termes:

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Par le commandement et par le pouvoir de celui qui est la Source de la plus grande justice, «la plus grande Idole» (n321) avait été confondue, abhorrée, brisée et rejetée de la communauté du Plus-Grand-Nom. Débarrassée de cette profanation, délivrée de cette horrible emprise, la toute jeune foi de Dieu pouvait maintenant aller de l’avant et, malgré les remous qui l’avaient bouleversée, prouver sa capacité à soutenir de nouvelles batailles, conquérir des sommets plus élevés et remporter de plus puissantes victoires.

Une brèche temporaire, il fallait l’avouer, avait été faite dans les rangs de ses partisans. Sa gloire avait été éclipsée et ses annales entachées d’opprobre pour toujours. Son nom, cependant, ne pouvait être effacé, son esprit était loin d’être abattu, et ce prétendu schisme ne pouvait en scinder l’édifice en deux. L’Alliance du Bab auquel il a déjà été fait allusion, avec ses vérités immuables, ses prophéties incontestables et ses avertissements répétés, montait la garde auprès de cette Foi, assurant son intégrité, démontrant son incorruptibilité et perpétuant son influence.

Bien que fléchissant sous le poids du chagrin, et souffrant toujours des conséquences de l’attentat à sa vie, et quoiqu’il sût parfaitement qu’un nouveau bannissement était probablement imminent, imperturbable devant le coup que sa Cause avait reçu ainsi que devant les dangers dont elle était entourée, Baha’u’llah se dressa malgré tout avec une puissance sans égale, avant même la fin de cette épreuve, pour annoncer la Mission dont il était chargé à ceux qui, en Orient et en Occident, détenaient entre leurs mains les rênes du pouvoir temporel suprême. L’étoile du matin de sa révélation était destinée, grâce à cette proclamation même, à étinceler au faîte de sa gloire, et sa Foi à manifester, dans sa plénitude, son divin pouvoir.

Une période d’activité prodigieuse s’ensuivit qui, par ses répercussions, l’emporta sur les années de printemps du ministère de Baha’u’llah. «Jour et nuit,» écrit un témoin oculaire, «les versets divins pleuvaient en quantité telle, qu’il fut impossible de les consigner tous. Mirza Aqa Jan les écrivait au fur et à mesure de leur dictée, tandis que la Plus-Grande-Branche (n322) était continuellement occupée à les transcrire. Il n’y avait pas un moment à perdre.» «Plusieurs secrétaires,» atteste Nabil, «étaient occupés jour et nuit et, cependant, n’arrivaient pas au bout de cette tâche. Mirza Baqir-i-Shirazi, l’un d’entre eux (...) ne transcrivit pas moins de deux mille versets chaque jour, à lui tout seul. Il travailla pendant six ou sept mois. Tous les mois, il recopiait ainsi la valeur de plusieurs volumes qu’il expédiait en Perse. Il laissa en souvenir à Mirza Aqa Jan environ vingt volumes de sa fine écriture. Baha’u’llah, faisant lui-même allusion aux versets qu’il révéla, écrit: «Tels sont les torrents (...) provenant des nuées de la Bonté divine, qu’en l’espace d’une heure, l’équivalent d’un millier de versets a été révélé.» «La grâce octroyée en ce jour est telle, qu’en un jour et une nuit seulement, si l’on trouvait un secrétaire capable de l’écrire, la valeur d’un Bayan persan serait déversée du ciel de la Sainteté divine.» «J’en jure par Dieu !» affirme-t-il d’autre part: «En ces jours, ce qui a été révélé correspond à tout ce qui fut envoyé jadis aux prophètes.» «Ce qui a déjà été révélé sur cette terre» (Andrinople), déclare-t-il en outre, parlant de l’abondance de ses écrits, «les secrétaires ne sont pas capables de le transcrire. Aussi, la plus grande partie n’a-t-elle pas été recopiée.» (r6)
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CHAPITRE 15: Suriy-i-Muluk

Le déversement sans précédent de la révélation de Baha’u’llah, immédiatement après la chute de Mirza Yahya, atteignit son apogée avec la révélation de la Suriy-i-Muluk (sourate des Rois). La plus formidable des épîtres de Baha’u’llah s’adresse principalement aux rois du monde de manière collective. Révélée en arabe, elle proclame sans équivoque les prétentions de son Auteur et son rang dans une langue de pouvoir et de puissance. (n323) Pour un observateur sincère et impartial, le paragraphe d’introduction dépeint à lui seul l’autorité et la majesté de celui qui s’annonce comme le Représentant de Dieu sur terre et appelle les rois et les dirigeants du monde à renoncer à leurs possessions et à embrasser sa Cause:

«Ô rois de la terre, prêtez l'oreille à la voix de Dieu vous appelant de l’Arbre sublime, chargé de fruits, qui a poussé sur la colline vermeille de la sainte plaine. Elle proclame: «Il n’est pas d'autre Dieu que lui, le Fort, le Très-Puissant, le Très-Sage. » Dieu a sanctifié ce lieu pour tous ceux qui s’en approchent ; un lieu d’où il fait entendre sa voix depuis l’arbre céleste de sainteté. Craignez Dieu, ô assemblée de rois, et ne tolérez pas d’être privés de cette très sublime grâce. Rejetez tous vos biens, et tenez-vous fermement à la corde de Dieu, l’Éminent, le Grand. Tournez vos coeurs vers la Face de Dieu et abandonnez ce que vos désirs vous ont incité à rechercher ; ne soyez pas de ceux qui périssent.» (r1)

Baha’u’llah a dévoilé son rang progressivement et par étapes. Sa déclaration eut lieu dans le jardin de Ridvan en 1863. (n324) En cette occasion historique, que l’on peut considérer comme l’étape initiale de sa proclamation de l’avènement du Jour de Dieu, il ne révéla la gloire transcendante de son rang qu’à une minorité de ses compagnons. Un grand nombre des babis, rassemblés dans ce jardin pour lui rendre leur dernier hommage le jour de son départ pour Constantinople, n’avait pas connaissance de cette déclaration ; ils l’apprirent des mois plus tard. Mirza Asadu’llah-i-Kashani, dans sa chronique orale, parle de ce fait. Il était le garde auto-désigné de Baha’u’llah à Bagdad, un serviteur dévoué qui, contre l’avis de Baha’u’llah et en dépit de sa très petite taille, portait une dague sous ses vêtements et marchait derrière lui en public. Voici comment il décrit le départ de Baha’u’llah du jardin de Ridvan et l’état des croyants restés derrière à Bagdad:

«Bien que Baha’u’llah ait ordonné aux amis de ne pas le suivre, je répugnais tellement à le perdre des yeux, que je courus après eux pendant trois heures.
Il me vit et descendant de son cheval, il m’attendit, me disant de sa voix magnifique, pleine d’amour et de gentillesse, de retourner à Bagdad, et, avec les amis, de se remettre au travail, non pas avec indolence mais avec énergie:
«Ne laisse pas le chagrin te submerger. Je laisse à Bagdad des amis que j’aime. Je leur enverrai sûrement des nouvelles de notre bien-être. Restez fermes dans votre service à Dieu, qui fait ce qu’il veut. Vivez dans cette paix qui vous sera permise.» (n325)
Nous les avons vus disparaître dans les ténèbres avec un serrement du coeur, car leurs ennemis étaient puissants et cruels ! Et nous ne savions pas où on les emmenait.
Une destination inconnue !
Pleurant amèrement, nous avons tourné nos visages vers Bagdad, déterminé à vivre selon son commandement.
Nous n’avons pas été, à ce moment-là, informés de ce grand événement de la «Déclaration», que notre révéré et bien-aimé Baha’u’llah était celui qui viendrait - Celui-que-Dieu-rendra-manifeste - mais nous sentions encore cette indicible joie, qui jaillissait de nous, surmontant notre chagrin amer avec un grand rayonnement mystérieux.» (r2)

Mirza Asadu’llah décrit alors comment, après quelque temps, l’un des croyants apporta d’Andrinople une épître et grâce à elle, les amis d’Irak apprirent que Baha’u’llah allait bien, ainsi que sa déclaration dans le jardin de Ridvan et sa proclamation publique à Andrinople.

La deuxième étape dans la révélation du rang de Baha’u’llah consista en sa proclamation principalement aux membres de la communauté babie, par la révélation à Andrinople d’innombrables épîtres ainsi que les hauts faits d’enseignement de quelques-uns de ses remarquables disciples.

Et désormais, l’étape finale consista en cette majestueuse proclamation au monde en général par l’intermédiaire des rois et des dirigeants qui, à cette époque, exerçaient un grand pouvoir et, avec les autorités ecclésiastiques, dominaient l’esprit de leurs sujets.

Des siècles auparavant, Muhammad avait envoyé des émissaires aux chefs de quelques territoires voisins, qui annonçaient sa mission et les invitaient à embrasser sa Foi. Les historiens musulmans ont retrouvé les noms des dirigeants auxquels Muhammad s’était adressé. Il s’agissait du Chah de Perse, du Négus d’Ethiopie, de l’Empereur de Byzance, du souverain d’Egypte, du gouverneur de Damas et de l’Imam de Yamamah. (n326)

Le Bab, qui s’était adressé à «l’assemblée des rois et des fils de rois» dans son Qayyumu’l-Asma’, et les avait appelé à transmettre son message aux peuples du monde, n’envoya des épîtres qu’à deux monarques de son temps: le Chah Muhammad de Perse et le Sultan ‘Abdu’l-Majid de Turquie.

Baha’u’llah, la Manifestation suprême de Dieu, dont la mission était d’unir le genre humain en une seule Foi universelle, fit retentir collectivement le son du clairon pour les rois du monde. Il proclama son message, les appela à embrasser sa Cause, les pressa de mettre en oeuvre ses conseils et les avertit des terribles conséquences de la désobéissance à ses exhortations.

L’étude de la Suriy-i-Muluk et des autres épîtres envoyées à chacune des têtes couronnées du monde, met en lumière les caractéristiques remarquables de l’indomptable esprit de Baha’u’llah, son courage et son attitude sans compromis en révélant la vérité enchâssée dans sa révélation. N’importe quel homme qui, il y a plus d’un siècle, s’adressait à des despotes tels que Nasiri’d-Din Shah de Perse et le Sultan ‘Abdu’l-’Aziz de Turquie, avait besoin d’être un maître dans l’art de la diplomatie et de coucher sur le papier ses paroles de telle façon qu’il se présentait comme un humble serviteur à leur seuil. La pompe et la majesté des rois inspiraient tant de crainte et de respect, que dans la plupart des cas, un homme intrépide se serait senti inhibé de les approcher ou d’exprimer ses opinions, surtout si ces dernières n’étaient pas en conformité avec celles des souverains. Aucun homme sain d’esprit n’aurait tenté, il y a cent ans, de s’adresser aux rois dans un langage vibrant d’autorité et de commandement, surtout s’il était un prisonnier captif aux mains d’un dirigeant despotique.

Qui d’autre que le Représentant de Dieu sur terre pouvait avoir eu un tel pouvoir, une telle autorité pour s’adresser aux rois de la façon dont Baha’u’llah l’avait fait, d’Acre, dans le Kitab-i-Aqdas:

«Ô rois de la terre ! Celui qui est le souverain Seigneur de tous est venu. Le royaume est à Dieu, le Protecteur omnipotent, l’Absolu. N'adorez que Dieu et, d'un coeur radieux, tournez votre visage vers votre Seigneur, le Seigneur de tous les noms. Rien de ce que vous possédez ne pourra jamais se comparer à cette révélation, puissiez-vous le savoir. (...)
Vous n'êtes que des vassaux, ô rois de la terre ! Le Roi des rois est apparu dans la plus merveilleuse parure de gloire, et il vous appelle à Lui, le Secours dans le péril, Celui qui subsiste par Lui-même. Prenez garde que l'orgueil vous empêche de reconnaître la Source de la révélation et que les choses de ce monde vous séparent, comme par un voile, de celui qui est le Créateur du ciel. Levez-vous et servez celui qui est le Désir de toutes les nations, qui vous a créés d'un mot et vous a désignés pour être en tout temps les emblèmes de sa souveraineté." (r3)

* QUELQUES THEMES IMPORTANTS DE LA SURIY-I-MULUK :

a) La responsabilité des rois

Dans la Suriy-i-Muluk, Baha’u’llah admoneste les rois qui n’ont pas tenu compte du message du Bab. Il s’adresse à eux en ces termes:

«Raconte-leur, ô serviteur (n327), ce qui advint à ‘Ali (le Bab), lorsqu'il vint vers eux, avec sincérité, portant son Livre glorieux et puissant, tenant dans sa main le témoignage de Dieu, sa preuve et ses signes bénis et saints. Cependant, ô rois, vous n'avez pas su prêter attention au Souvenir de Dieu quand son jour est venu, ni vous laisser guider par la lumière qui s'est levée et brille au-dessus de l'horizon du ciel resplendissant. Vous n'avez pas examiné sa cause ; pourtant cela aurait mieux valu pour vous que tout ce que le soleil éclaire, puissiez-vous le comprendre ! Vous êtes demeurés indifférents même quand les membres du clergé de Perse - ces hommes cruels - le condamnèrent injustement et le mirent à mort. Son esprit s'éleva vers Dieu, et cette cruauté arracha de douloureuses larmes aux habitants du paradis et aux anges qui sont près de Dieu. Gardez-vous désormais d'être aussi négligents que vous le fûtes jusqu’à présent. Retournez donc vers Dieu, votre créateur, et ne soyez pas de ceux qui sont insouciants.» (r4)

Ces paroles nous donnent un nouvel aperçu du fait que Baha’u’llah s’attendait à ce que les rois, dont nombre d’entre eux n’étaient pas informés du message du Bab, se soient interrogés sur ses prétentions et aient embrassé sa Cause. Il ne retient pas la pensée que la plupart d’entre eux auraient pu n’être pas conscients de sa venue ou au courant de ses prétentions. Au contraire, il les réprimande pour leur ignorance et révèle pour eux les versets de Dieu, sans considération du fait que la plupart d’entre eux étaient étrangers à sa terminologie. En les appelant à sa Cause, il ne changea pas pour autant son style habituel ni son mode d’expression pour s’adapter à la compréhension de ses lecteurs. Ainsi donc, il écrivit: «Raconte-leur, ô serviteur, ce qui advint à ‘Ali (le Bab), lorsqu'il vint vers eux, avec sincérité,...» Les rois auraient dû savoir qui était ‘Ali. Il est du devoir de l’homme de suivre la Parole de Dieu, de la comprendre, et de s’éduquer par elle. Comme les disciples de Baha’u’llah y parvinrent, l’on s’attend à ce que tous les hommes, sans considération de leur milieu ni de leur science - et cela inclut les rois - soient aptes à saisir les paroles de Baha’u’llah qui constituent la Parole de Dieu pour cet âge.

Baha’u’llah réprimande plus loin les rois pour n’avoir pas reconnu sa propre révélation. Il les adjure de se tourner vers lui en ces termes:

«Dégagée de ses voiles, ma face répand son rayonnement sur tout ce qui existe sur la terre et dans les cieux, et cependant, vous ne vous êtes pas tournés vers elle bien que vous soyez créés pour elle, ô assemblée de rois ! Suivez donc mes conseils, écoutez-les de tout votre coeur et ne soyez pas de ceux qui se détournent.» (r5)

Dans un autre passage, Baha’u’llah rappelle aux rois leur échec à empêcher l’ennemi de l’avoir persécuté, ses disciples et lui. Il les réprimande ainsi:

«Ô rois, vingt années se sont écoulées durant lesquelles nous avons été soumis, chaque jour, à l’agonie d’une tribulation nouvelle. Aucun de ceux qui nous ont précédé n’a enduré ce que nous avons souffert. Puissiez-vous le comprendre ! Ceux qui se sont levés contre nous, nous ont mis à mort, ont répandu notre sang, pillé nos biens et violé notre honneur. Bien qu’informés de la plupart de nos maux, vous n’avez jamais arrêté la main de l’agresseur. N’est-ce pas cependant votre devoir le plus clair que de refréner la tyrannie de l’oppresseur et de traiter équitablement vos sujets, afin que soit pleinement démontré à toute l’humanité votre haut sens de la justice.
Dieu a remis entre vos mains les rênes du gouvernement du peuple pour que vous le gouverniez avec équité, que vous sauvegardiez les droits des opprimés et punissiez les malfaiteurs. Si vous négligez les devoirs que Dieu vous a imposés dans son Livre, vos noms seront comptés parmi les noms de ceux qui sont injustes à ses yeux. Grave, en fait, serait votre erreur. Vous attachez-vous à ce que votre imagination a conçu, et rejetez-vous les commandements de Dieu, le Très-Loué, l’Inaccessible, l’Irrésistible, le Tout-Puissant ? Rejetez ce que vous possédez et attachez-vous à ce que Dieu vous ordonne d’observer. Sollicitez sa grâce, car celui qui la sollicite marche dans son droit chemin.» (r6)

Et encore:

«Si vous ne retenez pas la main de l'oppresseur, si vous ne protégez pas les droits de l'opprimé, de quoi pouvez-vous vous glorifier parmi les hommes ? De quoi au juste pouvez-vous être fiers ? Vous ferez-vous gloire de ce que vous mangez et buvez, des richesses que vous amassez, du prix et de la variété des ornements dont vous vous parez ? Si la vraie gloire consistait en la possession de ces choses périssables, la terre sur laquelle vous marchez devrait alors se vanter de vous être supérieure, car c'est elle qui, par décret du Tout-Puissant, vous fournit et vous accorde ces choses. Ses entrailles renferment, selon ce que Dieu a ordonné, tout ce que vous possédez. D'elle, en signe de sa miséricorde, vous tirez toutes vos richesses. Considérez donc votre condition, ce dont vous vous enorgueillissez ! Puissiez-vous en prendre conscience !
Non, par celui qui tient en sa main le royaume tout entier de la création ! Votre gloire constante et véritable ne réside que dans votre ferme adhésion aux préceptes de Dieu, dans votre observance sincère de ses lois, dans votre résolution de veiller à leur application et de suivre fermement le droit chemin.» (r7)

b) Conseils généraux aux rois

Quelques caractéristiques remarquables de la Suriy-i-Muluk sont les conseils que Baha’u’llah prodigue aux rois. Il souligne pour eux ces qualités qui doivent orner chaque tête couronnée. Voici certaines de ses exhortations:

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Ne négligez pas la crainte de Dieu, ô rois de la terre, et prenez garde de ne pas transgresser les limites fixées par le Tout-Puissant. Obéissez aux injonctions de son Livre, et gardez-vous d'en outrepasser les limites. Veillez à n'être injustes envers personne, ne fût-ce que dans la mesure d'un grain de moutarde. Suivez le sentier de la justice, car c'est là, en vérité, le droit sentier.

Résolvez vos différends et réduisez vos armements, afin d’alléger le fardeau de vos dépenses, et que vos esprits et vos coeurs soient apaisés. Réglez les discordes qui vous divisent, et vous n’aurez point besoin d’armements excepté pour la protection de vos villes et territoires. Craignez Dieu, et gardez-vous d’outrepasser les bornes de la modération et d’être comptés parmi les extravagants.

Nous avons appris que vous augmentez chaque année vos dépenses et que vous en faites peser le fardeau sur vos sujets. En vérité, c’est plus qu’ils ne peuvent supporter et cela constitue une grave injustice. Tranchez avec justice entre les hommes, ô rois, et soyez parmi eux l’emblème de la justice. C’est là, si vous jugez avec discernement, ce qui vous incombe et convient à votre rang.

Gardez-vous de traiter injustement celui qui en appelle à vous et se place sous votre protection. Vivez dans la crainte de Dieu, et soyez de ceux qui mènent une vie pieuse. Ne vous reposez jamais sur votre pouvoir, vos armées et vos trésors. Placez votre foi et votre confiance en Dieu qui vous a créés, et dans toutes vos affaires sollicitez son aide. Le secours ne vient que de lui et il le donne à qui il veut, grâce aux armées du ciel et de la terre.

Sachez que Dieu vous a confié les pauvres. Veillez à ne pas trahir sa confiance en les traitant injustement, et à ne pas suivre la voie des perfides. Vous serez certainement appelés à rendre compte de ce qui vous a été confié le jour où sera établie la balance de la justice, le jour où chacun recevra son dû, où les actes de tous, riches ou pauvres, seront rigoureusement pesés. (r8)
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c) Les conséquences du rejet

Ayant conseillé les dirigeants du monde, Baha’u’llah donne alors un avertissement lourd de menaces:

«Si vous ne prenez garde aux conseils qu'en un clair et incomparable langage nous vous révélons dans cette épître, le châtiment de Dieu fondra sur vous de toutes parts, et la sentence de sa justice sera prononcée contre vous. Vous n'aurez, ce jour-là, aucun pouvoir de lui résister, et vous reconnaîtrez votre propre impuissance. Ayez pitié de vous-mêmes et de vos sujets.» (r9)

L’appel de Baha’u’llah et ses convocations aux rois sont tombés dans des oreilles de sourds. En conséquence, l’humanité a de plus en plus éprouvé les déchirantes afflictions de la guerre et l’écroulement de l’ordre partout. Le monde a été plongé dans un tel chaos et tant de conflits, que l’on ne peut trouver personne parmi ses dirigeants, qu’ils soient politiques ou religieux, doté de la capacité de le secourir de son sort et de sa chute. Les souffrances et les tribulations qui ont accablé l’être humain, comme Baha’u’llah l’avait prédit, augmentent jour après jour, et le processus de désagrégation de l’ordre ancien s’accélère avec le passage du temps.

Aussi grave que puisse être l’état de l’humanité, plus grave encore est l’incapacité de l’ensemble de l’humanité, de ses dirigeants et de ses sages, à découvrir la cause de leurs souffrances et la raison d’un tel conflit, un tel désordre dans le monde. Seuls ceux qui ont reconnu le rang de Baha’u’llah et ont embrassé sa Foi savent que ces calamités sont la conséquence directe du rejet de l’appel de Baha’u’llah par l’humanité en général et par les rois et les dirigeants du monde en particulier. Ils croient fermement qu’il n’existe pas de refuge pour l’homme de nos jours à moins et jusqu’à ce qu’il vienne à l’ombre de la Cause de Dieu.

Non seulement Baha’u’llah a averti l’humanité, dans la Suriy-i-Muluk, des conséquences du rejet de son appel, mais il a aussi clairement prédit, dans de nombreuses épîtres révélées ultérieurement, les tourments et les tribulations qui affligeraient une humanité incroyante qui s’est détournée de son Dieu et a rejeté sa Manifestation suprême. Ces passages tirés des Ecrits de Baha’u’llah dépeignent le spectacle qui attend un monde plongé dans la perversité et l’insouciance:

«Le temps de la destruction du monde et de ses peuples est arrivé.» «L’heure approche où le plus grand des bouleversements apparaîtra.» «Le jour promis est venu, le jour où des épreuves torturantes surgissant au-dessus de vos têtes et sous vos pieds, clameront: Voyez ce que vos mains ont forgé !» «Bientôt le souffle de son châtiment s’abattra sur vous, et la poussière de l’enfer vous recouvrira de son linceul.» «Et lorsque l’heure fixée sonnera, alors apparaîtront soudainement sur la terre des choses qui feront trembler les membres de l’humanité.» «Le jour approche où sa flamme (celle de la civilisation) dévorera les cités, où la Langue de Grandeur proclamera: «Le Royaume est à Dieu, le Tout-Puissant, le Loué !» (r10)

Bien que le jour présent et le futur immédiat, tels que prédit par Baha’u’llah, soient calamiteux et très sombres, nous sommes rassurés par sa promesse que le futur lointain est tellement glorieux qu’aucun homme ne peut encore l’imaginer. Il déclare:
«Après un temps, tous les gouvernements de la terre changeront. L’oppression enveloppera le monde. Et après une universelle convulsion, le soleil de la justice se lèvera de l’horizon du royaume invisible.» (r11)

Et encore:

«La terre entière est actuellement dans un état de gestation. Le jour approche où elle produira ses plus nobles fruits, où s’élanceront les arbres les plus élevés, les fleurs les plus merveilleuses, les plus célestes bénédictions.» (r12)

Ayant familiarisé les rois avec son message dans la Suriy-i-Muluk et les ayant avertis des terribles conséquences qui suivraient s’ils n’y payaient aucune attention, la Langue de grandeur (n328) s’adresse à Baha’u’llah en ces termes:
«Avertis le peuple, ô Serviteur, et informe-le de ce que nous t’avons envoyé ; ne te laisse effrayer par rien ni personne et ne sois pas de ceux qui hésitent. Le jour approche où Dieu exaltera sa cause et magnifiera sa preuve aux yeux de tous ceux qui sont sur la terre et dans les cieux. En toute circonstance, place en Dieu ton entière confiance, fixe sur lui ton regard et détourne-toi de ceux qui répudient sa vérité. Que Dieu, ton Seigneur, soit ta seule aide, ton unique secours. Nous nous sommes engagé à assurer ton triomphe sur la terre et à exalter notre cause au-dessus de tous les hommes, bien qu’il ne se soit trouvé aucun roi pour se tourner vers toi.» (r13)

d) Aux chrétiens

Un appel audacieux attend les «rois de la chrétienté» dans la Suriy-i-Muluk:

«Ô rois de la chrétienté, n’avez-vous pas entendu la parole de Jésus, l’Esprit de Dieu: «Je m’en vais mais je vous reviendrai ?» Lorsqu’il vous est revenu dans les nuées, vous ne vous êtes pas approchés de lui pour contempler son visage, vous n’avez pas atteint sa présence. Pourquoi cette défaillance ? Dans un autre passage, il dit: «Lorsque celui qui est l’Esprit de vérité viendra, il vous conduira à toute la vérité». Et pourtant, voyez comment, lorsqu’il vous a apporté la vérité, vous avez refusé de tourner vos visages vers lui et continué de vous vautrer dans vos loisirs et vos caprices. Vous ne l’avez pas accueilli ni n’avez recherché sa présence pour entendre les versets de Dieu coulant de ses propres lèvres et goûter à la sagesse infinie du Tout-Puissant, le Très-Glorieux, le Très-Sage. En raison de votre échec, vous avez empêché le souffle de Dieu de passer sur vous et privé vos âmes de la douceur de son parfum. Vous continuez à errer avec délices dans la vallée de vos désirs corrompus. Par Dieu ! vous êtes vous-mêmes, ainsi que tout ce que vous possédez, appelés à disparaître. Vous allez assurément retourner à Dieu, et vous aurez à répondre de vos actes en présence de celui qui rassemblera la création tout entière.» (r14)

e) Au Sultan de Turquie

Le Sultan ‘Abdu’l-’Aziz de Turquie est le seul monarque abordé individuellement dans la Suriy-i-Muluk, souverain dont les édits royaux avaient provoqué le confinement de Baha’u’llah dans la cité d’Andrinople, désignée par lui comme étant la «prison lointaine», et plus tard dans la cité d’Acre, la «Plus Grande Prison». Une grand partie de son discours est traduite en anglais. (n329) Le passage d’introduction démontre à lui tout seul la majesté de Baha’u’llah. Ses paroles, prononcées avec une divine autorité, dépeignent le Roi comme un simple vassal:

«Écoute, ô Roi (le sultan Abdu’l-’Aziz.), le discours de celui qui ne dit que la vérité, qui ne te demande pas en récompense les choses que Dieu t’a accordée et qui jamais ne s’écarte du droit chemin. C’est lui qui t’appelle à Dieu, ton Seigneur, qui te montre le droit chemin conduisant au vrai bonheur, afin que tu rejoignes ce pour qui tout ira bien.» (r15)

Baha’u’llah reproche au Roi d’avoir confié ses affaires à des ministres qui ne sont pas dignes de confiance et qui ne craignent pas Dieu. La corruption qui existait à la cour du sultan, doublée d’un régime d’oppression, avait causé d’insupportables souffrances à Baha’u’llah et ses compagnons. ‘Ali Pasha, le Grand Vizir, et Fu’ad Pasha, le Ministre des Affaires étrangères, en compagnie d’autres hommes, avaient été l’origine de l’oppression et de la tyrannie dans ce pays. Pas étonnant que Baha’u’llah, le Juge et le Conseiller de l’humanité, ait consacré une partie considérable de son discours au sultan en l’admonestant en ces termes:

«Garde-toi, ô Roi, de t’entourer de ministres qui suivent leurs inclinations corrompues, négligent ce qui leur est confié et manifestement trahissent leur mission. Sois bienveillant envers les autres comme Dieu l’est envers toi, et ne laisse pas les intérêts de ton peuple à la merci de tels ministres. Ne méconnais pas la crainte de Dieu, et sois de ceux qui agissent avec droiture. Entoure-toi de ministres qui exhalent le parfum de la foi et de la justice, sollicite leur avis, retiens ce qui te semblera le mieux, et sois de ceux qui agissent avec générosité...
Prends soin de ne pas remettre aux mains d’autrui les rênes des affaires de ton État, n’accorde pas ta confiance à des ministres qui ne la méritent point, ne sois pas de ceux qui vivent dans l’insouciance. Évite ceux dont le coeur se détourne de toi, ne leur accorde pas ta confiance, et ne les charge point de tes affaires ni des affaires de ceux qui professent ta foi. Assure-toi de ne pas laisser le loup devenir le berger du troupeau de Dieu, et ne laisse pas à la merci des méchants le sort de ceux qu’il aime. N’attends pas de ceux qui violent les commandements de Dieu qu’ils soient dignes de quelque confiance, ou qu’ils puissent être sincères dans la foi qu’ils professent. Évite-les donc, et protège-toi soigneusement, de peur d’être victime de leurs ruses et de leurs méfaits. Détourne-toi d’eux, fixe ton regard sur Dieu, ton Seigneur, le Très-Glorieux, le Très-Bienfaisant.» (r16)

En s’adressant au sultan, Baha’u’llah fait dans cette épître l’une des déclarations de nature à susciter le plus de réflexion. Il affirme:

«Tiens pour certain que quiconque ne croit pas en Dieu n’est ni digne de confiance ni véridique. Telle est, en effet, la vérité, l’indubitable vérité. Celui qui trahit Dieu trahit aussi son roi. Rien ne peut le détourner du mal, rien ne peut l’empêcher de trahir son voisin, rien ne peut l’amener à agir avec droiture.» (r17)

Afin d’apprécier cette déclaration, souvenons-nous que de nombreuses personnes qui ne croient pas en Dieu, peuvent être sincères et honnêtes dans une situation normale. Mais le véritable critère de la sincérité et de l’honnêteté d’un homme se trouve dans son attitude au moment de la tentation. Lorsque des épreuves et des difficultés sérieuses accablent l’homme, la seule chose qui le garde sincère, c’est sa foi en Dieu. S’il ne croit pas en Dieu, il n’y a aucune motivation en lui de résister à la tentation.

Baha’u’llah continue à prodiguer ses conseils au sultan avec une grande miséricorde et beaucoup de compassion. Ces quelques passages tirés de ses exhortations démontrent amplement la bonté affectueuse de Baha’u’llah, ainsi que son autorité.

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Si tu prêtes l’oreille à mes discours et suis mes conseils, Dieu t’élèvera à un rang si éminent qu’aucun dessein humain ne pourra t’atteindre ni te nuire. Ô Roi, observe de tout ton coeur et de toutes tes forces, les commandements de Dieu, et ne marche pas dans les sentiers de l’oppresseur...

Ne place pas ta confiance dans tes trésors. Place-la plutôt dans la grâce de Dieu, ton Seigneur. Compte sur lui en tout ce que tu fais, et sois de ceux qui se soumettent à sa volonté. Laisse-le t’aider et t’enrichir de ses trésors car c’est à lui qu’appartiennent tous les trésors de la terre et du ciel...

