Médiathèque baha'ie

L'histoire du salut
Udo Schaefer

Fin des temps ou tournant de l'histoire ?
Une Contribution à la Théologie Baha'ie

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Table des matières

Préface
1. La crise
2. Fin des temps
3. Un âge nouveau ?
4. La philosophie des Lumières
5. La sécularisation du monde
6. Le vide spirituel
7. Les nouveaux messages de salut - New Age
8. L'épiphanie nouvelle
9. Changement de paradigme
10. Les différences cardinales
11. L'avenir
Bibliographie


Préface

Au centre de la révélation de Baha'u'llah, nous trouvons une nouvelle conception de l'histoire du salut, qui constitue le thème commun aux deux essais - à l'origine, notes de conférences - que réunit ce livre. Dans le premier essai, orienté vers l'avenir de l'humanité, l'histoire du salut est présentée en tant que chaîne d'événements par définition non achevée, ouverte sur l'avenir. Dans le second essai, l'histoire des religions tout entière apparaît comme l'histoire du salut et comme une ligne continue, présentant cependant des césures qui lui donnent une structure bien apparente, les épiphanies des religions.

L'essai sur la Fin des Temps part des perspectives apocalyptiques de notre civilisation et de la peur engendrée par celles-ci. Il montre avec clarté que ceux qui n'accordent à l'humanité aucune chance de survie ne peuvent guère se fonder sur les textes apocalyptiques de la Bible, et que le bouleversement global dont nous sommes aujourd'hui les témoins doit plutôt être interprété comme une rupture, comme un tournant de l'histoire. La cause de la crise de survie de l'humanité l'évolution vers une nouvelle pensée, et les nouvelles voies proposées à ceux qui recherchent le salut sont ici présentées et analysées. L'essai se termine par une confrontation entre le New Age, mouvement aux facettes multiples, et la religion fondée par Baha'u'llah. Cette confrontation met en évidence des points communs, mais aussi des différences cardinales.

L'essai sur le paradigme d'unité de Baha'u'llah traite sur un plan historique du phénomène de la pluralité des religions. S'il n'y a qu'un seul Dieu, pourquoi y a-t-il donc des religions différentes? Les revendications d'exclusivité, de caractère définitif et unique de la vérité, présentées surtout par les religions sémites ont conduit par le passé à une attitude d'isolement, d'anathématisation réciproque et à des souffrances indicibles infligées aux hommes au nom de la religion. Il y a eu cependant au cours des siècles et dans toutes les religions des hommes qui se sont révoltés contre ce dogmatisme étroit et qui ont plaidé en faveur d'un jugement plus compréhensif des autres religions. La science moderne des religions a largement contribué à ce que l'on peut connaître aujourd'hui. C'était là une condition préalable au dialogue des religions mondiales tel qu'il s'amorce aujourd'hui, cette "lente émergence d'une conscience oecuménique globale" (Hans Küng, Le christianisme et les religions du monde, p. 8).

L'"unité des religions" mise en évidence par la phénoménologie des religions devient, dans le nouveau paradigme de la révélation progressive et cyclique, la pierre angulaire d'une nouvelle théologie.
Nota : Lorsqu'il sera question, plus spécifiquement, de "théologie baha'ie", il faudra entendre par ce terme la réflexion méthodique et systématique sur toute la révélation baha'ie (scientia fidei), comprenant le Dieu qui se manifeste, la "Manifestation" (c'est la prophétologie), l'alliance, l'image de l'homme (c'est l'anthropologie baha'ie), la rédemption de l'homme et de l'humanité, l'éthique baha'ie, etc. Dieu lui-même reste un mystère impénétrable. Il est le "Dieu caché" (voir Extraits 26:3, et IIe partie de ce traité, chap. XI, 1). Nous renvoyons le lecteur à l'exposé très instructif de Jack McLean: "Prolegomena to Baha'i Theology", dans: La Revue des Etudes Baha'ies. Une Publication de l'Association d'Etudes Baha'ies, Ottawa/Canada (à paraître). Dans cet exposé, M. McLean présente des perspectives sélectionnées sur la théologie baha'ie, telles que la distinction entre le commentaire théologique et la révélation, la nature apophatique du Dieu caché et non manifeste, la nature cataphatique du Dieu révélé, la relativité de la vérité religieuse, l´alliance et la théologie baha'ie et le "théisme existentialiste". L'article de Jack McLean a pour objet de définir le domaine de la théologie baha'ie et de défendre quelques-unes de ses caractéristiques fondamentales. Voir aussi l'article instructif de Robert Parry, "Philosophical Theology in Baha'i Scholarship", dans: Baha'i Studies Bulletin (éd. Stephen Lambden, Newcastle upon Thyne, U. K.), Octobre 1992, p. 66 sq.

Remerciements

Nous remercions ici les traductrices des deux essais, Madame Hélène Momtaz de Neri, Fin des temps et tournant de l'histoire?, et Madame Susanne Hof, Essai sur l'unité et la diversité des religions, pour leur remarquable travail;
Madame Hélène Guyot-Sander, qui a revu et corrigé les manuscrits des deux traductions;
Madame et Monsieur Louis Hénuzet, ainsi que Monsieur Shapour Rassekh, pour leur collaboration et leurs précieux conseils;
la Maison d'Editions Baha'ies de Bruxelles qui nous a permis d´utiliser la traduction des textes inédits des Tablettes de Baha'u'llah.
L'Editeur


1. La crise

La fin des temps est une notion qui apparaît de plus en plus souvent dans une certaine littérature, en relation avec la crise que traverse notre civilisation à l'échelle planétaire, crise à propos de laquelle le physicien et philosophe Carl Friedrich von Weizsäcker a dit: "Ce que nous pouvons discerner de plus certain dans les temps modernes est ... la crise qui les secoue (1)." Le sentiment qui prédomine de nos jours est que nous traversons une phase décisive de l'histoire mondiale, que l'humanité est au bord du précipice et que son existence est en jeu.

S'il est vrai que, vers le milieu des années 60, des futurologues nous prédisaient encore un avenir splendide dans un paradis d'abondance et de loisirs, s'il est vrai qu'au début des années 70, les premiers écologistes qui critiquaient notre système économique caractérisé par la recherche effrénée de la croissance et du profit, aussi bien à l'Est qu'à l'Ouest, étaient qualifiés de "semeurs de panique", on ne peut nier qu'aujourd'hui des scientifiques réputés pronostiquent une catastrophe planétaire et présentent à l'appui de leur thèse des faits et des chiffres indéniables. D'ailleurs, l'usage de plus en plus courant du mot "apocalypse" par des philosophes, des hommes politiques, des hommes de science et des journalistes trahit à lui seul l'étendue de la menace. "Apocalypse" est un terme religieux que, même récemment, aucune personne soucieuse de sa réputation scientifique et désireuse d'être prise au sérieux n'aurait prononcé (2).

La crise est totale et globale, totale car elle touche tous les aspects de notre existence, globale, car dans un monde interdépendant, il n'existe plus de terres franches et chacun est directement affecté. Il n'y a plus aucun refuge.

Le mot grec krisis signifie littéralement "décision", "phase décisive", "tournant", et il n'existe pas de terme plus juste pour définir la situation mondiale. La crise est une crise de survivance de l'humanité. Après une ère de progrès scientifique et technique où l'intelligence humaine glorifiait des avancements de plus en plus importants, mais provoquait aussi d'incroyables dangers, nous sommes parvenus à un stade de l'histoire qui ne nous laisse que deux possibilités: soit la ruine de l'humanité, la fin de la civilisation sur cette planète (dans un enfer atomique ou - ce qui paraît de plus en plus probable - par un lent processus de décomposition dû à la dévastation croissante et chaque jour plus rapide de la terre et l'endommagement irréversible du système écologique), soit une conversion, une transformation fondamentale de notre conscience, de notre manière de penser, de notre éthique et de notre vie politique. Si une telle transformation est encore possible, quand et d'où devrait-elle venir?

Nombreux sont ceux qui pensent que l'on a déjà atteint le "point de non-retour". Le philosophe Günther Anders (3) qualifie de "cécité apocalyptique" l'attitude de l'homme moderne et nous rappelle la parabole de "l'apprenti sorcier" de Goethe, selon laquelle nous sommes prisonniers des appareils et subissons la loi des choses que nous-mêmes avons créées, un emprisonnement auquel nous ne pouvons plus échapper (4). Il est fermement persuadé que l'humanité ne vit plus une époque donnée, mais plutôt un délai de grâce qui arrivera à échéance d'une façon inéluctable. Selon lui, nous vivons la fin des temps. Cette désillusion totale, cette absence de toute espérance humaine est exprimée dans un livre cynique: "Das Untier" ("Le Monstre") de Ulrich Horstmann. Ce monstre, c'est précisément l'homme moderne, dont l'auteur ne perçoit d'ailleurs plus que les traits inférieurs, son avidité, sa haine et son pouvoir de destruction. L'apocalypse guette ce monstre et, d'après Horstmann, son histoire se termine dans la catastrophe et la ruine, l'extinction de toute trace, la transformation de la terre en lune (5).

