La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE XXVI : l'attentat à la vie du Shah et ses conséquences

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Le huitième Naw-Ruz après la déclaration du Bab, qui tombait le 27 du mois de jamadiyu'l-avval de l'an 1268 après l'hégire, (26.1) trouva Baha'u'llah encore en 'Iraq, occupé à propager les enseignements et à affermir les fondements de la nouvelle révélation. Faisant preuve d'un enthousiasme et d'un talent qui rappelèrent ses activités aux premiers jours du mouvement à Nur et au Mazindaran, il continua de se dévouer à la tâche qui consistait à ranimer les énergies, à organiser les forces et à diriger les efforts des compagnons du Bab qui s'étaient dispersés. Il était l'unique flambeau au milieu des ténèbres qui entouraient les disciples désorientés, qui avaient été témoins d'une part du cruel martyre de leur chef bien-aimé et, d'autre part, du sort tragique de leurs compagnons. Lui seul fut capable de leur inspirer le courage et la force d'âme nécessaires pour pouvoir endurer les nombreuses afflictions qui les avaient accablés; lui seul fut capable de les préparer à recevoir le fardeau de la tâche qu'ils étaient destinés à assumer, et de les habituer à braver la tempête et les périls qu'ils devraient bientôt affronter.

Au cours du printemps de cette année-là, Mirza Taqi Khan, l'amir-nizam, le Grand vazir de Nasiri'd-Din Shah, qui avait été coupable des infâmes outrages perpétrés contre le Bab et ses compagnons, trouva la mort dans un bain public à Fin, près de Kashan (26.2), après avoir misérablement échoué dans sa tentative d'arrêter les progrès de la foi qu'il s'était si désespérément efforcé d'anéantir. Sa propre renommée et son propre honneur étaient finalement destinés à périr avec lui, et non l'influence de la vie qu'il avait cherché à éteindre. Durant les trois années pendant lesquelles il occupa le poste de Grand vazir de Perse, son ministère fut souillé par des actes d'une infamie des plus sombres. Quelles atrocités ses mains ne commirent-elles pas au moment où elles tentaient d'anéantir l'édifice que le Bab avait érigé! A quelles mesures abjectes n'eut-il pas recours, dans sa rage impuissante, pour saper la vitalité d'une cause qu'il craignait et haïssait!

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La première année de son administration fut marquée par l'assaut farouche de l'armée impériale de Nasiri'd-Din Shah contre les défenseurs du fort de Tabarsi. Avec quel caractère impitoyable dirigea-t-il la campagne de répression contre ces innocents défenseurs de la foi de Dieu! De quelle furie et de quelle éloquence fit-il preuve pour plaider l'extermination de Quddus, de Mulla Husayn et de trois cent treize de ses plus nobles et de ses meilleurs compatriotes! La deuxième année de son ministère le trouva en train de combattre avec une sauvage détermination pour extirper la foi dans la capitale. Ce fut lui qui autorisa et encouragea l'emprisonnement des croyants qui résidaient dans cette ville, et qui ordonna l'exécution des sept martyrs de Tihran. Ce fut lui qui déclencha l'offensive contre Vahid et ses compagnons, qui inspira cette campagne de revanche qui animait leurs persécuteurs, et qui les incita à commettre les abominations auxquelles cet épisode restera à jamais associé. Cette année vit un autre coup plus terrible que tous ceux qu'il avait jusqu'alors portés contre cette communauté persécutée, un coup qui mit une fin tragique à la vie de celui qui était la source de toutes les forces qu'il avait en vain cherché à réprimer. Les dernières années de la vie de ce vazir resteront à jamais liées à la plus révoltante des grandes campagnes que son esprit ingénieux avait conçues, une campagne qui causa la mort de Hujjat et de non moins de mille huit cents de ses compagnons. Tels furent les traits distinctifs d'une carrière qui commença et se termina dans un règne de terreur tel que la Perse en avait rarement connu jusque-là.

Il fut suivi de Mirza Aqa Khan-i-Nuri (26.3) qui s'efforça, dès le début de son ministère, de réaliser une réconciliation entre le gouvernement qu'il dirigeait et Baha'u'llah, qu'il considérait comme le plus capable des disciples du Bab. Il lui envoya une lettre cordiale lui demandant de revenir à Tihran et lui exprimant son impatience de le rencontrer. Avant la réception de cette lettre, Baha'u'llah avait déjà décidé de quitter 1' 'Iraq pour la Perse.

Il arriva dans la capitale au mois de rajab (26.4), et fut accueilli par le frère du Grand vazir, Ja'far-Quli Khan, qui avait été spécialement chargé d'aller le recevoir. Pendant un mois entier, il fut l'invité très honoré du Grand vazir, qui avait désigné son frère pour agir en qualité d'hôte en son nom. Le nombre des notables et des dignitaires de la capitale qui affluèrent pour le rencontrer fut si élevé qu'il se trouva dans l'impossibilité de retourner chez lui. Il resta dans cette maison jusqu'à son départ pour Shimiran. (26.5)

J'ai entendu Aqay-i-Kalim déclarer qu'au cours de ce voyage, Baha'u'llah put rencontrer 'Azim, qui s'était longtemps efforcé de le voir et qui, lors de cette entrevue, se vit conseiller par Baha'u'llah, dans les termes les plus vigoureux, de renoncer au plan qu'il avait conçu.

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PHOTO: Village d'Afchih, proche de Thiran. La maison de Baha'u'llah se voit à travers les arbres (arrière gauche)

PHOTO: La maison de Baha'u'llah à Afchih, proche de Thiran.

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Baha'u'llah condamna ses desseins, se dissocia totalement de l'acte qu'il envisageait de commettre, et l'avertit qu'une telle tentative précipiterait de nouveaux désastres d'une ampleur sans précédent.

Baha'u'llah se rendit à Lavasan et séjournait au village d'Afchih, propriété du Grand vazir, lorsque la nouvelle de l'attentat à la vie de Nasiri'd-Din Shah lui parvint. Ja'far-Quli Khan agissait encore comme hôte de substitution, de l'amir-nizam. Cet acte criminel fut commis vers la fin du mois de shavval, en l'an 1268 après l'hégire (26.6), par deux jeunes inconnus irresponsables, l'un nommé Sadiq-i-Tabrizi, et l'autre Fathu'llah-i-Qumi, qui gagnaient tous deux leur vie à Tihran. A un moment où l'armée impériale, commandée par le Shah lui-même, avait établi son camp à Shimiran, ces deux jeunes ignorants, dans un accès de désespoir, se levèrent pour venger le sang de leurs frères massacrés (26.7). La folie qui caractérisa leur acte devait se manifester par le fait qu'en commettant un tel attentat à la vie de leur souverain, ils avaient, au lieu de se servir d'armes efficaces qui auraient assuré le succès de leur aventure, chargé leur pistolet de plomb qu'aucune personne raisonnable ne songerait jamais à utiliser dans un tel but.

PHOTO: Murgh-Mahallih, la résidence d'été de Baha'u'llah à Shimiran

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Si un homme de bon sens et de jugement avait été à l'origine de leur acte, il ne leur aurait jamais permis d'exécuter leur tentative au moyen d'instruments aussi ridiculement inefficaces. (26.8)

Cet acte, bien qu'il fût commis par des fanatiques farouches, à l'esprit débile, et qu'il fût dès le début fermement condamné par une personne non moins responsable que Baha'u'llah, fut le signal du déclenchement d'une série de persécutions et de massacres d'une férocité si barbare que l'on ne pourrait les comparer qu'aux atrocités du Mazindaran et de Zanjan. La tempête à laquelle cet acte donna lieu plongea tout Tihran dans la consternation et la détresse. Elle causa la mort des principaux compagnons qui avaient survécu aux calamités auxquelles leur foi avait été si cruellement et si continuellement soumise. Cette tempête faisait encore rage lorsque Baha'u'llah et certains de ses lieutenants les plus compétents furent jetés dans un cachot sale, sombre et pestilentiel, alors que des chaînes, d'un poids tel que seuls les criminels notoires étaient condamnés à les porter, furent placées autour de son cou. Durant non moins de quatre mois, il porta ce fardeau, et l'intensité de sa souffrance fut telle que les marques de cette cruauté laissèrent durant toute sa vie leur empreinte sur son corps.

Une menace aussi sérieuse pour le souverain et les institutions de son royaume suscita l'indignation de tout le corps ecclésiastique de la Perse. Un acte aussi téméraire, leur semblait-il, méritait un châtiment immédiat et exemplaire. Des mesures d'une sévérité sans précédent, s'écriaient-ils, devraient être prises pour arrêter la marée qui allait, selon eux, submerger à la fois le gouvernement et la foi de l'islam. Malgré la réserve dont avaient fait preuve les disciples du Bab dès le début même de la fondation de la foi dans toutes les provinces du pays, malgré les recommandations répétées des principaux disciples à leurs frères, leur enjoignant de s'abstenir de tout acte de violence, d'obéir loyalement à leur gouvernement et de démentir toute intention qu'on leur prêterait de faire la guerre sainte, leurs ennemis continuèrent leurs efforts délibérés tendant à dénaturer le caractère et le but de cette foi devant les autorités. Dès lors qu'un acte aux conséquences aussi immenses avait été commis, quelles accusations ces mêmes ennemis allaient-ils porter contre la cause à laquelle avaient été associés les deux criminels! Le moment semblait venu où ils pourraient enfin faire réaliser aux dirigeants du pays la nécessité d'éliminer aussi rapidement que possible une hérésie qui semblait menacer les fondements mêmes de l'Etat.

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Ja'far-Quli Khan, qui était à Shimiran lorsque fut commis l'attentat à la vie du Shah, écrivit aussitôt une lettre à Baha'u'llah pour le mettre au courant de ce qui s'était produit. "La mère du Shah, écrivit-il, est folle de colère. Elle vous dénonce ouvertement devant la cour et le peuple, vous accusant d'être le "meurtrier probable" de son fils. Elle tente également d'entraîner Mirza Aqa Khan dans cette affaire, et l'accuse d'être votre complice." Il exhorta Baha'u'llah à rester quelque temps caché dans le voisinage, jusqu'à ce que la passion de la populace se fût apaisée. Il dépêcha à Afchih un messager âgé et plein d'expérience, à qui il donna l'ordre de se mettre à la disposition de son invité et de se tenir prêt à l'accompagner vers quelque lieu sûr où il désirerait se rendre.

Baha'u'llah refusa d'accepter l'occasion que lui offrait Ja'far-Quli Khan. Ignorant le messager et rejetant son offre, il se rendit à cheval, le lendemain matin, avec une confiance sereine, de Lavasan où il séjournait, au quartier général de l'armée impériale qui était alors stationnée à Niyavaran, dans le district de Shimiran. A son arrivée au village de Zarkandih, siège de la légation russe situé à un maydan (26.9) de Niyavaran, il rencontra Mirza Majid, son beau-frère, qui travaillait comme secrétaire chez le ministre russe (26.10), et fut invité par lui à résider dans sa maison, qui jouxtait celle de son supérieur.

PHOTO: vue de Niyavaran, près de Tihran

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Les domestiques de Haji 'Ali Khan, le hajibu'd-dawlih, reconnurent Baha'u'llah et allèrent directement informer leur maître qui, à son tour, porta l'affaire à l'attention du Shah.

La nouvelle de l'arrivée de Baha'u'llah surprit fort les officiers de l'armée impériale. Nasiri'd-Din Shah lui-même fut étonné de la démarche inattendue et osée que venait de faire un homme accusé d'être le principal instigateur de l'attentat à sa vie. Il envoya aussitôt un de ses officiers sûrs à la légation, demandant que l'accusé lui soit livré. Le ministre russe refusa et demanda à Baha'u'llah de se rendre chez Mirza Aqa Khan, le Grand vazir, dont la maison, pensait-il, était la plus appropriée dans ces circonstances. Sa demande fut acceptée, sur quoi le ministre communiqua officiellement au Grand vazir son désir de voir Baha'u'llah, que son gouvernement mettait sous sa protection, entouré du maximum d'attentions, afin de lui assurer salut et protection; il avertit le Grand vazir qu'il le tiendrait pour responsable au cas où ses voeux seraient négligés. (26.11)

Mirza Aqa Khan, bien qu'il donnât les pleines assurances requises, et qu'il reçût Baha'u'llah chez lui avec toutes les marques de respect, craignait trop, cependant, pour sa propre position pour accorder à son hôte le traitement que l'on attendait de lui.

Au moment où Baha'u'llah quittait le village de Zarkandih, la fille du ministre, qui se sentait fort affligée par les dangers qui menaçaient la vie de Baha'u'llah, fut si bouleversée par l'émotion qu'elle ne put retenir ses larmes. "A quoi sert", l'entendit-on faire remarquer à son père, "l'autorité dont vous êtes investi si vous êtes impuissant à accorder votre protection à un hôte que vous avez reçu chez vous?" Le ministre, qui avait une grande affection pour sa fille, fut ému à la vue de ses larmes, et chercha à la consoler en l'assurant qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir afin d'écarter le danger qui menaçait la vie de Baha'u'llah.

Ce jour-là, l'armée de Nasiri'd-Din Shah fut en proie à de violentes agitations. Les ordres péremptoires du souverain, suivant de si près l'attentat à sa vie, donnèrent lieu aux rumeurs les plus fantaisistes et suscitèrent les passions les plus féroces chez les gens du voisinage. L'agitation s'étendit à Tihran et transforma en fureur monstre les braises de la haine qui couvaient, et que les ennemis de la cause entretenaient encore dans leur coeur. Une confusion, d'une gravité sans précédent, régna dans la capitale. Un mot de dénonciation, un signe ou un murmure, suffisaient à exposer les innocents à une persécution qu'aucune plume n'oserait décrire.

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La sécurité de la vie et des biens avait complètement disparu. Les plus hautes autorités ecclésiastiques de la capitale prêtèrent main forte aux membres les plus influents du gouvernement pour porter ce qu'ils espéraient être le coup fatal à un ennemi qui, huit ans durant, avait si sérieusement ébranlé la paix du royaume, et qu'aucune ruse ni violence n'avaient été capables de réduire au silence. (26.12)

Baha'u'llah, à présent que le Bab n'était plus, apparaissait à leurs yeux comme le pire ennemi qu'ils devaient-et cela, ils le considéraient comme leur premier devoir-saisir et emprisonner. Pour

eux, il était la réincarnation de l'esprit que le Bab avait si puissamment manifesté, l'esprit grâce auquel il avait pu accomplir une transformation aussi complète dans la vie et les moeurs de ses compatriotes. Les précautions que le ministre russe avait prises, et l'avertissement qu'il avait donné, n'arrêtèrent point la main qui s'était levée avec une telle détermination pour mettre fin à cette vie précieuse.

De Shimiran à Tihran, Baha'u'llah fut, à maintes reprises, dépouillé de ses vêtements et accablé d'injures et de ridicule. A pied et exposé aux rayons brûlants du soleil de plein été, il fut obligé de couvrir, pieds nus et tête nue, toute la distance séparant Shimiran du cachot auquel nous avons déjà fait allusion. Tout le long du parcours, il fut lapidé et vilipendé par les foules que ses ennemis avaient réussi à convaincre qu'il était l'ennemi juré de leur souverain et le destructeur de son royaume.

PHOTO: la légation russe dans le village de Zarkandih

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Les mots me manquent pour décrire l'horreur du traitement réservé à Baha'u'llah au moment où on l'emmenait au siyah-chal (26.13) de Tihran. Alors qu'il approchait de ce cachot, l'on vit une vieille femme décrépite sortir du milieu de la foule, une pierre à la main, impatiente de la jeter à la face de Baha'u'llah. Ses yeux brillaient d'une détermination et d'un fanatisme dont peu de femmes de son âge étaient capables. Tout son être tremblait de rage alors qu'elle s'avançait et levait la main pour lui lancer le projectile. "Par le Siyyidu'sh-Shuhada (26.14), je vous adjure", dit-elle en courant pour rattraper ceux à qui Baha'u'llah avait été remis, "donnez-moi une chance de jeter ma pierre à sa face!" "Ne décevez pas cette femme", furent les paroles de Baha'u'llah à ses gardes lorsqu'il la vit se précipiter derrière lui. "Ne lui refusez pas ce qu'elle considère comme un acte méritoire aux yeux de Dieu."

Le siyah-chal ou fut jeté Baha'u'llah était autrefois un réservoir d'eau destiné à l'un des bains publics de Tihran; c'était un cachot souterrain dans lequel étaient habituellement détenus des criminels de la pire espèce. L'obscurité, la saleté et le caractère des prisonniers s'ajoutaient pour faire de ce cachot pestilentiel le lieu le plus abominable auquel des êtres humains pouvaient être condamnés. Les pieds de Baha'u'llah furent placés dans des entraves et, autour de son cou, l'on attacha les chaînes de Qani-Guhar, connues dans toute la Perse pour leur poids blessant. (26.15) Durant trois jours et trois nuits, l'on ne donna aucune espèce de nourriture ni de boisson à Baha'u'llah. Le repos et le sommeil lui étaient impossibles. L'endroit était infesté de vermine, et la puanteur de cette sordide demeure suffisait à étouffer l'esprit même de ceux qui étaient condamnés à en subir les horreurs. Les conditions dans lesquelles il était détenu étaient telles que même l'un des bourreaux qui le surveillait fut pris de pitié pour lui. Plusieurs fois cet homme tenta de le décider à boire un peu de thé qu'il avait réussi à apporter avec lui dans le cachot, dissimulé sous ses vêtements. Baha'u'llah, cependant, refusait de le boire. Sa famille s'efforça à maintes reprises de décider les gardes à lui permettre de lui porter en prison la nourriture qu'ils avaient préparée à son intention. Bien qu'au début, aucun raisonnement ne pût inciter les gardes à relâcher la rigueur de leur discipline, petit à petit, cependant, ils cédèrent aux pressions de ses amis. Personne ne pouvait toutefois savoir avec certitude si cette nourriture parvenait finalement au prisonnier, ou si celui-ci consentait à la manger alors que certains de ses compagnons prisonniers mouraient de faim sous ses yeux.

