La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE XIX : le soulèvement de Mazindaran

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Au cours de ce même mois de sha'bàn qui vit les affronts dont fut affligé le Bab à Tabriz et les afflictions frapper Baha'u'llah et ses compagnons à Niyala, Mulla Husayn revint du camp du prince Hamzih Mirza à Mashhad, d'où il devait partir sept jours plus tard pour Karbila, accompagné de tous ceux qu'il pourrait désirer garder auprès de lui. Le prince lui offrit une certaine somme pour les dépenses qu'il aurait à faire durant son voyage; il déclina cette offre et renvoya l'argent accompagné d'un message demandant au prince de le consacrer aux pauvres et aux nécessiteux. 'Abdu'l-'Ali Khan voulut, lui aussi, fournir à Mulla Husayn tout ce qui lui était nécessaire pour son pèlerinage et exprima son ardent désir de payer également les frais de tous ceux qu'il se choisirait pour compagnons de voyage. Mais Mulla Husayn n'accepta de lui qu'un sabre et un cheval, qu'il devait plus tard employer pour repousser, avec habileté et courage, les assauts d'un ennemi perfide. Ma plume ne pourra jamais décrire de manière adéquate la dévotion que Mulla Husayn avait suscitée dans le coeur des habitants de Mashhad; elle ne pourra pas davantage embrasser l'étendue de son influence. Sa maison, en ce temps-là, était continuellement assiégée par des foules impatientes qui le priaient de leur permettre de l'accompagner dans son voyage. Les mères amenaient leurs fils, et les soeurs, leurs frères; elles le suppliaient, les yeux baignés de larmes, de les accepter en signe de leurs plus chères offrandes sur l'autel du sacrifice.

Mulla Husayn était encore à Mashhad lorsqu'un messager arriva, lui apportant le turban du Bab et lui apprenant qu'un nouveau nom, celui de Siyyid 'Ali, lui avait été conféré par son maître. "Pare-toi la tête, disait le message, de mon turban vert, emblème de ma lignée et, avec l'étendard noir (19.1) déployé devant toi, hâte-toi d'aller vers le Jaziriy-i-khasdra (19.2) pour prêter main-forte à mon Quddus bien-aime."

Dès que le message lui parvint, il se leva pour réaliser les voeux de son maître. Il quitta Mashhad et se rendit à un lieu situé à une distance d'un farsang3 de la ville; il hissa l'étendard noir, se mit le turban du Bab sur la tête, rassembla ses compagnons, monta à cheval et donna le signal du départ vers Jaziriy-i-Khadrà (19.3).

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Ses compagnons, au nombre de deux cent deux, le suivirent pleins d'enthousiasme. Ce jour mémorable était le 19 sha`ban de l'an 1264 après l'hégire. (19.4) Partout où ils séjournaient, dans chaque village ou hameau par lesquels ils passaient, Mulla Husayn et ses condisciples proclamaient courageusement le message du nouveau jour, invitaient les gens à embrasser sa vérité, en choisissaient quelques-uns parmi ceux qui répondaient à leur appel, et leur demandaient de les accompagner dans leur voyage.

Dans la ville de Nishapur, Haji 'Abdu'l-Majid, le père de Badi, (19.5) qui était un marchand de renom, s'engagea sous la bannière de Mulla Husayn. Bien que son père jouît du privilège inégalé de posséder la mine de turquoise la plus fameuse de Nishapur, il promit cependant son entière loyauté à Mulla Husayn, abandonnant tous les honneurs et les avantages matériels que sa ville natale lui avait conférés. Dans le village de Miyamay, trente des habitants se déclarèrent partisans de la nouvelle foi et se joignirent à ce groupe. Ces trente personnes, à l'exception de Mulla 'Isa, devaient toutes subir le martyre au fort de Shaykh Tabarsi (19.6)

En arrivant à Chashmih-`Ali, lieu situé près de la ville de Damghan et sur la grand-route vers le Mazindaran, Mulla Husayn décida de s'y arrêter pendant quelques jours. Il établit son campement à l'ombre d'un grand arbre, au bord d'une rivière. "Nous sommes à la croisée des chemins", dit-il à ses compagnons.

PHOTO: village de Nishapur

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"Nous attendrons son décret quant à la direction que nous devons prendre." Vers la fin du mois de shavval, (19.7) un grand vent se leva et brisa une branche de l'arbre; alors Mulla Husayn fit cette remarque: "L'arbre de la souveraineté de Muhammad Shah a été déraciné et jeté à terre par la volonté de Dieu." Trois jours après la prédiction de Mulla Husayn, un messager qui se rendait à Mashhad arriva de Tihran et annonça la nouvelle de la mort de son souverain. (19.8) Le jour suivant, le groupe décida de partir pour le Mazindaran. Son chef se leva, montra du doigt la direction du Mazindaran et dit: "Voici le chemin qui mène à notre Karbila. Quiconque ne se sent pas préparé à affronter les grandes épreuves qui nous attendent doit à présent regagner sa maison et renoncer au voyage." Il répéta plusieurs fois cet avertissement et, à proximité du village de Savad-Kuh, déclara explicitement: "Moi, ainsi que soixante-douze de mes compagnons, serons tués pour l'amour du Bien-Aimé. Quiconque est incapable de renoncer au monde, doit s'en aller à cet instant même, car, après cela, il ne pourra plus s'échapper." Vingt de ses compagnons décidèrent de rebrousser chemin car ils se sentaient impuissants à résister aux épreuves auxquelles leur chef faisait continuellement allusion.

La nouvelle de l'arrivée imminente du groupe de Mulla Husayn dans la ville de Barfurush alarma le sa`idu'l-`ulama'. La popularité croissante de Mulla Husayn, les circonstances relatives à son départ de Mashhad, l'étendard noir qui flottait devant lui, et, par-dessus tout, le nombre, la discipline et l'enthousiasme de ses compagnons provoquèrent la haine implacable de ce mujtahid cruel et arrogant. Il ordonna au crieur d'appeler les habitants de Barfurush au masjid et d'annoncer qu'un sermon si important quant à ses conséquences allait être prononcé par lui, qu'aucun adepte loyal de l'islam habitant le voisinage ne pouvait se permettre de l'ignorer. Une foule immense composée d'hommes et de femmes afflua au masjid, vit le théologien monter en chaire, jeter son turban à terre, se mettre à nu la poitrine et déplorer l'état dans lequel était tombée la foi. "Réveillez-vous", hurla-t-il du haut de la chaire, "car nos ennemis se trouvent à nos portes, prêts à balayer tout ce que nous chérissons de plus pur et de plus saint dans l'islam! Si nous ne leur résistons pas, personne ne survivra à leur assaut. Celui qui est le chef de cette bande vint seul un jour assister à mes cours. Il m'ignora totalement et me traita avec un dédain bien marqué en présence de mes disciples réunis. Comme je refusais de lui accorder les honneurs auxquels il s'attendait, il se leva en colère et me lança son défi.

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PHOTO: vue du village de Miyamay

PHOTO: extérieur du masjid

PHOTO: intérieur du masjid dans lequel priaient Mulla Husayn et ses compagnons

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Cet homme eut l'audace, à une époque où Muhammad Shah régnait encore et se trouvait à l'apogée de sa puissance, de m'attaquer avec beaucoup d'âpreté. Quels excès ce fauteur de troubles, qui vient à présent vers nous à la tête de sa bande sauvage, ne commettra-t-il pas maintenant que la main protectrice de Muhammad Shah s'est soudain retirée! Il est du devoir de tous les habitants de Barfurush, jeunes et vieux, hommes et femmes, de s'armer contre ces méprisables destructeurs de l'islam, et de résister à leurs attaques par tous les moyens en leur pouvoir. Demain à l'aube, levez-vous tous et sortez de la ville pour exterminer leurs forces."

La congrégation tout entière se leva pour répondre à son appel. Son éloquence passionnée, l'autorité incontestée qu'il exerçait sur eux et leur terreur à l'idée de perdre leur propre vie et leurs biens, tout cela incita les habitants de cette ville à se mettre sur pied de guerre en vue de la rencontre imminente. Tous se munirent de toutes les armes qu'ils pouvaient trouver ou inventer et, au lever du jour, quittèrent la ville de Barfurush, absolument déterminés à faire face aux ennemis de leur foi, à les tuer et à piller leurs biens. (19.9)

Dès qu'il eut décidé de continuer sa marche vers le Mazindaran et après avoir offert sa prière du matin, Mulla Husayn demanda à ses compagnons d'abandonner toutes leurs possessions. "Débarrassez-vous de tout ce qui vous appartient, les exhorta-t-il, et contentez-vous uniquement de votre monture et de votre sabre, ainsi tout le monde pourra témoigner que vous avez renoncé à toutes choses terrestres, et réaliser que ce petit groupe composé des compagnons élus de Dieu n'aspire point à sauvegarder ses propres biens ni, à plus forte raison, à s'accaparer le bien d'autrui." Tous obéirent aussitôt, déchargèrent leurs chevaux et joyeusement le suivirent. Le père de Badi` fut le premier à jeter sa sacoche qui contenait une grande quantité de turquoises qu'il avait rapportées de la mine de son père. Un seul mot de Mulla Husayn avait suffit à l'inciter à abandonner au bord de la route ce qui était sans nul doute son bien le plus précieux, et à se conformer au désir de son chef.

A un farsang (19.10) de Barfurush, Mulla Husayn et ses compagnons se trouvèrent face à face avec leurs adversaires. Une multitude de gens, complètement équipés d'armes et de munitions, s'était massée à cet endroit et leur bloquait le passage. Une expression de sauvagerie féroce se lisait sur leurs visages, et les injures les plus répugnantes sortaient sans cesse de leurs bouches. Les compagnons, face au vacarme causé par cette populace en colère, firent semblant de dégainer leurs épées.

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"Pas encore! ordonna leur chef. Avant que l'agresseur nous ait forcés à nous protéger, nous ne tirerons pas nos épées de leurs fourreaux." A peine avait-il prononcé ces mots que le feu de l'ennemi fut dirigé contre eux. Six de ses compagnons roulèrent aussitôt à terre. "Chef bien-aimé", s'exclama l'un des amis de Mulla Husayn, "nous nous sommes levés et t'avons suivi avec l'unique désir de nous sacrifier sur le sentier de la cause que nous avons embrassée. Permets-nous, nous t'en prions, de nous défendre, et ne nous laisse pas tomber si ignominieusement victimes du feu de l'ennemi." "Le moment n'est pas encore venu, répondit Mulla Husayn; le nombre est jusqu'à présent incomplet. "Une balle perça aussitôt après la poitrine de l'un de ses compagnons, un siyyid de Yazd (19.11) qui avait parcouru tout le chemin de Mashhad à cet endroit et qui comptait parmi ses partisans les plus fermes. A la vue de ce compagnon dévoué tombé mort à ses pieds, Mulla Husayn leva les yeux vers le ciel et pria: "Vois, ô Dieu, mon Dieu, l'état de tes compagnons élus, et sois témoin de l'accueil que ces gens ont réservé à tes bien-aimés. Tu sais que nous ne nourrissions d'autre désir que celui de les guider dans la voie de la vérité et de leur apporter la connaissance de ta révélation. Tu nous as toi-même donné l'ordre de défendre nos vies contre les assauts de l'ennemi. Fidèle à ton commandement, je me lève à présent avec mes compagnons pour résister à l'attaque qu'il a lancée contre nous." (19.12)

Mulla Husayn dégaina son épée, lança sa monture au milieu de l'ennemi et poursuivit avec une prodigieuse intrépidité l'assaillant de son compagnon qui venait de rendre l'âme. Son adversaire, qui eut peur de lui faire face, se réfugia derrière un arbre, tint en l'air son fusil et chercha à se protéger. Mulla Husayn le reconnut aussitôt, se rua sur lui et, d'un seul coup d'épée, découpa en six le tronc de l'arbre, le canon du fusil et le corps de son adversaire. (19.13) L'étonnante force de ce coup mit l'ennemi dans la confusion et paralysa ses efforts. Ils furent tous pris de panique devant une si extraordinaire manifestation d'habileté, de force et de courage. Cet exploit fut le premier du genre à confirmer la vaillance et l'héroïsme de Mulla Husayn; il lui valut les louanges du Bab. Quddus, lui aussi, devait féliciter Mulla Husayn pour la calme intrépidité dont il avait fait preuve à cette occasion. Il aurait cité, après que la nouvelle lui fut parvenue, le verset suivant du Qur'an: "Ainsi ce n'était pas vous qui les frappiez, mais Dieu! Il mettait à l'épreuve les fidèles par une épreuve émanant de Lui-même et qu'Il leur consentait dans sa miséricorde; en vérité, Dieu entend et sait. Ceci est arrivé, pour que Dieu puisse aussi réduire à néant la force des infidèles."

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J'ai moi-même entendu, lors de mon séjour à 'Tihran, en l'an 1265 après 1'hégire (19.14), un mois après la fin de la mémorable bataille de Shaykh Tabarsi, Mirza Ahmad raconter les circonstances de cet épisode en présence de quelques croyants dont Mirza Muhammad-Husayn-i-Hakamiy-i-Kirmani, Haji Mulla Isma'il-i-Farahani, Mirza Habibu'llah-i-Isfahani et Siyyid Muhammad-i-Isfahani.

Lorsque, par la suite, je visitai le Khurasan et restai chez Mulla Sadiq-i-Khurasani à Mashhad, où j'avais été invité pour enseigner la cause, je demandai à Mirza Muhammad-i-Furughi en présence de quelques croyants, dont Nabil-i-Akbar et le père de Badi', de me mettre au courant du véritable caractère de cet étonnant récit. Mirza Muhammad déclara avec force: "J'ai moi-même été témoin de cet acte de Mulla Husayn. Si je ne l'avais pas vu de mes propres yeux, je ne l'aurais jamais cru." A ce propos, le même Mirza Muhammad nous raconta l'histoire suivante: "Après l'engagement de Vas-Kas, alors que le prince Mihdi-Quli Mirza avait été complètement mis en déroute et avait fui pieds nus devant les compagnons du Bab, l'amir-nizam (19.15) le blâma avec sévérité. "Je vous ai chargé, écrivit-il, de la mission qui consistait à subjuguer une poignée de jeunes et méprisables étudiants. J'ai mis à votre disposition l'armée du Shah et, malgré cela, vous vous êtes laissé battre de façon si dégradante! Que serait-il advenu de vous, je me le demande, si je vous avais confié la mission de battre les forces réunies des gouvernements russe et ottoman?" Le prince préféra confier à un messager les fragments du canon de ce même fusil qui avait été coupé en deux par l'épée de Mulla Husayn, et le chargea de les présenter à l'amir-nizam en personne. "Telle est", devait dire le messager à l'amir, "la force méprisable d'un adversaire qui, d'un seul coup d'épée, a éparpillé en six morceaux l'arbre, le fusil et son porteur."

"Un témoignage aussi convaincant de la force de son ennemi constituait, aux yeux de l'amir-nizam, un défi qu'aucun homme de sa position et jouissant de son autorité ne pouvait se permettre d'ignorer. Il décida de maîtriser le pouvoir qui, par un acte aussi audacieux, avait cherché à s'affirmer contre ses propres forces. Incapable, malgré le nombre écrasant de ses hommes, de battre Mulla Husayn et ses compagnons d'une manière loyale et honorable, il devait avoir recours avec bassesse à la tromperie et à la fraude, afin de parvenir à son but.

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Il donna l'ordre au prince d'apposer son cachet sur le Qur'an et de jurer sur l'honneur que ses officiers s'abstiendraient dorénavant de tout acte d'hostilité envers les occupants du fort. Grâce à ce moyen, il réussit à les décider à déposer les armes et à infliger à ses adversaires sans défense une défaite écrasante et sans gloire."

