L'ordre mondial de Baha'u'llah

Shoghi Effendi

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Chapitre 1. L'ordre mondial de Baha'u'llah

Aux membres de l'Assemblée Spirituelle Nationale des Baha'is des États-Unis et du Canada.

Mes bien chers collaborateurs !

À la lecture de vos dernières communications, j'ai pris connaissance de la nature des doutes qu'a exprimés publiquement une personne tout à fait mal informée des préceptes véritables de la cause concernant la validité des institutions qui sont inextricablement liées à la foi de Baha'u'llah. Ce n'est pas parce que je considère un instant ces vagues inquiétudes comme un défi public lancé à la structure qui incarne la foi, et ce n'est pas parce que je doute le moins du monde de l'inébranlable ténacité de la foi des croyants d'Amérique que je me permets d'insister sur ce qui me paraît être une observation appropriée au stade actuel de l'évolution de notre cause bien-aimée. Je suis, en fait, enclin à bien accueillir l'expression de ces appréhensions dans la mesure où elle me fournit une occasion de familiariser les représentants élus des croyants avec l'origine et le caractère des institutions qui sont à la base même de l'ordre mondial instauré par Baha'u'llah. Nous devrions être sincèrement reconnaissants envers ces tentatives futiles pour saper notre foi bien-aimée - tentatives qui, de temps à autre, avancent leur visage répugnant et semblent capables un moment de créer une brèche dans les rangs des fidèles, mais qui s'enfoncent finalement dans les ténèbres de l'oubli, et auxquelles on ne pense plus. Nous devrions considérer de tels incidents comme des interventions de la Providence destinées à fortifier notre foi, à clarifier notre vision et à approfondir notre compréhension des éléments essentiels de sa révélation divine.


1.1. Origines de l'ordre mondial baha'i

Il serait toutefois utile et instructif de garder à l'esprit certains principes de base relatifs au Testament de 'Abdu'l-Baha qui, avec le Kitab-i-Aqdas, constitue le réceptacle principal dans lequel sont enchâssés les éléments inestimables de cette civilisation divine dont l'établissement est la mission première de la foi baha'ie. Une étude des dispositions de ces documents sacrés révélera le lien étroit qui existe entre eux, ainsi que l'identité des buts et des méthodes qu'ils inculquent. Loin de considérer leurs stipulations spécifiques comme incompatibles et contradictoires en esprit, tout investigateur équitable admettra volontiers que non seulement elles sont complémentaires, mais qu'elles se confirment mutuellement et sont les parties inséparables d'un seul et même tout. Une comparaison de leur contenu avec les autres Écrits sacrés baha'is établira de même la conformité de ce contenu tant avec l'esprit qu'avec la lettre des paroles et des écrits authentifiés de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha. En fait, celui qui lit l'Aqdas avec soin et attention n'aura pas de mal à découvrir que le Livre très saint lui-même anticipe, dans de nombreux passages, les institutions ordonnées par 'Abdu'l-Baha dans son testament. En laissant certaines matières non spécifiées et non réglementées dans son "Livre des lois", Baha'u'llah semble avoir délibérément laissé, dans le schéma général de la dispensation baha'ie, une brèche que les dispositions sans équivoque du Testament du Maître ont comblée. Tenter de les séparer l'un de l'autre, d'insinuer que les enseignements de Baha'u'llah n'ont pas été soutenus, dans leur totalité et avec une intégrité absolue, par ce qu'a révélé 'Abdu'l-Baha dans son testament, est un affront impardonnable à l'égard de la fidélité inébranlable qui a caractérisé la vie et l'oeuvre de notre Maître bien-aimé.

Je ne tenterai pas le moins du monde d'affirmer ou de démontrer l'authenticité du Testament de 'Abdu'l-Baha, car cela trahirait déjà une appréhension de ma part quant à la confiance unanime des croyants en l'authenticité des derniers souhaits écrits de notre Maître disparu. Je limiterai donc mes observations aux questions susceptibles de les aider à apprécier l'unité essentielle qui est à la base des principes spirituels, humanitaires et administratifs énoncés par l'auteur et par l'interprète de la foi baha'ie.