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Certes, on peut à peine imaginer une plus grande misère que celle qui avait frappé ces innocentes victimes de la colère de leur souverain. (26.16)

Quant au jeune Sadiq-i-Tabrizi, il eut un sort aussi cruel qu'humiliant. Il fut fait prisonnier au moment où il se précipitait vers le Shah, qu'il avait fait tomber de cheval, dans l'espoir de le frapper de l'épée qu'il tenait à la main. Le Shatir-Bashi, ainsi que les assistants du Mustawfiyu'l-Mamalik, sautèrent sur lui et, sans essayer de savoir qui il était, le tuèrent sur place. Désireux de calmer l'excitation de la foule, ils coupèrent son corps en deux et suspendirent chaque moitié, exposée aux regards de la foule, à l'entrée des portes de Shimiran et de Shah-'Abdu'l-'Azfm. (26.17) Ses deux autres compagnons, Fathu'llah-i-Hakkak-i- Qumi et Haji Qasim-i-Nayrizi, qui n'avaient infligé au Shah que de légères blessures, furent soumis à un traitement inhumain, auquel ils devaient finalement succomber. Fathu'llah, bien que subissant d'indicibles cruautés, refusa obstinément de répondre aux questions qu'on lui posait. Le silence qu'il garda devant des tortures variées incita ses persécuteurs à croire qu'il était muet. Exaspérés par l'échec de leurs efforts, ils versèrent du plomb fondu dans sa gorge, acte qui mit fin à ses souffrances.

PHOTO: partie sud de Tihran où les criminels subissaient la pendaison et où de nombreux baha'is furent martyrisés. (voir, marqué d'un x, le site de siyah-chal)

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Son camarade, Haji Qasim, fut traité avec une sauvagerie plus révoltante encore. Le jour même où Haji Sulayman Khan était soumis à cette terrible épreuve, ce pauvre misérable recevait un traitement semblable des mains de ses persécuteurs à Shimiran. Il fut déshabillé, des bougies allumées furent introduites dans des trous pratiqués dans sa chair, et il fut ainsi promené sous le regard de la foule qui le huait et le maudissait. L'esprit de vengeance qui animait ceux à qui il avait été remis semblait insatiable. Jour après jour, de nouvelles victimes furent obligées d'expier de leur sang un crime qu'elles n'avaient jamais commis, et dont elles ignoraient totalement les circonstances. Tous les artifices ingénieux que les bourreaux de Tihran pouvaient employer furent appliqués avec une rigueur impitoyable sur les corps de ces malheureux, qui ne furent ni jugés ni interrogés, et dont on négligea totalement le droit de plaider et de prouver leur innocence.

Chacune de ces journées de terreur voyait le martyre de deux compagnons du Bab; l'un était tué à Tihran alors que l'autre subissait son sort à Shimiran. Tous deux étaient soumis à la même espèce de torture, tous deux étaient livrés à la foule pour qu'elle se vengeât sur eux. Les prisonniers étaient répartis selon les différentes classes de la société, dont les messagers venaient chaque jour visiter le cachot pour réclamer leur victime. (26.18)

PHOTO: famille baha'ie martyrisée en Perse

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Au moment où ils la conduisaient vers le lieu de sa mort, ils donnaient le signal d'une attaque générale contre elle, après quoi hommes et femmes se ruaient vers leur proie, déchiquetaient son corps et le mutilaient à un point tel qu'aucune trace de sa forme originale ne subsistait. Une telle cruauté étonnait même les bourreaux les plus brutaux dont les mains, bien qu'habituées au massacre d'êtres humains, n'avaient jamais perpétré les atrocités dont ces gens-là se montraient capables. (26.19)

De toutes les tortures qu'un insatiable ennemi infligea à ses victimes, aucune ne fut plus révoltante que celle qui caractérisa la mort de Haji Sulayman Khan. Il était le fils de Yahya Khan, l'un des officiers au service du Nayibu's-Saltanih, qui était le père de Mubammad Shah. Il conserva ce rang au début du règne de Mubammad Shah. Haji Sulayman Khan montra dès ses premières années un désintéressement marqué pour le rang et la fonction publique. Dès le jour où il accepta la cause du Bab, les affaires insignifiantes dans lesquelles étaient plongés les gens de son entourage suscitèrent sa pitié et son dédain. La vanité de leurs ambitions ne lui était que trop évidente.

PHOTO: croyants réunis autour du corps d'un martyr

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Alors qu'il était tout jeune, il sentit un ardent désir de s'échapper du tumulte de la capitale et de chercher refuge dans la ville sainte de Karbila. Là, il rencontra Siyyid Kazim et devint l'un de ses partisans les plus fervents. Sa piété sincère, sa frugalité et son amour de la solitude étaient quelques-uns des principaux traits de son caractère. Il séjourna à Karbila jusqu'au jour où l'appel de Shiraz lui parvint par l'intermédiaire de Mulla Yusuf-i-Ardibili et de Mulla Mihdiy-i-Khu'i, qui étaient tous deux de ses amis les mieux connus. Il embrassa avec enthousiasme le message du Bab. (26.20) Il avait eu l'intention, à son retour de Karbih à Tihran, de rejoindre les défenseurs du fort de Tabarsi, mais il arriva trop tard. Il demeura dans la capitale et continua à porter le genre d'habit qu'il avait adopté à Karbila. Le petit turban qu'il portait et la tunique blanche que cachait son 'aba (26.21) noir ne plaisaient guère à l'amir-nizam, qui le décida à se débarrasser de ces vêtements et à endosser un uniforme militaire. Il dut porter le kulah (26.22), un couvre-chef que l'on jugeait plus compatible avec le rang de son père. Quoique l'amir-nizam insistât pour qu'il acceptât une position au service du gouvernement, il refusa avec obstination de se conformer à cette requête. La majeure partie de son temps, il la passait en compagnie des disciples du Bab, et particulièrement de ceux de ses compagnons qui avaient survécu à la bataille de Tabarsi. Il les entourait d'une bonté et d'un soin vraiment étonnants. Lui et son père étaient si influents que l'amir-nizam fut porté à lui épargner la vie et à s'abstenir effectivement de tout acte de violence contre lui. Bien qu'il se trouvât à Tihran lorsque les sept compagnons du Bab, qui étaient de ses intimes, furent martyrisés, ni les officiels du gouvernement ni aucune autre personne n'osèrent réclamer son arrestation. Même à Tabriz, où il s'était rendu dans le but de sauver la vie du Bab, personne, parmi les habitants de cette ville, n osa lever le doigt contre lui. L'amir-nizam, qui était parfaitement informé de tous les services qu'il rendait à la cause du Bab, préféra ignorer ses actes plutôt que de créer un conflit entre lui et son père.

Peu après le martyre d'un certain Mulbi Zaynu'l-'Abidin-i-Yazdi, une rumeur circula selon laquelle ceux à qui le gouvernement voulait ôter la vie et parmi lesquels se trouvaient Siyyid Husayn, le secrétaire du Bab, et Tahirih, allaient être relâchés et qu'on allait définitivement renoncer à toute persécution envers leurs amis. On avait partout rapporté que l'amir-nizam, estimant que l'heure de sa mort approchait, avait soudain été saisi d'une grande crainte et que, dans l'angoisse du repentir, il s'était exclamé: "Je suis hanté par la vision du Siyyid-i-Bab, dont j'ai ordonné le martyre.

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Je puis à présent discerner l'épouvantable erreur que j'ai commise. J'aurais dû freiner la violence de ceux qui me pressaient de répandre son sang et celui de ses compagnons. Je discerne à présent que les intérêts de l'Etat l'exigeaient." Son successeur, Mirza Aqa Khan, eut la même inclination dès les premiers jours de son administration, et il entendait inaugurer son ministère par une réconciliation durable entre lui et les disciples du Bab. Il se préparait à entreprendre cette tâche lorsque l'attentat à la vie du Shah vint anéantir ses projets et jeta la capitale dans un état de confusion sans précédent.

J'ai entendu la plus grande Branche (26.23), qui n'était alors qu'un enfant de huit ans, raconter l'une de ses aventures au moment où il se hasarda à quitter la maison dans laquelle il résidait. "Nous avions cherché refuge, nous dit-il, chez mon oncle Mirza Isma`il. Tihran était en proie à une agitation des plus furieuses. J'osais parfois sortir de cette maison et traverser la rue pour me rendre au marché. À peine avais-je franchi le seuil de la maison et mettais-je le pied dans la rue, que des enfants de mon âge, qui couraient par là, se réunissaient autour de moi en criant: "Babi! Babi!" Sachant bien l'état d'excitation dans lequel se trouvaient les habitants de la capitale, jeunes comme vieux, j'ignorais délibérément leur clameur et continuais tranquillement mon chemin vers chez moi. Un jour, il arriva que je me trouvais seul en train de traverser le marché, me rendant chez mon oncle. Comme je regardais derrière moi, je vis une bande de petites brutes courir rapidement vers moi pour me rattraper. Ils me lançaient des pierres et criaient de façon menaçante; "Babi! Babi!" Les intimider me sembla le seul moyen d'éviter le danger dont j'étais menacé. Je me retournai et me précipitai vers eux avec une telle détermination qu'ils s'enfuirent en détresse et disparurent de ma vue. Je pus entendre leur cri lointain qui disait: "Le petit Babi nous poursuit rapidement! Il nous rattrapera sûrement et nous tuera tous." Comme je me dirigeais vers ma maison, j'entendis un homme crier très fort: "Bien fait mon brave et intrépide garçon! Personne, parmi les gens de ton âge, n'aurait jamais pu, sans aide, affronter leur attaque." A partir de ce jour-là, je ne fus plus jamais molesté par aucun des garçons de la rue, et n entendis plus de paroles offensantes de leur part.

Parmi ceux qui, au milieu de la confusion générale, furent saisis et jetés en prison, se trouvait Haji Sulayman Khan, dont je vais à présent relater les circonstances du martyre. Les faits que je mentionne ont été soigneusement examinés et vérifiés par moi, et je les dois pour la plus grande part à Aqay-i-Kalim, qui se trouvait lui-même alors a Tihran et dut partager les terreurs et les souffrances de ses frères.

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"Le jour même du martyre de Haji Sulayman Khan, m'apprit-il, je me trouvais par hasard avec Mirza 'Abdu'l-Majid à une réunion à laquelle participaient un nombre considérable de dignitaires et de notables de la capitale. Parmi ceux-ci, il y avait Haji Mulla Mabmud, le nizamu'l- 'ulama', qui demanda au kalantar de décrire les véritables circonstances de la mort de Haji Sulayman Khan. Le kalantar fit un signe du doigt à Mirza Taqi, le kad-khuda (26.24) qui, dit-il, a conduit la victime du voisinage du palais impérial au lieu de son exécution, au-delà de la porte de Naw. Mirza Taqi fut donc prié de relater aux assistants tout ce qu'il avait vu et entendu. "Moi et mes domestiques, dit-il, reçûmes l'ordre d'acheter neuf chandelles et de les introduire nous-mêmes dans de profonds trous que nous devions pratiquer dans sa chair. On nous ordonna d'allumer toutes ces chandelles et de conduire la victime à travers le marché, au battement des tambours et au son des trompettes, jusqu'au lieu de son exécution. Là, nous reçûmes l'ordre de couper son corps en deux, et de suspendre chaque moitié de chaque côté de la porte de Naw. Il avait lui-même choisi la façon dont il désirait être martyrisé. Hajibu'd-Dawlih (26.25) avait été chargé par Nasiri'd-Din Shah de se renseigner sur la complicité de l'accusé et de décider celui-ci, au cas où il serait assuré de son innocence, à abjurer sa foi. S'il acceptait, on devait lui épargner la vie et le détenir dans l'attente du règlement définitif de son cas. S'il refusait, on devait lui ôter la vie de la façon que lui-même choisirait.

"Les investigations de Hajibu'd-Dawlih persuadèrent celui-ci de l'innocence de Haji Sulayman Khan. L'accusé, dès qu'il fut informé des instructions de son souverain, s'exclama avec joie:

"Jamais, aussi longtemps que coulera du sang dans mes veines, je n'accepterai d'abjurer ma foi en mon Bien-Aimé! Ce monde, que le Commandeur des croyants (26.26) a comparé à une charogne, ne m'éloignera jamais du désir de mon coeur." On lui demanda de déterminer la manière dont il désirait mourir. "Percez des trous dans ma chair, répondit-il aussitôt, et placez dans chaque blessure une chandelle. Allumez neuf chandelles sur tout mon corps et conduisez-moi dans cet état à travers les rues de Tihran. Appelez la foule à témoigner de la gloire de mon martyre, afin que le souvenir de ma mort laisse son empreinte dans leurs coeurs et les aide, au moment où ils se rappelleront l'intensité de mes tribulations, à reconnaître la lumière que j'ai embrassée.

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Après mon arrivée au pied de la potence, et la dernière prière que je prononcerai au cours de ma vie terrestre, coupez mon corps en deux et suspendez mes membres de chaque côté de la porte de jihnin pour que la foule qui passe sous elle puisse témoigner de l'amour que la foi du Bab a suscité dans le coeur de ses disciples, et puisse regarder les preuves de leur dévotion."

"Hajibu'd-Dawlih ordonna à ses hommes de se conformer aux voeux exprimés par Haji Sulayman Khan, et me chargea de le conduire à travers le marché jusqu'au lieu de son exécution. Au moment ou ils tendaient à la victime les chandelles qu'ils avaient achetées, et se préparaient à lui enfoncer leurs couteaux dans la poitrine, il fit une brusque tentative pour retirer l'arme des mains tremblantes du bourreau afin de la plonger lui-même dans sa chair. "Pourquoi craindre et pourquoi hésiter?" s'écria-t-il en avançant le bras pour s'emparer du couteau. "Laissez-moi accomplir cet acte et allumer moi-même les chandelles." De crainte qu'il ne nous attaquât, je donnai l'ordre à mes hommes de ne pas céder à sa tentative et de lui attacher les mains derrière le dos. "Laissez-moi, plaida-t-il, montrer du doigt les endroits auxquels je désire qu'ils enfoncent leur poignard, car je n'ai pas d'autre requête à présenter, si ce n'est celle-ci."

"Il leur demanda de lui percer deux trous dans la poitrine, deux dans les épaules, un dans la nuque et les quatre autres dans le dos. Avec un calme stoïque, il endura ces tortures. La fermeté se lisait dans ses yeux au moment où il gardait un silence mystérieux et ininterrompu. Ni le hurlement de la foule ni la vue du sang qui coulait sur tout son corps ne parvinrent à le décider à rompre ce silence. Il demeura ainsi, impassible et serein, jusqu'à ce que les neuf chandelles fussent mises en place et allumées.

"Lorsque tout fut achevé en vue de sa marche vers la scène de sa mort, il se tint debout, droit comme une flèche et, avec la même force d'âme inflexible rayonnant sur son visage, s'avança pour mener la foule qui se pressait autour de lui vers l'endroit qui devait voir la consommation de son martyre. A des intervalles de quelques pas, il s'arrêtait et, regardant les spectateurs déconcertés, criait: "Quelle plus grande pompe et quel plus grand faste que ceux qui accompagnent aujourd'hui ma progression pour gagner la couronne de gloire! Glorifié soit le Bab, qui peut susciter une telle dévotion dans le coeur de ses amants, et qui peut les doter d'un pouvoir plus grand que la puissance des rois!" Parfois, comme enivré par la ferveur de cette dévotion, il s'exclamait: "L'Abraham d'un âge écoulé, priant Dieu, à l'heure de l'agonie la plus cruelle, de lui envoyer le repos auquel aspirait son âme, entendit la voix de l'Invisible proclamer: "O feu! Sois froid, et pour Abraham, un salut !" (26.27)

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Mais ce Sulayman crie, du plus profond de son coeur ravagé: "Seigneur, Seigneur, que ton feu brûle sans cesse en moi, et fais que sa flamme consume mon être!" Comme ses yeux regardaient la cire scintiller dans ses blessures, il manifesta un accès de joie effrénée: "Puisse celui dont la main a enflammé mon âme être ici pour contempler mon état!" "Ne croyez pas que je sois enivré par le vin d'ici-bas!" cria-t-il à la vaste foule qui restait frappée de stupeur à la vue de son comportement. "C'est l'amour de mon Bien-Aimé qui a rempli mon âme et fait que je me sens doté d'une souveraineté que même les rois pourraient m'envier!"

"Je ne puis me souvenir des exclamations de joie qui sortaient de ses lèvres alors qu'il approchait de sa fin. Tout ce que je me rappelle, ce sont quelques-unes des paroles émouvantes qu'il lança à la foule des spectateurs dans ses moments d'exultation. Les mots me manquent pour décrire l'expression de ce visage ou mesurer l'effet de ses paroles sur la foule.

"Il se trouvait encore dans le bazar lorsqu'une brise vint attiser le feu des chandelles qui étaient placées sur sa poitrine. Comme elles fondaient rapidement, leurs flammes atteignirent le niveau des blessures dans lesquelles elles avaient été enfoncées. Nous qui suivions à quelques pas derrière lui pûmes entendre distinctement le grésillement de sa chair. La vue du sang coagulé et du feu qui couvraient son corps, au lieu de le faire taire, semblait augmenter son enthousiasme inextinguible. On put encore l'entendre, s'adressant cette fois aux flammes alors que celles-ci dévoraient l'intérieur de ses blessures: "Vous avez depuis longtemps perdu de votre agressivité, ô flammes, et avez été dépourvues de votre pouvoir de me faire souffrir. Hâtez-vous car, de vos langues de feu, je puis entendre la voix qui m'appelle vers mon Bien-Aimé!"

"La peine et la souffrance semblaient avoir disparu dans l'ardeur de cet enthousiasme. Enveloppé par les flammes, il marchait tel un conquérant vers la scène de sa victoire. Il envoyait à travers la foule excitée un éclat de lumière au milieu des ténèbres qui l'entouraient. En arrivant au pied de la potence, il éleva de nouveau la voix dans un dernier appel à la multitude de spectateurs: "Ce Sulayman que vous voyez à présent devant vous en proie au feu et au sang, ne jouissait-il pas jusqu'à ces derniers temps de toutes les faveurs et richesses que le monde peut conférer? Qu'est-ce qui peut l'avoir fait renoncer à cette gloire terrestre et accepter en échange un si grand avilissement et une telle souffrance?"