Une manifestation aussi remarquable de dextérité et de force ne pouvait manquer d'attirer l'attention d'un nombre considérable d'observateurs dont l'esprit avait été jusqu'alors exempt de préjugés ou de malveillance. Elle provoqua l'enthousiasme de poètes qui, dans différentes villes de la Perse, furent portés à célébrer les exploits de l'auteur d'un acte aussi audacieux. Leurs poèmes contribuèrent à propager la connaissance de cet acte grandiose et à en immortaliser le souvenir. Parmi ceux qui chantèrent la bravoure de Mulla Husayn se trouvait un certain Rida-Quli Khan-i-Lalih-Bashi qui, dans le "Tarikh-i-Nasiri", prodiguait ses éloges pour la force prodigieuse et l'habileté inégalée qui avaient caractérisé cette action.

Je me hasardai à demander à Mirza Muhammad-i-Furughi s'il savait que, dans le "Nasikhu't-Tavarikh" était mentionné le fait que Mulla Husayn avait, dans sa tendre jeunesse, appris l'art de l'escrime et qu'il n'avait acquis une certaine adresse qu'après une longue période d'entraînement. "C'est de la pure fantaisie, affirma Mulla Muhammad. Je connais Mulla Husayn depuis son enfance et je l'ai fréquenté, en tant qu'ami et camarade de classe, pendant longtemps. Je n'ai jamais su qu'il était doué d'une telle force et d'un tel pouvoir. Je me crois même supérieur à lui quant à la vigueur et à l'endurance physique. Sa main tremblait lorsqu'il écrivait, et il exprimait souvent son incapacité à écrire aussi parfaitement et aussi fréquemment qu'il le désirait. Il était fort handicapé à cet égard, et continua d'en subir les effets jusqu'au jour de son voyage vers le Mazindaran. A l'instant où il dégaina son épée, cependant, pour repousser cette sauvage attaque, une mystérieuse force sembla soudain l'avoir transformé. Lors de toutes les rencontres ultérieures, on devait le voir foncer le premier et éperonner son destrier jusque dans le camp de l'agresseur. Sans aide, il devait faire face aux forces combinées de ses adversaires, les combattre et remporter lui-même la victoire. Nous qui le suivions à l'arrière devions nous contenter de ceux qui avaient déjà été mis hors de combat et qui étaient affaiblis par les coups qu'ils avaient reçus. Son nom seul suffisait à semer la terreur dans le coeur de ses adversaires. Ceux-ci s'enfuyaient en entendant son nom; ils tremblaient à son approche. Même ceux qui étaient constamment en sa compagnie restaient bouche bée, s'émerveillant de ses exploits.

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Nous étions frappés par sa force stupéfiante, sa volonté indomptable et son intrépidité sans borne. Nous étions tous convaincus qu'il avait cessé d'être le Mulla Husayn que nous avions connu, et qu'en lui résidait désormais un esprit que Dieu seul pouvait conférer."

Ce même Mirza Muhammad-i-Furughi m'a raconté ce qui suit: "A peine Mulla Husayn avait-il porté ce coup mémorable à son adversaire, qu'il disparut de notre vue. Nous ne savions pas où il était allé. Seul son assistant, Qambar-'Ali, avait eu la permission de le suivre. Il nous informa ultérieurement que son maître s'était jeté tête baissée sur ses ennemis et qu'il avait pu, d'un seul coup de son épée, abattre tous ceux qui avaient l'audace de l'attaquer. Insouciant des balles qui pleuvaient sur lui, il s'était forcé un passage à travers les rangs de l'ennemi et avait foncé vers Barfurush. Il était allé tout droit à la résidence du sa`idu'l-`ulama', avait fait trois fois le tour de sa maison et s'était écrié: "Que ce méprisable couard, qui a incité les habitants de cette ville à la guerre sainte contre nous et qui s'est honteusement caché derrière les murs de sa maison, sorte de sa retraite peu glorieuse. Qu'il démontre, par son exemple, la sincérité de son appel et la droiture de sa cause. A-t-il oublié que celui qui prêche une guerre sainte doit obligatoirement marcher lui-même à la tête de ses disciples et, par ses propres actes, enflammer leur ardeur et soutenir leur enthousiasme?"

La voix de Mulla Husayn couvrit la clameur de la foule. Les habitants de Barfurush s'étaient rendus, et, peu après, avaient lancé le cri de "paix, paix!" Aussitôt après cette reddition, les acclamations des disciples de Mulla Husayn, que l'on vit alors galoper vers Barfurush, se firent entendre de tous côtés. Le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman !" (19.16) qu'ils lançaient de toute la force de leurs poumons, sema la consternation dans le coeur de ceux qui l'entendirent. Les compagnons de Mulla Husayn, qui avaient abandonné l'espoir de le retrouver vivant, furent fort surpris de le voir assis droit sur son cheval, indemne et point affecté par la férocité de cette attaque. Chacun d'entre eux s'approcha de lui et baisa ses étriers.

L'après-midi de ce jour-là, la paix que les habitants de Barfurush avaient implorée leur fut accordée. A la foule qui s'était assemblée autour de lui, Mulla Husayn parla en ces termes: "Ô disciples du Prophète de Dieu et shi`ahs des Imams de sa foi! Pourquoi vous êtes-vous levés pour nous combattre? Verser notre sang vous semble-t-il un acte méritoire aux yeux de Dieu? Avons-nous jamais répudié la vérité de votre foi?

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PHOTO: maison du Sa`idu'l-`ulama' à Barfurush, Mazindaran

Est-ce là l'hospitalité que l'Apôtre de Dieu a enjoint à ses adeptes d'accorder aux fidèles comme aux infidèles? Qu'avons-nous fait pour mériter une telle condamnation de votre part? Voyez: moi seul, sans aucune autre arme que mon épée, j'ai pu faire face à la pluie de balles que les habitants de Barfurush dirigeaient contre moi, et je suis sorti indemne du feu par lequel vous m'avez assiégé. Moi et mon cheval, nous sommes sortis sains et saufs de votre écrasante attaque. A part la légère égratignure que j'ai reçue au visage, vous avez été incapables de me blesser. Dieu m a protégé et a désiré établir à vos yeux le caractère sublime de sa foi."

Aussitôt après, Mulla Husayn se rendit au caravansérail du Sabzih-Maydan. Il descendit de cheval et, se tenant debout à l'entrée de l'auberge, attendit l'arrivée de ses compagnons. Dès que ceux-ci eurent fini de s'y réunir et de s'y installer, il envoya chercher du pain et de l'eau. Ceux qui furent chargés d'aller les chercher revinrent les mains vides et l'informèrent qu'ils n'avaient pu se procurer ni du pain chez le boulanger ni de l'eau à la place publique. "Vous nous avez exhortés, lui dirent-ils, à mettre notre confiance en Dieu et à nous résigner à sa volonté. "Rien, sinon ce que Dieu nous destine, ne peut nous advenir. Notre Seigneur est Lui et c'est en Dieu que le croyant doit placer sa confiance!" (19.17)

Mulla Husayn donna l'ordre de fermer les portes du caravansérail. Il réunit ses compagnons et leur demanda de rester groupés autour de lui jusqu'au coucher du soleil. Comme le soir approchait, il demanda si quelqu'un parmi eux était prêt à se lever et, renonçant à sa vie pour l'amour de sa foi, à monter sur le toit du caravansérail pour lancer l'adhan. (19.18) Un jeune homme répondit joyeusement à cet appel. A peine les mots de "Allah-u-Akbar" étaient-ils sortis de bouche qu'une balle le frappa soudain et le tua aussitôt. "Qu'un autre parmi vous se lève, demanda Mulla Husayn, pour continuer, avec la même abnégation, la prière que ce jeune homme n'a pu terminer."

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PHOTO: vue 1 du caravansérail de Sabzih-maydan, dans le Mazindaran

PHOTO: vue 2 du caravansérail de Sabzih-maydan, dans le Mazindaran

PHOTO: vue 3 du caravansérail de Sabzih-maydan, dans le Mazindaran

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Un autre jeune homme bondit sur ses pieds et, à peine avait-il prononcé les mots "je porte témoignage que Muhammad est l'apôtre de Dieu", qu'il fut, lui aussi, abattu par une autre balle tirée par l'ennemi. Un troisième jeune homme essaya, à la demande de son chef, de compléter la prière que ses compagnons martyrs avaient été obligés de laisser inachevée. Il subit, lui aussi, le même sort. En arrivant à la fin de sa prière, au moment où il prononçait les mots de "Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu", il tomba mort à son tour.

La mort de ce troisième compagnon décida Mulla Husayn à ouvrir la porte du caravansérail et à se lever, en compagnie de ses amis, pour repousser cette attaque inattendue d'un ennemi perfide. Sautant à cheval, il donna le signal de charger les assaillants qui s'étaient massés devant les portes et avaient rempli le Sabzih-Maydan. L'épée à la main et suivi de ses compagnons, il réussit à décimer les forces qui avaient été déployées contre lui. Les quelques hommes qui échappèrent à leurs épées s'enfuirent devant eux, pris de panique, demandèrent à nouveau la paix et implorèrent leur grâce. Vers le soir, toute la foule avait disparu de la place. Le Sabzih-Maydan qui, quelques heures auparavant, était bondé d'une foule grouillante d'adversaires, était désormais désert. La clameur de la multitude s'était tue. Jonché des cadavres des victimes, le Maydan et ses alentours offraient un spectacle triste et émouvant, une scène qui témoignait de la victoire de Dieu sur ses ennemis.

Une si foudroyante victoire (19.19) poussa certains nobles et chefs parmi le peuple a intervenir pour implorer la grâce de Mulla Husayn en faveur de leurs concitoyens. Ils vinrent à pied lui soumettre leur pétition. "Dieu est notre témoin, dirent-ils, nous ne nourrissons d'autre intention que celle d'établir la paix et la réconciliation entre nous. Restez assis sur votre monture pendant quelque temps afin que nous vous exposions notre cause." Après avoir remarqué le caractère sérieux de leur appel, Mulla Husayn descendit de cheval et les invita à le rejoindre dans le caravansérail. "Contrairement aux habitants de cette ville, nous savons comment recevoir les étrangers chez nous", dit Mulla Husayn en les invitant à s'asseoir auprès de lui et en donnant l'ordre de leur servir du thé. "Le sa`idu'l-`ulama', répondirent-ils, est seul responsable d'une telle vague de méfaits. Les gens de Barfurush ne doivent en aucun cas être impliqués dans le crime qu'il a commis. Oublions à présent le passé. Nous voudrions suggérer, dans l'intérêt des deux parties, que vous et vos compagnons partiez demain pour Amul.

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Barfurush est en proie à une violente agitation; nous craignons que ses habitants ne soient de nouveau poussés à vous attaquer." Mulla Husayn, tout en faisant allusion au manque de sincérité du peuple, accepta leur proposition. Là-dessus, 'Abbas-Quli Khan-i-Larijani (19.20) et Haji Mustafa Khan se levèrent ensemble et, jurant sur le Qur'an qu'ils avaient apporté avec eux, déclarèrent solennellement leur intention de considérer Mulla Husayn et ses compagnons comme leurs hôtes pour cette nuit-là, et le jour suivant de charger Khusraw-i-Qadi-Kala'i (19.21) et une centaine de cavaliers de leur assurer la traversée de Shir-Gah en toute sécurité. "Que la malédiction de Dieu et de ses prophètes soit sur nous, en ce monde et dans l'autre, ajoutèrent-ils, si nous venions jamais à permettre que l'on vous infligeât, à vous et à votre groupe, le moindre mal."

Aussitôt après leur déclaration, leurs amis qui étaient allés chercher des aliments pour les compagnons et du fourrage pour leurs chevaux arrivèrent. Mulla Husayn pria ses compagnons de rompre le jeûne, puisqu'aucun d'entre eux n'avait pris ce jour-là, un vendredi, le douze du mois de dhi'l-qa`dih, (19.22) ni nourriture ni boisson depuis l'aube. Le nombre des notables et celui de leurs assistants qui s'étaient massés dans le caravansérail ce jour-là était si élevé que ni Mulla Husayn ni aucun de ses compagnons n'avaient bu du thé qu'ils avaient offert à leurs visiteurs.

Cette nuit-là, environ quatre heures après le coucher du soleil, Mulla Husayn ainsi que ses amis dînèrent en compagnie d' 'Abbas-Quli Khan et de Haji Mustafa Khan. Au milieu de cette même nuit, le sa`idu'l-`ulama' convoqua Khusraw-i-Qadi-Kalà'i et lui confia en secret son désir de le voir, à l'endroit et au moment de son choix, s'emparer de tous les biens du groupe qui lui avait été confié et d'en tuer tous les membres, sans la moindre exception. "Ne sont-ce pas là des adeptes de l'islam? observa Khusraw. Ces gens- là n'ont-ils pas, comme je l'ai déjà appris, préféré sacrifier trois de leurs compagnons plutôt que de laisser inachevé l'appel à la prière qu'ils avaient lancé? Comment pourrions-nous, nous qui caressons de tels desseins et perpétrons de tels actes, être jugés dignes du nom d'adepte de l'islam ?" Cet infâme mécréant insista pour que ses ordres fussent fidèlement suivis. "Tuez-les", dit-il en pointant le doigt vers son cou, "et ne craignez rien, je répondrai de votre acte. Je répondrai au jour du Jugement devant Dieu en votre nom. Nous qui tenons le sceptre de l'autorité, nous sommes mieux informés que vous et pouvons mieux distinguer la meilleure façon d'extirper cette hérésie."

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Au lever du soleil, 'Abbas-Quli Khan fit appeler Khusraw auprès de lui et lui ordonna de faire preuve de la plus grande considération envers Mulla Husayn et ses compagnons, de leur assurer la traversée de Shir-Gah en sécurité, et de refuser toute récompense qu'ils pourraient souhaiter lui offrir. Khusraw fit mine de se soumettre à ces instructions, lui assura que ni lui ni ses cavaliers ne relâcheraient leur vigilance, et qu'ils ne reculeraient devant rien pour prouver leur dévouement envers eux. "A notre retour, ajouta-t-il, nous vous montrerons le témoignage écrit du sentiment de satisfaction de Mulla Husayn pour les services que nous lui aurons rendus."

Lorsque Khusraw fut amené, par 'Abbas-Quli Khan, Haji Mustafa Khan et d'autres chefs représentatifs de Barfurush, auprès de Mulla Husayn et introduit auprès de lui, ce dernier remarqua: "Si vous vous comportez bien, cela vous profitera et si vous vous comportez mal, le mal se retournera contre vous." (19.23) Si cet homme nous traite bien, grande sera sa récompense et, s'il se comporte traîtreusement envers nous, sévère sera son châtiment. C'est à Dieu que nous confions notre cause, et nous sommes totalement résignés à sa volonté."

Après avoir prononcé ces paroles, Mulla Husayn donna le signal du départ. Une fois de plus, on entendit Qambar-'Ali lancer l'appel de son maître: "Montez vos coursiers, ô héros de Dieu!" appel qu'il lançait toujours en de telles occasions. A ces paroles, tous se précipitèrent vers leurs montures. Un détachement de cavaliers de Khusraw forma l'avant-garde. Celle-ci fut aussitôt suivie de Khusraw et de Mulla Husayn, qui chevauchaient côte à côte au centre du groupe. Derrière eux suivait le reste des compagnons et à leur droite et à leur gauche vinrent se ranger les cent cavaliers que Khusraw avait armés en tant qu'instruments volontaires de l'exécution de son plan. Il avait été convenu que le groupe partirait tôt le matin de Barfurush et arriverait le jour même à midi à ShirGah. Deux heures après le lever du soleil, ils partirent vers leur destination. Khusraw prit intentionnellement la route qui passait par la forêt, un itinéraire qu'il estimait plus approprié à la réalisation de son dessein.

A peine le groupe eut-il pénétré dans la forêt que Khusraw donna le signal de l'attaque. Ses hommes se jetèrent férocement sur les compagnons, s'emparèrent de leurs biens, en tuèrent un certain nombre, dont le frère de Mulla Sadiq, et capturèrent les autres.