Selon Hoimar von Ditfurth, les chances de survie de notre race sont "désespérément minces" (6). Et, pour lui, ce qu'il y a de plus troublant dans l'affaire est que "l'humanité semble déterminée à se laisser emporter par le flot des événements, sans opposer la moindre résistance et qu'elle n'est même pas prête à se rendre compte dans quel labyrinthe elle est engagée" (7).


2. Fin des temps

Il règne aujourd'hui une atmosphère de fin des temps. L'histoire de l'humanité est-elle en train de prendre fin? Le mot "fin des temps" est un terme biblique lié aux prophéties de l'Ancien et du Nouveau Testament. D'après l'interprétation chrétienne de l'histoire, celle-ci tend vers un but, vers une fin, vers un événement unique: le Jugement dernier. Après une période de douleurs, de calamités et de craintes, le monde sera anéanti par une immense catastrophe. Les frayeurs que nous ressentons aujourd'hui et les expériences qui nous touchent de plus en plus sont-elles un signe apocalyptique? L'heure est-elle venue? (8)

La croyance en la fin des temps n'est pas nouvelle. Elle a toujours surgi durant les périodes de crise, surtout vers les années 1000, 1260 et 1844, toutes liées aux dates et calculs bibliques. Et s'il est vrai que, jadis, seuls les dévots attendaient la fin du monde, tandis que les intellectuels et les gens cultivés considéraient de telles pensées avec scepticisme, de nos jours, à part quelques sectes adventistes, ce ne sont pas les Eglises, comme on pourrait le penser, mais les savants et les philosophes qui s'attendent à la catastrophe et parlent d'"apocalypse". En fait, dans toute son histoire, l'extinction de l'humanité n'avait jamais encore été techniquement réalisable. Et cette idée n'avait jamais paru aussi vraisemblable, voire même aussi probable qu'aujourd'hui, en raison des possibilités et des conséquences de la technique moderne. Ce n'est plus seulement l'homme qui est mortel, mais toute l'espèce, l'humanité, qui est menacée de mort.

Comme le dit Esaïe, "l'Eternel dévaste le pays et le rend désert, Il en bouleverse la face et en disperse les habitants (9)... le pays est triste, épuisé (10)... Le pays était profané par ses habitants; car ils transgressaient les lois, violaient les ordonnances, ils rompaient l'alliance éternelle. C'est pourquoi la malédiction dévore le pays, et ses habitants portent la peine de leurs crimes; c'est pourquoi les habitants du pays sont consumés, et il n'en reste qu'un petit nombre (11)... Toute réjouissance a disparu, l'allégresse est bannie du pays (12)... La terre chancelle comme un homme ivre, et vacille comme une cabane" (13). Tous les hommes sans exception seront frappés et personne ne pourra échapper (14). Chacun peut lire ces paroles et les interpréter à sa façon, mais il est difficile de penser que cette prophétie n'ait rien à voir avec les bouleversements et les catastrophes de notre époque.

Et pourtant le Jugement dernier n'est pas le dernier mot de l'Apocalypse. Car celle-ci, hormis toutes les terreurs qu'elle prévoit, proclame "de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la justice habite" (15). Elle promet "le tabernacle de Dieu parmi les hommes" (16) qui "seront son peuple"; elle annonce que Dieu "essuiera toute larme" (17) et promet: "Voici, je vais faire toutes choses nouvelles (18)." Ces promesses annoncent clairement une transformation totale de l'individu et du monde, un nouveau commencement, lié au retour attendu du Christ, quelle que soit l'image que l'on se fasse de ce retour. Ce qui renforce surtout cette interprétation est le fait que chaque fois que l'Evangile mentionne la "fin du monde" (19), il est question dans le texte original grec, de aiôn (20), ce qui veut dire "âge" (éon), et non de kosmos, comme on pourrait s'y attendre s'il s'agissait de la fin de notre existence sur la planète (21).

De même, d'après les prophéties de l'Ancien Testament, le jugement de l'Apocalypse ne signifie pas la fin, mais un tournant à l'échelle universelle vers une transformation de l'existence grâce à une nouvelle alliance de paix comprenant tous les peuples qui dorénavant vivront dans un climat de paix durable (22). Par conséquent, ceux pour qui la fin du monde est inévitable ne pourront plus se référer à l'Apocalypse pour prouver leur idée.


3. Un âge nouveau ?

Aux yeux de nombre de gens, il n'y a pas de doute que la crise de survie de l'humanité et les transformations globales qui ont eu lieu durant les deux derniers siècles marquent une profonde rupture dans notre histoire, une rupture de grande dimension. On a tracé des parallèles avec la révolution néolithique, à partir du VIe millénaire avant J.-C. qui apporta avec elle l'agriculture et l'élevage du bétail. Une transformation d'une telle envergure justifierait l'emploi de l'expression "tournant". En outre, ce terme est étroitement lié au christianisme, car il marque le début de l'ère chrétienne. A partir de ce moment, on compte les jours post Christum natum au lieu de ab urbe condita. Cependant, de nos jours, on parle moins d'un tournant, peut-être parce que l'idée est associée à un sauveur, le Christ, et que personne ne pense à un nouveau sauveur.

Cependant, une idée beaucoup plus usitée est celle de "l'âge nouveau". C'est à peu de chose près le slogan d'un mouvement nouveau qui prétend sauver l'humanité de la crise dans laquelle elle se trouve. Né en Californie, il s'est répandu dans presque tout l'hémisphère occidental et a pris le nom de New Age, de Nouvel Age. Les protagonistes les plus célèbres de ce nouveau mouvement de salut sont la journaliste Marilyn Ferguson, avec son livre The Aquarian Conspiracy - qui est paru en France sous le titre Les enfants du verseau (23) - et le physicien Fritjof Capra, avec son best-seller Le temps du changement (24). Ce livre décrit d'une manière impressionnante les changements progressifs qui se sont produits dans la pensée scientifique, et notamment dans les domaines de la physique, de la biologie, de la médecine et des sciences économiques. L'auteur pense qu'à partir du XXe siècle, les sciences naturelles se sont développées avec une tendance à la "nouvelle conscience" qu'il qualifie de "mystique" (25). Cette ère nouvelle qui vient de naître est décrite de maintes façons: "Aquarius" - ou l'âge du Verseau (26) ,"l'âge solaire", "l'âge de l'écologie", et ainsi de suite. Ce mouvement annonce à un monde secoué par les angoisses apocalyptiques de l'avenir "l'époque du changement" dans laquelle l'homme, abandonnant son ancienne position grâce à la transformation de sa conscience, parviendra à une nouvelle étape de "conscience cosmique" où tout rentrera dans l'ordre. Nous reviendrons sur ce thème.

Mais les protagonistes du New Age ne sont pas les seuls à se rendre compte qu'une ère nouvelle commence. Des savants et des philosophes, peu portés aux spéculations mystiques, comme Ervin Laszlo - l'un des fondateurs du Club de Rome - parlent d'une ère nouvelle. Ils reconnaissent que notre monde, système complexe, est de plus en plus proche d'un changement dramatique - comme en témoignent les pronostics les plus clairs, à partir des données dont nous disposons aujourd'hui - et nous serons sans aucun doute témoins de ce changement qui secouera le monde (27). Une ère nouvelle est une idée qui offre encore une espérance, fondée sur des données scientifiques, selon laquelle la crise mondiale ne signifie pas nécessairement, comme certains le pensent, la fin de l'humanité et de la civilisation. Au contraire, les périodes de "bifurcation" (28) donnent à l'humanité la possibilité d'influencer le jeu habituellement arbitraire des fluctuations au sein de la société et de diriger ainsi le processus de l'intérieur.

Mais comment? Avec quels buts, selon quelles valeurs? Quelle vision avons-nous d'un monde qui serait rééquilibré?

Si nous cherchons à sortir de la crise, nous devons avant tout comprendre les facteurs qui ont mené à la crise et en quoi elle consiste. Il est donc nécessaire de retracer les lignes principales des développements complexes qui forment l'histoire spirituelle de l'Occident.