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Se prosternant alors en direction du tombeau de l'Imam-Zadih Hasan, il murmura certaines paroles en arabe que je ne pus comprendre. "Mon travail est à présent achevé!" cria-t-il au bourreau dès que sa prière fut terminée. "Viens et fais le tien!" Il était encore en vie lorsque son corps fut coupé en deux à l'aide d'une hache. La louange de son Bien-Aimé, malgré ses incroyables souffrances, se lisait encore sur ses lèvres jusqu'au dernier instant de sa vie. (26.28)

"Ce tragique récit émut les auditeurs jusqu'au tréfonds de leur âme. Le nizamu'l-`ulama', qui écoutait attentivement tous les détails, se tordit les mains d'horreur et de désespoir. "Comme elle est étrange, cette cause!" s'exclama-t-il. Sans ajouter un mot de commentaire, il se leva aussitôt après et quitta la réunion." (26.29)

Ces jours de tumulte incessant virent le martyre d'un autre éminent disciple du Bab. Une femme, non moins grande et héroïque que Tahirih elle-même, fut plongée dans la tempête qui faisait rage alors dans la capitale. Ce que je commence à raconter à présent concernant les circonstances de son martyre, je l'ai recueilli auprès d'informateurs dignes de foi, dont certains furent eux-mêmes témoins des événements que je vais tenter de décrire. Le séjour de Tahirih à Tihran fut marqué par de nombreuses preuves de la cordiale affection et de la haute estime que lui portaient les femmes de la capitale. Elle avait atteint en réalité, ces jours-là, l'apogée de sa popularité. (26.30) La maison où elle était détenue était assiégée par ses admiratrices qui affluaient vers ses portes, avides d'aller auprès d'elle et de profiter de son savoir. (26.31) Parmi ces femmes, l'épouse de Kalantar (26.32) se distingua par l'extrême respect qu'elle montra envers Tahirih. Lui servant d'hôtesse, elle introduisait auprès d'elle l'élite de la société féminine de Tihran, la servait avec un enthousiasme extraordinaire et ne manquait jamais de contribuer à accroître son influence auprès des femmes. Des personnes qui entretenaient des relations étroites avec la femme de Kalântar l'ont entendu relater ce qui suit: "Une nuit, alors que Tahirih se trouvait chez moi, je fus convoquée auprès d'elle et la trouvai parée et vêtue d'une robe de soie de couleur blanc-neige. Sa chambre exhalait le plus exquis des parfums. Je lui exprimai ma surprise devant cette scène inhabituelle. "Je me prépare à rencontrer mon Bien-Aimé, dit-elle, et désire vous libérer des soins et des anxiétés que vous procure mon emprisonnement." Je fus d'abord stupéfaite, et je pleurai à l'idée de me séparer d'elle. "Ne pleurez pas", chercha-t-elle à me rassurer.

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"Le temps de vos lamentations n'est pas encore venu. Je désire vous faire part de mes dernières volontés, car l'heure à laquelle je serai arrêtée et condamnée à subir le martyre est imminente. Je vous demanderai d'autoriser votre fils à m'accompagner jusqu'au lieu de ma mort et de s'assurer que les gardes et le bourreau aux mains de qui je serai remise ne m'obligeront pas à me séparer de ces habits. Je désire également que mon corps soit jeté dans un puits, et que ce dernier soit rempli de terre et de pierres. Trois jours après ma mort, une femme viendra vous rendre visite, et vous lui remettrez ce paquet que je vous confie à présent. Ma dernière requête est que vous ne permettiez à personne, à partir de ce moment, d'entrer dans ma chambre. Dès cet instant et jusqu'au moment où je serai appelée à quitter cette maison, ne laissez personne venir troubler mes prières. Aujourd'hui, j'entends jeûner, un jeûne que je ne romprai point jusqu'à ce que je me trouve face à face avec mon Bien-Aimé." Elle me pria, après ces paroles, de verrouiller la porte de sa chambre et de ne l'ouvrir que lorsque sonnerait l'heure de son départ. Elle m'exhorta aussi à garder secrète la nouvelle de sa mort jusqu'au moment où ses ennemis eux-mêmes la révéleraient.

PHOTO: la maison du Kalantar à Tihran, où fut emprisonnée Tahirih (la chambre supérieure derrière l'arbre est celle qu'elle occupait.)

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"Seul le grand amour que je nourrissais pour elle en mon coeur me permit de me conformer à ses instructions. Si ce n'était l'irrésistible désir qui me poussait à réaliser ses voeux, je n'aurais jamais consenti à me séparer d'elle, ne fût-ce qu'un instant. Je fermai à clef la porte de sa chambre et me retirai dans la mienne dans un état de tristesse irrépressible. Je me couchai et restai éveillée, inconsolable, dans mon lit. La pensée de l'imminence de son martyre déchirait mon âme. "Seigneur! Seigneur!" priais-je dans mon désespoir, "écarte de sa bouche, si tel est ton désir, la coupe que ses lèvres désirent boire." Ce jour-là et la nuit qui suivit, je me levai plusieurs fois et, ne pouvant me retenir, allai furtivement vers le seuil de cette chambre pour rester silencieuse à sa porte, avide d'entendre ce qui pourrait sortir de ses lèvres. J'étais ravie par la mélodie de cette voix qui entonnait la louange de son Bien-Aimé. Je pouvais à peine me tenir debout, tant mon agitation était grande. Quatre heures après le coucher du soleil, j'entendis frapper à la porte. Je me précipitai aussitôt vers mon fils et le mis au courant des voeux de Tahirih. Il donna sa parole qu'il accomplirait chacune des instructions qu'elle m'avait données. Cette nuit-là, mon mari était justement absent. Mon fils, qui ouvrit la porte, m'apprit que les farrashs (26.33) d' 'Aziz Khan-i-Sardar se tenaient à la porte, demandant que Tahirih leur soit immédiatement livrée.

PHOTO: vêtements d'extérieur, costumes portés par des femmes en Perse au milieu du 19e siècle

PHOTO: vêtements d'intérieur

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Je fus frappée de terreur en entendant la nouvelle; j'allai d'un pas chancelant vers sa porte et l'ouvris d'une main tremblante; je la trouvai voilée et prête à quitter son appartement. Elle marchait de long en large dans sa chambre lorsque j'y entrai, et psalmodiait une litanie qui exprimait à la fois le chagrin et le triomphe. Dès qu'elle me vit, elle s'approcha de moi et m'embrassa. Elle me mit dans la main la clef de son coffre dans lequel, me dit-elle, elle avait laissé à mon intention quelques objets sans importance en souvenir de son séjour chez moi. "Quand vous ouvrirez cette caisse, dit-elle, et regarderez les objets qu'elle contient, vous vous souviendrez de moi, je l'espère, et vous vous réjouirez de mon bonheur."

"Après ces paroles, elle me dit un dernier adieu et, accompagnée de mon fils, disparut de ma vue. Quelle angoisse s'empara de moi au moment où je vis sa belle stature disparaître peu à peu dans le lointain! Elle monta le cheval que le sardar avait envoyé à son intention et, escortée de mon fils et de quelques assistants qui marchaient à ses côtés, alla vers le jardin qui devait être le lieu de son martyre.

"Trois heures plus tard, mon fils revint, le visage baigné de larmes, proférant des injures contre le sardar et ses lieutenants serviles. J'essayai de calmer son agitation et, le faisant s'asseoir à mes côtés, lui demandai de relater aussi complètement que possible les circonstances de la mort de Tahirih. "Mère, répondit-il en sanglotant, je puis à peine essayer de décrire ce que mes yeux ont vu. Nous nous rendîmes directement au jardin Ilkhani (26.34), au-delà de la porte de la ville. Là je trouvai, à ma grande horreur, le sardar et ses lieutenants absorbés par des actes honteux et de débauche, complètement ivres et riant à gorge déployée. En arrivant à la porte du jardin, Tahirih descendit de cheval et, m'appelant à elle, me demanda d'agir comme intermédiaire entre elle et le sardar à qui, dit-elle, elle se sentait peu portée à s'adresser au milieu de ses réjouissances. "Il me semble qu'ils désirent m'étrangler, dit-elle. J'ai mis de côté, il y a longtemps, un foulard en soie qui, je l'espérais, serait utilisé à cette fin. Je vous le remets et désire que vous incitiez cet ivrogne dissolu à l'employer comme moyen par lequel il pourra m'ôter la vie."

"Lorsque je me rendis auprès du sardar, je le trouvai dans un état d'ivresse exécrable. "N'interrompez pas la gaieté de notre fête!" l'entendis-je crier comme je m'approchais de lui. "Que cette misérable diablesse soit étranglée et que son corps soit jeté dans un puits!"

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Je fus fort surpris d'entendre un tel ordre. Estimant superflu de m aventurer à lui demander autre chose, j'allai vers deux de ses assistants que je connaissais déjà, et leur donnai le foulard que Tahirih m avait confié. Ils consentirent à se conformer à sa demande. Ce même foulard fut attaché à son cou et devint l'instrument de son martyre. Je me hâtai, aussitôt après, vers le jardinier et lui demandai s'il pouvait m'indiquer un endroit où je pourrais cacher le corps. Il me conduisit, à ma grande joie, vers un puits qui venait d'être foré et qui était resté inachevé. Avec l'aide de quelques autres personnes, je descendis Tahirih dans sa tombe et remplis le puits de terre et de pierres comme elle en avait elle-même exprimé le désir. Ceux qui la virent dans ses derniers instants furent profondément émus. Les yeux baissés et plongés dans le silence, ils se dispersèrent en deuil, laissant leur victime, qui avait jeté sur leur pays un éclat aussi impérissable, enterrée sous un amas de pierres qu'ils avaient, de leurs propres mains, entassées sur elle."

"Je pleurais à chaudes larmes tandis que mon fils m'exposait ce récit tragique. J'étais si submergée par l'émotion que je tombai, prostrée et inanimée sur le sol. Lorsque je repris connaissance, je trouvai mon fils en proie à une douleur tout aussi cruelle que la mienne. Il était couché sur son lit, pleurant dans un accès de dévotion. Voyant mon état, il s'approcha de moi et me consola. "Tes larmes, dit-il, te trahiront aux yeux de mon père.

PHOTO: lieu où fut martyrisée Tahirih dans le jardin d'Ilkihani

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Des considérations de rang et de position le pousseront sans doute à nous abandonner et à rompre tous les liens qui le rattachent à cette maison. Si nous ne retenons pas nos larmes, il nous accusera, devant Nasiri'd-Din Shah, d'être les victimes du charme d'un ennemi haïssable. Il obtiendra le consentement du souverain quant à notre propre exécution, et se mettra probablement à nous tuer de ses propres mains. Pourquoi souffririons-nous, nous qui n'avons jamais embrassé cette cause, pareil sort de ses mains? Tout ce que nous devons faire est de la défendre contre ceux qui l'accusent d'être la négation même de la chasteté et de l'honneur. Nous devrons toujours conserver son amour en nos coeurs et garder intacte, devant un ennemi calomnieux, l'intégrité de cette vie."

"Ses paroles apaisèrent mon agitation. J'allai vers son coffre et, avec la clef qu'elle m'avait remise, je l'ouvris. J'y trouvai un petit flacon d'un parfum des plus choisis, à côté duquel il y avait un rosaire, un collier de corail, et trois bagues montées de turquoise, de cornaline et de rubis. A la vue de ses biens terrestres, je me mis à méditer sur les événements de sa vie riche en péripéties, et me rappelai avec émerveillement son courage intrépide, son zèle, son sens élevé du devoir et son incontestable dévouement. Je me souvins de ses talents littéraires et songeai à ses emprisonnements, à la honte et à la calomnie auxquelles elle avait fait face avec une force d'âme telle qu'aucune autre femme de son pays ne pourrait manifester. Je me représentai ce visage séduisant qui, hélas! se trouvait maintenant enfoui sous un amas de terre et de pierres. Le souvenir de son éloquence passionnée me réchauffait le coeur tandis que je me répétais les paroles qu'elle avait si souvent prononcées. Le sentiment de l'immensité de son savoir et de sa maîtrise des Ecrits saints de l'islam traversa mon esprit avec une soudaineté déconcertante. Et par-dessus tout, sa fidélité passionnée à la foi qu'elle avait embrassée, sa ferveur alors qu'elle plaidait sa cause, les services qu'elle lui rendit, les afflictions et les tribulations qu'elle endura par amour pour elle, l'exemple qu'elle avait donné à ses disciples, l'impulsion qu'elle lui avait apportée, le nom qu'elle avait gravé dans le coeur de ses compatriotes, je me rappelai tout cela alors que je me tenais à côté de son coffre, me demandant ce qui pouvait avoir décidé une si grande femme à abandonner toutes les richesses et tous les honneurs dont elle était entourée, et à s'identifier à la cause d'un jeune homme peu connu de Shiraz. Quel pouvait être le secret, me disais-je, du pouvoir qui la sépara de sa maison et de ses parents, qui la soutint à travers toute cette carrière mouvementée, et qui la mena finalement à la tombe?

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Cette force pouvait-elle, pensai-je, émaner de Dieu? La main du Tout-Puissant pouvait-elle avoir guidé sa destinée et dirigé son cours au milieu des périls de sa vie?

"Le troisième jour après son martyre (26.35), la femme dont elle avait promis la venue arriva. Je lui demandai son nom et, constatant qu'il était identique à celui que m'avait indiqué Tàhirih, je lui remis le paquet qui m'avait été confié. Je n'avais jamais rencontré cette femme auparavant, et je ne la revis plus (26.36)."

Le nom de cette femme immortelle était Fatimih, nom que son père lui avait donné. Elle fut surnommée Umm-i-Salmih par sa famille et ses parents, qui la désignaient aussi sous le nom de Zakiyyih. Elle était née en 1233 après l'hégire (26.37), l'année même qui vit la naissance de Baha'u'llah. Elle avait trente-six ans lorsqu'elle subit le martyre à Tihran. Puissent les générations futures être amenées à présenter le digne récit d'une vie que ses contemporains n'ont pu correctement apprécier! Puissent les historiens à venir percevoir la pleine mesure de son influence et enregistrer les services uniques que cette grande dame a rendus à son pays et à son peuple! Puissent les adeptes de la foi qu'elle servit si bien s'efforcer de suivre son exemple, de raconter ses hauts faits, de rassembler ses écrits, de dévoiler le secret de ses talents et de l'établir à jamais dans la mémoire et les sentiments des peuples et des tribus de la terre ! (26.38)

Une autre éminente figure parmi les disciples du Bab, qui trouva la mort durant la période tumultueuse qui s'était emparée de Tihran, fut Siyyid Husayn-i-Yazdi, secrétaire du Bab à Mah-Ku et à Chihriq. Sa connaissance des enseignements de la foi était telle que le Bab, dans une tablette adressée à Mirza Yahya, pria ce dernier de rechercher auprès de lui des explications sur tous les sujets qui pouvaient se rattacher aux Ecrits sacrés. Cet homme de haut rang et d'expérience, en qui le Bab avait la plus grande confiance et avec qui il avait été intimement lié, subit, après le martyre de son maître à Tabriz, les souffrances d'une incarcération prolongée dans le cachot souterrain de Tihran, qui se termina par son martyre. Baha'u'llah fit beaucoup pour rendre plus supportables les épreuves qui l'accablaient. Régulièrement chaque mois, il lui envoyait toute l'aide financière qu'il demandait. Il était loué et admiré même par les geôliers qui le surveillaient. La compagnie prolongée et intime du Bab durant ses derniers jours, les plus orageux de sa vie, avait approfondi sa compréhension et doté son âme d'un pouvoir qui devait se manifester de plus en plus au fur et à mesure que les jours de sa vie terrestre tiraient à leur fin.

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Il resta en prison, avec le désir ardent de voir venir l'heure où il serait appelé à subir une mort semblable à celle de son maître. Privé du privilège d'être martyrisé le même jour que le Bab, privilège qui avait été son but suprême, il attendait à présent avec impatience l'heure où, à son tour, il boirait jusqu'à la lie la coupe que ses lèvres avaient touchée. Plus d'une fois, les principaux responsables de Tihran s'efforcèrent de l'inciter à accepter leur offre de le libérer des rigueurs de son emprisonnement, ainsi que de la perspective d'une mort encore plus cruelle. Il refusa chaque fois avec fermeté. Des larmes coulaient sans cesse de ses yeux, larmes nées de son ardent désir de revoir ce visage dont l'éclat avait si vivement brillé au milieu des ténèbres d'une cruelle incarcération dans l'Àdhirbayjan, et dont la chaleur réchauffait le froid de ses nuits d'hiver. Comme il songeait, dans l'obscurité de sa cellule, à ces jours bienheureux passés auprès de son maître, quelqu'un vint à lui qui seul pouvait bannir, par la lumière de sa présence, l'angoisse qui s'était emparée de son âme. Son consolateur ne fut autre que Baha'u'llah lui-même. Siyyid Husayn eut le privilège de rester en sa compagnie jusqu'à l'heure de sa mort. La main d"Aziz Khan-i-Sardar, qui avait tué Tahirih, fut celle qui porta le coup fatal au secrétaire du Bab, autrefois compagnon de prison de celui-ci dans l'Àdhirbayjan. Il n'est pas nécessaire que je m'étende sur les circonstances de la mort que lui infligea le sardar meurtrier. Il suffit que je dise que lui aussi, comme ceux qui l'avaient précédé, but, dans des circonstances d'une ignoble cruauté, à la coupe qu'il avait si ardemment désirée.

Je vais à présent relater ce qu'il advint aux autres compagnons du Bab, ceux qui avaient eu le privilège de partager avec Baha'u'llah les horreurs de l'emprisonnement. J'ai souvent entendu, de la propre bouche de celui-ci, le récit suivant. "Tous ceux qui furent abattus par la tempête qui faisait rage au cours de cette mémorable année à Tihran furent nos compagnons de prison dans le siyah-chal, ou nous étions détenus. Nous fûmes tous entassés dans une seule cellule, nos pieds dans les fers et, autour de notre cou, des chaînes au poids blessant. L'air que nous respirions était chargé des plus répugnantes impuretés, alors que le sol sur lequel nous étions assis était couvert d'immondices et infesté de vermine. Aucun rayon de lumière ne pouvait pénétrer dans ce cachot pestilentiel ou réchauffer son froid glacial. Nous fûmes placés sur deux rangées, l'une en face de l'autre. Nous avions appris aux compagnons à répéter certains versets que, chaque nuit, ils psalmodiaient avec une ferveur extrême.

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"Dieu me suffit. Il est, en vérité, celui qui suffit à tout!" entonnait une rangée alors que l'autre répondait: "Qu'en Lui se confient les âmes confiantes!" Ces joyeuses voix continuaient à se faire entendre en choeur jusqu'aux premières heures du matin. Leur écho remplissait le cachot et, perçant ses murs massifs, parvenait aux oreilles de Nasiri'd-Din Shah, dont le palais n'était pas très éloigné de l'endroit où nous étions emprisonnés. "Que signifie ce bruit ?" se serait-il exclamé. "C'est l'hymne que les Babis entonnent dans leur prison", avait-on répondu. Le Shah n'avait pas fait d'autres remarques et n'avait pas essayé non plus de retenir l'enthousiasme dont faisaient preuve ses prisonniers malgré les horreurs de leur incarcération.

"Un jour, on nous apporta, dans notre prison, un plateau de viandes rôties que le Shah, nous dit-on, avait ordonné de distribuer parmi les prisonniers. "Le Shah, ajouta-t-on, fidèle au serment qu'il a fait, a choisi ce jour pour vous offrir tout cet agneau, tenant ainsi parole." Un profond silence envahit nos compagnons, qui s'attendaient à ce que nous donnions une réponse de leur part. "Nous vous retournons ce présent, répondîmes-nous; nous pouvons très bien nous en passer." La réponse que nous fîmes aurait fort irrité les gardes si ceux-ci n avaient été avides de dévorer la nourriture que nous avions refusé de prendre. Malgré la faim qui terrassait nos compagnons, seul l'un d'entre eux, un certain Mirza Husayn-i-Mutavalliy-i-Qumi, exprima le désir de manger la nourriture que le souverain avait décidé de nous offrir. Avec une force d'âme vraiment héroïque, nos compagnons de prison se résignèrent, sans un murmure, à endurer l'état pitoyable auquel ils étaient réduits. Ils louaient sans cesse Dieu au lieu de se plaindre du traitement que leur avait réservé le Shah, essayant ainsi d'oublier les épreuves d'une cruelle captivité.