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Dès que leurs cris d'agonie et de détresse parvinrent aux oreilles de Mulla Husayn, il s'arrêta, descendit de cheval et protesta contre le comportement perfide de Khusraw. "L'heure de midi est depuis longtemps passée, lui dit-il, nous n'avons pas encore atteint notre destination. Je refuse d'aller plus loin avec vous. Je puis me passer de vous comme guide et compagnon, ainsi que de vos hommes. Se tournant alors vers Qambar-'Ali, il lui demanda d'étaler son tapis de prière, afin qu'il pût faire ses dévotions. Il était en train de procéder à ses ablutions lorsque Khusraw, qui était également descendu de cheval, appela un de ses assistants et le pria de faire savoir à Mulla Husayn que, s'il voulait parvenir sain et sauf à destination, il devait lui remettre son épée et son cheval. Mulla Husayn refusa de répondre et alla prier. Peu de temps après, Mirza Muhammad-Taqiy-i-Juvayniy-i-Sabzivari, homme de lettres accompli et au courage sans limite, alla auprès d'un domestique qui préparait le qalyan (19.24) de Khusraw et lui demanda la permission de le lui remettre en personne; sa demande fut aussitôt acceptée. Mirza Muhammad-Taqi, au moment où il se penchait pour a allumer le qalyan, enfonça brusquement sa main dans le sein de Khusraw, en retira son poignard et le lui plongea jusqu'aux entrailles. (19.25)

Mulla Husayn priait encore lorsque le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman" (19.26) fut lancé à nouveau par ses compagnons. Ceux-ci se jetèrent sur les assaillants perfides et, en un seul assaut, les abattirent tous, excepté le domestique qui avait préparé le qalyan. Effrayé et sans défense, celui-ci tomba aux pieds de Mulla Husayn et implora son assistance. On lui donna le qalyan orné de joyaux, qalyan qui appartenait à son maître, avec pour instruction de retourner à Barfurush et de raconter à 'Abbas-Quli Khan tout ce dont il avait été témoin. "Racontez-lui, lui dit Mulla Husayn, avec quelle fidélité Khusraw a accompli sa mission. Ce fourbe mécréant imaginait sottement que ma mission était terminée, que mon épée et mon cheval avaient accompli leur tâche. Il ne pouvait pas penser que leur mission ne faisait que commencer et qu'avant l'accomplissement total des services qu'ils pourront rendre, ni son pouvoir ni celui d'aucun autre homme auprès de lui ne pourront me les arracher."

Comme la nuit allait tomber, le groupe décida de s'attarder en ce lieu jusqu'à l'aube. Au lever du jour, Mulla Husayn, après avoir offert sa prière, réunit ses compagnons et leur dit: "Nous sommes à proximité de notre Karbila, notre ultime destination."

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Aussitôt après, il partit à pied vers cette ville, suivi de ses compagnons. Voyant que quelques-uns cherchaient à prendre avec eux les biens de Khusraw et de ses hommes, Mulla Husayn leur donna l'ordre de laisser tout derrière eux, sauf les épées et les chevaux. "Il vous incombe, les exhorta-t-il, d'arriver en ce lieu saint dans un état de détachement absolu, entièrement sanctifiés de tout ce qui appartient à ce monde." (19.27) Il avait parcouru un maydan (19.28) lorsqu'il arriva au tombeau de Shaykh Tabarsi. (19.29) Le shaykh avait été l'un de ceux qui avaient transmis les traditions attribuées aux Imams de la foi, et son tombeau était visité par les habitants des alentours. En arrivant en ce lieu, Mulla Husayn récita le verset suivant du Qur'an: "O mon Seigneur, bénis mon arrivée en ce lieu, car toi seul peux conférer de telles bénédictions."

La nuit précédant leur arrivée, le gardien du tombeau avait vu dans un rêve le Siyyidu'sh-Shuhada', l'Imam Husayn, arriver à Shaykh Tabarsi en compagnie de non moins de soixante-douze guerriers et d'un grand nombre de ses compagnons. Ce gardien les avait également vus dans son rêve séjourner en ce lieu, engager la plus héroïque des batailles et triompher, lors de toutes les rencontres, sur les forces de l'ennemi; il avait vu le Prophète de Dieu y arriver en personne, une nuit, et se joindre à ce groupe béni. Lorsque Mulla Husayn arriva le lendemain, le gardien reconnut aussitôt en lui le héros qu'il avait vu dans son rêve, se jeta à ses pieds et les baisa avec dévotion. Mulla Husayn l'invita à s'asseoir à côté de lui et l'écouta raconter son histoire.

PHOTO: le tombeau de Shaykh Tabarsi

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"Tout ce que vous avez vu", affirma-t-il au gardien du tombeau, "doit arriver. Ces scènes glorieuses se dérouleront à nouveau devant vos yeux." Ce serviteur devait finalement partager le sort des héroïques défenseurs du fort, et tomba martyr à l'intérieur de ses murs.

Au jour même de leur arrivée, qui était le 14 de dhi'l-qa`dih (19.30), Mulla Husayn donna à Mirza Muhammad-Baqir, qui avait construit le Babiyyih, les instructions préliminaires concernant le plan du fort qui devait être construit pour leur défense. Vers le soir du même jour, les compagnons se trouvèrent soudain entourés par une foule désordonnée composée de cavaliers qui avaient surgi de la forêt et se préparaient à ouvrir le feu sur eux.

PHOTO: le tombeau de Shaykh Tabarsi

PHOTO: site du fort qui entourait le tombeau de Shaykh Tabarsi

"Nous sommes des habitants de Qad-Kala, s'écrièrent-ils. Nous venons venger le sang de Khusraw. Nous ne serons satisfaits que lorsque nous vous aurons tous passés par le fil de l'épée." Assiégé par une foule sauvage prête à se jeter sur lui, le groupe dut tirer à nouveau l'épée pour se défendre. Lançant le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman", ils bondirent tous en avant, repoussèrent les assaillants et les mirent en fuite. Le cri fut si terrible que les cavaliers disparurent aussi soudainement qu'ils étaient apparus. Mirza Muhammad-Taqiy- i-Juvayni avait, à sa propre demande, pris le commandement lors de cette rencontre.

De crainte que les assaillants ne revinssent sur eux et n'eussent recours à un massacre général, ils les poursuivirent jusqu'à un village qui était, croyaient-ils, celui de Qadi-Kala.

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A leur vue, tous les hommes s'enfuirent avec terreur. La mère de Nazar Khan, le propriétaire du village, fut tuée accidentellement dans l'obscurité de la nuit, au milieu de la confusion qui s'ensuivit. Les cris de femmes, qui protestaient avec véhémence qu'elles n'avaient rien à voir avec les habitants de Qadi-Kala, parvinrent bientôt aux oreilles de Muhammad Taqi, qui donna aussitôt à ses compagnons l'ordre d'arrêter le massacre jusqu'à ce qu'ils fussent certains du nom et de la nature du lieu.

PHOTO: entrée du tombeau de Shaykh Tabarsi, dans le Mazindaran

Les compagnons s'aperçurent bientôt que le village appartenait à Nazar Khan et que la femme qui venait de perdre la vie n'était autre que sa mère. Fort affligé par la découverte d'une erreur aussi grave de la part de ses compagnons, Mirza Muhammad-Taqi s'exclama avec tristesse: "Nous n'avions l'intention de molester ni les hommes ni les femmes de ce village. Notre unique but était de mettre un terme à la violence des habitants de Qadi-Kala, qui étaient sur le point de nous mettre tous a mort. ' Il s'excusa avec gravité pour la regrettable tragédie dont ses compagnons avaient été inconsciemment les acteurs.

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Nazar Khan qui, pendant ce temps s'était caché dans sa maison, fut convaincu de la sincérité des regrets exprimés par Mirza Muhammad-Taqi. Quoique souffrant de cette perte cruelle, il fut porté à aller voir ce dernier et à l'inviter chez lui. Il lui demanda même de l'introduire auprès de Mulla Husayn et lui exprima son ardent désir de connaître les préceptes d'une cause qui pouvait susciter une telle ferveur dans les coeurs de ses adeptes.

A l'aube, Mirza Muhammad-Taqi, accompagné de Nazar Khan arriva au tombeau de Shaykh Tabarsi et trouva Mulla Husayn occupé à diriger la prière en commun. L'extase qui se lisait sur le visage de celui-ci était telle que Nazar Khan se sentit irrésistiblement porté à se joindre aux adorateurs et à répéter les prières que ceux-ci prononçaient. A la fin de la prière, Mulla Husayn fut informé de la perte qu'avait subie Nazar Khan. Il exprima, dans un langage des plus touchants, la sympathie que lui et le groupe de ses condisciples tout entier ressentaient pour lui dans son grand deuil. "Dieu sait, lui assura-t-il, que notre unique intention était de protéger nos vies plutôt que de troubler la paix du voisinage." Mulla Husayn se mit alors à raconter les circonstances qui avaient conduit à l'attaque dirigée contre eux par les habitants de Barfurush, et expliqua la conduite perfide de Khusraw. Il assura de nouveau Nazar Khan du chagrin que lui causait la mort de sa mère. "Ne vous affligez pas", répondit spontanément Nazar Khan. "Si on m'avait donné cent fils, je les aurais tous avec joie mis à vos pieds et les aurais offerts en sacrifice au Sahibu'z-Zaman!" Il promit, en cet instant même, sa loyauté immuable à Mulla Husayn et se hâta de retourner à son village pour rapporter toutes les provisions dont le groupe pourrait avoir besoin.

Mulla Husayn donna l'ordre à ses compagnons d'entamer la construction du fort dont on avait dressé le plan. A chaque groupe, il assigna une partie du travail, et les encouragea tous à se hâter de finir l'ouvrage. Au cours de ces opérations, les compagnons furent continuellement harcelés par les habitants des villages avoisinants qui, à l'instigation persistante du sa`idu'l-`ulama', sortaient de leur retraite et se jetaient sur eux. Toutes les attaques de l'ennemi furent repoussées et finirent dans l'échec et la honte. Point découragés parla férocité de leurs attaques répétées, les compagnons résistaient vaillamment à leurs assauts et parvinrent finalement à subjuguer pour un temps les forces qui les cernaient de tous côtés.

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Lorsque la construction du bâtiment fut achevée, Mulla Husayn entreprit les préparatifs nécessaires au siège que le fort était destiné à soutenir et pourvut, malgré les obstacles qui lui barraient le chemin, à tout ce qui lui semblait essentiel à la sécurité de ses occupants.

Le travail était à peine achevé lorsque Shaykh Abu-Turab arriva, portant la nouvelle de l'arrivée de Baha'u'llah au village de Nazar Khan. Il dit à Mulla Husayn qu'il avait été spécialement chargé par Baha'u'llah de les informer qu'ils allaient tous être ses hôtes cette nuit-là et qu'il se joindrait lui-même à eux ce même après-midi. J'ai entendu Mulla Mirza Muhammad-i-Furughi raconter ce qui suit: "La nouvelle qu'apportait Shaykh Abu-Turab procura une joie indescriptible au coeur de Mulla Husayn. Il se précipita chez les compagnons et les pria de s'activer en vue de la réception de Baha'u'llah.

PHOTO: fort de Shaykh Tabarsi

Il se joignit lui-même à eux en balayant et en arrosant les alentours du tombeau, et assista en personne à tous les préparatifs en vue de l'arrivée du visiteur bien-aimé. Dès qu'il le vit s'approcher du fort en compagnie de Nazar Khan il se précipita vers eux, embrassa tendrement Baha'u'llah et le conduisit à la place d'honneur qu'il avait réservée à son intention.

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Nous étions trop aveugles alors pour reconnaître la gloire de celui que notre chef avait introduit auprès de nous avec tant de respect et d'amour. Notre perception bornée ne pouvait encore reconnaître ce que Mulla Husayn avait déjà discerné. Avec quelle sollicitude l'avait-il pris dans ses bras! Quels sentiments de délice et d'extase envahirent son coeur lorsqu'il le vit! Il était si perdu dans son admiration qu'il était devenu totalement oublieux de nous tous. Son âme était si absorbée dans la contemplation de ce visage que nous, qui attendions sa permission pour nous asseoir, dûmes rester longtemps debout à côté de lui. Ce fut Baha'u'llah lui-même qui nous pria finalement de nous asseoir. Nous aussi, nous en vînmes bientôt à ressentir, quoique imparfaitement, le charme de son verbe, même si aucun d'entre nous cependant ne put se douter, même vaguement, de la puissance infinie qui était latente en ses paroles.

"Baha'u'llah, au cours de cette visite, inspecta le fort et exprima sa satisfaction devant l'oeuvre qui avait été accomplie. Lors de sa conversation avec Mulla Husayn, il expliqua en détail les points qui lui semblaient vitaux au bien-être et à la sécurité de ses compagnons. "La seule chose qui manque à ce fort et à ce groupe, dit-il, est la présence de Quddus. Sa présence parmi cette compagnie la rendrait complète et parfaite." Il chargea Mulla Husayn de dépêcher Mulla Mihdiy-i-Khu'i avec six personnes à Sari pour demander à Mirza Muhammad-Taqi de leur remettre aussitôt Quddus. "La crainte de Dieu et la terreur qu'inspire son châtiment", affirma-t-il à Mulla Husayn, "l'inciteront à libérer sans hésitation son prisonnier."

Avant de partir, Baha'u'llah enjoignit aux compagnons d'être patients et résignés à la volonté du Tout-Puissant. "Si telle est sa volonté, nous viendrons vous rendre visite à nouveau ici même afin de vous prêter assistance. Vous avez été choisis par Dieu pour être l'avant-garde de son armée et les fondateurs de sa foi. Son armée sera, en vérité, victorieuse. Quoi qu'il advienne, la victoire vous appartient, une victoire qui est complète et certaine." Par ces paroles, il confia ces vaillants compagnons aux soins de Dieu et repartit vers le village en compagnie de Nazar Khan et de Shaykh Abu-Turab. De là, il retourna à Tihran en passant par Nur."

Mulla Husayn se mit aussitôt à exécuter les instructions qu'il avait reçues. Il appela Mulla Mihdi, le pria de se rendre en compagnie de six autres compagnons à Sari, pour demander au mujtahid de libérer son prisonnier.

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Dès qu'il reçut le message de Mulla Husayn, Mirza Muhammad-Taqi accéda inconditionnellement à sa demande. Le pouvoir dont ce message avait été doté sembla l'avoir complètement désarmé. "Je ne l'ai considéré", se hâta-t-il d'affirmer aux messagers, "que comme un hôte honorable dans ma maison. Il serait déplacé de ma part de prétendre l'avoir congédié ou relâché. Il est libre de faire ce qui lui plaît. S'il venait à désirer que je l'accompagne, je le suivrais volontiers.

Mulla Husayn avait dans l'intervalle prévenu ses compagnons de l'arrivée de Quddus et leur avait enjoint de faire preuve envers lui d'un respect semblable à celui qu'ils estimaient nécessaire de manifester envers le Bab lui-même. "Quant à moi, ajouta-t-il, je dois être considéré par vous comme son humble serviteur.

PHOTO: maison de Mirza Muhammad-Taqi (le mujtahid) à Sari, Mazindaran

Vous devez lui témoigner une telle loyauté que s'il vous donnait l'ordre de m'ôter la vie, vous obéiriez sans hésiter. Si vous hésitez, si vous montrez votre indécision, vous aurez prouvé votre infidélité envers votre foi. Vous ne devez en aucune façon vous aventurer à lui imposer votre présence tant qu'il ne vous a pas appelé auprès de lui. Vous devez renoncer à vos désirs pour vous attacher à sa volonté et à son bon plaisir. Vous devez vous abstenir de lui baiser les pieds ou les mains, car son coeur béni répugne à de telles preuves d'affection révérencieuse. Votre attitude doit être telle que je puisse me sentir fier de vous devant lui. La gloire et l'autorité dont il a été investi doivent forcément être reconnues de chacun de ses compagnons, si insignifiant soit-il. Quiconque s'écarte de l'esprit et de la lettre de mes exhortations sera certes l'objet d'un cruel châtiment."