Ne franchis jamais les bornes de la modération et traite équitablement ceux qui te servent. Donne-leur selon leurs besoins, mais pas dans une mesure qui leur permettrait d’entasser pour eux-mêmes des trésors, de parer leur personne, d’embellir leur foyer, d’acquérir ce qui ne leur serait d’aucun profit et les ferait compter au nombre des extravagants. Exerce envers eux une indéfectible justice, de sorte que nul d’entre eux ne soit dans le besoin ni ne regorge de richesses. Ce n’est là que justice manifeste.

Ne permets pas que l’abject domine ceux qui sont nobles et dignes d’honneur, et ne souffre point que le juste soit à la merci du vil et du méprisable, car c’est ce que nous avons constaté lors de notre arrivée dans la cité (Note, Constantinople.), et nous en témoignons. Parmi ses habitants, nous en avons vu qui possédaient d’immenses fortunes et vivaient dans une richesse excessive, alors que d’autres vivaient dans une noire misère et une extrême pauvreté. Cela ne saurait convenir à ta souveraineté ni être digne de ton rang...

Garde les yeux rivés sur l’infaillible balance de Dieu et tel celui qui se tient en sa présence, pèse sur tes actions chaque jour, en chaque instant de ta vie. Fais ton examen de conscience chaque jour avant d’y être convié au jour du jugement, jour où personne n’aura la force de se tenir debout par crainte de Dieu, jour où le coeur des négligents se mettra à trembler.

Il incombe à tout roi d’être aussi bienveillant que le soleil qui assure la croissance de tous les êtres et donne à chacun son dû, et dont les bienfaits ne proviennent pas de lui-même, mais de la volonté du Tout-Puissant, de l’Omnipotent. Un roi doit être aussi généreux, aussi libéral dans sa grâce que les nuages dont les ondées bienfaisantes arrosent tous les pays sur l’ordre de celui qui est l’Ordonnateur suprême, l’Omniscient...

Tu es l’ombre de Dieu sur la terre. Efforce-toi donc d’agir de la manière qui convient à un rang aussi éminent et aussi majestueux. Tu ne saurais, sans déroger à un honneur aussi grand et inestimable, t’abstenir de suivre les enseignements qui, par nous, te sont envoyés du ciel. Retourne donc à Dieu, attache-toi fermement à lui, purifie ton coeur du monde et de ses vanités, et ne souffre pas que l’amour d’un étranger y pénètre pour s’y établir...

Que ton oreille, ô Roi, soit attentive aux paroles que nous t’adressons. Contrains l’oppresseur à renoncer à sa tyrannie, et sépare les artisans d’iniquité de ceux qui professent ta foi. (r18)
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f) Aux ministres du Sultan

Dans la Suriy-i-Muluk, Baha’u’llah s’adresse aux ministres du Sultan, et leur reproche leurs actions. Voici quelques passages:

«Dis: Il vous sied, ô ministres d’État, de respecter les préceptes de Dieu, de renoncer à vos propres lois et règlements, et d’être de ceux qui sont bien guidés. Cela vaudrait mieux pour vous que tout ce que vous possédez, puissiez-vous le savoir. Si vous transgressez le commandement de Dieu, pas un iota de vos oeuvres ne trouvera grâce devant lui. Avant peu, vous découvrirez les conséquences de ce que vous avez fait dans cette vaine existence, et vous en recevrez le juste salaire. Telle est la vérité, l’indubitable vérité...
Dis: Rejetterez-vous les préceptes de Dieu pour vous attacher à vos propres élucubrations ? C’est à vous-mêmes, autant qu’aux autres, que vous faites ainsi tort, puissiez-vous le comprendre. Dis: Si vos règles et principes se fondent sur la justice, comment se fait-il que vous suiviez ceux qui s’accordent avec vos inclinations corrompues et rejetiez ceux qui les contrarient ? De quel droit prétendez-vous juger équitablement entre les hommes ? Est-ce au nom de ces principes et de ces règles que vous avez repoussé celui qui, sur votre ordre, s’était présenté devant vous ? Est-ce pour vous y conformer que vous le persécutez, que vous lui infligez tous les jours de si indignes traitements ? Vous a-t-il jamais désobéi, ne fût-ce qu’un instant? Tous les habitants d’Irak et, avec eux, tous les observateurs pourvus de discernement témoigneront de la vérité de mes paroles.» (r19)

Baha’u’llah assure les ministres que sa mission n’est pas de mettre la main sur leurs trésors et leurs biens matériels. Il affirme son détachement de tout sauf de Dieu, et déclare que tous les trésors du monde apparaissent comme une poignée de poussière selon son jugement et le jugement de ses bien-aimés. Car tout périt à l’exception des splendeurs de la Cause de Dieu. Il avertit les ministres de leur sort:

«Sachez que le monde et ses vanités passeront. Rien ne durera sauf le royaume de Dieu qui n’appartient qu’à lui, le souverain Seigneur de toutes choses, le Secours, le Très-Glorieux, le Tout-Puissant. Les jours de votre vie s’écouleront, toutes les choses périront qui maintenant vous occupent et flattent votre vanité ; par une milice de ses anges, vous serez sommés à comparaître en ce lieu où la création sera saisie de crainte et de tremblement et où la chair de tout oppresseur frémira. Il vous sera demandé compte de tout ce que vos mains auront forgé en votre vaine existence, et vous en recevrez le juste salaire. Voici le jour qui, inéluctablement, s’abattra sur vous, voici l’heure que nul ne pourra différer. De cela porte témoignage la langue de celui qui dit la vérité et qui est l’Omniscient.» (r20)

g) Aux citoyens de Constantinople

Aux habitants de Constantinople, Baha’u’llah adresse aussi ses admonestations et ses conseils. Il les exhorte à craindre Dieu, à tendre l’oreille à son appel, à se débarrasser de l’orgueil, et se détacher de ce monde. Voici quelques-unes de ses exhortations:

«Craignez Dieu, habitants de la cité (Constantinople.), et ne semez point les germes de la discorde parmi les hommes. Ne suivez pas les sentiers du Malin. Marchez plutôt, durant les quelques jours qui vous restent à vivre, dans les voies du seul vrai Dieu. Vos jours passeront comme ont passé les jours de ceux qui vous ont précédés, et vous retournerez à la poussière comme vos pères y sont retournés...
Prêtez l’oreille aux conseils que, pour l’amour de Dieu, ce serviteur vous donne. Il n’attend de vous, en vérité, aucune récompense et, entièrement soumis à la volonté de Dieu, il est résigné à ce que cette volonté lui réserve.
Les jours de votre vie sont déjà largement dépensés, ô peuple, et votre fin approche à grands pas. Renoncez donc à ces vaines entreprises qui vous retiennent encore et attachez-vous aux préceptes de Dieu, afin d’obtenir ce qu’il vous a destiné et d’être de ceux qui suivent le droit chemin...
Gardez-vous de vous gonfler d’orgueil devant Dieu et de repousser ceux qu’il aime. Suivez plutôt en toute humilité ceux qui sont fidèles, qui ont cru en lui et en ses signes, dont les coeurs témoignent de son unité, dont les bouches proclament son unicité, et qui ne parlent qu’avec sa permission. Nous vous exhortons ainsi au nom de la justice, et nous vous avertissons, au nom de la vérité, pour vous tirer, si possible, de votre sommeil.
Ne faites peser sur aucune âme un poids dont vous ne voudriez point que la vôtre fût chargée, et ne souhaitez à personne ce que vous ne souhaitez pas pour vous-mêmes. Tel est le meilleur conseil que je puisse vous donner, puissiez-vous le suivre.» (r21)

En s’adressant au peuple de Constantinople, Baha’u’llah leur énonce clairement sa propre position:

«Sachez que je n’ai peur de personne d’autre que de Dieu, qu’en nul autre que lui je n’ai placé ma confiance, que je ne suis attaché qu’à lui seul et que je ne désire rien d’autre que ce qu’il a désiré pour moi. Tel est, en vérité, le voeu de mon coeur, puissiez-vous le savoir. J’ai offert mon âme et mon corps en sacrifice à Dieu, le Seigneur de tous les mondes. Quiconque a connu Dieu ne connaîtra jamais que lui, et quiconque a craint Dieu, n’aura point d’autre crainte, alors même que toutes les puissances de la terre se dresseraient contre lui. Je ne parle que sur son ordre et, par le pouvoir de Dieu et par sa puissance, je ne me conforme qu’à sa vérité. En vérité, je vous le dis, il récompensera les coeurs sincères...
Le jour approche où Dieu suscitera un peuple qui se souviendra de nos jours, fera le récit de nos épreuves et exigera, de ceux qui sans la moindre preuve nous ont traité avec une indéniable injustice, la restitution de nos droits.» (r22)

Il est intéressant de noter que dans ses exhortations aux habitants de Constantinople, dont la plupart sont sunnites, Baha’u’llah chante en termes flamboyants les vertus et le rang exalté de l’Imam Husayn, décrit son sacrifice et prie pour qu’il puisse lui-même donner sa vie dans le sentier de Dieu.

h) Aux théologiens et aux philosophes

Les chefs ecclésiastiques de Constantinople sont dénoncés dans la Suriy-i-Muluk pour leur entêtement et leur négligence car ils n’ont pas cherché à atteindre sa présence, et n’ont pas enquêté sur sa Cause. Baha’u’llah les réprimande pour leur adoration des «noms» et leur amour du pouvoir. Il s’afflige de ce qu’ils ont manqué à le reconnaître comme leur Seigneur et il les reconnaît comme morts spirituellement.

Baha’u’llah s’adresse aux «sages» de Constantinople et aux philosophes du monde. Il les avertit de ne pas s’enorgueillir de leur savoir, car l’essence de la sagesse et de la connaissance, c’est la crainte de Dieu et la reconnaissance de sa Manifestation. Il les réprimande pour leur manque à rechercher l’illumination auprès de lui, et leur conseille de ne pas transgresser les lois de Dieu, ni de prêter attention aux manières des hommes et à leurs habitudes.

i) À l’ambassadeur de France

Baha’u’llah reproche à l’ambassadeur de France à Constantinople de s’être ligué avec l’ambassadeur de Perse contre lui sans enquêter sur son cas. Il dit à l’ambassadeur de France qu’il a négligé les exhortations de Jésus-Christ telles que rapportées dans les Evangiles, sinon il ne se serait pas allié à l’ambassadeur de Perse. Il l’avertit que bientôt sa gloire passera et qu’il devra répondre de ses actes en présence de son Seigneur. Il lui conseille, à lui et à tous ceux comme lui, d’emprunter le chemin de la justice et non de suivre les impulsions du mal en eux-mêmes.

j) À l’ambassadeur de Perse

Une portion considérable de la Suriy-i-Muluk s’adresse à Haji Mirza Husayn Khan, le Mushiru’d-Dawlih, l’ambassadeur de Perse à Constantinople. Nous avons déjà parlé de ses activités contre Baha’u’llah. (n330) Il était originaire de Qazvin, l’un des hommes d’État de Perse les plus capables, qui resta au poste d’ambassadeur de Perse pendant à peu près quinze ans de 1270-1285 de l’Hégire (1853-1868). En 1288 de l’Hégire (1871), il fut promu au poste de Ministre des Affaires étrangères. Plus tard, il fut renvoyé. Ayant encouru le déplaisir du Chah, il fut installé comme conservateur du Mausolée de l’Imam Rida à Mashhad (n331) et là, il mourut subitement en 1298 de l’Hégire (1881) à l’âge de cinquante-sept ans. Il est couramment admis qu’on lui donna une tasse de café empoisonnée sur ordre du Chah.

Dans la Suriy-i-Muluk, Baha’u’llah s’adresse à lui en ces termes audacieux:

«Ô Ministre du Shah en la cité (Constantinople), imagines-tu que je tienne en ma main le sort définitif de la cause de Dieu ? Crois-tu que son cours puisse être détourné par mon emprisonnement, par la honte qui m’a été infligée ou même par ma mort et mon annihilation ? Misérable est ce qui naît dans ton coeur ! Tu es, en vérité, de ceux qui suivent les vaines imaginations de leur coeur. Il n’est d’autre Dieu que lui. Il a le pouvoir d’exalter son témoignage, de réaliser la moindre de ses volontés, de manifester sa Cause et d’élever celle-ci à une position si éminente que ni tes actions ni les actions de ceux qui se sont détournés de lui ne pourront la toucher ou lui nuire.
Crois-tu pouvoir faire échec à sa volonté, l’empêcher d’exécuter son jugement ou d’exercer sa souveraineté ? Prétends-tu que quelque chose dans le ciel ou sur la terre puisse résister à sa Foi ? Par celui qui est la Vérité éternelle ! Rien dans toute la création ne peut contrecarrer son dessein. Renonce donc à ce qui n’est chez toi que pure suffisance, car jamais l’orgueil n’a pu tenir lieu de vérité. Sois de ceux qui se repentent sincèrement et retournent à Dieu, le Dieu qui t’a créé, qui t’a nourri et a fait de toi un ministre parmi ceux qui professent ta Foi...
Si cette Cause est la cause de Dieu, il n’est point d’homme qui puisse prévaloir sur elle ; et si elle n’est pas de Dieu, vos prêtres parmi vous, ainsi que ceux qui suivent leurs désirs corrompus et ceux qui se sont révoltés contre lui n’auront aucune peine à la renverser.» (r23)

Baha’u’llah réprimande de manière sévère l’ambassadeur, en tant que représentant de son pays, pour les persécutions et les souffrances qui ont accablé les croyants de Perse et en particulier pour le crime suprême de l’exécution du Bab. Voici quelques passages:

«... Combien d’hommes, chaque année, chaque mois même, ont été mis à mort à cause de vous ! Combien d’injustices avez-vous perpétrées, d’une iniquité telle que l’oeil de la création n’en avait jamais vu de semblables ni aucune chronique rapporté de pareilles ! Ô êtres injustes, combien de nourrissons et de petits enfants sont, par votre cruauté, devenus orphelins, combien de pères pleurent leurs fils, combien de soeurs languissent dans le deuil d’un frère, combien d’épouses se lamentent sur la mort d’un mari, leur unique soutien !
Votre iniquité s’est accrue chaque jour jusqu’à ce que vous en arriviez à tuer celui qui n’avait jamais détaché son regard de la face de Dieu, le Suprême, le Très-Grand (le Bab.). Si seulement vous l’aviez mis à mort comme les hommes le font habituellement pour se détruire les uns les autres ! Mais vous l’avez tué dans des circonstances telles qu’on n’en a jamais vu de semblables. Les cieux ont versé sur lui des larmes amères, et les âmes de ceux qui sont près de Dieu ont pleuré sur ses malheurs. N’était-il pas un descendant de l’ancienne maison de votre prophète ? Le fait qu’il était un descendant direct de l’Apôtre n’était-il pas connu de vous ? Pourquoi donc lui avez-vous infligé ce que, de temps immémorial, nul homme n’avait jamais infligé à un autre homme ? Par Dieu ! la création n’a jamais vu votre pareil. Vous avez mis à mort un fils de la maison de votre prophète, et sur vos sièges d’honneur, vous continuez de vous réjouir et de vous divertir...» (r24)

Baha’u’llah continue de la sorte et déclare:

«Vous vous êtes obstinés jusqu’à vous lever contre nous, pourtant nous n’avions rien fait qui justifie votre inimitié. N’avez-vous donc aucune crainte du Dieu qui vous a créés et façonnés, à qui vous devez votre force et qui vous a comptés parmi ceux qui s’en sont remis à lui (les musulmans.) ? Jusqu’à quand vous obstinerez-vous ? Jusqu’à quand refuserez-vous de réfléchir ? Combien de temps vous faudra-t-il pour sortir de votre sommeil et de votre insouciance ? Jusqu’à quand méconnaîtrez-vous la vérité ?
Tu commets chaque jour une nouvelle injustice, et tu me traites comme tu m’as traité dans le passé, encore que je ne me sois jamais immiscé dans tes affaires. Jamais je ne suis entré en opposition avec toi, ni ne me suis rebellé contre tes lois. Et vois comment finalement tu as fait de moi un prisonnier en cette terre reculée ! Mais, quoi que vos mains ou les mains des infidèles aient forgé, sois assuré que la cause de Dieu n’en sera pas affectée ni ses voies altérées, ainsi qu’il en a toujours été.
Prêtez attention à mes avertissements, ô habitants de la Perse ! Si je péris entre vos mains, Dieu en suscitera un autre qui occupera le siège que ma mort aura rendu vacant, car telle est la manière dont Dieu a procédé dans le passé, et vous ne constatez aucun changement dans cette méthode. Chercheriez-vous à éteindre sa lumière qui brille sur sa terre ? Dieu lui-même s’y oppose. Il ne cessera de rendre plus parfaite sa lumière, même si, dans le secret de vos coeurs, vous la détestez.» (r25)

Ayant réprimandé l’ambassadeur pour les injustices infligées à la Cause de Dieu, Baha’u’llah s’adresse à lui en ces termes:

«En dépit de ce que tu as fait, et bien que toi et d’autres nous ayez fait subir des offenses qu’aucun croyant en l’unité de Dieu ne saurait supporter, je ne nourris contre toi, ni contre qui que ce soit, aucune malveillance. Dieu m’en est témoin ! Ma cause est entre les mains de Dieu, et ma confiance n’est placée en personne d’autre qu’en lui. Avant peu, vos jours passeront comme passeront les jours de ceux qui, orgueilleusement, se croient aujourd’hui supérieurs à leur voisin. Bientôt, rassemblés en la présence de Dieu, il vous sera demandé compte de vos actions. Vous en recevrez le juste salaire, et misérable est la demeure des malfaiteurs.
Par Dieu ! si tu prenais conscience de ce que tu as fait, il est certain que tu pleurerais amèrement sur toi-même, chercherais en Dieu un refuge, languirais et te lamenterais tous les jours de ta vie, jusqu’à ce que tu aies obtenu de Dieu son pardon, car il est, en vérité, le Très-Généreux, le Munificent...
Je ne sais quel chemin vous avez choisi de fouler, ô vous qui me voulez du mal ! Nous vous adjurons de vous tourner vers Dieu, nous vous rappelons son jour, nous vous annonçons la nouvelle de votre rencontre avec lui, nous vous permettons de vous approcher de sa cour, et nous faisons descendre sur vous les signes de sa merveilleuse sagesse. Et pourtant voyez comment vous nous rejetez, comment vous nous condamnez par les mensonges que vous proférez comme si nous étions un infidèle, et comment vous ourdissez des complots contre nous !...» (r26)

Dans cette partie de la Suriy-i-Muluk, Baha’u’llah fait allusion à Mirza Buzurg Khan, (n332) le consul général de Perse à Bagdad, son implacable ennemi qui avait joué un rôle majeur dans son exil à Constantinople. Il le mentionne comme étant le Ministre dont sa plume répugnait même à citer le nom. Il dénonce cet homme hautain et arrogant dans le passage suivant:

«Nous habitions ce pays (n333) depuis onze ans quand arriva, pour représenter ton gouvernement, ce ministre que notre plume se refuse à nommer, qui s’adonnait au vin et à la débauche, suivait ses passions, commettait des iniquités, et qui, corrompu, corrompit l’Irak. De cela porteront témoignage la plupart des habitants de Bagdad, si tu es de ceux qui cherchent à connaître la vérité et si tu t’en enquiers auprès d’eux. Au mépris de toute justice, il s’emparait du bien de son prochain, violait tous les commandements de Dieu et commettait ce que Dieu réprouve. Finalement, obéissant à ses penchants, il se leva contre nous et s’engagea dans les voies de l’iniquité. Dans une lettre qu’il t’adressa, il lança ses accusations et, bien qu’il n’apportât pas la moindre preuve contre nous, tu le crus sur parole et tu abondas dans son sens. Tu ne demandas aucune explication, tu ne procédas à aucune enquête, tu ne recherchas aucune preuve ni aucun témoignage dignes de foi qui eussent pu t’aider à distinguer l’erreur de la vérité et à juger avec discernement. Afin de découvrir quelle sorte d’homme il est, renseigne-toi personnellement, tant auprès des ministres qui se trouvaient alors en Irak que du gouverneur de la ville (Bagdad) et de son haut conseiller, afin que la vérité te soit connue et que tu sois bien informé sur notre cas.» (r27)

Et finalement, les passages en conclusion de son message à l’ambassadeur révèlent la tendre bonté de Baha’u’llah alors qu’il l’exhorte à la piété, la justice et l’humilité devant Dieu et ses bien-aimés:

«Nous ne cherchons point, en t’adressant ces paroles, à alléger le fardeau de notre malheur ni à t’amener à intercéder pour nous auprès de quiconque. Non certes, par celui qui est le Seigneur de tous les mondes ! Nous t’avons exposé toute l’affaire pour que, prenant peut-être ainsi conscience de ce que tu as fait, tu t’abstiennes désormais d’infliger à d’autres ce que tu nous as infligé et que, sincèrement repentant devant Dieu qui t’a créé et qui a créé toutes choses, tu agisses à l’avenir avec plus de discernement. Cela vaudra mieux pour toi que tout ce que tu possèdes et que ton ministère dont les jours sont comptés.
Veille à ne point te faire le complice de l’injustice. Dirige résolument ton coeur vers l’équité, n’altère pas la cause de Dieu, et sois de ceux qui fixent leur regard sur les révélations de son Livre. Ne cède, en aucun cas, aux impulsions de tes mauvais désirs. Observe la loi de Dieu, ton Seigneur, le Bienfaisant, l’Ancien des jours. Tu retourneras certainement en poussière, et tu périras ainsi que toutes les choses dont tu t’es délecté. Voilà ce que te dit la Langue de vérité et de gloire.
Souviens-toi des avertissements de Dieu dans le passé, pour que tu sois de ceux qui prêtent attention à son conseil ? Il a dit, et la vérité parle par sa bouche: «De la terre, nous vous avons créés; en elle nous vous ramènerons et d’elle nous vous ferons sortir une fois encore». Voilà ce que Dieu a décrété pour tous ceux, petits et grands, qui sont sur la terre. Il ne convient donc pas à celui qui a été créé avec de la poussière, qui y retournera et qui en sera tiré à nouveau, de s’enfler d’orgueil devant Dieu et devant ceux qu’aime celui-ci, de les considérer avec mépris et d’être rempli d’une dédaigneuse arrogance. Ce qui plutôt vous convient, à toi et à tes semblables, c’est de vous soumettre à ceux qui sont les Manifestations de l’unité de Dieu, de vous incliner humblement devant les fidèles qui ont tout quitté pour l’amour de lui et se sont détachés de toutes les choses qui, absorbant l’attention des hommes, les détournent de la voie du Seigneur, le Très-Glorieux, le Magnifié. Ainsi vous faisons-nous connaître ce qui vous sera profitable, et ce qui profitera à ceux qui ont placé dans le Seigneur toute leur confiance et tout leur espoir.» (r28)

* VERS UN BANNISSEMENT PLUS LOINTAIN :

Cet ambassadeur de Perse, le Mushiru’d-Dawlih, qui avait déjà réussi dans ses efforts pour inciter le gouvernement turc à bannir Baha’u’llah par deux fois, joua aussi un rôle important pour provoquer son exil à Acre.

Peu après que la «Plus Grande Séparation» eût commencé, lorsque les disciples de Baha’u’llah se séparèrent de Mirza Yahya et de ses partisans, Siyyid Muhammad-i-Isfahani commença à intensifier sa campagne de calomnies contre Baha’u’llah. Il se rendit à Constantinople et rencontra plusieurs fois l’ambassadeur de Perse. Au cours de ces entrevues, il se plaignit de Baha’u’llah et insinua dans l’esprit de l’ambassadeur le poison de tant de mensonges et de calomnies, que certaines des autorités, auparavant impressionnées par la droiture et la dignité de Baha’u’llah, s’en trouvèrent désillusionnées. Et enfin, il parvint, par des déclarations erronées et exagérées, à susciter les peurs et la suspicion de l’ambassadeur. Siyyid Muhammad contacta aussi des hauts fonctionnaires de la Sublime Porte et leur parla de Mirza Yahya en des termes hautement élogieux, tout en qualifiant de subversives les activités de Baha’u’llah, activités qui visaient à renverser le Gouvernement ottoman.

Dans ces infâmes mensonges, Siyyid Muhammad fut très bien aidé par son complice, un certain Aqa Jan, (n334) connu comme Kaj Kulah (Calotte de Travers), un officier d’artillerie en retraite de l’armée turque. Cet homme, qui créa beaucoup de problèmes à Baha’u’llah et ses compagnons à la fois à Andrinople et à Acre, était originaire de Salmas en Adhirbayjan. Il était d’abord officier dans l’armée persane, puis déserta pour rejoindre les Ottomans, fut intégré dans l’armée turque, promu au rang de colonel et quelques années plus tard, prit sa retraite en 1283 de l’Hégire (1866). Il entra en contact avec Siyyid Muhammad à Constantinople et tomba sous l’influence de cet esprit satanique. Si puissante était cette influence que Aqa Jan devint un allié fidèle et marcha dans les traces de son maître jusqu’à la fin. Lorsque les autorités l’interrogèrent le 1er avril 1868, à Constantinople, après son arrestation dans cette ville, il attesta n’avoir jamais rencontré Mirza Yahya, mais qu’il avait été en communication avec lui par l’intermédiaire de Siyyid Muhammad. Il admit qu’il ne comprenait pas les écrits de Mirza Yahya, pas plus qu’il ne l’avait vu faire de miracles. Sa motivation à le suivre était de servir le gouvernement ottoman. Pour le prouver, Aqa Jan fit une déclaration absolument formidable. Il affirma haut et fort que la grande majorité du peuple persan, y compris les épouses de Nasiri’d-Din Shah, étaient des disciples de Mirza Yahya ! Il exprima son opinion que si le gouvernement ottoman devait soutenir la cause de Mirza Yahya, le peuple persan abandonnerait son propre gouvernement et viendrait se mettre sous la direction des Ottomans. Aqa Jan plaida qu’il avait préparé une déclaration écrite à ce sujet pour convaincre les autorités, mais qu’il n’avait pas pu la diffuser.

Au cours de cet interrogatoire, Aqa Jan expliqua sa relation avec Siyyid Muhammad. Il témoigna qu’il avait accompagné Siyyid Muhammad en 1867 au Ministère des Affaires étrangères, où ils eurent une entrevue avec un certain fonctionnaire de haut rang. Le but de cette visite, d’après lui, avait été de convaincre le gouvernement que c’était Mirza Yahya qui devait être l’allocataire de l’indemnité mensuelle, (n335) et non pas Baha’u’llah. Aqa Jan affirma qu’il s’était rendu par deux fois à la Sublime Porte et qu’il avait transmis au Premier Ministre une requête émanant de Mirza Yahya à propos de cette indemnité.

Il est important de remarquer à ce moment que lorsque lui parvint la nouvelle des calomnies et des mensonges de Mirza Yahya, au sujet de cette allocation mensuelle, Baha’u’llah refusa courtoisement de percevoir encore cette indemnité. D’après le témoignage de Muhammad-Baqir-i-Qahvih-chi, qui fut arrêté à Constantinople et interrogé le 7 avril 1868, le refus de Baha’u’llah de recevoir cette allocation remontait à environ août 1867. Depuis cette époque-là, Baha’u’llah avait dû vendre certains de ses biens afin de parer à l’indispensable pour lui-même et ceux qui dépendaient de lui.

Quant à Siyyid Muhammad et Aqa Jan, ces deux hommes méchants firent tout leur possible pendant longtemps pour discréditer Baha’u’llah aux yeux des autorités, tout en présentant Mirza Yahya comme un homme de Dieu doué de grandes qualités. Quelques fonctionnaires du gouvernement turc furent égarés par leur propagande. Parmi eux se trouvaient un certain ‘Ismat Effendi ainsi que Haji Muhammad Nuri. Siyyid Muhammad, passé maître en matière de tromperie et d’hypocrisie, était parvenu à les gagner à lui en leur promettant de grandes faveurs lorsque Mirza Yahya aurait établi son ascendant. L’un des pièges consistait en ce que Mirza Yahya et lui inscrivent quelques mots à l’intérieur d’un cercle, ajoutent leurs valeurs numériques et proclament que le résultat indiquait que la conquête de Constantinople aurait lieu en l’an 1286 de l’Hégire (1869). Ce cercle est mentionné par Baha’u’llah, dans l’une de ses lettres au gouverneur d’Andrinople, comme destiné à susciter la sédition. Il fut diffusé parmi un certain nombre de gens et un exemplaire parvint aux autorités d’Andrinople et de Constantinople. Mirza Yahya promit à ses partisans turcs des cercles gouvernementaux qu’il sortirait victorieux de la lutte et qu’il les récompenserait richement pour leur aide. Il conféra à Aqa Jan le titre de Sayfu’l-Haq (L’Epée de la Vérité) et lui promit qu’il réussirait la conquête de l’Irak, tandis qu’à l’amusement de beaucoup, Siyyid Muhammad, à l’esprit satanique, fut surnommé Quddus (Saint), une appellation qui était largement utilisée dans les milieux officiels.

Au moment même où cette propagande allait bon train, Siyyid Muhammad réussit à susciter la peur dans l’esprit des autorités en déclarant que Baha’u’llah, avec l’aide de ses disciples - dont beaucoup se rendaient à Andrinople - et assisté par les chefs bulgares, se préparait à lancer une attaque sur Constantinople ! Ces rapports erronés alarmèrent le Premier Ministre et le Ministre des Affaires étrangères, et résultèrent en l’élaboration de nouvelles politiques qui finalement menèrent à l’emprisonnement de Baha’u’llah dans la forteresse d’Acre.

* INTERROGATOIRES A CONSTANTINOPLE :

Afin d’apaiser la frayeur et de dissiper les craintes que Siyyid Muhammad avait instillé dans l’esprit de l’ambassadeur de Perse, Baha’u’llah envoya d’Andrinople à Constantinople deux de ses fidèles disciples, Mishkin-Qalam (n336) et ‘Aliy-i-Sayyah. (n337) Un troisième croyant, Jamshid-i-Gurji, fut envoyé avec eux, principalement pour les aider et les servir lors de leur séjour dans cette ville. Mishkin-Qalam et Sayyah eurent plusieurs entrevues avec l’ambassadeur, mais les calomnies et les mensonges de Siyyid Muhammad et de Aqa Jan avaient déjà produit une impression durable sur son esprit. Bientôt leurs complots eurent pour conséquences l’arrestation et l’incarcération des émissaires de Baha’u’llah. Mishkin-Qalam, Sayyah et Jamshid-i-Gurji furent placés en garde à vue à Constantinople.

Quelques mois auparavant, un dévoué croyant de Bagdad, Haji Mirza Musay-i-Javahiri, (n338) surnommé Harf-i-Baqa, avait envoyé trois chevaux arabes de toute beauté en présent à Baha’u’llah. Et à présent, alors que ses compagnons et lui vivaient dans une grande gêne, il n’y avait pas d’autre alternative que de vendre ces chevaux. Baha’u’llah ordonna par conséquent à trois de ses serviteurs, Ustad Muhammad-’Aliy-i-Salmani, Darvish Sidq-‘Ali et Muhammad-Baqir-i-Qahvih-chi, d’emmener les chevaux à Constantinople et de les vendre avec l’aide de ‘Abdu’l-Ghaffar. (n339) Sans savoir que Mishkin Qalam et Sayyah avaient été mis en prison, ces hommes allèrent directement dans une certaine auberge connue sous le nom de Kahrabarji Khan, où les trois désormais détenus, avaient résidé. À leur arrivée, cependant, ils furent arrêtés par les soldats qui étaient postés dans le Khan et conduits en prison. ‘Abdu’l-Ghaffar fut aussi placé en garde à vue. À part ces sept baha’is, le gouvernement arrêta aussi Aqa Jan et ils furent tous interrogés par une commission qui soumit ultérieurement ses découvertes à la Sublime Porte.

