La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE XII : le voyage du Bab de Kashan à Tabriz

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Accompagné de son escorte, le Bab partit en direction de Qum. (12.1) Son charme séduisant associé à sa dignité imposante et à son inaltérable bienveillance avait cette fois, complètement désarmé et transformé ses gardes. Ils semblaient avoir renoncé à leurs droits et devoirs et s'être résignés à sa volonté et à son bon plaisir. Dans leur empressement à le servir et à lui faire plaisir, ils firent un jour cette remarque:

PHOTO: vues de la ville de Qum, montrant le Haram-i-Ma'sùmih

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"Le gouvernement nous a formellement interdit de vous laisser entrer dans la ville de Qum et nous a donné l'ordre de nous rendre directement, par un itinéraire peu fréquenté, à Tihran. Nous avons également reçu l'ordre formel de ne pas nous approcher du Haram-i-Ma'sumih, (12.2) ce sanctuaire inviolable dans lequel les criminels les plus notoires sont à l'abri de toute arrestation. Nous sommes cependant disposés, par amour pour vous, à passer outre à toutes les instructions que nous avons reçues. Si vous le désirez, nous pourrons vous conduire sans la moindre hésitation à travers les rues de Qum et vous permettre de visiter le tombeau sacré de cette ville." "Le coeur du véritable croyant est le trône de Dieu", observa le Bab. "Celui qui est l'arche du salut et la forteresse imprenable du Tout-Puissant voyage à présent avec vous à travers ce désert. Je préfère la route de campagne à la visite de cette ville impie. L'être immaculé dont les restes sont enterrés dans ce tombeau, son frère et ses illustres ancêtres pleurent la condition de ce peuple inique. En parole, il rend hommage à cette sainte personne mais, par ses actes, il déshonore sans cesse son nom. Il sert et révère en apparence son tombeau mais, en fait, il avilit sa dignité."

Des sentiments aussi sublimes avaient instillé dans le coeur de ceux qui accompagnaient le Bab une confiance telle que si celui-ci avait, à un moment quelconque, décidé de revenir brusquement sur ses pas et de les quitter, aucun de ses gardes ne se serait senti troublé ou n'aurait tenté de le poursuivre. Voyageant par un itinéraire qui contournait, par le nord, la ville de Qum, ils s'arrêtèrent au village de Qumrud qui appartenait à l'un des parents de Muhammad Big et dont les habitants étaient tous membres de la secte d"aliyu'llahi. À l'invitation du chef du village, le Bab passa une nuit dans ce lieu et fut ému par la cordialité et la spontanéité de la réception que lui avait réservée ces gens dans leur simplicité. Avant de reprendre son voyage, il demanda en leur faveur les bénédictions du Tout-Puissant et réjouit leurs coeurs en les assurant de son appréciation et de son amour.

Après une marche de deux jours, ils arrivèrent, dans l'après-midi du huitième jour après Naw-Ruz, à la forteresse de Kinar-Gird, (12.3) qui se trouve à six farsangs au sud de Tihran. Ils entendaient atteindre la capitale le jour suivant et avaient décidé de passer la nuit dans le voisinage de cette forteresse, lorsqu'un messager arriva brusquement de 'Tihran, porteur d'un ordre écrit de Haji Mirza Aqasi destiné à Muhammad Big. Ce message lui ordonnait de partir aussitôt avec le Bab vers le village de Kulayn, (12.4) où Shaykh-i-Kulayni, Muhammad-ibn-i-Ya'qub, auteur de l'Usul-i-Kafi était né, avait été enterré auprès de son père, et dont les tombeaux sont fort honorés par les habitants du voisinage. (12.5)

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Muhammad Big devait aussi, vu l'incommodité des maisons de ce village, dresser une tente spéciale à l'intention du Bab et garder l'escorte dans le voisinage en attendant l'arrivée de nouvelles instructions.

PHOTO: le village de Qumrud

PHOTO: ruines de la forteresse de Kinar-Gird

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Au matin du neuvième jour après Naw-Ruz, c'est-à-dire le onzième jour du mois de rabi'u'th-u-thàni de l'an 1263 après l'hégire, (12.6) dans le voisinage immédiat de ce village qui appartenait à Haji Mirza Aqasi, une tente qui avait servi à l'abriter lors de ses précédentes visites fut dressée à l'intention du Bab sur la pente d'une colline, dans un site plaisant de vastes vergers et de prairies souriantes. La paix de ce lieu, la luxuriance de sa végétation et le murmure incessant de ses ruisseaux plurent beaucoup au Bab. Celui-ci fut rejoint, deux jours plus tard, par Siyyid-Husayn-i-Yazdi, Siyyid Hasan, son frère; Mulla 'Abdu'l-Karim et Shaykh Hasan-i-Zunuzi, qui furent tous invités à loger à proximité immédiate de sa tente.

PHOTO: vue 1 du village de Kulayn

PHOTO: vue 2 du village de Kulayn

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Le quatorzième jour du mois de rabi'u'th-thani, (12.7) correspondant au douzième jour après Naw-Ruz, Mulla Mihdiy-i-Khu'i et Mulla Muhammad-Mihdiy-i-Kandi arrivèrent de Tihran. Le dernier nommé, qui avait été intimement lié à Baha'u'llah dans la capitale, avait été chargé par celui-ci de présenter au Bab une lettre scellée accompagnée de certains présents qui, à peine remis aux mains du Bab, devaient provoquer en lui des sentiments inhabituels de ravissement. Son visage rayonnait de joie lorsqu'il combla le porteur des marques de sa faveur et de sa gratitude.