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L'incarcération de Quddus dans la demeure de Mirza Muhammad-Taqi, le mujtahid le plus éminent de Sari, avec lequel il avait des liens de parenté, dura quatre-vingt-quinze jours. Bien qu'enfermé, Quddus fut traité avec une déférence marquée et fut autorisé à recevoir la plupart des compagnons qui avaient assisté à la réunion de Badasht. A personne, cependant, il ne donna la permission de rester à Sari. Tous ceux qui avaient été le voir furent priés, en termes pressants, de s'enrôler sous l'étendard noir hissé par Mulla Husayn. C'est de ce même étendard que Muhammad, le prophète de Dieu, a parlé en ces termes: "Si vos yeux contemplent les étendards noirs arrivant du Khurasan, hâtez-vous d'aller vers eux, même si vous deviez pour cela ramper sur la neige, car ils proclament l'avènement du Mihdi (19.31) promis, le vicaire de Dieu." Cet étendard fut déployé par ordre du Bab, au nom de Quddus, et par les mains de Mulla Husayn. Il fut porté haut dans le ciel sur tout le chemin allant de la ville de Mashhad jusqu'au tombeau de Shaykh Tabarsi. Durant onze mois à compter du début du mois de sha`ban de l'an 1264 après l'hégire (19.32), jusqu'à la fin de jamadiyu'th-thani de l'an 1265, (19.33) cet emblème terrestre d'une souveraineté surnaturelle flotta continuellement au-dessus de ce petit et vaillant groupe, invitant la multitude qui le regardait à renoncer au monde et à embrasser la cause de Dieu.

Lors de son séjour à Sari, Quddus tenta à maintes reprises de convaincre Mirza Muhammad-Taqi de la vérité du message divin. Il discuta en toute liberté avec lui des questions les plus importantes ayant trait à la révélation du Bab. Ses remarques hardies et franches furent exprimées dans un langage si aimable, si persuasif et si courtois, présentées avec tant d'humour et de cordialité, que ceux qui les entendirent ne se sentirent nullement offensés. Ils s'étaient même mépris sur le sens de ses allusions au Livre sacré, croyant qu'il s'agissait là d'observations humoristiques destinées à divertir les auditeurs. Mirza Muhammad-Taqi, malgré la cruauté et la méchanceté qui étaient latentes en lui et qu'il devait manifester ultérieurement par sa position consistant à insister sur l'extermination des survivants des défenseurs du fort de Shaykh Tabarsi, se sentit empêché par une force intérieure de faire preuve du moindre signe d'irrespect envers Quddus alors que ce dernier était emprisonné chez lui. Il s'était même senti enclin à empêcher les habitants de Sari d'offenser Quddus, et on l'a souvent entendu les blâmer pour le mal qu'ils désiraient lui infliger.

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La nouvelle de l'arrivée imminente de Quddus émut les occupants du fort de Tabarsi. Vers la fin de son voyage, Quddus dépêcha un messager pour annoncer son arrivée. L'heureuse nouvelle donna aux compagnons un regain de courage et de force. Poussé par une explosion de joie qu'il ne pouvait réprimer, Mulla Husayn se leva et, escorté par environ cent de ses compagnons, se hâta d'aller à la rencontre du visiteur attendu. Il mit deux chandelles dans les mains de chacun d'entre eux, les alluma lui-même, et les pria de partir à la rencontre de Quddus. L'obscurité de la nuit fut dissipée par le rayonnement que ces coeurs joyeux répandaient en allant vers leur bien-aimé. Au milieu de la forêt du Mazindaran, leurs yeux reconnurent instantanément le visage qu'ils avaient tant désiré voir. Ils se groupèrent impatiemment autour de sa monture et, avec toutes les marques de dévotion, lui firent part de leur affection et de leur allégeance éternelle. Tenant encore les chandelles allumées dans leurs mains, ils le suivirent à pied vers leur destination. Quddus, qui chevauchait parmi eux, apparaissait tel l'astre du jour brillant au milieu de ses satellites. Tout en s'avançant lentement vers le fort, le groupe d'admirateurs enthousiastes entonna l'hymne de glorification et de louange. "Saint, saint est le Seigneur notre Dieu, le Seigneur des anges et de l'esprit!" chantaient autour de lui leurs voix joyeuses. Mulla Husayn lançait l'heureux refrain, auquel le groupe tout entier répondait. La forêt du Mazindaran retentissait du son de leurs acclamations.

Ils atteignirent ainsi le tombeau de Shaykh Tabarsi. Les premières paroles de Quddus, après être descendu de cheval et s'être appuyé contre le tombeau, furent: "le Baqiyyatu'llàh (19.34) sera meilleur pour vous si vous êtes de ceux qui croient." (19.35) Par cette parole s'accomplissait la prophétie de Muhammad telle qu'elle est rappelée dans la tradition suivante: "Et lorsque le Mihdi (19.36) sera manifesté, il s'appuiera contre la Ka`bih et s'adressera en ces termes aux trois cent treize disciples qui se seront réunis autour de lui: "Le Baqiyyatu'llah sera meilleur pour vous si vous êtes de ceux qui croient." Par "Baqiyyatu'llah", Quddus n'entendait nul autre que Baha'u'llah. Mulla Mirza Muhammad-i-Furughi a témoigné de cela en me relatant ce qui suit: "J'étais moi-même présent lorsque Quddus descendit de cheval. Je le vis s'appuyer contre le tombeau et l'entendis prononcer ces mêmes paroles. A peine l'avait-il fait qu'il mentionna Baha'u'llah et, se tournant vers Mulla Husayn, lui demanda de ses nouvelles. Mulla Husayn l'informa que, sauf dans le cas où Dieu en décréterait autrement, Baha'u'llah avait signifié son intention de retourner à Shaykh Tabarsi avant le premier jour de muharram. (19.37)

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"Peu après, Quddus confia à Mulla Husayn quelques homélies qu'il lui demanda de lire à haute voix devant les compagnons réunis. La première homélie qu'il lut était entièrement consacrée au Bab; la deuxième concernait Baha'u'llah, et la troisième se rapportait à Tahirih. Nous nous hasardâmes à exprimer à Mulla Husayn nos doutes quant au fait que la deuxième homélie se référait à Baha'u'llah, ce dernier y apparaissant vêtu de la robe de noblesse. La question fut soumise à Quddus qui nous assura que, plût à Dieu, son secret nous serait révélé en temps voulu. Totalement inconscients en ce temps-là du caractère de la mission de Baha'u'llah, nous ne pouvions comprendre le sens de ces allusions et nous échafaudions de vaines hypothèses quant à leur signification probable. Dans mon empressement à dévoiler les traditions concernant le Qa'im promis, j'allai plusieurs fois auprès de Quddus et lui demandai de m'éclairer à ce sujet. Bien que réticent au début, celui-ci accéda finalement à ma demande. Sa manière de répondre, ses explications convaincantes et lumineuses contribuèrent à rehausser le sentiment de crainte et de vénération qu'inspirait sa présence. Il dissipait tous les doutes qui subsistaient dans nos esprits, et les preuves de sa perspicacité étaient telles que nous en vînmes à croire qu'il avait été doté du pouvoir de lire nos pensées les plus profondes et d'apaiser le trouble le plus violent de nos coeurs.

Plus d'une nuit, je vis Mulla Husayn faire le tour du tombeau dans l'enceinte duquel dormait Quddus. Combien de fois le vis-je sortir de sa chambre au beau milieu de la nuit, se diriger tranquillement vers ce lieu et murmurer ce même verset que nous chantions pour souhaiter la bienvenue au visiteur bien-aimé! Avec quelle émotion puis-je encore me le représenter s'avançant vers moi, dans le calme de ces heures sombres et solitaires que je consacrais à la méditation et à la prière, et me chuchotant à l'oreille ces paroles: "Chasse de ton esprit, ô Mulla Mirza Muhammad, ces subtilités troublantes et, libéré de leurs entraves, lève-toi et viens avec moi boire à la coupe

du martyre. Alors pourras-tu comprendre, lorsque l'an 80 (19.38) apparaîtra à l'horizon du monde, le secret des choses qui demeurent à présent cachées à tes yeux."

Quddus, à son arrivée au tombeau de Shaykh Tabarsi, chargea Mulla Husayn de s'assurer du nombre des compagnons rassemblés. Il les compta un par un et les fit passer par la porte du fort: ils étaient trois cent douze en tout. Il pénétrait lui-même dans le fort pour informer Quddus du résultat lorsqu'un jeune homme, qui avait parcouru à pied toute la route séparant Barfurush de Shaykh Tabarsi, se précipitant vers Mulla Husayn et, saisissant le pan de son vêtement, lui demanda d'être admis parmi ses compagnons et d'avoir droit au sacrifice de la vie, au moment où celui-ci serait requis, dans le sentier de son Bien-Aimé.

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Son voeu fut aussitôt exaucé. Lorsque Quddus fut informé du nombre total des compagnons, il remarqua: "Tout ce que la langue du Prophète de Dieu a dit concernant le Promis doit forcément se réaliser, (19.39) afin que son témoignage soit ainsi complet aux yeux des théologiens qui estiment être les uniques interprètes de la loi et des traditions de l'islam. Par eux, les gens reconnaîtront la vérité et admettront l'accomplissement de ces traditions." (19.40)

Chaque matin et tous les après-midi durant ces jours, Quddus appelait auprès de lui Mulla Husayn et les plus distingués de ses compagnons pour leur demander de psalmodier les Écrits du Bab. Assis dans le maydan, la place découverte contiguë au fort, et entouré de ses amis fidèles, il écoutait attentivement les paroles de son maître et faisait de temps en temps des commentaires sur celles-ci. Ni les menaces de l'ennemi, ni la férocité de leurs assauts successifs ne purent l'inciter à renoncer à sa ferveur ou à rompre la régularité de ses prières. Ignorant tout danger et oublieux de ses besoins et désirs personnels, il continua, même dans les circonstances les plus affligeantes, sa communion quotidienne avec son Bien-Aimé, écrivit des louanges à son égard et redonna force et courage aux défenseurs du fort. Bien qu'exposé aux balles qui ne cessaient de pleuvoir sur ses compagnons assiégés, il poursuivit ses travaux dans un état de calme imperturbable, sans être jamais découragé par la férocité de l'attaque. "Mon âme est liée à ta mention!" avait-il l'habitude de s'exclamer. "Ton souvenir est le soutien et la consolation de ma vie! Je me glorifie de ce que je fus le premier à souffrir ignominieusement pour l'amour de toi à Shiraz. J'aspire ardemment à être le premier à mourir dans ton sentier, d'une mort qui sera digne de ta cause.

Il demandait quelquefois à ses compagnons 'Iraqi de psalmodier divers passages du Qur'an qu'il écoutait avec une attention toute particulière et dont il dévoilait souvent la signification. Au cours de l'une de ces psalmodies, le verset suivant vint à être chanté: "Nous t'éprouverons sûrement par la peur, la faim, la perte de richesses, de vies et de fruits, mais porte la bonne nouvelle au patient." "Ces paroles, fit remarquer Quddus, furent originellement révélées en référence à Job et aux afflictions qui l'accablèrent. En ce jour, cependant, elles s'appliquent à nous, qui sommes destinés à subir les mêmes afflictions.

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Le degré de notre calamité sera tel que personne, hormis celui qui a été doué de constance et de patience, ne pourra y survivre."

Le savoir et la sagacité dont Quddus faisait preuve à ces occasions, la confiance avec laquelle il parlait, l'habilité et la hardiesse qu'il montrait dans les instructions qu'il donnait à ses compagnons, renforcèrent son autorité et rehaussèrent son prestige. Ceux-ci supposèrent tout d'abord que le profond respect que manifestait Mulla Husayn envers Quddus était dicté par les exigences de la situation plutôt que par un sentiment spontané de dévouement à sa personne. Les écrits personnels de Quddus et son comportement général dissipèrent peu à peu de tels doutes et contribuèrent à l'établir encore plus ferme-ment dans l'estime de ses compagnons. Aux jours de son emprisonnement dans la ville de Sari, Quddus, à qui Mirza Muhammad-Taqi avait demandé d'écrire un commentaire sur la surih d'Ikhlas, mieux connue comme surih de Qul Huva'llahu'l-Ahad, composa, dans le cadre de sa seule interprétation du Sad de Samad, un traité qui est trois fois plus volumineux que le Qur'an lui-même. Cet exposé magistral et exhaustif avait profondément impressionné Mirza Muhammad-Taqi et avait été la cause de la considération marquée que celui-ci devait désormais porter à Quddus bien qu'il ait finalement rejoint le sa`idu'l-`ulama' pour comploter la mort des martyrs héroïques de Shaykh Tabarsi. Quddus continua, alors qu'il était assiégé dans ce fort, à écrire son commentaire sur cette surih et put, en dépit de la véhémence des assauts de l'ennemi, composer autant de versets qu'il en avait écrits auparavant à Sari lors de son interprétation de cette même lettre. La rapidité et la richesse de sa composition, les trésors inestimables que révélaient ses écrits remplirent d'émerveillement ses compagnons et justifièrent sa position de chef à leurs yeux. Ils lurent avec empressement les pages de ce commentaire que Mulla Husayn leur apportait chaque jour et auquel lui-même rendait hommage.

L'achèvement de la construction du fort et l'approvisionnement en tout ce qui s'avéra essentiel à sa défense, ranimèrent l'enthousiasme des compagnons de Mulla Husayn et excitèrent la curiosité des gens du voisinage. (19.41) Quelques-uns par simple curiosité, d'autres à la recherche d'intérêts matériels, et d'autres encore poussés par leur dévouement envers la cause que symbolisait cette construction, cherchèrent à être admis dans ses murs et s'émerveillèrent de la rapidité avec laquelle elle avait été érigée. Quddus, dès qu'il eut vérifié le nombre de ses occupants, donna l'ordre de ne permettre à aucun visiteur d'y entrer.

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Les éloges que ceux qui l'avaient déjà inspectée avaient prodigués à son sujet furent transmis de bouche en bouche, parvinrent à l'oreille du sa`idu'l-ùlama' et suscitèrent en son coeur une implacable jalousie. Dans la haine qu'il portait envers ceux qui avaient été responsables de sa construction, il proclama l'interdiction formelle à quiconque de s'approcher de son enceinte et demanda instamment à tous de mettre en interdit les compagnons de Mulla Husayn. En dépit de la sévérité de ses ordres, quelques-uns négligèrent ses voeux et apportèrent toute l'aide en leur pouvoir à ceux qu'ils avaient si indûment persécutés. Les afflictions auxquelles furent soumis ces martyrs furent telles qu'à certains moments ils ressentaient un besoin désespéré des nécessités les plus élémentaires de la vie. Dans les heures sombres de l'adversité, cependant, la lumière de la délivrance divine, qui leur apparaissait soudain, ouvrait devant eux la porte d'un soulagement inattendu.

La manière providentielle dont les occupants du fort furent soulagés de la détresse qui pesait sur eux fit éclater la colère de l'obstiné et hautain sa`idu'l-`ulama'. Poussé par une haine implacable, il adressa un appel enflammé à Nasiri'd-Din Shah qui venait d'accéder au trône, et insista sur les dangers dont sa dynastie, la monarchie même, était menacée. "L'étendard de la révolte, faisait-il valoir, a été hissé par la méprisable secte des Babis. Ce vil groupe d'agitateurs irresponsables a osé s'attaquer aux fondements mêmes de l'autorité dont Votre Majesté Impériale a été investie. Les habitants de certains villages situés dans le voisinage immédiat de leur quartier général ont déjà rallié leur étendard et prêté serment d'allégeance à leur cause. Ils ont eux-mêmes construit un fort et se sont retranchés dans cette forteresse massive, prêts à diriger une campagne contre vous. Avec une obstination inébranlable, ils ont décidé de proclamer leur souveraineté indépendante, souveraineté qui jettera à terre le diadème impérial de vos illustres ancêtres. Vous êtes au seuil de votre règne. Quel triomphe plus grand pourrait marquer votre avènement que l'élimination de cette secte haïssable qui a osé conspirer contre vous? Il contribuera à établir Votre Majesté dans la confiance de votre peuple. Il rehaussera votre prestige et dotera votre couronne d'une gloire impérissable. Si vous hésitez dans votre politique, si vous trahissez la moindre indulgence envers eux, je sens qu'il est de mon devoir de vous avertir que le jour est imminent où non seulement la province de Mazindaran, mais bien toute la Perse, d'un bout à l'autre, aura répudié votre autorité et se sera rendue à leur cause."