La crise dont nous sommes témoins aujourd'hui, avec les conséquences et les catastrophes qu'elle entraîne, est une crise de la pensée occidentale. En gestation depuis longtemps déjà, elle fut reconnue au siècle dernier avec une clarté étonnante par des philosophes et des théologiens qui la qualifièrent de crise culturelle. Dans son oeuvre Le concept de l'angoisse, parue en 1844, Sören Kierkegaard annonça une époque d'angoisse. On a appelé Friedrich Nietzsche le Cassandre de la culture moderne car, comme nul autre, il a décrit avec une force de langage oppressante et convaincante la tournure banale et triviale qu'a prise notre vie ainsi que la maladie mortelle dont souffre notre culture. Contrairement à l'esprit du siècle imprégné de l'optimisme du progrès, qui régnait à l'époque, cette thèse de la crise culturelle occidentale au tournant du siècle était déjà un élément très répandu de cette conscience intellectuelle, indépendamment des positions philosophiques ou idéologiques. Après la Première Guerre mondiale, Oswald Spengler (29) provoqua un choc avec sa théorie du vieillissement des cultures et sa vision de la décadence occidentale. En 1931, le philosophe Karl Jaspers écrivait: "A la croyance en l'éclosion d'un avenir magnifique, s'oppose l'horreur du précipice d'où on ne peut plus s'échapper (30)."

D'un cercle culturel entièrement différent et qui n'avait pas du tout été touché par l'esprit moderne, une voix prophétique a annoncé à l'humanité, vers le milieu du siècle dernier, la ruine qui la menaçait, lui prédisant de sévères souffrances, de dures épreuves et des désastres, en un mot, la justice divine, mais aussi le retour à une existence nouvelle. Nous reviendrons aussi sur ce sujet.


4. La philosophie des Lumières

Cette crise globale a son origine dans la révolution copernicienne de notre pensée qui eut lieu au XVIIe siècle, révolution associée aux noms de Galileo Galilei, Isaac Newton, Francis Bacon et, surtout, René Descartes. Ce mouvement spirituel, cette philosophie occidentale des Lumières est dominée par l'idée de la certitude de la connaissance rationnelle. Descartes a élevé le doute au rang de méthode. Avec son système analytique, il a jeté les bases de la pensée et de la recherche scientifique moderne et, par conséquent, celles de notre monde scientifique et technique. Il considérait l'univers et la nature comme une machine parfaite fonctionnant selon des lois d'airain, des lois mécaniques. Pour Descartes, on pouvait facilement expliquer le monde de la matière en termes d'arrangement et de mouvement de ses différentes parties. "Mesurer tout ce qui est mesurable, et rendre mesurable ce qui ne l'est pas", telle était la devise de Galilée. Jusqu'au XXe siècle, cette image mécanique du monde fut le paradigme (31) dominant les sciences naturelles. C'est seulement avec l'introduction de la théorie moderne des quanta que les limites de ce paradigme devinrent évidentes. Capra a raison de signaler que l'assujettissement illimité et l'exploitation sans scrupule de la nature a ses fondements dans la pensée de Descartes et de Francis Bacon (32).

Ce courant de pensée si puissant que nous appelons la philosophie des Lumières et, d'après Kant, "la délivrance de l'homme de l'état de tutelle auquel il s'était lui-même assujetti" (33), est la croyance en la possibilité de comprendre le monde par la raison. C'est la conviction - comme le dit Max Weber - "qu'il n'existe, par principe, aucune puissance mystérieuse et imprévisible..., bref, que nous pouvons maîtriser toute chose par le calcul. Mais cela revient à désenchanter le monde" (34). Cette philosophie eut pour conséquence directe la croyance que l'homme avec une attitude rationnelle avait le pouvoir illimité de réaliser le bonheur humain dans le monde entier.


5. La sécularisation du monde

Cet esprit des temps modernes a profondément transformé la face de notre monde. Il a été la cause de l'apparition des sciences et de la technique, de la rationalité instrumentale et des attitudes morales correspondantes comme la suppression des a priori, la discipline méthodique, la recherche de l'efficacité et de l'objectivité. Dans le domaine du droit, le rationalisme occidental a gagné de grandes batailles contre la barbarie. Nous lui devons la notion de l'égalité face à la loi et le principe de la séparation des pouvoirs (Montesquieu), le triomphe de la démocratie, l'abolition de la torture et l'humanisation de la justice pénale, en un mot l'Etat moderne qui lie le pouvoir du souverain à la loi et protège le citoyen du despotisme de l'Etat.

Mais il a aussi été la cause d'une crise radicale de la foi en Dieu. L'esprit critique qui ne s'arrêtait devant rien balaya les anciennes autorités qui, pendant si longtemps, n'avaient jamais été mises en doute. Lorsque Napoléon demanda au physicien et astronome français Laplace où figurait Dieu dans son système, celui-ci expliqua: "Je n'ai pas besoin de cette hypothèse."

Après que la raison eut revendiqué le droit à l'autonomie et occupé le trône qui jusqu'alors appartenait à la foi, la vérité de la révélation fut contestée et la religion déclarée superflue, nuisible même. Un des dogmes principaux de la philosophie moderne des Lumières est que la religion est amenée à disparaître par suite du progrès scientifique, culturel et social - et en fait durant les 250 dernières années, elle a été sur la voie du déclin. La philosophie des Lumières a produit la sécularisation progressive du monde. Le XIXe siècle fut témoin de la critique philosophique de la religion à travers les oeuvres de Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud qui détruisirent l'image religieuse du monde et de l'homme. "Dieu est mort!", la célèbre expression de Nietzsche, se transforma en slogan. Et à partir de ce moment, la société séculaire, areligieuse, et l'homme émancipé qui décide lui-même de son sort et qui se réalise grâce à ses propres efforts, sont devenus le point de repère et le but à atteindre.

Dans les pays communistes, l'athéisme devint partie intégrante de la doctrine d'Etat. De même, dans les pays industrialisés de l'Occident, l'esprit irréligieux a saisi les masses. La tradition de la foi vécue est déracinée.

La crise de la religion chrétienne ne peut pas être décrite ici plus en détail. Elle se manifeste par le déracinement de la tradition, par l'abandon en masse des Eglises et aussi par l'état de conscience de ceux qui restent encore au sein de l'Eglise. Elle se précise face à la crise dans laquelle la théologie elle-même est tombée (35).

Karl Jaspers a décrit ce processus d'éloignement de Dieu qui se déploie avec un radicalisme encore jamais connu et qui mène au néant: "On peut percevoir un désert existentiel jusqu'alors méconnu; en comparaison, la plus profonde incrédulité de l'Antiquité était protégée par la plénitude d'une réalité mystique non abandonnée (36)." D'après le théologien Dietrich Bonhoeffer, rien ne peut freiner la sécularisation, nous approchons d'une époque complètement irréligieuse. Et le théologien Zahrnt pense que la religion se dissout dans sa substance: "De nos jours, il y a réellement quelque chose qui meurt. Ce ne sera plus jamais comme avant (37)."


6. Le vide spirituel

Et dans le vide spirituel que la foi chrétienne a laissé derrière elle, tandis qu'elle s'éteignait peu à peu, une nouvelle forme séculaire de religiosité a pris place: la foi en la raison et le progrès, la foi en l'accomplissement de l'histoire à travers la science et la technique, la croyance que l'homme peut établir par ses propres moyens un monde meilleur, un paradis sur terre. Réaliser le bonheur sur la terre à travers la révolution de la société dans son ensemble, tel est le programme du messianisme politique. Cette religion séculaire du bien-être social qui a ses racines dans les enseignements des penseurs français inspirés par la philosophie des Lumières, et qui revêt l'apparence de la science, a remplacé la promesse de salut de l'au-delà.

L'idéologie et l'utopie, avec leurs revendications totalitaires et leurs promesses de salut, ont pris la place de la foi en la révélation divine. Et l'interprétation sociologique de l'existence a remplacé l'explication religieuse de la vie. Ce qui importe à l'homme qui, au plus profond de soi, ne se conçoit plus comme un être créé par Dieu mais comme un être social, n'est plus que sa rédemption sociale. La question du salut de l'âme n'a plus d'importance pour lui.

"Dieu va disparaître, sans même avoir laissé la trace d'une interrogation derrière lui (38)." Le philosophe Auguste Comte s'est absolument trompé lorsqu'il a fait cette prophétie. Même le monde moderne est en crise: les croyances séculaires, comme la foi dans la science, dans le pouvoir total de la raison, le messianisme politique avec ses espérances de salut, réduits à ce bas monde, qui ont remplacé les religions traditionnelles, sont épuisées. La foi en la réalisation définitive du bonheur humain s'est émiettée, l'utopie du paradis établi par la main de l'homme est un échec. En l'espace de quelques années, la croyance optimiste dans le progrès de la philosophie des Lumières s'est subitement transformée en un pessimisme abyssal de l'histoire. Le processus du progrès, qui hier encore inspirait l'espoir, ne provoque aujourd'hui que la peur.