Ce message, reçu à une heure d'incertitude et d'attente, apporta au Bab force et réconfort. Il dissipa la tristesse qui s'était installée en son coeur et donna à son âme la certitude de la victoire. La tristesse qui avait longtemps assombri son visage, et que les périls de sa captivité avaient aggravée, s'estompait visiblement. Il ne versa plus ces larmes d'angoisse qui coulaient à profusion de ses yeux depuis les jours de son arrestation et de so,n départ de Shiraz. Le cri de "Bien-Aimé, mon Bien-Aimé", qu'il lançait lors de ses moments de tristesse et de solitude amères, firent place à des témoignages de remerciement et de louange, d'espoir et de triomphe. L'exultation qui rayonnait sur son visage ne devait plus l'abandonner jusqu'au jour où la nouvelle du désastre qui frappait les héros de Shaykh Tabarsi vint à nouveau ternir l'éclat de sa face et la joie de son coeur.

J'ai entendu Mulla 'Abdu'l-Karim raconter l'incident suivant: "Mes compagnons et moi étions profondément endormis près de la tente du Bab lorsque le galop d'un cheval nous tira soudain de notre sommeil. Nous apprîmes bientôt que la tente du Bab était vide et que ceux qui étaient sortis à sa recherche n'avaient pu le retrouver. Nous entendîmes Muhammad Big discuter avec ses gardes. "Pourquoi êtes-vous troublés? soutenait-il. Ne vous a-t-il pas suffisamment prouvé la noblesse de son âme et sa magnanimité pour que vous doutiez encore de ce qu'il ne consentira jamais, pour son propre salut, à mettre les autres dans l'embarras? Il doit, sans aucun doute, s'être retiré, dans le silence de cette nuit éclairée par la lune, en un lieu où il peut chercher à communier en paix avec Dieu. Il reviendra à sa tente, cela ne fait aucun doute. Il ne nous abandonnera jamais." Dans son empressement à vouloir rassurer ses collègues, Muhammad Big partit à pied le long de la route menant à Tihran. Moi aussi, avec mes compagnons, je le suivis. Peu après, on vit le reste des gardes, tous à cheval, venir derrière nous. Nous avions à peine couvert un Maydan (12.8) lorsqu'à la faible lueur de l'aube, nous discernâmes au loin la silhouette solitaire du Bab.

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Il venait vers nous de la direction de Tihran. "Croyiez-vous que je m'étais échappé?" dit-il à Muhammad Big en s'approchant de lui. "Loin de moi de pareilles pensées", répondit aussitôt celui-ci en se jetant aux pieds du Bab. Muhammad Big était trop impressionné par la majesté sereine que manifestait cette face rayonnante ce matin-là, pour oser faire d'autres remarques. Une expression de confiance avait envahi le visage du Bab, ses paroles étaient dotées d'un pouvoir si transcendant qu'un sentiment de profonde révérence s'empara de nos âmes mêmes. Personne n'osa l'interroger sur le motif d'un changement aussi remarquable de son discours et de son attitude. Et il ne voulut pas, quant à lui, apaiser notre curiosité et notre émerveillement."

Pendant une quinzaine de jours, (12.9) le Bab demeura dans ce lieu. La tranquillité dont il jouissait au milieu de ce beau paysage fut brutalement interrompue par la réception d'une lettre que Muhammad Shah (12.10) en personne lui avait adressée et qui était rédigée en ces termes : (12.11) "Malgré notre désir de vous rencontrer, nous nous trouvons dans l'impossibilité, vu notre départ imminent de la capitale, de vous recevoir, comme il convient, à Tihran. Nous avons fait connaître notre désir de vous voir emmené à Mah-Ku et nous avons transmis les instructions nécessaires à 'Ali Khan, le gardien de cette forteresse, afin qu'il vous traite avec respect et considération. Nous espérons et envisageons de vous convoquer ici à notre retour et, à ce moment-là, nous prononcerons notre jugement définitif. Nous espérons ne pas vous avoir causé de déception et souhaitons vous voir nous informer à tout moment et sans hésitation des injustices dont vous seriez éventuellement l'objet. Nous serions heureux que vous continuiez à prier pour notre bien-être et pour la prospérité de notre royaume (Daté de rabi'u'th-thani, 1263 après l'hégire). (12.12)

Haji Mirza Aqasi (12.13) était sans aucun doute responsable des circonstances qui avaient incité le Shah à envoyer une telle lettre au Bab. Il avait agi uniquement par crainte (12.14) de voir la rencontre prévue lui ravir sa position de chef incontesté des affaires de l'Etat et aboutir finalement à sa chute. Il ne nourrissait aucun sentiment de malveillance ou de ressentiment vis-à-vis du Bab. Il avait finalement réussi (12.15) à persuader son souverain d'exiler un adversaire aussi redoutable dans un coin retiré et perdu de son royaume et avait pu ainsi libérer son esprit d'une pensée qui l'avait continuellement obsédé. (12.16) Que son erreur était grande! Que sa bévue était sérieuse! Il ne pouvait réaliser, à ce moment-là, que par ses intrigues incessantes, il privait son roi et son pays des bienfaits incomparables d'une révélation divine qui seule avait le pouvoir de délivrer le pays de l'état de dégradation épouvantable dans lequel il était tombé.