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Nasiri'd-Din Shah, peu expérimenté jusqu'alors dans les affaires de l'État, soumit la question aux officiers qui commandaient l'armée du Mazindaran et qui se trouvaient à son service. (19.42) Il leur donna l'ordre de prendre toutes les mesures qu'ils estimaient nécessaires à la disparition radicale des agitateurs de son royaume. Haji Mustafa Khan-i-Turkaman soumit ses vues à son souverain: "Je viens moi-même du Mazindaran. J'ai pu estimer les forces dont ils disposent. La poignée d'étudiants peu entraînés et chétifs que j'ai vus est totalement impuissante à tenir tête aux forces que commande Votre Majesté. L'armée que vous entendez envoyer sur les lieux sera, selon moi, inutile. Un petit détachement de cette armée suffira à les anéantir. Ils sont complètement indignes de l'attention et de la considération de mon souverain. Si Votre Majesté veut bien signifier son désir, dans un message impérial adressé à mon frère 'Abdu'llah Khan-i-Turkaman, de le voir investi de l'autorité nécessaire pour subjuguer cette bande, je suis convaincu qu'en l'espace de deux jours, il étouffera leur rébellion et brisera leurs espérances."

PHOTO: village d'Afra

Le Shah donna son consentement et décréta son farman (19.43) destiné à ce même 'Abdu'llah Khan, ordonnant à celui-ci de recruter sans délai, dans toutes les régions de son royaume, les forces que pourrait requérir l'exécution de son plan. Il envoya avec son message un emblème royal, qu'il lui octroya en signe de confiance en sa capacité à entreprendre cette tâche. La réception du farman impérial et le signe de l'honneur que son souverain lui avait conféré fortifia 'Abdu'llah Khan dans sa résolution d'exécuter sa mission de manière adéquate.

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En peu de temps, il leva une armée d'environ douze mille hommes, en majeure partie composée de membres des communautés Usanlu, Afghan et Kudar. (19.44) Il les équipa de toutes les munitions requises et les fit stationner dans le village d'Afra, qui appartenait à Nazar Khan et dominait le fort de Tabarsi. A peine avait-il établi son camp sur ce monticule, qu'il se mit à intercepter le pain que l'on portait quotidiennement aux compagnons de Mulla Husayn. Même l'eau devait bientôt leur être refusée, car la sortie du fort assiégé était rendue impossible par le feu nourri de l'ennemi.

L'armée reçut l'ordre d'ériger quelques barricades en face du fort et d'ouvrir le feu sur quiconque se hasarderait au-delà de sa porte. Quddus interdit à ses compagnons de sortir pour aller chercher de l'eau dans le voisinage. "Notre pain a été intercepté par l'ennemi", se plaignit Rasul-i-Bahnimiri. "Qu'adviendra-t-il de nous si l'eau venait aussi à nous être refusée?" Quddus qui était alors, au moment du coucher du soleil, en train d'observer l'armée ennemie en compagnie de Mulla Husayn, à partir de la terrasse du fort, se tourna vers ce dernier et dit: "La rareté de l'eau a affligé nos compagnons. Plût à Dieu que, cette nuit même, des averses surprennent nos ennemis, suivies d'une importante chute de neige, qui nous aideraient à repousser l'assaut qu'ils projettent."

Cette nuit-là, l'armée d''Abdu'llah Khan fut surprise par une pluie torrentielle qui inonda la région s'étendant autour du fort. Une grande partie des munitions fut irrémédiablement endommagée. A l'intérieur des murs du fort fut amassée une quantité importante d'eau qui suffit, pendant une longue période, à la consommation des assiégés. Au cours de la nuit suivante, une chute de neige telle que les gens du voisinage n'en avait jamais connue de pareille, même au coeur de l'hiver, augmenta considérablement les dégâts que la pluie avait causés. La nuit suivante, qui était celle précédant le 5 muharram de l'an 1265 après l'hégire, (19.45) Quddus décida de quitter le fort. "Louange à Dieu", fit-il observer à Rasul-i-Bahnimiri en marchant paisiblement et avec sérénité dans le voisinage de la porte, "qui a daigné répondre à notre prière et a fait que tombent la pluie et la neige sur nos ennemis, semant la désolation dans leur camp et apportant le réconfort dans notre forteresse."

Comme approchait l'heure de l'attaque à laquelle cette grande armée se préparait activement, en dépit des pertes qu'elle avait subies, Quddus décida de faire une sortie pour disperser les forces de l'ennemi.

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Deux heures après le lever du soleil, il enfourcha sa monture et, escorté par Mulla Husayn et de trois autres de ses compagnons qui chevauchaient à ses côtés, sortit par la porte, suivi par le groupe entier des piétons qui fermaient la marche. A peine étaient-ils hors du fort qu'ils lancèrent le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman" (19.46) semant la consternation dans le camp de l'ennemi. Le rugissement que ces disciples du Bab au coeur de lion lancèrent au milieu de la forêt du Mazindarann dispersa l'ennemi effrayé qui était embusqué dans ses retranchements. Le scintillement de leurs armes nues les aveugla et la menace que celles-ci leur inspiraient suffit à les frapper de stupeur et à les écraser. Ils s'enfuirent dans une honteuse déroute devant la ruée des compagnons, abandonnant tous leurs biens. En l'espace de quarante-cinq minutes, le cri de victoire avait été lancé. Quddus et Mulla Husayn avaient réussi à placer sous leur contrôle le restant de l'armée défaite. 'Abdu'llah Khan-i-Turkaman, ainsi que deux de ses officiers, Habibu'llah Khan-i-Afghan et Nuru'llah Khan-i-Afghan, et non moins de quatre cent trente de leurs hommes, avaient péri.

Quddus retourna au fort alors que Mulla Husayn poursuivait encore la tâche qui avait été menée à bien avec tant de vaillance. La voix de Siyyid 'Abdu'l-'Azim-i-Khu'i se fit bientôt entendre invitant le Mulla Husayn, de la part de Quddus, à retourner aussitôt au fort. "Nous avons repoussé les assaillants, remarqua Quddus; nous n avons pas besoin de pousser plus loin le châtiment. Notre but est de nous protéger afin que nous puissions poursuivre notre oeuvre de régénération de l'humanité.

PHOTO: village de Si-iir-gah

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Nous n'avons nullement l'intention de faire du mal inutilement à quiconque. Ce que nous avons déjà accompli témoigne suffisamment de la puissance invincible de Dieu. Nous, un petit groupe de ses adeptes, avons pu, grâce à son aide, venir à bout de l'armée organisée et entraînée de nos ennemis.

Malgré cette défaite, aucun des disciples du Bab ne perdit la vie au cours de cette rencontre. Personne, hormis un homme appelé Quli, qui chevauchait devant Quddus, ne fut sérieusement blessé. Les compagnons reçurent tous l'ordre de ne s'emparer d'aucun bien de leurs adversaires, sauf des épées et des chevaux.

Comme les signes d'un rassemblement des forces qu'avait commandées 'Abdu'llah Khan devenaient évidents, Quddus demanda à ses compagnons de creuser un fossé autour du fort, destiné à les protéger contre une nouvelle attaque. Dix-neuf jours s'écoulèrent, pendant lesquels les compagnons firent de leur mieux pour accomplir la tâche qu'ils étaient chargés de réaliser. Ils travaillèrent gaiement nuit et jour afin de finir le travail qui leur avait été confié.

Peu après l'achèvement de l'ouvrage, on annonça que le prince Mihdi-Quli Mirza (19.47) s'avançait vers le fort à la tête d'une grande armée, et qu'il avait établi son camp à Shir-Gah. Quelques jours plus tard, on apprit qu'il avait transféré son quartier général à Vas-Kas. A son arrivée, il envoya un de ses hommes informer Mulla Husayn qu'il avait reçu du Shah l'ordre de vérifier le but de ses activités et de demander à être mis au courant de l'objectif qu'il avait en vue. "Dites à votre maître", répondit Mulla Husayn à l'envoyé, "que nous nous défendons de la moindre intention de renverser les fondements de la monarchie ou d'usurper l'autorité de Nasiri'd-Din Shah. Notre cause concerne la révélation du Qa'im promis et a trait essentiellement aux intérêts de l'ordre religieux de ce pays. Nous pouvons exposer des arguments irréfutables et en déduire des preuves infaillibles à l'appui de la vérité du message que nous portons." La sincérité passionnée avec laquelle Mulla Husayn plaida sa cause, et les détails qu'il cita pour démontrer la validité de ses revendications, touchèrent le coeur du messager à un point tel qu'il eut les larmes aux yeux. "Que devons-nous faire?" s'exclama-t-il. "Que le prince, répondit Mulla Husayn, ordonne aux 'ulamas de Sari et de Barfurush de se rendre en ce lieu pour nous demander de démontrer la validité de la révélation proclamée par le Bab. Que le Qur'an décide qui dit la vérité. Que le prince en personne juge notre cas et prononce le verdict. Qu'il choisisse aussi la manière dont il nous traitera si nous manquons d'établir, à l'aide de versets et de traditions, la vérité de cette cause."

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PHOTO: village de Riz-Ab

PHOTO: VILlage de Firuz-Kuh

PHOTO: village de Vas-Kas

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Le messager exprima son entière satisfaction de la réponse qu'il avait reçue et promit qu'avant trois jours, les dignitaires ecclésiastiques se réuniraient comme il l'avait suggéré.

La promesse donnée par le messager était destinée à demeurer inaccomplie. Trois jours plus tard, le prince Mihdi-Quli Mirza se prépara à lancer son attaque contre les occupants du fort, à une échelle qui n'avait pas de précédent. A la tête de trois régiments d'infanterie et de plusieurs régiments de cavalerie, il établit son armée sur une hauteur qui dominait le fort et donna le signal d'ouvrir le feu dans la direction de celui-ci.

Le jour ne s'était pas encore levé lorsque, par le signal de "Montez vos coursiers, ô héros de Dieu!" Quddus donna l'ordre de rouvrir les portes du fort. Mulla Husayn et deux cent deux de ses compagnons coururent vers leurs chevaux et suivirent Quddus alors que celui-ci partait en direction de Vas-Kas. Point découragés par les forces écrasantes déployées contre eux, et en dépit de la neige et de la boue qui s'étaient accumulées sur les routes, ils foncèrent, sans s'arrêter un seul instant, dans l'obscurité qui les entourait, vers la forteresse qui servait de base aux opérations de l'ennemi.

Le prince, qui observait les mouvements de Mulla Husayn, le vit s'approcher, venant de son fort, et donna l'ordre à ses hommes d'ouvrir le feu sur lui. Les balles qui furent tirées ne parvinrent point à arrêter son avance. Il se força un passage à travers la porte et fonça dans les appartements privés du prince; celui-ci, sentant soudain que sa vie était en danger, se jeta par une fenêtre dans un fossé et s'enfuit pieds nus. (19.48) Son armée, privée de chef et frappée de panique, s'enfuit en déroute devant ce petit groupe qu'elle était incapable de subjuguer, malgré son écrasante supériorité et les moyens que le trésor impérial avait mis à sa disposition. (19.49)

En se forçant un passage à travers la partie du fort réservée au prince, les vainqueurs abattirent deux princes de sang royal (19.50) qui tentaient de tirer sur les assaillants. Lorsqu'ils pénétrèrent dans les appartements princiers, ils découvrirent, dans l'une des chambres, des coffres remplis d'or et d'argent, auxquels ils dédaignèrent de toucher. A l'exception d'un pot de poudre à canon et de l'épée favorite du prince qu'ils emportèrent en tant que preuve de leur triomphe pour Mulla Husayn, les compagnons feignirent d'ignorer le mobilier de valeur que le propriétaire avait abandonné dans son désespoir.

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Lorsqu'ils apportèrent leur butin à Mulla Husayn, ils s'aperçurent que celui-ci avait, par suite du bris de son épée par une balle, changé la sienne contre celle de Quddus avec laquelle il était occupé à repousser l'assaillant.

En ouvrant la porte de la prison qui avait été aux mains de l'ennemi, les compagnons entendirent la voix de Mulla Yùsuf-i-Ardibili qui avait été fait prisonnier en se rendant vers le fort et qui languissait parmi les autres captifs. Mulla Yusuf intercéda en faveur de ses compagnons d'infortune et parvint à obtenir leur libération immédiate.

Au matin de ce mémorable engagement, Mulla Husayn rassembla ses compagnons autour de Quddus dans les faubourgs de Vas-Kas, mais resta lui-même à cheval en prévision d'une nouvelle attaque de l'ennemi. Il observait les mouvements de celui-ci lorsqu'il vit soudain une armée innombrable foncer vers lui de tous côtés. Tous les compagnons se levèrent et, lançant à nouveau le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman !" , se hâtèrent de faire face au défi. Mulla Husayn éperonna sa monture et se lança dans une direction déterminée alors que Quddus et ses compagnons partaient dans une autre. Le détachement qui était en train de charger Mulla Husayn changea brusquement de direction et, fuyant devant lui, alla prêter main forte à l'autre flanc de l'ennemi, encerclant Quddus et ceux qui étaient avec lui. A un moment donné, ils tirèrent un millier de balles dont l'une atteignit Quddus à la bouche, brisant plusieurs de ses dents et lui blessant la langue et la gorge. Le vacarme que produisirent les décharges simultanées d'un millier de balles, et que l'on put entendre à une distance de dix farsangs, (19.51) suscita la crainte de Mulla Husayn, qui se hâta d'aller au secours de ses amis. Dès qu'il parvint à eux, il descendit de cheval et, confiant celui-ci à son assistant Qambar-'Ali, courut vers Quddus. La vue du sang qui coulait à profusion de la bouche de son chef bien-aimé le frappa de frayeur et de consternation. Il leva les bras horrifié et était sur le point de se frapper la tête lorsque Quddus le pria de renoncer à son geste. Mulla Husayn obéit aussitôt à son chef, lui demanda de lui remettre de ses propres mains son épée qui fut aussitôt tirée de son fourreau et utilisée pour éparpiller les forces qui s'étaient massées autour de lui. Suivi de cent dix de ses condisciples, il s'en alla faire face aux forces déployées contre lui. Tenant d'une main l'épée de son chef bien-aimé et, de l'autre, celle

de son adversaire indigne, il mena un combat désespéré contre l'ennemi et en l'espace de trente minutes, durant lesquelles il fit preuve d'un prodigieux héroïsme, il parvint à mettre en fuite l'armée tout entière.

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La retraite déshonorante de l'armée du prince Mihdi-Quli Mirza permit à Mulla Husayn et à ses compagnons de retourner au fort. Avec peine et regret, ceux-ci conduisirent leur chef blessé à l'abri de sa forteresse. A son arrivée, Quddus adressa un appel écrit à ses amis qui déploraient sa blessure et, par ces mots de réconfort, apaisa leur douleur. "Nous devons nous soumettre, les exhorta-t-il, à ce qui est la volonté de Dieu. Nous devons rester fermes et résolus à l'heure de l'épreuve. La pierre de l'infidèle cassa les dents du Prophète de Dieu; c'est la balle de l'ennemi qui a brisé les miennes. Bien que mon corps soit affligé, mon âme est plongée dans un océan de joie. Ma gratitude envers Dieu ne connaît pas de bornes. Si vous m aimez, ne souffrez pas que cette joie soit ternie par la vue de vos lamentations."

