Médiathèque baha'ie

Article de presse du journal
Le Monde
source 9 juillet 2003

Iran : la Commission des droits de l'homme de l'ONU dresse un bilan alarmant


La Commission des droits de l'homme de l'ONU
demande la suppression des tribunaux religieux et révolutionnaires
à l'origine de nombreuses détentions arbitraires
Genève de notre correspondante

Très attendu à Téhéran, un nouveau rapport de la Commission des droits de l'homme de l'ONU sur les détentions arbitraires recommande la "suppression" des tribunaux religieux et révolutionnaires, car ils sont "à l'origine d'un grand nombre de cas de détention arbitraire pour délit d'opinion".

Le document, obtenu par Le Monde, est basé sur les conclusions d'une visite en Iran d'observateurs des droits de l'homme, la première du genre en République islamique.

Désireux d'améliorer son image, le gouvernement iranien a en effet lancé, en début d'année, une "invitation ouverte" aux rapporteurs thématiques de la Commission des droits de l'homme de l'ONU, dans le cadre de ce que l'ambassadeur iranien auprès de l'ONU à Genève, Ali-Reza Alborzi, qualifie de "nouvelle approche de l'Iran en matière de droits de l'homme". Cette première mission devrait être suivie, "dans les prochains mois" par celles d'autres observateurs sur la liberté d'expression, les disparitions présumées et les violences perpétrées à l'égard des femmes.

En ouvrant pour la première fois ses prisons à des observateurs des droits de l'homme, l'Iran "rejoint le camp des Etats qui acceptent le risque d'être critiqués parce qu'ils prennent l'initiative de coopérer, et non celui de ceux qui sont profondément critiquables parce qu'ils refusent de coopérer", dit le rapport.

Les experts de l'ONU notent que les détentions arbitraires en Iran sont "essentiellement liées aux atteintes portées à la liberté d'opinion et d'expression et à de nombreux dysfonctionnements dans l'administration de la justice". Ils déplorent le fait que, "loin de cesser ou de diminuer, les persécutions contre les milieux de la presse se sont accrues" ces derniers mois.

"STRATÉGIE DE L'ISOLEMENT"


Présidé par le magistrat français Louis Joinet, le groupe de travail a pu visiter, du 15 au 27 février, plusieurs prisons dont une militaire, des centres de détention et des commissariats de police à Téhéran, Ispahan et Chiraz. Il a même été autorisé à visiter la prison 209 à Evin, "une véritable "prison dans la prison" aménagée pour pratiquer méthodiquement et à très grande échelle les détentions solitaires prolongées". "Dans la prison 209 d'Evin, a déclaré au Monde M. Joinet, le groupe de travail a été confronté, pour la première fois depuis sa création, à une stratégie de l'isolement pratiquée à une telle échelle."

Le groupe avait reconstitué le plan de chaque prison à visiter à l'aide de témoignages recueillis auprès d'anciens détenus en exil et s'était procuré la photographie de la plupart des prisonniers politiques, avec lesquels il avait prévu des entretiens. Dans leur quasi-totalité, les 45 détenus figurant sur la liste des détenus remise aux autorités iraniennes sont poursuivis pour avoir exercé "pacifiquement leurs droits constitutionnels" d'expression.

En termes d'accès aux prisons et aux détenus, le groupe qualifie de "globalement positive" la coopération des autorités. Il "déplore" en revanche le fait que "certaines autorités judiciaires, sous le contrôle des conservateurs, aient délibérément tenté de porter atteinte à la crédibilité de l'invitation faite par le gouvernement", en procédant, pendant la visite, à l'arrestation de quatre journalistes. "Plusieurs personnes ont également été arrêtées parce qu'elles avaient essayé de nous rendre visite à notre hôtel", rapporte Louis Joinet.

Les experts se disent "gravement préoccupés" par le fait que les adeptes de la foi bahaie fassent "constamment l'objet de persécutions". Ils ont été particulièrement frappés par "l'absence d'une culture de l'avocat et donc de la défense". Cette situation s'explique par le fait que "tout le processus pénal est concentré dans les mains d'une seule personne puisque c'est le même juge qui engage les poursuites, instruit le dossier et juge l'affaire". En ce qui concerne les prisonniers politiques, dans plusieurs cas les avocats assurant la défense des détenus sont eux-mêmes arrêtés et, "circonstance aggravante", sont le plus souvent jugés par les tribunaux révolutionnaires "qui n'ont pas de légitimité constitutionnelle".

Aussi, les rapporteurs jugent "regrettable" la récente désignation "contestable et contestée" de Saïd Mortazari aux fonctions de procureur général de Téhéran qui "a été ressentie par les milieux de la presse comme une provocation". Ce magistrat avait déjà été fortement dénoncé par la Commission des droits de l'homme comme étant "à l'origine de la fermeture massive de journaux en Iran en l'an 2000 et de la vague d'arrestations de journalistes et d'éditeurs".

Ayant été rédigé en mai, le rapport ne fait pas allusion à des arrestations massives (entre 3 000 et 4 000) survenues lors du mouvement de protestation des étudiants en juin.

Afsané Bassir Pour
Journal: Le Monde

Retour à la bibliothèque