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Par son acte, ce ministre borné non seulement retira à Muhammad Shah le moyen par lequel celui-ci aurait pu restaurer un empire en rapide déclin, mais encore priva-t-il son souverain de cet intermédiaire spirituel qui lui aurait permis d'établir sa suprématie incontestée sur les peuples et les nations de la terre. Par sa folie, son extravagance et ses conseils perfides, il mina les fondements de l'Etat, abaissa son prestige, sapa la loyauté de ses sujets et plongea ceux-ci dans un abîme de détresse. (12.17) Incapable de tirer la leçon du sort de ses prédécesseurs, il ignora avec dédain les demandes et les intérêts du peuple, poursuivit avec un zèle infatigable des desseins visant à l'accroissement de son influence personnelle et, par sa dépravation et son extravagance, engagea le pays dans des guerres ruineuses contre ses voisins.

PHOTO: Muhammad Shah

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Sa'd-iMa'adh, qui n'était, ni de sang royal ni investi d'autorité, parvint, par la droiture de sa conduite et son inlassable dévouement envers la cause de Muhammad, à un rang si élevé que, même de nos jours, les chefs et les dirigeants de l'islam continuent à honorer sa mémoire et à louer ses vertus; tandis que Buzurg-Mihr, l'administrateur le plus capable, le plus sage et le plus chevronné des vazirs de Nushiravan-i-'Adil, malgré sa position élevée, tomba finalement en disgrâce devant le public, fut jeté dans un cachot et devint l'objet du mépris et de la raillerie du peuple. Il se lamenta sur son état et pleura si amèrement qu'il en perdit finalement la vue. Ni l'exemple du premier ni le sort du second ne semblaient avoir mis ce ministre présomptueux devant l'évidence des périls de sa propre position. Il persista dans ses idées jusqu'à ce qu'il fût, lui aussi, déchu de son rang, qu'il perdît ses richesses (12.18) et qu'il sombrât dans la honte et l'humiliation. Les nombreux biens dont il s'était emparé par la force au détriment de sujets humbles et respectueux de la loi, le mobilier de valeur au moyen duquel il les avait embellis, les dépenses somptueuses en argent et en travail qu'il avait engagées en vue de 1eur amélioration-tout cela fut irrémédiablement perdu deux ans après qu'il eût publié le décret condamnant le Bab à une cruelle incarcération dans les montagnes inhospitalières d'Adhirbayjan. Toutes se possessions furent Confisquées par l'Etat. Quant à lui, il tomba en disgrâce auprès de son souverain, fut misérablement expulsé de Tihran et accablé de maux et de pauvreté. Privé d'espoir et plongé dans la misère, il languit à Karbila jusqu'à sa mort. (12.19)

Le Bab avait donc reçu l'ordre de se rendre à Tabriz. (12.20) La même escorte qui se trouvait sous le commandement de Muhammad Big le suivit dans son voyage vers la province nord-occidentale d"Adhirbayjan. Il fut autorisé à se choisir un compagnon et un assistant parmi ses disciples pour lui tenir compagnie durant son séjour dans cette province. Il porta son choix sur Siyyid Husayn-i-Yazdi et Siyyid Hasan, son frère. Il refusa d'employer pour lui-même la somme que le gouvernement avait allouée au paiement des frais de ce voyage. Il donna aux pauvres et aux nécessiteux tout l'argent fourni par l'Etat et employa, pour couvrir ses besoins personnels, l'argent qu'il avait gagné en exerçant son métier de marchand à Bushihr et à Shiraz.

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Comme l'ordre avait été donné d'éviter les villes lors du voyage vers Tabriz, un certain nombre de croyants de Qazvin, prévenus de l'approche de leur chef bien-aimé, se rendirent au village de Siyah-Dihan (12.21) et purent ainsi le rencontrer.

L'un de ceux-ci s'appelait Mulla Iskandar; il avait été délégué par Hujjat pour rendre visite au Bab à Shiraz et enquêter sur sa cause. Le Bab le chargea de remettre le message suivant à Sulayman Khan-i-Afshar, qui était un grand admirateur de feu Siyyid Kazim: "Celui dont feu Siyyid Kazim n'a cessé de chanter les louanges et à l'imminence de la révélation duquel il faisait continuellement allusion, s'est à présent manifesté. Je suis le Promis. Lève-toi et délivre-moi des mains de l'oppresseur." Quand le Bab confia ce message à Mulla Iskandar, Sulayman Khan se trouvait à Zanjan et se préparait à partir pour Tihran. En l'espace de trois jours, ce message lui parvint. Il omit toutefois de répondre à cet appel.

PHOTO: Haji Mirza Aqasi

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Deux jours plus tard, un ami de Mulla Iskandar mettait Hujjat, qui avait été incarcéré dans la capitale à l'instigation des 'ulamas de Zanjan, au courant de l'appel du Bab. Hujjat donna aussitôt aux croyants de sa ville natale l'ordre d'entreprendre tous les préparatifs et de rassembler les forces nécessaires à la libération de leur maître. Il leur enjoignit de procéder avec prudence et de tenter au moment propice, de s'emparer du Bab et de l'emmener là où il le désirerait. Ces hommes furent peu après rejoints par un certain nombre de croyants de Qazvin et de Tihran qui se mirent, conformément aux directives de Hujjat, à exécuter son plan. Ils rattrapèrent les gardes vers minuit et, les trouvant plongés dans un sommeil profond, s' approchèrent du Bab et le prièrent de s'enfuir. "Les montagnes d'Adhirbayjan réclament aussi leur droit", répondit-il confidentiellement en leur conseillant aimablement de renoncer à leur projet et de retourner chez eux. (12.22)