Cet engagement mémorable eut lieu le 25 muharram de l'an 1265 après l'hégire. (19.52) Au début de ce même mois, Baha'u'llah, fidèle à la promesse qu'il avait faite à Mulla Husayn, quittait Nur en compagnie de plusieurs amis pour se rendre au fort de Tabarsi. Parmi ceux qui l'accompagnaient, il y avait notamment Haji Mirza Janiy-iKashani, Mulla Baqir-i-Tabrizi, une des Lettres du Vivant, et Mirza Yahya, frère de Baha'u'llah. Ce dernier avait signifié son désir de se rendre directement à sa destination, sans faire halte au cours du voyage. Son intention était d'atteindre ce lieu de nuit, puisque des ordres stricts avaient été donnés, depuis le moment où 'Abdu'llah Khan avait pris le commandement, de ne laisser parvenir en aucun cas une aide quelconque aux occupants du fort. Des gardes avaient été postés en différents endroits pour assurer l'isolement des assiégés. Les compagnons de Baha'u'llah le poussèrent cependant à interrompre son voyage pour prendre quelques heures de repos. Bien qu'il sût que ce retard comportait un grave risque de se voir surpris par l'ennemi, il se conforma à leur ardente requête. Ils firent halte dans une maison isolée qui se trouvait au bord de la route. Après le souper, ses compagnons se retirèrent tous pour aller dormir. Lui seul, en dépit des épreuves qu'il avait endurées, demeura éveillé. Il connaissait parfaitement les dangers auxquels ses compagnons et lui-même étaient exposés et se représentait parfaitement les éventualités qu'impliquait son arrivée hâtive au fort.

Alors qu'il surveillait les alentours, les émissaires secrets de l'ennemi informèrent les gardes du voisinage de l'arrivée du groupe et leur donnèrent l'ordre de saisir immédiatement tout ce qu'ils pourraient trouver en sa possession. "Nous avons reçu l'ordre formel", dirent ces derniers à Baha'u'llah qu'ils reconnurent aussitôt comme étant le chef du groupe, "d'arrêter toute personne que nous rencontrerons dans le voisinage et de la conduire, sans aucune investigation préalable, à Amul pour la remettre entre les mains du gouverneur."

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"L'affaire vous a été présentée sous un faux jour, fit remarquer Baha'u'llah. Vous faites erreur quant à notre but. Je vous conseille de ne pas agir d'une façon que vous pourriez regretter par la suite." Cet avertissement, exprimé avec dignité et sérénité, incita le chef des gardes à faire preuve de considération et de courtoisie envers ceux qu'il avait arrêtés. Il les pria de monter à cheval et de se rendre sa compagnie à Amul. Comme ils approchaient du lit d'une rivière, Baha'u'llah fit signe à ses compagnons, qui chevauchaient à quelque distance des gardes, de jeter à l'eau tous les manuscrits qu'ils avaient en leur possession.

Au lever du jour, comme ils approchaient de la ville, un messager fut envoyé en avant pour informer le gouverneur en exercice de l'arrivée du groupe qui avait été capturé alors qu'il se rendait au fort de Tabarsi. Le gouverneur lui-même reçut l'ordre de se joindre, en compagnie des membres de sa garde personnelle, à l'armée du prince Mihdi Quli Mirza, et chargea son secrétaire de le remplacer en son absence. Dès que le message lui parvint, il se rendit au masjid d'Amul et appela les 'ulamas et les principaux siyyids de la ville à se réunir pour rencontrer le groupe. Il fut fort surpris lorsqu'il vit et reconnut le Baha'u'llah, et regretta alors profondément les ordres qu'il avait don-nés. Il feignit de le réprimander pour l'action qu'il avait entreprise, et ce dans l'espoir d'apaiser le tumulte et de calmer l'excitation de ceux qui s'étaient rassemblés dans le masjid. "Nous ne sommes pas responsables, déclara Baha'u'llah, du crime qui nous est imputé. Notre innocence sera finalement établie à vos yeux. Je vous conseille d'agir de façon à ce que vous n'ayez rien à regretter par la suite." Le gouverneur faisant fonction demanda aux 'ulamas qui étaient présents de poser toutes les questions qu'ils désiraient. A toutes leurs demandes, Baha'u'llah donna des réponses explicites et convaincantes. Alors qu'on était en train de l'interroger, quelques-uns découvrirent sur l'un de ses compagnons un manuscrit qu'ils reconnurent comme étant l'un des Écrits du Bab et qu'ils remirent au chef des 'ulamas présent à la réunion. Dès que celui-ci eut parcouru quelques lignes du manuscrit, il le mit de côté et, se tournant vers ceux qui étaient autour de lui, s'exclama: "Ces gens, qui présentent des revendications aussi extravagantes, ont démontré dans la phrase que je viens de lire leur ignorance des règles les plus élémentaires de l'orthographe."

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"O théologien estimé et savant, répondit Baha'u'llah, ces paroles que vous critiquez ne sont pas celles du Bab. C'est l'Imam 'Ali, le Commandeur des croyants, qui les a lui-même prononcées dans sa réponse à Kumayl-ibn-i-Ziyad, qu'il s'était choisi pour compagnon."

Les circonstances que Baha'u'llah se mit à exposer, relativement à la réponse et à la remise de celle-ci, persuadèrent l'arrogant mujtahid de sa propre stupidité et de sa bévue. Ne pouvant contredire une déclaration aussi écrasante, il préféra garder le silence. Un siyyid lança avec colère: "Cette déclaration même démontre de manière convaincante que son auteur est lui-même un Babi et un éminent interprète des préceptes de cette secte." Il demanda, dans un langage véhément, que ses disciples fussent mis à mort. "Ces obscurs sectaires sont les ennemis jurés de l'Etat et de la foi islamique! s'écria-t-il. Nous devons, à tout prix, exterminer cette hérésie." Il fut appuyé dans sa dénonciation par les autres siyyids présents qui, enhardis par les imprécations exprimées à cette réunion, insistaient pour que le gouverneur se conformât sans hésiter à leurs voeux.

Le gouverneur faisant fonction fut fort embarrassé et réalisa que tout signe d'indulgence de sa part pouvait avoir de graves conséquences quant au maintien de sa position. Désireux de faire cesser les passions qui avaient été soulevées, il donna l'ordre à ses assistants de préparer les verges et d'infliger promptement un châtiment adéquat aux prisonniers. Nous les garderons ensuite en prison, ajouta-t-il, en attendant le retour du gouverneur qui les enverra à Tihran où ils recevront, des mains du souverain, le châtiment qu'ils méritent."

Le premier appelé à recevoir la bastonnade fut Mulla Baqir. "Je ne suis qu'un valet d'écurie de Baha'u'llah, dit-il. J'étais en route vers Mashhad lorsqu'on m'arrêta brusquement et m'amena en ce lieu." Baha'u'llah intervint et réussit à le faire relâcher. Il intercéda également en faveur de Haji Mirza Jani qui, dit-il, était "un simple commerçant" qu'il considérait comme son "invité" et, par conséquent, il était "responsable de toutes les accusations portées contre lui". Mirza Yahya qu'on commençait à lier fut, lui aussi, mis en liberté dès que Baha'u'llah eut déclaré qu'il était son assistant. "Aucun de ces hommes", dit-il au gouverneur faisant fonction, "n'est coupable d'aucun crime. Si vous persistez à vouloir infliger votre châtiment, je m'offre moi-même comme victime volontaire." Le gouverneur faisant fonction fut obligé, à contre-coeur, de donner l'ordre d'infliger à Baha'u'llah seul l'outrage qu'il avait initialement l'intention de faire subir à ses compagnons. (19.53)

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Le même traitement dont le Bab avait été l'objet cinq mois auparavant à Tabriz fut infligé à Baha'u'llah en présence des 'ulamas d'Amul assemblés. Le premier emprisonnement que subit le Bab des mains de ses ennemis eut lieu chez 'Abdu'l-Hamid Khan, l'officier de paix de Shiraz; la première détention de Baha'u'llah eut lieu chez l'un des kad-khudas de Tihran. Le Bab passa son second emprisonnement dans la forteresse de Mah-Ku, tandis que Baha'u'llah subit le sien à la résidence privée du gouverneur d'Amul. Le Bab fut flagellé dans le namaz-Khanih (19.54) du shaykhu'l-islam de Tabriz, et Baha'u'llah subit la même peine dans le namaz-Khanih du mujtahid d'Amul. La troisième incarcération du Bab eut lieu dans la forteresse de Chihriq, tandis que celle de Baha'u'llah eut lieu dans le siyah-chal (19.55).

PHOTO: vue d'amul

PHOTO: maison du gouverneur d'Amul

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Le Bab, dont les épreuves et les souffrances avaient, dans la plupart des cas, précédé celles de Baha'u'llah, s'était offert en sacrifice pour sauver son bien-aimé des périls qui devaient assaillir cette précieuse vie; Baha'u'llah, de son côté, ne voulant pas que celui qui l'aimait si ardemment fût le seul à souffrir, partagea chaque fois la coupe qui avait touché ses lèvres. Un tel amour ne s'est jamais vu et une telle dévotion mutuelle n'a jamais été conçue par un coeur humain. Si les branches de chaque arbre étaient transformées en plumes, les océans en encre, et la terre et le ciel enroulés en un seul parchemin, l'immensité de cet amour demeurerait néanmoins inexplorée et les profondeurs de cette dévotion, insondées.

Baha'u'llah et ses compagnons restèrent quelque temps emprisonnés dans l'une des pièces qui formaient une partie du masjid. Le gouverneur faisant fonction, qui était toujours déterminé à protéger son prisonnier contre les assauts d'un ennemi invétéré, donna en secret l'ordre à ses assistants d'ouvrir, à une heure inattendue, une brèche dans le mur de la chambre où se trouvaient emprisonnés les captifs, et de transférer aussitôt leur chef à sa résidence. Il était lui-même en train de conduire Baha'u'llah chez lui lorsqu'un siyyid surgit et, lançant ses plus sauvages invectives contre celui-ci, leva le gourdin qu'il tenait à la main pour le frapper. Le gouverneur s'interposa aussitôt et, faisant appel à l'assaillant, "l'adjura par le Prophète de Dieu" de retirer sa main. "Quoi !" dit le siyyid fou de colère. "Comment osez-vous relâcher un homme qui est l'ennemi juré de la foi de vos pères?" Une foule de malfaiteurs s'était pendant ce temps réunie autour de lui et, par ses hurlements de dérision et d'injures, ajoutait à la clameur qu'il avait soulevée. Malgré le tumulte croissant, les assistants du gouverneur faisant fonction parvinrent à conduire Baha'u'llah sain et sauf à la résidence de leur maître, faisant preuve à cette occasion d'un courage et d'une présence d'esprit vraiment surprenants.

En dépit des protestations de la foule, les autres prisonniers furent conduits au siège du gouvernement et purent ainsi échapper aux dangers qui les avaient menacés. Le gouverneur faisant fonction s'excusa beaucoup auprès de Baha'u'llah pour le traitement que les habitants d'Amul lui avaient réservé. "Sans l'intervention de la Providence, dit-il, aucune force n'aurait pu réaliser votre libération de la poigne de ce peuple malveillant. Sans l'efficacité du voeu que j'avais fait de risquer ma propre vie pour vous, j'aurais été, moi aussi, victime de leur violence et foulé aux pieds." Il se plaignit avec amertume de la conduite outrageante des siyyids d'Amul et dénonça la bassesse de leur caractère.

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Il déclara qu'il était lui-même sans cesse tourmenté par leurs desseins malveillants. Il se mit à servir Baha'u'llah avec dévouement et bonté et on l'entendait remarquer souvent, lors de ses conversations avec lui: "Loin de moi l'idée de vous considérer comme un prisonnier chez moi. Cette maison, je le crois, fut bâtie dans le but même de vous fournir un refuge contre les desseins de vos ennemis.

J'ai entendu Baha'u'llah lui-même raconter ce qui suit: "Jamais on n'a vu prisonnier être traité comme je l'étais, avec autant de considération et d'estime. Le gouverneur intérimaire d'Amul me servait avec libéralité et portait la plus grande attention à tout ce qui pouvait affecter ma sécurité et mon confort. Je ne pouvais cependant passer la porte de la maison. Mon hôte craignait que le gouverneur, qui avait des liens de parenté avec 'Abbas-Quli Khan-i-Larijani, ne revînt du fort de Tabarsi et ne me portât préjudice. Je tentai de dissiper ses craintes. "La même Omnipotence, lui affirmai-je, qui nous a libérés des mains des malfaiteurs d'Amul et nous a permis d'être reçus par vous avec tant d'hospitalité, est capable de transformer le coeur du gouverneur et de l'amener à nous traiter avec autant de considération et d'affection."

"Une nuit, nous fûmes réveillés soudainement par la clameur des gens qui s'étaient réunis devant la porte de la maison. La porte fut ouverte et on annonça que le gouverneur était revenu à Amul. Nos compagnons, qui s'attendaient à un nouvel assaut, furent complètement surpris lorsqu'ils entendirent la voix du gouverneur blâmer ceux qui nous avaient si cruellement dénoncés le jour de notre arrivée. "Pour quelle raison", l'entendîmes-nous réprimander à haute voix, "ces misérables coquins ont-ils décidé de traiter avec tant d'irrespect un invité dont les mains sont liées et à qui l'on n'a pas donné l'occasion de se défendre? Pour quel motif ont-ils demandé qu'il fût immédiatement mis à mort? Quelles preuves ont-ils pour étayer leurs prétentions? S'ils sont sincères dans leurs affirmations quant à leur fidèle attachement à l'islam en qualité de gardiens de ses intérêts, qu'ils se rendent eux-mêmes au fort de Shaykh Tabarsi pour démontrer leur aptitude à défendre la foi dont ils se prétendent les défenseurs."

L'héroïsme que le gouverneur d'Amul avait constaté chez les défenseurs du fort lui avait complètement transformé l'esprit et le coeur. Il revenait plein d'admiration pour une cause qu'il avait auparavant méprisée et au progrès de laquelle il s'était fermement opposé. Les scènes dont il avait été témoin avaient dissipé sa colère et refréné son orgueil.

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Avec humilité et respect, il se rendit auprès de Baha'u'llah et s'excusa pour l'insolence des habitants d'une ville dont il était gouverneur. Il le servit avec un dévouement extrême, négligeant complètement sa propre position et son rang. Il exalta les vertus de Mulla Husayn et s'étendit sur son ingéniosité, son intrépidité, son habileté et sa noblesse d'âme. Quelques jours plus tard, il parvenait à organiser le départ sans encombre de Baha'u'llah et de ses compagnons pour Tihran.

Le souhait de Baha'u'llah de partager le sort des défenseurs du fort de Shaykh Tabarsi devait rester inexaucé. Bien que lui-même fût extrêmement désireux de prêter toute l'assistance en son pouvoir aux assiégés, il échappa, grâce à la mystérieuse dispensation de la Providence, au sort tragique qui devait bientôt frapper les principaux participants à ce mémorable combat.

PHOTO: vues du Masjid d'Amul

PHOTO: la marque x montre l'endroit où l'ouverture fut pratiquée dans le mur

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S'il avait pu atteindre le fort, s'il avait été autorisé à rejoindre les membres de ce groupe héroïque, comment aurait-il pu jouer son rôle dans le grand drame qu'il était destiné à dévoiler? Comment aurait-il pu parfaire l'oeuvre qui avait été si glorieusement conçue et si merveilleusement inaugurée? Il était dans la fleur de l'âge lorsque l'appel de Shiraz lui parvint. À vingt-sept ans, il se leva pour consacrer sa vie au service du Bab, s'identifia avec hardiesse à ses enseignements et se distingua par le rôle exemplaire qu'il joua dans la propagation de sa cause. Aucun effort n'était trop grand pour l'énergie dont il était doué, et aucun sacrifice trop affligeant pour la dévotion que lui avait inspiré sa foi. Il écarta avec force toute considération de renommée, de richesse et de rang pour poursuivre la tâche qu'il avait à coeur d'accomplir. Ni les reproches de ses amis ni les menaces de ses ennemis ne purent l'amener à cesser de défendre une cause que ceux-ci considéraient comme celle d'une secte obscure et proscrite.