Avec la désintégration de la foi dans le progrès, c'est le pilier fondamental de la foi séculaire en la signification de l'histoire qui s'est effondré: "Le paradis sur terre que des révolutionnaires, des politiciens éloquents et des leaders charismatiques avaient annoncé n'est pas apparu (39)." De même la foi en la raison (issue du siècle des Lumières) qui avait encore inspiré le mouvement de mai 1968 s'est brisée. Il semble que, face au désastre dont elle est historiquement responsable, la raison a largement perdu la force qui la légitimait. Des défenseurs éminents d'utopies de gauche reconnaissent avec résignation l'avortement de leurs espoirs révolutionnaires, de leurs rêves de liberté et de transformation du monde (40). Le philosophe Michel Foucault ne voit "dans le monde pas un seul point à travers lequel pourrait briller une lumière d'espérance. Il n'existe plus d'orientation" (41). Le philosophe Jürgen Habermas parle d'épuisement des énergies utopiques et diagnostique la perplexité parmi les intellectuels et les politiciens, et la perte de confiance dans la culture occidentale (42). De nos jours, nous sommes témoins de l'échec d'une idée qui avait pour but de créer le paradis de la main de l'homme et qui - rien que dans l'Union soviétique - a causé "la plus grande extermination en masse de tous les temps" (43). Une tempête de transformations balaye le monde du "socialisme positif". Les idoles, si longtemps adorées, sont tombées de leurs piédestaux.

D'autre part, le monde moderne n'a pas été capable de combler l'immense vide que la foi chrétienne, en voie de tarissement, a laissé derrière elle. En réponse aux questions décisives et finales de l'existence, la raison et la science nous laissent en plan: qu'est-ce que l'homme, pourquoi vit-il et comment doit-il vivre? La question du sens de la vie, des valeurs finales et celle d'une image universellement valable de l'homme, toutes restent sans réponse. Nietzsche donna le nom de "nihilisme" (44) à ce phénomène qu'il identifia et annonça comme étant une conséquence de la mort de Dieu. Ce nihilisme, ce manque d'appui transcendant de l'homme moderne, est la cause la plus profonde de la prolifération des pulsions agressives, de la sexualisation de notre vie, de l'évasion dans les drogues diverses, de la marginalisation volontaire, du large éventail de la pathologie sociale de notre époque et du mode de vie superficiel orienté uniquement vers les biens matériels, la poursuite du plaisir et les vaines distractions, en un mot de l'hédonisme.
De même, l'anarchie qui se propage rapidement, la criminalité qui augmente comme une épidémie, le terrorisme, sont le prix à payer par une société dénuée de toute vie métaphysique. Dans un monde où n'existe pas de Dieu, ni de sanction métaphysique pour les méfaits humains, où notre existence est absurde et où nous traçons nous-mêmes les lignes de conduite selon lesquelles nous voulons vivre, où la juridiction terrestre est en même temps le Jugement dernier, la motivation de faire le bien et de ne pas faire le mal est faible.

Les adeptes de la philosophie des Lumières étaient persuadés que les normes de la morale étaient éternelles et que la raison pouvait les reconnaître. Selon eux, l'homme n'avait besoin d'aucune religion pour savoir comment il devait vivre et ce qu'il pouvait se permettre (45). Cependant, il s'avéra bientôt que les valeurs morales, de nature axiomatique, une fois séparées de l'humus de la religion sur lequel elles avaient grandi, se dégradaient peu à peu dans le bain acide d'un rationalisme insipide. La mise en question critique et la problématisation de toutes les normes ainsi que la contrainte de justification qui accompagne toute éthique exclusivement rationnelle aboutirent avec une rapidité incroyable, en l'espace de quelques dizaines d'années, à une vision totalement relative de toutes les valeurs, à un pluralisme de notions facultatives quant aux règles de conduite et finalement à la dissolution de la morale traditionnelle.

Il devint clair qu'une morale sans Dieu comme législateur est sans fondement. La raison et la science sont incapables de surmonter le nihilisme de valeurs, car l'homme ne suit que les règles et les morales en lesquelles il a foi. C'est le fondateur de la théorie critique lui-même, le philosophe Max Horkheimer, qui, vers la fin de sa vie (46), comprit l'insuffisance de la raison et de la science dans le domaine des normes et des valeurs.

Ce processus d'érosion a eu de lourdes conséquences pour notre société, car la stabilité de celle-ci a pour base le consentement de ses membres en ce qui concerne les buts, et les moyens permis pour atteindre ces buts. Lorsqu'un tel accord manque au sein de la société, celle-ci est d'autant plus vulnérable aux perturbations et à l'instabilité. C'est principalement à cause de ce processus que les sociétés industrielles modernes sont de plus en plus ingouvernables, fait qui est souvent déploré de nos jours.


7. Les nouveaux messages de salut - New Age

Depuis le début des années 70, on peut percevoir un revirement d'un mode de penser purement matérialiste vers des intérêts transcendantaux, un retour aux valeurs religieuses et à la connaissance spirituelle. Les hommes frissonnent dans le froid rationnel de l'âge moderne et aspirent à trouver un repère. On se rend compte que le développement de la production et de la consommation ne peut, à lui seul, donner un sens à la vie. Un sentiment général a pris naissance qui entrevoit dans les expériences spirituelles et dans l'expansion de la conscience le remède qui pourrait nous tirer de la crise. Le grand sujet autour duquel tourne cette fin du XXe siècle n'est pas la science ou la politique, mais la religion. Cependant l'intérêt pour la religion laisse de côté la religion traditionnelle, le christianisme bien établi, et se polarise sur des phénomènes que "la théologie qualifie de syncrétisme" (47).

Le mouvement hippie était déjà une protestation contre la perspective qu'un monde totalement rationnel avait de la réalité. La drogue était censée libérer le pouvoir de perception et permettre d'atteindre la véritable réalité - une erreur fatale! C'est ainsi qu'un marché de nouveaux messages de salut s'est créé et il grandit de jour en jour. Aujourd'hui, aux Etats-Unis et en Europe, des millions de personnes cherchent à entrer en contact avec des traditions et des maîtres qui pourraient leur montrer le droit chemin. Des nouveaux messages de salut sont constamment sur le marché, des cultes bizarres et pseudo-religieux et des mouvements de gourou ayant souvent des buts bien terrestres sont en vogue. Mais déjà, la confiance en des leaders et des gourous religieux diminue, eux qui promettaient un appui grâce aux structures autoritaires de leur mouvement et de leur doctrine et finalement déclaraient ce qui était juste et faux. Ce n'est pas un gourou qui peut montrer le chemin, mais l'individu lui-même qui doit le chercher dans son for intérieur.

De plus en plus de personnes s'efforcent de se découvrir sur le chemin de l'"Illumination" et cherchent un refuge dans des traditions aussi différentes que l'ésotérisme occidental, le mysticisme oriental et la psychothérapie moderne. Des cultes "psy" (48), des cercles ésotériques et l'occultisme marquent de leur empreinte un certain milieu devenu bien nébuleux.

Qui aurait cru que dans notre monde aux idées si avancées, un nombre de plus en plus important de personnes s'adonneraient à l'astrologie, à l'hypnotisme, au bouddhisme zen, à la thérapie de la réincarnation, à la magie et à l'occultisme, aux anciens mythes des Indes et au chamanisme? Et que le nombre de ceux qui recherchent les conseils des cartomanciens et des astrologues augmente chaque jour - on trouve même parmi eux des cadres "haut de gamme". Tout ce qui jusqu'alors était qualifié d'"obscurantisme" par les personnes d'intelligence éclairée retrouve une nouvelle vigueur: la magie (49), la sorcellerie (50), les conjurations sataniques, les pratiques animistes et même les rituels archaïques et sanglants d'offrande animale. Des paroles de Pascal viennent à la mémoire: "Incrédules, les plus crédules. Ils croient aux miracles de Vespasien, pour ne pas croire à ceux de Moïse (51)."