Je suis bien en peine d'expliquer cette étrange mentalité qui incline à tenir comme le seul critère de la vérité des enseignements baha'is ce qui est reconnu comme n'étant qu'une traduction obscure et non authentifiée d'une déclaration verbale de 'Abdu'l-Baha, et ce, avec une indifférence et un mépris absolus pour le texte disponible de tous ses écrits universellement reconnus. Je déplore sincèrement les déformations malheureuses qui ont résulté, dans le passé, de l'incapacité de l'interprète de saisir la pensée de 'Abdu'l-Baha et de son incompétence à traduire de manière adéquate les vérités qui lui ont été révélées par les exposés du Maître. Une grande part de la confusion qui a obscurci la compréhension des croyants devrait être imputée à cette double erreur qu'implique la traduction inexacte d'une déclaration seulement partiellement comprise. Bien souvent, l'interprète n'a même pas réussi à transmettre le sens exact des questions spécifiques posées par l'enquêteur et, par l'insuffisance de sa compréhension et de son expression lorsqu'il communiquait la réponse de 'Abdu'l-Baha, il a été responsable de rapports en désaccord total avec l'esprit et le but véritables de la cause. Ce fut surtout au vu de la nature trompeuse des comptes rendus des conversations informelles de 'Abdu'l-Baha avec des pèlerins qui lui rendaient visite que j'ai exhorté les croyants d'Occident à considérer de telles déclarations comme de simples impressions personnelles sur les paroles de leur Maître, et à ne citer et ne considérer comme authentiques que les seules traductions basées sur le texte authentifié de ses paroles rapportées dans la langue originale.

Chaque adepte de la cause devrait se souvenir que le système administratif baha'i n'est pas une innovation imposée arbitrairement aux baha'is du monde depuis l'ascension du Maître, mais qu'il tire son autorité du Testament de 'Abdu'l-Baha, qu'il est prescrit spécifiquement dans d'innombrables tablettes et que, dans certains de ses traits essentiels, il repose sur les dispositions explicites du Kitab-i-Aqdas. Ainsi, il unifie et met en corrélation les principes établis séparément par Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha, et il est indissolublement lié aux vérités essentielles de la foi. Dissocier les principes administratifs de la cause de ses enseignements purement spirituels et humanitaires équivaudrait à une mutilation de la cause même, à une séparation qui ne peut qu'aboutir à la désintégration de ses composantes et à l'extinction de la foi elle-même.


1.2. Maisons de justice locales et nationales

Il conviendrait de garder soigneusement à l'esprit que les maisons de justice - tant locales qu'internationale - ont été prescrites expressément dans le Kitab-i-Aqdas; que l'institution de l'Assemblée spirituelle nationale, en tant que corps intermédiaire, désignée dans le Testament du Maître sous le nom de "maison de justice secondaire", dispose de la sanction formelle de 'Abdu'l-Baha; et que la méthode à suivre pour l'élection des maisons de justice - internationale et nationales - a été exposée par lui dans son testament ainsi que dans nombre de ses tablettes. De plus, les institutions des fonds locaux et nationaux, qui sont maintenant les auxiliaires indispensables de toute assemblée spirituelle locale et nationale, n'ont pas été seulement établies par 'Abdu'l-Baha dans les tablettes qu'il a révélées aux baha'is d'Orient, mais il en a souligné maintes fois l'importance et la nécessité dans ses paroles et ses écrits. La concentration de l'autorité entre les mains des représentants élus des croyants; la nécessité pour chaque adhérent à la foi de se soumettre au jugement réfléchi des assemblées baha'ies; la préférence de 'Abdu'l-Baha pour l'unanimité dans la décision; le caractère décisif du vote à la majorité, et même l'intérêt d'une surveillance attentive de toutes les publications baha'ies; tous ces éléments ont été inculqués assidûment par 'Abdu'l-Baha, comme le prouvent ses tablettes authentifiées et largement diffusées. Accepter ses enseignements généraux et humanitaires d'une part et, de l'autre, rejeter et écarter, avec une indifférence coupable, ses préceptes plus provocateurs et plus distinctifs serait un acte de déloyauté manifeste à l'égard de ce qu'il a chéri le plus au cours de sa vie.