A proximité de la porte de Tabriz, Muhammad Big, sentant que l'heure de sa séparation d'avec son prisonnier était imminente, alla auprès de lui et, les larmes aux yeux, le pria de lui pardonner ses transgressions et ses fautes. "Le voyage d'Isfahan, dit-il, a été long et difficile; j'ai manqué à mon devoir et ne vous ai pas servi comme je le devais. J'implore votre pardon et vous prie de m'accorder vos bénédictions." "Soyez rassuré! répondit le Bab, je vous considère comme membre de mon bercail. Ceux qui embrassent ma cause vous béniront et vous glorifieront éternellement; ils exalteront votre conduite et loueront votre nom." (12.23) Le reste des gardes suivirent l'exemple de leur chef, implorèrent des bénédictions de leur prisonnier, lui baisèrent les pieds et, les larmes aux yeux lui adressèrent un dernier adieu. Le Bab exprima à chacun d'eux son appréciation pour ses attentions dévouées et l'assura de ses prières en sa faveur. A contrecoeur, ceux-ci le remirent aux mains du gouverneur de Tabriz, héritier du trône de Muhammad Shah. À ceux que ces assistants dévoués du Bab, témoins oculaires de sa sagesse et de son pouvoir surhumains, rencontrèrent par la suite, ils racontèrent avec crainte et admiration le récit de ces merveilles qu'ils avaient vues et entendues, et aidèrent ainsi, à leur propre manière, à la propagation de la connaissance de la nouvelle révélation.

La nouvelle de l'arrivée imminente du Bab à Tabriz émut les croyants de cette ville. Ils partirent tous à la rencontre de leur maître bien-aimé, empressés qu'ils étaient de l'accueillir. Les officiels du gouvernement à qui le Bab avait été confié refusèrent de les laisser s'approcher de lui et de recevoir ses bénédictions.

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Un jeune homme, cependant, incapable de se maîtriser, se précipita pieds nus à travers la porte de la ville et, dans son impatience de voir la face de son Bien-Aimé, parcourut au pas de course la distance d'un demi-farsang. (12.24) En s'approchant des cavaliers qui marchaient devant le Bab, il leur souhaita allègrement la bienvenue et, saisissant le pan du vêtement de l'un d'entre eux, baisa avec dévotion ses étriers. "Vous êtes les compagnons de mon Bien-Aimé!" s'exclama-t-il en pleurs. "Je vous aime comme la prunelle de mes yeux." Son comportement anormal et l'intensité de son émotion surprirent les gardes. Ils agréèrent aussitôt à sa demande d'aller auprès de son maître. Dès que le regard du jeune homme tomba sur celui-ci il lança un cri de joie. Il tomba face contre terre et pleura à chaudes larmes. Le Bab descendit de son cheval, le prit dans ses bras, essuya ses larmes et calma l'agitation de son coeur. De tous les croyants de Tabriz, seul ce jeune homme réussit à présenter ses hommages au Bab et à recevoir sa bénédiction de sa main. Tous les autres durent se contenter de l'apercevoir de loin, c'est ainsi qu'ils essayèrent de satisfaire leur ardent désir.

Dès son arrivée à Tabriz, le Bab fut emmené dans l'une des principales maisons de cette ville, qui avait été réservée à son incarcération. (12.25) Un détachement du régiment Nasiri monta la garde à l'entrée de sa demeure. Personne parmi le public ou les disciples, si ce n est Siyyid Husayn et son frère, ne fut autorisé à le rencontrer. Ce même régiment qui avait été recruté parmi les habitants de Khamsih et qui jouissait d'honneurs spéciaux, devait par la suite être choisi pour tirer les balles qui causèrent la mort du Bab. Les circonstances de l'arrivée du Bab avaient profondément ému les habitants de Tabriz. Une foule bruyante s'était réunie pour assister à son entrée dans la ville. (12.26) Quelques-uns venaient par curiosité, d'autres désiraient sérieusement vérifier l'authenticité des bruits incontrôlables qui circulaient à son sujet; d'autres enfin étaient mus par leur foi et leur dévotion et voulaient parvenir en sa présence pour l'assurer de leur loyauté. Lors du passage du Bab dans les rues, les acclamations de la foule retentirent de tous côtés. La plupart de ceux qui virent son visage l'accueillirent aux cris d' ' 'Allah-u-Akbar" (12.27) d'autres le glorifièrent et l'acclamèrent; quelques-uns invoquèrent sur lui les bénédictions du Tout-Puissant; d'autres enfin baisèrent avec respect la poussière des traces de ses pas. La clameur que son arrivée avait soulevée fut telle que l'on donna l'ordre à un crieur d'avertir

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la populace du danger qui menaçait ceux qui se hasardaient à rechercher sa présence. "Quiconque essaiera de s'approcher du Siyyid-i-Bab, poursuivit le crieur, ou cherchera à le rencontrer, sera condamné à l'emprisonnement à vie et verra tous ses biens confisqués."