Dans ce mouvement du New Age, non organisé mais extrêmement riche en facettes, s'est introduite une religiosité de traditions, d'initiatives et de contenus des plus variés. C'est pourquoi il est difficile de lui donner un nom. Nous sommes ici face au phénomène de rejet d'une philosophie exclusivement centrée sur la réalité du monde terrestre. La base de ce mouvement est la conscience que nous vivons à une époque de transition, que l'ancien paradigme, l'image mécanique du monde, aujourd'hui tombé dans la crise, a été dépassé et remplacé par une vision nouvelle et globale de la réalité, par un nouveau paradigme et que ce changement est le prélude d'un âge nouveau, que nous nous trouvons au seuil d'un saut de mutation évolutionniste, qui conduira à un homme nouveau ayant une "conscience cosmique", et qui pourra vivre en harmonie avec lui-même et avec son environnement.

Le paradigme du New Age est fondé sur une vision holistique du monde. L'homme est considéré du point de vue panthéiste et moniste comme faisant partie de l'être divin: tout est uni, l'homme est un fragment de la conscience cosmique et donc, chaque personne a en soi une partie de la divinité. Il n'existe pas de Dieu personnel qui se manifeste et, par conséquent, aucune vérité absolue. Le mouvement proclame que l'homme est Dieu et qu'il a "créé Dieu à sa propre image cosmique ".

Le Christ est la voie de l'"Illumination", le chemin qui nous permet de nous identifier avec notre moi, et chacun de nous est un Christ (52). Selon Capra, Dieu est "la dynamique auto-organisatrice de l'ensemble du cosmos" (53). Pour Bahro, ce qu'il qualifie de "divinité" est identique à la nature, à la matrice, "à l'origine de toute vie que l'homme moderne de plus en plus désorienté doit se rappeler" (54). Ainsi, on déclare, entre autres choses: "Je suis co-créateur avec Dieu, et c'est un nouveau ciel qui apparaît, tandis que la bonne volonté de Dieu s'exprime par moi sur terre ... En vérité, je suis le Christ de Dieu ... Dieu est tout, et tout est Dieu... Je suis la lumière du monde ... Et à la lumière du monde, répond maintenant l'unique présence et puissance de l'univers... Le salut de la planète est maintenant devant mes yeux, alors que sont dissoutes toutes les fausses croyances et manières de penser" (55).

Lorsque l'homme porte en lui la divinité, lorsqu'il est lui-même divin (56), il ne peut trouver ses normes de conduite qu'en lui-même. D'après la devise "chacun pour soi", chacun a la liberté de choisir ce qui lui semble le meilleur. Tous les chemins ont la même valeur et il n'existe aucun critère obligatoire pour tous, aucune catégorie de "juste ou faux", "bon ou mauvais". Chacun n'est responsable que de sa propre personne, chacun doit accepter son prochain tel qu'il est, et peut attendre des autres qu'ils l'acceptent lui aussi tel qu'il est. Dans cette atmosphère de n'importe quoi métaphysique, la seule interprétation qui reste de la religion est celle d'un stimulant qui aide l'individu à se diviniser.

Cette nouvelle religiosité au sein de laquelle l'homme, grâce à sa propre réalisation, à son expérience personnelle et à l'Illumination se prend lui-même en main, se rappelle de ses origines et devient conscient de sa nature divine, n'est qu'un renouveau du phénomène du gnosticisme. Nous connaissons ce phénomène qui vient du monde antique, des premiers temps du christianisme. Un trait essentiel de cette religiosité nébuleuse est qu'elle établit des buts à la fois individualistes et égoïstes visant au salut personnel. Selon cette philosophie, l'harmonie s'établira obligatoirement parmi les hommes - du moins, c'est ce que l'on croit - à mesure que les mouvements spirituels prendront de l'importance et qu'un grand nombre de personnes parviendront à la "conscience cosmique". Et il n'est pas nécessaire pour cela d'agir au niveau politique.


8. L'épiphanie nouvelle

La prophétie d'Auguste Comte, que Dieu allait disparaître sans même laisser la trace d'une interrogation derrière lui, avait déjà été démentie durant sa propre vie. Vers le milieu du siècle dernier, dans un foyer de développements historiques très antagonistes, au moment même où les philosophes occidentaux déclaraient la mort de Dieu, lorsque plus que jamais les espoirs messianiques étaient embrasés et les mouvements adventistes étaient dans l'attente du retour du Christ, au coeur de la culture islamique, en Iran, une foi naquit qui présente toutes les caractéristiques des religions prophétiques. Le théologien allemand Gerhard Rosenkranz l'a qualifiée comme l'une des "apparitions les plus captivantes de l'histoire religieuse" (57). Il s'agit de la religion baha'ie.

Elle présente les archétypes que nous connaissons à travers l'histoire religieuse, en particulier le christianisme: un héraut, qui prit le nom de "Bab" (la porte) et qui prépara le chemin pour le véritable fondateur, Baha'u'llah. Alors que le Bab fut exécuté en 1850, Baha'u'llah fut emprisonné et exilé durant les 40 années de sa vie de prophète. La religion baha'ie est la plus récente des religions révélées et la science des religions la compte parmi les religions mondiales (58). Durant son histoire de près de 150 années, elle s'est étendue à presque tous les pays du monde et elle est, après le christianisme, la religion la plus répandue géographiquement (59). Durant les dernières années, elle a été portée à la connaissance d'un public plus large, à travers les titres consacrés dans la presse aux persécutions sanglantes des baha'is en Iran, sous le régime des ayatollahs.

Le phénomène d'une nouvelle religion prophétique est étroitement lié à notre sujet, car bien avant que les protagonistes du New Age aient reconnu l'avènement d'un âge nouveau, les baha'is avaient annoncé qu'un changement avait eu lieu par suite d'une intervention divine. La conviction des baha'is est que le Dieu vivant qui, dans le passé, s'est manifesté aux différents peuples à travers ses messagers et ses prophètes, leur communiquant ainsi sa volonté et ses lois, s'est manifesté de nouveau à l'humanité, en ce moment décisif de l'histoire mondiale. Les baha'is voient en Baha'u'llah un événement central d'importance absolue, le tournant eschatologique absolu. Par lui, le Seigneur a parlé.

A toutes les époques, une telle revendication est apparue étonnante, ridiculement prétentieuse, tout simplement démesurée. Pour l'homme moderne, cette revendication est encore davantage un scandale que ne l'était celle du Christ pour les hommes de l'Antiquité. D'après l'apôtre Paul (60), la foi chrétienne était une folie pour les Grecs et un scandale pour les juifs. De même que le message de Baha'u'llah est un scandale pour ceux qui sont encore croyants et qui le considèrent donc comme un usurpateur. Et c'est une folie pour ceux qui croient que Dieu est "mort" ou qui s'imaginent pouvoir trouver le salut par eux-mêmes en contemplant leur propre âme, tout comme Münchhausen se sauva du marécage en se tirant lui-même par les cheveux.

Le Bab et Baha'u'llah ont renoué avec l'eschatologie de l'islam, l'attente d'un bouleversement mondial et historique à la fin des temps, bouleversement dont l'heure serait maintenant venue (61). Mais pour les baha'is, ce n'est pas seulement l'eschatologie islamique qui s'est accomplie avec l'apparition de Baha'u'llah. Le théologien catholique Thomas Sartory (62) a signalé, à juste titre, qu'après les espoirs de salut de toutes les religions à la fin des temps, un rénovateur mondial apparaîtrait, provoquant ainsi une rupture, et qu'après une période de chaos et de terreur, il inaugurerait un âge nouveau de paix et de justice. Baha'u'llah revendique lui-même l'accomplissement de toutes ces prophéties. Dans une lettre au Pape Pie IX, il se réfère expressément à la promesse du retour du Christ: "La Parole que le Fils avait celée (63) est rendue manifeste (64) ... En vérité, Lui qui est l'Esprit de vérité (65) est venu vous guider vers toute la vérité (66) ... Le jour de la moisson (67) est certes venu et toutes choses furent séparées les unes des autres. Et le Moissonneur a engrangé dans les greniers de la justice ceux qu'Il avait choisis, jetant au feu ceux qui ne lui convenaient pas (68)."

Les baha'is croient en une histoire universelle qui se déroule d'une manière cyclique. Des cycles universels divisés à leur tour en éons déterminent le cours des événements mondiaux. L'âge adamique, le cycle universel qui commença il y a 6000 ans, et durant lequel les fondateurs des grandes religions apparurent, a pris fin avec l'avènement de la nouvelle révélation. Avec Baha'u'llah, une nouvelle ère mondiale a commencé. Son apparition marque le tournant de l'histoire, ce qui trouve aussi son expression dans le calendrier qu'utilisent les baha'is et qui débute en l'an 1844.