"Chaque jour nos geôliers, en entrant dans notre cellule, appelaient l'un de nos compagnons par son nom, lui ordonnaient de se lever et de les suivre au pied de l'échafaud. Avec quel empressement le compagnon désigné répondait-il à cet appel solennel! Libéré de ses chaînes, il bondissait et, dans un état de joie irrépressible, s'approchait de nous et nous embrassait. Nous cherchions à le réconforter avec l'assurance d'une vie éternelle dans l'au-delà et, faisant déborder son coeur de joie et d'espoir, l'envoyions gagner la couronne de gloire. Il embrassait alors, tour à tour, les autres compagnons de prison et partait mourir avec autant d'intrépidité qu'il avait vécu. Peu après le martyre de chacun de ces compagnons, le bourreau, qui nous était devenu familier, nous apprenait les circonstances de la mort de sa victime, et la joie avec laquelle, jusqu'au bout, elle avait enduré ses souffrances.

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"Une nuit, nous fûmes réveillé avant le lever du jour par Mirza 'Abdu'l-Vahhab-i-Shirazi, qui était attaché aux mêmes chaînes que nous. Il avait quitté Kazimayn et nous avait suivi jusqu'à Tihran, où il fut arrêté et jeté en prison. Il nous demanda si nous étions éveillé et se mit à nous raconter son rêve. "J'ai, cette nuit, dit-il, plané dans un espace d'une beauté et d'une immensité infinies. Je semblais être soulevé sur des ailes qui me transportaient où je voulais aller. Un sentiment de joie extatique m'avait envahi l'âme. Je volais au milieu de cette immensité, à une vitesse et avec une facilité que je ne puis décrire." "Aujourd'hui, répondîmes-nous, ce sera ton tour de te sacrifier à cette cause. Puisses-tu demeurer jusqu'au bout ferme et inébranlable! Tu te trouveras alors planant dans ce même espace illimité dont tu as rêvé, traversant avec la même facilité et à la même vitesse le royaume de l'immortelle souveraineté et regardant avec le même ravissement l'horizon infini."

"Ce matin-là vit le geôlier entrer de nouveau dans notre cellule et prononcer le nom d' 'Abdu'l-Vahhab. Se débarrassant de ses chaînes, celui-ci se leva d'un bond, étreignit chacun de ses compagnons de prison et, nous prenant dans ses bras, nous pressa avec affection contre son coeur. A ce moment, nous nous aperçûmes qu'il ne portait pas de chaussures. Nous lui donnâmes les nôtres, lui dîmes une dernière parole d'encouragement et de réconfort, et l'envoyâmes vers le lieu de son martyre. Plus tard, son bourreau vint vers nous et loua, en un langage chaleureux, l'esprit dont ce jeune homme avait fait preuve. Combien nous rendîmes grâce à Dieu pour ce témoignage que le bourreau lui-même avait donné!"

Toute cette souffrance et la cruelle vengeance que les autorités avaient exercée sur ceux qui avaient attenté à la vie de leur souverain n'apaisèrent point la colère de la mère du Shah. Jour et nuit, elle persistait dans sa clameur vindicative, demandant l'exécution de Baha'u'llah qu'elle considérait toujours comme le véritable auteur du crime. "Livrez-le au bourreau!" s'écria-t-elle avec insistance devant les autorités. "Quelle humiliation plus grande que celle-ci: moi, qui suis la mère du Shah, je serais impuissante à infliger à ce criminel le châtiment qu'il mérite pour un acte aussi lâche!" Son cri de vengeance, qu'une rage impuissante ne faisait qu'intensifier, devait rester sans réponse. Malgré ses machinations, Baha'u'llah échappa au sort qu'elle avait, avec tant d'insistance, cherché à précipiter.

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Le prisonnier devait finalement être libéré de sa prison, et put développer et établir, au-delà des confins du royaume de son fils, une souveraineté qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Le sang que versa, au cours de cette année fatale à Tihran, ce groupe héroïque en compagnie duquel Baha'u'llah avait été emprisonné, constitua la rançon payée pour sa libération des mains d'un ennemi qui cherchait à l'empêcher d'atteindre le but auquel Dieu l'avait destiné. À partir du moment où il épousa la cause du Bab, il n'avait jamais négligé la moindre occasion de défendre la foi qu'il avait embrassée. Il s'était exposé aux dangers que les adeptes de la foi avaient eu à affronter au cours de ses premiers jours. Il fut le premier des disciples du Bab à montrer l'exemple du renoncement et du service à la cause. Malgré cela, sa vie, exposée comme elle l'était aux risques et aux dangers qu'une carrière comme la sienne devait à coup sûr rencontrer, fut épargnée par cette même Providence qui l'avait choisi pour une tâche que lui, dans sa sagesse, estimait prématuré de proclamer publiquement.

La terreur qui bouleversait Tihran n'était que l'un des nombreux risques et dangers auxquels la vie de Baha'u'llah fut exposée. Hommes, femmes et enfants de Tihran tremblaient devant le caractère impitoyable avec lequel l'ennemi poursuivait ses victimes. Un jeune homme nommé 'Abbas, qui avait été domestique au service de Haji Sulayman Khan et qui était parfaitement informé, vu le grand cercle d'amis que fréquentait son maître, des noms, du nombre et du lieu de résidence des disciples du Bab, servit à l'ennemi d'instrument pour la réalisation de ses plans. Il s'était identifié à la foi de son maître, et se considérait comme l'un de ses partisans les plus ardents. Lorsque le tumulte éclata, il fut arrêté et contraint de trahir tous ceux qu'il savait être associés à la foi. On chercha, par toutes sortes de récompenses, à le décider à révéler les noms de ceux qui étaient les condisciples de son maître, et on l'avertit que, s'il refusait de les dévoiler, il serait soumis à des tortures inhumaines; il donna sa parole qu'il agirait selon leurs voeux et informerait les assistants de Haji 'Ali Khan, le hajibu'd-dawlih, le farrashh-bashi, de leurs noms et de leurs adresses. Il fut emmené dans les rues de Tihran et invité à désigner tous ceux qu'il reconnaissait comme étant adeptes du Bab. Beaucoup de personnes qu'il n'avait jamais rencontrées ni connues furent ainsi livrées aux mains des assistants de Haji 'Ali Khan, alors qu'elles n'avaient jamais eu aucun rapport avec le Bab ni avec sa cause. Elles ne purent recouvrer la liberté qu'après avoir payé une lourde rançon à ceux qui les avaient capturées.

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L'avidité des assistants du hajibu'd-dawlih était telle qu'ils demandaient spécialement à 'Abbas de saluer, en signe de trahison, toute personne qu'il estimait capable de payer de fortes sommes pour sa mise en liberté. Ils l'obligèrent même à trahir de telles personnes, le menaçant du fait que son refus comporterait un grave danger pour sa propre vie. Ils promettaient fréquemment de lui donner une partie de l'argent qu'ils décidaient d'extorquer à leurs victimes.

Cet 'Abbas fut amené au siyah-chal et, dans l'espoir qu'il le trahirait, il fut introduit auprès de Baha'u'llah, qu'il avait rencontré auparavant à plusieurs reprises en compagnie de son maître. On lui promit que la mère du Shah le récompenserait amplement pour une telle trahison. Chaque fois qu'on l'amenait auprès de Baha'u'llah, 'Abbas, après s'être arrêté quelques moments devant lui et avoir regardé son visage, quittait le lieu, niant avec force l'avoir jamais vu. Ayant échoué dans ses efforts, l'ennemi eut recours au poison, dans l'espoir d'obtenir la faveur de la mère de son souverain. Il put intercepter la nourriture que leur prisonnier était autorisé à recevoir de chez lui, et y mélanger le poison qui, espérait-il, lui serait fatal. Cette mesure, bien qu'elle ébranlât pour des années la santé de Baha'u'llah, ne leur permit point d'atteindre le résultat espéré.

L'ennemi fut finalement incité à ne plus le considérer comme le principal instigateur de cet attentat, et décida de porter la responsabilité de cet acte sur 'Azim, qu'il accusa désormais d'être le véritable auteur du crime. Il s'efforça ainsi d'obtenir la faveur de la mère du Shah, une faveur grandement convoitée. Haji 'Ali Khan ne fut que trop heureux de soutenir ses efforts. Comme il n'avait pris aucune part à l'emprisonnement de Baha'u'llah, il saisit l'occasion qui se présentait pour dénoncer 'Azim, qu'il avait déjà réussi à arrêter, comme instigateur principal et responsable de l'attentat.

Le ministre russe qui, par le truchement de l'un de ses agents, observait le développement de la situation et se tenait parfaitement au courant de la condition de Baha'u'llah, adressa au Grand vazir, par la voix de son interprète, un message aux termes très énergiques par lequel il protestait contre son action et suggérait qu'un messager se rendît, en compagnie de l'un des représentants sûrs du gouvernement et de Hajibu'd-Dawlih, au siyah-chal pour y demander au nouveau chef de déclarer publiquement son opinion concernant la position de Baha'u'llah. "Tout ce que pourra déclarer ce chef, écrivait-il, qu'il s'agisse de louange ou de dénonciation, sera considéré par moi comme digne d'être aussitôt enregistré et de servir de base au jugement final qui doit être prononcé sur cette affaire."

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Le Grand vazir promit qu'il suivrait l'avis du ministre et désigna même le moment auquel le messager rejoindrait le représentant du gouvernement et Haijibu'd-Dawlih pour se rendre avec eux au siyah-chal.

Lorsqu' 'Azim fut interrogé sur la question de savoir s'il considérait Baha'u'llah comme le chef responsable du groupe qui avait commis l'attentat contre la vie du Shah, il répondit: "Le chef de cette communauté n'était autre que le Siyyid-i-Bab, qui fut tué à Tabriz et dont le martyre m'a poussé à me lever pour venger sa mort. C'est moi-et moi seul-qui ai conçu ce plan et qui me suis efforcé de l'exécuter. Le jeune homme qui renversa le Shah de son cheval n'était autre que Sadiq-i-Tabrizi, un serviteur travaillant dans la boutique d'un confiseur de Tihran qui avait été durant deux années à mon service. Il brûlait, plus encore que moi-même, du désir de venger le martyre de son chef. Il agit cependant avec trop de hâte et échoua dans sa tentative."

Les mots de cette déclaration furent enregistrés par l'interprète du ministre ainsi que par le représentant du Grand vazir, qui soumirent leurs notes à Mirza Aqa Khan. Les documents qui lui furent remis contribuèrent, pour une grande part, à la mise en liberté de Baha'u'llah.

En conséquence, 'Azim fut livré aux mains des 'ulamas qui, bien qu'eux-mêmes anxieux de hâter sa mise à mort, en furent empêchés par les hésitations de Mirza Abu'l-Qasim, l'imam-jum'ih de Tihran. Hajibu'd-Dawlih, à cause de l'imminence du mois de muharram, poussa les 'ulamas à se réunir à l'étage supérieur de la caserne, ou il réussit à faire venir l'imam-jum'ih qui persista dans son refus de consentir à l'exécution d' 'Azim. Il ordonna d'emmener l'accusé en ce lieu et d'y attendre le jugement qui devait être prononcé contre lui. Il fut conduit avec brutalité à travers les rues, couvert de ridicule et vilipendé par la populace. Grâce à un subtil artifice que 1 ennemi avait inventé, il réussit à obtenir la condamnation à mort du captif. Un siyyid armé d'une massue se rua sur lui et lui brisa le crâne. Son exemple fut suivi par le peuple qui, armé de pierres, de bâtons et de poignards, se jeta sur lui et mutila son corps. Haji Mirza Jani fut, lui aussi, de ceux qui subirent le martyre au cours de l'agitation qui suivit l'attentat contre la vie du Shah. Etant donné la répugnance du Grand vazir à lui faire du tort, il fut tué en secret.

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La conflagration allumée dans la capitale se répandit dans les provinces avoisinantes, causant dévastation et misère à d'innombrables personnes innocentes parmi les sujets du Shah. Elle ravagea le Mazindaran, la maison de Baha'u'llah, et fut le signal d'actes de violence principalement dirigés contre tous ses biens dans cette province. Deux des disciples dévoués du Bab, Muhammad-Taqi Khan et 'Abdu'l-Vahab, tous deux résidents de Nur, subirent le martyre à la suite de cette agitation.

Les ennemis de la foi voyant, à leur grande déception, que la mise en liberté de Baha'u'llah était presque assurée, cherchèrent à faire peur à leur souverain en entraînant Baha'u'llah dans de nouvelles complications, lesquelles, espéraient-ils, entraîneraient sa mort. La folie de Mirza Yahya qui, poussé par ses futiles espoirs, avait essayé de s'assurer, pour lui et le groupe de ses partisans insensés, une suprématie qu'il s'était jusqu'alors vainement efforcé d'obtenir, servit de nouveau prétexte à l'ennemi pour exhorter le Shah à prendre des mesures draconiennes afin de détruire toute l'influence que son prisonnier conservait encore au Mazindaran.

Les rapports alarmants reçus par le Shah, qui venait à peine de guérir de ses blessures, suscitèrent en lui une terrible soif de vengeance. Il convoqua le Grand vazir et le réprimanda pour avoir échoué dans sa tâche de maintenir l'ordre et la discipline au sein du peuple de sa propre province, qui lui était attaché par des liens de parenté.

PHOTO: vue générale de Takur, dans le Mazindarân

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Déconcerté par le blâme de son souverain, il exprima sa volonté d'accomplir tout ce que le Shah lui ordonnerait de faire. Il reçut l'ordre d'envoyer aussitôt vers cette province plusieurs régiments avec, pour consigne stricte, de châtier sans pitié les fauteurs de trouble.

Le Grand vazir, bien qu'il fût parfaitement conscient du caractère exagéré des rapports qui lui avaient été soumis, se vit obligé, vu l'insistance du Shah, d'ordonner l'envoi du régiment Shah-Sun, commandé par Husayn-'Ali Khan-i-Shah-Sun, vers le village de Bkur dans le district de Nur, où se trouvait la maison de Baha'u'llah. Il donna le commandement en chef à son neveu, Mirza Abu-Talib Khan beau-frère de Mirza Hasan, qui était le demi-frère de Baha'u'llah. Mirza Àqa Khan le pria de prendre le maximum de précautions et de réserve lors de son campement dans ce village. "Tous les excès qui seront commis par vos hommes, lui dit-il, auront un effet défavorable sur le prestige de Mirza Hasan et causeront de l'affliction à votre propre soeur." Il le chargea de faire des investigations sur la nature des rapports en question et de ne pas camper plus de trois jours à proximité de ce village.

Le Grand vazir appela ensuite Husayn-'Ali Khan et l'exhorta à se conduire avec la plus grande sagesse et beaucoup de circonspection. "Mirza Abu-Talib, dit-il, est encore jeune et sans expérience. Je l'ai spécialement choisi à cause de sa parenté avec Mirza Hasan. J'ai confiance qu'il s'abstiendra, par amour pour sa soeur, d'infliger des maux inutiles aux habitants de Takur. Lui étant supérieur par l'âge et l'expérience, vous devez constituer pour lui un noble exemple et lui inculquer la nécessité de servir les intérêts du gouvernement comme ceux du peuple. Vous ne devez jamais lui permettre d'entreprendre une opération sans consultation préalable avec vous.

Le Grand vazir assura Husayn-'Ali Khan qu'il avait donné des instructions écrites aux chefs de ce district, faisant appel à eux pour lui venir en aide à tout moment.

Mirza Abu-Talib Khan, bouillant de fierté et d'enthousiasme, oublia les conseils de modération que lui avait donnés le Grand vazir. Il refusa de se laisser influencer par les pressants appels de Husayn-'Ali Khan, qui le suppliait de ne pas provoquer de conflits inutiles avec la population. A peine avait-il atteint le coi qui séparait le district de Nur de la province avoisinante, et qui n'était pas très éloigné de Takur, qu'il ordonna à ses hommes de se préparer à lancer une attaque contre les habitants de ce village. Husayn-'Ali Khan au désespoir, se précipita auprès de lui et le pria de s'abstenir d'un tel acte.

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"Il m'appartient", rétorqua avec dédain Mirza Abu-Talib, a moi qui suis votre supérieur, de décider des mesures qui doivent être prises et de la manière dont je dois servir mon souverain." Une attaque soudaine fut lancée contre la population sans défense de Takur. Surprise par un assaut aussi violent et aussi inattendu, celle-ci fit appel à Mirza Hasan, qui demanda à être introduit auprès de Mirza Abu-Talib mais reçut une réponse négative. "Dites-lui", fut le message du commandant, "que j'ai été chargé par mon souverain d'ordonner un massacre général des habitants de ce village, de capturer ses femmes et de confisquer les biens de la population.

PHOTO: vue 1 des ruines de la maison de Baha'u'llah à Takur, Mazindaran, appartenant initialement au vazir, son père

PHOTO: vue 2 des ruines de la maison de Baha'u'llah à Takur, Mazindaran, appartenant initialement au vazir, son père

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Par amour pour vous, cependant, je suis prêt à épargner les femmes qui se réfugieront chez vous.

Mirza Hasan, indigné par ce refus, blâma sévèrement le commandant, dénonça l'action du Shah et retourna chez lui. Les hommes de ce village avaient, pendant ce temps, quitté leurs demeures et cherché refuge dans les montagnes avoisinantes. Leurs femmes, abandonnées à leur sort, s'étaient rendues chez Mirza Hasan, auprès de qui elles implorèrent protection contre l'ennemi.

Le premier acte de Mirza Abu-Talib Khan fut dirigé contre la maison qu'avait hérité Baha'u'llah du vazir, son père, et dont il était l'unique propriétaire. Cette maison avait été somptueusement meublée et décorée de vases d'une valeur inestimable. Il donna l'ordre à ses hommes de fracturer tous ses coffres et d'en retirer le contenu. Les objets qu'il ne pouvait emporter furent détruits sur son ordre. Certains furent brisés, d'autres brûlés. Même les pièces, qui étaient plus somptueuses que celles des palais de Tihran, furent irrémédiablement saccagées; les poutres furent incendiées et les décorations entièrement démolies.