Lors de ces interrogatoires, qui débutèrent en avril 1868 et durèrent plusieurs semaines, Aqa Jan essaya de toutes ses forces de se débarrasser de Mirza Yahya. Il clama que ses propres activités visaient à obtenir un grand pouvoir politique pour le gouvernement ottoman. Mais visiblement, les procureurs ne furent pas impressionnés par ses prétentions tortueuses, car il fut condamné ultérieurement à l’emprisonnement à vie à Acre. Chacun des sept prisonniers baha’is fut interrogé selon le même modèle général. Les questions qu’on leur posa étaient similaires dans tous les cas. L’une des questions principales concernait les prétentions de Baha’u’llah. Les prisonniers baha’is se montrèrent très discrets dans leurs déclarations, car ils ne souhaitaient pas dire quoi que ce soit qui puisse fournir des armes aux ennemis de Baha’u’llah. Lorsque l’on lit le récit des interrogatoires, (r29) l’on s’émerveille de leur sagesse. Bien que certains d’entre eux n’eussent pas reçu beaucoup d’instruction, leur connaissance de la Foi et leur compréhension du besoin qu’elle avait d’être protégée, étaient très profondes.

Muhammad-Baqir-i-Qahvih-chi était l’un de ces hommes. Il s’était occupé jour et nuit des travaux domestiques dans la maison de Baha’u’llah. Sa tâche principale était de préparer le thé pour les visiteurs et les pèlerins. Pourtant, il s’exprimait avec sincérité et sagesse. Lorsqu’on lui posa des questions à propos des prétentions de Baha’u’llah et s’il l’avait entendu proclamer être le Mihdi (Le Promis de l’islam), Muhammad-Baqir affirma qu’il ne l’avait jamais entendu dire ça. Le procureur, cependant, était soucieux de découvrir qui avait proclamé être le Mihdi. Muhammad-Baqir lui raconta qu’il s’agissait du Bab et il lui parla ensuite de sa révélation et de son martyre.

À ce moment, il est important de se souvenir que Baha’u’llah avait conseillé à ses disciples de ne pas enseigner la Foi aux Ottomans. Parmi les nombreuses et sages considérations contenues dans cette injonction, figurait la protection de la Foi. Ce conseil était en tout premier lieu présent à l’esprit de ces prisonniers lors de leurs interrogatoires.

Darvish Sidq-‘Ali était un autre serviteur de Baha’u’llah, dont le coeur débordait d’amour pour lui. Il parla du Bab et de sa révélation, et lorsqu’on lui demanda si Baha’u’llah avait proclamé être le Mihdi, il répondit qu’il ne l’avait jamais entendu émettre une chose pareille. À la suite de cette question, le procureur voulut savoir si Baha’u’llah avait prononcé toute autre prétention. Le Darvish répliqua que Baha’u’llah conseillait à ses disciples de prier et de jeûner, d’observer les commandements de Dieu et de s’aimer les uns les autres. Lorsqu’on le questionna sur ses propres croyances, il affirma qu’il n’était qu’un serviteur de Baha’u’llah et qu’il croyait en les paroles de son Maître. On lui demanda quelle serait son attitude si Baha’u’llah prétendait être un prophète de Dieu. Le Darvish déclara qu’il croirait en lui.

Ustad Muhammad-‘Aliy-i-Salmani eut à répondre à des questions similaires au sujet des prétentions de Baha’u’llah et il répondit aussi de la même manière. Quand Ustad Muhammad-‘Ali réfuta que Baha’u’llah avait prétendu être le Mihdi, il lui fut ordonné de dire qu’elle serait sa réaction si Baha’u’llah émettait une telle prétention. Il répliqua en disant que de toute évidence, il prendrait sa décision si et quand cela arriverait.

L’une des questions importantes sur lesquelles les autorités étaient soucieuses d’enquêter, était la nature des activités de Baha’u’llah à Andrinople. Il y avait beaucoup de rumeurs incontrôlées circulant à ce moment-là, qui émanaient de Mirza Yahya et Siyyid Muhammad. Comme nous l’avons déjà dit, Baha’u’llah ne fréquentait pas les gens d’Andrinople en général, pas plus qu’il n’en impliqua aucun d’entre eux dans la Foi. Pourtant, de nombreux dignitaires de la cité, y compris ses anciens gouverneurs et en particulier Khurshid Pasha, le gouverneur à cette époque, furent attirés par lui et faisaient partie de ses admirateurs. En plusieurs occasions, Khurshid Pasha rendit visite à Baha’u’llah et s’asseyait humblement à ses pieds. L’un de ses désirs les plus chers fut réalisé lorsque Baha’u’llah, après que le gouverneur eût beaucoup prié et insisté, accepta son invitation et fut reçu par lui un soir pendant le mois du jeûne.

Au cours de ces interrogatoires, les disciples de Baha’u’llah déclarèrent que Baha’u’llah ne fréquentait pas les gens de la ville, et qu’il ne rencontrait que ses propres compagnons qui se rassemblaient en sa présence. Lorsqu’on demanda à l’un des prisonniers baha’is quelle était la nature de ces réunions, il les décrivit et dit qu’il se réunissaient pour chanter les paroles de Dieu et écouter les exhortations de Baha’u’llah, qui étaient de suivre les enseignements de Dieu et de vivre dans l’unité et la paix avec leurs semblables.

Une autre question importante concernait la relation entre Baha’u’llah et Mirza Yahya. Ils voulaient savoir qui était Mirza Yahya, et quelle était l’étendue de son savoir et qui faisait partie de sa suite. Chacun des prisonniers baha’is attesta qu’il ne le fréquentait pas et par conséquent ne se trouvait pas en position de savoir grand chose à son sujet. La plupart d’entre eux, cependant, affirmèrent que Mirza Yahya était une goutte d’eau comparée à l’océan de la connaissance de Baha’u’llah. Ici aussi pouvons-nous voir leur sagesse en traitant de cette controverse. Ils ne parlèrent pas des activités de Mirza Yahya. Ils firent seulement comprendre que Baha’u’llah était la lumière et que la lumière et les ténèbres ne vont pas ensemble. Lorsque l’on demanda à Darvish Sidq-‘Ali: «Combien de frères de Baha’u’llah se trouvaient à Andrinople ?», il répondit qu’il n’y en avait que deux, Mirza Musa et Mirza Muhammad-Quli ! Lorsqu’on lui demanda qui alors était Mirza Yahya, il répondit qu’il n’était plus un frère de Baha’u’llah et qu’il avait été mis fin à leur relation. (n340)

* PERSECUTIONS EN EGYPTE ET EN IRAK :

Au moment même où les autorités turques avaient commencé à mettre la pression sur les disciples de Baha’u’llah et à les persécuter, l’ambassadeur de Perse, Haji Mirza Husayn Khan, informa Mirza Hasan Khan-i-Khu’i et Mirza Buzurg Khan, respectivement consuls en Egypte et en Irak, que les Ottomans avaient retirés aux babis leur protection. Enhardis par cette nouvelle, ces deux hommes entamèrent une campagne de persécutions contre les croyants de ces pays. À l’instigation de Mirza Hasan Khan, les autorités du Caire arrêtèrent Haji Mirza Haydar-‘Ali et six autres croyants, (n341) et les envoyèrent en détention au Soudan, où ils endurèrent des tribulations presque insupportables pendant de nombreuses années.

En Irak, le précédemment mentionné Mirza Buzurg Khan, assisté de Shaykh ‘Abdu’l-Husayn-i-‘Iraqi, (n342) théologien musulman diabolique et ennemi invétéré de Baha’u’llah depuis son séjour à Bagdad, provoqua des troubles et suscita une vague de persécutions contre la communauté sans défense des disciples de Baha’u’llah de ce pays.

À l’instigation de ces deux hommes, qui incitèrent le peuple à se soulever contre les disciples de Baha’u’llah, Aqa ‘Abdu’r-Rasul-i-Qumi fut mortellement poignardé à Bagdad. C’était un croyant dévoué à qui Baha’u’llah avait conféré l’honneur d’être le Saqqa (n343) (porteur d’eau) de sa Plus Grande Demeure dans cette ville. Pendant cinq ans, il servit en cette qualité avec une fidélité et un dévouement exemplaires. Avant lui, c’était Mirza Aqa Jan, le secrétaire de Baha’u’llah, qui exerçait cette fonction. Aqa ‘Abdu’r-Rasul et son frère Aqa Husayn, avaient embrassé la Cause du Bab les premiers temps de la Foi dans leur ville natale de Qum. En devenant babis, ils furent emmenés à Téhéran pour y être détenus. Les tribulations subies dans le donjon furent si terribles qu’après deux années, Aqa Husayn mourut. Mais Aqa ‘Abdu’r-Rasul supporta ses grandes souffrances pendant sept ans d’incarcération. Lorsqu’il fut relâché, il se rendit à Bagdad où il se retrouva en présence de Baha’u’llah et devint empli de l’esprit de la foi.

Un jour, vers la fin du séjour de Baha’u’llah à Andrinople, alors que Aqa ‘Abdu’r-Rasul transportait l’outre d’eau à la demeure de Baha’u’llah, deux hommes s’approchèrent et le poignardèrent mortellement. Il parvint à se traîner vers cette demeure où il expira. Plus tard, une foule de gens se rassemblèrent au cimetière musulman pour empêcher qu’il y fût enterré. Finalement, les autorités intervinrent et il fut enterré sur leur ordre. Baha’u’llah, dans certaines de ses épîtres, a mentionné ‘Abdu’r-Rasul, a relaté ses souffrances et s’est souvenu de lui avec beaucoup de tendresse et d’affection. Après son martyre, il révéla une prière de souvenance pour lui et déversa ses bontés sur son âme.

Le martyre de ‘Abdu’r-Rasul ne constituait qu’un signal à d’autres atrocités perpétrées contre les membres de la communauté en Irak. Mirza Buzurg Khan, suivant l’avis de Shaykh ‘Abdu’l-Husayn, décida d’exiler tous les croyants de Bagdad et des cités voisines. Son premier geste fut d’arrêter trois croyants à Karbila et de les faire emmener enchaînés sous escorte jusqu’à Bagdad. Il s’agissait de Shaykh Hasan-i-Zunuzi, précédemment mentionné, de Mulla Muhammad-Hasan-i-Qazvini et de ‘Askar-i-Sahib. Ils furent tous trois envoyés en Perse et remis aux autorités de Kirmanshah. Les tribulations du voyage, ainsi que le poids des chaînes et des entraves, entraînèrent la mort de Mulla Muhammad-Hasan à Bagdad, tandis que Shaykh Hasan décéda à Kirmanshah. Mais ‘Askar-i-Sahib, qui avait survécu à ce périple de torture, fut conduit au donjon de Téhéran. Cependant, les souffrances et les privations qui lui furent infligées, furent si sévères qu’après une semaine, son âme aussi prit son envol vers la demeure du Bien-aimé et rejoignit ses deux illustres compagnons dans les royaumes spirituels.

Après ces tragiques événements, le consul général continua à comploter contre la communauté de Bagdad. Il fit tout ce qu’il put jusqu’à ce que le gouverneur de Bagdad acceptât de les bannir à Mossoul. En conséquence, environ soixante-dix personnes, hommes, femmes et enfants, furent exilés de Bagdad au milieu de scènes de moqueries publiques. Le gouverneur fit tout ce qui était en son pouvoir pour protéger la compagnie des exilés des attaques de l’ennemi. Il fournit une escorte militaire pour les protéger sur leur chemin vers Mossoul.

Ces réfugiés se retrouvèrent en butte à de sérieuses difficultés à Mossoul. À leur arrivée, certains des habitants envahirent les toits des maisons et leur jetèrent des pierres. Les boutiquiers refusèrent de leur vendre de la nourriture et personne ne leur donna un abri. L’installation à Mossoul leur prit beaucoup de temps. Après beaucoup de privations et de difficultés, la plupart d’entre eux parvinrent à trouver du travail, partageant leur modeste revenu les uns avec les autres. Ils restèrent à Mossoul pendant une vingtaine d’années. Au cours de cette période, les pèlerins baha’is se rendant à Acre et retournant en Perse, passaient souvent par Mossoul, apportant beaucoup de joie et une élévation spirituelle aux réfugiés. Ils livraient aussi des présents tels que des vêtements et autres biens de la part de Baha’u’llah qui souhaitait alléger certaines des difficultés de leur existence.

Remarquables parmi ceux qui envoyèrent de généreuses contributions, se trouvaient les deux illustres disciples de Baha’u’llah, désignés par lui le «Roi des martyrs» et le «Bien-aimé des martyrs». (n344) Leur aide financière joua un rôle important dans le soutien à cette communauté. Les pèlerins devinrent des émissaires de l’amour divin et de la bonté émanant de Baha’u’llah. Grâce aux nombreuses épîtres qu’il révéla pour eux, et grâce aux visites des pèlerins, les croyants de Mossoul restèrent fidèles à Baha’u’llah et fermes en sa Cause.

Mulla Zaynu’l-‘Abidin, surnommé par Baha’u’llah Zaynu’l-Muqarrabin (n345) (L’Ornement de ceux qui sont proches), fut l’un de ceux qui rendirent des services uniques et valeureux à la communauté. Il faisait partie des exilés de Mossoul. Pendant environ dix-huit ans, il servit de berger à la communauté. Sous sa houlette, un «fonds caritatif» fut créé, le premier fonds de ce genre dans une communauté baha’ie. Sa connaissance et son savoir, sa compréhension de la Foi, sa personnalité intelligente et bien équilibrée, alliés à un délicieux sens de l’humour, le rendirent cher aux croyants et en firent le centre de la communauté. Baha’u’llah lui avait aussi ordonné, dans ses épîtres, de rassembler les amis, de les exhorter à l’unité et à l’amour, de les encourager à s’approfondir dans la Foi, et de les aider à atteindre les qualités célestes. Il passa la plupart de son temps à transcrire les écrits de Baha’u’llah et à les mettre à disposition des amis. En particulier, il devait faire plusieurs exemplaires de ces épîtres, qui étaient adressées à quelques-uns ou à tous les croyants de Mossoul, et il en remettait à chacun un exemplaire.

Au cours de l’un de ses voyages, Haji Mirza Haydar-‘Ali se rendit à Mossoul. Ces quelques lignes extraites de son récit et traduites, décrivent l’état de la communauté sur place:

«... Je retrouvai Zaynu’l-Muqarrabin et d’autres bien-aimés de Dieu à Mossoul, dont Aqa Mirza Muhammad-i-Vakil. (n346) Ce dernier, à cause de la misère, devait travailler comme cordonnier en dépit de son grand âge (...) Les amis de Mossoul, avec la personne de Zaynu’l-Muqarrabin, faisaient que l’un d’eux se souvienne des jours passés en la sainte présence de Baha’u’llah dans la cité sacrée d’Acre. Ces croyants vivaient dans la plus grande unité et harmonie. Ils rivalisaient les uns les autres d’efforts et de services. Ils n’avaient aucun désir, si ce n’est en premier de gagner le bon plaisir de la Beauté bénie et en second, de parvenir en sa présence.» (r30)

Zaynu’l-Muqarrabin porta le poids de la communauté sur ses épaules avec grand zèle et dévotion jusqu’à ce qu’en 1885, Baha’u’llah lui avisa dans une Epître, à se rendre à Acre, pourvu que ce départ ne mette pas en danger l’état de la communauté. Répondant à cet appel, il quitta Mossoul en 1303 de l’Hégire (1886), et avec une grande joie, il se retrouva en présence de son Bien-aimé. Il passa le restant de ses jours en ce lieu saint.

À peu près au même moment du départ de Zaynu’l-Muqarrabin, Baha’u’llah conseilla aux amis de Mossoul de se déplacer vers la Perse ou d’autres parties de l’Irak. En particulier, il stipula qu’ils ne devaient pas se rendre en Terre sainte. Ils devaient se montrer prudents, partir progressivement et en petits nombres. Ainsi les croyants quittèrent Mossoul qui cessa d’être un centre de la foi baha’ie.


CHAPITRE 16: Appel à deux rois

La Suriy-i-Muluk ne fut pas la seule épître adressée aux souverains. Baha’u’llah a aussi révélé un certain nombre d’épîtres à certains rois, chefs d’État et dirigeants religieux individuellement. Deux d’entre elles furent révélées à Andrinople: la Lawh-i-Sultan (Épître à Nasiri’d-Din Shah) et la première épître à Napoléon III.

* THEMES DE LA LAWH-I-SULTAN :

Nasiri’d-Din Shah fut le seul monarque à avoir été étroitement impliqué avec la foi du Bab dès le début. Il avait été informé de son apparition peu après que les disciples du Bab aient commencé à propager sa Foi, et il avait été témoin de son ascension rapide. Il eut le privilège, en tant que Prince Héritier, de rencontrer son Auteur face à face et de l’entendre déclamer d’une voix vibrante à une assemblée de théologiens et de dignitaires d’Adhirbayjan, ces paroles majestueuses: «Je suis, je suis, je suis le Promis ! Je suis celui dont vous invoquez le nom depuis mille ans, celui dont la mention vous a fait lever, dont vous avez ardemment désiré l’avènement, priant Dieu d’avancer l’heure de sa révélation. En vérité je dis: il appartient aux peuples de l’Orient et de l’Occident d’obéir à ma parole et de promettre fidélité à ma personne.» (r1)

Ayant observé le zèle et l’enthousiasme irrésistibles des babis, et ayant regardé avec peur et consternation les défaites humiliantes qu’ils avaient infligées à son armée, (n347) il se leva avec l’aide de ses ministres et à l’instigation du clergé pour éradiquer la toute récente communauté de la terre de Perse. L’exécution du Bab, le martyre de milliers de ses disciples, l’incarcération de Baha’u’llah et son exil en Irak, ainsi que les nombreuses atrocités perpétrées contre une communauté opprimée, eurent lieu sous son règne.

C’est pour cette raison que Baha’u’llah, dans l’une de ses épîtres, dénonce Nasiri’d-Din Shah en ces termes:

«Parmi eux (les rois de la terre), se trouve le roi de Perse, qui suspendit dans les airs celui qui est le Temple de la Cause (le Bab), et qui le mit à mort avec une telle cruauté que toutes les créatures terrestres et les habitants du Paradis de l’Assemblée versèrent des larmes à son sujet. Il fit mourir de plus quelques-uns de notre parenté, il pilla nos biens, et livra ma famille captive aux mains des oppresseurs. À plusieurs reprises, il m’emprisonna. Par Dieu le vrai ! Nul ne peut faire le compte des choses qui me sont arrivées en prison, sinon Dieu, le Calculateur, l’Omniscient, le Tout-Puissant. Plus tard, il me bannit de mon pays, ainsi que ma famille ; après quoi, nous arrivâmes en Irak profondément attristé. Nous nous attardâmes en ce lieu jusqu’au jour où le roi de Roum (le Sultan de Turquie) s’éleva contre nous, et nous convoqua au siège de sa souveraineté. Quand nous y parvînmes, ce qui nous arriva donna une grande joie au roi de Perse. Plus tard, nous entrâmes dans cette Prison, où les mains de ceux qui nous sont chers furent arrachées des bords de notre vêtement. Voilà comment il agit envers nous !» (r2)

À la lumière de ces déclarations, l’épître de Baha’u’llah adressée à Nasiri’d-Din Shah revêt une signification particulière. Non seulement était-il familier avec Baha’u’llah lui-même, dont il persécutait les disciples, mais à cause de son milieu religieux, il était à même de suivre le raisonnement et la terminologie de Baha’u’llah. Pourtant, il semble qu’en révélant cette épître, Baha’u’llah ait choisi, dans certaines parties, d’utiliser des termes et des tournures de phrases en arabe, inhabituellement difficiles, afin que le monarque puisse être obligé, lors de sa lecture, de demander l’aide des théologiens. Et ce fut exactement ce que fit le roi. Il transmit cette épître aux religieux et exigea d’eux d’y répondre par écrit - une tâche qu’ils n’accomplirent pas.

La Lawh-i-Sultan est l’épître la plus longue révélée à un monarque. Elle est écrite pour partie en arabe et pour partie en persan, et elle est composée avec beauté et éloquence. Une petite partie en a été traduite en anglais par Shoghi Effendi. (n348) Bien que révélée à Andrinople, cette épître fut envoyée d’Acre. Un jeune de dix-sept ans, Badi‘, acceptant le martyre, la porta à Téhéran et la remit personnellement au Chah. Nous parlerons de la vie et du sacrifice de ce jeune homme, «L’Orgueil des martyrs», dans le prochain volume.

Dans cette épître, Baha’u’llah invite le monarque à poser sur son peuple le regard de l’affectueuse bonté et de le diriger avec justice. Il affirme qu’à la fois la pompe et la grandeur de ce monde, et son déclin, passeront. Il fait la preuve de sa nature transitoire en remarquant que si l’on devait ouvrir la tombe d’un roi et celle d’un pauvre, il serait impossible de distinguer à qui appartiennent les restes. Dans cet état, il n’y a aucune différence entre riches et pauvres, entre souverain et sujet. Il enseigne que la distinction de l’homme réside en ses actes de droiture et de piété.

Dans plusieurs passages, Baha’u’llah exhorte le roi à ne pas fixer son attention sur cette vie mortelle, lui rappelle qu’il y eut de nombreux rois éminents avant lui qui quittèrent ce monde et dont personne ne se souvient à présent: leurs palais tombent en ruines, leurs trésors sont dissipés et leur gloire s’est évanouie. Les hommes de savoir, les érudits et les nobles, sont apparus en nombres infinis et ont disparu, sans laisser de traces derrière eux. Leur pouvoir et leur influence ont été effacés et leurs noms oubliés.

Plus d’une fois, Baha’u’llah presse le roi de se montrer juste et l’invite à juger entre lui et ses ennemis. Voici ses propres paroles:

«Ô roi, considère cet Adolescent avec justice puis porte un jugement impartial sur ce qui lui est arrivé. En vérité, Dieu a fait de toi son ombre parmi les hommes et le symbole de son pouvoir sur tous ceux qui vivent sur terre. Tranche entre nous et ceux qui nous firent du mal sans preuve ni livre probants. Ceux qui t’entourent ne t’aiment que par intérêt alors que cet Adolescent t’aime pour ton bien et n’a d’autre désir que de t’attirer vers le siège de grâce et de te placer à la droite de la justice. Ton seigneur témoigne de ce que je dis.» (r3)

a) Persécutions des babis

Il y a un autre passage dans cette épître concernant ces fonctionnaires qui servent le roi «dans leur propre intérêt». Baha’u’llah condamne les activités de ces hommes et affirme qu’au lieu d’oeuvrer pour la prospérité de la nation, leur service auprès du roi consiste principalement à dénoncer quelques âmes comme babies et ensuite à s’engager à les tuer et à piller leurs biens.

L’histoire de la Foi démontre clairement ce fait. En Perse, depuis de nombreuses décennies, les autorités ont acquis renommée et popularité parmi le peuple en persécutant les disciples du Bab et de Baha’u’llah. Le meilleur moyen de détruire son ennemi était de l’accuser d’être devenu babi. L’attaque menée contre un tel homme était presque instantanée et souvent fatale. Avant que la victime puisse faire la preuve de son innocence, elle était confrontée aux persécutions les plus graves, y compris la mort.

Haji Mirza Haydar-‘Ali a relaté par écrit l’histoire amusante d’un Siyyid d’Isfahan qui illustre bien ce point. Il raconte que dans les premiers temps de la Foi à Isfahan, il entra en contact avec un Siyyid étudiant en théologie. Ils devinrent amis et Haji lui parla de la foi babie. Bientôt il accepta la Foi. On lui présenta quelques-uns des amis et on lui donna à lire quelques-uns des écrits du Bab. Plus tard, Haji entendit d’une source qui faisait autorité, que le Siyyid n’était pas un homme sincère, mais un informateur dont le but véritable était de découvrir l’identité des croyants afin de communiquer cette information aux ennemis. Haji savait que le danger approchait et que les croyants deviendraient une cible pour les persécutions et le martyre. Il eut une idée qui prouve bien sa vigilance ainsi que sa ressource. Il décida que le meilleur moyen de se débarrasser du Siyyid était de le dénoncer comme babi. Une telle accusation était suffisante pour le conduire hors des murs de la ville. Voici ce qu’il écrit à ce propos:

«Je savais que le Siyyid logeait à l’école de Bidabad (...) Je me rendis à l’école et j’informai son directeur (...) que le Siyyid était babi et qu’il avait en sa possession certains écrits babis. Au même moment, à mon instigation, quelqu’un fit peur au Siyyid et lui conseilla de se tenir sur ses gardes. Le Siyyid fut si effrayé qu’il abandonna tous ses livres et ses affaires derrière lui, s’enfuit de la ville et ne revint pas !» (r4)

Une autre histoire qui démontre les dangers d’être étiqueté babi, est celle de Mulla Muhammad-i-Qa’ini, surnommé Nabil-i-Akbar. (n349) Elle est tirée de sa chronique orale telle que mise par écrit par son illustre neveu Shaykh Muhammad-‘Aliy-i-Qa’ini. L’histoire eut lieu quand Baha’u’llah était détenu dans le Siyah-Chal à Téhéran et alors qu’une grande campagne d’extermination des babis avait été montée par le gouvernement. Nabil-i-Akbar, un théologien très savant, très érudit, n’était pas babi au moment des faits. Il était arrivé à Téhéran au plus fort des persécutions menées contre les babis et il était en route pour les villes de Karbila et de Najaf en Irak. Alors qu’il résidait à Téhéran, il s’installa dans une école de théologie dirigée par un certain Shaykh‘Abdu’l-Husayn. Voici comment il décrit son séjour à Téhéran:

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Shaykh ‘Abdu’l-Husayn [le directeur de l’école] n’était pas informé en matière de philosophie divine et de métaphysique. (n350) Mais comme il s’intéressait à ces sujets, il avait l’habitude de m’inviter à dîner le soir afin de découvrir mes idées et celles des autres philosophes érudits.

Ce fut au cours de cette période qu’un des babis attenta à la vie du Chah. (n351) En conséquence, le feu de la colère du roi s’étendit et il décréta l’ordre d’exterminer les babis. À Téhéran, deux officiers reçurent la responsabilité de mettre cet ordre à exécution. Il s’agissait de ‘Aziz Khan-i-Sardar et de Mahmud Khan-i-Kalantar. Chaque jour, un certain nombre de personnes était capturées et exécutées. La situation était si grave que toute personne faussement accusée d’être babie, aurait subi le même sort et n’avait aucun moyen d’en réchapper.

Il se passa que certains des étudiants qui étaient contre mon engagement dans la philosophie et détestaient aussi les philosophes (...) étaient aller voir Mahmud Khan pour me calomnier et m’avaient accusé d’être babi. Je passais la nuit dans le district de Sangilaj dans la maison d’un médecin qui était un ami et un admirateur. Tandis que j’y étais, quelques soldats arrivèrent au petit matin et m’emmenèrent chez Mahmud Khan-i-Kalantar. Cependant, je parvins à écrire quelques lignes à Shaykh ‘Abdu’l-Husayn et à lui faire part de ma situation.

Chez le Kalantar, je fus emmené dans les quartiers à l’étage où je rencontrai un vieillard (...) qui avait été arrêté pour la même raison. Il devint très triste lorsqu’il me vit, exprima de la sympathie pour moi et avec des larmes dans les yeux, demanda à Dieu que je fusse délivré.

C’est alors qu’une étrange commotion commença à s’emparer de toute la maison. Nous avons entendu les cris et les gémissements des gens, comprenant que certains qui avaient été arrêtés, subissaient la torture et les coups du Kalantar. Plus tard, le Kalantar monta à l’étage pour rejoindre une salle en face de la nôtre. Quelques minutes après, sans lui en demander la permission, je marchai vers lui et prononçai quelques paroles de salutation. Il ne répondit pas à mon salut ; à la place, il se mit en colère et m’ignora. Je demandai: «Quelle est la raison de ma convocation en ces lieux ?» Il dit: «J’exécute les ordres du Chah.» «De quoi suis-je coupable ?» demandai-je. «Est-il de plus grand crime,» répliqua-t-il, «que d’être un babi, un ennemi de la religion et du gouvernement ?» «C’est une fausse accusation contre moi,» plaidai-je, «quiconque a rapporté que j’étais babi est mon ennemi et n’avait pas d’autre intention que celle de me nuire.» Je vis que mes paroles ne produisaient aucune impression sur lui. Par conséquent, je ne discutai pas plus en avant et me résignai à mon sort.

Au cours de tous ces événements, le secrétaire de Shaykh ‘Abdu’l-Husayn arriva et lui remit une lettre. Après l’avoir lue, il se calma, devint gai et commença à s’excuser. Il dit: «Le Shaykh veut vous voir. Vous feriez mieux de partir immédiatement.» Alors que je me levai, il se leva aussi et m’accompagna jusqu’à la porte et réitéra plusieurs fois ses excuses.

Je me rendis à l’école. Le Shaykh et les autres m’attendaient. Il fut ravi de me voir arriver. Curieux à propos de mon arrestation, il voulut savoir ce qui était à l’origine de cet incident. Je répondis: «Posez cette question à vos étudiants arrogants qui ont porté à tort de fausses accusations et qui, sans justification aucune, me calomnièrent.» À ces paroles, Shaykh ‘Abdu’l-Husayn entra dans une grosse colère. S’adressant à ses étudiants de manière austère, il les réprimanda et promit au coupable un châtiment sévère et l’expulsion.

Cependant, cet incident, bien que sans fondement, eut pour résultat que je fus reconnu comme babi parmi les théologiens et les étudiants en théologie. À la fin, ils en vinrent à la conclusion que j’étais babi et que j’avais été arrêté, mais que j’avais dû ma libération à l’intervention de Shaykh ‘Abdu’l-Husayn. Je fus reconnu tellement comme babi que les gens dans les rues et les bazars me montraient du doigt. Certains des étudiants en théologie m’évitaient dans la rue et gardaient leurs distances afin que leur manteau ne touchât pas le mien. (n352)

Un soir, après que je sois devenu connu comme babi, un certain Siyyid Ya’qub, originaire de Qa’in, qui vivait dans la même école, me rendit visite. Plus tard, il devint évident qu’il était un babi qui avait caché sa foi. Sur le ton de la plaisanterie, il me dit: «Est-ce que vous vous rendez compte que vous êtes reconnu dans cette ville comme babi ? Les religieux et les étudiants vous appellent du nom de babi, et considèrent que vous appartenez à cette communauté.» Je répliquai: «Mais ces rumeurs sont sans fondement. Je ne connais rien de cette communauté si ce n’est qu’un simple nom, je n’ai même pas lu une ligne de leurs écrits et je n’ai rencontré aucun d’entre eux.» Il dit: «En tous cas, vous êtes désormais reconnu comme babi. L’opinion des gens à votre sujet ne va pas changer, que vous lisiez les écrits du Bab ou pas. Je suis tombé sur certains de ces écrits, mais je ne les ai pas compris. Comme j’ai découvert que vous étiez une personne digne de confiance et sans préjugés, douée de discernement et de bon goût, je les ai apportés avec moi ici afin que vous puissiez les lire. Je vous serais reconnaissant si vous faisiez part de vos découvertes et de vos conclusions.» Puis il sortit quelques papiers de sa poche, me les tendit et partit.

Je jetais un oeil distrait à ces papiers et uniquement par amusement. Comme mon esprit était empli des mots des philosophes et habitué à leur terminologie, ces écrits ne m’impressionnèrent pas le moins du monde. Je les trouvais faibles et dénués de toute vérité ou sagesse. Par conséquent, je les cachais sous mes livres.

