Médiathèque baha'ie

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Tribune de Genève – 28/10/04 – www.tdg.ch


Les baha’is d’Iran: des justes inconnus

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Les baha’is d’Iran: des justes inconnus


« Les baha’is pratiquent pourtant la loyauté la plus stricte vis-à-vis des différents pouvoirs qui n’ont cessé en retour de les maltraiter. »
Antoine Maurice
Tribune de Genève - le 28 octobre 2004 - www.tdg.ch

La communauté baha'i en Iran constitue la plus grande minorité religieuse du pays (300 000 personnes). Tous les baha'is ne vivent pas en Iran mais c'est de la Perse qu'est originaire cette foi, selon sa propre dénomination, dont le fondateur Bahah’u’llah prêcha au milieu du XIXe siècle une réforme spirituelle et morale de l'islam, passant par l'adoption d'une égalité entre les hommes et les femmes. La foi baha'ie a développé sur les marges de l'islam et sur le socle de trois monothéismes une religion singulière et pacifique, compatible avec la marche des savoirs rationnels (libre examen).

Ces qualités sont probablement plus qu'il n'en faut dans un pays qui se caractérise depuis vingt-cinq ans par la prééminence jalouse de sa religion, le chiisme, aussi bien sur les gens que sur les institutions. La Révolution iranienne de 1979 a compté parmi les grandes révolutions du siècle passé aux côtés de la Révolution kémaliste en Turquie et de la Révolution bolchevique en Russie. Dans les trois cas il s'est agi d'un processus d'ajustement à la modernité abrupt mais dirigé. Pourtant, à l'inverse du côté anachronique des situations prérévolutionnaires en Turquie et en Russie, la modernité étant allé trop loin sous le dernier shah, la Révolution islamique iranienne effectua un violent retour du balancier.

La Révolution iranienne s'en est prise à toutes les formes d'organisation civile qui n'étaient pas révolutionnaires. Le fait est que, dès le lendemain de la révolution, les coups qui n'avaient pas manqué depuis sa fondation ont recommencé à pleuvoir sur la communauté baha'ie sous tous les prétextes.

Pendant les premières années, la répression s'est exercée en particulier sur les membres de la communauté qui avaient un statut bourgeois, ce qui sous le shah était relativement fréquent puisque les baha'is, mieux tolérés à cette époque et hautement instruits, occupaient certaines positions d'influence ou de pouvoir. Pas plus d'ailleurs que d'autres communautés ethniques et religieuses. Il y eut alors nombre de disparitions et d'assassinats de membres de la communauté, tandis que ceux qui le pouvaient s'enfuyaient à l'étranger. A l'étranger les Baha'is comptent, circonstance aggravante aux yeux du régime de Téhéran, dans de nombreux pays dont la Suisse une diaspora qui les accueille. Comme toutes les minorités opprimées, surtout en Orient, ils sont aussi intensément solidaires entre eux.

Plus tard, en raison du réseau international qu'ils ont su sensibiliser, le sort des baha'is a été évoqué devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU à Genève (parmi d'autres abus commis par le régime de Téhéran). Il en résulte un certain relâchement des abus les plus flagrants, les assassinats notamment. Récemment toutefois, le pouvoir à Téhéran a repris son inlassable traque des baha'is et la communauté est à nouveau inquiète partout dans le monde.

Les baha'is pratiquent pourtant la loyauté la plus stricte vis-à-vis des différents pouvoirs qui n'ont cessé en retour de les maltraiter.

Ils sont privés des droits les plus élémentaires, puisqu'ils ne peuvent ni exercer leur culte ni même le confesser. On cherche par tous les moyens, ruse ou violence, à les faire abjurer, par exemple à l'entrée des jeunes dans l'Université. Ces derniers ne peuvent en effet étudier que s'ils se renient expressément. Des lieux de cultes sont détruits, les réunions sont interdites, les passeports étaient refusés jusqu'à une date récente. Les baha'is avoués ne peuvent non plus être électeurs ni élus. La communauté baha'ie se réunit en assemblée dans son siège international de Haïfa. Les Iraniens ne peuvent s'y rendre. En bref, la citoyenneté, fortement restrictive dans un régime autoritaire comme l'Iran, leur est carrément retirée.

Quel sens revêt la foi baha'ie dans une aire islamique éruptive? La question semble aussi brutale que la réponse qui lui est donnée par le régime de Téhéran. Cette religion de transition vers la rationalité, violemment rejetée par la Révolution iranienne, compose sous une espèce anthropologique pure la figure de l'hérétique puis du bouc émissaire, auquel on attribue tous les malheurs de la société. Elle est vue comme une conspiration alors que rien en elle ne relève de la dissimulation et qu'au contraire le pouvoir conspire pour la détruire.

Sur le plan interne à la communauté la réponse est plus surprenante encore: c'est une foi de peu d'articles, de rituels économes largement dépourvus de superstition. Personne n'y joue ni les martyrs ni les saints, ni même les guides spirituels. L'exemplarité du juste y est plus forte que toute révérence. La solidarité y tient le rôle essentiel. L'émergence à contretemps historique et géographique, dans la plus grande humilité, de tels justes inconnus, serait bouleversante même s'ils n'étaient si injustement persécutés.


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