Le tournant décisif que des philosophes tels que Kierke-gaard, Marx et Nietzsche espéraient au XIXe siècle, et que des enthousiastes adventistes et chiliastiques attendaient avec nostalgie et considéraient comme imminent a pris place, selon la croyance baha'ie: "Ce sont les paroles les plus silencieuses qui apportent la tempête. Ce sont les pensées qui viennent comme portées sur des pattes de colombes qui dirigent le monde (69)." Cet événement a surpris l'humanité tout comme le Christ l'avait prédit: comme un voleur dans la nuit (70).


9. Changement de paradigme

A la vision cyclique de l'histoire que présentent les enseignements baha'is correspond la croyance en une révélation progressive de Dieu qui se manifeste à l'humanité par cycles, en accord avec les exigences de l'époque. L'épiphanie des fondateurs des grandes religions marque les tournants de l'histoire de l'humanité. Alors que la doctrine chrétienne enseigne que l'histoire du salut est exclusivement celle dont témoigne la Bible - de la parole et de l'action divines, à partir de la chute d'Adam jusqu'à la rédemption du Christ - pour les baha'is, l'histoire des religions dans sa totalité forme l'histoire du salut. Et toutes les révélations religieuses sont incluses dans l'histoire du salut. C'est ainsi que l'unité mystique des religions et des prophètes est un autre élément essentiel de la doctrine théologique à laquelle appartient aussi l'optique de l'histoire du salut comme une continuité qui n'a pas de fin.

Dans un grand nombre de vers apocalyptiques, Baha'u'llah a décrit ce qui précédera la transformation de ce monde: l'abandon de Dieu de la part des hommes, l'anarchie qui s'étend graduellement, la propagation de l'injustice et de la tyrannie, l'effondrement de l'ordre établi, les tribulations qui vont surprendre l'humanité de toutes parts (71).

Mais Baha'u'llah est aussi, et avant tout, le messager des bonnes nouvelles. Par une nouvelle alliance, il a renouvelé la promesse de salut éternel de Dieu, et dans un grand nombre de textes qu'il nous a laissés, il a indiqué le chemin qui peut nous délivrer du désespoir, rejetant ainsi l'idée de la fin de l'espèce humaine. C'est seulement après une conversion totale et en se tournant vers Dieu que "l'homme nouveau", capable de survivre, apparaîtra du retournement, de la metanoia. Les problèmes fondamentaux dont dépend la survivance de l'humanité ont leurs solutions dans les écrits de Baha'u'llah: la suppression de la guerre et la garantie de la paix mondiale, la crise écologique de notre civilisation et le dépassement de la crise spirituelle, et du nihilisme.

La garantie de la paix mondiale (72) et la solution de la crise écologique (73) sont deux problèmes trop complexes sur lesquels il n'est pas possible de s'étendre ici. La crise spirituelle, la perte du sens de la vie et de ses valeurs et les conséquences qui s'ensuivent, la dissolution de la morale, la désintégration et la décomposition de la société, tous ces maux, Baha'u'llah les a attribués à l'abandon de Dieu de la part de l'humanité. Comme Baha'u'llah l'a clairement expliqué, l'homme ne peut pas supprimer ces maux en essayant de réformer les religions du passé et de les faire revivre. La véritable Réformation et la rénovation viennent de Dieu: sous forme de la nouvelle révélation (74).

L'esquisse que nous avons présentée, bien que fragmentaire, nous permet cependant de reconnaître une série de points communs évidents avec les idées, les opinions, et les explications que nous avons discutées dans le contexte de la pensée du New Age:

- nous vivons un moment critique, au seuil d'une ère nouvelle;

- le vieil ordre social est en voie de dissolution;

- surmonter des modes de pensée épuisés et des formes usées est un processus douloureux;

- l'humanité a besoin d'une nouvelle conscience;

- une évolution va produire l'homme nouveau et un nouveau monde d'harmonie;

- une profonde transformation de la pensée est nécessaire, le caractère unilatéral de la pensée cognitive et antagoniste doit faire place à une forme de pensée intégrale et globale, et la naissance d'un nouveau mode de pensée est déjà perceptible;

- la rationalité doit accompagner la spiritualité, et la religion doit progresser avec la science.

Toutes ces affirmations sont pleinement acceptées par les enseignements baha'is, selon lesquels ces points de vue prononcés par des groupes si différents reflètent l'esprit de notre époque, qui porte déjà l'empreinte de la révélation de Baha'u'llah. La parole créatrice de Dieu qui vint au monde grâce à Baha'u'llah a produit ses effets. Le monde se meut, dans la direction tracée par Baha'u'llah, sans être conscient de ce fait eschatologique. Car il est évident que cela n'est visible que pour les croyants. Cependant, la raison empirique de l'historien peut percevoir la profondeur du diagnostic de Baha'u'llah et peut constater qu'un grand nombre de ses analyses se sont avérées justes et que plusieurs de ses exigences sont déjà mises en action et sont en voie d'être réalisées.

Les baha'is sont eux aussi conscients d'un changement de paradigme, surtout dans le domaine religieux. Face à l'ancien paradigme ecclésiastique de l'unique drame de salut du Fils de Dieu incarné sur terre, qui a agi ici, a souffert sur le Golgotha, est monté au Ciel, a délivré le monde perdu dans ses péchés et a réconcilié Dieu avec le monde, se trouve le nouveau paradigme d'une économie de salut divine, d'une éducation continue de la race humaine à travers les prophètes et les messagers divins, d'un Dieu qui se révèle à l'humanité par étapes, à divers moments de l'histoire, et qui a accompli ses promesses messianiques en la personne de Baha'u'llah.


10. Les différences cardinales

La différence la plus frappante avec la "nouvelle religiosité" est que, pour les baha'is, et comme le voyait Pascal, Dieu est "le Dieu d'Abraham, de Jacob et d'Isaac", et "non le Dieu des philosophes" (75). Il est le créateur et le sujet actif, personnel et non seulement un cryptogramme pour notre "humanité" (comme les théologues de "croyance athée" l'enseignent) ou, comme le voit par exemple Capra, "pour la dynamique auto-organisatrice de l'ensemble du cosmos" (76).

La deuxième différence fondamentale se trouve dans notre conception de l'être humain. D'après Baha'u'llah, l'homme est la création de Dieu et non un accident de la conscience cosmique universelle. C'est-à-dire qu'il n'est pas un composant de Dieu, un fragment du Grand Tout. Comme dans toutes les religions monothéistes, le rang de la créature, le rang de l'homme en tant que création, est infranchissable. Ce qui signifie que la religion baha'ie rejette le point de vue moniste et panthéiste de l'homme propre au "New Age".

Une autre idée cardinale qui est en contradiction totale avec la philosophie de la "nouvelle religiosité" est la notion de la vérité. Lorsqu'il n'existe aucune vérité unique, indivisible et obligatoire pour tous et que chacun doit trouver sa propre vérité, valable uniquement pour lui, la vérité est subjective et n'est qu'un étui avec des contenus changeants. Mais lorsque la religion doit être acceptée et pratiquée comme vérité, le droit à la vérité doit être universel, c'est-à-dire valable pour tous. La vérité n'est, comme saint Augustin l'enseignait, "ni la mienne, ni la tienne, mais commune à tous" (77). Ainsi dit cAbdu'l-Baha: "Ce qui est vrai pour l'un l'est pour tous, ce qui ne l'est pas n'est vrai pour personne (78)." Cet universalisme de la vérité est caractéristique des grandes religions universelles, en particulier des traditions judaïque, chrétienne et islamique dont la religion baha'ie fait partie. La base de la Foi baha'ie n'est pas une aspiration générale et sans obligation du coeur humain, mais la nouvelle Parole de Dieu (79) révélée par Baha'u'llah pour l'ensemble de l'humanité.

Et finalement, la rédemption de l'homme est conçue d'une manière différente, non pas comme "le produit de l'effort humain" grâce à la "conscience cosmique" mais comme un acte de salut divin et, en réponse, comme l'orientation de l'homme vers la révélation divine dans la foi et la subordination de toute sa vie à la loi divine. C'est une nouvelle alliance, "une alliance éternelle" (80) que Dieu a conclue avec l'humanité. L'arc-en-ciel que le New Age a adopté comme symbole de la capacité que possède l'homme de se créer lui-même et de trouver son propre salut grâce à la conscience cosmique est justement, d'après la Bible, le signe de l'alliance de Dieu (81) et la base de cette alliance est la loi, le commandement divin selon lequel l'homme doit diriger sa vie. Ce qui distingue la Foi baha'ie est que l'homme, sans efforts et sans orienter sa vie entière selon la norme divine, ne peut trouver le salut, ni dans ce monde ni dans l'au-delà.
On ne peut atteindre le but désiré sans engagement. Et sans critères valables pour tous, il est impossible de penser comment notre société peut surmonter sa croix, c'est-à-dire le pluralisme, le caractère facultatif des valeurs morales et le manque d'une éthique obligatoire universellement acceptée. Etant donné que l'homme, à juste titre, ne reconnaît aucune autorité de la part de ses égaux dans le domaine de la morale, la nouvelle morale ne peut être qu'une théonome: Dieu est législateur.