Siyyid Ya‘qub vint le lendemain soir pour savoir ce que j’en pensais. Je dis: «J’ai jeté un oeil superficiel à ces écrits, mais n’ai pas trouvé de thème digne de retenir l’attention. Ces pauvres gens [c’est-à-dire les babis] se mettent pour rien dans des situations dangereuses et ils sacrifient leur vie dans le sentier de l’erreur. On peut excuser le manant, car il est incapable de distinguer le vrai du faux. Mais pourquoi est-ce que des hommes de savoir devraient emprunter ce chemin et devenir une cause d’égarement pour le manant ? Il est clair et évident que les prétentions du Bab sont fausses et qu’il n’est nul besoin de prouver que les babis se sont égarés.»

Siyyid Ya‘qub se troubla à ces paroles. Pendant quelque temps, il resta silencieux et ne me regarda pas (...) puis, alors qu’il se levait pour partir, il récita ce poème:
«Combien souvent la connaissance et l’intelligence se transforment en un voleur monstrueux et dérobent le voyageur.»

Puis il s’adressa à moi en ces termes:

«... Tourne ton regard sur les significations intérieures et la vérité de ces écrits, afin que tu puisses voir ce qu’aucun oeil n’a vu, entendre ce qu’aucune oreille n’a entendu et ressentir ce qu’aucun coeur n’a ressenti.» Puis, l’air déçu, Siyyid Ya‘qub sortit de la salle. Pendant un moment, je méditai sur l’état du Siyyid et ses réflexions. Sa déception me rendit perplexe. Je soupçonnai qu’il était babi et visait à m’égarer...

Afin de prouver au Siyyid la fausseté des prétentions du Bab et le préserver de poursuivre le sentier de l’erreur, je sortis les écrits du Bab et commençai à les lire attentivement afin de prouver l’inexactitude de ses prétentions à partir de ses propres écrits. Bien que c’était là la raison de ma lecture de ces écrits, néanmoins mon être intérieur fut submergé par la peur et tremblait. J’étais troublé. Je me retrouvai placé sur le Sirat (n353) au carrefour entre la mort et la délivrance. Pourtant, cette fois, au fur et à mesure que je les lisais, à ma surprise, je trouvais que chaque ligne ouvrait une nouvelle porte de la connaissance devant mon visage et qu’un monde nouveau apparaissait devant mes yeux. Je ne pus dormir cette nuit-là. Mon étonnement grandit à chaque moment où je lisais et relisais ces écrits. Je me plongeai dans cette mer ondoyante, et tel un plongeur, j’acquis des gemmes de grande valeur. Il advint que la vérité de la cause du Point premier (n354) devint aussi évidente que le soleil à son zénith. Je me retrouvai en possession d’un coeur nouveau, d’un oeil nouveau, d’une âme nouvelle et d’une force nouvelle. Toute la connaissance et la philosophie que j’avais auparavant apprises et qui étaient pour moi une source d’orgueil, apparurent comme le néant absolu...

Le lendemain soir, Siyyid Ya‘qub vint. Il fut tellement empli d’extase et de ravissement en entendant mon histoire, qu’il se prosterna à terre. Il fut captivé et abasourdi à cette nouvelle. Des larmes coulaient sur ses joues et son rire résonnait dans toute la pièce. Après cela, il continua à m’apporter plus d’écrits...» (r5)
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b) Le rang de Baha’u’llah

Revenons à la Lawh-i-Sultan. Il existe un passage célébré dans lequel Baha’u’llah décrit sa propre révélation dans le langage de la beauté et du pouvoir:

«Ô roi, je n’étais qu’un homme comme tant d’autres, endormi sur ma couche, lorsque soudain les brises de Très-Glorieux passèrent sur moi et m’enseignèrent la science de tout ce qui fut. Ceci ne vient pas de moi mais de celui qui est le Tout-Puissant et l’Omniscient. Il m’ordonna d’élever la voix entre la terre et le ciel et, pour cela, il m’advint ce qui a fait couler les larmes de tout homme de discernement. Les sciences répandues parmi les hommes, je ne les ai pas étudiées ; leurs écoles, je ne les ai jamais fréquentées. Renseigne-toi dans la ville où j’habitais pour t’assurer que je ne mens pas. Voici une simple feuille qu’agitent les vents de la volonté de ton Seigneur, le Tout-Puissant, le Loué. Peut-elle rester immobile alors qu’ils se déchaînent ? Par le Seigneur de tous les noms et attributs, ils la déplacent à leur gré. L’éphémère n’est que néant face à l’éternel. Son ordre irrésistible me parvint et me fit célébrer sa louange parmi les peuples. En vérité, quand cet ordre me parvint j’étais comme mort ; la main de la volonté de ton Seigneur, le Compatissant, le Miséricordieux, me transforma. Par celui qui révéla les mystères éternels à la Plume, qui, sinon celui qui fut fortifié par la grâce du Tout-Puissant, de l’Omnipotent, pourrait de lui-même clamer ce que contesteront tous les hommes, grands et petits ?» (r6)

Ces paroles attestent de la sublimité du rang de Baha’u’llah. Car il attribue sa révélation à Dieu seul, proclame que sa connaissance est innée et non acquise, décrit sa propre soumission à l’ordre du Tout-Puissant et indique que chacune de ses actions est celle de Dieu. Tout observateur impartial doué de vision intérieure peut volontiers découvrir, à partir des messages cités ci-dessus, la vérité de la cause de Baha’u’llah. Car aucun être humain, sain d’esprit et animé de sa propre motivation, ne peut faire une proclamation aussi renversante, l’annoncer aux rois, être persécuté en conséquence et s’y tenir jusqu’à la fin. Seule une Manifestation de Dieu peut parler comme Baha’u’llah l’a fait.

‘Abdu’l-Baha a fait un commentaire intéressant concernant le passage cité ci-dessus: «J’étais un homme comme tant d’autres, endormi sur ma couche, lorsque les brises du Très-Glorieux passèrent sur moi et m’enseignèrent la science de tout ce qui a été.» Il explique:

«C’est le rang de manifestation (...) c’est une chose intellectuelle, affranchie du passé, du présent et de l’avenir. C’est une explication, une comparaison, une métaphore ; cela ne doit pas être pris littéralement: Ce n’est pas un état qui puisse être compris par l’homme. Être endormi, puis s’éveiller, c’est le passage d’un état à un autre: le sommeil est l’état du repos, la veille, l’état du mouvement ; le sommeil est l’état du silence, la veille est l’état de la parole ; le sommeil est l’état du secret, la veille est l’état de la manifestation.
Par exemple, en persan et en arabe, on dit symboliquement que, la terre étant endormie, le printemps vint, elle s’éveilla ; ou bien, la terre était morte, le printemps vint et elle renaquit ; ces symboles sont des comparaisons, des allégories, des explications mystiques dans le monde des significations.
En un mot, les saintes manifestations ont été et seront toujours des réalités lumineuses ; le changement et la modification ne sont pas de leur essence. Tout cela signifie qu’avant leur apparition, elles sont silencieuses et muettes, comme si elles étaient endormies ; mais après leur apparition, elles parlent et sont illuminées, comme si elles étaient réveillées.» (r7)

Nous avons auparavant parlé de l’explication de ‘Abdu’l-Baha, (n355) selon laquelle une Manifestation de Dieu est toujours une Manifestation et qu’il possède en lui tous les attributs divins bien avant de recevoir l’appel de la condition de prophète. Dans l’une de ses épîtres, Baha’u’llah nous donne un aperçu des vibrations de la révélation de Dieu en lui au début de sa vie. Bien que nous ne soyons jamais aptes à comprendre pleinement la réalité et toutes les implications de ce qui eut lieu, néanmoins cette histoire inspire le respect et l’admiration. Baha’u’llah affirme (r8) qu’une fois, lorsqu’il était enfant, il lut (n356) l’histoire de l’effusion de sang qui résulta du massacre de la tribu de Qurayzah, (n357) telle que narrée par Mulla Muhammad Baqir-i-Majlisi. (n358) Il relate comment il fut gagné par des sentiments de tristesse intense et de chagrin suite à la lecture de cet épisode. À cette époque, il contemplait l’océan sans limites du pardon et de la miséricorde de Dieu s’enfler devant lui. Puis il supplia Dieu d’accorder à tous les peuples du monde ce qui établirait l’unité et l’amour parmi eux. Il décrit ensuite comment soudain, un certain jour avant l’aube, il fut accablé par une condition qui affecta complètement sa façon d’être, sa pensée et ses paroles. C’était une transfiguration qui lui donna la nouvelle de l’ascendance et de l’exaltation, qui se poursuivit pendant douze jours. Après cet événement, il attesta que l’océan de ses paroles commença à s’enfler, (n359) et le Soleil de l’assurance brilla et il continua d’être dans cet état jusqu’à ce qu’il se manifeste à l’homme. Il atteste plus loin dans la même épître, que dans cette révélation, il a, d’une part, enlevé de la religion tout ce qui pourrait devenir la cause de la souffrance et de la désunion et, d’autre part, décrété ces enseignements qui apporteraient l’unité du genre humain.

Dans la Lawh-i-Sultan, Baha’u’llah informe le roi du rang exalté qui l’attend s’il reconnaissait la Source de la révélation divine en ce jour. Il s’adresse à lui en ces termes:

«Ô roi, tends l’oreille vers le grincement de la plume de gloire et vers le roucoulement de la Colombe d’éternité qui, sur les branches de l’arbre sacré au-delà duquel nul ne passe, chante les louanges de Dieu, l’auteur de tous les noms, et le créateur de la terre et du ciel. Alors tu t’élèveras en un lieu d’où tu ne verras rien d’autre dans le monde de l’existence que l’éclat de l’Adoré, tu considéreras ta souveraineté comme la plus méprisable de tes possessions l’abandonnant à quiconque la convoiterait, et tu tourneras ton visage vers l’horizon éclairé de la lumière de sa Face. Tu refuseras à jamais de supporter le poids du pouvoir sauf dans le but d’aider ton Seigneur, l’Exalté, le Très-Haut. Béni seras-tu alors par l’Assemblée céleste. Ô que cet état sublime est excellent, si tu peux y parvenir grâce au pouvoir d’une souveraineté que l’on sait découler du Nom de Dieu !» (r9)

c) Le défi aux religieux

Dans cette épître au Chah, Baha’u’llah a fait une proposition de la plus haute importance, une proposition qu’aucune Manifestation de Dieu des époques précédentes, n’avait jamais émise. Il déclare:

«Si seulement Sa Majesté daignait décider que ce serviteur soit mis face à face avec les religieux de ce temps afin qu’il produise des preuves et des témoignages en présence de sa majesté le Shah ! Ce serviteur est prêt et il place en Dieu son espoir que cette réunion sera organisée afin que la vérité de cette question soit claire et évidente devant Sa Majesté le Shah. C’est à toi d’ordonner et je me tiens prêt devant le trône de ta souveraineté. Décide donc, pour ou contre moi.» (r10)

Avec cette déclaration audacieuse, Baha’u’llah n’a pas coupé court à son devoir d’établir la vérité de sa Cause parmi les peuples du monde.

Dans cette épître, il parle des religieux, fait remarquer leur hypocrisie et leur manque de compréhension, cite certaines traditions de l’islam qui prévoient la méchanceté des religieux dans les derniers temps, et déclare que les passages suivants révélés par lui dans Les Paroles Cachées s’adressent à ces gens qui sont notoirement remarqués par leur science et leur piété, mais qui à l’intérieur sont soumis à leurs passions et à leurs désirs:

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Ô vous qui êtes sots et qui cependant passez pour sages ! Pourquoi prenez-vous l’apparence de bergers, alors qu’en vous-mêmes vous êtes devenus des loups acharnés contre mon troupeau ? Vous êtes comme l’étoile qui se lève avant l’aube et qui, bien qu’elle paraisse lumineuse et radieuse, égare les voyageurs de ma cité et les conduit sur les chemins de perdition.

De même, il dit: Ô vous qui êtes sains en apparence mais intérieurement corrompus ! Vous êtes comme de l’eau claire mais amère, apparemment pure comme du cristal, mais dont pas une goutte ne sera acceptée après avoir été éprouvée par le divin Examinateur. En vérité, le rayon de soleil éclaire identiquement la poussière et le miroir ; mais leurs images réfléchies sont aussi différentes que l’étoile l’est de la terre ; Que dis-je ! Cette différence est incommensurable.

Et il dit également: Ô essence de désir ! Bien des fois à l’aurore, depuis les royaumes de l’infini, je suis venu vers ta demeure et t’ai trouvé sur la couche de repos occupé avec d’autres que moi. Aussi, tel l’éclair de l’esprit, je suis retourné aux royaumes de gloire céleste et, dans mes retraites d’en haut, je n’en ai soufflé mot aux armées de sainteté.

Et il dit encore: Ô esclave du monde ! Que de fois, à l’aurore, la brise de mon affectueuse bonté est passée sur toi et t’a trouvé profondément endormi sur la couche de l’insouciance. Alors, pleurant sur ta condition, elle est repartie d’où elle était venue. (r11)
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d) L’épée de la sagesse et de l’éloquence

Dans la Lawh-i-Sultan, Baha’u’llah tente de dissiper certains doutes et craintes de l’esprit du Chah au sujet des activités des croyants. Nous devons rappeler que depuis la naissance de la foi babie, les autorités de Perse avaient eu peur de l’influence de la communauté babie. La façon dont les disciples du Bab se défendaient contre les attaques de leurs adversaires, leur avait gagné la réputation d’hommes au courage ardent et à l’immense sacrifice de soi. En même temps, la majorité des gens craignaient qu’ils ne développent les intérêts de leur Foi. Le gouvernement avait accusé les croyants d’être des hommes violents depuis que quelques babis irresponsables avaient attenté à la vie du Chah en 1850. Baha’u’llah assure le roi en termes convaincants que depuis son arrivée en Irak, il a exhorté les membres de la communauté à abandonner le combat et la lutte, à déposer les armes, et à conquérir les cités du coeur des hommes avec l’épée de la sagesse et de l’éloquence. Baha’u’llah cite des passages de l’une de ses épîtres dans lesquels il conseille aux amis qu’il vaut mieux pour eux d’être tués dans le sentier de Dieu que de tuer. Il affirme que les gens ont mal compris la signification du terme «victoire» qui apparaît dans les Livres célestes. La victoire n’est pas remportée par le combat ; on y parvient par de bonnes actions et une vie sans tache.

À cet égard, il est important de noter que les disciples du Bab qui se défendaient contre les attaques de l’ennemi, agissaient ainsi à cause des circonstances particulières dans lesquelles la foi du Bab était née et son message propagé. Pour estimer tout ceci, nous devons nous familiariser avec les conditions qui prévalaient à cette époque en Perse au sein de la communauté chiite, et la nature de la révélation du Bab.

Rappelons que toutes les Manifestations de Dieu antérieures à la révélation du Bab apparaissaient dans le cycle prophétique qui débuta avec Adam, (n360) la première Manifestation de Dieu de ce cycle et culmina avec la révélation de Muhammad qui était le Sceau des prophètes. Tous sans exception, prophétisèrent l’avènement du Jour de Dieu et relatèrent leurs visions de la «Gloire de Dieu» se manifestant à l’humanité.

L’objectif principal du Bab en se révélant était d’annoncer la révélation de Baha’u’llah et de préparer les gens à sa venue, de clore le cycle prophétique et d’ouvrir le cycle de l’accomplissement lorsque la «Gloire de Dieu» serait manifestée comme il est prédit dans les Livres célestes. (n361) L’islam, la dernière révélation dans la chaîne du cycle prophétique, fut par conséquent plus étroitement impliqué dans la révélation du Bab que toute autre religion.

Le Bab apparut au sein du peuple de l’islam. Ils avaient prévu son message, car à la fois les chiites et les sunnites attendaient l’apparition du Qa’im ou du Mihdi respectivement. Cette attente se fondait sur les prophéties de Muhammad et des Imams, en particulier par ces derniers qui avaient laissé des milliers de traditions au sujet de l’apparition du Qa’im. (n362) Pour la communauté musulmane, la venue du Promis était réelle et avait été prédite de manière explicite. Les chiites, parmi lesquels apparut le Bab, louaient la gloire du Qa’im dans leurs réunions, priaient avec ferveur pour son avènement et se levaient à la mention de son nom. Que le Bab ait eu un lien spécial avec l’islam n’est pas dû simplement au fait qu’il était né musulman et qu’il était lui-même un Siyyid, un descendant du Prophète Muhammad, mais aussi à sa mission particulière pour parachever la révélation de Muhammad et abroger ses lois. Si formidable était cette fonction que l’envisager tout simplement jetait la terreur dans le coeur et l’âme des hommes de Perse. Mêmes certains des disciples du Bab, ceux qui n’avaient pas pleinement estimé la portée et la puissance de sa révélation, perdirent leur foi lorsqu’ils entendirent la proclamation de l’annulation de la Loi coranique à la conférence de Badasht (n363) par un groupe distingué de ses disciples, un peu plus de quatre ans après la déclaration du Bab. Abroger quelque douze cents ans de législation islamique n’était pas une question posée à la légère. Les gens l’avaient chérie pendant des siècles et avaient conformé leur vie et leur conduite en fonction de ses dispositions. Les annuler par un trait de plume nécessitait non seulement le pouvoir divin, mais aussi la sagesse et la miséricorde divines.

Les Manifestations de Dieu ne changent pas les lois anciennes soudainement ou prématurément, pas plus qu’elles ne révèlent de nouvelles lois jusqu’à ce que leurs disciples soient prêts et aptes à les mettre en pratique. Baha’u’llah explique:

«Sachez en toute certitude que, dans chaque dispensation, la lumière de la révélation divine a été octroyée aux hommes en proportion directe de leur capacité spirituelle. Considérez le soleil. Comme ses rayons sont faibles au moment où il apparaît au-dessus de l’horizon. Comme sa chaleur et sa puissance augmentent progressivement à mesure qu’il se rapproche de son zénith, permettant pendant ce temps-là à toutes choses créées de s’adapter à l’intensité croissante de sa lumière. Comme il décline régulièrement jusqu’à ce qu’il atteigne le point de son coucher. S’il venait à manifester subitement les énergies latentes qu’il renferme, il provoquerait, sans nul doute, des dommages à toutes choses créées... De même, si le Soleil de Vérité devait révéler soudainement, aux premiers temps de sa manifestation, la pleine mesure des pouvoirs que lui a accordés la providence du Tout Puissant, la terre de la compréhension humaine serait dévastée et consumée ; car les coeurs des hommes ne supporteraient pas l’intensité de sa révélation et seraient incapables de refléter l'éclat de sa lumière. Consternés et vaincus, ils cesseraient d'exister.» (r12)

Grâce à sa miséricorde, la Manifestation de Dieu introduit progressivement des nouvelles lois et des ordonnances, et conduit ses disciples d’un monde à l’autre, étape par étape, ne sachant que trop bien qu’ils sont attachés à leurs vieilles traditions et coutumes. Par exemple, lorsque Muhammad apparut, les Arabes consommaient jusqu’à l’excès des boissons alcoolisées. Mais le Prophète n’en interdit pas immédiatement l’usage. D’abord, il remarqua simplement qu’il y avait des avantages et des désavantages, mais déclara que le mal que ces boissons infligeaient était de loin bien plus important que le bien. Plus tard, au cours de son ministère, il interdit à ceux qui étaient ivres de prendre part à la prière en congrégation et, toujours plus tard, lorsque ses disciples avaient grandi en maturité, il dénonça catégoriquement l’usage des boissons alcoolisées et leur enjoignit de s’en abstenir. (n364)

Le Bab et Baha’u’llah ont de la même manière révélé les lois de la religion à l’époque de leurs ministères quand leurs disciples étaient prêts à les recevoir. Le Bab ne révéla l’essentiel de ses lois qu’une fois parvenu à la moitié de son ministère. Baha’u’llah révéla aussi le Kitab-i-Aqdas, le Livre de ses lois, lorsque son ministère était déjà à mi-parcours de sa durée, et même alors, ce fut quelques années avant qu’il ne diffusât un exemplaire de son Livre à ses disciples.

Une autre caractéristique de la révélation du Bab, en rapport avec ce thème, est le fait que sa révélation était destinée à n’être que très courte en durée et devait être remplacée par la révélation de Baha’u’llah. Ce qui signifiait que le Bab a élaboré uniquement ces lois et ces enseignements essentiels au progrès de sa Cause pendant un court laps de temps. Sachant que sa révélation ne constituait uniquement qu’une étape vers une révélation universelle, il s’abstint délibérément de toucher à ces enseignements qui étaient prématurés et qui furent ultérieurement décrétés par Baha’u’llah au fur et à mesure que ses disciples en obtenaient la capacité.

Un de ces enseignements pratiqués dans l’islam et que le Bab ne modifia pas à cause des conditions qui prévalaient à cette époque, était la prise d’armes et la défense au nom de sa propre religion. C’est pourquoi les babis participèrent à de nombreuses batailles de nature défensive. Ils furent rarement impliqués dans des offensives, que ce soit individuellement ou collectivement. Les combats du Mazindaran, de Zanjan et Nayriz en sont de bons exemples. (n365)

Dès les débuts de son ministère, Baha’u’llah conseilla aux babis en de nombreuses occasions, d’abandonner cette ancienne pratique qu’est le combat pour la religion. Mais ce fut quelques années avant que les croyants comprennent qu’un nouveau jour s’était levé et qu’ils devaient remettre pour de bon leur épée au fourreau. Finalement, Baha’u’llah, dans le Kitab-i-Aqdas, prohiba le port des armes par des personnes à moins que cela ne soit indispensable.

e) Les souffrances de Baha’u’llah

Dans les passages suivants de la Lawh-i-Sultan, Baha’u’llah insiste sur les souffrances qu’il a endurées dans le sentier de Dieu:

«Ô Shah, j’ai subi dans le sentier de Dieu ce qu’aucun oeil n’a vu et aucune oreille entendu. (...) Nombreuses sont les épreuves qui ont plu et pleuvront bientôt sur moi ! Je m’avance, le visage tourné vers le Tout-Puissant, le Très-Généreux, tandis que derrière moi rampe le serpent. Mes yeux ont tant pleuré que mes larmes ont trempé ma couche. Mais ce n’est pas sur moi que je m’attriste. Par Dieu ! ma tête désire ardemment la lance pour l’amour de son Dieu. Je ne suis jamais passé près d’un arbre sans que mon coeur ne lui dise: «Ô ! puisses-tu être abattu en mon nom pour que mon corps soit crucifié sur toi, dans le chemin de son Seigneur !» (...) Par Dieu ! La fatigue m’abat, la faim m’épuise, la roche nue me sert de lit et les bêtes sauvages sont mes compagnons, mais je ne me plaindrai pas, je le supporterai patiemment comme tant d’autres l’ont supporté avec patience, constance et fermeté par le pouvoir de Dieu, l’éternel Souverain, le Créateur des nations. Et je rendrai grâce à Dieu en toutes circonstances. Nous prions pour que, dans sa bonté, Dieu - loué soit-il - délivre, par cet emprisonnement, les hommes des chaînes et des fers, et leur permette de se tourner, avec sincérité, vers la face de celui qui est le Tout-Puissant, le Généreux. Il est prêt à répondre à quiconque l’invoque et il est proche de celui qui communie avec lui.» (r13)

Baha’u’llah rappelle aussi au roi que tous les prophètes et messagers de Dieu ont souffert aux mains de leur propre peuple, et pourtant personne ne réfléchit à la cause d’un tel comportement. Il parle de Muhammad et cite quelques-uns de ses ennemis qui se sont opposés vigoureusement et l’ont dénoncé. Il raconte aussi l’histoire de Jésus et le jugement cruel auquel les chefs religieux le condamnèrent.

Dans la Lawh-i-Sultan, Baha’u’llah insiste sur les épreuves et les persécutions que lui-même a endurées dans le sentier de Dieu. Il parle de son incarcération dans le Siyah-Chal, relate les souffrances qui lui furent infligées dans ce sombre et pestilentiel donjon souterrain, rappelle sa sortie de cette prison grâce au pouvoir de Dieu, et son exil en Irak sur ordre du roi, après que son innocence ait été établie. Il fait savoir plus loin au Chah quelles étaient les conditions en Irak: l’opposition du clergé chiite, ses machinations et ses attaques vicieuses au point qu’il conseilla à certains de ses compagnons de rechercher la protection du gouverneur de l’Irak. (n366) Il décrit son arrivée à Constantinople, et prédit son exil futur à Acre et son emprisonnement dans cette cité qu’il décrit en ces termes:

«D’après ce qu’ils disent, c’est la plus désolée des villes du monde, la plus laide d’entre elles par son aspect, la plus détestable à cause de son climat, et la plus souillée avec son eau polluée. Elle pourrait passer pour la métropole du hibou.» (r14)

Dans un passage de la Lawh-i-Sultan écrit avec une éloquence et un pouvoir immenses, Baha’u’llah prophétise dans un langage sans équivoque, le triomphe de sa Cause lorsque les gens y entreront en troupes.

Il déclare que dans les révélations du passé, Dieu a établi l’ascendance de sa Cause par les afflictions et les souffrances. Il prie qu’en ce jour, ces calamités puissent aussi agir comme un bouclier pour protéger sa Foi, et il fait la déclaration suivante concernant les épreuves et les tribulations endurées dans le sentier de Dieu:

Par celui qui est la vérité ! Je ne redoute aucune tribulation sur son chemin ni aucune affliction dans mon amour pour lui. En vérité, Dieu a fait de l’adversité une rosée matinale sur son vert pâturage et une mèche pour sa lampe qui éclaire le ciel et la terre. (r15)

* L’HISTOIRE D’UN MARTYR :

En ce qui concerne les croyants de cette révélation, Baha’u’llah déclare qu’ils considèrent leur religion comme la véritable Foi de Dieu et que, par conséquent, ils ont renoncé à leur vie en son sentier et pour son amour. Il affirme que cet acte seul est la preuve de la vérité de leur Cause. Car personne ne renoncerait normalement à sa vie à moins d’être fou. Baha’u’llah, pourtant, réfute l’accusation de folie sur le motif qu’on ne peut pas l’imputer à d’innombrables hommes à la conduite distinguée et au caractère vertueux, qui ont sacrifié leur vie dans le sentier de Dieu. Il décrit quelques-unes des persécutions qui furent, pendant vingt ans, infligées à la communauté sur ordre du roi. Les attaques avaient été si féroces qu’il n’existait aucune terre qui ne fût pas arrosée de leur sang ! Combien d’enfants sont devenus orphelins, combien de pères ont perdu leurs enfants et combien de mères n’ont pas osé, par peur et par épouvante, de pleurer sur leurs enfants massacrés ! Pourtant, témoigne-t-il, le feu de l’amour divin qui brûlait dans le coeur de ces gens était si brillant que même s’ils devaient être taillés en pièces, ils n’abjureraient pas l’amour de leur Seigneur.

L’histoire de la Foi dépeint la vie et le martyre de milliers de croyants dans toute la Perse, et atteste amplement de leur foi et de leur détachement, de leur héroïsme et de leur sacrifice. Elle décrit aussi de manière vivante les conditions déchirantes que subirent les familles des martyrs, et relate les afflictions atroces qui les assaillirent de toutes parts. Les histoires des martyrs des différentes parties de la Perse ont été relatées en détail et certaines ont été publiées. Une grande vague de tristesse descend sur le coeur de quiconque les lit. Par exemple, les récits des souffrances et des persécutions accumulées sur les martyrs et leurs familles, telles que dépeintes dans The History of the Martyrs of Yazd [L’Histoire des Martyrs de Yazd], sont tellement émouvants que l’on ne peut rarement ne lire que quelques pages sans être submergé par une intense tristesse et un chagrin insupportable.

Le martyre de Haji Mirzay-i-Halabi-Saz (l’étameur, le ferblantier), l’un des disciples les plus dévoués de Baha’u’llah à Yazd, est un épisode tiré de cette histoire. Il survint au cours de l’un des plus graves soulèvements de Yazd durant l’été 1903, lorsqu’un grand nombre de baha’is furent sauvagement martyrisés en quelques jours:

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Le jour de l’anniversaire de la naissance du Prophète Muhammad [17 Rabi’u’l-Avval], une fête religieuse, un groupe d’hommes se rassembla à l’extérieur de la maison de Haji Mirza. Pendant longtemps, ils lancèrent des pierres sur la porte de la maison et cassèrent toutes les vitres. Ils se conduisaient avec une telle grossièreté que finalement, Haji Mirza parut sur le toit de la maison (n367) au-dessus du porche et demanda des explications. Certains hommes se sentirent gênés dès qu’ils virent Haji Mirza. La honte leur fit courber la tête et ils s’en allèrent. Certains des plus jeunes continuèrent leurs actes de violence, mais finalement ils se calmèrent en entendant les paroles de Haji Mirza et quittèrent aussi les lieux (...) Cependant, ils revinrent après le crépuscule et continuèrent à jeter des pierres dans la cour pendant environ trois heures.

Comme il avait coutume de le faire, Haji Mirza sortit de chez lui dans les premières heures de la matinée pour se rendre chez Haji Mirza Mahmud-i-Afnan (n368) où les amis se réunissaient pour prier au Mashriqu’l-Adhkar. (n369) Il resta là jusqu’à ce que s’achèvent les prières, avant le lever du soleil. Alors que tout le monde était sur le point de partir, Haji Mirza exprima le désir de dire au-revoir à tous, comme s’il pensait ne plus jamais les revoir. (n370) Il embrassa tout le monde et leur dit adieu. Haji Mirza Mahmud conseilla à Haji Mirza de ne pas rentrer chez lui pendant un moment, mais plutôt d’attendre de voir ce qui transpirerait au cours de la journée. Mais il rentra chez lui en disant: «Quelle que soit la volonté de Dieu, elle adviendra.»

Haji Mirza était occupé à travailler chez lui le matin, lorsqu’un certain nombre d’hommes apparurent devant sa porte, avec à leur tête, un certain Hasan-i-Mihrizi, un individu exceptionnellement corpulent et bien bâti. Il enfonça la porte d’entrée d’un coup de pied et la foule se rua à l’intérieur. Haji Mirza était en train de couper un morceau de verre à ce moment-là, tandis que son épouse et leurs trois jeunes enfants étaient assis à ses côtés. Hasan-i-Mihrizi, qui devançait la foule et portait une lourde chaîne (n371), saisit Haji Mirza par la main, le traîna violemment hors de la maison et le battit sauvagement avec la chaîne. La foule s’empressa vers eux et tout le monde commença à tabasser la victime. Ils l’agressèrent atrocement, certains armés de bâtons ou de pierres, d’autres de chaînes, d’autres encore à mains nues. Ils le frappèrent tant qu’il tomba à terre, sonné et complètement ensanglanté.

La femme de Haji Mirza, de désespoir, se fraya un chemin à travers la foule et se jeta sur le corps blessé de son mari. (n372) Mais la foule lui asséna des coups de bâton et de chaîne et elle fut sérieusement blessée. Ils tentèrent de l’arracher au corps de son bien-aimé, mais elle s’accrocha à lui pendant quelque temps. Les enfants, non loin de la foule, criaient, complètement effrayés. Dieu sait ce par quoi sont passés ces enfants. Le fils aîné, ‘Inayatu’llah, avait onze ans, la fille aînée, Ridvan, en avait neuf et la plus jeune, Tuba, était âgée de six ans. Au bout d’un certain temps, les agresseurs parvinrent à séparer l’homme de sa femme. Bien que son corps fût meurtri et couvert de sang de la tête aux pieds, Haji Mirza fut tiré vers la maison de l’Imam-Jum’ih, (n373) accompagné par une foule qui s’élevait désormais à environ deux cents personnes. Ne l’avaient-ils pas plus tôt traîné sur quelques mètres, que sa femme réussit à se jeter une fois de plus sur son corps, mais la foule l’en écarta. Néanmoins, elle parvint à s’accrocher encore à lui. Cette fois-ci, ils la frappèrent plus durement qu’auparavant jusqu’à ce qu’elle tombât inconsciente dans la rue. Puis ils emmenèrent Haji Mirza. Entre-temps, un certain nombre de gens étaient entrés dans la maison et s’affairaient à piller tout ce qu’ils trouvaient...