Il se tourna ensuite contre les maisons des habitants, qu'il rasa, s'appropriant et donnant à ses hommes tous les objets de valeur qu'elles contenaient. Le village entier, dépouillé et déserté par ses habitants, fut livré aux flammes. Incapable de trouver des hommes valides, il ordonna de procéder à une fouille dans les montagnes avoisinantes. Tous ceux que l'on trouva furent fusillés ou faits prisonniers. On ne put cependant mettre la main que sur quelques hommes âgés et des bergers qui n'avaient pu aller plus loin dans leur fuite devant l'ennemi. Ils découvrirent deux hommes couchés au loin sur les pentes d'une montagne au bord d'un ruisseau. Leurs armes qui brillaient aux rayons du soleil, les avaient trahis. Les trouvant endormis, ils tirèrent sur eux à coups de fusil par-delà le ruisseau qui les séparait de leurs victimes. Ils les reconnurent comme étant 'Abdu'l-Vahhab et Muhammad-Taqi Khan. Le premier fut tué, alors que le second fut sérieusement blessé. Ils furent transportés auprès de Mirza Abu-Talib, qui fit de son mieux pour préserver la vie de la victime qu'il désirait, à cause de son courage bien connu, ramener avec lui à Tihran à titre de trophée. Ses efforts échouèrent cependant, car Muhammad Taqi Khan devait mourir deux jours après, des suites de ses blessures.

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Les quelques hommes qu'ils avaient pu capturer furent conduits enchaînés à Tihran et jetés dans le même cachot souterrain où Baha'u'llah avait été emprisonné. Parmi eux se trouvait Mulla 'Ali-Baba qui, avec quelques-uns de ses compagnons de prison, périt dans ce cachot à la suite des souffrances qu'il avait eu à endurer.

L'année suivante, ce même Mirza Abu-Talib fut frappé par la peste et emmené, dans un état de misère pitoyable, à Shimiran. Evité même par ses parents les plus proches, il resta étendu sur son lit de malade jusqu'au jour où ce même Mirza Hasan, qu'il avait si hautainement insulté, s'offrit comme volontaire pour soigner ses plaies et lui tenir compagnie dans ses jours d'humiliation et de solitude. Il se trouvait au seuil de la mort lorsque le Grand vazir vint lui rendre visite et ne trouva à son chevet que celui qu'il avait traité avec tant de brutalité. Ce même jour, ce misérable tyran devait expirer, amèrement déçu par l'échec de tous les espoirs qu'il avait tant caresses.

L'agitation qui s'était emparée de Tihran, et dont on avait sérieusement ressenti les effets à Nur et dans le district environnant, se répandit jusqu'à Yazd et Nayriz, où un nombre considérable des disciples du Bab furent saisis et martyrisés de manière inhumaine. La Perse tout entière semblait en effet avoir ressenti le choc de cette grande convulsion. Sa marée déferla jusqu'aux hameaux les plus reculés des provinces lointaines, et causa d'indicibles souffrances aux survivants d'une communauté persécutée. Des gouverneurs, ainsi que leurs subordonnés, excités par la vengeance et la cupidité, saisirent cette occasion pour s'enrichir et obtenir la faveur de leur souverain. Sans pitié ni modération ni honte, ils employèrent tous les moyens-quelque vils et illégaux qu'ils fussent-pour extorquer aux innocents les avantages qu'ils convoitaient pour eux-mêmes. Délaissant tout principe de justice et de décence, ils arrêtèrent, emprisonnèrent et torturèrent tous ceux qu'ils suspectaient d'être Babis et se dépêchèrent d'informer Nasiri'd-Din Shah, à Tihran, des victoires remportées sur un adversaire détesté.

A Nayriz, les pleins effets de cette agitation se manifestèrent lors du traitement réservé, par ses dirigeants et son peuple, aux disciples du Bab. Environ deux mois après l'attentat à la vie du Shah, un jeune homme appelé Mirza 'Ali, dont le courage exceptionnel lui avait valu le surnom d' 'Aliy-i-Sardar, se distingua par la sollicitude extrême dont il fit preuve envers les survivants de la bataille qui se termina par la mort de Vahid et de ses partisans. On le vit souvent, dans l'obscurité de la nuit, sortir de son abri, apportant toute l'aide qu'il pouvait aux veuves et aux orphelins qui avaient souffert des conséquences de cette tragédie.

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Aux nécessiteux, il distribuait de la nourriture et des vêtements avec une noble générosité; il soignait leurs blessures et les réconfortait dans leur chagrin. La vue des souffrances continuelles de ces innocents suscita l'indignation farouche de quelques compagnons de Mirza 'Ali, qui entreprirent de se venger sur Zaynu'l-'Abidin Khan, qui résidait encore à Nayriz et qu'ils considéraient comme responsable de leurs malheurs. Croyant qu'il nourrissait encore en son coeur le désir de les soumettre à de nouvelles afflictions, ils décidèrent de lui ôter la vie. Ils le surprirent dans le bain public, où ils réussirent à mettre à exécution leur dessein. Ceci conduisit à un soulèvement qui rappela, dans ses phases finales, l'horreur des massacres de Zanjan.

La veuve de Zaynu'l-'Abidin Khan pressa Mirza Na'im, qui tenait dans ses mains les rênes de l'autorité et qui résidait alors à Shiraz, de venger le sang de son mari, promettant qu'elle lui donnerait en échange tous ses bijoux et transférerait à son nom tous les biens qu'il pourrait désirer. Par la tromperie, les autorités réussirent à capturer un nombre considérable d'adeptes du Bab, dont plusieurs furent sauvagement battus. Tous furent jetés en prison en attendant la réception des instructions de Tihran. Le Grand vazir soumit la liste des noms qu'il avait reçue, ainsi que le rapport qui l'accompagnait, au Shah qui exprima sa satisfaction extrême devant le succès qui avait couronné les efforts de son représentant à Shiraz, qu'il récompensa généreusement pour ses signalés services. Il demanda que tous ceux qui étaient capturés fussent emmenés dans la capitale.

Je ne tenterai point de rappeler les diverses circonstances qui conduisirent au carnage qui marqua la fin de cet épisode. Je reporterai mon lecteur au récit pittoresque et détaillé que Mirza Shafi'-iNayrizi a écrit dans un livret séparé et dans lequel il se réfère, avec précision et force, à chaque détail de ce poignant événement. Il suffira de dire que pas moins de cent quatre-vingts des vaillants disciples du Bab subirent le martyre. Un nombre identique d'entre eux furent blessés et, quoique rendus invalides par leurs blessures, reçurent l'ordre de partir pour Tihran.

Seuls vingt-huit d'entre eux survécurent aux souffrances du voyage vers la capitale. Sur ces vingt-huit, quinze furent conduits à la potence le jour même de leur arrivée. Les autres furent jetés en prison et durent souffrir durant deux ans les plus horribles atrocités. Quoiqu'ils fussent finalement relâchés, nombreux furent ceux qui périrent sur le chemin du retour, épuisés par les épreuves d'une longue et cruelle captivité.

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Un grand nombre de leurs condisciples furent tués à Shiraz sur l'ordre de Tahmasb-Mirza. Les têtes de deux cents victimes furent placées sur des baïonnettes et transportées triomphalement par leurs oppresseurs à Abadih, un village du Fars. On avait l'intention de les emporter à Tihran, lorsqu'un messager royal ordonna d'abandonner ce projet, après quoi on décida d'enterrer les têtes dans ce village.

Quant aux femmes, qui étaient au nombre de six cents, la moitié d'entre elles furent relâchées à Nayriz, alors que les autres étaient transportées deux par deux, sur un même cheval sans selle, à Shiraz où, après avoir été soumises à de sévères tortures, elles furent abandonnées à leur sort. Nombre d'entre elles périrent en route; beaucoup succombèrent aux afflictions qu'elles durent supporter avant de retrouver la liberté. Ma plume se refuse, horrifiée, à essayer de décrire ce qui advint à ces vaillants hommes et femmes qui durent souffrir si cruellement pour leur foi. La barbarie effrénée qui caractérisa le traitement qu'on leur réserva atteignit le tréfonds de l'infamie dans les phases finales de ce lamentable épisode. Ce que j'ai tenté de relater concernant les horreurs du siège de Zanjan, les indignités qui accablèrent Hujjat et ses partisans, pâlit devant la férocité éclatante des atrocités perpétrées, quelques années plus tard, à Nayriz et à Shiraz. Une plume plus capable que la mienne de décrire, dans tous leurs tragiques détails, ces sauvageries indicibles, viendra, j'en suis confiant, enregistrer un récit qui, malgré ses traits sinistres, doit à jamais demeurer comme l'une des plus nobles preuves de la foi que la cause du Bab put inspirer à ses disciples. (26.39)

PHOTO: vue d'Abadih

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La confession d' 'Azim libéra Baha'u'llah du danger auquel sa vie avait été exposée. Les circonstances de la mort de celui qui s'était déclaré le principal instigateur de ce crime contribuèrent à calmer le courroux avec lequel une populace enragée réclamait le châtiment immédiat pour un attentat aussi audacieux. Les cris de rage et de vengeance, qui avaient jusqu'alors convergé vers Baha'u'llah, s'éloignèrent désormais de lui. La férocité de ces dénonciations s'apaisa graduellement. La conviction que Baha'u'llah, jusqu'alors considéré comme le pire ennemi de Nasiri'd-Din Shah, n'était en aucune façon mêlé à la conspiration contre la vie du souverain, s'affermit encore dans l'esprit des responsables de Tihran. Mirza Aqa Khan fut donc encouragé à envoyer son représentant en qui il avait confiance, un nommé Haji 'Ali, au siyah-chal pour présenter au prisonnier l'ordre de sa mise en liberté.

À son arrivée, ce que l'émissaire contempla le remplit de chagrin et de surprise. Le spectacle que rencontrèrent ses yeux, il pouvait à peine y croire. Il pleura en voyant Baha'u'llah enchaîné à un sol infesté de vermine, son cou pliant sous le poids des chaînes qui le blessaient, son visage accablé de tristesse, non soigné et échevelé, respirant l'air pestilentiel du plus horrible des cachots.

PHOTO: le Hadiqatu'r-Rahman où furent enterrées les têtes des martyrs de Nayriz

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"Maudit soit Mirza Aqa Khan!" s'écria-t-il avec violence lorsque ses yeux reconnurent Baha'u'llah dans les ténèbres qui l'entouraient. "Dieu le sait, je n'avais jamais imaginé que vous pouviez avoir été soumis à une captivité aussi humiliante. Je n'aurais jamais pensé que le Grand vazir pouvait oser commettre un acte aussi odieux."

Il enleva le manteau de ses épaules et le présenta à Baha'u'llah, le suppliant de le porter lorsqu'il serait en présence du ministre et de ses conseillers. Baha'u'llah refusa, et c'est avec le vêtement d'un prisonnier qu'il se rendit directement au siège du gouvernement impérial.

La première parole que le Grand vazir adressa à son prisonnier fut celle-ci: "Si vous aviez choisi de suivre mon conseil en vous désolidarisant de la foi du Siyyid-i-Bab, vous n'auriez jamais souffert les peines et les indignités qui vous ont accablé." "Si vous aviez, à votre tour, suivi mes conseils, répondit Baha'u'llah, les affaires du gouvernement n'auraient pas atteint un stade aussi critique."

Le ministre se rappela aussitôt la conversation qu'il avait eue avec Baha'u'llah à l'occasion du martyre du Bab. Les paroles "la flamme qui a été allumée brûlera avec plus d'éclat que jamais", passèrent comme l'éclair à travers l'esprit de Mirza Aqa Khan. "L'avertissement que vous m'aviez donné, fit-il remarquer, s'est, hélas! réalisé. Que me conseillez-vous de faire à présent ?" "Donnez l'ordre aux gouverneurs du royaume, répondit aussitôt Baha'u'llah, de cesser de verser le sang des innocents, de piller leurs biens, de molester leurs femmes et de blesser leurs enfants! Qu'ils cessent de persécuter la foi du Bab, qu'ils renoncent à leur vain espoir d'exterminer ses adeptes !"

Ce même jour, ordre fut donné, par une circulaire adressée à tous les gouverneurs du royaume, de renoncer à leurs actes de cruauté et d'humiliation. "Ce que vous avez fait suffit", leur écrivait Mirza Aqa Khan. "Cessez d'arrêter et de châtier la population! Ne troublez plus la paix et la tranquillité de vos compatriotes!" Le gouvernement du Shah avait délibéré sur les mesures les plus efficaces à adopter afin de délivrer le pays, une fois pour toutes, de la malédiction qui l'avait affligé. À peine Baha'u'llah avait-il retrouvé la liberté que lui fut remise la décision du gouvernement l'informant qu'il devait, dans un délai d'un mois à compter de l'émission de cet ordre, lui, ainsi que sa famille, quitter Tihran pour un lieu situé au-delà des confins de la Perse.

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Le ministre russe, dès qu'il fut informé de l'action que le gouvernement avait l'intention d'entreprendre, s'offrit comme volontaire pour prendre Baha'u'llah sous sa protection et l'invita à se rendre en Russie. Baha'u'llah déclina cette offre et choisit plutôt de partir pour 1''Iraq Neuf mois après son retour de Karbila, le premier du mois de rabi'u'th-thani de l'an 1269 après l'hégire (26.40), Baha'u'llah, accompagné des membres de sa fa mille parmi lesquels se trouvaient la plus grande Branche (26.41) et Aqay-i-Kalim (26.42), et escorté d'un membre de la garde impériale et d'un officiel représentant la légation russe, quittait Tihran et entreprenait un voyage qui devait le mener à Baghdad.

PHOTO: vue 1 de Baghdad

PHOTO: vue 2 de Baghdad

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NOTE DU CHAPITRE 26:

(26.1) 1852 ap. J-C.

(26.2) "À environ quatre milles au sud-ouest de Kashan, sur les pentes des montagnes, se trouve le palais de Fin, dont les sources constituent depuis longtemps un lieu de repos favori pour la famille royale... Par la suite, un souvenir lugubre est venu se greffer sur le palais de Fin; c'est là en effet, en 1852, que fut mis à mort, par ordre royal, Mirza Taqi Khan, le premier grand ministre du Shah régnant, et beau-frère de celui-ci. Il eut les veines ouvertes dans un bain. Le lieu est à présent abandonné. (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", Vol. Il, p. 16.) "On envoya une femme du harem à la princesse lui dire de sécher ses larmes car le shah s'était laissé fléchir et l'amir retournerait à Tihran ou irait à Karbila, refuge habituel des Persans qui ont perdu la faveur de la cour."
Le khal'at ou veste d'honneur, dit-elle, se trouve en route et arrivera dans une heure ou deux; allez donc prendre un bain et préparez-vous à le recevoir." L'amir, pendant tout ce temps, n avait pas osé quitter le lieu sûr que constituaient l'appartement de la princesse et sa présence. En entendant la bonne nouvelle, cependant, il décida d'écouter le conseil de cette femme et de se permettre le luxe d'un bain.
Il quitta la princesse, qui ne le revit plus jamais. Lorsqu'il parvint au bain, on lui révéla l'ordre fatal et on perpétra le crime. Le farrash-bashi et sa vile clique se présentèrent et lui donnèrent à choisir le mode de mort qu'il souhaitait qu'on lui fit subir.
On dit qu'il endura son sort avec patience et force d'âme. On lui ouvrit les veines, et il finit par expirer. (Lady Sheil: "Glimpses of Life and Manners in Persia", pp. 251-2.)

(26.3) Il avait le titre d'i'timadu'd-dawlih, ou homme de confiance de L'État. (Lady Sheil: "Glimpses of Life and Manners in Persia", p. 249.)

(26.4) 21 avril-21 mai 1852 ap. J-C.

(26.5) Shimiran ou Shimran (quelquefois employé au pluriel, Shimranat) est le nom qu'on donne généralement aux villages et châteaux situés sur les pentes inférieures de l'Elburz et qui servent de résidences d'été aux habitants fortunés de Tihran ("A Traveller's Narrative", p. 81, note 1.)

(26.6) 28 shavval; 15 août 1852 ap. J-C.

(26.7) "Le matin, le roi, sortant du palais, monta à cheval pour aller faire une promenade. Il était précédé, comme de coutume, de gens de l'écurie portant de longues lances, de palefreniers menant des chevaux de main, couverts de housses brodées, et d'un gros de cavaliers nomades, ayant le fusil en bandoulière et le sabre à la selle du cheval.
Afin de ne pas incommoder le prince par la poussière que soulevaient les pieds des chevaux, cette avant-garde avait pris un peu d'avance, et le roi venait seul marchant au pas, à quelque distance de la suite considérable de grands seigneurs, de chefs et d'officiers qui l'accompagnent partout. Il était encore tout près du palais et avait à peine dépassé la petite porte basse du jardin de Muhammad-Hasan, sanduq-dar ou trésorier de l'Épargne, lorsqu'il aperçut sur le bord de la route trois hommes, les trois ouvriers du jardin, debout, deux à sa gauche, un à sa droite, et paraissant l'attendre. Il n'en prit aucun soupçon et continua d'avancer.
Quant il se trouva à leur hauteur, il les vit qui le saluaient profondément, et il les entendit s'écrier tous à la fois: "Nous sommes votre sacrifice! Nous faisons une supplique!" C'est la formule ordinaire. Mais au lieu de rester à leur place, comme c'est l'usage, ils s'avancèrent rapidement vers lui, en répétant précipitamment: "Nous faisons une supplique! "Un peu surpris, le roi s'écria: "Drôles! que voulez-vous?"
En ce moment, l'homme placé à droite saisit la bride du cheval de la main gauche, et de la main droite, armée d'un pistolet, fit feu sur le roi. Dans le même temps, les deux hommes de gauche faisaient feu également. Une des décharges coupa le gland de perles suspendu sous le cou du cheval, une autre cribla de chevrotines le bras droit du roi et ses reins. Aussitôt l'homme de droite se suspendit à la jambe de Sa Majesté, attirant le prince à terre, et il aurait sans nul doute réussi à l'arracher de sa selle, mais les deux assassins de gauche faisaient exactement le même effort, le roi fut maintenu par eux.
Cependant, le prince frappait de son poing fermé sur la tête des uns et des autres, et les sauts de côté ou autres mouvements du cheval épouvanté paralysaient les efforts des Babis et prenaient du temps. Les gens de la suite, d'abord stupéfaits, accoururent. Asadu'llah Khan, grand écuyer, et un cavalier nomade tuèrent à coups de sabre l'homme de droite.
Pendant ce temps, d'autres seigneurs saisissaient les deux hommes de gauche, les renversaient et les garrottaient. Le docteur Cloquet, médecin du roi, aidé de quelques personnes, faisait entrer rapidement le prince dans le jardin de Muhammad-Hasan, sanduq-dar; car on ne comprenait rien à ce qui venait d'arriver, et si l'on avait l'idée de la grandeur du péril, on n'avait aucune notion de son étendue. Ce fut, pendant plus d'une heure, un tumulte épouvantable dans tout Niyavaran.
Tandis que les ministres, le Sadr-i-A'zam en tête, s'empressaient dans le jardin où le roi avait été conduit, les trompettes, les tambours, les tambourins et les fifres appelaient les troupes de tous côtés; les ghulams montaient à cheval ou arrivaient ventre à terre; tout le monde donnait des ordres; personne ne voyait, n'écoutait, n'entendait ni ne savait rien.
Comme on était dans ce désordre, un courrier arriva de Tihran, envoyé par Ardishir Mirza, gouverneur de la ville, pour demander s'il se passait quelque chose, et ce qu'il fallait faire dans la capitale. En effet, dès la veille au soir, le bruit que le roi avait été assassiné avait pris la consistance d'une certitude. Les bazars, parcourus par des troupes de gens armés, dans une attitude menaçante, avaient été quittés par les marchands. Toute la nuit les boutiques des boulangers avaient été environnées, chacun cherchant à faire des provisions pour plusieurs jours.
C'est l'usage lorsqu'on prévoit des troubles. Enfin, à l'aube, le tumulte augmentant, Ardishir Mirza avait fait fermer les portes de la citadelle et de la ville, mis les régiments sous les armes et placé ses canons en batterie, mèche allumée, bien qu'il ne sût pas, en réalité, à quel ennemi il avait affaire et il demandait des ordres." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 231-3.)