11. L'avenir

La religion baha'ie partage avec le New Age la vision optimiste de l'avenir de l'humanité et l'espérance, et même plus, la certitude qu'au-delà de toutes les frayeurs, que l'humanité supporte à notre époque pleine à ras bord de souffrances, un avenir lumineux nous attend, que les catastrophes apocalyptiques ne sont que les douleurs d'accouchement d'une ère nouvelle. Car le royaume messianique qui nous a été promis, le "royaume de Dieu sur terre", va être établi et, comme Baha'u'llah l'a promis, la terre deviendra "le marchepied de ton Dieu" (82): "Non est ad astra mollis e terris via" - "Il n'est pas de route aisée de la terre aux étoiles" (83).


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Notes

(1) Wahrnehmung der Neuzeit, p. 7.

(2) "Wer kann die Apokalypse aufhalten?" ("Qui peut retenir l'apocalypse?"), c'est le sous-titre du livre de Rudolf Bahro, Logik der Rettung (La logique du sauvetage), Stuttgart, 1987.

(3) Die Antiquiertheit des Menschen, Vol. I, p. 233.

(4) "Ce qui n'était chez Goethe qu'un événement d'exception de caractère aventureux, engendrant l'effroi et digne d'être mis en vers sous forme de ballade, nous le rencontrons sans cesse, cela nous arrive de façon continue...: les 'manches à balai doués d'autonomie, c'est-à-dire les appareils, les centrales électriques, les missiles nucléaires, les engins aéronautiques, les complexes industriels qui sont nécessaires à leur fabrication, constituent tous ensemble notre monde quotidien... Et il faut ajouter à cela que ces 'esprits' ont une tendance inexorable à croître et à se multiplier... qu'ils deviennent de plus en plus autonomes; et qu'ils nous rendent à l'inverse de plus en plus dépendants du fait de cette accumulation de pouvoir et de cette autonomie. Goethe avait déjà envisagé une telle accumulation lorsqu'il avait fait fonctionner le robot coupé en deux moitiés comme un couple de robots... Tandis que, chez Goethe, il y avait un seul manche à balai, isolé, devenu autonome de façon prodigieuse, puis un couple de manches à balai, nous, les êtres d'aujourd'hui, vivons dans une forêt dense et de plus en plus dense de manches à balai. Et comme il n'existe pas de possibilité d'abattre cette forêt ou de lui échapper, cette forêt est devenue notre monde" (Die Antiquiertheit des Menschen, Vol. II, p. 401 sq.

(5) Das Untier, p. 7, 113.

(6) So laßt uns denn ein Apfelbäumchen pflanzen, p. 7.

(7) Ibid., p. 14.

(8) "L'heure est venue", c'est le sous-titre du livre de Hoimar v. Ditfurth.

(9) 24:1.

(10) 24:4.

(11) 24:5-6.

(12) 24:11.

(13) 24:20.

(14) 24:2.

(15) II. Pierre 3:13; Esaïe 65:17; Rév. 21:1.

(16) Rév. 21:3.

(17) Rév. 21:4.

(18) Rév. 21:5.

(19) Mat. 24:3; 28:20.

(20) Eon.

(21) Le mot aiôn doit être considéré en rapport avec l'araméen colam (en arabe: calam) que Martin Buber traduit par "époque".

(22) Es. 2:2 ff.; 65:17; 66:22; Ez. 34:25; 37:26; Mich. 4:1-4.

(23) Pour un nouveau paradigme, 1981.

(24) Science, société, nouvelle culture, 1986.

(25) Autres ouvrages sur ce sujet: Ken Wilber, Halbzeit der Evolution, Bern-München-Wien, 1984; Robert Muller, Die Neuerschaffung der Welt. Auf dem Weg zu einer globalen Spiritualität, München, 1985; Elmar Gruber, Was ist New Age? Bewußtseinstransformation und neue Spiritualität, Freiburg, 1987; Hans-Jürgen Ruppert, New Age. Endzeit oder Wendezeit? Wiesbaden, 1985.

(26) Le concept d'"âge du Verseau" vient de l'astrologie. C'est la base du calcul que Platon fait de l'âge du monde, c'est-à-dire 25 200 ans, le temps dont le Soleil a besoin pour parcourir tous les signes du zodiaque. Pour chaque signe du zodiaque, le Soleil a besoin d'environ 2100 ans. D'après ce calcul, nous nous trouvons à un tel passage de la position printanière du signe zodiacal des "Poissons" - l'ère chrétienne - à celui du "Verseau".

(27) Global denken, p. 43

(28) "Bifurcation". La théorie de système dynamique décrit avec ce terme le changement de direction soudain dans l'évolution d'un système. Une fois atteint le point critique, l'ordre des choses s'effondre. Le système change d'une manière chaotique jusqu'à ce qu'un nouvel ordre s'établisse (Laszlo, p. 39 sq.). Voir aussi: E. Laszlo, "Footnotes to a History of the Future", dans: Futures (octobre 1988, pp. 479-492); id. The Age of Bifurcation, New York-London, 1992.

(29) Le déclin de l'Occident, esquisse d'une morphologie de l'histoire universelle, Paris, 1931-1933.

(30) Die geistige Situation der Zeit, p. 16.

(31) Modèle: ce terme joue un rôle central dans l'ouvrage du physicien et historien scientifique américain Thomas S. Kuhn (La structure des révolutions scientifiques). Le paradigme "représente tout l'ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d'un groupe donné" (Kuhn, p. 207), donc un modèle d'explication.

(32) Le temps du changement, p. 35, 53 sqq.

(33) Beantwortung der Frage: Was ist Aufklärung? p. 53.

(34) "Le métier et la vocation de savant", dans: Le Savant et le politique, p. 70.

(35) J'ai décrit ce processus dans mon ouvrage Der Baha'i in der modernen Welt, p. 17-50 (édition anglaise: The Imperishable Dominion. The Baha'i Faith and the Future of Mankind, Oxford 1983); voir Friedrich Cardinal Wetter (archevêque de Munich), A propos de la situation de la foi en Allemagne, dans: zur debatte 19. Jg. Heft 1 (Jan./Febr. 1989), p. 2 sq.

(36) Die geistige Situation der Zeit, p. 16.

(37) Aux prises avec Dieu: La théologie protestante au XXe siècle, p. 184.

(38) Cité par K. Lehmann, Vom Sinn christlicher Existenz zwischen Enthusiasmus und Institution, p. 47.

(39) Wolfgang Kraus, Nihilismus heute, p. 138.

(40) "Des rêves mortels, à travers lesquels passe une caravane d'icebergs", c'est ainsi que H.-M. Enzensberger la qualifie dans son épopée Der Untergang der Titanic, une parabole sur la condition du monde.

(41) Dans une interview radiophonique.

(42) Die neue Unübersichtlichkeit, p. 143.

(43) En 70 ans de despotisme, "un nombre sans pareil d'hommes" furent exterminés en Union soviétique par la détention, les déplacements de force, la famine (conséquence de la collectivisation obligatoire de l'agriculture) et les persécutions religieuses et politiques (Serge Solowjow, Radio Moscou, d'après un reportage du Süddeutsche Zeitung du 17 août 1990). Le régime Pol Pot a exterminé environ un million de personnes, presque un quart de la population, la plupart des gens éduqués et des intellectuels. La révolution culturelle en Chine a coûté la vie à des centaines de mille, des dizaines de milliers se sont suicidés et le "grand saut en avant" de Mao Zedong a coûté la vie à presque 10 millions de personnes qui sont mortes de faim.