Quant aux enfants de ce glorieux martyr, ils se lamentaient et pleuraient à côté de leur mère bien-aimée, tombée inconsciente à terre (...) Puis quelques femmes arrivèrent et prirent un foulard qui avait recouvert sa tête. (n374) Son corps avait été si gravement blessé par les coups de chaînes et de bâton, il avait reçu tant de coups de pieds, que sa fine robe était déchirée et elle était allongée presque dénudée par terre. Enfin, une femme du nom de Rubabih, une prostituée notoire, fit preuve d’un véritable esprit magnanime. Elle alla chez elle, sa maison se trouvant non loin de celle de Haji Mirza, en rapporta un vieux chadur, l’étala sur le corps de la femme blessée et tenta en vain de la ranimer. Pendant ce temps, les enfants sanglotaient sans pouvoir s’arrêter ; leur chagrin ne connut aucune limite. Rubabih fit tout ce qu’elle put pour les réconforter et elle porta leur mère sur son dos jusque chez elle. (n375) Là, elle prépara une infusion d’herbes, en donna aux enfants ainsi qu’à leur mère, qui revint à la conscience au bout de deux heures. Mais les enfants avaient tellement pleuré qu’ils étaient épuisés.

Dès qu’elle le put, la femme de Haji Mirza (...) demanda des nouvelles de son mari et on lui dit qu’il avait été emmené au Château [le quartier général du gouvernement] et que le Prince (n376) le traitait avec les plus grands égards (...) À ces paroles, elle fondit en larmes. Rubabih la consola, en disant: «Dieu merci, Haji est en sécurité, vous ne devriez pas pleurer devant les enfants car ils ont grandement souffert» (...) Elle aida la femme de Haji Mirza (...) à se relever et l’emmena chez elle avec les enfants. La maison avait été littéralement pillée. Les meubles, les tapis, les vêtements, même les portes des pièces tout avait été emporté. Il ne restait rien de quelque valeur que ce soit. Il leur était impossible de fermer la porte de la maison car elle avait été brisée et jetée à terre.

La mère, couverte de blessures, et les enfants frappés par le chagrin, se réfugièrent dans la maison et sanglotèrent très amèrement jusqu’à midi environ, lorsqu’une femme (n377) apporta des nouvelles de la part de Haji Mirza Mahmud-i-Afnan, selon lesquelles Haji Mirza s’était rendu sans aide et à pied au Château et qu’il allait bien. Elle transmit d’autres paroles de réconfort de la part d’Afnan, l’assurant que Haji Mirza se trouvait désormais en lieu sûr et qu’il rentrerait chez lui dans la soirée. Cette nouvelle apporta quelque soulagement. Bien qu’elle eût craint d’être agressée, Rubabih parvint à apporter quelque nourriture aux enfants et à leur mère. Pendant ce temps, comme la maison n’avait plus de porte, des femmes et des enfants (n378) entraient fréquemment pour voir s’il ne restait rien à dérober.

La mère et ses enfants s’étaient réfugiés dans le coin d’une pièce en attendant l’obscurité et l’arrivée de Haji Mirza (...) avec l’aide de Rubabih, ils cuisinèrent un simple bouillon destiné à Haji Mirza lorsqu’il reviendrait. Mais il ne vint pas.

Quant à Haji Mirza, la foule l’emmenait chez l’Imam-Jum’ih. Une fois arrivé à l’entrée de la Musalla (n379), cependant, un homme du nom de Hasan, le fils de Rasul-i-Mu’ayyidi s’avança et appela Haji Mirza à prononcer des imprécations contre la foi baha’ie. Haji Mirza ne fit que le regarder et ne répondit pas. Hasan réitéra sa demande. Haji dit: «Vous n’êtes ni un juge en droit religieux ni en droit commun. Ce n’est pas là votre affaire. Lorsque l’on m’emmènera devant l’autorité adéquate, je répondrai à cette question.» À ces paroles, Hasan alla à une boucherie voisine, y prit un couperet, et d’un coup puissant, il fendit le crâne de Haji Mirza. D’un autre coup, il lui amputa un bras...

Pendant ce temps, deux ou trois fonctionnaires du gouvernement arrivèrent sur les lieux et emmenèrent l’homme blessé dans la maison du gouvernement au Château. Haji Mirza possédait une telle force spirituelle qu’en dépit de ses graves blessures, il parvint à marcher jusqu’au Château. Ce ne fut qu’une fois arrivé dans le couloir qu’il tomba à terre, mais il reprit conscience quelques minutes plus tard (...) La foule alla aussi loin qu’au Château puis se dispersa (...) Haji Mirza enleva sa montre de confection américaine qui était ornée au dos du portrait du Maître et la donna à un certain Aqa Mulla Muhammad-‘Ali (n380) pour qu’il la remette à sa femme et à ses enfants (...) Entre-temps, le bourreau avait noué son propre tablier sur la tête de Haji, mais le sang coulait à flot et il devenait de plus en plus faible (...) jusqu’à ce qu’il expirât. Ainsi il atteignit le rang exalté du martyre. Le bourreau défit le tablier de la tête de Haji Mirza et le plaça sur sa tête...

Après la tombée de la nuit, le Gouverneur (...) fit appeler Haji Mirza Mahmud-i-Afnan et lui demanda d’envoyer quelqu’un pour enlever le corps environ deux heures après le coucher du soleil et l’enterrer. En conséquence (...) le gardien du Buq‘atu’l-Khadra (n381) vint au Château. Il transporta le corps de Haji Mirza sur son dos vers le Buq’atu’l-Khadra et l’y enterra. Haji Mirza avait vingt-huit ans lorsqu’il fut martyrisé.

La famille de Haji Mirza ne sut rien cette nuit-là de son martyre. Ses membres restèrent éveillés jusqu’au matin, dans l’angoisse et l’espérance de son retour en sûreté à la maison. Les enfants étaient tendus et posaient continuellement des questions au sujet de leur père. Leur mère fit de son mieux pour leur assurer qu’il reviendrait bientôt. Mais le temps passait, et lorsqu’il fut quatre heures après le crépuscule, les gardes chargés du couvre-feu de la nuit, continuèrent leur patrouille dans toute la ville. Ainsi, s’évanouit tout espoir de l’arrivée de Haji Mirza. Les enfants ne pouvaient dormir. Leur mère, aux prises avec les douleurs causées par ses nombreuses blessures, était des plus angoissée et ne pouvait pas dormir non plus. Elle attendit jusqu’à l’aube et lorsque son mari ne revint pas, elle se rendit, malgré son état, chez Haji Mirza Mahmud-i-Afnan pour avoir des nouvelles de lui. Dès qu’il la vit, Haji Mirza Mahmud ne put retenir son chagrin et commença à pleurer. Voici comment l’épouse de Haji Mirza apprit le martyre de son mari. Dieu seul connaît son état d’esprit à ce moment-là et l’agonie par laquelle elle passa ! Elle pleura sans s’arrêter, et revint chez elle brisée et abattue. Les enfants, d’autre part, attendaient que leur mère ramenât leur père. Mais lorsqu’ils la virent seule et dans un état d’angoisse, ils comprirent ce qui s’était passé. On pouvait entendre de toutes parts leurs pleurs émouvants et leurs cris de lamentation. Nous pouvons ressentir l’agonie de leur coeur lorsque l’on réfléchit à leur condition. La maison était totalement vide, leur père avait été tué, leur mère blessée et les gens s’étaient soulevés contre eux.

Deux jours plus tard, une femme répandit avec méchanceté des rumeurs selon lesquelles la femme de Haji Mirza avait versé du poison dans les citernes publiques (n382) de la ville. Cette très grave accusation constituait pour quelques (...) femmes une excuse suffisante pour attenter à sa vie. Alors qu’elle était assise avec ses enfants dans un recoin de la maison, pleurant sur son deuil et priant Dieu, soudain un groupe fort de soixante ou soixante-dix femmes, entra dans la maison, la repoussèrent au sol et commencèrent à la frapper dans l’intention de la tuer. Les enfants furent écartés violemment par cette foule cruelle et assoiffée de sang, qui créa beaucoup d’agitation dans la maison. Cependant, le Kad-Khuda (n383) et ses hommes furent rapidement informés. Ils se ruèrent sur les lieux, se frayèrent par la force un chemin à travers la foule et découvrirent que la femme de Haji Mirza était allongée inconsciente sur le sol depuis environ une demi-heure et que les agresseurs la frappaient encore (...) Ces harpies étaient convaincues qu’elle était morte lorsque le Kad-Khuda et ses hommes les firent sortir.

La femme de Haji Mirza était allongée au sol, ses vêtements déchirés, son corps dénudé et sa chair recouverte de sang et de poussière. On pouvait voir, éparpillés tout autour d’elle, des morceaux de ses vêtements déchirés. Le Kad-Khuda, submergé par des sentiments de honte, était gêné de regarder son corps dénudé et par conséquent, il partit. Les enfants, qui avaient été malmenés brutalement pendant longtemps, se retrouvèrent debout autour du corps meurtri de leur mère. Il ne restait personne pour veiller sur eux, à part une vieille grand-mère elle-même invalide.

Mais Dieu montra son pouvoir et sa puissance ce jour-là. Sa miséricorde et sa compassion descendirent sur les enfants. Au bout d’une heure, le corps sans vie de leur mère commença à remuer. Bientôt, elle revint à la conscience. Rubabih apporta quelques vêtements et l’habilla.

En apprenant que la femme de Haji Mirza était vivante, le groupe de femmes était déterminé à revenir pour mettre fin à sa vie. Mais en dépit du fait qu’elle était incapable de bouger, le Kad-Khuda parvint à la transporter hors de chez elle. Elle fut emmenée à la maison du gouvernement au Château (...) Shaykh Muhammad-Ja‘far-i-Sabzivari, le mujtahid, entreprit de la protéger (...) Il fit venir une femme, une certaine Bibi Bagum (...) et lui demanda de garder la malheureuse femme chez elle et de veiller sur elle jusqu’à ce que la situation s’améliorât.

Pendant vingt jours, on garda la femme de Haji Mirza chez Bibi Bagum. Au cours de cette période, les jeunes enfants innocents, spoliés et opprimés, à qui l’on avait enlevé leurs parents, restèrent dans les ruines de leur maison pillée avec une vieille grand-mère malade. Ils existaient simplement, dans un état de peur et d’espérance perpétuelles. Ils craignaient pour leur vie, croyant qu’on les tuerait eux aussi, tandis que leur coeur était dans un état d’espérance du retour de leur mère. Les enfants souffrirent tellement qu’après vingt jours, leur corps ressemblaient à de simples squelettes et leur visage avait la couleur d’un cadavre. De nombreuses personnes qui passaient par là, jetaient des pierres dans la maison, les invectivaient et utilisaient un langage grossier. (n384) Chaque fois qu’ils entendaient les cris proférant des insultes et des malédictions, les enfants croyaient que les gens venaient pour les tuer et ils étaient terriblement effrayés. Ils courraient vers le corps fragile de leur grand-mère et se jetaient contre elle. L’agonie du deuil tortura tant le fils aîné, ‘Inayatu’llah, qu’il en tomba gravement malade et était alité dans un coin d’une des pièces. Les autres enfants souffrirent tant qu’ils se retrouvèrent bien près de mourir. Ils demandaient souvent à leur grand-mère: «Qu’avons-nous fait pour que les gens nous tuent ?» Aucune plume ne peut décrire l’agonie par laquelle passèrent ces enfants...

Finalement, vingt jours après, la situation s’étant quelque peu apaisée, leur mère revint très apeurée et agitée. (r16)
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Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri, l’auteur de The History of the Martyrs de Yazd [L’Histoire des Martyrs de Yazd], conclut le récit du martyre de Haji Mirza avec les paroles suivantes de sa veuve. Elle lui relata l’agonie de son coeur lorsqu’elle revint chez elle et retrouva ses enfants presque sans vie.

«Dieu m’est témoin, lorsque j’arrivais à la maison, je vis trois enfants que je ne pouvais reconnaître comme les miens. Je voulais savoir où étaient mes enfants ; ma mère me dit: «Voilà tes enfants !» Lorsque je fus assurée qu’ils étaient effectivement mes enfants, je fus plongée dans un état d’agonie et de détresse que toutes mes souffrances passées s’évanouirent dans l’insignifiance.» Elle me dit: «Même maintenant, lorsque je raconte cette histoire après toutes ces années, tout mon corps est saisi par la peur et se met à trembler.» (r17)

Le même auteur, dans son History of the Faith in the Province of Yazd, a écrit le récit suivant qui nous donne un autre aperçu des souffrances infligées aux enfants de Haji Mirza tandis que leur mère était en garde à vue:

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Zaynal-i-‘Arab était un voisin de Haji Mirza. Le toit de sa maison jouxtait celui de la maison de Haji Mirza. Un soir durant le soulèvement de Yazd, quelques hommes violents dirent à Zaynal, à Mir-Chaqmaq (n385) que, comme il était le voisin de Haji Mirza, ils le soupçonnaient d’être baha’i. Le fait était cependant que Zaynal, loin d’être baha’i, était un homme vil et se trouvait en tout premier lieu parmi les fauteurs de troubles de Yazd. Lorsqu’une telle accusation fut lancée contre lui, il entra dans une telle colère qu’il décida d’aller tuer la femme de Haji Mirza et ses trois enfants. Il rentra chez lui immédiatement, prit son revolver, ceignit autour de sa taille une cartouchière et monta par les escaliers sur le toit (n386) de sa propre maison. De là, il sauta sur le toit de la maison de Haji Mirza et commença à hurler des insanités et d’infâmes grossièretés. Il chargea le pistolet et annonça d’une voix forte et en termes vulgaires son intention de descendre par les escaliers pour tuer (...) les enfants de Haji Mirza. À ce moment-là, les enfants étaient assis dans un coin autour de leur vieille grand-mère. L’horrible figure de Zaynal, criant des insultes et debout sur le toit, un revolver à la main, effraya terriblement ces enfants innocents. Ils pleurèrent, hurlèrent et implorèrent.

Alors que Zaynal descendait les escaliers vers le patio de la maison, un autre voisin, Aqa Husayn, un fils d’Aqa Rida, qui avait entendu de l’agitation, parut sur le toit juste à temps pour qu’une tragédie soit évitée. Il courut vers Zaynal et tenta de l’arrêter. Il demanda: «Pourquoi voulez-vous tuer ces enfants ?» «Ce soir,» répondit Zaynal, «un certain nombre de gens à Mir-Chaqmaq, m’ont accusé d’être baha’i, parce que je suis le voisin de Haji Mirza. Je suis par conséquent déterminé à éliminer cette famille. Personne ne peut m’empêcher de mettre mon intention à exécution.»

Aqa Husayn conseilla à Zaynal de se calmer et commença à expliquer que ces enfants étaient innocents. Il dit: «Leur père, qui était baha’i, a été mis à mort, et nul ne connaît le sort de leur mère. Ces enfants sont des orphelins ; leur père a été attaqué sous leurs yeux et il est mort plus tard, leur mère a été battue comme plâtre et l’on ne sait pas encore si elle est morte ou vivante. Ces enfants vivent désormais dans une maison en ruine ; ils n’ont pas assez à manger. Regardez leur pitoyable condition. Ils sont réduits à l’état de squelettes. Comment est-ce que votre conscience peut vous autoriser à mettre votre projet à exécution ? Le Prophète de l’islam a exhorté ses disciples à honorer leurs voisins même s’ils sont des infidèles. Vous êtes un disciple du Prophète, comment pouvez-vous faire une telle chose à ces enfants innocents ?»

Ces paroles d’Aqa Husayn, pourtant, n’eurent aucun effet sur Zaynal. Finalement, Aqa Husayn le pressa de remettre à plus tard le meurtre prévu, de rentrer chez lui à la place pour fumer, prendre une tasse de thé et se détendre un moment (...) Et enfin, Aqa Husayn parvint à ramener Zaynal chez lui. Par la bonté affectueuse et force exhortations, il réussit à faire changer d’avis Zaynal.

Quant aux enfants, Dieu seul connaît la mesure de leur angoisse et de leur peur cette nuit-là ! (...) L’un d’eux m’a dit: «Nous sommes restés assis dans le noir toute la nuit et nous tremblions littéralement de peur. Nos yeux étaient fixés dans la direction des escaliers, attendant que Zaynal descende à n’importe quel moment. Le moindre bruit nous effrayait terriblement car nous croyions qu’il descendait des escaliers. Nous n’oublierons jamais les horreurs et la frayeur de cette nuit-là.» (r18)
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* LA PREMIERE EPITRE DE BAHA’U’LLAH A NAPOLEON III :

Cette épître fut révélée par Baha’u’llah à Andrinople et transmise à l’Empereur par l’intermédiaire de l’un de ses ministres.

À son propos, voici ce qu’écrit Shoghi Effendi:
Dans sa première épître, Baha’u’llah, après s’être étendu sur les souffrances qu’il avait endurées et désireux d’éprouver la sincérité des mobiles de l’Empereur, avait pris un ton doux et conciliant, et lui avait adressé les paroles suivantes: «Deux déclarations proférées avec bienveillance par le roi de cet âge, sont parvenues aux oreilles de ces innocentes victimes. Ces déclarations sont les reines de toutes les déclarations, et telles qu’aucun souverain n’en a proféré. La première était la réponse que tu donnas à l’Empereur de Russie quand il te demanda pour quelle raison tu lui avais fait la guerre (de Crimée). Tu lui répondis: «Le cri des malheureux innocents qui furent noyés dans la Mer Noire me réveillent dès l’aube. C’est pour cela que j’ai pris les armes contre toi.» Ces opprimés, cependant (Baha’u’llah et les siens) ont été l’objet de plus grandes injustices et sont dans une plus grande détresse. Tandis que les maux infligées à ces gens n’ont durè qu’un jour, les peines supportées par ces serviteurs durent depuis vingt-cinq années, dont chaque instant nous a constitué pour nous une cruelle affliction. L’autre déclaration importante, qui était en vérité une merveilleuse déclaration faite au monde, était la suivante: «C’est à nous qu’incombe la responsabilité de venger l’opprimé et de secourir le faible.» La réputation de justice et d’équité faite à l’Empereur a fait naître l’espoir en de nombreuses âmes. Il convient au roi de cet âge de s’informer de la condition de ceux qui subissent l’injustice et de prendre soin de ceux qui sont faibles. En vérité, il n’a jamais existé, et il n’existe maintenant personne qui soit opprimé comme nous le sommes, ni impuissants comme sont ces êtres errants.» (r19)

Dans un autre passage, Shoghi Effendi écrit:
Le Message de Baha’u’llah qui a précédé celui-ci, ayant été transmis à l’Empereur par un des ministres français, avait reçu un accueil dont on peut conjecturer la nature d’après les paroles relevées dans «L’Epître au Fils du Loup»: «À ceci (la première épître), il ne donna, cependant, pas de réponse. Après notre arrivée dans la Très-Grande-Prison, il nous parvint une lettre de son Ministre dont la première partie était en persan, et la dernière de sa propre écriture. La lettre était cordiale et disait ceci: «J’ai, ainsi que vous me l’aviez demandé, remis votre lettre et je n’ai, jusqu’à présent, reçu aucune réponse. Nous avons néanmoins adressé les recommandations nécessaires à notre Ministre à Constantinople et à nos Consuls de cette région. Si vous souhaitiez que quelque chose fut fait, veuillez nous en informer et nous le ferons.» D’après ces paroles, il apparaissait qu’il avait compris que l’intention de ce Serviteur était de demander quelque assistance d’ordre matériel.» (r20)

On rapporte qu’à sa lecture, l’Empereur jeta à terre l’épître de Baha’u’llah et déclara: «Si cet homme est Dieu, moi je suis deux Dieux !»

Peu après son arrivée à Acre, Baha’u’llah dépêcha une épître des plus audacieuse à Napoléon. Nous en reparlerons dans le prochain volume.


CHAPITRE 17: Le Kitab-i-Badi‘

Le Kitab-i-Badi‘ est l’apologie de Baha’u’llah écrite en défense de sa Foi pour prouver la validité et la vérité de sa propre mission. Il est écrit principalement en persan, mais contient aussi des passages en arabe. On peut considérer ce livre à la même lumière que le Kitab-i-Iqan, dans lequel Baha’u’llah établit l’authenticité et la véracité du message du Bab. Ces deux livres contrastent en ce que l’un, le Kitab-i-Iqan, était destiné à l’oncle illustre (n387) du Bab, qui, suite à sa lecture, devint éclairé par la lumière de la foi et reconnut la cause de Dieu, alors que l’autre, le Kitab-i-Badi‘, s’adressait au fameux Mirza Mihdiy-i-Gilani, un soit-disant babi, homme perfide et hypocrite. Cet ouvrage fut révélé en réponse à plusieurs commentaires venimeux qu’il avait faits dans une lettre à l’un des compagnons de Baha’u’llah. Dans les premiers jours de la Foi, Mirza Mihdi était entré au sein de la communauté babie de Téhéran et il était devenu un ami proche d’Aqa Muhammad-‘Aliy-i-Tambaku-Furush. Mirza Mihdi, cependant, était connu parmi les babis pour être un homme qui menait une vie d’impiété et dont les actes étaient contraires aux enseignements de Dieu.

Alors que Haji Mirza Haydar-‘Ali se préparait à partir pour Andrinople, Mirza Mihdi décida de l’accompagner. Ils se trouvaient tous les deux à Téhéran à ce moment-là. Le premier accepta d’abord, mais ensuite refusa de voyager avec lui quand il remarqua la conduite et l’attitude répréhensibles de Mirza Mihdi. Ils se séparèrent et Mirza Mihdi continua son chemin non pas vers Andrinople, mais vers Constantinople. Haji Mirza Husayn Khan, l’ambassadeur de Perse à Constantinople, fut impressionné par Mirza Mihdi et le nomma comme juge de la communauté chiite persane de la capitale. C’est à ce moment de sa vie qu’il entra en contact avec Siyyid Muhammad-i-Isfahani, qui s’était rendu à Constantinople pour créer des problèmes à Baha’u’llah et à ses compagnons.

À la suite à cette fréquentation, un nouveau chapitre s’ouvrit dans la vie de Mirza Mihdi. Étant lui-même un fauteur de troubles corrompu et arrogant, il découvrit en Siyyid Muhammad une affinité et une ressemblance qui eurent bientôt pour conséquence sa transformation en un ardent disciple et un outil volontaire. Sous la gouverne de son nouveau mentor, il apprit de nouvelles leçons en matière d’intrigue, se familiarisa avec ces calomnies et ces mensonges qui caractérisaient les activités de Siyyid Muhammad, et se leva en ennemi et opposant à Baha’u’llah.

À l’instigation de Siyyid Muhammad, Mirza Mihdi écrivit une lettre à son vieil ami Aqa Muhammad-‘Aliy-i-Tambaku-Furush, un des compagnons de Baha’u’llah à Andrinople. Cette lettre venimeuse, chargée de calomnies contre Baha’u’llah, fut évidemment écrite avec l’aide de Siyyid Muhammad, et fut probablement composée par ce dernier. La plupart de ses arguments visaient à prouver la fausseté des prétentions de Baha’u’llah à être Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, promis par le Bab. Non seulement ses objections étaient absolument erronées en soi, mais certaines d’entre elles furent rédigées dans un langage discourtois et irrespectueux envers Baha’u’llah.

Aqa Muhammad-‘Ali, à qui était adressée cette lettre, était un compagnon dévoué de Baha’u’llah. Nous avons déjà dit (n388) qu’il avait accompagné Baha’u’llah de Bagdad à Constantinople puis Andrinople, et plus tard il fit partie de ceux qui firent avec lui le voyage vers Acre. C’était un homme qui avait une bonne vie en dépit des difficultés et des privations endurées durant ces exils. Voici ce qu’écrit ‘Abdu’l-Baha à son propos:

«... il avait peu pour vivre, mais il était heureux et content. Un homme d’excellente composition, il se montrait aimable autant avec les croyants qu’avec les autres (...) À Andrinople aussi, ses jours se passaient dans le bonheur, sous la protection de Baha’u’llah. Il participait à quelque affaire qui, pourtant insignifiante, engendrait des revenus étonnamment abondants...
Il passait ses journées dans le bonheur absolu. Ici (n389) aussi, il s’occupait d’une petite affaire, qui lui prenait toute la matinée jusqu’à midi. Les après-midis, il prenait son samovar, l’enveloppait dans un petit sac de couleur sombre, taillé dans une sacoche de selle, et il sortait quelque part dans un jardin ou une prairie, ou bien dans un champ, et il prenait son thé. Parfois, on le trouvait à la ferme de Mazra‘ih, ou encore dans le jardin de Ridvan ; ou alors, au Manoir, où il avait l’honneur de servir Baha’u’llah.
Muhammad-‘Ali méditait attentivement sur chaque bénédiction qui croisait son chemin. «Comme mon thé est délicieux aujourd’hui,» commentait-il. «Quel parfum, quelle couleur ! Comme ce pré est joli, et les fleurs si éclatantes !» Il avait pour habitude de dire que tout, même l’air et l’eau, possédait sa propre senteur toute particulière. Pour lui, les jours passaient dans un délice indescriptible. Même les rois n’étaient pas aussi heureux que ce vieil homme, disaient les gens. «Il est complètement libéré du monde,» déclaraient-ils. «Il vit dans la joie.» Il advint aussi que sa nourriture était la meilleure et que sa maison était située dans la meilleure partie d’Acre. Bonté divine ! Voilà qu’il était un prisonnier et pourtant, il vivait dans le confort, la paix et la joie !» (r1)

Aqa Muhammad-‘Ali possédait un grand sens de l’humour et il était pour Baha’u’llah un délicieux compagnon. Une fois, à Acre, Baha’u’llah assista à une réunion de commémoration pour un des croyants qui était décédé. Aqa Muhammad-‘Ali était présent. Il remarqua combien la générosité de Baha’u’llah et son affectueuse bonté se déversait sur l’âme du défunt. Désirant le même traitement, il lui aurait dit: «Je serais honoré si vous supposiez que je suis mort aussi, et me donniez le privilège de vous inviter à assister à une réunion de commémoration pour moi !» Là-dessus, il donna une fête splendide dans laquelle il reçut Baha’u’llah et les croyants d’Acre.

Dès qu’il lut la lettre désagréable de Mirza Mihdi, Aqa Muhammad-‘Ali l’apporta à Baha’u’llah. Le Kitab-i-Badi‘ fut écrit en réfutation aux accusations de Mirza Mihdi. Baha’u’llah révéla ce livre en trois jours consécutifs. Chaque jour, il dictait pendant environ deux heures et Aqa Muhammad-‘Ali écrivait ses paroles. Nous avons auparavant dit (n390) que, alors que quelques-uns des écrits de Baha’u’llah semblent avoir été composés par son secrétaire Mirza Aqa Jan, chaque mot était pourtant dicté par Baha’u’llah lui-même. Le Kitab-i-Badi‘ est un cas similaire. Bien qu’il soit écrit dans les mots de Aqa Muhammad-‘Ali, en fait, il a été révélé par Baha’u’llah d’un bout à l’autre.

Ce livre, presque deux fois la taille du Kitab-i-Iqan et écrit en défense de la foi de Baha’u’llah, occupe un rang significatif parmi ses écrits. Il fournit au lecteur une perspective remarquable sur les prophéties du Bab concernant Celui-que-Dieu-rendra-manifeste et démontre clairement que l’avènement de la révélation de Baha’u’llah constituait le but ultime du Bab et l’accomplissement de tout ce qu’il avait chéri en son coeur. Ce livre exerça une grande influence sur les membres de la communauté babie, en particulier sur les perplexes et les indécis. Il mit fin à nombre de leurs doutes et de leurs interrogations et leur permit de reconnaître le rang exalté de Baha’u’llah comme Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Pour les érudits versés dans les écrits du Bab, on peut considérer ce livre comme une clé aux nombreux mystères à découvrir dans les révélations du Bab et de Baha’u’llah. C’est l’une des oeuvres les plus audacieuses de Baha’u’llah, écrite avec force et clarté. Elle décrit aussi quelques-uns des enseignements de Baha’u’llah et relate certains aspects de l’histoire de sa cause. L’une de ses caractéristiques remarquables est la façon dont Baha’u’llah réfute les objections et les accusations de Mirza Mihdi avec des preuves tellement convaincantes que le lecteur en est totalement submergé par le pouvoir irréfutable de son raisonnement.

Il ne fait aucun doute que le Kitab-i-Badi‘ mit en pièces les vaines imaginations des briseurs de l’alliance du Bab qui avaient cherché avec assiduité à saper la foi de Baha’u’llah par la diffusion de rapports erronés et fallacieux. Les arguments mis en avant par Mirza Mihdi étaient faibles et hors de propos. Ils contenaient de nombreuses affirmations erronées, des calomnies et des mensonges qui provenaient de Siyyid Muhammad.

La manière dont fut révélé le Kitab-i-Badi‘ est telle que Baha’u’llah cite quelques lignes de la lettre de Mirza Mihdi et ensuite révèle des pages en réplique. Il continue ainsi jusqu’à ce que tous les points et toutes les accusations contenus dans la lettre reçoivent une réponse complète. La force irrésistible des déclarations de Baha’u’llah constitue l’une des caractéristiques remarquables de ces objections. Si puissantes sont ses paroles que Mirza Mihdi semble n’être qu’un oiseau chétif entre les serres d’un solide faucon, et réduit à néant. La force des arguments de Baha’u’llah, la clarté de ses explications, la profondeur de ses paroles, n’égalent que son universelle connaissance des écrits du Bab qu’il cite avec profusion en soutien de sa thèse. Et en dépit du fait que, comme lui-même l’atteste, (n391) il n’avait pas tout lu des écrits du Bab, y compris le Bayan ! C’est là une preuve de son savoir divin.

Dans le Kitab-i-Badi‘, Baha’u’llah utilise parfois un langage très fort pour condamner les actions de Mirza Mihdi et de son maître, Siyyid Muhammad. Mirza Mihdi est dénoncé comme «le mauvais», «le méchant comploteur», «l’impie», «l’impudent», «le paria», «l’âme infidèle», «l’entêté», «celui qui rivalise avec Dieu», «un de la plume de qui s’était écoulé ce qui a fait se lamenter le Bab dans le Royaume et avec lui les âmes de tous les élus de Dieu». De manière réitérée, Baha’u’llah l’invite à retirer sa plume et l’avertit que Dieu, par sa colère, le terrassera bientôt. En effet, peu de temps après, Mirza Mihdi mourut. Baha’u’llah y fait allusion dans la Lawh-i-Fu’ad (n392) où il décrit l’agonie tourmentée de son âme lorsque descendit sur lui le courroux vengeur de Dieu. Il y a aussi de nombreux passages du Kitab-i-Badi‘ dans lesquels Siyyid Muhammad est stigmatisé en termes tels que «celui qui donna des associés à Dieu», «l’animateur premier des troubles», «l’incarnation de la méchanceté et de l’impiété», et «celui que Dieu a maudit». Que Baha’u’llah se soit adressé à ces hommes en utilisant un langage aussi fort, démontre son autorité suprême comme Juge et Souverain de l’humanité. Réfléchissons au pouvoir de la Manifestation de Dieu. Lui, et lui seul, peut révéler à l’homme tous les attributs de Dieu, et le courroux est l’un des attributs de Dieu. C’est par l’opération de cet attribut que Dieu rejette ceux qui se lèvent pour s’opposer à lui.