Que les assemblées spirituelles d'aujourd'hui seront remplacées en temps voulu par les maisons de justice, et qu'elles constituent, à tous égards, des organismes identiques - et non séparés -, 'Abdu'l-Baha lui-même l'a abondamment confirmé. En fait, dans une tablette adressée aux membres de la première assemblée spirituelle de Chicago - le premier corps baha'i élu institué aux États-Unis - il les a mentionnés comme étant les membres de la "maison de justice" de cette ville et ainsi, de sa propre plume, il a établi sans l'ombre d'un doute l'identité des assemblées spirituelles baha'ies d'aujourd'hui avec les maisons de justice auxquelles se référait Baha'u'llah. Pour des raisons aisées à imaginer, il a été jugé souhaitable de conférer aux représentants élus des communautés baha'ies dans le monde l'appellation provisoire d'assemblées spirituelles, un terme qui, au fur et à mesure que la position et les buts de la foi baha'ie seront mieux compris et reconnus plus pleinement, sera progressivement remplacé par la désignation définitive et plus appropriée de "maison de justice". Les assemblées spirituelles actuelles ne recevront pas seulement une appellation différente à l'avenir, elles auront aussi la faculté d'adjoindre à leurs fonctions actuelles les pouvoirs, les charges et les prérogatives rendues nécessaires par la reconnaissance de la foi de Baha'u'llah non seulement comme l'un des systèmes religieux reconnus du monde, mais comme la religion d'État d'une puissance indépendante et souveraine. Et, à mesure que la foi baha'ie se répandra parmi les masses des peuples d'Orient et d'Occident, et que sa vérité sera adoptée par la majorité des peuples d'un grand nombre des États souverains du monde, la Maison Universelle de Justice atteindra la plénitude de sa puissance et, en tant qu'organe suprême de la fédération baha'ie, exercera tous les droits, charges et responsabilités qui incomberont au futur super État mondial.

Il convient toutefois de souligner à ce propos que, contrairement à ce qui a été affirmé avec assurance, l'établissement de la Maison Suprême de Justice ne dépend nullement de l'adoption de la foi baha'ie par la plupart des peuples du monde, ni ne présuppose son acceptation par la majorité des habitants de tel ou tel pays. En fait, 'Abdu'l-Baha lui-même, dans une de ses premières tablettes, envisageait l'éventualité de la formation de la Maison Universelle de Justice de son vivant et, sans les circonstances défavorables qui prévalaient sous le régime turc, il aurait, selon toute probabilité, pris des mesures préliminaires en vue de son établissement. Il est donc clair que, moyennant des conditions favorables les baha'is de Perse et des pays limitrophes sous domination soviétique seraient à même d'élire leurs représentants nationaux, conformément aux principes directeurs énoncés dans les écrits de 'Abdu'l-Baha, alors le dernier obstacle à la formation effective de la Maison Internationale de Justice aura été éliminé. C'est, en effet, aux maisons nationales de justice d'Orient et d'Occident qu'incombe la tâche d'élire directement les membres de la Maison Internationale de Justice, conformément aux dispositions explicites du Testament. Ce n'est que lorsqu'elles seront elles-mêmes pleinement représentatives de l'ensemble des croyants dans leurs pays respectifs, ce n'est que lorsqu'elles auront acquis le poids et l'expérience qui leur permettront de fonctionner efficacement au sein de la vie organique de la cause, qu'elles pourront aborder leur tâche sacrée et fournir la base spirituelle que nécessite la constitution d'une assemblée aussi auguste dans le monde baha'i.


1.3. L'institution du Gardiennat

Chaque croyant doit aussi comprendre clairement que l'institution du Gardiennat n'abroge en aucune circonstance ni ne réduit, aussi peu que ce soit, les pouvoirs que Baha'u'llah a octroyés à la Maison Universelle de Justice dans le Kitab-i-Aqdas, et qui furent confirmés à maintes reprises et solennellement par 'Abdu'l-Baha dans son testament. L'institution du Gardiennat ne constitue en aucune manière une contradiction avec le Testament ni avec les Écrits de Baha'u'llah, pas plus qu'elle n'annule aucune de ses instructions révélées. Elle rehausse le prestige de cette glorieuse assemblée, stabilise sa position suprême, sauvegarde son unité, assure la continuité de ses travaux sans avoir la moindre prétention d'enfreindre l'inviolabilité de sa sphère de juridiction, qui est clairement définie. Nous sommes, en vérité, trop proches encore d'un document aussi monumental pour prétendre à une compréhension totale de toutes ses implications ou pour oser penser que nous avons saisi les multiples mystères qu'il contient indubitablement. Seules les générations futures pourront comprendre la valeur et la signification attachées à ce chef-d'oeuvre divin que la main du Maître Architecte du monde a conçu pour l'unification et le triomphe de la foi mondiale de Baha'u'llah. Seuls ceux qui nous succéderont seront en mesure de réaliser la valeur de l'accent d'une force surprenante qui a été donné à l'établissement de la Maison de Justice et du Gardiennat. Eux seuls apprécieront la signification du langage vigoureux utilisé par 'Abdu'l-Baha lorsqu'il parle de la clique des briseurs d'alliance qui se sont dressés contre lui de son vivant. C'est à eux seuls que sera révélée l'adéquation des institutions instaurées par 'Abdu'l-Baha à la nature de la société future qui doit émerger du chaos et de la confusion de l'âge actuel. À ce propos, je ne puis qu'être amusé à l'idée, absolument absurde et invraisemblable, selon laquelle Muhammad-'Ali, le premier et le principal instigateur de l'hostilité implacable manifestée à l'encontre de la personne de 'Abdu'l-Baha, se serait associé librement aux membres de la famille de ce dernier pour forger un testament qui, selon l'auteur elle-même, n'est qu'une "énumération des intrigues" auxquelles Muhammad-'Ali se livra activement trente années durant 1. À une si navrante victime d'idées confuses, la meilleure réponse que je puisse faire est l'expression sincère de ma compassion et de ma pitié, auxquelles s'ajoute le souhait qu'elle puisse être délivrée d'une erreur si profonde. C'est à cause des observations mentionnées ci-dessus que j'ai hésité - après le retard forcé et malencontreux causé par mon mauvais état de santé et par mon absence de Terre sainte à la mort du Maître - à recourir à une diffusion publique générale du Testament, car je me rendais parfaitement compte qu'il s'adressait principalement aux croyants reconnus, et ne concernait qu'indirectement le groupe plus étendu des amis et des sympathisants de la cause.


