PHOTO: Mona Mahumudnizhad, surnommée affectueusement
"l'ange de Shiraz" pour sa gentillesse (1965 - 1983). Photo de Mona prise peu
avant son martyre en Iran pour ses convictions religieuses.
Note du traducteur
L'histoire poignante de Mona Mahmudnizhad a été éditée en 1985 par l'Assemblée
Spirituelle Nationale du Canada sous le titre original :
The Story of Mona, 1965-1983.
En avril 1991, un ami Baha'i m'a demandé de traduire cette version anglaise alors
que je venais à peine de me déclarer. Cependant, j'étais si bouleversée par son
contenu que je me suis mise immédiatement à l'ouvrage en dépit de mes lacunes,
avec de modestes moyens et ai ainsi adapté une première version en juin 1991 à
très faible tirage.
Or, curieusement, dix années se sont écoulées depuis cette traduction libre qui
est restée en sommeil et pour laquelle on m'a sollicité à nouveau. Aussi, c'est
avec un immense plaisir que je révise ma copie, avec plus de rigueur et de conscience,
en espérant de tout coeur qu'elle reflète le plus fidèlement possible le document
original de telle sorte que cette nouvelle adaptation puisse être lue, voire découverte
par un grand nombre de lecteurs Baha'is ou non.
" Pour toute chose, il existe un signe. Le signe de l'Amour est la force d'âme
face à mes décrets et la patience dans mes épreuves ".
- Baha'ullah
Je dédie cette Parole Cachée à la mémoire de Mona, à son père, ses amies prisonnières,
ses proches et à tous les Baha'is qui ont sacrifié leur vie sur le sentier de
la cause de Dieu.
Ma Chère Mona, puissent ton témoignage, ton courage, ta grandeur d'âme, ton coeur
pur et ta sagesse éclairer et raffermir les pas de ceux qui aujourd'hui à travers
le monde ont reconnu la Beauté Bénie et se sont engagés à Le servir en ouvrant
la porte de l'unité du genre humain.
Puisse, Dieu, dans Sa miséricorde infinie, nous permettre, à nous autres Baha'is,
de cultiver les graines de l'Amour et d'entretenir les fleurs du jardin des coeurs
des hommes afin que toute l'Humanité puisse vibrer au son de la même mélodie divine
!
Avec tout mon amour, et mon infini respect pour vos âmes sincères. Que la Paix
soit sur vous dans le royaume d'Abha...
Aïcha BENMAMAR Traduction de courtoisie réalisée le 10 août 2001
1. QUI ETAIT MONA ?
Mona Mahmudnizhad, était une jeune lycéenne qui faisait partie d'un groupe de
plusieurs vingtaines de Baha'is, comprenant des femmes adultes et plusieurs adolescentes.
Ceux-ci furent incarcérés pour motif religieux dans la ville iranienne de Shiraz
par les autorités de la révolution islamique qui s'emparèrent du pouvoir au cours
de la chute du régime survenue en 1982.
Pendant plusieurs mois, les prisonniers, y compris Mona, étaient victimes de mauvais
traitements, d'interrogatoires et de tortures car les juges de l'islam et leurs
gardiens révolutionnaires tentaient par ces moyens d'obliger les Baha'is à renier
leur religion. Tous les prisonniers refusèrent de se plier à leurs exigences et
notamment 10 femmes dont Mona. Ces dernières furent secrètement condamnées à mort
par pendaison le 18 juin 1983. Dans un ultime effort pour les inciter à rompre
leurs voeux, les autorités finirent par pendre les femmes, l'une après l'autre,
en imposant ce supplice au regard des autres prisonnières.
La requête de Mona fut de se présenter comme la dernière des victimes à être exécutée
afin de pouvoir prier et encourager chacune des femmes qui allait subir la pendaison
avant elle. Lorsque son tour vint, elle embrassa la corde et passa elle-même le
noeud autour de son cou.
Elle fut arrêtée en même temps que son père, Yad'u'llah Mahmudnizhad, qui fut
pendu le 12 mars 1983 plusieurs mois avant sa fille.
Nous brossons, ci-après, un portrait succinct, qui rend compte de la vie de Mona
pendant la durée de son incarcération et de son exécution. Ce récit est basé sur
des faits constatés et rapportés par des relations, des amis et des co-détenues
qui connaissaient Mona.
2. ENFANCE
Mona vit le jour le 10 septembre 1965 dans des circonstances difficiles. Son père,
Yad'u'llah Mahmudnizhad, était un fervent adepte Baha'i qui quitta son appartement
confortable d'Iran pour aller servir la cause en qualité de pionnier Baha'i au
Yémen, à la pointe du sud-ouest de la péninsule arabique.