De l’étude des écrits de Baha’u’llah, il apparaît clairement que la miséricorde et le pardon de Dieu planent sur l’ensemble de la création. Par ces attributs, Dieu a accordé sa protection à l’humanité. Si ce n’était pour sa miséricorde et sa grâce, aucun homme ne pourrait survivre à l’accomplissement de sa justice. Le Dieu d’amour et de pardon ferme les yeux sur les péchés et les défauts de l’homme. Il le plonge dans l’océan de sa miséricorde et, sans tenir compte de son mérite, il lui accorde la vie éternelle. Mais lorsqu’une personne brise son Alliance et se révolte consciemment contre celui qui le manifeste, alors son courroux se réveille et l’âme de cette personne se prive des bontés de Dieu. Siyyid Muhammad et Mirza Mihdi appartenaient à cette catégorie, et Baha’u’llah, en les dénonçant, ne fait pas plus que révéler la véritable condition de leur âme. Cependant, il est un point important à garder à l’esprit: aucun homme n’a la vision ou l’autorité pour condamner une autre âme. Cette fonction n’est dévolue qu’à la Manifestation de Dieu et à ceux à qui elle a conféré l’infaillibilité et l’autorité.

* CONDAMNATION DES BRISEURS DE L’ALLIANCE :

Le Kitab-i-Badi‘ est aussi empli de passages qui condamnent le centre de sédition, Mirza Yahya. Baha’u’llah réfute ses prétentions à être le successeur désigné du Bab et cite de nombreux extraits des écrits du Bab en soutien à son argumentation. Il explique très clairement que la seule chose que le Bab a promise à ses disciples, était l’avènement de la révélation de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Comme Mirza Yahya était l’un des «Miroirs» de la révélation babie (n393) - et ce dernier avait l’habitude d’employer ce titre pour impressionner les disciples du Bab - Baha’u’llah commente le rang des «Miroirs». Il cite de nombreuses affirmations du Bab selon lesquelles les «Miroirs» n’avaient pas de lumière propre à eux, que leur rayonnement dépendait du fait qu’ils se tournaient vers la source de lumière, Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Le Bab révèle:

«Que sa mention soit glorifiée ! Il (n394) ressemble au soleil. Si l’on plaçait face à lui d’innombrables miroirs, chacun d’eux, selon sa capacité, refléterait la splendeur de ce soleil ; si l’on n’en plaçait aucun, il continuerait toujours à se lever et à se coucher, et seuls les miroirs seraient privés de sa lumière. En vérité, je n’ai point failli à mon devoir d’avertir ce peuple et de fournir les moyens pour qu’il se tourne vers Dieu, son Seigneur, qu’il croie en lui, son Créateur. Si, au jour de sa révélation, tous ceux qui sont sur la terre font acte d’allégeance envers lui, mon être intime se réjouira, puisque tous auront atteint l’apogée de leur existence, auront été amenés face à face avec leur Bien aimé et auront reconnu, dans toute la mesure possible dans le monde de l’existence, la splendeur de celui qui est le Désir de leurs coeurs. Sinon, mon âme sera très triste. J'ai vraiment éduqué toutes choses dans ce but. Comment, alors, quelqu’un peut il rester séparé de lui ? C’est pour cela que j’ai invoqué Dieu et continuerai à le faire. En vérité, il est proche, prêt à répondre.» (r2)

Même dans l’un de ses propres écrits, le Bab, s’adressant à Haji Siyyid Javad-i-Karbila’i, se plaint que les Miroirs ne se soient pas détachés des choses de ce monde et se soient tournés vers lui avec un coeur souillé. Voici ses paroles:
«Je porte plainte auprès de toi, ô Miroir de ma générosité, contre tous les autres miroirs. Ils me regardent tous à travers leurs propres couleurs.» (r3)

Et encore:
«Ô miroirs semblables au soleil ! Regardez le Soleil de vérité ! Vraiment, vous dépendez de lui, si seulement vous pouviez le percevoir ! Vous êtes comme des poissons qui se déplacent dans les eaux de la mer sans la voir et se demandent de quoi ils dépendent.» (r4)

Dans le Kitab-i-Badi‘, Baha’u’llah stigmatise Mirza Yahya comme l’idole de la communauté babie, affirme que tous ses accomplissements appartiennent au domaine de la tromperie et du mensonge, divulgue l’étendue de sa superficialité et de son ignorance. Il déclare que ses paroles contenaient l’essence de la fausseté, que toute vérité trouvée en celles-ci a été empruntée à Baha’u’llah, fait allusion au fait qu’avec l’aide de Siyyid Muhammad, il a diffusé certains des écrits de Baha’u’llah parmi les croyants sous son propre nom. Il explique qu’il n’a chassé Mirza Yahya de sa présence que lorsqu’il se leva publiquement contre la cause de Dieu. Il le dénonce pour ses lettres méchantes et calomnieuses. Il dépeint, dans un certain nombre de longs passages et dans un langage émouvant et dramatique, les lamentations d’une plume tenue entre les mains de Mirza Yahya, priant son Dieu de la délivrer d’un maître aussi vil et perfide !

* ÉCRITS DU BAB CONCERNANT CELUI-QUE-DIEU-RENDRA-MANIFESTE :

Une part considérable du Kitab-i-Badi‘ concerne les circonstances de la rébellion de Mirza Yahya et Siyyid Muhammad. Mais la majeure partie du livre est consacrée au thème exalté de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, Baha’u’llah, le Promis du Bayan. Baha’u’llah cite de nombreux passages tirés des écrits du Bab dans lesquels il chante le rang, la gloire, la majesté transcendante et l’autorité de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Il suffit de ne mentionner que quelques extraits des écrits du Bab que Baha’u’llah cite tous dans le Kitab-i-Badi‘.

On doit remarquer que les écrits du Bab sont emplis de déclarations similaires au sujet de Baha’u’llah:
«Pour le (n395) mentionner, j’ai écrit ces mots semblables à des pierres précieuses: «Aucune de mes allusions, aucune mention dans le Bayan, ne peut lui rendre justice» . (...) Exalté et glorifié soit il -: Il est élevé et sanctifié au dessus de toute tentative de le révéler, si ce n’est par lui-même, et au-dessus de toute description par l’une de ses créatures. Moi même, je ne suis que le premier serviteur à croire en lui et en ses signes, à prendre ma part des doux parfums de ses paroles exhalés par les prémices du paradis de sa connaissance. Oui, par sa gloire ! Il est la vérité. Il n’est pas d’autre Dieu que Lui. Tous se sont levés à son commandement.» (r5)

L’étude du Kitab-i-Badi‘ explique clairement que le but du Bab en se révélant, n’était autre que de préparer ses disciples à la venue de Baha’u’llah. Il existe de nombreux passages dans les écrits du Bab dans lesquels il établit une alliance ferme avec ses disciples concernant Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Voici ce qu’il déclare dans l’un d’eux:
«Glorifié sois tu, ô mon Dieu ! Témoigne que par ce Livre, j'ai conclu une alliance avec toutes choses créées concernant la mission de Celui-que-tu-rendras-manifeste, avant même que soit établie l’alliance relative à ma propre mission. Toi et ceux qui ont cru en tes signes, vous êtes des témoins suffisants. En vérité, tu me suffis. En toi, j’ai placé ma confiance ! En vérité, tu tiens compte de toutes choses.» (r6)

Il y a aussi de nombreuses citations concernant le Bayan, le Livre-Mère de la révélation du Bab, et la relation de celle-ci à Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. Le Bab déclare:
«Le Bayan tout entier n’est qu’une feuille parmi les feuilles de son Paradis.» (r7)

Et encore:
«Du commencement à la fin, le Bayan est le dépositaire de tous ses [Baha’u’llah] attributs et des trésors de sa flamme et de sa lumière.» (r8)

Le Bab a averti ses disciples de ne permettre à quoi que ce soit en ce monde, y compris le Bayan, de devenir une barrière entre eux et Baha’u’llah. Il confirme:
«Ne souffrez pas que le Bayan et tout ce qui est révélé dans cet ouvrage vous séparent de cette essence de l’Être, ce Seigneur du visible et de l’invisible.» (r9)

Dans un autre passage, il affirme:
«Ne souffrez point qu'un voile ne vous sépare de Dieu après qu’il se soit lui même révélé. Car tout ce qui a été exalté dans le Bayan n’est qu’un anneau dans ma main, et moi-même, je ne suis vraiment qu’un anneau dans la main de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste - glorifiée soit sa mention ! Il le tourne comme il lui plaît, pour en faire ce qui lui plaît et le glisser là où il lui plaît. En vérité, il est le Secours, le Très Haut.» (r10)

Le Bab déclare qu’un vers des écrits de Baha’u’llah est plus méritoire à la vue de Dieu que tout ce qui a été révélé par les Manifestations du passé. Dans un autre exemple, le Bab révèle:
«Il est préférable pour toi de ne réciter qu’un seul des versets de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, plutôt que de réciter la totalité du Bayan ; car ce jour là, cet unique verset peut te sauver, alors que le Bayan tout entier ne peut le faire.» (r11)

Il témoigne du rang exalté de Baha’u’llah par la déclaration que lui, Baha’u’llah, peut accorder le rang de prophète à quiconque il désire. Voici les paroles du Bab:
«S’il faisait un prophète de chacun des habitants de la terre, ils seraient tous, en vérité, considérés comme des prophètes aux yeux de Dieu. (...) Au jour de la révélation de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, tous ceux qui demeurent sur terre seront égaux à ses yeux. En vérité, celui qu'il ordonne prophète a été prophète depuis le commencement qui n’a point de commencement et le demeurera jusqu’à la fin qui n’a pas de fin, puisque c'est un acte de Dieu. Et celui qu'il nomme vice roi le sera dans tous les mondes, car c'est un acte de Dieu. La volonté de Dieu ne peut en aucun cas être révélée si ce n’est par la volonté de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, ni le désir de Dieu être manifesté si ce n’est par son désir. En vérité, il est le Conquérant, le Tout Puissant, le Très-Haut.» (r12)

Le Bab déclare que nul ne peut reconnaître Celui-que-Dieu-rendra-manifeste sauf par ses propres critères. Il affirme:
«Ne le regarde point avec un oeil autre que le sien. Car quiconque le regarde avec son oeil le reconnaîtra ; sinon, il lui restera caché. Cherche le et regarde le si tu veux chercher Dieu et sa présence.» (r13)

Dans l’un de ses écrits, le Bab déclare qu’au moment de la venue de Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, tous ceux qui habitent le Sinaï de la révélation de Dieu seront frappés de stupeur à sa gloire. Il enjoint aux érudits parmi ses disciples, de retenir leur plume d’écrire des épîtres et des livres lorsque se sera révélé Celui-que-Dieu-rendra-manifeste. De plus, il presse ses disciples de reconnaître et de recevoir Baha’u’llah sans aucune hésitation ni retard, et les avertit:

«Reconnaissez le par ses versets. Car plus vous négligerez de chercher à le connaître et plus vous serez cruellement voilés, cachés par le feu.» (r14)

Ces hommages, et de nombreux autres encore, que le Bab a rendu à Baha’u’llah, sont rapportés dans le Kitab-i-Badi‘. Nous avons déjà cité certains des passages dans le précédent volume et avons consacré tout un chapitre à ce sujet. (n396)

Dans le Kitab-i-Badi‘, Baha’u’llah démontre la validité de sa Cause, glorifie sa propre révélation, proclame sa mission et ré-affirme la déclaration qu’il avait faite dans le Jardin de Ridvan - qu’aucune autre Manifestation de Dieu n’apparaîtrait avant qu’un millier d’années se soit écoulé. (n397) Il décrit le déversement, hors de sa plume, des versets de Dieu et invite Mirza Mihdi à parvenir en sa présence afin qu’il puisse témoigner de la rapidité avec laquelle les Paroles de Dieu sont révélées en ce jour. Il relate aussi de nombreux événements remarquables qui eurent lieu durant son séjour à Bagdad et à Andrinople, décrit la dévotion et le sacrifice personnel de quelques-uns de ses disciples. Il insiste sur les souffrances qui lui furent infligées par la main de Mirza Yahya et qui atteignirent leur apogée en la «Plus-Grande-Séparation». Il énumère certaines des douloureuses transgressions commises par lui, comme ses ordres de tuer certains des babis éminents, et son crime le plus flagrant, la répugnante violation de l’honneur du Bab. (n398)

* KHADIJIH BAGUM :

Dans le Kitab-i-Badi‘, Baha’u’llah chante les vertus et le rang exalté de Fatimih Bagum, la mère du Bab, (n399) et de son épouse Khadijih Bagum. Il les désigne toutes deux comme les Khayru’n-Nisa’ (Les plus vertueuses d’entre les femmes) et enjoint à ses bien-aimés de les vénérer et de les honorer.

Khadijih Bagum était de noble lignée. Elle était une cousine de la mère du Bab, du côté paternel. Son mariage avec le Bab eut lieu presque deux ans avant sa déclaration. Par la pureté de son coeur, Khadijih Bagum reconnut le rang de son mari bien-aimé et reconnut la vérité de sa Cause dans les premiers jours de son ministère. Elle fut un témoin oculaire de ce pouvoir transformateur qui émanait de la personne du Bab, un pouvoir qui révolutionna la vie et la conduite de ses premiers disciples et des héros de la foi babie. Au sujet de Khadijih Bagum, voici ce qu’écrit Nabil-i-A‘zam dans son récit:

«La femme du Bab, contrairement à sa mère, saisit, dès l'aube de sa révélation, la gloire et le caractère unique de sa mission et sentit, dès les premiers jours, l'intensité de sa force. Personne, à part Tahirih, parmi les femmes de sa génération, ne la surpassait dans le caractère spontané de sa dévotion ni dans la ferveur de sa foi. C'est à elle que le Bab confia le secret de ses souffrances futures, et il dévoila à ses yeux la portée des événements qui devaient se dérouler en son jour. Il la pria de ne pas divulguer ce secret à sa mère et lui conseilla d'être patiente et de se résigner à la volonté de Dieu. Il lui confia une prière spéciale, révélée et écrite par lui-même et dont la lecture, lui assura-t-il, dissiperait ses difficultés et allégerait le fardeau que faisaient peser sur elle ses ennemis. "A vos moments de perplexité, récitez cette prière avant d'aller dormir. J'apparaîtrai moi-même à vos yeux et bannirai votre anxiété." Fidèle à son conseil, chaque fois qu'elle se tournait vers lui en prière, la lumière de sa direction infaillible illuminait son chemin et résolvait ses problèmes.» (r15)

Khadijih Bagum reconnut le rang de Baha’u’llah dès les premiers temps passés à Bagdad et resta l’une de ses plus dévouées disciples.

Dans ses récits, feu Haji Mirza Habibu’llah-i-Afnan (n400) écrit ce qui suit à propos de l’épouse du Bab:

«... La Beauté bénie, après son arrivée à Bagdad, envoya de nombreuses épîtres, revêtues de sa propre signature, 152, (n401) (ce qui signifie Baha), à diverses parties de la Perse. Elles furent portées à leurs destinations prévues par quelques personnes dignes de confiance. Parmi ces Epîtres, se trouvait celle révélée en l’honneur de la Feuille exaltée, (n402) l’épouse du Bab. En ce temps-là, personne au sein de la famille des Afnan (n403) n’avait embrassé la Foi, et par conséquent, l’épouse du Bab n’avait aucun ou aucune amie proche à qui elle aurait pu se confier. Pour cette raison, elle entama une conversation avec le père de l’auteur, Jinab-i-Afnan, Aqa Mirza Aqa (n404), qui était son neveu (le fils de sa soeur) et qui était âgé de treize ans.
... Grâce à la pureté de son coeur, Aqa Mirza Aqa fut profondément attiré par la cause de Dieu, reconnut sa vérité et fut empli d’un tel enthousiasme, qu’il fut incapable de se retenir de l’enseigner, ce qu’il fit avec courage et fermeté. D’abord, il réussit à enseigner son propre père (...) puis sa propre mère, la soeur de l’épouse du Bab.» (r16)

Lorsque Baha’u’llah convoqua Munirih Khanum (n405) à Acre, il demanda à Shaykh Salman de l’accompagner. Le groupe partit d’Isfahan pour Bushihr via Shiraz. L’on s’organisa pour qu’elle fît un court séjour à Shiraz chez Haji Mirza Siyyid Muhammad, l’oncle du Bab. Elle arriva dans le mois de Dhi’l-Q’adih 1288 de l’Hégire (janvier-février 1872) et elle eut le privilège de rencontrer l’épouse du Bab à plusieurs reprises. Ce qui suit est tiré des mémoires de Munirih Khanum concernant l’une de ses entrevues avec Khadijih Khanum:

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... J’ai demandé à l’épouse du Bab de raconter pour moi certains des souvenirs de sa fréquentation avec le Bab, de sa rencontre et de son mariage avec lui. Elle dit: «Je ne me souviens pas de tous les détails, mais je vous dirai ce dont je peux me rappeler...

Nous étions trois soeurs. (n406) Une nuit, j’ai rêvé que Fatimih [la fille du Prophète Muhammad, la femme la plus sainte dans l’islam] venait chez nous comme intermédiaire pour proposer le mariage. (n407) Avec une grande joie et beaucoup d’extase, mes soeurs et moi allâmes vers elle. Elle s’avança alors vers moi et me baisa le front. Je compris dans le rêve qu’elle m’avait choisie. Lorsque je me réveillai le matin, je me sentis très heureuse et joyeuse, mais je me sentais trop timide pour faire part à quiconque de mon rêve. Dans l’après-midi du jour même, la mère du Bab vint chez nous. Ma soeur et moi allâmes vers elle. Exactement comme je l’avais rêvé, elle s’avança, me baisa le front et m’étreignit. Puis elle sortit. Ma soeur aînée me dit: «La mère du Bab est venue pour proposer le mariage et elle a demandé ta main en mariage [pour son fils].» Je répondis: «C’est une grande félicité pour moi.» Je relatai mon rêve et exprimai le bonheur de mon coeur à cause de ses implications.

Quelques jours après (...) ils envoyèrent quelques présents en gage de fiançailles, (n408) et le Bab se rendit à Bushihr pour affaires en compagnie de son oncle. Bien que la mère du Bab et moi-même étions cousines, pourtant, à cause de mon rêve, chaque fois que je la voyais, je lui témoignais énormément de courtoisie et de respect. Je ne peux me rappeler la durée du voyage du Bab.

Lorsqu’il était à Bushihr, j’ai rêvé une nuit que j’étais assise en présence du Bab. Il semble que ce devait être le soir de notre mariage. Le Bab était habillé d’un manteau vert sur les bords duquel étaient inscrits des versets du Qur’an (...) et de la lumière émanait de lui. À le voir ainsi, j’étais emplie d’une telle joie, d’un tel contentement, que je me réveillai. Après ce rêve, je fus assurée en mon coeur que le Bab était un personnage distingué. J’ai chéri un amour pour lui en mon coeur, mais ne divulguai mes sentiments à personne. Finalement, il revint de Bushihr et son oncle organisa le mariage.

Après le mariage, mon esprit ne nourrissait aucune pensée des choses terrestres. Mon coeur était entièrement attiré vers la personne du Bab. À partir de ses paroles et de sa conduite, de sa magnanimité et de sa solennité, il devint évident pour moi qu’il était une personne distinguée. Mais la pensée ne m’a jamais traversé l’esprit qu’il pourrait être le Qa’im, le Promis. La plupart du temps, il priait et lisait des versets (...) Comme c’était habituel parmi les marchands, il demandait le soir ses papiers commerciaux et ses livres de comptes. Mais je remarquai que ces papiers ne concernaient pas les affaires. Parfois, je lui demandais quels étaient ces papiers. Il dit une fois: «C’est le Livre des comptes de tous les peuples du monde.» Si un visiteur arrivait soudainement, il étendait un mouchoir sur les papiers. Tous ses proches parents, comme ses oncles et tantes, étaient pleinement conscients de sa personnalité exaltée. Ils le révéraient et lui témoignaient le plus grand respect, jusqu’au moment où arriva la nuit fatidique du 5 de Jamadi’ul-Avval 1260 de l’Hégire (22 mai 1844). Ce fut la nuit où Jinab-i-Babu’l-Bab, Mulla Husayn-i-Bushru’i (n409) se trouva en présence du Bab et reconnut la vérité de sa Cause. Ce fut une soirée mémorable en effet. Le Bab déclara que nous avions un invité qui lui était cher. Il était comme enflammé et très excité. J’étais très enthousiaste à l’idée d’entendre ses paroles bénies, mais il me demanda d’aller au lit. Bien que je fusse allongée sans dormir de toute la nuit, je restai au lit car je ne voulais pas lui désobéir. Je pouvais entendre sa voix jusqu’au matin alors qu’il conversait avec Jinab-i-Babu’l-Bab. Il lisait les versets de Dieu et citait des preuves. Plus tard, je remarquai que chaque jour, un invité étrange arrivait et le Bab engageait des discussions similaires.

Si je tente de décrire les souffrances et les persécutions de ces jours, je ne pourrai pas supporter d’en parler, pas plus que vous n’auriez la force d’âme de les écouter...

Une nuit, je me réveillai vers minuit pour trouver que le (...) commissaire de police, ‘Abdu’l-Hamid, était entré dans la maison par le toit avec ses hommes et, sans fournir d’explications, il emmena le Bab avec lui. (n410) Je ne me suis plus jamais retrouvée en sa présence... (r17)
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Munirih Khanum décrit dans ses mémoires combien l’épouse du Bab souhaitait qu’elle prolonge sa visite, mais Shaykh Salman avait des ordres de Baha’u’llah de se rendre à Acre en compagnie de la caravane qui emmenait les pèlerins musulmans à La Mecque, et le temps passait.

«Après que nous lui ayons dit au-revoir, l’épouse du Bab dit: «S’il vous plaît, implorez la Perfection bénie de m’accorder deux voeux. Que l’une des Feuilles exaltées de la Famille bénie (n411) puisse être autorisée à s’unir par le mariage à un membre de la famille du Bab, afin que les deux arbres sacrés puissent se lier de manière extérieure. L’autre, ce serait de m’accorder l’autorisation d’atteindre sa présence.» Je transmis ce message une fois en présence de Baha’u’llah ; il consentit volontiers à ses deux requêtes.» (r18)

La personne à laquelle l’épouse du Bab pensait pour ce mariage, était Haji Siyyid ‘Aliy-i-Afnan, un fils de son frère, le «Grand Afnan», Haji Mirza Siyyid Hasan. Baha’u’llah exauça le voeu de la femme du Bab et Haji Siyyid ‘Ali fut uni par le mariage à Furughiyyih Khanum, une fille de Baha’u’llah. (n412)

Quant au second voeu, cependant, des circonstances empêchèrent l’épouse du Bab de rencontrer Baha’u’llah. (n413) Ce fut un coup douloureux pour elle et elle en demeura inconsolable. On rapporte qu’elle pleura tellement que sa santé en fut sérieusement atteinte. Frappée par le chagrin, elle mourut quelques mois après, le soir du 29ème jour de Dhi’l-Qa‘dih 1299 de l’Hégire (11 novembre 1882). Étrangement, le même soir, sa servante (Fiddih) qui l’avait servie depuis l’époque du Bab, mourut aussi.

La nouvelle du décès de l’épouse du Bab attrista Baha’u’llah. Il révéla une prière spéciale de souvenance pour elle et plus tard, il composa un verset à graver sur sa stèle. Tout au long de la vie de l’épouse du Bab, Baha’u’llah avait révélé de nombreuses épîtres en son honneur.


CHAPITRE 18: Suriy-i-Ghusn

La Suriy-i-Ghusn (Sourate de la Branche) est une épître importante révélée à Andrinople. Elle est écrite en arabe et adressée à Mirza ‘Ali-Riday-i-Mustawfi, originaire de Khurasan. Ce croyant était un notable: c’était le Mustasharu’d-Dawlih. Il détenait une position éminente dans les cercles gouvernementaux du district de Khurasan et y possédait une grande influence. Son maître n’était autre que Mulla Husayn (n414) qui lui enseigna la Foi à Mashhad.

Mirza ‘Ali-Rida devint un croyant dévoué qui, en dépit de son rang, n’hésita jamais à porter assistance aux amis lorsqu’ils rencontraient des difficultés. Il aidait toujours les pauvres et les opprimés parmi eux. Il était celui principalement chargé de fournir des chevaux et de l’argent pour Mulla Husayn et ses compagnons lorsqu’ils quittèrent Mashhad pour le Mazindaran pour une mission de grande importance. (n415) Avec l’aide de Mulla Sadiq-i-Khurasani, célèbre enseignant de la Foi, il réussit à convertir son jeune frère Mirza Muhammad-Rida, le Mu’taminu’s-Saltanih, qui devint un croyant dévoué. Lorsque Mirza ‘Ali-Rida se retira, ce fut ce même frère qui lui succéda à son poste. Il est intéressant de remarquer que dans une épître, Baha’u’llah commente une photographie du Mu’taminu’s-Saltanih, en disant qu’elle lui ressemblait de manière frappante.

Le thème principal de la Suriy-i-Ghusn consiste en la révélation du rang de ‘Abdu’l-Baha. ‘Abdu’l-Baha y est mentionné comme «la Confiance de Dieu», «cet Être sacré et glorieux», «cette Branche de sainteté», «le Bras de la loi de Dieu», «cette OEuvre sublime, bénie, puissante, exaltée», «la plus haute faveur», «le don le plus parfait». (r1) Baha’u’llah fait aussi cette déclaration significative à propos de ‘Abdu’l-Baha:

«Heureux celui qui a cherché son [‘Abdu’l-Baha] refuge et qui est demeuré sous son ombre (...) Ceux qui se privent de l’ombre de la Branche sont perdus dans le désert de l’erreur, (...) et ceux-ci assurément périront.» (n416) (r2)

Ces attributs élevés révélaient le rang du Maître et présageaient sa désignation, ultérieurement à Acre, comme le Centre de l’alliance de Baha’u’llah et l’Interprète de ses paroles, désignation annoncée dans le Kitab-i-Aqdas et le Kitab-i-‘Ahdi (Le Livre de mon alliance). La louange et la glorification de ‘Abdu’l-Baha ne surprirent aucun des disciples de Baha’u’llah. Même les ennemis de Baha’u’llah reconnaissaient le caractère élevé et la grandeur de ‘Abdu’l-Baha. Par exemple, Mirza Ahmad-i-Kirmani, ennemi invétéré de la Cause, stigmatisé par Baha’u’llah comme un «oiseau de mauvais augure», et dont il a fait allusion aux actes répréhensibles dans le Kitab-i-Aqdas, annonça, une fois en chaire, que s’il existait une seule preuve par laquelle Baha’u’llah pourrait justifier ses prétentions, ce serait le fait qu’il avait élevé un fils tel que ‘Abbas Effendi. (n417)

Dès son enfance, ‘Abdu’l-Baha fit preuve de remarquables qualités de foi et de vertu. Il n’alla à aucune école si ce n’est pendant une courte période à Téhéran. À l’âge de neuf ans, non seulement il reconnut le rang de son Père, (n418) mais il manifesta une telle compréhension, une telle connaissance, qu’il surpassait les érudits et les savants. À Bagdad, alors qu’il était tout jeune adolescent, ‘Abdu’l-Baha asssista à une réunion de ces théologiens qui se montraient amicaux. Ils appréciaient toujours la compagnie de ‘Abdu’l-Baha et l’écoutaient lorsqu’il parlait. Au cours de la discussion, quelqu’un mentionna que dans l’un de ses écrits, Haji Mirza Karim Khan (n419) avait utilisé un certain mot persan comme étant arabe. Tous les religieux s’accordèrent pour dire qu’il avait fait une erreur. Pourtant, ‘Abdu’l-Baha affirma que, bien que Haji Mirza Karim Khan fût un ennemi de la foi du Bab, dans cet exemple en particulier, il ne s’était pas trompé. Le mot en question, bien qu’utilisé dans la langue persane, était à l’origine un mot arabe. Les religieux maintinrent leur opinion, jusqu’à ce que ‘Abdu’l-Baha leur demandât de regarder le mot dans le dictionnaire. À leur stupeur, ils découvrirent que c’était en effet un mot arabe.

Ce fut à Bagdad que ‘Ali Shawkat Pasha, l’un des dignitaires de l’Irak, demanda à Baha’u’llah de lui expliquer les sens cachés d’une certaine tradition de l’islam qui donne des éclaircissements sur la relation entre Dieu et l’homme et révèle le but de la création. La voix de Dieu proclame dans cette tradition: «J’étais un trésor caché, j’aimais être connu par conséquent, j’ai créé les êtres pour [Me] connaître.»

Baha’u’llah demanda à ‘Abdu’l-Baha, qui était alors dans l’adolescence, d’écrire un commentaire sur cette tradition. ‘Abdu’l-Baha écrivit un long commentaire des plus profond qui étonna le Pasha et ouvrit ses yeux à des visions de connaissance et de compréhension. Là-dessus, il devint un ardent admirateur du Maître. Non seulement ‘Ali Shawkat Pasha fut profondément impressionné par les explications de ‘Abdu’l-Baha, mais d’une manière générale, toute personne qui lisait ce lumineux commentaire, se sentait des plus émues et prenait conscience de son savoir et de sa sagesse extraordinaires. Une fois, le fameux Haji Siyyid Javad-i-Karbila’i, dont nous avons auparavant parlé, répondit à une personne qui exigeait des preuves de l’authenticité de la mission de Baha’u’llah, que l’un des gages indubitables de la vérité de sa Cause, était que son fils ‘Abdu’l-Baha, à l’adolescence, avait écrit un aussi superbe traité qui jetait tant de lumière sur ce sujet.

Parmi les nombreuses personnalités qui furent tout particulièrement attirées par ‘Abdu’l-Baha et reconnurent sa grandeur, se trouvait Khurshid Pasha, le gouverneur d’Andrinople. Shoghi Effendi écrit:

«Ce sont ses discussions et ses entretiens [ceux de ‘Abdu’l-Baha] avec les savants docteurs rencontrés à Bagdad qui, tout d’abord, suscitèrent cette admiration générale pour lui et son savoir, admiration qui devait croître rapidement à mesure que s’agrandissait le cercle de ses relations, plus tard, d’abord à Andrinople, puis à Acre. C’est à lui que le très distingué Khurshid Pasha, gouverneur d’Andrinople, avait été incité à rendre un hommage public éclatant, lorsqu’en présence d’un certain nombre de prêtres fameux de cette ville, son jeune invité avait résolu brièvement et d’une manière étonnante, un problème complexe qui avait déconcerté les membres de cette assemblée, exploit qui frappa si profondément le pacha que, depuis ce jour-là, il eut du mal à se résigner à l’absence de cet adolescent dans ce genre de réunions.» (r3)

Depuis son enfance, nombre de responsabilités reposaient sur les épaules de ‘Abdu’l-Baha. Il était âgé de dix ans lorsque son Père se retira dans les montagnes de Sulaymaniyyih. Pendant les années d’absence de Baha’u’llah, il prit à son compte la charge de gérer les affaires de la famille, à cet âge tendre et en dépit de son chagrin d’être séparé de son Père. Plus tard, il fit comprendre à Nabil qu’il avait l’impression d’avoir vieilli tout en étant encore un enfant. Il prit sa part des souffrances et des privations qui accablèrent son Père au cours des quarante ans de son ministère, et par la suite pendant son propre ministère.

Un des aspects de la vie de ‘Abdu’l-Baha devint évident à partir des déclarations qu’il fit à propos de sa propre santé. Par exemple, une fois à Paris, en 1913, lorsqu’il tomba malade, il en parla à ses compagnons. Il attesta que sa vie était maintenue non pas grâce aux lois de la physique, mais par le décret de la Providence. Il affirma qu’il y avait une sagesse à ce qu’il tombât malade à Paris. S’il n’y avait pas eu cette maladie, il ne serait pas resté plus d’un mois. Pourtant, il y séjourna pendant presque quatre mois. Lorsque l’on étudie son travail à Paris, nous comprenons que l’un des aspects importants de ce travail fut que, au cours de son séjour, plusieurs hommes d’Etat éminents et des personnalités influentes d’Orient le rencontrèrent, ressentirent le rayonnement de son esprit et furent subjugués par le pouvoir de ses paroles et le charme de son caractère. Parmi eux se trouvaient l’altier Prince Masu‘d Mirza, le Zillu’s-Sultan, le fils aîné de Nasiri’d-Din Shah, autrefois gouverneur d’Isfahan, sous l’administration de qui furent mis à mort les deux illustres frères, le «Roi des martyrs» et le «Bien-Aimé des martyrs».