1.4. Le but moteur des institutions baha'ies

Et maintenant, il nous faut réfléchir au but moteur et aux fonctions primordiales de ces institutions divinement établies, dont le caractère sacré et l'efficacité universelle ne peuvent être démontrés que par l'esprit qu'elles répandent et par le travail qu'elles réalisent effectivement. Il est inutile que j'insiste ici sur ce que j'ai déjà souligné à maintes reprises, à savoir que l'administration de la cause doit être conçue comme un instrument et non comme un substitut à la foi de Baha'u'llah, qu'elle doit être considérée comme un canal par lequel les bénédictions qu'il a promises peuvent se répandre, qu'elle doit se garder d'une rigidité qui entraverait et bloquerait les forces libératrices mises en route par sa révélation. Il est inutile que je m'étende actuellement sur ce que j'ai déjà déclaré dans le passé : que les contributions aux fonds nationaux et locaux sont de nature purement volontaire; qu'aucune espèce de coercition ou de sollicitation en matière de fonds ne doit être tolérée au sein de la cause; que des appels généraux adressés aux communautés prises dans leur ensemble devraient être la seule façon de subvenir aux besoins financiers de la foi; que le soutien financier accordé à un nombre très restreint de personnes travaillant dans les domaines de l'enseignement et de l'administration revêt un caractère provisoire; que les restrictions imposées actuellement à la publication de la littérature baha'ie seront définitivement abolies; que l'activité de l'Unité mondiale est actuellement exercée à titre expérimental afin de tester l'efficacité de la méthode indirecte d'enseignement; que tout le système des assemblées, des comités et des conventions doit être considéré comme un moyen, non comme une fin en soi; que ces organismes se développeront ou déclineront selon la capacité qu'ils auront à promouvoir les intérêts, à coordonner les activités, à appliquer les principes, à incarner les idéaux et à réaliser l'objectif de la foi baha'ie. Qui, je me le demande, au vu du caractère international de la cause, de l'étendue de ses ramifications, de la complexité croissante de ses affaires, de la diversité de ses adhérents, et du désordre qui assaille de toutes parts la toute jeune foi de Dieu, qui donc peut mettre en doute un seul instant la nécessité d'une structure administrative quelle qu'elle soit, qui assurera, au milieu de la tempête et de l'agitation d'une civilisation en lutte, l'unité de la foi, la sauvegarde de son identité et la protection de ses intérêts ? Répudier la validité des assemblées des ministres élus de la foi de Baha'u'llah reviendrait à rejeter les innombrables tablettes dans lesquelles Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha ont exalté leurs privilèges et leurs devoirs, dans lesquelles ils ont souligné la gloire de leur mission, révélé l'immensité de leur tâche, et les ont mises en garde contre les attaques auxquelles elles doivent s'attendre du fait de la sottise de leurs amis comme de la malveillance de leurs ennemis. C'est, assurément, aux dépositaires d'un héritage aussi inestimable qu'il incombe de veiller pieusement à ce que l'outil ne prenne le pas sur la foi elle-même, à ce que le souci indu des menus détails de l'administration de la cause ne vienne obscurcir la vision de ses défenseurs, à ce que la partialité, l'ambition et l'attachement à ce monde ne viennent, au fil du temps, ternir l'éclat, souiller la pureté et altérer l'efficacité de la foi de Baha'u'llah.