La première incarcération qu'il subit à cause de l'aide qu'il avait apportée aux prisonniers de Qazvin; la manière magistrale dont il réalisa la libération de Tahirih; la façon exemplaire dont il dirigea les débats tumultueux à Badasht; celle dont il sauva la vie de Quddus à Niyala; la sagesse qu'il montra dans la délicate situation créée par l'impétuosité de Tahirih, et la vigilance dont il fit preuve pour la protéger ; les conseils qu'il donna aux défenseurs du fort de Tabarsi; le plan qu'il conçut pour joindre les forces de Quddus à celles de Mulla Husayn et de ses compagnons; la spontanéité avec laquelle il se leva pour soutenir les efforts de ces braves défenseurs; la magnanimité qui le poussa à souffrir à la place de ses compagnons qui étaient exposés à de dures épreuves; la sérénité avec laquelle il fit face aux violences qui s'abattirent sur lui à la suite de l'attentat contre la vie de Nasiri'd-Din Shah; les maux qui l'accablèrent tout le long du trajet de Lavasan au quartier général de l'armée impériale et, de là, à la capitale; le poids blessant des chaînes qu'il porta alors qu'il gisait dans l'obscurité du siyah-chal de Tihran-tous ces faits ne sont que quelques exemples témoignant avec éloquence de la position qu'il occupa en tant que premier animateur des forces qui étaient destinéesà refaçonner le visage de son pays natal. Ce fut lui qui dispensa ces forces, qui dirigea leur cours, qui harmonisa leur action et les mena finalement vers la perfection dans la cause qu'il était lui-même destiné à révéler par la suite.

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NOTE DU CHAPITRE 19:

(19.1) Voir page 211.

(19.2) Littéralement: "Ile verdoyante".

(19.3) Voir glossaire.

(19.4) 21juillet 1848 ap. J.-C.

(19.5) Porteur de la Tablette de Baha'u'llah à Nasiri'd-Din Shah.

(19.6) "Il (Mulla Husayn) arriva d'abord à Miyamay où il s'adjoignit trente babis dont le chef, Mirza Zaynu'l-'Àbidin, élève du défunt Shaykh Ahmad-i Ahsa'i, était un vieillard pieux et respecté. Son zèle était si ardent qu'il amena avec lui son gendre, jeune homme de 18 ans qui s'était, il y avait à peine quelques jours, marié avec sa fille. "Viens, lui dit-il, viens avec moi faire le dernier voyage. Viens, car je veux être pour toi un véritable père et te faire participer aux joies du salut." Ils partirent donc, et c'est à pied que le vieillard voulut faire les étapes qui devaient le conduire au martyre. ' (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 290.)

(19.7) 31 août - 29 septembre 1848 ap. J.-C.

(19.8) Muhammad Shah mourut la veille du 6 shavval (4 septembre 1848 ap. J-C.) "Il eut un interrègne de 2 mois environ. On organisa un gouvernement provisoire composé de quatre membres administrateurs, sous la présidence de la veuve du Shah défunt. À la fin, et après beaucoup d'agitations, l'héritier légitime, le jeune prince, gouverneur de l'Adhirbayjan, Nasiri'd-Din Mirza, fut élevé au trône." (Journal Asiatique, 1866, tome VII, p. 367).

(19.9) "Le ministre (Mirza Taqi Khan) avec un arbitrage extrême, sans avoir reçu d'instruction ni avoir demandé de permission, envoya partout des ordres pour punir et châtier les Babis. Les gouverneurs et les magistrats cherchèrent un prétexte pour s'enrichir, et les officiels un moyen pour réaliser des profits; les docteurs accomplis poussèrent, de leur chaire, les hommes à mener un assaut général; les forces des autorités civiles et religieuses se donnèrent la main pour s'efforcer de déraciner et de détruire ce peuple. Celui-ci n'avait pas encore acquis une connaissance exacte et nécessaire des principes fondamentaux et des doctrines cachées des enseignements du Bab, et ne reconnut pas ses devoirs.
Ses conceptions et ses idées étaient traditionalistes, et sa conduite et son comportement en accord avec les usages du passé. S'approcher du Bab était d'ailleurs chose interdite, et la flamme de l'agitation soufflait visiblement de toutes parts. Selon le décret du plus accompli des docteurs, le gouvernement et, en fait, le peuple lui-même avaient, avec une force irrésistible, inauguré de toutes parts la rapine et le pillage, et étaient occupés à punir et à torturer, à tuer et à dépouiller, afin d'étouffer ce feu et d'écraser ces pauvres âmes.
Dans les villes où celles-ci étaient en nombre limité, toutes, les mains liées, étaient passées par le fil de l'épée, tandis que dans les cités où elles étaient nombreuses, elles se levaient pour se défendre, d'accord en cela avec leurs croyances antérieures, puisqu'elles ne pouvaient se renseigner quant à leur devoir, et que toutes les portes étaient closes." ("A Traveller's Narrative", pp. 34-5).

(19.10) Voir glossaire.

(19.11) "La balle atteignit en pleine poitrine et étendit raide mort le nommé Siyyid Rida. C'était un homme de moeurs pures et simples, d'une conviction ardente et sincère. Par respect pour son chef, il était toujours à pied à côté de son cheval, prêt à le servir à la moindre occasion." ("Siyyid'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 294)

(19.12) "On ne doit tuer personne à cause de son athéisme, car tuer une âme est exclu de la religion de Dieu; ... et si quelqu'un l'ordonne, celui-là n'est pas et n'a pas été du Bayan, et aucun péché ne peut être plus grand pour lui que celui-ci." ("The Bayan". Voir 'journal of the Royal Asiatic Society", octobre 1889, art. 12, pp. 927-8.)

(19.13) "Mais la douleur et la colère décuplèrent les forces de ce dernier (Mulla Husayn) qui, d'un seul coup de son arme, coupa en deux le fusil, l'homme et l'arbre. (Mirza Jani ajoute que le Bushru'i se servit en cette occasion de la main gauche. Les musulmans eux-mêmes ne mettent pas en doute l'authenticité de cette anecdote.) (A.L.M. Nicolas, "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 295 et note 215.) "Alors Jinab-i-Babu'l-Bab se tourna et dit: "Ils nous ont maintenant obligés de nous protéger;" il saisit la poignée de son épée et, obéissant à ce que la divine providence avait ordonné, commença à se défendre.
Malgré sa constitution fragile et chétive et sa main tremblante, sa vaillance et sa prouesse ce jour-là furent telles que tous ceux qui avaient des yeux pour discerner la vérité purent clairement voir qu'une telle force et qu'un tel courage ne pouvaient être que de Dieu, puisqu'ils étaient au-delà de toute capacité humaine...
Je vis alors Mulla Husayn dégainer son épée et lever son visage vers le ciel, et je l'entendis s'exclamer: "Ô Dieu, j'ai accompli la preuve pour cette foule, mais elle n'en a pas profité." Alors il commença à nous attaquer à droite et à gauche. Je jure par Dieu que, ce jour-là, il jongla avec son épée d'une façon telle qu'elle transcende la force de l'homme. Seuls les cavaliers du Mazindaran restèrent sur place et refusèrent de fuir. Et lorsque Mulla Husayn eut pris l'habitude du combat au point de se décontracter, il poursuivit un soldat fugitif. Celui-ci s'abrita derrière un arbre et s'efforça encore de s'abriter derrière son mousquet. Mulla Husayn lui asséna un tel coup d'épée qu'il les coupa lui, l'arbre et le mousquet en six morceaux." (Le "Tarikh-i-Jadid", pp. 49, 107-8).

(19.14) 1848-9 ap. J.-C.

(19.15) Mirza Taqi Khan, i'timadu'd-dawlih, Grand vazir et successeur de Haji Mirza Aqasi. L'allusion suivante lui est faite dans "A Traveller's Narrative" (pp. 32-3): Mirza Taqi Khan Amir-Nizam, qui était Premier ministre et régent en chef, prit dans sa poigne despotique les rênes des affaires de la communauté et lança la monture de son ambition dans l'arène de l'obstination et de l'égoïsme.
Ce ministre était une personne dépourvue de toute expérience, ne considérant pas les conséquences de ses actes; il était assoiffé de sang et effronté, disposé et prompt à verser le sang. Etre sévère dans la punition lui paraissait une sagesse d'administration, et se faire prier instamment, causer la détresse, intimider et terrifier le peuple était considéré par lui comme un point d'appui pour l'avancement de la monarchie.
Et comme Sa Majesté le Roi était dans sa prime jeunesse, le ministre sombra dans d'étranges caprices et battit le tambour de l'absolutisme dans la conduite des affaires: de sa propre résolution irrévocable, sans demander la permission du roi ni prendre conseil auprès d'hommes d'État avisés, il émit des ordres pour que l'on persécutât les Babis, imaginant que par une force outrecuidante il pouvait extirper et supprimer des affaires de ce genre, et que la sévérité porterait ses fruits; alors qu'en fait, intervenir dans des affaires de conscience équivaut simplement à leur donner plus de force et d'ampleur; plus on s'efforce d'étouffer la flamme, plus celle-ci brûle avec intensité, et ce surtout en matière de foi et de religion, qui se propagent et acquièrent de l'influence dès que le sang est versé, ce qui affecte puissamment le coeur de l'homme.

(19.16) Voir glossaire.

(19.17) Qur'an, 9: 52.

(19.18) "Le Babu'l-Bab voulant, dit notre auteur, en même temps qu'accomplir un devoir religieux donner un exemple de la fermeté des convictions des sectaires, de leur mépris de la vie, et démontrer au monde l'impiété et l'irréligion de ceux qui se disent musulmans, donna l'ordre à l'un des siens de monter sur une terrasse et d'y chanter l'adhan." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid AhMuhammad dit le Bab", pp. 295-6). "C'est à Marand, écrit Lady Sheil, que j'entendis pour la première fois l'adhan, autrement dit l'appel des musulmans à la prière, appel si solennel et si impressionnant, spécialement quand il est bien chanté car, en fait, c'est un chant...
Il se tourna vers La Mecque et, se posant les mains ouvertes sur la tête, proclama d'une voix haute et sonore: "Allah-u-Akbar", qu'il répéta quatre fois; puis "Asllad-u-an-la-ilah-a-illa'llah' ' - (Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre dieu que Dieu), deux fois; puis "Asllad-u-inna-MuhammadanRasu'llah" - (Je témoigne que Muhammad est le prophète de Dieu), deux fois, et alors "Je témoigne qu' 'Ali, le Commandeur des croyants, est l'ami de Dieu" ...
Le seul tintement du glas lorsqu'on transporte les défunts vers leur ultime demeure terrestre évoque, peut-être à cause de l'association, des idées d'une profonde solennité; de même le son de la trompette résonnant à travers le camp lorsqu'on porte le dragon vers sa tombe; mais plus solennel et plus terrifiant encore est le tintement lorsqu'il vole au loin à travers vallées et collines de Munster, annonçant qu'un Gaêl a rejoint ses aïeux.
L'adhan provoque une impression différente. Il évoque dans l'esprit un ensemble de sentiments, de dignité, de solennité et de dévotion devant lequel, lorsqu'on l'y compare, le tintement des cloches devient insignifiant. C'est une chose imposante que d'entendre, on pleine nuit, les premiers appels du mu'adhdhin proclamant "Allah-u-Akbar' ' - Le Seigneur est puissant - Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre dieu que Dieu " Saint Pierre et saint Paul réunis ne peuvent rien produire de pareil." ("Ghimpses of Life and Manners in Persia", pp. 84, 85.)

(19.19) "Sa'idu'l-' Ulama', voulant en finir à tout prix, réunit autant de monde qu'il put et mit de nouveau le siège devant le caravansérail: la bataille durait depuis cinq ou six jours, quand parut 'Abbas-Quli Khan Sardar-i-Larijani. Entre temps, en effet, et dès le début de l'action, les 'ulamas de Barfurush, exaspérés des nombreuses conversions que Quddus avait su faire en ville - trois cents en une semaine, constatent avec quelque mauvaise humeur les historiens musulmans - en avaient référé au Gouverneur de la province, le Prince Khanlar Mirza; celui-ci ne fit aucune attention à leurs doléances, ayant en tête bien d'autres préoccupations. La mort de Muhammad Shah l'inquiétait beaucoup plus pour lui-même que les criailleries des mullas et il se préparait à aller à Tihran saluer le nouveau souverain dont il espérait se concilier les bonnes grâces.
N'ayant pas réussi de ce côté et les événements se précipitant, les 'ulamas écrivirent une lettre fort pressante au chef militaire de la province, 'Abbas-Quli Khan-i-Larijani. Ce dernier, jugeant inutile de se déranger lui-même, envoya Muhammad Bik, yavar (capitaine), à la tête de trois cents hommes pour remettre les choses en ordre. C'est alors que les musulmans vinrent assiéger le caravansérail. La hutte s'organisa, mais, si dix Babis furent tués, un nombre infiniment plus grand d'assaillants mordit la poussière. Les choses traînant en longueur, 'Abbas-Quli Khan crut devoir venir lui-même pour se rendre compte de visu de la situation." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 296-7).

(19.20) Gobineau à décrit en ces termes: "Les nomades turks et persans passent leur vie à chasser, souvent aussi à guerroyer, et surtout à parler de chasse et de guerre. Ils sont bravos, mais non tous les jours, et ils tomberaient sous le coup de la remarque de Brantôme, qui, dans son expérience des guerres de son époque, avait beaucoup rencontré de pareils courages, qu'il nomme assez bien journaliers. Mais ce que sont ces nomades d'une manière très uniforme et constante, c'est grands parleurs, grands démanteleurs de villes, grands massacreurs de héros, grands exterminateurs de multitudes; en somme, naïfs, très à découvert dans leurs sentiments, très vifs dans l'expression de ce qui échauffe leurs têtes, extrêmement amusants. 'Abbas-Quli Khan-i-Larijani, homme très bien né assurément, était un type de nomade accompli." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 171.)

(19.21) Scélérat notoire qui se rebella souvent contre le gouvernement.

(19.22) 10 octobre 1848 ap. J.-C.

(19.23) Qur'an, 17: 7.

(19.24) Voir glossaire.

(19.25) D'après "A Traveller's Narrative" (p. 36), c'est Mirza Luti-'Ali, le secrétaire, qui tira son
poignard et frappa Khusraw.

(19.26) Voir glossaire.

(19.27) "Puis se tournant vers ses compagnons: "Pour ces quelques jours que nous avons encore à vivre, évitons que des richesses périssables nous divisent et nous séparent. Que tout ceci nous soit commun et que chacun en profite." Les Babis y consentiront avec joie, et c'est ce sacrifice merveilleux, cette abnégation parfaite qui les ont fait et les font encore accuser de vouloir la communauté des biens et dos femmes!" (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 299.)

(19.28) Voir glossaire.

(19.29) Tombeau de Shaykh Ahmad-ibn-i-Abi-Talb-i-Tabarsi, situé à environ quatorze milles au sud-est de Barfurush. Le professeur Browne, de l'université de Cambridge, visita le lieu le 26 septembre 1888, et vit le nom du saint inhumé inscrit sur une tablette au moyen dos paroles employées lors de sa "visitation", la tablette étant accrochée à la grille entourant le tombeau. "Celui-ci comprend à présent, écrit le professeur, une enceinte plate, herbeuse, entourée d'une haie, et contenant, outre les bâtiments du tombeau et une autre construction près de la porte (en face de laquelle, mais à l'extérieur de l'enceinte, se trouve la maison du mutavalli, ou gardien du tombeau), seulement doux ou trois orangers et quelques tombes couvertes de pierres plates, lieux de repos, peut-être, de quelques défenseurs babis.
Le bâtiment se trouvant près de la porte, haut de deux étages, est traversé par le passage donnant accès à l'enceinte, et couvert de tuiles. Les bâtiments du tombeau, qui se trouvent à l'autre extrémité de l'enceinte, sont plutôt mieux soignés. Leur plus grande longueur (environ 20 pas) s'étend des côtés est et ouest; leur largeur est d'environ dix pas; et, outre le portique couvert à l'entrée, ils comprennent doux chambres faiblement éclairées par un grillage en bois sur les portos. La tombe du shaykh, qui donne son nom au lieu, est entourée d'une clôture en bois au contre de la chambre intérieure, à laquelle on accède soit par une porte communiquant avec la chambre extérieure, soit par une autre s'ouvrant vers l'extérieur dans l'enceinte." (Concernant les plans et les esquisses, voir la traduction du "Tarikh-i Jadid".) (E.G.Browne: A year amongst the Persians", p. 565.)