(44) Wolfgang Kraus poursuit les traces de ce nihilisme que des penseurs révolutionnaires proclamèrent dans toute l'Europe avant le tournant du siècle, et de l'atmosphère de renouveau anarchique dont certains poètes s'inspirèrent dans le domaine de l'art, de la philosophie et de la psychologie. Il décrit d'une manière impressionnante comment ce nihilisme historique - juste un prélude à une transformation profonde et générale de la conscience - s'est développé imperceptiblement en une névrose collective qui s'est révélée être la véritable cause de notre crise spirituelle. "La déception, l'amertume, cette haine de l'histoire, des illusions passées et de la réalité présente qui n'ont plus rien à offrir, sont à l'origine de ce nihilisme qui nous envahit. Le nihilisme est l'envers de l'espérance en un paradis terrestre. Et nous en sommes arrivés à ce point. Le désir ardent de se prendre pour Dieu anéantit le possible. L'échec, la haine de soi, la perte de l'équilibre sont des signes d'une apocalypse insidieuse à laquelle peut succéder, s'il n'y a pas d'autres changements, l'anéantissement dramatique de l'humanité" (Nihilismus heute, p. 138).

(45) Pierre Joseph Proudhon écrivit en 1843: "L'homme est destiné à vivre sans religion... La loi morale est... éternelle et absolue... Qui donc aujourd'hui oserait attaquer la morale?" (De la création de l'ordre dans l'humanité ou principes d'organisation politique, p. 58).

(46) "Il n'y a pas de raison ni logique ni impérative pour que je ne doive pas haïr, quand, par là, je ne m'attire sur moi aucun inconvénient du point de vue social. Toute tentative de motiver la morale non pas par une vision de l'au-delà mais par l'intelligence terrestre... se base sur des illusions harmonistes. Tout ce qui a à voir avec la morale revient en fin de compte à la théologie" (Die Sehnsucht nach dem ganz anderen, p. 60).

(47) Carl-Friedrich Geyer, Die Wiederkehr mythischen Denkens, p. 7.

(48) La société occidentale est atteinte d'un véritable "psychoboom". Plus de 600 thérapies différentes sont proposées en Allemagne, des freudiens classiques aux sectaires d'Extrême-Orient, des séminaires de méditation sur les plantes médicinales à la dynamique de groupe pour futurs managers. La psychologie sort ici de son cadre médico-professionnel pour nous proposer des significations et des repères, une Weltanschauung, une forme de foi séculaire.

(49) Hans Jörg Hemminger (éd.), Die Rückkehr der Zauberer. New Age. Eine Kritik, Wiesbaden, 1987.

(50) Hans-Jürgen Ruppert, Die Hexen kommen. Magie und Hexenglaube heute, Wiesbaden, 1987.

(51) Pensées (B 816).

(52) David Spangler, dans: Wege ... Zur Synthese von Natur und Mensch no 4/1984, p. 6 sq.

(53) Le temps du changement, p. 274.

(54) Logik der Rettung, p. 260.

(55) Cité d'après M. Basilea Schlink, New Age, p. 6.

(56) "Expérimentée de cette façon, la méditation n'est pas la supplication et la prière à un dieu, mais un retour au divin qui existe en nous-mêmes" (Rudolf Bahro, Logik der Rettung, p. 291).

(57) Die Baha'i, p. 7.

(58) Voir TRE (Theologische Realenzyklopädie, Berlin, 1979), "Baha'ismus"; Udo Schaefer, The Baha'i Faith: Sect or Religion?, Ottawa 1988 (Etudes Baha'ies no 16).

(59) Encyclopedia Britannica. Book of the Year 1988, p. 303.

(60) I. Cor. 1:23.

(61) Voir Coran 4:88; 6:31; 7:187; 18:21; 20:102; 22:7; 39:68; 78:1-2 et autres.

(62) Zeitenwende? Die Hoffnung der Religionen auf einen kommenden Retter, conférence radiodiffusée (Südwestfunk, Baden-Baden, 5 janvier 1975).

(63) Voir Jean 16:13.

(64) La Proclamation de Baha'u'llah, p. 82.

(65) Voir Jean 16:13.

(66) Tablettes 2:12; Extraits 116:1.

(67) Voir Mat. 13:30,39.

(68) La Proclamation de Baha'u'llah, p. 83.

(69) Ainsi parlait Zarathoustra (L'heure la plus silencieuse), p. 211.

(70) Voir Mat. 24:42-44; I. Thess. 5:2; I. Pierre 4:15; Rév. 3:3; 16:15.

(71) "Jusques à quand l'humanité s'obstinera-t-elle dans sa perversité? Combien de temps encore fera-t-elle triompher l'injustice? Combien de temps le chaos régnera-t-il parmi les hommes, et la discorde agitera-t-elle la face de la société? Les vents du désespoir soufflent, hélas! de toutes les directions, et les querelles qui divisent et affligent l'humanité s'enveniment chaque jour... Bientôt vous sentirez passer sur vous les rafales de son châtiment, et la poussière de l'enfer vous recouvrira comme un linceul (Extraits 110; 103:5)... O vous peuples du monde, sachez en toute certitude qu'une calamité imprévue vous poursuit et qu'un châtiment douloureux vous attend. Ne croyez pas que les actes que vous avez commis soient effacés de ma vue" (Les Paroles Cachées, pers. 63). Dans ce contexte, Baha'u'llah mentionne une commotion globale qui précédera la victoire de la cause divine: "Et quand l'heure fixée sera venue, soudainement, apparaîtra ce qui fera trembler les membres de l'humanité. Alors, et alors seulement, sera déployé le divin étendard; alors, et alors seulement, le Rossignol des cieux fera entendre sa pure mélodie" (Extraits 61).

(72) D'après Baha'u'llah, la condition pour la paix universelle et éternelle (comme l'exigeait Emmanuel Kant dans son traité Projet de Paix Perpétuelle, publié en 1795) est le triomphe sur tous les préjugés et les barrières religieux, raciaux et politiques, une éthique nouvelle qui provient de la foi, l'amour universel de l'humanité, la conscience de l'humanité et une nouvelle étape de la vie politique grâce au triomphe de l'ordre international et la création d'une communauté fédérale, c'est-à-dire: l'unité spirituelle et politique de l'humanité. C'est la nouvelle parole de Dieu, créatrice et transformatrice, qui est la force motrice de cette transformation spirituelle et politique, le lógos qui, dans le passé, a déjà produit des transformations gigantesques.

(73) Baha'u'llah l'a prédit avec autant de clarté que la force nucléaire et les problèmes que la fission de l'atome nous a apportés (voir Tablettes 6:31-32). A une époque où la première révolution industrielle venait de commencer et où tout ce processus aurait encore pu être contrôlé, il nous a mis en garde contre une civilisation en déséquilibre qui aboutirait à l'anéantissement de notre espace vital: "La civilisation d'où découle tant de bien lorsqu'elle reste modérée deviendra, si elle est portée à l'excès, une source aussi abondante de mal" (Extraits 163:2). La solution qu'il propose n'est pas le retour aux conditions préindustrielles mais à la modération de la civilisation, la vertu de la bonne mesure que nous avons depuis longtemps perdue. Voir à ce sujet: Robert A. White, "Spiritual Foundations for an Ecologically Sustainable Society", dans: La Revue des Etudes Baha'ies, Tome 2, no 1, p. 33 sqq.

(74) "Quoi d'autre que l'élixir de cette puissante révélation pourrait la purifier et lui rendre la vie?" (Extraits 99).

(75) "Mémorial", dans: Oeuvres, p. 554; voir Ex. 3:6; Actes 3:13; Coran 12:38; Tablettes de Baha'u'llah 17:122.

(76) Voir note 53.stimmt!

(77) "Quia communis est omnibus veritas. Non est nec mea, nec tua; non est illius, aut illius: omnibus communis est" (Enarrationes in Psalmos LXXV 17 [20]). "Non habeo quasi privatum meum, nec tu privatum tuum. Veritas nec mea sit propria, nec tua, ut et tua sit et mea" (ibid. CIII, 11 [25]).

(78) Cité d'après Esslemont, Baha'u'llah et l'ère nouvelle, p. 324.

(79) Oskar Schatz mentionne à juste titre la transformation de la situation de conflit qui a pris place dans la période soi-disant postmoderne: "Ce ne sont plus la religion et la science institutionnalisées qui se font face, mais la religion et la science d'un côté, et les 'nouvelles mythologies' de l'autre" (Oskar Schatz/Hans Spatzenegger [éd.], Wovon werden wir morgen geistig leben? Mythos, Religion und Wissenschaft in der "Postmoderne", Préface p. 11; voir aussi Franz König, ibid., p. 25, 31).

(80) Esaïe 55:3; 61:8; 65:17; Mich. 4:1-4.

(81) Gen. 9:13.

(82) Extraits 14:6.

(83) Sénèque, Tragédies, Hercule furieux 437.

Association d'Etudes Baha'ies - Europe francophone (A.E.B.E.F.)
Traduit de l'allemand par Hélène Momtaz de Neri
ISBN: 2-940067-01-5

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