1.5. Situation en Égypte

Dans mes communications précédentes des 10 janvier 1926 et 12 février 1927, j'ai déjà évoqué la situation troublante et pourtant hautement significative qui s'est présentée en Égypte, à la suite du jugement final prononcé par le tribunal religieux musulman de ce pays contre nos frères égyptiens, un jugement qui les dénonçait comme hérétiques, les expulsait de la communauté musulmane et leur refusait l'application et les avantages de la loi musulmane. Je vous ai fait part également des difficultés auxquelles ils sont confrontés et des projets qu'ils ont conçus afin d'obtenir des autorités civiles égyptiennes une reconnaissance du statut indépendant de leur foi. Toutefois, il me faut expliquer que, dans les pays musulmans du Proche et du Moyen-Orient, à l'exception de la Turquie qui a récemment aboli tous les tribunaux religieux sous sa juridiction, chaque communauté religieuse reconnue dispose, pour les affaires liées au statut personnel telles que le mariage, le divorce et l'héritage, de son propre tribunal religieux, totalement indépendant des tribunaux civils et pénaux, car il n'existe pour ces affaires aucun code civil promulgué par le gouvernement couvrant l'ensemble des communautés religieuses. Considérés jusqu'ici comme membres d'une secte de l'islam, les baha'is d'Égypte, qui sont pour la plupart d'origine musulmane et ne peuvent, par conséquent, s'adresser aux tribunaux officiels d'une autre religion à des fins de mariage ou de divorce, se trouvent ainsi dans une position délicate et exceptionnelle. Ils ont naturellement décidé de soumettre leur cas au gouvernement égyptien et ils ont préparé à cet effet une requête adressée au chef du cabinet égyptien. Dans ce document, ils ont exposé les raisons qui les poussaient à demander à être officiellement reconnus par leurs gouvernants, ils ont affirmé qu'ils étaient prêts et aptes à exercer les fonctions d'un tribunal baha'i indépendant, ils ont assuré les autorités de leur obéissance et de leur loyauté absolues envers l'État et de leur volonté de non-intervention dans la politique de leur pays. Ils ont également décidé de joindre au texte de leur requête une copie du jugement du tribunal, un choix d'écrits baha'is, et le document établissant les principes de leur constitution nationale qui, à quelques exceptions près, est identique aux statuts et aux règlements promulgués par votre Assemblée.

J'ai insisté pour que les dispositions de leur constitution soient en tous points conformes au texte des statuts et des règlements que vous avez établi, dans le souci de préserver l'uniformité qui, selon moi, est essentielle à toutes les constitutions nationales baha'ies. Je voudrais donc, à cet égard, vous demander ce que je leur ai déjà suggéré, à savoir que tout amendement que vous pourriez décider d'introduire dans le texte des statuts et des règlements me soit dûment communiqué, afin que je puisse prendre les mesures nécessaires en vue d'introduire des modifications similaires dans le texte de toutes les autres constitutions nationales baha'ies.

On admettra aisément que, du fait des privilèges particuliers consentis aux communautés religieuses reconnues dans les pays islamiques du Proche et du Moyen-Orient, la requête à soumettre au gouvernement égyptien par l'Assemblée Nationale Baha'ie d'Égypte est plus substantielle et de portée plus grande que ce qui a déjà été consenti à votre Assemblée par les autorités fédérales. En effet, leur requête concerne essentiellement une demande officielle de reconnaissance, par les plus hautes autorités civiles d'Égypte, de l'Assemblée spirituelle nationale égyptienne en tant que tribunal baha'i reconnu et indépendant, libre et à même d'exécuter et d'appliquer, dans toutes les affaires de statut personnel, les lois et les décrets qui ont été promulgués par Baha'u'llah dans le Kitab-i-Aqdas.

Je leur ai demandé d'approcher officieusement les autorités concernées et de recueillir le plus d'informations possible, comme mesure préliminaire à la présentation officielle de leur requête historique. Toute assistance que votre Assemblée, après mûre délibération, pourrait juger souhaitable d'apporter aux vaillants promoteurs de la foi dans ce pays sera profondément appréciée et servira à affermir la solidarité qui caractérise les communautés baha'ies de l'Est et de l'Ouest. Quelle que soit l'issue de ce problème essentiel - et nul ne manquera d'apprécier les possibilités incalculables de la situation actuelle - nous pouvons être assurés que la main qui les guide et qui a libéré ces forces continuera, dans sa sagesse insondable et par son pouvoir omnipotent, à tracer et à diriger leur route vers la gloire, l'émancipation finale et la reconnaissance sans réserve de sa foi.

Votre frère fidèle, Shoghi.
Haïfa, Palestine,
le 27 février 1929.

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