(19.30) 12 octobre 1848 ap. J.-C.

(19.31) Voir glossaire.

(19.32) 3 juillet - 1er août 1848 ap. J.-C.

(19.33) 24 avril - 23 mai 1849 ap. J.-C.

(19.34) Littéralement: "Vestige de Dieu."

(19.35) Qur'an 11: 85.

(19.36) Voir glossaire.

(19.37) 27 novembre 1848 ap. J.-C.

(19.38) Référence à l'an 1280 après l'hégire (1863 - 4 ap. J-C.), où Baha'u'llah déclara sa mission à Baghdad.

(19.39) Le rassemblement de trois cent treize adeptes élus de l'imam à Tahiqan, au Khurasan, est l'un des signes qui doit forcément annoncer l'avènement du Qa'im promis. (E.G. Browne: "A History of Persian Literature in Modem Times" (1500 à 1924 ap. J.-C.), p. 399.)

(19.40) "Parmi eux se trouvait également Rida Khan, le fils de Muhammad Khan, le Turkaman, Grand écuyer de feu Sa Majesté Muhammad Shah. Et c'était un jeune homme de constitution bien faite, au visage accueillant, doué de toutes sortes de talents et de vertus, digne, tempéré, doux, généreux, courageux et viril.
Pour l'amour et le service de Sa Sainteté, il abandonna à la fois son poste et son salaire et dédaigna le rang comme le nom, la renommée comme la honte, les reproches de ses amis comme les injures de ses ennemis. Dès le départ, il abandonna dignité, richesse, position, et tout le pouvoir et la considération dont il jouissait, dépensa de fortes sommes d'argent (quatre ou cinq mille tumans au moins) pour la cause, et montra à maintes occasions qu'il était prêt à offrir volontairement sa vie.
L'une de celles-ci eut lieu lorsque Sa Sainteté Suprême arriva au village de Khanliq près de Tihran et, pour éprouver la fidélité de ses disciples, dit: "Il ne serait pas mauvais que quelques cavaliers me délivrent du joug des rebelles et de leurs machinations." En entendant ces paroles, plusieurs cavaliers expérimentés et bien entraînés, complètement équipés et armés, se préparèrent promptement à se mettre à l'oeuvre et, renonçant à tout ce qu'ils avaient, se présentèrent en toute hâte devant Sa Sainteté. Parmi ceux-ci se trouvaient Mirza Qurban'Ali, d'Astarabad, et Rida Khan.
Lorsqu'ils arrivèrent auprès de Sa Sainteté, il soumit et dit: "La montagne d'Àdhirbayjan me réclame aussi", et les pria de faire demi-tour. A son retour, Rida Khan se consacra au service des amis de Dieu, et sa maison était souvent le lieu de réunion dos croyants, parmi lesquels Jinab-i-Quddus et Jinab-i-Babu'l-Bab fument pendant quelque temps ses invités très honorés. En fait, il n'épargna aucun effort et ne manqua d'ailleurs jamais de servir ce groupe.
Malgré sa haute position, il s'efforça avec coeur et âme de promouvoir les intérêts dos serviteurs de Dieu. Lorsque, par exemple, Jinab-i-Quddus commença à prêcher la doctrine dans le Mazindaran et que le sa'idu'h- 'ulama', en étant informé, fit des efforts acharnés pour lui porter tort, Ridai Khan se hâta d'aller dans le Mazindaran et, chaque fois que Jinab-i-Quddus s'éloignait de sa maison, il marchait à pied devant lui, malgré sa haute position et le respect dont il était habituellement l'objet, son épée sur l'épaule; en voyant cela, ceux qui avaient de mauvaises intentions craignaient de se permettre un acte hostile... Pendant quelque temps, Rida Khan resta ainsi dans le Mazindaran, puis il accompagna Jinab-i-Quddus à Mashhad.
A son retour, il assista aux troubles qui eurent lieu à Badasht, où il rendit les plus précieux services, et fut chargé d'importantes et délicates missions. Après la réunion de Badasht, il tomba malade et vint à Tihran en compagnie de Mirza Sulayman-Quli de Nur (un des fils de feu Shatir-bashi et homme connu pour ses vertus, son savoir et son dévouement). La maladie de Rida Khan dura quelque temps et, lorsqu'elle le quitta, le siège de la forteresse de Tabarsi avait déjà atteint son paroxysme. Il décida aussitôt d'aller secourir la garnison du fort. Etant cependant un homme fort connu et de marque, il ne put quitter la capitale sans donner quoique maison plausible. Il prétendit donc vouloir reprendre son travail antérieur, et demanda à pouvoir être envoyé pour participer à la guerre du Mazindaran tout en s'excusant pour son passé.
Le roi accéda à sa requête, et il fut désigné pour accompagner le corps d'armée qui marchait, sous le commandement du prince Mihdi-Quli Mirza, contre le fort. Durant la marche, il disait continuellement au prince; Je ferai ceci" et "Je ferai cela"; de sorte que le prince vint à fonder de grands espoirs sur lui et lui promit un poste en relation avec ses services; effectivement, jusqu'au jour où la bataille devint inévitable et la paix impossible, il fut au premier rang de l'armée et très actif dans la direction de ses opérations. Mais, le jour où la bataille éclata, il commença par lancer son cheval au galop et pratiqua d'autres exercices martiaux, jusqu'à ce qu'il effectuât, sans avoir soulevé de suspicion, une jonction avec les "Frères de Pureté" après avoir donné libre cours au galop de son cheval. A son arrivée parmi ceux-ci, il baisa le genou de Jinab-i-Quddus et se prosterna devant lui en signe de gratitude.
Il retourna alors au champ de bataille et commença à injurier et à damner le prince, en disant: "Qui est assez homme pour fouler aux pieds la pompe et la cérémonie du monde, se libérer des lions des plaisirs charnels, et rejoindre comme moi les saints de Dieu? Moi, pour ma part, je ne semai satisfait que lorsque ma tête tombera, couverte de poussière et de sang, dans cotte plaine." Alors, tel un lion vorace, il se rua sur eux l'épée tirée et se comporta avec une telle bravoure que tous les officiers royalistes en furent étonnés et diront: "Une telle bravoure doit lui avoir été accordée d'en haut, ou bien un nouvel esprit a été insufflé dans son corps." En effet, il arriva plus d'une fois qu'il tua de son épée un artilleur alors qu'il était en train de mettre le feu à son canon et, comme tant d'officiers principaux de l'armée royale tombaient sous ses coups, le prince et les autres commandants désiraient plus ardemment se venger sur lui que sur tout autre Babi.
Pour cette raison, la veille du jour où Jinab-iQuddus devait se soumettre au camp royal, Rida Khan, sachant qu'à cause de la haine féroce qu'on portait contre lui on le tuerait après l'avoir cruellement torturé, alla de nuit aux quartiers d'un officier du camp qui était son fidèle et ancien ami et camarade. Après le massacre des autres babis, on rechercha Rida Khan qui, finalement, fut découvert. L'officier qui lui avait donné abri proposa d'offrir pour lui une rançon de doux mille tumans comptant, mais son offre fut repoussée et, quoiqu'il fût prêt à augmenter la somme et s'efforçât sérieusement de sauver son ami, il échoua car le prince, à cause de la haine excessive qu'il avait pour Rida Khan, ordonna qu'il fût déchiqueté." ("The Tarikh-i Jadid", pp. 96-101.)

(19.41) D'après les descriptions que j'en ai entendu faire, le château construit par Mulla Husayn ne laissa pas que de devenir un édifice assez fort. La muraille dont il était entouré avait environ dix mètres de hauteur. Elle était en grosses pierres. Sur cotte base, on éleva des constructions en bois faites avec des troncs d'arbres énormes, au milieu desquelles on ménagea un nombre convenable de meurtrières; puis on ceignit le tout d'un fossé profond. En somme c'était une espèce de grosse tour, ayant le soubassement en pierres et les étages supérieurs en bois, garnie de trois rangs superposés de meurtrières et où l'on pouvait placer autant de tufang-chis que l'on voudrait ou plutôt que l'on en aurait.
On perça beaucoup de portes et de poternes, afin d'avoir par où entrer et sortir facilement; l'on fit des puits et on eut de l'eau en abondance; on creusa des passages souterrains pour se créer, en cas de malheur, quelques lieux de refuge, on établit des magasins qui furent aussitôt fournis et remplis de toutes sortes de provisions de bouche achetées ou peut-être bien prises dans les villages des environs; enfin, on composa la garnison du château des Babis les plus énergiques, les plus dévoués, les plus sûrs que l'on eût sous la main." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 156.)

(19.42) "Ainsi, forcené pour le bon ordre, l'Amir-Nizam avisa bien vite aux affaires du Mazindaran, et quand les grands de cotte province, venus à Tihran pour faire leur cour au moi, furent au moment de leur départ, on leur commanda de prendre de telles mesures que la sédition des Babis ne se prolongeât pas davantage. Ils promirent d'agir pour le mieux.
"En effet, aussitôt de retour, ces chefs se miment en mouvement afin de réunir leurs forces et de se concerter. Chacun écrivit à 505 parents de venir le joindre. Haji Mustafa Khan manda son frère 'Abdu'llah. 'Abbas-Quli Khan-i-Larijani appela Muhammad-Sultan et Ali Khan de Savad-Kuh. Tous ces gentilshommes avec leur monde s'arrêtèrent au dessein d'attaquer les Babis dans leur château avant que ceux-ci ne songeassent à prendre eux-mêmes l'offensive. Les officiers royaux voyant les chefs du pays en aussi bonne disposition, rassemblèrent de leur côté un grand conseil, où s'empressèrent de se rendre les soigneurs nommés tout à l'heure, puis Mirza Aqa, Mustawfi du Mazindaran ou contrôleur des finances, le chef des 'ulamas et beaucoup d'autres personnages de grande considération." (Ibid., pp. 160 - 61.)

(19.43) Voir glossaire.

(19.44) De son côté, le contrôleur des finances lova une troupe parmi les Afghans domiciliés à Sari et y joignit quelques hommes des tribus turques placées sous son administration. 'Ali-Abad, le village si rudement châtié par les Babis et qui aspirait à une revanche, fournit ce qu'il put et se renforça d'une partie des hommes de Qadi, qui, en raison du voisinage, se laissèrent embaucher." (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 161.)

(19.45) 1er décembre 1848 ap. J-C.

(19.46) Voir glossaire.

(19.47) "L'Amir-Nizam entra dans un transport de violente colère en apprenant ce qui venait de se passer. Il s'indigna aux terreurs qu'on lui dépeignait. Trop loin du théâtre de l'action pour bien apprécier l'enthousiasme sauvage des rebelles, ce qu'il en comprit, ce fut qu'il était besoin d'en finir avec eux avant que leur énergie n'eût encore été exaltée par dos succès trop réels. Le prince Mihdi-Quli Mirza, nommé lieutenant du moi dans la province menacée, partit avec dos pouvoirs extraordinaires. On donna ordre de dresser la liste des morts tombés dans le combat devant le château dos Babis et dans le sac de Forma, et dos pensions furent promises aux survivants. Haji Mustafa Khan, frère d' 'Abdu'llah, reçut dos marques solides de la faveur royale; enfin on fit ce qui était possible pour relever les courages et rendre aux musulmans un pou de confiance en eux-mêmes." (Comte de Gobinoau: "Les Religions et les Philosophes dans l'Asie Centrale", pp. 163-4.)

(19.48) "Nous avons laissé Mihdi-Quli Mirza courant loin de sa maison incendiée et errant seul dans la campagne, à travers les neiges et les ténèbres. À l'aube il se trouva dans un défilé inconnu, perdu en des lieux horribles, mais en réalité éloigné seulement d'un peu plus d'une demi-lieue du lieu du carnage. Le vent apportait à ses oreilles le bruit dos décharges de la mousqueterie.
"Dans ce triste état et ne sachant que devenir, il fut rencontré par un Mazindarani monté sur un cheval assez bon, qui, en passant près de lui, le reconnut. Cet homme mit pied à tomme, fit monter le prince à sa place et s'offrit à lui servir de guide. Il le mena dans une maison de paysans, où il l'installa dans l'écurie; ce n'est pas un séjour méprisé en Perse. Tandis que le prince mangeait et se reposait, le Mazindarani remonta à cheval, et, battant le pays, alla donner à tous les soldats qu'il put rencontrer l'heureuse nouvelle que le prince était sain et sauf. Ainsi, bande par bande, il lui amena tout son monde, ou au moins un rassemblement assez respectable.
Si Mihdi-Quli Mirza avait été un de ces esprits altiers que les échecs n'abattent point, il eût peut-être jugé sa situation médiocrement modifiée par le malheur de la nuit précédente; il eût considéré l'affaire comme le résultat d'une surprise, et, avec les troupes qui lui restaient, se fût efforcé de sauver au moins les apparences en maintenant son terrain, car, de fait, les Babis s'étaient retirés et on n'en voyait plus nulle part. Mais le Shahzadih, loin de se piquer de tant de fermeté, était un pauvre caractère, et il s'empressa, quand il vit sa personne si bien gardée, de sortir de son écurie pour se diriger vers le village de Qadi-Kala, d'où il se rendit en toute hâte à Sari. Cette conduite eut pour effet d'augmenter encore dans toute la province l'impression produite par la première nouvelle de la surprise de Vaskas.
Partout on perdit la tête: les villes ouvertes se crurent exposées à tous les périls, et malgré la rigueur de la saison, on vit des caravanes d'habitants paisibles, mais fort désolés, qui emmenaient leurs femmes et leurs enfants dans les solitudes du Damavand, pour les soustraire aux inévitables dangers qu'indiquait manifestement, pour tout ce monde, la prudente conduite du Shahzadih. Quand les Asiatiques perdent une fois la tête, ce n'est pas à demi." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 169-70.)

(19.49) "En quelques instants, son armée, déjà si fort en désordre, était dissipée par les trois cents hommes de Mulla Husayn. N'était-ce pas l'épée du Soigneur et de Gédéon ?"(Ibid., p. 167.)

(19.50) D'après Gobineau (p. 167), il y avait Sultan Husayn Mirza, fils de Fath-'Ali Shah, et Dawud Mirza, fils de Zillu's-Sultan, oncle du Shah. A.L.M. Nicolas, dans son livre "Siyyid AliMuhammad dit le Bab" (p. 308), y ajoute Mustawfi Mirza 'Abdu'l-Baqi.

(19.51) Voir glossaire.

(19.52) 21 décembre 1848 ap. J.-C.

(19.53) "Ô Shaykh! Des choses qu'un oeil n'a jamais vues ont été commises par ces misérables. Joyeusement et avec la plus grande résignation, j'ai accepté de souffrir, afin qu'ainsi les âmes puissent être éclairées et le Verbe de Dieu établi. Lors de notre emprisonnement dans le pays de Mim (Mazindaran) nous fûmes un jour livrés aux 'ulamas. Ce qui s'en suivit, tu peux bien te l'imaginer!" ("L'Epître au fils du Loup", p. 57.)

(19.54) Littéralement: maison de prière".

(19.55) Littéralement: "trou noir", le donjon souterrain dans lequel Baha'u'llah fut emprisonné.

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