Évoquant sa maladie, ‘Abdu’l-Baha dit à ses compagnons à Paris que sa vie n’était pas gouvernée par les lois de la nature. Cette maladie n’était pas due à des causes physiques, mais à la volonté de Dieu. Il relata l’histoire de sa maladie à l’âge de sept ans, lorsqu’il fut atteint de phtisie et que l’on croyait son cas sans espoir. Mais la main de Dieu se cachait derrière cette maladie. Sa sagesse s’avéra ultérieurement. Car s’il avait été en meilleure santé, on l’aurait envoyé vivre dans la demeure ancestrale de Baha’u’llah dans le Mazindaran, alors qu’à cause de sa maladie, il dut rester à Téhéran jusqu’au moment où Baha’u’llah fut incarcéré, y assister à la naissance de sa révélation et ensuite se rendre à Bagdad avec lui. Puis, soudain et malgré le verdict des médecins qui l’avaient déclaré incurable, il recouvra une santé parfaite.

La relation entre Baha’u’llah et ‘Abdu’l-Baha constitue l’une des caractéristiques les plus fascinantes de leur vie. ‘Abdu’l-Baha avait si pleinement reconnu le rang de son Père, que tout au long de sa vie, il manifesta envers lui l’humilité et le respect les plus absolus. Personne dans cette révélation n’a eu la capacité et la vision pour reconnaître le rang véritable de son Seigneur comme le fit ‘Abdu’l-Baha. C’est pour cette raison qu’il pouvait manifester envers Baha’u’llah l’étendue la plus profonde d’effacement de soi, et se considérer par rapport à lui comme le néant absolu.

Pour ne citer qu’un exemple: lorsque ‘Abdu’l-Baha allait retrouver son Père dans la maison de Bahji, en dehors d’Acre, il montait souvent un âne. Mais dès qu’il pouvait voir au loin cette Maison, il descendait de sa monture en signe d’humilité. C’était un véritable serviteur de Baha’u’llah et un serviteur ne monte pas sur sa monture en présence de son Seigneur. Non seulement ‘Abdu’l-Baha manifestait de l’humilité envers Baha’u’llah, mais par exemple, il enseignait aux compagnons de Baha’u’llah et à ses disciples, des leçons d’effacement de soi et de servitude au seuil de son Père. Lorsque les pèlerins arrivaient, c’était ‘Abdu’l-Baha qui les préparait en tous points pour ce moment glorieux où ils devaient entrer en présence de leur Seigneur. Il arrangeait même leurs vêtements et les aidait à s’affranchir de leur ego en sa présence.

Baha’u’llah, d’autre part, déversa toujours son amour et son affection tout particuliers sur ‘Abdu’l-Baha. Il chantait et glorifiait la personne de ‘Abdu’l-Baha, et lui conféra des titres exaltés. L’adoration de Baha’u’llah pour ‘Abdu’l-Baha ne connaissait aucune limite. Par exemple, lorsque ‘Abdu’l-Baha devait se rendre dans la Maison de Bahji, Baha’u’llah manifestait une grande joie et le désir de revoir son fils bien-aimé. Il envoyait souvent ses autres fils et les membres masculins de la famille à quelque distance de la Maison pour attendre la venue du Maître comme comité d’accueil, et l’escorter jusqu’à la Maison. Parfois, pendant ce temps, Baha’u’llah lui-même se tenait sur le balcon pour le voir arriver, et alors que ‘Abdu’l-Baha marchait, il faisait souvent remarquer sa majesté et louait la beauté de sa prestance et la force de son caractère. Mais, hélas, Baha’u’llah devait réprimer quelques fois cette grande adoration pour le Maître, afin que les frères de ‘Abdu’l-Baha et les autres membres de la famille qui n’avaient pas de qualités spirituelles, ne soient pas mordus par la jalousie.

La vie de ‘Abdu’l-Baha se distinguait par ses vertus et ses perfections. Nul besoin est d’insister sur cet aspect universellement reconnu. De nombreux auteurs, à la fois orientaux et occidentaux, ont chanté en termes flamboyants, la noblesse de son caractère et ont attesté de ses qualités divines. La révélation de Baha’u’llah, dont il était le récipiendaire, avait tellement empli son âme qu’il en devint son miroir parfait, reflètant la lumière de la foi de son Père sur l’ensemble de l’humanité et manifestant aux yeux de celle-ci les caractéristiques resplendissantes d’un parfait baha’i.

C’est l’une des extraordinaires bontés de Dieu que Baha’u’llah, en cet âge, ait accordé à l’humanité non seulement sa révélation, mais aussi un don inestimable en la personne de ‘Abdu’l-Baha qui occupe une position unique dans sa révélation. Bien qu’il ne soit pas investi du rang de Manifestation de Dieu, l’autorité que Baha’u’llah lui a conférée est telle que ses paroles ont la même validité que celles de Baha’u’llah et du Bab.

Peu après l’ascension de Baha’u’llah, il y eut des différends parmi les croyants au sujet du rang de ‘Abdu’l-Baha. Certains le considéraient comme ayant la même identité que Baha’u’llah - une croyance qui va à l’encontre des vérités fondamentales inscrites dans la Foi. Dans plusieurs épîtres, ‘Abdu’l-Baha a clarifié sa propre position. Il a expliqué que, bien qu’il fût le Centre de l’Alliance de Baha’u’llah et l’Interprète de ses paroles, il n’était néanmoins qu’un humble serviteur au seuil de Baha’u’llah. Dans l’une de ses épîtres, ‘Abdu’l-Baha écrit:

«Ceci est ma ferme, mon inébranlable conviction, l’essence de ma croyance déclarée et explicite – une conviction et une croyance que les habitants du royaume d’Abha partagent entièrement: la Beauté bénie est le Soleil de vérité, et sa lumière, la lumière de vérité. Le Bab est également le Soleil de vérité, et sa lumière, la lumière de vérité... Mon rang est le rang de la servitude, une servitude qui est complète, pure et réelle, fermement établie, durable, évidente, explicitement révélée et non sujette à quelque interprétation que ce soit... Je suis l’interprète de la parole de Dieu; telle est mon interprétation.» (r4)

À un moment, Haji Mirza Haydar-‘Ali, dont nous avons auparavant parlé, écrivit une lettre à ‘Abdu’l-Baha et lui demanda d’expliquer la signification des paroles de Baha’u’llah dans la Suriy-i-Ghusn et d’autres épîtres, y compris certains versets du Mathnavi concernant le rang exalté de la Branche. En réponse, ‘Abdu’l-Baha écrivit une épître dans laquelle il annonçait d’une manière des plus éloquente son rang de serviteur et suppliait le Tout-Puissant de le plonger dans l’océan de la servitude. Il fit ensuite l’affirmation suivante:

«Je suis, selon les textes explicites du Kitab i Aqdas et du Kitab i ‘Ahd, l’interprète manifeste de la parole de Dieu... Quiconque dévie de mon interprétation est victime de sa propre imagination capricieuse. (...) J’affirme que le véritable sens, la signification réelle, le secret le plus profond de ces versets, de ces mots eux mêmes, est ma propre servitude vis à vis du seuil sacré de la Beauté d’Abha, mon effacement complet, mon insignifiance absolue devant lui. Ceci est ma couronne resplendissante, mon ornement le plus précieux. J’en tire orgueil dans le royaume de la terre et du ciel. C’est là ma gloire au sein de la compagnie des élus bien aimés !» (r5)

Concernant le rang du Maître, Shoghi Effendi écrit:

«Bien qu’il évolue dans une sphère qui lui est propre, et bien qu’il occupe un rang radicalement différent de ceux de l’auteur et du précurseur de la révélation baha’ie, il forme avec eux, en vertu du rang qui a été ordonné pour lui par l’alliance de Baha’u’llah, ce qu’on peut appeler les trois figures centrales d’une foi qui demeure sans pareille dans l’histoire spirituelle du monde. De concert avec eux, il domine les destinées de cette foi de Dieu encore dans l’enfance, et se tient à une hauteur qu’aucun individu ou aucun corps constitué appelé après lui à pourvoir aux besoins de la foi ne pourra jamais espérer atteindre, avant qu’au moins un millénaire entier ne soit révolu.» (r6)

«Il est, et devrait être considéré à jamais, en tout premier lieu, comme le centre et le pivot de l’incomparable alliance universelle de Baha’u’llah, comme son oeuvre la plus exaltée, le miroir immaculé de sa lumière, l’exemple parfait de ses enseignements, l’interprète infaillible de sa parole, la personnification de chaque idéal baha’i, l’incarnation de toute vertu baha’ie, la plus Grande Branche issue de l’Antique Racine, le rameau de la loi de Dieu, l’être autour duquel gravitent tous les noms, la cause principale de l’unité de l’humanité, le symbole de la très grande paix, la lune de l’orbe central de cette très sainte dispensation ; titres et noms qui sont implicites, et trouvent leur expression la plus juste, la plus élevée et la plus parfaite dans le nom magique de ‘Abdu’l Baha. Il est, par delà ces appellations, le mystère de Dieu; une expression choisie par Baha’u’llah lui même pour le désigner et qui, alors qu’elle ne justifie en aucune manière que nous lui assignions le rang de prophète, nous indique comment, en la personne de ‘Abdu’l Baha, les caractéristiques incompatibles d’une nature humaine et d’une connaissance et d’une perfection suprahumaines ont été fondues et sont en complète harmonie.» (r7)


CHAPITRE 19: Le départ de Baha’u’llah d’Andrinople

Les activités des ennemis de Baha’u’llah, qui tentèrent de lui imposer l’incarcération la plus stricte, prirent de l’ampleur au début de l’année 1868. La période la plus glorieuse, et pourtant la plus troublée du ministère de Baha’u’llah - qui dura presque cinq ans - tirait à sa fin. Elle avait été une époque remarquable pour son dynamisme, ses épreuves et ses tribulations, ses défis, ses traîtres qui se tournèrent vers le mal et ses héros qui restèrent fermes contre les infidèles. Surtout, elle avait vu la puissante révélation de Dieu s’écouler et son message proclamé collectivement aux dirigeants du monde.

Les épîtres révélées par Baha’u’llah durant cette période sont en nombre si important que leur simple quantité ne peut manquer d’étonner un observateur impartial. Si nous devions écrire en détail même à propos des épîtres les plus connues révélées à Andrinople, ce livre prendrait de telles proportions impossibles qu’il nécessiterait plusieurs volumes. Tout ce que nous pouvons faire dans ces circonstances, c’est d’établir la liste de quelques-unes des épîtres les plus célèbres: Suriy-i-Bayan, Munajathay-i-Siyam (prières pour le jeûne), Lawh-i-Tuqa, Lawh-i-Ridvan, Lawh-i-Nuqtih, Suriy-i-Vidad, Suriy-i-Hijr, Suriy-i-Qalam, Suriy-i-Qamis, Suriy-i-Ahzan, Ridvanu’l-Iqrar.

La révélation d’épîtres importantes aussi nombreuses, et la proclamation du message de Baha’u’llah aux rois et dirigeants du monde, a donné à la Foi un tel ascendant, qu’au cours de l’été 1868, les autorités de Constantinople craignaient son prestige et son pouvoir grandissant. Les rapports exagérés et les calomnies de Siyyid Muhammad et de son complice Aqa Jan, ainsi que les autres démarches faites par le Mushiru’d-Dawlih, l’ambassadeur de Perse, auprès de la Sublime Porte, incitèrent le Gouvernement ottoman à déplacer hors de la métropole l’Auteur d’une foi aussi dynamique, et à le condamner à une détention en isolation dans une prison lointaine.

Les autorités de Constantinople furent alarmées par les nouvelles selon lesquelles plusieurs personnes de qualité, y compris Khurshid Pasha, le gouverneur d’Andrinople, étaient du nombre des fervents admirateurs de Baha’u’llah, qu’elles fréquentaient sa maison et lui montraient une vénération digne d’un roi. Ces mêmes autorités savaient que les consuls des gouvernements étrangers avaient aussi été attirés par lui et qu’ils parlaient souvent de sa grandeur. Les allées et venues de nombreux pèlerins à Andrinople aggravèrent encore plus cette situation. Fu’ad Pasha, le Ministre turc des Affaires étrangères, passa par Andrinople, fit une tournée d’inspection et soumit des rapports exagérés sur l’état et les activités de la communauté. De plus, quelques personnes au sein des autorités étaient tombées sur les écrits de Baha’u’llah et avaient pris connaissance de ses prodigieuses prétentions. Tous ces facteurs pesèrent lourd dans la décision au sujet du sort de Baha’u’llah et de ses compagnons.

Ceux qui furent principalement responsables de l’exil ultime de Baha’u’llah étaient le Premier Ministre, ‘Ali Pasha, le Ministre des Affaires étrangères, Fu’ad Pasha, et l’Ambassadeur de Perse, Haji Mirza Husayn Khan (le Mushiru’d-Dawlih). Ces trois-là collaborèrent étroitement jusqu’à ce qu’aboutissent leurs efforts pour bannir Baha’u’llah à Acre et lui imposer l’emprisonnement à vie à l’intérieur des murs de cette cité-prison. Baha’u’llah prophétisa que ‘Ali Pasha et Fu’ad Pasha seraient terrassés par la main de Dieu en châtiment de leurs actes. Nous reparlerons de leur sort dans le prochain volume.

Quant au Mushiru’d-Dawlih, Baha’u’llah lui avait un temps envoyé un message fort par l’intermédiaire de Haji Mirza Hasan-i-Safa, (n420) affirmant que si le but de l’ambassadeur en s’opposant à lui, était de détruire sa personne, il n’existait rien pour l’empêcher de mettre ses intentions à exécution contre un Prisonnier du pays. Cependant, s’il essayait d’exterminer la cause de Dieu, alors il devrait savoir qu’aucun pouvoir terrestre ne pourrait éteindre ce Feu que Dieu avait allumé sur la terre. Sa flamme embrasserait bientôt le monde entier.

Pourtant, le Mushiru’d-Dawlih fit tout ce qui était en son pouvoir pour faire appliquer l’emprisonnement de Baha’u’llah à Acre. Ce qui suit est la traduction d’une lettre qu’il écrivit à son gouvernement un peu plus d’un an après l’arrivée de Baha’u’llah à Acre:

«J’ai donné, par télégramme, des instructions écrites, pour lui (Baha’u’llah) interdire tout rapport avec qui que ce soit, à l’exception de ses femmes et de ses enfants, et lui défendre de quitter, en aucune circonstance, la maison dans laquelle il est emprisonné (...) Il y a trois jours, j’ai renvoyé ‘Abbas-Quli Khan, consul général à Damas, avec l’ordre de se rendre directement à Acre (...) pour conférer avec le gouverneur au sujet de toutes les mesures nécessaires visant au maintien sévère de leur emprisonnement (...) et pour nommer sur place, avant son retour à Damas, un représentant chargé de s’assurer que les ordres venant de la Sublime Porte ne seront transgressés d’aucune manière. Je lui ai également donné pour instructions de se rendre à Acre une fois tous les trois mois, de les surveiller lui-même et de soumettre son rapport à la légation.» (r1)

Alors que les années passaient, cependant, le Mushiru’d-Dawlih commença à comprendre que les accusations portées contre Baha’u’llah par ses ennemis étaient sans fondement. Il vit en lui des attributs divins et fut impressionné par son intégrité et le caractère élevé de ses intentions. Après avoir quitté son poste à Constantinople, il parla en bien de la droiture et de la dignité de Baha’u’llah dans les cercles gouvernementaux de Perse. À Téhéran, on rapporte qu’il aurait dit que Baha’u’llah était la seule personne hors de Perse à avoir apporté quelque honneur à la nation, et plus tard, il assura Nasiri’d-Din Shah que les disciples de Baha’u’llah n’oeuvraient pas contre les intérêts du pays, comme cela avait été allégué,

Dans l’Épître au Fils du Loup, Baha’u’llah l’a recommandé en ces termes:

«Feu son Excellence Mirza Husayn Khan, Mushiru’d Dawlih – que Dieu lui pardonne – a connu cet opprimé. Il a sans aucun doute fourni aux autorités un rapport circonstancié sur l’arrivée de cet opprimé à la Sublime Porte, ainsi que sur ses paroles et ses actes. (...) Feu Son Excellence – que Dieu exalte sa condition – n'a nullement agi par amitié pour cet opprimé, mais plutôt par sagacité et désir secret de servir son gouvernement. J’atteste que la malhonnêteté, qu'il méprisait souverainement, ne joua aucun rôle dans ses activités, tellement il était fidèle à son gouvernement. C’est pourtant lui qui fut responsable de la réclusion de ces opprimés dans la plus grande Prison (Acre). Toutefois, il mérite nos éloges car il fit preuve de fidélité dans l’accomplissement de sa tâche.» (r2)

Shaykh Kazim-i-Samandar, dont nous avons parlé auparavant, a écrit le récit suivant dans ses chroniques:

«Une fois, Shaykh Salman fut arrêté et emprisonné à Alep par le consul de Perse, parce qu’il transportait un certain nombre de lettres et quelques marchandises destinées à Baha’u’llah de la part des croyants. Haji Mirza Husayn Khan-i-Qazvini était l’ambassadeur à cette époque. Il arriva qu’il passait par Alep à ce moment-là, et par conséquent, il lut soigneusement toutes les lettres, dont le total se chiffrait à environ trois cents. Il remarqua qu’aucune d’entre elles n’abordait de sujets politiques ou matériels. Elles étaient toutes des supplications et des interrogations portant sur des questions spirituelles. Il ordonna par conséquent que toutes les lettres et les marchandises fussent restituées à leur propriétaire. Puis il convoqua Shaykh Salman dans son bureau et lui demanda de transmettre ses salutations à Baha’u’llah. Lorsque ce serviteur, l’auteur, se trouva en présence de la Beauté bénie en l’an 1291 de l’Hégire (1874-1875), il me questionna à propos de l’attitude et du comportement de Haji Mirza Husayn Khan qui était alors la personnalité la plus éminente de Perse. Au cours de ses causeries, Baha’u’llah déclara que Haji Mirza Husayn Khan était plus prudent que le reste des autorités de Perse, et que finalement, il avait corrigé son attitude à son égard.» (r3)

En parlant de Haji Mirza Husayn Khan, Baha’u’llah a dit dans l’une de ses épîtres, que depuis qu’il avait changé d’attitude et parce qu’il était apparenté à un croyant, Dieu pourrait pardonner ses mauvaises actions, par sa bonté. Le croyant auquel le Mushiru’d-Dawlih était apparenté, était un natif de Qazvin, Mirza Muhammad-’Aliy-i-Kad-Khuda. C’était un disciple dévoué de Baha’u’llah, décrit par Shaykh Kazim-i-Samandar comme «un homme paré des qualités spirituelles et des vertus humaines, d’une foi bien informée et sincère, un qui manifestait ces qualités pleinement dans ses fréquentations avec les gens et dans les cercles d’affaires». (r4)

Cette déclaration selon laquelle Dieu peut pardonner à une âme à cause de la parenté avec un croyant est explicite dans les écrits de Baha’u’llah. Dans l’une de ses épîtres, (r5) il affirme que l’une des générosités particulières de Dieu en cette révélation, consiste en ce que dans l’autre monde, son pardon et sa miséricorde entoureront les âmes de ceux qui, bien qu’ils n’aient pas prêté allégeance à sa Cause, sont apparentés à un croyant, pourvu qu’ils n’aient pas desservi la foi de Baha’u’llah, ni causé de tort à ses bien-aimés pendant leur vie.

Cette générosité est tout particulièrement vraie pour les parents qui n’embrassent pas la Foi. Dans une épître, (r6) Baha’u’llah déclare que dans cette révélation, Dieu a accordé une bonté spéciale à ces croyants dont les parents n’ont pas été sensibles à la lumière de la Foi. Il affirme que dans l’autre vie, Dieu illuminera les âmes des parents par ses faveurs et sa miséricorde. Dans l’une de ses épîtres, (r7) ‘Abdu’l-Baha écrit que les croyants devraient prier avec ferveur pour les âmes de leurs parents non-baha’is décédés. Ils devraient, les larmes aux yeux, implorer Dieu pour son pardon et accomplir des actes de bienveillance en leur nom, afin que Dieu puisse, par sa grâce, permettre à leurs âmes de progresser dans ses mondes spirituels.

Tandis que les autorités de Constantinople s’engageaient activement dans leur campagne d’opposition contre Baha’u’llah, Khurshid Pasha, le gouverneur d’Andrinople, fit tout ce qui était en son pouvoir pour changer le cours des choses mais ses efforts échouèrent. Enfin, ‘Ali Pasha, le Premier Ministre, parvint à s’assurer du sultan ‘Abdu’l-‘Aziz, un édit impérial daté du 5 Rabi’u’l-Akhir de l’an 1285 de l’Hégire (26 juillet 1868), qui ordonnait l’exil de Baha’u’llah vers la Forteresse d’Acre et son emprisonnement à vie au sein des murs de cette cité-prison. Dans le même édit, cinq autres personnes, dont les noms sont cités, devaient être exilées avec lui. Il s’agissait des deux frères fidèles de Baha’u’llah, Aqay-i-Kalim et Mirza Muhammad-Quli, de son fidèle serviteur Darvish Sidq-‘Ali, de l’Antéchrist de la révélation baha’ie Siyyid Muhammad-i-Isfahani et de son complice Aqa Jan Big. Mirza Yahya était condamné à la prison à vie à Famagouste avec quatre autres disciples de Baha’u’llah: Mirza Husayn, surnommé Mishkin-Qalam, ‘Aliy-i-Sayyah, Muhammad-Baqir-i-Qahvih-chi et ‘Abdu’l-Ghaffar.

Des ordres stricts furent donnés dans l’édit aux autorités d’Acre, leur ordonnant de loger les prisonniers dans une maison à l’intérieur de la Forteresse, de garder celle-ci de manière la plus efficace et de s’assurer que les exilés ne fréquentent personne.

Lorsque Khurshid Pasha fut informé de l’édit et apprit la nouvelle du bannissement immédiat de Baha’u’llah, il sut qu’il ne pourrait se résoudre à notifier à Baha’u’llah le contenu de l’ordre du Sultan. Il était si gêné qu’il s’absenta de son bureau et laissa la tâche au greffier.

Mirza Aqa Jan, le secrétaire de Baha’u’llah, a décrit (r8) les événements menant au départ de Baha’u’llah d’Andrinople. Il déclare qu’un soir, tard dans la nuit, Baha’u’llah ordonna à Jamal-i-Burujirdi ainsi qu’à deux croyants qui étaient venus de Perse dans le but de le rencontrer, de quitter immédiatement la ville et de retourner en Perse. Personne ne comprit la sagesse de cette action sur le moment, mais elle devint évidente le lendemain matin, lorsque quelques fonctionnaires du gouvernement vinrent se renseigner sur les allées et venues de Jamal. Il leur fut répondu qu’il avait quitté la ville quelques heures auparavant. (Il convient de mentionner en cet instant que, avant de quitter Andrinople, Jamal-i-Burujirdi avait rendu un service important à la Foi en Perse. Avec Mulla ‘Ali-Akbar-i-Shahmirzadi, connu sous le nom de Haji Akhund, (n421) que Baha’u’llah éleva plus tard au rang de Main de la cause de Dieu, il avait reçu l’ordre de transférer les restes du Bab cachés dans le mausolée de l’Imam-Zadih Ma‘sum vers un autre lieu sûr, sur ordre de Baha’u’llah en l’an 1284 de l’Hégire (1867-1868). Les détails de ce transfert et des autres qui suivront jusqu’à ce que les restes soient inhumés pour toujours au coeur de la montagne sacrée de Dieu, le Mont Carmel, constituent l’un des épisodes les plus intéressants dans les annales de la Foi.) (n422)

Mirza Aqa Jan affirme que le lendemain du départ de Jamal d’Andrinople, les membres de la communauté furent raflés au petit matin et emmenés aux quartiers généraux du gouvernement. Ils furent mis en garde à vue tandis que des soldats cernaient la maison de Baha’u’llah et postaient des sentinelles à ses portes. Un officier représentant la Sublime Porte, convoqua et informa ‘Abdu’l-Baha que Baha’u’llah et sa famille devaient se rendre à Gallipoli. (n423) D’après le témoignage de Mirza Aqa Jan, les officiers avaient indiqué que seuls les douze compagnons qui avaient accompagné Baha’u’llah à Andrinople, devaient faire le voyage avec lui jusqu’à Gallipoli. Mais le reste des croyants fut extrêmement perturbé par cette proposition. Ils voulaient tous accompagner leur Seigneur. Plusieurs d’entre eux, qui possédaient des commerces dans la cité, abandonnèrent leurs affaires, vendirent ce qu’ils purent à très bas prix et laissèrent bon nombre de leurs biens derrière eux.

Aqa Riday-i-Shirazi, (n424) connu sous le nom de Aqa Riday-i-Qannad (confiseur), l’un des compagnons de Baha’u’llah, qui était venu avec lui de Bagdad, a écrit au sujet de la réaction des habitants d’Andrinople à ces événements:

«Une grande agitation saisit le peuple. Tous étaient perplexes et pleins de regret (...) Les uns exprimaient leur sympathie, d’autres nous consolaient et pleuraient sur nous (...) La plupart de nos biens furent vendus aux enchères, à la moitié de leur valeur.» (r9)

Un autre croyant, Husayn-i-Ashchi, (n425) qui servit Baha’u’llah comme cuisinier pendant de nombreuses années, a laissé le récit suivant (n426) concernant les événements qui menèrent au départ de Baha’u’llah pour Gallipoli:

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Des ordres furent donnés de Constantinople pour l’exil de Baha’u’llah vers la Syrie. Comme les efforts de Khurshid Pasha n’avaient pu changer le cours des événements, il se sentait honteux de se retrouver en présence de Baha’u’llah et par conséquent, il annonça son départ pour une autre ville. Il quitta Andrinople en laissant les affaires du gouvernement entre les mains d’un fonctionnaire. Pourtant, il ne se rendit pas dans une autre ville ; il se retira simplement dans une résidence d’été dans les faubourgs d’Andrinople. Un après-midi, après avoir travaillé à la cuisine, je suis allé au bazar. Je suis allé voir Aqa Riday-i-Shirazi et Mirza Mahmud-i-Kashani (n427) dans leur boutique. Je n’étais là que depuis quelques minutes lorsque deux soldats appelèrent les deux hommes et les convoquèrent aux quartiers généraux du gouvernement. J’ai essayé de quitter la boutique, mais les soldats m’attrapèrent et m’emmenèrent avec eux. Je remarquai que tous les amis qui avaient des boutiques dans le bazar avaient été emmenés aux quartiers généraux. On nous a tous recensés, (n428) puis on a enregistré les renseignements particuliers de chacun d’entre nous. Lorsqu’ils comprirent que j’étais le cuisinier de la maisonnée de Baha’u’llah, on appela un soldat et on lui ordonna de m’escorter jusqu’à la maison de Baha’u’llah...

Alors que nous nous approchions de la maison, je remarquai qu’un certain nombre de soldats étaient en poste et que des sentinelles avaient été placées à l’extérieur de l’entrée. Je fus effrayé par ce que je vis. Je fus arrêté alors que je tentais d’entrer dans la maison, quand bien même le soldat qui m’avait escorté, eût expliqué les circonstances. On me répondit que seul l’officier responsable pouvait donner la permission d’entrer et il se trouvait dans l’appartement extérieur, à converser avec ‘Abdu’l-Baha (...) Finalement, je fus autorisé à entrer et introduit directement en présence de Baha’u’llah. Il demanda des nouvelles de la situation en ville, mais j’étais si effrayé (n429) que je pouvais à peine parler. Ma bouche était asséchée par la peur. Je sortis de la pièce et demandai à boire de l’eau. Puis, je me sentis mieux et revins en présence de Baha’u’llah. Il me regarda, sourit et fit, non sans humour: «Le Kashi a-t-il eu peur ? » (n430)

Je lui racontai toute l’histoire. Il m’envoya alors chez Aqay-i-Kalim avec le message de venir immédiatement (...) J’accompagnai Aqay-i-Kalim jusqu’à l’entrée de la maison de Baha’u’llah. Je fus autorisé à entrer, mais les soldats arrêtèrent Aqay-i-Kalim qui envoya un message à Baha’u’llah demandant, comme il était libre de se déplacer en ville, s’il y avait quoi que ce soit qu’il puisse faire pour aider. Lorsque je lui transmis ce message, il dit: «Dis à Aqay-i-Kalim d’entrer. Nous ne recherchons l’aide de personne, nos affaires ne sont pas entre les mains de n’importe qui, mais entre les mains de Dieu.» (n431) J’allais voir ‘Abdu’l-Baha et lui fit part de ces paroles, et il demanda à l’officier de laisser entrer Aqay-i-Kalim, ce qu’il fit. C’était cet officier qui avait transmis à ‘Abdu’l-Baha la nouvelle que le gouverneur, Khurshid Pasha, n’était pas disponible et qu’il avait été chargé de lui notifier les ordres de Constantinople qui exigeaient le départ de Baha’u’llah dans les deux jours à destination de la Syrie...

Cependant, Baha’u’llah dit aux autorités que deux jours ne constituaient pas une durée adéquate pour se préparer pour le voyage. Il les informa que l’intendant de sa maison devait de l’argent à quelques fournisseurs du bazar. Il exigeait que les autorités libèrent ses hommes emprisonnés à Constantinople et leur permettent de vendre les trois chevaux, (n432) afin que chaque créancier du bazar puisse être payé. Alors il serait possible de partir (...) Tous les jours, des officiers venaient dans l’appartement extérieur et rencontraient ‘Abdu’l-Baha. Les soldats avaient cerné la maison et étaient en poste jour et nuit. Cette situation dura huit jours...

Plusieurs consuls de puissances étrangères vinrent rencontrer Baha’u’llah et les soldats ne les empêchaient pas d’entrer. Tous, ils témoignèrent d’un respect et d’une humilité authentiques envers Baha’u’llah et lui proposèrent la protection de leurs gouvernements respectifs. Mais Baha’u’llah déclara clairement qu’il ne recherchait l’aide d’aucun gouvernement. Dieu était son seul refuge (...) Les consuls vinrent à plusieurs reprises, et peu importait combien ils insistaient, Baha’u’llah rejeta leurs propositions et réaffirma qu’il avait placé sa confiance en Dieu et qu’il se tournait vers lui tout le temps...