(26.8) Lord Curzon, qui considère cet événement comme étant "fort injustement confondu avec une conspiration anarchique et révolutionnaire", écrit ce qui suit: "On a déduit par erreur, du fait que le Babisme dès ses premiers jours se trouva en conflit avec les pouvoirs civils et qu'un attentat a été fait par des Babis contre la vie du Shah, que ce mouvement était d'origine politique et avait un caractère nihiliste.
De l'étude des écrits du Bab ou de ses successeurs, il n'apparaît rien qui puisse fonder un tel soupçon. La persécution du gouvernement entraîna très tôt les adeptes de la nouvelle croyance vers une attitude de rébellion; et il n'est pas surprenant que, dans l'exaspération produite par la bataille et par la féroce brutalité avec laquelle les vainqueurs exercèrent les droits de la conquête, que des mains fanatiques aient été prêtes à abattre le souverain.
A présent, les Babis sont également loyaux envers n importe quel sujet de la couronne. Il n'apparaît pas non plus que les accusations de socialisme, de communisme et d'immoralité, qu'on a si gratuitement portées contre la jeune croyance, soient plus justifiées. Certes, aucune idée de communisme tel qu'il est conçu en Europe, je veux dire une redistribution forcée de la propriété, ou de socialisme dans le sens qu'on lui prête au dix-neuvième siècle, c'est-à-dire la victoire du travail sur le capital, n'est jamais passée par l'esprit du Bab ou de ses disciples.
Le seul communisme connu de lui et qu'il recommande est celui du Nouveau Testament et de l'Église chrétienne primitive, c'est-à-dire le partage des biens en commun par les membres de la foi et la pratique de l'aumône, ainsi qu'une généreuse charité. L'accusation d'immoralité semble procéder en partie des inventions malveillantes de l'adversaire, d'une plus grande liberté que réclamait le Bab pour les femmes, liberté que l'esprit oriental dissocie à peine de la conduite libertine...
Considéré de plus haut, le Babisme peut être défini comme une croyance de charité, et presque d'humanité ordinaire. L'amour fraternel, la gentillesse envers les enfants, la courtoisie liée à la dignité, la sociabilité, l'hospitalité, l'absence de bigoterie, l'amitié même envers les chrétiens, se retrouvent dans ses principes. De là à dire que chaque Babi reconnaît ou observe ces préceptes constituerait une assertion absurde; mais jugeons un prophète par ce qu'il prêche, si l'on met en question son évangile." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", pp. 501-2.)

(26.9) Voir glossaire.

(26.10) Le Prince Dolgorouki.

(26.11) "Lorsque j'étais enchaîné et entravé dans la prison de là, l'un de tes ambassadeurs m'a aidé. Pour cela Dieu a décrété pour toi une station que personne sinon Lui ne peut saisir. Prends garde à ce que tu n altères cette station élevée." (Tablette de Baha'u'llah au Tzar de Russie.)

(26.12) Renan, dans son ouvrage intitulé "Les Apôtres" (p. 378), caractérise le grand massacre de Tihran qui suivit l'attentat contre la vie du shah comme "un jour sans pareil peut-être dans l'histoire du monde." (Introduction de E.G. Browne à "A Traveller's Narrative", p. 45.) "Le nombre des martyres qui eurent lieu en Perse a été estimé à dix mille. [Cette estimation est moyenne. Beaucoup en fixent le nombre de vingt à trente mille, et quelques-uns encore davantage.] La plupart de ces martyres eurent lieu durant les premiers jours de l'histoire de la foi, mais ils ont continué, bien que la fréquence en soit diminuée, jusqu'à nos jours." (M.H.Phelps: "Life and Teachings of 'Abbas Effendi", introduction, p. 36.)
"Parmi les documents en ma possession et qui se rapportent aux Babis, se trouve une copie manuscrite d'un article en allemand publié le 17 octobre 1852 dans le n0 291 d'un journal allemand ou autrichien dont on ne cite malheureusement pas le nom. Je pense l'avoir reçu il y a bien quelques années de la veuve de feu le Dr. Polak, docteur autrichien, qui était le médecin de Nasiri'd-Din Shah au début du règne de celui-ci, et qui est 1 auteur d un précieux ouvrage et de plusieurs petits traités sur la Perse et les questions qui s'y rapportent. L'article en question se fonde principalement sur une lettre écrite le 29 août 1852 par un officier autrichien, capitaine Von Goumoens, qui était au service du Shah mais qui fut si dégoûté et horrifié par les cruautés qu'il devait constater qu'il envoya sa démission.
La traduction de cet article est la suivante: "Il y a quelques jours, nous avons évoqué l'attentat contre le shah de Perse, lors d'une partie de chasse. Les conspirateurs, comme l'on sait, appartenaient à la secte religieuse des Babis. Concernant cette secte et les mesures répressives prises contre elle, la lettre du capitaine autrichien Von Goumoens publiée récemment dans 1' 'Ami du Soldat" (Soldatenfreund) contient d'intéressantes révélations et explique, dans une certaine mesure, l'attentat en question;
Voici le texte de cette lettre: "Tihran, le 29 août 1852. Cher ami, Ma dernière lettre du 20 courant mentionnait l'attentat contre le Roi. Je m'en vais à présent te communiquer le résultat de l'interrogatoire auquel les deux criminels ont été soumis. En dépit des terribles tortures qu'on leur a infligées, l'interrogatoire ne leur a pas arraché de confession compréhensible; la bouche des fanatiques est restée close, même lorsqu'on a tenté, au moyen de pinces rougies au feu et de vis qui percent les membres, de découvrir le nom des conspirateurs...
Mais suis-moi, mon ami, toi qui prétends posséder un coeur et l'éthique européenne, suis-moi pour voir les malheureux qui, les yeux exhorbités, doivent manger, sur la scène de l'acte, sans aucune sauce, leurs propres oreilles amputées; ou bien ceux dont les dents sont arrachées avec une violence inhumaine par la main du bourreau; ou ceux dont le crâne nu est simplement écrasé par les coups d'un marteau; ou bien l'endroit où le bazar est illuminé par de malheureuses victimes car, à droite et à gauche, le peuple creuse de profonds trous dans leurs poitrines et leurs épaules, et introduit des mèches brûlantes dans leurs blessures.
J'en ai vu quelques-uns traînés, enchaînés, à travers le bazar, précédés par une bande de militaires, et chez qui ces mèches avaient causé de si profondes brûlures que la graisse moussait convulsivement dans la blessure à la manière d'une lampe qu'on vient d'éteindre. Il n'est pas rare de voir l'ingéniosité infatigable des Orientaux découvrir de nouvelles tortures.
Ils dépècent les plantes des pieds des Babis, plongent les blessures dans de l'huile bouillante, ferrent les talons comme on le fait pour le sabot d'un cheval, et obligent la victime à courir. Aucun cri ne s'échappe du sein de la victime; le tourment est enduré dans un profond silence par le fanatique privé de sensation; il doit alors courir; le corps ne peut endurer ce que l'âme a enduré; il tombe.
Donnez-lui le coup de grâce! Libérez-le de sa souffrance! Non! Le bourreau fait siffler le fouet, et - j'ai dû moi-même le voir - la malheureuse victime de centaines de tortures court! C'est le début de la fin. Quant à la fin elle-même, ils pendent les corps grillés et perforés par les mains et les pieds à un arbre, la tête vers le bas, et alors chaque Persan peut essayer à volonté sa qualité de tireur, à partir d'une distance déterminée mais non trop proche, sur la noble proie mise à sa disposition. J'ai vu des corps criblés par près de cent cinquante balles...
Quand je relis ce que j'ai écrit, l'idée m'envahit que ceux qui sont avec toi dans notre bien-aimée Autriche pourraient douter de l'absolue vérité de l'image, et m'accuser d'exagération. Plût à Dieu que je n'eusse pas vécu pour le voir! Mais, de par les devoirs de ma profession, j'ai été malheureusement souvent, trop souvent, témoin de ces abominations. À présent, je ne quitte plus jamais ma maison, afin de ne pas assister à de nouvelles scènes d'horreur. Après leur mort, les Babis sont coupés en deux et soit cloués à la porte de la ville, soit jetés dans la plaine comme nourriture aux chiens et aux chacals. Ainsi, le châtiment dépasse même les limites qui entourent ce monde cruel, car les musulmans qui ne sont pas enterrés n'ont pas le droit d'entrer au paradis du Prophète.
Puisque mon âme tout entière se révolte contre une telle infâmie, contre des abominations comme celles qui, selon l'avis de tous, ont été récemment perpétrées, je ne resterai plus en rapport avec la scène de tels crimes." (Il ajoute qu'il a déjà demandé à être déchargé de ses fonctions, mais qu'il n'a pas encore reçu de réponse.) (E.G. Browne: "Materials for the Study of the Babi Religion", pp. 267-71.)
"Ardishir Mirza eut à agir conséquence. Il maintint la fermeture des portes et les fit occuper par des piquets d'infanterie, en donnant l'ordre aux gardiens d'examiner avec soin la physionomie de ceux qui se présenteraient pour quitter la ville; et, tandis que l'on poussait la population à monter sur le rempart, près de la porte de Shimiran, pour voir, sur le terre-plein devant le pont qui traverse le fossé, le corps mutilé de Sadiq, le prince-gouverneur réunit le Kalantar, ou préfet de police, le Vazir de la ville, le Darughih ou juge de police, et les chefs des quartiers, et leur donna l'ordre de rechercher et d'arrêter toutes les personnes soupçonnées de Babisme.
Comme personne ne pouvait quitter la ville, on attendit la nuit pour commencer cette chasse au furet, où il fallait surtout de l'adresse et de la ruse. La police à Tihran, comme dans toutes les villes d'Asie, est très bien organisée. C'est un legs des Sassanides, que les Khalifs arabes ont précieusement conservé; et comme il était de l'intérêt direct de tous les gouvernements, si mauvais qu'ils fussent, et des pires encore plus que des autres, de le maintenir, il est resté, pour ainsi dire, intact au milieu des ruines de tant d'autres institutions également excellentes qui ont périclité.
Il faut donc savoir que chaque chef de quartier, correspondant directement avec le Kalantar, a sous ses ordres un certain nombre d'hommes appelés sar-ghishmihs, sergents de ville, qui, sans costume particulier ni marque distinctive, ne quittent jamais les rues dont la surveillance leur est attribuée. Ils sont généralement bien vus des habitants et vivent familièrement avec le peuple. Ils rendent toutes sortes de services à chacun, et la nuit, couchés, hiver comme été, sous l'auvent de la première boutique venue, sans souci de la pluie ni de la neige, ils veillent sur les propriétés et rendent les vols fort rares, parce qu'ils les rendent fort difficiles.
Du reste, ils connaissent les habitudes et les habitués de toutes les maisons, de manière à guider immédiatement les recherches en cas de besoin; ils savent les idées, les opinions, les accointances, les liaisons de chacun; et quand on invite à dîner trois amis, le sar-ghishmih, sans-même y mettre d'espionnage, tant il est familier avec tout le monde, sait à quelle heure les convives arrivent, ce qu ils ont mangé, ce qu'ils ont fait et dit, et à quelle heure ils se sont retirés. Les kad-khudas ou chefs des quartiers prévinrent ces agents d'avoir à surveiller les Babis de leurs circonscriptions respectives, et on attendit." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 234-5.)

(26.13) Nom du donjon, qui signifie "Trou noir"

(26.14) L'Imam Husayn.

(26.15) "S'il t'arrivait de visiter la prison de Sa Majesté le Shah, demande au directeur et chef de
ce lieu de te montrer ces deux chaînes, dont l'une est connue sous le nom de Qara-Guhar et l'autre sous celui de Salasil. Je jure par l'Etoile matinale de Justice que, durant quatre mois, je fus écrasé et tourmenté par l'une de ces chaînes." "La tristesse de Jacob pâlit devant mon chagrin; et toutes les afflictions de Job ne furent qu'une partie de mes calamités." ("l'Épître au fils du Loup", p. 57.) "Quant à la façon persane d'emprisonner les gens, elle est aussi différente de la nôtre que le sont les peines. Il n'y a pas de peines semblables aux travaux forcés à vie, ou même pour quelques années; comme sentence, on ne connaît pas les travaux forcés; et les emprisonnements pour une longue période sont rares.
Il y a habituellement une session de cour d'assises au début de chaque nouvelle année; et lorsqu'un nouveau gouverneur est désigné, il n'est pas rare de vider les prisons qu'avait remplies son prédécesseur; seul un ou deux cas de la pire espèce, peut-être, sont condamnés à mort afin de créer une impression de force salutaire. Il n'y a pas de prison pour femmes, celles-ci étant détenues, comme le sont d'ailleurs les criminels de rang élevé, chez un prêtre.
On dit qu'il y a trois sortes de prisons à Tihran: les cellules souterraines sous l'Arche, où auraient été détenus des criminels accusés de conspiration ou de haute trahison; la prison de la ville, où l'on peut voir les criminels ordinaires avec des colliers de fer autour du cou, qui ont parfois leurs pieds dans des ceps, et qui sont attachés les uns aux autres par des chaînes en fer; et la prison privée qui est souvent une dépendance des demeures des grands.
On verra que la théorie persane de la justice, telle qu'elle s'exprime dans les sentences judiciaires, dans la mise à exécution des peines et dans le code de la prison, est une procédure stricte et rapide, dont l'objet est le châtiment (d'une certaine façon, aussi équivalente que possible à l'offense originale), mais en aucun sens le retour à une vie honnête du prévenu." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol 1, pp. 458-9.)

(26.16) "Nous n'avions rien à voir avec cet acte odieux, et notre innocence fut irréfutablement prouvée devant les tribunaux. Néanmoins, on nous arrêta et on nous conduisit à la prison de Tihran, de Niyavaran, qui était alors le siège de la résidence royale; à pied, enchaînés, les pieds et la tête nus, car un suiveur brutal qui nous accompagnait à cheval arracha de notre tête notre chapeau, et plusieurs bourreaux et farrashs nous faisaient avancer à grande vitesse; et l'on nous mit pour quatre mois dans un endroit dont on n'a jamais vu le pareil. En réalité, une cellule étroite et sombre était de loin meilleure que le lieu où cet opprimé et ses compagnons furent emprisonnés. Lorsque nous entrâmes dans la prison, à notre arrivée, on nous conduisit à travers un sombre corridor, et nous descendîmes trois marches abruptes pour aller dans le donjon auquel on nous destinait.
L'endroit était sombre, et ses pensionnaires étaient au nombre d'environ cent cinquante - voleurs, assassins et brigands de grand chemin. Puisqu'il hébergeait une pareille foule, il ne présentait comme issue que le passage par lequel nous entrâmes. La plume ne saurait décrire cet endroit et sa puanteur. La plupart des gens qui s'y trouvaient n'avaient pas de vêtements pour se couvrir ni de nattes pour se coucher. Dieu sait ce que nous endurâmes dans ce lieu ténébreux et répugnant! Jour et nuit, dans cette prison, nous ne faisions que réfléchir sur la condition des Babis, leurs faits et gestes et leurs affaires, nous étonnant de ce que, malgré leur grandeur d'âme, leur noblesse et leur intelligence, ils aient pu commettre un acte aussi audacieux que celui d'attenter à la vie du souverain.
Alors cet Opprimé décida qu'après être sorti de cette prison, il se lèverait et ferait le maximum d'efforts pour régénérer ces âmes. Une nuit, dans un rêve, nous entendîmes de tous côtés ces paroles très glorieuses: "En vérité nous t'aiderons à triompher par toi-même et par ta plume. Ne t'attriste pas de ce qui t'est advenu, et ne crains rien. En vérité tu es de ceux qui sont en sûreté. Bientôt le Seigneur fera surgir et révèlera les trésors de la terre, des hommes qui t'assureront la victoire par toi-même et par ton nom grâce auquel le Seigneur a vivifié le coeur de ceux qui savent." ("l'Épître au fils du Loup",: référence de Baha'u'llah au siyah-chal".)
'Abdu'l-Baha", écrit le Dr. JE. Esslemont, "nous dit comment un jour il fut autorisé à entrer dans la cour de la prison de son père bien-aimé lors de sa sortie pour son exercice quotidien.
Baha'u'llah avait terriblement changé, Il était si malade qu'il pouvait à peine marcher, sa chevelure et sa barbe étaient en désordre. Son cou était écorché et enflé par la pression du lourd collier en acier, son corps recourbé sous le poids de ses chaînes, et cette vision laissa une impression ineffaçable sur l'esprit de l'enfant sensible." ("Baha'u'llah et l'Ère nouvelle", p. 34 et 35, Ed. 1972.)

(26.17) "On fit attacher le corps de Sadiq, le Babi qui avait été tué, à la queue d'un mulet, et on le traîna à travers les pierres jusqu'à Tihran, afin que toute la population pût voir que les conjurés avaient manqué leur coup. En même temps, on envoya des messagers à Ardishir Mirza, pour lui dicter ce qu'il avait à faire." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 234.)

(26.18) "Ce fut à cette occasion que Mirza Aqa Khan, le Grand vazir, dans le but de répartir la responsabilité du châtiment et d'amenuiser les chances de vengeance sanglante, conçut l'extraordinaire idée d'assigner aux principaux ministres, généraux et officiers de la cour, ainsi qu'aux représentants du clergé et de la classe marchande, la tâche d'exécuter les nombreux criminels. Le ministère des Affaires étrangères en tua un, le ministre de l'Intérieur un autre, l'intendant des écuries un troisième, et ainsi de suite." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", p. 402, note 2.)