Le lendemain de l'arrivée du Bab, Haji Muhammad Taqiy-Milani, marchand notoire de la ville, en compagnie de Haji 'Ali-'Askar, eurent l'audace d'aller lui rendre visite. Leurs amis et ceux qui leur voulaient du bien les avertirent qu'ils risquaient, dans une pareille tentative, non seulement de perdre leurs biens, mais encore de mettre leur vie en péril. Ils refusèrent cependant de prêter l'oreille à de tels conseils. Alors qu'ils étaient à proximité de la porte de la maison ou le Bab se trouvait incarcéré, ils furent brusquement arrêtés. Siyyid Hasan, qui sortait à ce moment-là de chez le Bab, intervint aussitôt. "Le Siyyid-i-Bab m'a donné l'ordre", protesta-t-il avec véhémence, "de vous communiquer ce message: "Laissez entrer ces visiteurs, car c'est moi-même qui les ai invités à venir me voir." J'ai entendu Haji 'Ali-'Askar affirmer ce qui suit: "Ce message réduisit aussitôt les adversaires au silence. Nous fûmes introduits directement auprès du Bab. Ce dernier nous accueillit par ces paroles: "Ces malheureux qui surveillent l'entrée de ma maison sont placés là pour me protéger contre la ruée de la foule qui afflue aux alentours. Ils sont impuissants à empêcher ceux que je désire rencontrer de parvenir jusqu'à moi." Nous passâmes environ deux heures en sa compagnie. Au moment de nous congédier, il me confia deux pierres en cornaline

PHOTO: panorama de la ville de Tabriz

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pour bagues, me chargeant d'y faire graver les deux versets qu'il m'avait donnés auparavant, de les faire monter et de les lui apporter dès qu'elles seraient prêtes. Il nous assura que personne ne pourrait nous empêcher de venir auprès de lui lorsque nous en exprimerions le désir. Plusieurs fois j'eus le courage d'aller chez lui afin d'avoir sa confirmation quant aux détails de la commission qu'il m'avait confiée. Je ne rencontrai à aucun moment la moindre opposition de la part de ceux qui gardaient l'entrée de sa maison. Ceux-ci ne prononcèrent pas la moindre parole offensante à mon égard, et ne semblèrent pas attendre la moindre récompense pour leur indulgence.

"Je me rappelle combien je fus impressionné, dans mes relations avec Mulla Husayn, par les multiples preuves de sa perspicacité et de son extraordinaire pouvoir. J'eus le privilège de l'accompagner dans son voyage de Shiraz à Mashhad, et visitai avec lui les villes de Yazd, Tabas, Bushruyih et Turbat. Je regrettais alors de n'avoir pu rencontrer le Bab à Shiraz. "Ne soyez pas triste", m'assura Mulla-Husayn confidentiellement. "Le Tout-Puissant peut sans doute

PHOTO: arche (citadelle) de Tabriz, où fut emprisonné le Bab

PHOTO: intérieur et extérieur de la chambre que le Bab occupait

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compenser pour vous à Tabriz la perte que vous avez subie à Shiraz. Pour compenser la visite que vous avez manquée, il vous permettra, non pas une fois mais bien sept, de partager la joie de sa présence." Je fus étonné de la confiance avec laquelle il prononçait ces paroles. Ce n'est que lors de ma visite au Bab à Tabriz où, en dépit de circonstances adverses, je fus autorisé à me rendre plusieurs fois auprès de lui, que je me souvins des paroles de Mulla Husayn et m'émerveillai devant sa remarquable prévision. Que ma surprise fut grande lorsqu'à ma septième visite, le Bab parla en ces termes:

"Louanges à Dieu, qui vous a permis de compléter le nombre de vos visites et qui vous a accordé son aimante protection.

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PHOTO: forteresse de Mah-ku

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NOTE DU CHAPITRE 12:

(12.1) Emplacement du second tombeau le plus sacré de la Perse, et lieu d'inhumation de plusieurs des rois de ce pays, parmi lesquels Fath-'Ali et Muhammad Shah.

(12.2) "A Qum gisent les restes de sa soeur (Imam Rida), Fatimiy-i-Ma'suMah, c'est-à-dire l'immaculée, qui d'après certains, y vécut et y mourut, après avoir fui de Baghdad pour échapper à la persécution des Khalifs et qui, d'après d'autres, tomba malade et mourut à Qum, alors qu'elle allait voir son frère à Tus. Celui-ci pour sa part, rend, croient les shi'ahs pieux, compliment pour compliment en allant tous les vendredis de son tombeau à Mashhad pour la visiter (Lord Curzon, "Persia and the Persian Question", Vol. II, p. 8.)

(12.3) Station sur la vieille route d'Isfahan, située à environ 28 miles de Tihran ("A Traveller's Narrative", p. 14, note 2)

(12.4) Voir "A Traveller's Narrative", p. 14, note 3.

(12.5) "Le bruit s'en étant répandu, il fut impossible d'exécuter l'ordre du premier ministre Haji Mirza Aqasi. D'Isfahan à Tihran on ne parlait que de l'iniquité du clergé et du gouvernement par rapport à Bab; partout on murmurait, on criait à l'injustice." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 355.)

(12.6) Le 29 mars 1847 ap. J-C.

(12.7) Le 1er avril 1847 ap. J-C.

(12.8) Voir glossaire.

(12.9) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 14), le Bab resta vingt jours dans le village de Kulayn.

(12.10) Oh 'Muhammad Shah", écrit Gobineau, "était un prince d'un caractère tout particulier, non point rare en Asie, mais tel que les Européens n'ont guère su l'y voir, et encore moins l'y comprendre. Bien qu'il ait régné dans un temps où les habitudes de la politique locale étaient encore assez dures, il était doux et endurant, et sa tolérance s'étendait jusqu'à assister d'un oeil fort placide aux désordres de son harem qui, pourtant, auraient eu quelque droit de le fâcher; car, même sous Fath-'Ali Shah, le laisser-aller et le caprice des fantaisies ne furent jamais portés aussi loin.