Une fois, Baha’u’llah conseilla à quelques-uns des amis qui étaient arrivés récemment, d’éviter de venir et de ne pas faire partie de la communauté des exilés. Il leur adressa des paroles de consolation, et leur dit que sa destination était inconnue (...) Parmi ceux à qui Baha’u’llah avait conseillé de ne pas venir, se trouvaient deux frères, Haji Ja‘far-i-Tabrizi et Karbila’i Taqi (...) qui étaient venus à Andrinople pour rencontrer Baha’u’llah. C’étaient des hommes courageux, à la stature imposante, enthousiastes et passionnés. Après avoir entendu le conseil de Baha’u’llah de ne pas songer à l’accompagner, Haji Ja‘far décida en secret qu’il préfèrerait mourir plutôt que de vivre loin de son Seigneur. Il emporta avec lui un rasoir à l’appartement extérieur de la maison qui était pleine d’officiers de l’armée et de fonctionnaires du gouvernement, se mit à une fenêtre qui donnait sur la rue et, la tête dehors, il se trancha la gorge. (n433) Non loin de là dans la salle, se trouvait Aqa Muhammad-‘Aliy-i-Tambaku-Furush qui entendit un cri terrifiant venant de Haji Ja‘far. Il le tira vers l’intérieur de la salle et découvrit qu’il avait la gorge tranchée. Ils appelèrent immédiatement ‘Abdu’l-Baha. Tout le monde fut très choqué par cette vision. À ce moment-là, j’arrivai dans l’appartement extérieur pour recenser le nombre de personnes afin que je puisse apporter à souper pour tout le monde. La Plus-Sainte-Feuille était à la cuisine à attendre que je lui dise combien il y avait de personnes. Mais lorsque je vis Haji Ja‘far dans cet état, chancelant dans toute la pièce, le sang coulant à flot partout, je fus cloué sur place, devant ce spectacle, sidéré et en état de choc. Les soldats disaient à Haji Ja‘far qu’un chirurgien venait pour s’occuper de ses blessures, mais bien qu’il ne pût parler, il leur fit comprendre par signes que même si le chirurgien était capable de lui recoudre ses blessures, il se trancherait de nouveau la gorge...


Comme je ne revenais pas en cuisine, la Plus-Sainte-Feuille envoya la veuve de Mirza Mustafa (n434) pour venir me chercher immédiatement. Mais lorsqu’elle vit Haji Ja‘far dans cet horrible état, elle s’évanouit et tomba inconsciente à terre. Puis, la cuisine envoya une autre personne - une domestique chrétienne - afin de venir voir ce qui provoquait ce retard. Elle s’évanouit aussi et tomba aux côtés de la veuve de Mirza Mustafa !

Entre temps, ‘Abdu’l-Baha m’envoya dans les appartements privés de la maison pour rapporter quelques-uns de ses vêtements afin qu’il puisse changer ceux de Haji Ja‘far. Sur le chemin, je trouvai les deux femmes tombées inconscientes à l’entrée. J’aspergeai leur visage d’eau et les frictionnai jusqu’à ce qu’elles reprennent conscience. Nous sommes tous les trois entrés dans la cuisine. Lorsque la sainte famille nous vit dans cet état, effrayés et tremblants, ils voulurent savoir ce qui s’était passé, en particulier lorsque je demandai les habits du Maître. Je racontai que le Maître avait beaucoup transpiré dans la foule et qu’il souhaitait se changer ! Mais la Plus-Sainte-Feuille ne m’a pas cru. Elle dit: «Dis-moi la vérité, qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi êtes-vous tous si effrayés ?» J’essayai encore de lui cacher la nouvelle, mais elle m’enjoignit affectueusement de lui dire la vérité en faisant remarquer que le fait de la taire causerait beaucoup d’angoisse chez tout le monde dans la maison. Alors je lui racontai l’histoire (...) et suggérai que cette nouvelle ne fût annoncée à Baha’u’llah après seulement qu’il eût son souper. La Plus-Sainte-Feuille rejeta mon idée comme faible et m’admonesta en disant que ce n’était pas la première fois qu’une chose pareille arrivait. Des milliers d’amoureux déjà avaient versé leur sang dans le sentier de la Beauté bénie...

Quant à Haji Ja‘far, ‘Abdu’l-Baha lui enjoignit de coopérer avec le chirurgien lorsque celui-ci arriva et il lui promit qu’il serait autorisé à se joindre à Baha’u’llah. Ils appliquèrent du coton sur sa plaie jusqu’à ce qu’un chirurgien compétent du nom de Muhammad vienne. Mais Haji Ja‘far était réticent à ce que l’on recouse sa gorge. Il continuait à dire: «Loin de mon Bien-Aimé, cette vie n’a aucun sens pour moi...» Finalement, la Beauté ancienne vint à son chevet (...) et de ses mains, toucha la tête et le visage de Haji Ja‘far, l’assurant qu’il l’appellerait vers son nouvel exil dès que ses blessures seraient guéries. Il le pressa de rester à Andrinople jusqu’à ce qu’il eût complètement recouvré la santé. (n435) Lorsque Baha’u’llah retourna dans sa chambre, le chirurgien commença à recoudre la plaie, mais le fil ne cessait de se rompre. Il dut répéter l’opération plusieurs fois. Durant cette épreuve, Haji Ja‘far resta immobile. Il supporta la douleur avec une telle force que pas une seule fois un trait de son visage ne se déforma !

Concernant le départ de Baha’u’llah pour Gallipoli, les autorités donnèrent une réponse favorable à sa requête au sujet de la libération des prisonniers détenus à Constantinople (...) et firent parvenir une somme d’argent correspondant à la valeur des chevaux. Ensuite les préparatifs commencèrent pour le voyage et l’étendard de deuil fut hissé en ville. L’âme de nombreuses personnes se consuma dans le feu de la séparation d’avec leur Bien-Aimé et leur coeur se lamenta de leur éloignement d’avec lui (...) Tous les meubles furent vendus aux enchères à un très bas prix. Il fallut huit jours pour que tout soit prêt. Puis on amena environ cinquante chariots pour nous tous. Beaucoup de gens, musulmans, chrétiens et juifs, s’entassaient autour des chariots, en sanglots et frappés par le chagrin (...) Les scènes de lamentation furent encore plus émouvantes que celles qui avaient eu lieu quelques années auparavant au moment du départ de Baha’u’llah de Bagdad (...) Baha’u’llah prononça des paroles de réconfort pour tous et leur dit adieu (...) À Gallipoli, nous avons abrité tous nos effets personnels dans un caravansérail tandis que nous logions dans une maison. Baha’u’llah, la sainte famille ainsi que les femmes du groupe résidaient à l’étage et nous autres, étions au rez-de-chaussée. (r10)
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Parmi ceux qui arrivèrent à Gallipoli en provenance de la prison de Constantinople, se trouvaient Mishkin-Qalam, ‘Aliy-i-Sayyah, ‘Abdu’l-Ghaffar et Muhammad-Baqir-i-Qahvih-chi, qui furent tous condamnés à accompagner Mirza Yahya à Chypre, alors que Darvish Sidq-‘Ali, dont le nom figurait dans l’édit royal, devait accompagner Baha’u’llah à Acre. Les deux autres prisonniers, Ustad Muhammad-‘Aliy-i-Salmani et Jamshid-i-Gurji, furent déportés vers les confins de la Perse. Il semble que ces deux hommes furent libérés de prison en partie grâce à l’intervention rapide de Mir Muhammad-i-Mukari, (n436) qui, en apprenant que ces deux hommes n’avaient pas été relâchés, se rendit à la Sublime Porte et exigea avec véhémence leur libération immédiate.

Salmani et Jamshid-i-Gurji furent emmenés prisonniers vers l’une des villes frontalières et remis aux autorités kurdes pour transfert vers la Perse. Les Kurdes, qui trouvèrent que ces prisonniers étaient des hommes intègres, innocents de tout crime, les libérèrent et les deux hommes réussirent à retrouver leur chemin vers la Prison d’Acre où ils furent réunis avec leur Seigneur.

Shoghi Effendi a brièvement décrit le départ de Baha’u’llah d’Andrinople:

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Le 22 du mois de Rabi’u’th-Thani 1285 de l’Hégire (12 août 1868), Baha’u’llah et sa famille, escortés d’un capitaine turc du nom d’Hasan Effendi et d‘autres soldats fournis par le gouvernement local, se mirent en route pour un voyage de quatre jours vers Gallipoli, se déplaçant en chariot et s’arrêtant en route à Uzun-Kupru et Kashanih ; c’est dans ce dernier village que fut révélée la Suriy-i-Ra’is. «Les habitants du quartier où Baha’u’llah avait vécu et les voisins, qui s’étaient rassemblés pour lui dire adieu, vinrent, l’un après l’autre», écrit un témoin oculaire, «avec la plus grande tristesse et le plus profond regret, embrasser ses mains et le bord de son vêtement, tout en exprimant leur chagrin de son départ. Ce jour-là aussi fut un jour étrange. Il me semble que la ville, ses murs et ses portes déplorèrent leur imminente séparation d’avec lui: «Ce jour-là», écrit un autre témoin oculaire, «il y eut un étonnant rassemblement de musulmans et de chrétiens devant la porte de la maison de notre Maître. L’heure du départ fut mémorable. La plupart de ceux qui étaient présents pleuraient et gémissaient, surtout les chrétiens.» «Dis, cet Homme juvénile a quitté ce pays», écrit Baha’u’llah dans la Suriy-i-Ra’is, «et il a déposé sous chaque arbre et sous chaque pierre une espérance que Dieu, avant longtemps, fera éclore par le pouvoir de vérité.»

Plusieurs des compagnons amenés de Constantinople les attendaient à Gallipoli. À son arrivée, Baha’u’llah fit la déclaration suivante à Hasan Effendi qui, son devoir accompli, prenait congé: «Dites au roi que ce territoire lui échappera et que ses affaires seront précipitées dans la confusion.» «À ceci», écrit Aqa Rida qui rapporte cette scène, «Baha’u’llah ajouta: «Ce n’est pas moi qui dis ces paroles, c’est Dieu.» En ces moments-là, il prononçait des versets que, de l’étage inférieur où nous étions, nous pouvions surprendre. Ils étaient exprimés avec une telle force, qu’en vérité, les fondations mêmes de la maison en tremblaient.»

Même à Gallipoli où ils passèrent trois nuits, nul ne savait quelle serait la destination de Baha’u’llah. Certains croyaient que lui et ses frères seraient bannis d’un côté, et que les autres seraient dispersés et envoyés en exil. D’autres pensaient que ses compagnons seraient renvoyés en Perse, d’autres encore s’attendaient à être exterminés sur-le-champ. Au début, l’arrêté du gouvernement stipulait que Baha’u’llah, Aqay-i-Kalim et Mirza Muhammad-Quli seraient bannis à Acre avec un domestique, et que les autres devraient se rendre à Constantinople. Cet arrêté, qui provoqua des scènes d’un indescriptible désespoir, fut toutefois rapporté, grâce à l’insistance de Baha’u’llah et au concours de ‘Umar Effendi, le major désigné pour accompagner les exilés. Finalement, il fut décidé que tous les exilés, au nombre d’environ soixante-dix, seraient bannis à Acre. De plus, des instructions furent données afin qu’un certain nombre de partisans de Mirza Yahya, parmi lesquels se trouvaient Siyyid Muhammad et Aqa Jan, accompagnent ces exilés et que, par ailleurs, quatre des compagnons de Baha’u’llah partent avec les Azalis pour Chypre.

Les dangers et les épreuves encourus par Baha’u’llah, au moment de son départ de Gallipoli, étaient si grands qu’il avertit ses compagnons que «ce voyage serait différent de tous les précédents», et que celui qui ne se sentait pas «assez fort pour affronter l’avenir» ferait mieux «d’aller où il lui convenait et de se mettre à l’abri des épreuves car, par la suite, il ne lui serait plus possible de s’en aller», avertissement que ses compagnons, à l’unanimité, décidèrent de ne pas prendre en considération.

Au matin du 2 Jamadiyu’-Avval 1285 de l’Hégire (21 août 1868), ils s’embarquèrent tous sur un vapeur autrichien de la Lloyd pour Alexandrie, faisant escale à Madelli et s’arrêtant deux jours à Smyrne où Jinab-i-Munir, surnommé Ismu’llahu’l-Munib, tomba gravement malade et dut, à son grand désespoir, être transporté dans un hôpital où il ne tarda pas à mourir. À Alexandrie, (n437) ils furent transbordés dans un vapeur de la même compagnie faisant route vers Haïfa où ils débarquèrent, après un bref arrêt à Port-Saïd et à Jaffa. Quelques heures plus tard, ils repartirent, sur un voilier, pour Acre où ils arrivèrent dans le courant de l’après-midi du 12 Jamadiyu’l-Avval 1285 de l’Hégire (31 août 1868). C’est au moment où Baha’u’llah avait pris place dans le bateau qui devait le conduire au débarcadère de Haïfa que ‘Abdu’l-Ghaffar, l’un des quatre compagnons condamnés à partager l’exil de Mirza Yahya, et que Baha’u’llah avait hautement loué pour son «détachement, son amour et sa confiance en Dieu», se jeta, de désespoir, dans la mer, criant: «Ya Baha’u’l-Abha». Sauvé ensuite, il ne fut ramené à grand peine à la vie que pour être forcé par des fonctionnaires inflexibles à continuer son voyage avec la bande de Mirza Yahya, vers la destination qui lui avait été assignée à l’origine. (n438) (r11)
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* SURIY-I-RA’IS :

La Suriy-i-Ra’is fut révélée en l’honneur de Haji Muhammad Isma‘il-i-Kashani, surnommé Dhabih (Sacrifice) et Anis (Compagnon) par Baha’u’llah, Elle est écrite en arabe (n439) et elle s’adresse à ‘Ali Pasha, le Grand Vizir de Turquie. Dhabih, à la différence de son demi-frère Haji Mirza Ahmad, (n440) était un croyant fidèle et un homme pieux. Il arriva à Andrinople au moment où la maison de la Beauté bénie était cernée par des soldats. Par conséquent, il ne put rencontrer Baha’u’llah qui lui conseilla de se rendre à Gallipoli. Dhabih écrivit une lettre à Baha’u’llah et cette épître fut révélée en son honneur. Ce fut après la révélation de la Suriy-i-Ra’is et avec la permission de Baha’u’llah, qu’il le rencontra dans les bains publics de Gallipoli.

Ce qui suit est un bref récit de la vie et des activités de Dhabih, tels que narré par Shaykh Kazim-i-Samandar dans ses mémoires:

«... Haji Muhammad Isma‘il-i-Dhabih de Kashan était un frère de feu Haji Mirza Jani. Lorsque le Bab était en route vers Téhéran (...) Il honora ces frères en séjournant chez eux (n441) (...) Dans les premiers jours de la Foi, ces deux frères collaborèrent à la promotion de la cause de Dieu, jusqu’au martyre de Haji Mirza Jani. (n442) Après la déclaration de Baha’u’llah, et à la suite de beaucoup de recherche et d’effort de sa part, Dhabih devint un disciple fervent de Baha’u’llah. Dès cette époque, il s’engagea dans l’enseignement de la Foi et la transcription des écrits. Il voyagea à Andrinople, mais son périple coïncida avec l’époque de troubles et de persécutions dans ce pays, une époque où la maison de Baha’u’llah et celles des croyants étaient gardées par des troupes et où personne n’était autorisé à entrer. Dhabih et ceux qui l’accompagnaient se rendirent à Gallipoli. La Suriy-i-Ra’is fut révélée en ces jours-là...
Au retour de ce voyage, il consacra son temps à enseigner la Cause et à diffuser les parfums de Dieu avec l’énergie et la fermeté les plus absolues. Il exerça une telle influence à Téhéran que le Nayibu’s-Saltanih (n443) l’arrêta et l’emprisonna. Au cours des interrogatoires qui s’ensuivirent, Dhabih enseigna ouvertement la Foi. Les autorités prirent une photographie de lui pour présentation au Chah et des exemplaires de cette photographie sont disponibles auprès des amis. Plus tard, il se rendit à Tabriz via Qazvin où il mourut, (n444) s’envolant vers les royaumes d’éternité...» (r12)

Dans l’une de ses épîtres (r13) adressée à Dhabih, Baha’u’llah le presse de se lever et d’enseigner sa Cause, car Dieu l’a créé dans ce but. Dans une autre épître adressée à Ghulam-‘Ali, le fils de Dhabih, Baha’u’llah déclare que Dhabih souhaitait donner sa vie dans le sentier de Dieu et il affirme qu’il avait le rang d’un martyr aux yeux de Dieu et qu’il fut honoré du nom de Dhabih (Sacrifice) par la Plume du Très-Haut.

La révélation de la Suriy-i-Ra’is commença peu après le départ de Baha’u’llah d’Andrinople, dans le village de Kashanih et fut achevée à Gyawur-Kyuy sur la route vers Gallipoli.

La première partie de cette Sourate s’adresse à ‘Ali Pasha, que Baha’u’llah appelle Ra’is (Chef). C’est là l’une de ses épîtres les plus audacieuses, où la Langue de pouvoir et de puissance réprimande le Premier Ministre. Dans l’introduction, Baha’u’llah demande à ‘Ali Pasha d’écouter la voix de Dieu, qui appelle à travers la terre et le ciel et invite vers lui l’humanité. Il déclare qu’aucune puissance sur terre ne peut le priver de proclamer son message, et dans un langage fort, il décrète sans équivoque que ni l’opposition de ‘Ali Pasha, ni celle de ses associés, ne peuvent l’empêcher de mettre à exécution son dessein. Il fustige ‘Ali Pasha pour s’être allié avec l’ambassadeur de Perse et commettre ce qui a fait se lamenter Muhammad, le Prophète de Dieu, dans le paradis le plus élevé. Il proclame la grandeur de sa révélation et le rang exalté de son Auteur, affirme que s’il devait dévoiler sa gloire restée cachée à cause de la faiblesse de l’homme, l’ensemble de la création se sacrifierait en son sentier.

Dans cette épître, Baha’u’llah identifie ‘Ali Pasha avec ceux qui ont renié les Manifestations des révélations passées et se sont élevés contre elles. Il rappelle l’arrogance de l’Empereur de Perse au temps de Muhammad, la transgression de Pharaon commise contre Moïse et les actes maléfiques perpétrés par Nimrod contre Abraham. S’adressant directement à ‘Ali Pasha, Baha’u’llah affirme que ses efforts pour étouffer le feu de la Cause que les mains de Dieu ont allumé, n’auront aucune conséquence. Au contraire, ils aideront à ventiler la flamme en un brasier. Il prophétise que sous peu, ce feu embrassera le monde entier et que sa révélation animera l’âme de toute l’humanité.

La Suriy-i-Ra’is fut révélée à une époque où Baha’u’llah et ses compagnons étaient extérieurement affligés de tribulations et d’indignités à la veille de leur bannissement à Acre. Pourtant, ce fut de la Plume du Très-Haut que ces avertissements menaçants furent donnés à celui qui était à la tête du gouvernement turc de l’époque et l’auteur principal des cruelles injustices commises contre Baha’u’llah.

«Proche est le jour où le Pays du mystère (Andrinople) et ses environs seront transformés. Ils échapperont des mains du roi et seront ébranlés ; la voix des lamentations s'élèvera, les preuves des méfaits seront visibles de toutes parts, la confusion sera partout en raison du sort que les armées de l’oppression ont infligé à ces prisonniers. Le cours des choses sera changé, les conditions deviendront si dramatiques que le sable même des collines désolées gémira, les arbres sur les montagnes sangloteront et le sang jaillira de toutes choses. Tu verras alors le peuple dans une profonde détresse.» (n445) (r14)

Dans un passage de la Suriy-i-Ra’is, Baha’u’llah détourne son attention de ‘Ali Pasha et il s’adresse à Dhabih avec des paroles d’affectueuse bonté et d’estime. Il affirme que, alors que les soldats montaient la garde, il se trouvait dans un état d’intense joie et de contentement, que rien n’aurait été plus méritoire à ses yeux que le martyre dans le sentier de Dieu. Il relate les actes tragiques des autorités gouvernementales lorsqu’elles envoyèrent la troupe pour cerner sa résidence et celles de ses bien-aimés, et il déclare que les croyants et sa famille furent laissés sans nourriture la première nuit du siège. il dépeint, dans les termes qui suivent, des scènes de lamentation des habitants d’Andrinople le jour de son départ de cette cité:

«La foule entourait la maison ; musulmans et chrétiens pleuraient sur notre sort (...) Nous remarquâmes que les sanglots du peuple du Fils (les chrétiens) étaient plus forts que ceux des autres - un signe qui fait réfléchir.» (r15)

Il décrit la tentative par Haji Ja‘far-i-Tabrizi de se tuer à cause de l’amour qu’il chérissait pour son Seigneur, attestant qu’un tel acte était «inouï aux siècles passés». C’était un acte que «Dieu a mis en exergue pour cette révélation, preuve du pouvoir de sa puissance.» (r16) Il rappelle un incident similaire à Bagdad, lorsque Siyyid Isma‘il de Zavarih avait été tellement transporté par l’océan de l’amour qui jaillissait en son coeur, qu’il s’était tué en se tranchant la gorge. (n446) Baha’u’llah déclare que ces âmes étaient si hypnotisées par son amour qu’elles étaient poussées par une impulsion incontrôlable à sacrifier leur vie, et il affirme que, en dépit du fait qu’en procédant ainsi, elles agissaient contre ses commandements, elles sont plongées dans l’océan de son pardon et ont atteint un rang exalté dans les royaumes de Dieu.

Dans la Suriy-i-Ra’is, Baha’u’llah affirme que les tribulations et les souffrances infligées aux croyants agiront comme l’huile pour la lampe de la cause de Dieu et amplifieront sa gloire et son rayonnement. Il déclare que la Cause est immensément grande, que rien ne peut miner sa montée et son établissement, quand bien même les forces de la terre et du ciel se ligueraient contre elle, et les rois et les dirigeants se lèveraient pour s’opposer à elle. Il prophétise plus loin:

«Avant peu, Dieu fera se dresser parmi les rois celui qui aidera ses bien-aimés. En vérité, il embrasse toutes choses. Il insufflera dans les coeurs l'amour pour ses bien-aimés. Irrévocable est le décret de celui qui est le Tout-Puissant, le Bienveillant.» (r17)

Si grande est cette révélation que Baha’u’llah proclame dans la Suriy-i-Ra’is:

«Si Muhammad, l'Apôtre de Dieu, vivait en ce jour, il s'exclamerait: «En vérité, je te reconnais, ô Désir des messagers divins !» Si Abraham vivait en ce jour, lui aussi, dans son humilité totale, se prosternerait sur le sol, et devant le Seigneur son Dieu, il s'écrierait: «Mon coeur est en paix, ô Seigneur de tout ce qui est au ciel et sur terre ! Je témoigne que tu as dévoilé devant mes yeux toute la gloire de ta puissance et la pleine majesté de ta loi ! Je témoigne de plus que ta révélation a rassuré le coeur des fidèles et les a satisfaits.» Si Moïse avait vécu maintenant, il aurait lui aussi élevé la voix, disant: "Toutes louanges à toi qui m'a éclairé par ta face et m'a enrôlé parmi ceux qui ont le privilège de contempler ton visage !"» (r18)

L’une des caractéristiques uniques de la Manifestation de Dieu, c’est que, contrairement à l’être humain, ses pensées et ses actes ne sont pas nécessairement dirigés vers la question immédiate de l’époque, peu importe combien vitale et pressante puisse être la situation. Elle ne peut jamais être absorbée par un problème en particulier à l’exclusion des autres. (n447) Car elle ne vit pas dans le monde des limitations. Bien qu’elle vive sur terre, elle est animée par l’Esprit de Dieu et, comme il est dit dans l’islam: «Aucun obstacle au monde ne les (n448) empêche d’agir.» (r19)

Cette caractéristique de la Manifestation de Dieu est clairement démontrée en la personne de Baha’u’llah alors qu’il révèle la Suriy-i-Ra’is au milieu des calamités et des afflictions qui menaçaient sa vie, celle de sa famille et de ses compagnons. Car en réponse à une question posée par Dhabih, il décrit la nature de l’âme rationnelle, et explique les conditions dans lesquelles elle peut acquérir différentes qualités. Il explique que l’âme peut progresser dans deux directions différentes. Si elle se meut vers Dieu, elle acquerra des qualités spirituelles et après sa séparation d’avec le corps, elle habitera les royaumes de Dieu parée des attributs divins. Si elle se détourne de lui, cependant, elle deviendra satanique et dénuée des caractéristiques spirituelles. Baha’u’llah insiste longuement sur ce thème. Un étude détaillée de ses explications dépasse le cadre de ce volume. (n449)

En ce qui concerne le sens de la Suriy-i-Ra’is, Baha’u’llah déclare dans l’une de ses épîtres révélées à Acre:


«Tel est l’aveuglement du coeur humain que rien ne peut secouer sa torpeur, ni la vue de la cité en ruines ou de l’effondrement de la montagne, ni même celle de la terre qui se fend. Les allusions dans les Écritures sont dévoilées et révélés les signes qu’elles contiennent, l’appel prophétique ne cesse de s’élever. Et pourtant tous, à l’exception de ceux qu’il plait à Dieu de guider, s’égarent dans l’ivresse de leur insouciance.
Voyez comme le monde est affligé chaque jour d’une calamité nouvelle. Ses tribulations ne cessent de s’aggraver. Depuis la révélation de la Suriy-i-Ra’is jusqu’à aujourd’hui, le monde n’a pas connu de tranquillité, ni le coeur de ses habitants de repos. Tantôt il fut agité par des conflits et des disputes, tantôt il fut bouleversé par des guerres ou en proie à des maladies implacables. Son état est presqu’au stade du désespoir du fait qu’on empêche le vrai médecin d’administrer le remède cependant que des praticiens incapables jouissent de la faveur publique et ont toute liberté d’action... La poussière de la sédition a obscurci le coeur des hommes et aveuglé leurs yeux. Avant peu, ils réaliseront les conséquences de ce que leurs mains ont accompli au jour de Dieu. Ainsi vous en avertit l’Omniscient, selon la volonté de celui qui est le Tout-Puissant, l’Omnipotent.» (r20)

Ces avertissements prononcés par Baha’u’llah il y a plus d’un siècle et peu après son appel retentissant aux rois et aux dirigeants du monde lancé dans la Suriy-i-Muluk, dans laquelle des avertissements similaires furent donnés, ont mis en marche un immense processus cataclysmique, brisant l’ordre ancien et détruisant les fondations de la société humaine partout sur la planète. Impuissante, agonisante, l’humanité est enserrée dans les griffes de sa fureur dévastatrice, sans savoir où se tourner ni comment endiguer la marée de son cours catastrophique. Et pourtant, nous vivons à une époque où le savoir et les réussites matérielles de l’homme, comparées au passé, sont phénoménales.

Pour les disciples de Baha’u’llah, l’origine de ces tendances calamiteuses est évidente et simple. La douleur de l’homme est similaire à celle d’un jardinier qui peine et travaille en vain parce qu’il a planté ses graines dans un sol fertile mais dans une fosse sombre éloignée des rayons du soleil. L’homme a tourné le dos au Soleil de Vérité. Jusqu’à ce qu’il le reconnaisse et se tourne vers lui, il ne trouvera la paix sur cette terre, ni la sérénité en son coeur.

Il y a presque quarante ans, en plein coeur de la Seconde Guerre mondiale, Shoghi Effendi écrivait une analyse des plus brillante (n450) sur les calamités universelles qui affligent le genre humain, définissait leur origine et dépeignait leur résultat. Dans cette oeuvre magistrale, il décrit d’une part l’inéluctable effondrement de l’ordre ancien et les souffrances que cela engendre, et d’autre part, la vision glorieuse d’un avenir lointain où l’âge d’or de la foi de Baha’u’llah introduira une ère de bonheur et d’unité sans précédent pour l’ensemble du genre humain.

Enumérant les nombreuses persécutions et souffrances que le genre humain, pendant presque huit décennies, a infligées à Baha’u’llah, au Bab et à ‘Abdu’l-Baha, Shoghi Effendi écrit: (r21)

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Chers amis ! Hélas, mille fois hélas, qu'une révélation si incomparablement grande, si infiniment précieuse, si fortement puissante, si manifestement innocente, fut traitée de façon si infamante par une génération si aveugle et si perverse ! O mes serviteurs ! affirme Baha'u'llah lui-même, le seul vrai Dieu est mon témoin ! Ce très grand, cet insondable et houleux océan est proche, étonnement proche de vous. Voyez, il est plus proche de vous que votre propre sang (?) ! En un clin d'oeil vous pouvez, si vous le désirez, atteindre et partager cette faveur éternelle, cette grâce donnée par Dieu, ce don incorruptible, cette très puissante et indiciblement glorieuse grâce.

Après près d'un siècle, si l'on étudie la scène internationale et si l'on se penche sur les tout premiers débuts de l'histoire baha'ie, que rencontre l'oeil ? Un monde qui se tord d'angoisse face aux systèmes, aux races et aux nations en lutte, empêtré dans les mailles de ses erreurs accumulées, s'éloignant de plus en plus de Celui qui est le seul Auteur de ses destinées, et sombrant de plus en plus profondément dans un carnage suicidaire qu'ont précipité sa négligence envers Celui qui est son Rédempteur et sa persécution.

Une Foi toujours interdite et cependant jaillissant de sa chrysalide, émergeant de l'obscurité d'un siècle de persécution, confrontée aux redoutables manifestations de la grande colère de Dieu et destinée à s'élever au-dessus des ruines d'une civilisation en état de choc. Un monde spirituellement démissionnaire, moralement détruit, politiquement disloqué, socialement ébranlé, économiquement paralysé, crispé, ensanglanté, anéanti sous la baguette vengeresse de Dieu.

Une Foi dont l'appel resta sans réponse, dont les affirmations furent rejetées, dont les mises en garde furent balayées, dont les disciples furent fauchés, dont les buts et desseins furent calomniés, dont les appels aux dirigeants de la terre furent ignorés, dont le héraut but jusqu'à la lie la coupe du martyre, dont l'auteur fut submergé d'une mer d'épreuves sans précédent, et dont le modèle sombra sous le poids de peines qui durèrent une vie et de terribles malheurs. Un monde qui est désorienté, où la flamme brillante de la religion s'éteint rapidement, où les forces d'un nationalisme et d'un racisme criards ont usurpé les droits et les prérogatives de Dieu Lui-même, où un matérialisme flagrant - la conséquence directe de l'irréligion - a levé sa tête triomphante et impose ses vilains concepts, ... et où le virus des préjugés et de la corruption ronge les organes vitaux d'une société déjà gravement malade.

Nous vivons en fait une époque qui, si nous voulions la décrire correctement, peut être considérée comme une époque témoin d'un double phénomène. Le premier marque l'agonie d'un ordre, caduc et impie, qui a obstinément refusé, malgré les signes et les prédictions d'une révélation vieille de cent ans, d'accorder ses processus aux préceptes et aux idéaux que cette Foi venue du ciel lui offrait. Le second proclame la naissance d'un ordre, divin et rédempteur, qui supplantera immanquablement le précédent, et dans la structure administrative duquel une civilisation embryonnaire, incomparable et mondiale, arrive imperceptiblement à maturité. L'un se meurt et s'enfonce dans l'oppression, le sang et la ruine. L'autre ouvre des perspectives d'une justice, d'une unité, d'une paix, d'une culture comme nulle époque ne les a encore connues. L'ancien a dépensé ses forces, démontré sa fausseté et son vide, perdu irrémédiablement son occasion, et court à sa perte. Le nouveau, viril et invincible, brise ses chaînes et revendique son titre de seul refuge où une humanité durement éprouvée, purifiée de son impureté, peut accomplir sa destinée.

Baha'u'llah lui-même a prophétisé: Bientôt, l'ordre actuel touchera sa fin et un nouvel ordre surgira à sa place. Et aussi: "Par moi-même ! Le jour approche où nous aurons supplanté le monde et tout ce qui s'y trouve et établi un nouvel ordre à sa place. (...)

Toute la terre, a-t-il de plus déclaré, est comme si elle était enceinte maintenant. Le jour approche où elle produira ses meilleurs fruits, où sur elle jailliront les arbres les plus hauts, les fleurs les plus enchanteresses, les grâces les plus célestes. De même 'Abdu'l-Baha a écrit: Toutes les nations et toutes les tribus... deviendront une nation. L'antagonisme religieux et sectaire, l'hostilité entre les races et les peuples, les différences entre les nations, seront éliminés. Tous les hommes adhéreront à une seule religion, auront une Foi commune, se fondront en une seule race et deviendront un seul peuple. Tous vivront dans une même patrie qui sera la planète elle-même.
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