(26.19) "Son Excellence décida de répartir l'exécution des victimes entre les différents départements de l'État; l'unique personne qu'il exempta fut lui-même. Il y eut d'abord le Shah, qui avait droit au qisas, ou revanche légale, pour sa blessure. Afin de sauver la dignité de la couronne, l'intendant de la cour tira, en tant que représentant du Shah, le premier coup de feu sur le conspirateur qu'on lui avait choisi pour victime, et ses adjoints, les farrashs, achevèrent le travail. Le fils du Premier ministre se trouvait à la tête du ministère de l'Intérieur, et tua un autre Babi. Vint alors le tour du ministère des Affaires étrangères.
Le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, un homme pieux et naïf, qui passait son temps à lire avec grande attention les traditions attribuées à Muhammad, donna, le visage détourné, le premier coup d'épée, suivi par le sous-secrétaire d'État et par les employés du ministère des Affaires étrangères, qui mirent en morceaux leur victime. Le clergé, les marchands, l'artillerie, l'infanterie, eurent chacun le Babi qu'on leur avait assigné. Même l'admirable médecin français du Shah, feu et regretté Dr. Cloquet, fut invité à prouver sa loyauté en suivant l'exemple du reste de la cour. Il s'excusa et dit avec enjouement qu'il tuait trop d'hommes de par sa profession pour pouvoir se permettre d'en augmenter le nombre par un homicide volontaire.
Il rappela au sadr que ces procédés barbares et inouïs étaient non seulement révoltants en soi, mais produisaient la plus grande horreur et le plus grand dégoût en Europe. Là-dessus, le sadr, fort irrité, demanda avec colère: "Désirez-vous que la vengeance de tous les Babis s'accumule sur ma tête seule?" Ce qui suit est un extrait de la "Gazette de Tihran" de ce jour-là et servira comme exemple d'un "éditorial" persan: "Quelques individus dépravés, sans principes, dépourvus de religion, sont devenus disciples du maudit Siyyid 'Ali-Muhammad Bab qui, il y a quelques années, inventa une nouvelle religion et qui, par la suite, a trouvé la mort.
Ils étaient incapables de prouver la vérité de leur foi, dont l'erreur était manifeste. Par exemple nous n'avons trouvé, dans beaucoup de leurs livres qui nous sont tombés sous la main, que pure infidélité. Dans des discussions verbales également, ils n'ont jamais pu défendre leur religion, qui semblait seulement en état d'entrer en contestation avec le Tout-Puissant. Ils ont alors commencé à aspirer à la souveraineté et à s'efforcer de soulever des insurrections, espérant tirer profit de la confusion et piller les biens de leurs voisins. Une maudite et misérable clique dont le chef, Mulla Shaykh 'Ali de Turshiz, se donna le titre d'adjoint de l'ex-Bab, et qui s'appropria le titre de Haute Majesté, réunit autour d'elle quelques ex-compagnons du Bab.
Par la séduction elle amena à sa cause quelques débauchés licencieux dont l'un était Haji Sulayman Khan, fils de feu Yahya Khan de Tabriz. Chez ce Haji, on avait l'habitude de tenir des réunions de consultation et de projeter un attentat à la vie heureuse de Sa Majesté. Douze d'entre eux, qui étaient volontaires pour commettre l'acte, furent choisis pour mettre le plan à exécution et, à chacun d'eux, on donna des pistolets, des poignards, etc. On décida que ces douze hommes se rendraient à la résidence du Shah à Niyavaran et attendraient l'occasion."
Alors suit un récit de l'attaque, que j'ai déjà donné avec suffisamment de détails. "Six personnes, dont les crimes n'étaient pas si clairement prouvés, furent condamnées à l'emprisonnement à vie; les autres furent réparties entre le clergé, les docteurs de la loi, les serviteurs en chef de la cour, les gens de la ville, les marchands, les commerçants, les artisans, qui leur réservèrent ce qu'ils méritaient de la façon suivante: Les mullas, les prêtres et le corps d'érudits tuèrent Mulla Shaykh Ah, le représentant du Bab, qui s'était donné le titre de Majesté Impériale et qui était l'auteur de cette atrocité.
Les princes tuèrent Siyyid Hasan, du Khurasan, un homme connu pour sa dépravation, à coups de pistolets, d'épées et de poignards. Le ministre des Affaires étrangères, plein de zèle religieux et moral, se chargea du premier coup donné à Mulla Zaynu'l-'Abidin de Yazd, et les secrétaires de son département l'achevèrent et le mirent en morceaux.
Le Nizamu'l-Mulk (fils du Premier ministre) tua Mulla Husayn. Mirza 'Abdu'l-Vallab, de Shiraz, qui était l'un des douze assassins, fut tué par le frère et les fils du Premier ministre; les autres parents de celui-ci le mirent en morceaux. Mulla Fathu'llah, de Qum, qui tira le coup de feu qui blessa la personne du roi, fut tué de cette façon: Au milieu du camp royal, on plaça des chandelles dans son corps (après avoir fait des incisions), et on les alluma.
L'intendant de la cour le blessa à l'endroit même où il avait blessé le Shah, puis les assistants le lapidèrent. Les nobles de la cour envoyèrent Shaykh 'Abbas de Tihran en enfer. Les assistants personnels du shah mirent à mort Muhammad-Baqir, l'un des douze. L'intendant des écuries du shah et les serviteurs des écuries ferrèrent Muhammad Taqi de Shiraz, et l'envoyèrent ensuite rejoindre ses compagnons. Les maîtres des cérémonies et les autres nobles, ainsi que leurs représentants, tuèrent Muhammad de Najaf-Abad au moyen de cognées et de massues, et l'envoyèrent dans les profondeurs de l'enfer.
Les artilleurs arrachèrent d'abord les yeux à Muhammad-'Ali de Najaf-Abad, puis le projetèrent par la gueule d'un mortier. Les soldats transpercèrent Siyyid Husayn de Milan au moyen de leurs baïonnettes, et l'envoyèrent en enfer. La cavalerie tua Mirza Rafi'. L'adjudant en chef, les généraux et les colonels tuèrent Siyyid Husayn." (Lady Sheil: "Ghimpses of Life and Manners in Persia", pp. 277-81.) "On vit, on vit alors, on vit ce jour-là, dans les rues et les bazars de Tihran, un spectacle que la population semble devoir n'oublier jamais. Quand la conversation, encore aujourd'hui, se met sur cette matière, on peut juger de l'admiration horrible que la foule éprouva et que les années n'ont pas diminuée.
On vit s'avancer, entre les bourreaux, des enfants et des femmes, les chairs ouvertes sur tout le corps, avec des mèches allumées flambantes fichées dans les blessures. On traînait les victimes par des cordes et on les faisait marcher à coup de fouet. Enfants et femmes s'avançaient en chantant un verset qui dit: "En vérité, nous venons de Dieu et nous retournons à Lui !"Leurs voix s'élevaient éclatantes au-dessus du silence profond de la foule, car la population Tihrani n'est ni méchante ni très croyante à l'Islam. Quand un des suppliciés tombait et qu'on le faisait relever, à coups de fouets ou de baïonnettes, pour peu que la perte de sang, qui ruisselait sur tous ses membres, lui laissât encore un peu de force, il se mettait à danser et criait avec un surcroît d'enthousiasme: "En vérité, nous sommes à Dieu et nous retournons à Lui !"
Quelques-uns des enfants expirèrent dans le trajet. Les bourreaux jetèrent leurs corps sous les pieds de leurs pères et de leurs soeurs, qui marchèrent fièrement dessus et ne leur donnèrent pas deux regards. Quand on arriva au lieu d'exécution, près de la Porte-Neuve, on proposa encore aux victimes la vie pour leur abjuration, et, ce qui semblait difficile, on trouva même à leur appliquer des moyens d'intimidation. Un bourreau imagina de dire à un père que, s'il ne cédait pas, il couperait la gorge à ses deux fils sur sa poitrine. C'étaient deux petits garçons dont l'aîné avait 14 ans, et qui, rouges de leur propre sang, les chairs calcinées, écoutaient froidement le dialogue; le père répondit, en se couchant par terre, qu'il était prêt, et l'aîné des enfants réclamant avec emportement son droit d'aînesse, demanda à être égorgé le premier.
Il n'est pas impossible que le bourreau lui ait refusé cette dernière satisfaction. Enfin, tout fut achevé; la nuit tomba sur un amas de chairs informes; les têtes étaient attachées en paquets au poteau de justice, et les chiens des faubourgs se dirigeaient par troupes de ce côté. Cette journée donna au Bab plus de partisans secrets que bien des prédications n'auraient pu faire. Je l'ai dit tout à l'heure, l'impression produite sur le peuple par l'effroyable impassibilité des martyrs fut profonde et durable.
J'ai souvent entendu raconter les scènes de cette journée par des témoins oculaires, par des hommes tenant de près au gouvernement, quelques-uns occupant des fonctions éminentes. A les entendre, on eut pu croire aisément que tous étaient Babis, tant ils se montraient pénétrés d'admiration pour des souvenirs où l'Islam ne jouait pas le beau rôle, et par la haute idée qu'ils avouaient des ressources, des espérances et des moyens de succès de la secte." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 248-50.)
"Ces exécutions n'étaient pas simplement criminelles mais stupides. La barbarie des persécuteurs anéantissait leurs propres espérances et, au lieu d'inspirer la terreur, donnait aux martyrs une occasion d'exhiber une héroïque force d'âme qui a fait bien plus que n'importe quelle propagande, quelque habile qu'elle fût, pour assurer le triomphe de la cause pour laquelle ils mouraient... L'impression produite par de telles exhibitions de courage et d'endurance fut profonde et durable; que dis-je, la foi qui inspira les martyrs fut souvent contagieuse, comme le montre l'incident suivant.
Un certain Yazdi, rude, connu pour son caractère sauvage et sa vie désordonnée, vint assister à l'exécution de quelques Babis, peut-être avec l'intention de se moquer d'eux. Mais lorsqu'il vit avec quel calme et quelle force d'âme ceux-ci faisaient face à la torture et à la mort, ses sentiments subirent un si grand revirement qu'il se précipita en avant et s'écria: "Tuez-moi aussi! Je suis également Babi!" Et il continua ainsi à crier jusqu'à ce qu'il dût aussi partager le sort de ceux qu'il était simplement venu voir." (E.G. Browne: "A Year amongst the Persians", pp. 111-12.)

(26.20) D'après Samandar (manuscrit, p. 2), Sulayman Khan parvint en présence du Bab au cours du pèlerinage de celui-ci à La Mecque et à Médine.

(26.21) Voir glossaire.

(26.22) Voir glossaire.

(26.23) Titre d' 'Abdu'l-Baha.

(26.24) Voir glossaire.

(26.25) Il s'appelait Haji 'Ali Khan (Voir A Traveller's Narrative", p. 52, note 1.)

(26.26) L'Imam Ali.

(26.27) Qur'an, 21: 69.

(26.28) "L'extraordinaire héroïsme avec lequel Sulayman Khan supporta ces tortures effrayantes est remarquable, et à maintes reprises j'ai entendu raconter qu'il ne cessa pas, durant la longue agonie qu'il endura, d'affirmer sa joie d'avoir été trouvé digne de subir le martyre pour la cause de son maître. Il chantait même et récitait des vers de poésie, dont les suivants: "Je suis revenu! Je suis revenu! Je suis venu par la voie de Shiraz! Je suis venu avec des airs et des grâces séduisantes! Telle est la folie de l'amant!"
"Pourquoi ne danses-tu pas," demandèrent les bourreaux avec ironie, puisque tu trouves la mort si agréable?" "Danse! s'écria Sulayman Khan. La coupe de vin dans une main, les tresses de l'Ami dans l'autre. Une telle danse au milieu de la place du marché est mon désir!" ("A Traveller's Narrative", Note T, pp. 333-4.)
Il fut martyrisé en août 1852." Lorsqu'on arrêta Sulayman Khan et qu'on s'efforça, étant donné ses fidèles services et sa loyauté, de l'inciter, par des promesses de récompenses de la part du roi, à abandonner la foi qu'il avait adoptée, il ne consentit point et répondit fermement: Sa Majesté le Roi a le droit d'exiger de ses serviteurs fidélité, loyauté et droiture; mais il n'est pas qualifié pour se mêler de leurs convictions religieuses."
En conséquence de la hardiesse de son discours, on donna l'ordre que son corps fût percé de blessures et que, dans chacune de celles-ci, on introduisît une chandelle allumée pour que cela servît d'exemple aux autres. Une autre victime fut l'objet d'un traitement similaire. On le mena dans cet état, précédé de ménestrels et de tambours, à travers les bazars alors que lui, pendant ce temps, ne cessait de répéter, le visage souriant, ces versets:

"Heureux celui qui est si enivré par l'amour
Qu'il parvient à peine à savoir
Si, aux pieds du Bien-Aimé,
Il doit jeter la tête ou le turban!"

Chaque fois que l'une des chandelles tombait de son corps, il la ramassait de sa propre main, l'allumait au moyen des autres, et la remettait en place. Les bourreaux, en le voyant si exultant et si ravi, dirent: "Si tu es si avide de martyre, pourquoi ne danses-tu pas?" Alors il commença à sautiller et à chanter des vers appropriés à son état:

"Une oreille qui n'est plus insensibilisée par l'ignorance
et qui s'est vaincue a le droit de danser.
Les stupides dansent et bondissent sur la place du marché;
Les hommes dansent alors que leur sang s'écoule à profusion.
Lorsque le soi est tué, ils applaudissent allègrement
Et dansent, car du mal ils sont libérés."

On conduisit ainsi ces deux hommes jusqu'à la porte de Shah 'Abdu'l-'Azim. Lorsqu'on se mit à scier en deux ce brave homme, il étendit le pied sans peur ni hésitation alors qu'il récitait ces vers:

"Pour moi ce corps a peu de valeur;
L'esprit d'un brave homme dédaigne sa maison terrestre.
Le poignard et l'épée ressemblent au parfum du baume,
ou à des fleurs qui recouvrent de leur éclat le banquet de la mort."
("Le Tarikh- i-Jadid", pp. 228-30.)


(26.29) "Si le rappel du passé dans lequel je me suis complu a imposé à notre attention une conclusion plutôt qu'une autre, c'est qu'une dévotion sublime et paisible a été inculquée par cette nouvelle foi, quelle qu'elle soit. Il n'y a, je crois, qu'un seul cas où un Babi ait rejeté sa foi sous la pression ou la menace de souffrances; il est revenu à sa foi primitive et fut exécuté dans les deux ans. Des récits d'un magnifique héroïsme illuminent les pages entachées de sang de l'histoire Babie. Ignorants et illettrés comme beaucoup de ses fidèles le sont, et l'ont été, ils sont cependant prêts à mourir pour leur religion, et les feux de Smithfield n'ont pu allumer un courage plus noble que celui qu'ont rencontré et défié les plus raffinés des bourreaux de Tihran.
Les principes d'une foi qui peut éveiller chez ses disciples un esprit de sacrifice aussi rare et aussi beau ne doivent pas, par conséquent, être de peu de valeur... Ce sont ces petits incidents, faisant ressortir de temps en temps leurs traits hideux, qui prouvent que la Perse n'a pas encore totalement retrouvé ses droits et que quelque chose rend perplexes ceux qui parlent avec extravagance de la civilisation iranienne." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question", vol. 1, p. 501.)

(26.30) "Elle y resta longtemps, recevant de nombreuses visites tant d'hommes que de femmes: elle passionnait ces dernières en leur démontrant le rôle abject que l'Islam leur assignait: elle les séduisait en leur démontrant la liberté et le respect que la nouvelle religion leur accordait, et il y eut bien des scènes de ménage dont les maris ne sortirent pas toujours vainqueurs.
Ces discussions eussent pu durer longtemps si Mirza Aqa Khan-i-Nuri n'avait pas été nommé Sadr-i-A'zam. Le premier ministre, en effet, donna l'ordre à Haji Mulla Mirza Muhammad Andirmani et à Haji Mulla 'Ali Kini d'aller la voir pour examiner ses croyances. Il y eut sept conférences entre les deux hommes et la prisonnière: elle y discuta avec passion et affirma que le Bab était l'Imam promis et attendu. Ses adversaires 1ui firent alors remarquer qu'en vertu des prophéties, l'Imam promis devait venir de Jabulqa et de Jabulsa.
Elle leur répondit violemment que cela était faux et inventé par de faux traditionalistes; que ces deux villes n'existaient pas et que ce ne pouvait être là qu'une superstition digne d'un cerveau maladif. Elle exposa la nouvelle doctrine, en fit ressortir la vérité, mais se heurtait toujours au même argument du Jabulqa.
Impatiente, elle leur dit: "Les raisonnements que vous tenez sont d'un enfant ignare et stupide. Jusques à quand vous arrêterez-vous à ces insanités, à ces mensonges: Quand donc élèverez-vous vos regards jusqu'au Soleil de la Vérité?" Outré du blasphème, Haji Mulla 'Ali se leva et entraîna son compagnon en lui disant: "Quelles discussions plus longues pouvons-nous avoir avec une infidèle." Ils se rendirent chez l'un d'eux et rédigèrent la sentence qui, constatant son apostasie et son refus d'en faire pénitence, la condamnait à mort au nom du Qur'an!" (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 446-7.)

(26.31) "Pendant qu'elle était prisonnière, eut lieu dans la maison le mariage du fils du Kalantar. Toutes les femmes des grands personnages s'y trouvèrent naturellement conviées. Mais, quoiqu'on eût fait de grandes dépenses pour réunir tous les divertissements usités en la circonstance, elles réclamèrent à grands cris qu'on fît venir Qurratu'l-'Ayn. À peine celle-ci se fut-elle présentée et eut-elle commencé à parler qu'on renvoya musiciennes et danseuses, et qu'oubliant toutes les sucreries dont elles sont si friandes, ces dames n'eurent plus de regards et d'attention que pour Qurratu'h-'Ayn." (Ibid., p. 448.)

(26.32) Mahmud Khan-i-Kalantar, sous la surveillance de qui elle fut placée.

(26.33) Voir glossaire.

(26.34) "En face de la Légation d'Angleterre et de l'Ambassade de Turquie s'étendait une place assez vaste qui a disparu depuis 1893. Vers le milieu de cette place, mais rentrant dans l'alignement de la rue, s'élevaient cinq ou six arbres solitaires marquant l'endroit où mourut l'héroïne Babie, car à cette époque le jardin d'lhKhanf s'étendait jusque là. A mon retour, en 1898, la place avait disparu, envahie par les constructions modernes, et je ne sais si l'acquéreur actuel a respecté ces arbres qu'une main pieuse avait plantés." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab" p. 452.)

(26.35) Août 1852 ap. J.-C.