On lui prête ce mot, digne de notre 18è siècle: "Que ne vous cachez-vous un peu, madame? Je ne veux pas vous empêcher de vous amuser." Mais chez lui ce n'était point affectation d'indifférence, c'était lassitude et ennui. Sa santé avait toujours été déplorable; goutteux au dernier degré, il souffrait des douleurs continuelles et avait à peine de relâche. Son caractère, naturellement faible, étai devenu très mélancolique et, comme il avait un grand besoin d'affection et qu'il ne trouvait guère de sentiments de ce genre dans sa famille, chez ses femmes, chez ses enfants, il avait concentré toutes ses affections sur le vieux Mulla, son précepteur. Il en avait fait son unique ami, son confident, puis son premier et tout puissant ministre, et enfin, sans exagération ni manière de parler, son Dieu. Elevé par cette idole dans des idées fort irrévérencieuses pour Islam, il ne faisait non plus de cas des dogmes du prophète que du Prophète lui-même. Les Imams lui étaient très indifférents, et s'il avait quelques égards pour 'Ah, c'était en raison de cette bizarre opération de l'esprit par laquelle les Persans identifient ce vénérable personnage avec leur nationalité. Mais, en somme, Muhammad Shah n'était pas musulman, non plus que chrétien, guèbre ou juif. Il tenait pour certain que la substance divine s'incarnait dans les Sages avec toute sa puissance; et comme il considérait Haji Mirza Aqasi comme le Sage par excellence, il ne doutait pas qu'il ne fût Dieu, et lui demandait dévotement quelque prodige. Souvent il lui arriva de dire à ses officiers, d'un air pénétré et convaincu: "Le Haji m'a promis un miracle pour ce soir, vous verrez!"

En dehors du Haji, Muhammad Shah était donc d'une prodigieuse indifférence pour le succès où les revers de telle ou telle doctrine religieuse; il lui plaisait, au contraire, de voir s'élever des conflits d'opinions qui témoignaient à ses yeux de l'aveuglement universel." (de Gobineau, "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 131-2.)

(12.11) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 14), le Bab "envoya un message à la cour, demandant audience pour exposer la vérité de sa condition, croyant que cela était un moyen pour obtenir de grands avantages." Concernant cette lettre, Gobineau écrit ce qui suit: " 'Ali-Muhammad écrivit lui-même à la Cour, et sa lettre arriva en même temps que les accusations de ses adversaires. Sans prendre aucunement une attitude agressive vis-à-vis du roi, s'en remettant, au contraire, à son autorité et à sa justice, il remontrait que, depuis longtemps, la dépravation du clergé était, en Perse, un fait connu de tout le monde; que non seulement les bonnes moeurs s'en trouvaient corrompues et le bien-être de la nation tout à fait atteint, mais encore que la religion même, viciée par la faute de tant de coupables, était en péril et menaçait de disparaître en laissant le peuple dans les plus fâcheuses ténèbres; que, pour lui, appelé de Dieu, en vertu d'une mission spéciale, à écarter de tels malheurs, il avait déjà commencé à éclairer le peuple du Fârs que la saine doctrine avait fait les progrès les plus évidents et les plus rapides, que tous ses adversaires avaient été confondus et vivaient désormais dans l'impuissance et le mépris public; mais que ce n'était qu'un début, et que le Bab, confiant dans la magnanimité du roi, sollicitait la permission de venir dans la capitale avec ses principaux disciples, et là, d'établir des conférences avec tous les Mullas de l'Empire, en présence du souverain, des grands et du peuple; que, certainement, il les couvrirait de honte; il leur prouverait leur infidélité; il les réduirait au silence comme il avait fait des Mullas grands et petits qui avaient prétendu s'élever contre lui; que s'il était, contre son attente vaincu dans cette lutte, il se soumettait d'avance à tout ce que le roi ordonnerait, et était prêt à livrer sa tête et celle de chacun de ses partisans." (de Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 124.)

(12.12) Du 19 mars au 17 avril 1847 ap. J-C.

(12.13) D'après le "Majma'u'l-Fusaha" de Hidayat, Haji Mirza Aqasi s'appelait 'Abbas-'Ali. C'était le fils de Mirza Muslim, l'un des théologiens bien connus d'Iravan. Son fils, 'Abbas-'Ali, alors qu'il se trouvait à Karbila, avait été l'élève de Fakhru'd-Din 'Abdu's-Samad-i-Hamadani. De Karbila, il s'était rendu à Hamadan, avait visité l'Adhirbayjan et, de là, avait entrepris un pèlerinage à La Mecque. A son retour en Adhirbayjan, dans des conditions de pauvreté extrême, il avait réussi à améliorer petit à petit sa position et avait été nommé précepteur des enfants de Mirza Musa Khan, frère de feu Mirza Abu'l-Qasim, le Qa'im-maqam. Muhammad Mirza, à qui il avait annonce son accession ultérieure au trône de la Perse, lui était fort dévoué. Il fut finalement nommé Premier ministre de celui-ci et se retira après la mort du monarque, à Karbila, où il mourut au ramadan de l'an 1265 (Notes de Mirza Abu'l-Fadl).

D'après Haji Mu'inu's-Saltanih (p. 120 de son récit), Haji Mirza Aqasi était né à Mah-Ktu, où résidaient ses parents, depuis leur départ d'Iravan, dans le Caucase. ' 'Haji Mirza Aqasi natif d'Iravan, parvint à avoir une influence illimitée sur son maître à l'esprit débile, dont il avait été auparavant le précepteur; il professait la doctrine soufie. C'était un vieux gentilhomme railleur, au nez long et dont le visage trahissait l'originalité et l'orgueil de son caractère." ("A General Sketch of the History of Persia", p. 473). "Le Haji, de son côté, était un Dieu d'une espèce particulière. Il n'est p s absolument certain qu'il ne crût pas de lui-même ce dont Muhammad Shah était persuadé. ans tous les cas, il professait les mêmes principes généraux que le roi, et les lui avait inculqués de bonne foi. Mais cela ne l'empêchait pas de bouffonner. La bouffonnerie était le système, la règle, l'habitude de sa conduite et de sa vie.