A la naissance de Mona, le Yémen était en état d'alerte, et les routes de ce pays
étaient quadrillées par des gardes armées. Tandis que la famille Mahmudnizhad
habitait à la campagne où ne se trouvait aucun hôpital, elle dût se rendre à Aden,
capitale du Yémen, afin de s'assurer que la vie de Mona serait saine et sauve.
Le voyage fut long et pénible car leur voiture était constamment freinée par la
présence de barrages et de fouilles méticuleuses. Cependant, la famille réussit
à atteindre l'hôpital à temps.
Mona était le second enfant de Yad'u'llah et Farkhonedeh Mahmudnizhad et procura
par sa venue une joie immense à la famille. Leur fille aînée, Taraneh, avait déjà
7 ans, et les parents priaient souvent pour la naissance d'un autre enfant. Mona
passa les quatre premières années de sa vie au Yémen, comblée d'amour par les
siens.
Cependant, un jour alors qu'elle n'était encore qu'un bébé et qu' elle avançait
en tâtonnant, elle faillit mourir d'un empoisonnement accidentel. Lorsqu'elle
fut hors de danger et qu'elle quitta l'hôpital indemne, elle se mit à frapper
des mains et à danser au son de la musique que jouait son père au grand soulagement
de l'assistance. A deux ans, elle fut percutée par une voiture et renversée sur
le trottoir. Elle se releva et prononça les quelques mots sévères qu'elle connaissait
: " Tu es méchant " puis elle s'évanouit avant d'être transportée à l'hôpital.
Par chance, elle n'avait aucune blessure sérieuse et se rétablit rapidement.
Mona aurait probablement grandi au Yémen si le gouvernement de ce pays n'avait
pas expulsé tous les ressortissants étrangers en 1969. Bien que Yad'u'llah Mahmudnizhad
souhaita y demeurer à titre de pionnier, il se vit contraint de retourner en Iran
et passa deux années dans la ville de Isfahan, six mois à Kirmanshah et trois
années à Tabriz avant que la famille ne s'installe définitivement à Shiraz en
1974. C'est une ville sainte pour les Baha'is car elle représente le berceau de
la Foi baha'ie et le foyer de l'un de ses deux prophètes fondateurs : le BAB.
A cette époque, le père de Mona travaillait comme réparateur de petits appareils
électriques et servit la communauté Baha'ie à la fois en qualité de membre élu
et nommé par les nombreuses institutions religieuses (nota : la religion Baha'ie
n'a pas de clergé, la communauté internationale est gérée à l'échelle locale et
nationale par des institutions élues, appelées " Assemblées Spirituelles Locales
ou Nationales ".)
2.1. Sa sensibilité d'enfant
Bien que Mona ne fut qu'une jeune enfant, elle reflétait déjà les qualités d'humilité
et de sensibilité qui caractérisaient l'image de sa famille. D'ailleurs même vers
l'âge de 10 ans, on l'avait baptisée " L'ange de Shiraz ". Lorsque, par exemple,
elle allait à l'école dans la ville de Tabriz, elle entretenait une relation si
intime avec ses institutrices qu'elle fondit en larmes lorsque celles-ci étaient
mutées ailleurs.
Tandis qu'elle entrait en classe de 3ème à Shiraz, elle fut rapidement considérée
comme une excellente élève et reconnue comme l'un des éléments les plus brillants
de son école. Elle possédait également une très jolie voix et témoignait un véritable
amour à ceux qui l'entouraient et notamment les plus jeunes enfants qui se précipitaient
souvent autour d'elle lorsqu'elle arrivait à l'école.
La communauté Baha'ie autour de Mona appréciait énormément ses qualités particulières.
Mona s'acquittait toujours de ses devoirs lorsqu'elle suivait ses cours Baha'is.
Elle était souvent sollicitée pour la récitation de poèmes, et pour interpréter
des chansons ou chanter des prières à l'occasion de la fête des 19 jours (nota
: cette rencontre qui a lieu tous les 19 jours représente l'occasion pour chaque
membre appartenant à la communauté locale Baha'ie de se retrouver pour prier,
consulter et se réjouir avec les Amis). Lorsqu'elle croisait des personnes qu'elle
estimait, ses yeux s'emplissaient de larmes et spontanément elle s'élançait vers
elles pour les embrasser. Puis à haute voix elle s'exclama en ces termes : " Oh
mon Dieu, je veux t'envelopper et te faire vibrer dans mes bras ".
Une jeune femme rapporte ce souvenir sur Mona, âgée alors de 11 ans.
" Ma première rencontre avec Mona eut lieu dans l'appartement de ses parents situé
au 5ème étage dans la partie basse de Shiraz. La famille occupait un deux pièces.
Je ne sais pas pourquoi ni comment j'ai été attirée par cette modeste pièce, la
chambre de Mona. La décoration en était très sobre et la seule chose qui captiva
mon regard c'était un grand mur tapissé d'écrits Baha'is que Mona avait confectionnés.