(26.36) Voir Journal of the Royal Asiatic Society, 1889, article 6, p. 492.

(26.37) 1817-18 ap. J.-C.

(26.38) La beauté et les femmes se consacrèrent aussi à la nouvelle croyance, et l'héroïsme de la charmante mais infortunée poétesse de Qazvin, Zarrin-Taj (Couronne d'Or) ou Qurratu'l- 'Ayn (Consolation des Yeux) qui, se débarrassant du voile, porta au loin la torche du missionnaire, constitue l'un des épisodes les plus touchants de l'histoire contemporaine." (Lord Curzon: "Persia and the Persian Question," vol. 1, p. 497, note 2.)
"Aucune mémoire n'est plus profondément vénérée ou plus profondément enthousiasmante que la sienne, et l'influence qu'elle exerça durant sa vie est restée vivace chez les femmes." (Valentine Chirol: "The Middle Eastern Question", p. 124.) "L'apparition d'une femme telle que Qurratu'l- 'Ayn est, dans quelque pays et à quelque époque que ce soit, un phénomène rare, mais dans un pays comme la Perse elle constitue un prodige - que dis-je, presqu'un miracle.
Elle demeure incomparable et immortelle parmi ses compatriotes (femmes) tant par sa merveilleuse beauté que par ses talents intellectuels rares, son éloquence passionnée, son dévouement intrépide et son glorieux martyre. Si la religion Babie ne revendiquait, pour appuyer sa grandeur, que le fait d'avoir produit une héroïne comme Qurratu'l-'Ayn, cela suffirait. ("A Traveller's Narrative", note Q, p. 213.) La poétesse Qurratu'l-'Ayn était à peu de chose près la figure la plus remarquable du mouvement tout entier. On la connaissait pour sa vertu, sa piété et son savoir; elle avait été finalement convertie par la lecture de quelques versets et exhortations du Bab.
Elle devint si ferme dans sa foi que, malgré sa richesse et sa noblesse, elle abandonna biens, enfants, nom et position pour servir son maître et se mettre à proclamer et à établir sa doctrine... La beauté de son discours était telle qu'elle faisait préférer à ses hôtes la mélodie de la voix de l'hôtesse aux festivités du mariage, et ses vers sont parmi les plus émouvants de la poésie persane." (Sir Francis Younghusband: "The Gheam", pp. 202-3.)
"Lorsqu'on revoit la brève carrière de Qurratu'l-'Ayn, on est surtout frappé par son ardent enthousiasme et par son détachement absolu de ce monde. Ce monde n'était en fait à ses yeux - comme on dit que ce fut le cas pour Quddus - qu'une simple poignée de poussière. Elle était également un orateur éloquent, connaissant parfaitement les mesures compliquées de la poésie persane. L'un de ses poèmes, peu nombreux d'ailleurs, qui soit connu à ce jour présente un intérêt spécial, car il exprime la croyance au caractère à la fois divin et humain de quelqu'un (qu'elle appelle Seigneur) dont les revendications, une fois avancées, recevraient une reconnaissance universelle.
Qui était ce personnage? Il semble que Qurratu'l-'Ayn pensait qu'il était lent à avancer ses prétentions. Peut-on songer à une autre personne que Baha'u'llah? La poétesse était une véritable baha'ie. (Dr. T.K. Cheyne: "The Reconcihiation of Races and Religions", pp. 114,115.) "La graine semée par Qurratu'l-'Ayn dans les pays islamiques commence à présent à germer. Une lettre adressée au "Christian Commonwealth" en juin dernier nous apprend que quarante suffragettes turques sont en train d'être déportées de Constantinople à 'Akka (qui fut pendant si longtemps la prison de Baha'u'llah): "Durant ces dernières années, les idées de suffrage se sont répandues en secret dans les harems. Les hommes en étaient inconscients; tout le monde l'ignorait et, à présent, la vanne s'est ouverte et les hommes de Constantinople ont estimé nécessaire de recourir à des mesures draconiennes.
On a organisé des clubs; des exposés intelligents contenant les revendications des femmes ont été rédigés et mis en circulation; des journaux et des magazines féminins ont surgi et ont publié d'excellents articles; on a tenu des réunions publiques. Puis, un jour, les membres de ces clubs - quatre cents femmes - rejetèrent leurs voiles. La chasse sérieuse et "fossilisée" de la société en fut choquée, les bons musulmans furent alarmés, et le gouvernement fut contraint à l'action. Ces quatre cents femmes éprises de liberté furent réparties en plusieurs groupes. L'un des groupes, comprenant quarante d'entre elles, a été exilé à 'Akka et y arrivera dans quelques jours.
Tout le monde en parle, et il est réellement surprenant de voir le grand nombre de ceux qui sont favorables à la suppression du voile recouvrant le visage des femmes. Plusieurs hommes avec qui je me suis entretenu jugent la coutume non seulement archaïque, mais encore propre à étouffer l'esprit. Les autorités turques, croyant éteindre cette flamme de liberté, en ont grandement accru l'intensité, et leur action tyrannique a matériellement aidé à la création d'une opinion publique plus vaste et à une meilleure compréhension de ce problème crucial." (Ibidem, pp. 115-16.)
"L'autre missionnaire, la femme dont je parle, était, elle, venue à Qazvin, et c'est assurément, en même temps que l'objet préféré de la vénération des Babis, une des apparitions les plus frappantes et les plus intéressantes de cette religion." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 136.)
"Beaucoup de gens qui l'ont connue et entendue à différentes époques de sa vie m'ont toujours fait la remarque, au contraire, que, pour une personne aussi notoirement savante et riche de lectures, le caractère principal de sa diction était une simplicité presque choquante; et quand elle parlait, ajoutait-on, on se sentait pourtant remué jusqu'au fond de l'âme, pénétré d'admiration, et les larmes coulaient des yeux." (Ibid., p. 150.)
Bien que musulmans et Babis se répandent aujourd'hui en éloges extraordinaires sur la beauté de la Consolation des Yeux, il est incontestable que l'esprit et le caractère de cette jeune femme étaient beaucoup plus remarquables encore. Ayant souvent et, pour ainsi dire, quotidiennement assisté à des entretiens fort doctes, il paraît que, de bonne heure, elle y avait pris un grand intérêt, et il se trouva, un jour, qu'elle était parfaitement en état de suivre les subtiles discussions de son père, de son oncle, de son cousin, devenu son mari, et même de raisonner avec eux, et, souvent, de les étonner par la force et l'acuité de son intelligence.
En Perse, ce n'est pas chose ordinaire que de voir des femmes appliquer leur esprit à de pareils emplois, mais ce n'est pas non plus un phénomène tout à fait rare; ce qui est là, comme ailleurs, vraiment extraordinaire, c'est de rencontrer une femme égale à Qurratu'l-'Ayn. Non seulement elle poussa la connaissance de l'arabe jusqu'à une perfection inusitée, mais elle devint encore éminente dans la science des traditions et celle des sens divers que l'on peut appliquer aux passages discutés du Qur'an et des grands auteurs. Enfin elle passait à Qazvin, et à bon droit, pour un prodige." (Ibid., p. 137.)

(26.39) Chose curieuse, on respecta les femmes qu'on rassembla et qu'on conduisit au mont Biyaban. Il y avait parmi elles deux vieillards sans force pour se battre: Mulla Muhammad-Musa, foulon, et Mashhadi Baqir, teinturier. On les tua. Mashhadi Baqir fut tué par 'Ali Big, capitaine des soldats Nayrizis. fi lui coupa la tête et la remit à un enfant: puis il prit la nièce de sa victime, lui mit sur la tête un voile noir et, montant à cheval, il la poussa jusqu'auprès de Mirza Na'im. Celui-ci se trouvait au mont Biyaban, dans un jardin, assis sur une pierre.
Quand Ali Big arriva près de lui, il lui jeta la tête de Baqir, et poussant d'un brusque coup la fillette qui tomba la face contre terre il s'écria: "Nous avons fait ce que tu voulais, les Babis n'existent plus." Akhund Muhlâ 'Abdu'l-Husayn, sur l'ordre de Mirza Na'im, eut la bouche remplie de terre; puis un ghulam tira un coup de fusil dans la tête, mais sans le tuer. Il y eut environ six cent trois femmes d'arrêtées.
On se mit en route avec les prisonniers jusqu'au moulin appelé Takht qui est tout près de Nayriz. Notre auteur raconte l'anecdote suivante comme preuve de la férocité des vainqueurs: "J'étais bien jeune, alors, dit-il, et je suivais ma mère qui avait un autre fils plus jeune que moi. Un nommé Asadu'llah avait pris mon frère sur ses épaules et le portait. L'enfant avait un chapeau avec quelques ornements. Un cavalier qui nous accompagnait, vit le chapeau, s'approcha et l'arracha avec tant de brutalité qu'il saisit en même temps le bébé par les cheveux. L'enfant alla rouler à dix mètres de là. Ma pauvre mère le trouva évanoui."
Je ne m'appesantirai pas sur les horreurs qui suivirent cette victoire. Qu'il nous suffise de savoir que Mirza Na'im monta à cheval, précédé et suivi d'hommes portant des piques au bout desquelles étaient fichées les têtes des martyrs. On poussait les prisonniers à coups de fouets ou de sabres. On poussait les femmes dans les fossés pleins d'eau. La nuit se passa au caravansérail Shirazi. Le matin on fit sortir les femmes toutes nues et on s'amusa à les frapper à coups de pied, de pierres, de bâton, on leur crachait dessus.
Quand on fut fatigué de ce jeu, on les conduisit à l'école de l'endroit, où elles restèrent vingt jours au milieu des insultes et outrages. Quatre-vingt Babis liés dix par dix furent confiés à cent soldats pour être conduits à Shiraz. Siyyid Mir Muhammad 'Abd mourut de froid à Khanih-gird, d'autres moururent un peu plus loin. On leur coupait la tête au fur et à mesure. Enfin, ils entrèrent à Shiraz par la porte de Sa'di.
On les promena dans toute la ville, puis on les enchaîna dans la prison. Les femmes furent au bout de vingt jours sorties du collège où elles avaient été enfermées et divisées en deux groupes. Un groupe fut rendu à la liberté, l'autre fut dirigé sur Shiraz avec d'autres prisonniers, hommes qui avaient été arrêtés sur ces entrefaites. Arrivée à Shiraz, la caravane fut encore divisée en deux: les femmes furent dirigées vers le caravansérail Shah Mir 'Ali-Hamzih, et les hommes allèrent rejoindre en prison leurs coreligionnaires.
Le lendemain fut un jour de fête. Le Gouverneur, assisté de tout ce que Shiraz comptait de grands et de nobles, fit comparaître devant lui les prisonniers. Un Nayrizi nommé Jalal, et que Na'im avait surnommé Bulbul, se chargeait de dénoncer ses compatriotes. Le premier qui comparut fut Mulha 'Abdu'l-Husayn: on lui ordonna de maudire le Bab; il s'y refusa et sa tête roula sur le sol. Haji fils d'Asghar, Ali Garm-Siri, Husayn fils de Hadi Khayri, Sadiq fils de Salih, Muhammad-ibn-i-Muhsin furent exécutés.
Les femmes furent relâchées et le restant des hommes fut conduit en prison. Le Shah ayant réclamé l'envoi des prisonniers, soixante treize furent expédiés sur Tihran. Vingt-deux moururent en route et parmi eux Mulla 'Abdu'l-Husayn qui mourut à Saydan, 'Ali fils de Karbila'i Zaman, à Abadih; Akbar fils de Karbila'i Muhammad à Qinarih; Hasan fils d' 'Abdu'l-Vahhab, Mulla 'Ali-Akbar, à Isfahan; Karbila'i Baqir fils de Muhammad-Zaman, Hasan et son frère Dhu'l-Faqar, Karbila'i Naqi et 'Ali son fils, Vali Khan, Mulla Karim, Akbar Ra'is, Ghulam-'Ali, fils de Pir Muhammad, Naqi et Muhammad-'Ali, fils de Muhammad, en cours de route.
Le reste parvint à Tihran, et le jour même de leur arrivée, quinze d'entre eux furent exécutés, entr'autres Aqa Siyyid 'Ali, celui qui avait été laissé pour mort, Karbila'i Rajab, le barbier; Sayfu'd-Din, Sulayman fils de K. Salman, Ja'far, Murad Khayri, Husayn, fils de K. Baqir, Mirza Abu'l-Hasan, fils de Mirza Taqi, Mulla Muhammad-'Ali, fils de Aqa Mihdi. Vingt-trois personnes moururent en prison, treize furent délivrées après trois ans, le seul qui resta à Tihran, pour y mourir peu de temps après, fut Karbila'i Zaynu'l-'Abidin." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid Ali-Muhammad dit le Bab", p. 421-4.)
"Leurs bourreaux, ayant capturé et tué les hommes, s'emparèrent de quarante femmes et enfants, et les tuèrent de la façon suivante: on les plaça au milieu d'une caverne, on entassa dans celle-ci une grande quantité de bois à brûler, on répandit du pétrole sur les fagots éparpillés tout autour, et on y mit le feu. L'un de ceux qui prirent part à cette action raconta ce qui suit: "Après deux ou trois jours, je gravis ce mont et déplaçai la porte de la caverne.
Je vis que le feu s'était éteint et qu'il n'y avait plus que des cendres; mais toutes ces femmes avec leurs enfants étaient assises, chacune dans un coin, serrant leurs petits contre leurs seins, et assises en rond exactement comme nous les avions quittées. Quelques-unes, comme désespérées ou en deuil, avaient laissé tomber leur tête sur leurs genoux, pleines de chagrin, et toutes gardaient la position qu'elles avaient prises.
Je fus rempli d'étonnement, songeant au fait que le feu ne les avait pas brûlées. Plein d'appréhension et de terreur, j'entrai. Alors je vis que tout le monde était brûlé et réduit en cendres, mais elles n'avaient jamais fait un mouvement qui aurait pu causer l'écroulement des corps. Dès que je les touchai de la main, ils s'écroulèrent tous, réduits en cendres. Et lorsque nous vîmes cela, nous nous repentîmes tous de ce que nous avions fait. Mais à quoi cela pouvait-il servir?" (Le "Tarikh-i-Jadid", pp. 128-31.)
L'auteur du "Tarikh-i-Jadid", en conclusion de ce récit saisit l'occasion de souligner comment ces événements avaient accompli la prophétie contenue dans une tradition se rapportant aux signes qui marqueront l'apparition de l'Imam Mihdi: "En lui sera la perfection de Moïse, la grande valeur de Jésus, et la patience de Job; ses saints seront avilis en son temps, et l'on échangera leurs têtes en signe de cadeau, exactement comme on se sert des têtes des Turcs et des Daylamites lorsqu'on échange des présents; ils seront tués et brûlés; ils seront effrayés, épouvantés, et consternés; la terre sera teintée de leur sang, et les lamentations et les plaintes prévaudront parmi leurs femmes; voilà en réalité mes saints."
Cette tradition, nommée Hadith-i-Jabir, est citée aussi dans 1' 'Iqan", tirée du "Kafi", l'un des principaux recueils de traditions shi'ites]. Lorsque je me trouvais à Yazd au début de l'été 1888, je fis la connaissance d'un Babi qui occupait une position de quelque importance dans le gouvernement, et dont deux des ancêtres avaient pris une part prépondérante dans la répression de l'insurrection de Nayriz.
Ce qui suit est un résumé de ce qu'il m'a dit, et que j'ai tiré de mon journal à la date du 18 mai 1888: "Mon grand-père maternel Mihr-'Ali Khan Shuja'-u'l-Mulk et mon grand-oncle Mirza Na'im prirent tous deux une part active à la guerre de Nayriz, mais dans le mauvais camp. Lorsqu'on reçut à Shiraz l'ordre d'étouffer l'insurrection, mon grand-père fut chargé de prendre le commandement de l'expédition envoyée à cette fin.
La tâche qu'on lui avait confiée ne l'enchantait guère, et il fit part de son peu d'enthousiasme à deux des 'ulamas, qui le rassurèrent cependant en lui déclarant que la guerre qu'il était sur le point de mener était une entreprise sanctionnée par la religion, et qu'il en serait récompensé au paradis. Il partit à la guerre, et ce qui arriva vous est connu. Après avoir tué sept cent cinquante hommes, ils prirent les femmes et les enfants, les mirent presque nus, les firent monter sur des ânes, des mules et des chameaux et leur firent traverser des files de têtes coupées provenant des corps inanimés de leurs pères, frères, fils et maris, cela jusqu'à Shiraz.
À leur arrivée, on les plaça dans un caravansérail en ruines juste hors de la porte d'Isfahan et en face d'un imam-zadih, tandis que leurs ravisseurs établissaient leur campement sous quelques arbres non loin de là. Ils y restèrent pendant un temps assez long, soumis à nombre d'insultes et de mauvais traitements, si bien que bon nombre d'entre eux en moururent.
Voyez maintenant le jugement de Dieu sur les oppresseurs car, des principaux responsables de ces cruautés, aucun n'échappa à une mauvaise fin et tous moururent accablés de calamités. Mon grand-père Mihr-'Ali Khan tomba malade et resta muet jusqu'au jour de sa mort. Au moment d'expirer, ceux qui l'entouraient s'aperçurent, d'après le mouvement de ses lèvres, qu'il murmurait quelque chose. Ils se penchèrent pour saisir ses dernières paroles et l'entendirent murmurer faiblement: "Babi! Babi! Babi!" trois fois.
Puis il tomba à la renverse et rendit l'âme. Mon grand-oncle Mirza Na'im tomba en disgrâce auprès du gouvernement et fut deux fois frappé d'amende: dix mille tumans la première fois, et quinze mille la seconde. Mais sa punition ne devait pas s'arrêter là, car il dut endurer diverses tortures. Ses mains furent mises dans 1' "il-chik" (cette torture consiste à placer des morceaux de bois entre les doigts de la victime et à les ficeler solidement avec des cordes.
On verse ensuite de l'eau froide sur la corde, ce qui a pour effet de provoquer sa contraction) et ses pieds dans le "tang-i-Qajar" (ou étreinte des Qajar", un instrument de torture ressemblant à la "botte" employée autrefois en Angleterre; son introduction en Perse, on la doit à la dynastie occupant actuellement le trône.) La victime fut forcée de rester tête découverte en plein soleil, la tête enduite de mélasse pour attirer les mouches. Après avoir subi ces tourments et beaucoup d'autres encore plus douloureux et humiliants, il fut licencié tel un homme en disgrâce et ruiné." ("A Traveller's Narrative", Note H, pp. 191-3.)

(26.40) 12 janvier 1853 ap. J.-C.

(26.41) 'Abdu'l-Baha.

(26.42) Mirza Musa, communément appelé Aqay-i-Kalim, le plus capable et le plus éminent parmi les frères et soeurs de Baha'u'llah, et son dévoué et précieux défenseur.

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