Il ne prenait rien au sérieux, à commencer par lui-même: "Je ne suis pas un premier ministre, répétait-il constamment et surtout à ceux qu'il maltraitait; je suis un vieux Mulla, sans naissance et sans mérite, et si je me trouve à la place où je suis, c'est que le roi l'a voulu." Il ne parlait jamais de ses fils sans les appeler fils de drôlesse et fils de chien. C'est dans ces termes qu'il demandait de leurs nouvelles ou leur faisait transmettre des ordres par ses officiers quand ils étaient absents. Son plaisir particulier était de passer des revues de cavaliers où il réunissait, dans leurs plus somptueux équipages tous les Khans nomades de la Perse. Quand ces belliqueuses tribus étaient rassemblées dans la plaine, on voyait arriver le Haji, vêtu comme un pauvre, avec un vieux bonnet pelé et disloqué, un sabre attaché de travers sur sa robe, et monté sur un petit âne. Alors il faisait ranger les assistants autour de lui, les traitait d'imbéciles, tournait en ridicule leur attirail, leur prouvait qu'ils n'étaient bons à rien, et les renvoyait chez eux avec des cadeaux; car son humeur sarcastique s'assaisonnait de générosité." (de Gobineau "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 132-3.)

(12.14) "Une anecdote montre à quels sentiments obéissait le premier ministre quand il détermina en ce sens la volonté du Shah. Le Prince Farhad Mirza, jeune encore, était l'élève de Haji Mirza Aqasi. Il a raconté par la suite: "Quand S.M. eut pris l'avis de son premier ministre et eut écrit au Bab de se rendre à Mah-Ku, nous allâmes avec Haji Mirza Aqasi passer quelques jours dans le parc qu'il avait lui-même fait planter à Yaft-Abad, aux environs de Tihran. J'étais fort désireux d'interroger mon maître sur les événements qui se précipitaient, mais je n'osais le faire devant le monde. Un jour que je me promenais avec loi dans le jardin et qu'il se montrait de bonne humeur, je m'enhardis jusqu'à lui demander: "Haji, pourquoi avez-vous envoyé le Bab à Mah-Ku?" Il me répondit : "Tu es jeune encore et tu ne peux comprendre certaines choses, mais sache que s'il était venu à Tihran, nous ne serions pas en ce moment, toi et moi, à nous promener libres de tous soucis sous ces frais ombrages." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 243-4.) D'après Haji Mu'inu's-Saltanih dans son histoire, (p. 129 de son récit), le mobile principal qui poussa Haji Mirza Aqasi à supplier Muhammad Shah d'ordonner le bannissement du Bab dans l'Adhirbayjan était la crainte de voir se réaliser la promesse que le Bab avait faite au souverain, promesse selon laquelle il le guérirait de sa maladie si celui-ci l'autorisait à être reçu à Tihran. Il était sûr que si le Bab avait la possibilité de réaliser une telle guérison, le shah tomberait sous l'influence de son prisonnier et cesserait de conférer à son Premier ministre les honneurs et les avantages dont celui-ci seul jouissait.

(12.15) D'après Mirza Abu'l-Fadl, Haji Mirza Aqasi chercha par son allusion à la rébellion de Mohammad Hasan-Khan, le salir, dans le Khurasan, et à la révolte d'Aqa Khan-i-Isma'ili, dans le Kirman, à inciter le souverain à abandonner le projet de convoquer le Bab dans la capitale, et à l'envoyer au contraire dans la province éloignée d'Adhirbayjan.

(12.16) "Cependant, en cette circonstance, les calculs du grand Vazir se trouvèrent tout à fait en défaut. Dans la crainte que la présence du Bab à Tihran n'occasionnât de nouveaux désordres (et il y en avait assez, grâce à ses fantaisies et à son mauvais système d'administration), il changea ses dispositions, et l'escorte qui conduisait le Bab d'Isfahan à Tihran reçut à une trentaine de km. de cette dernière capitale, l'ordre de n'y pas entrer et de conduire le prisonnier à Mah-Ku, ville où, dans la pensée du premier ministre, l'imposteur n'avait rien à espérer, parce que ses habitants, en reconnaissance des bienfaits et de la protection qu'ils avaient reçus de lui, prendraient des mesures pour étouffer les troubles qui pourraient naître. (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 356.)

(12.17) "La Perse ne se trouvait pas cependant dans un état satisfaisant, car Haji Mirza Aqasi, qui la gouvernait virtuellement depuis treize ans, "ignorait totalement l'art de gouverner ainsi que le génie militaire; pourtant, il était trop vaniteux pour se laisser instruire et trop jaloux pour admettre un coadjuteur; brutal dans son langage; insolent dans son comportement; indolent ns ses habitudes; il porta le Trésor au bord de la banqueroute et le pays à deux doigts de la révolution. L'armée était généralement payée trois ou cinq ans en retard. La cavalerie des tribus était presque anéantie." Telle était - d'après les paroles graves de Rawlinson - la condition de la Pers au milieu du dix-neuvième siècle." (P.M. Sykes, "Une Histoire de la Perse", vol Il, pp. 439-40.)

(12.18) "Haji Mirza Aqasi, le vieux Premier ministre à demi-fou, avait l'entière administration dans ses mains et on contrôle complet sur le shih. Le mauvais gouvernement du pays empira de plus en plus, pendant ce temps, la famine régnait parmi le peuple, qui maudissait la dynastie Qajar ... L'état des provinces était déplorable; et tous ceux qui prétendaient avoir du talent ou du patriotisme étaient exilés par le vieux Haji qui amassait avec diligence des richesses pour loi-même à Tihran, au dépens do pays misérable. Le gouvernement des provinces était vendu aux plus offrants et derniers enchérisseurs, qui opprimaient le peuple d'une horrible manière." (C.R. Markham, "A General Sketch of the History of Persia", pp. 486-7.)

(12.19) Gobineau, au sujet de sa chute, écrit ce qui suit: "Haji Mirza Aqasi, chassé d'un pouvoir dont il avait passé son temps à se moquer, s'était retiré à Karbila, et il y employait ses derniers jours à faire des niches aux Mullas et on peu aussi à la mémoire des saints martyrs." ("Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 160.) "Cet homme rusé s'était si bien emparé de la volonté de Shah défont que l'on pouvait dire avec raison que le ministre était le véritable souverain; aussi ne pot-il survivre à son ancienne fortune. A la mort de Mohammad Shah, il avait disparu et avait pris le chemin de Karbila, où, sous la protection du très saint Imam, un criminel d'État même trouve un asile inviolable. Il succomba bientôt sous le poids d'on chagrin rongeur qui bien plus que ses remords, abrégea sa vie." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, pp. 367-8.)

(12.20) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 16), le Bab "écrivit au cours du voyage une lettre adressée au Premier ministre et disant: "Vous m'avez fait appeler d'Isfahan pour rencontrer les docteurs et parvenir à un arrangement définitif. Qu'est-il arrivé à présent pour que cette excellente intention ait changé en faveur de Mah-Ku et Tabriz?"

(12.21) D'après Samandar (manuscrit, pp. 4-5), le Bab yassa quelque temps dans le village de Siyah-Dihan, dans le voisinage de Qazvin, en route vers l'Adhirbayjan. Au cours de ce voyage, on rapporte qu'il a révélé plusieurs Tablettes adressées aux principaux 'Ulamas de Qazvin, parmi lesquels se trouvaient les suivants: Haji Mulla 'Abdu'l-Vahhab, Haji Mulla Salih, Haji Mulla Taqi, et Haji Siyyid Taqi. Ces Tablettes forent portées à leurs destinataires par Haji Mulla Ahmad-i-Ibdal. Plusieurs croyants, parmi lesquels se trouvaient les deux fils de Haji Mulla 'Abdu'l-Vahhab, purent rencontrer le Bab dorant la nuit qu'il passa dans ce village. C'est de ce village, dit-on, que le Bab a adressé son épître à Haji Mirza Aqasi.

(12.22) D'après le "Tarikh-i-Jadid", Mohammad Big aurait raconté ce qui suit à Haji Mirza Jani: "Ainsi chevauchâmes-nous jusqu'à ce que nous arrivâmes à un caravansérail en briques situé à deux farsangs de la ville. Puis nous nous rendîmes à Milan, où de nombreux habitants vinrent voir Sa Sainteté, et forent frappés d'émerveillement par la majesté et la dignité de ce Seigneur de l'humanité. Le matin, alors que nous nous préparions à sortir de Milan, une vieille femme amena un enfant teigneux, dont la tête était couverte de tant de gales qu'elle était blanche jusqu'au cou, et supplia Sa Sainteté de le guérir. Les gardes voulurent l'arrêter, mais Sa Sainteté les en empêcha et appela l'enfant à lui. Il étendit alors on mouchoir sur sa tète et répéta certaines paroles; à peine avait-il fait cela que l'enfant fut guéri. -Et en ce lieu, environ deux cents personnes crurent et se convertirent véritablement et sincèrement." (pp. 220-21).

(12.23) Mirza Abu'l-Fadl déclare ans ses écrits qu'il rencontra lui-même, lors de son séjour à Tihran, le fils de Muhammad Big, qui s'appelait 'Ali-Akbar Big, et qu'il l'entendit relater les remarquables expériences que son père avait faites au cours de son voyage à Tabriz en compagnie do Bab. 'Ali-Akbar Big était un fervent croyant en la cause de Baha'u'llah, et il était connu comme tel par les baha'is de la Perse.

(12.24) Voir glossaire.

(12.25) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 16), le Bab resta quarante jours à Tabriz. D'après le manuscrit de Haji Mu'inu's-Saltanih (p. 138), le Bab passa la première nuit, à son arrivée à Tabriz, chez Muhammad Big. De là, il fut transféré dans une chambre à la citadelle (l'Arche) qui était contiguë au Masjid-i-'Ali Shah.

(12.26) "Les progrès de cet homme énergique ( Mulla Yusuf-i-Ardibili) furent si grands et si rapides qu'aux portes de Taons (Tabriz) même 1 habitants d'un village fort peuplé se livrèrent à lui et prirent le nom de Babi. Il va sans dire que dans la ville même les Babis étaient assez nombreux, alors que le gouvernement prenait de mesures pour convaincre publiquement le Bab d'imposture, le punir et par là se justifier devant peuple." (Journal Asiatique, â866, tome VII, pp. 357-8.)

(12.27) "Dieu est le plus grand."


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