De toute évidence et malgré son âge précoce, cela montre à quel point Mona était
complètement dévouée à la Foi Baha'ie ".
Au fil du temps, Mona devint une adolescente. Elle s'était forgée une belle image
auprès des jeunes et des adultes tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de la communauté
Baha'ie de Shiraz. Elle devint une belle jeune fille ornée de longs cheveux bruns,
et de merveilleux yeux verts. De plus, elle poursuivit une excellente année scolaire
en s'imposant dans les classes Baha'ies de niveau supérieur devant des étudiants
souvent plus âgés qu'elle.
Elle se débrouillait bien et était l'une des meilleures dans la faculté de mémoriser
autant de prières et des passages des écrits Baha'is. L'adoration que Mona vouait
à la Foi était chargée d'une telle force qu'elle se réveillait souvent au milieu
de la nuit afin de prier et de méditer.
2.2. La relation de Mona avec son père
Tandis que le père de Mona adulait avec une attention particulière toute sa famille,
il éprouvait pourtant à l'égard de Mona un amour exceptionnel et avouait volontiers
: " Mona est exactement l'enfant que j'ai ardemment demandée à la Beauté Bénie
(nota : titre qualifiant le prophète fondateur de la Foi Baha'ie Baha'u'llah signifiant
" A la Gloire de Dieu ") de bien vouloir me donner ". Le père et la fille développèrent
une complicité si profonde qu'ils réalisèrent ensemble leur épanouissement de
Baha'is. Monsieur Mahmudnizhad était nommé membre auxiliaire (nota : institution
Baha'ie constituée de personnalités nommées pour enseigner et protéger la foi)
pour les provinces d'Orient en 1981 et fut également élu secrétaire de l'Assemblée
Spirituelle Locale des Baha'is de Shiraz. Il représentait l'un des enseignants
les plus populaires de l'école des Baha'is.
Ceux qui le connaissaient intimement déclarèrent que Mona plongeait souvent son
regard dans les yeux de son père presque en état méditatif et communiait avec
lui en silence. Il avait la réputation d'un homme qui avait toujours le sourire.
L'humilité et l'attachement au service de la cause, dont témoignait Monsieur Mahmudnizhad,
peuvent se percevoir à travers le récit suivant : Au début, lorsque la famille
emménagea à Shiraz, elle interpréta cet événement comme la réponse à une prière.
A Tabriz, la famille s'était pieusement recueillie en invoquant le désir de visiter
la Maison du Bab, berceau de la Foi Babie et le lieu le plus saint pour les Baha'is
d'Iran.
Les Mahmudnizhad se réjouissaient à l'idée de vivre dans la même ville. Cependant
même lorsqu'ils s'installèrent en dernier lieu à Shiraz, Monsieur Mahmudnizhad
estimait qu'il n'avait pas encore gagner le droit de visiter la maison du Bab
de son propre chef et confia à sa famille : " Je ne me rendrai pas à la maison
sainte du Bab à moins que Lui-même ne m'accorde cette faveur ".
Un jour, Monsieur Mahmudnizhad reçut un appel téléphonique le priant de se rendre
à une certaine adresse pour y faire un dépannage de télévision. Or, il s'avéra
que l'appareil en question appartenait à la mère du gardien en charge de la maison
du Bab.
Après s'être acquitté de sa tâche, Monsieur Mahmudnizhad s'apprêtait à partir
lorsque subitement la dame lui dit : " N'avez-vous pas envie de visiter la maison
sainte du Bab ? Il ne s'y trouve personne en ce moment et je vous laisserai y
entrer ".
Par ce moyen inespéré, Monsieur Mahmudnizhad vit son voeux s'exaucer. Il estima
qu'il avait enfin été appelé à la maison du Bab. Plus tard, il avoua à sa famille
que c'était le jour le plus heureux de sa vie. Il se promena plusieurs fois le
long de la cour, puis il monta et descendit l'escalier en embrassant la bordure
de chaque marche. Il pénétra en dernier lieu dans la pièce où le Bab avait déclaré
initialement sa mission, et se prosterna le front au sol.
A chaque fois qu'il évoquait cette expérience devant sa famille ou ses amis, une
émotion intense se lisait dans ses yeux.
2.3. L'âge de maturité
(nota : l'âge de maturité est l'âge décisif par lequel la déclaration personnelle
se fait auprès de la communauté Baha'ie.)
La vie de Mona prit une autre dimension le 10 septembre 1980, alors qu'elle atteignit
l'âge de 15 ans correspondant au seuil de la maturité spirituelle selon les enseignements
Baha'is. Mona avait déjà emprunté la voie de son père qui était un enseignant
Baha'i, et elle désirait apprendre aux jeunes enfants qu'elle affectionnait particulièrement.
Une année auparavant, elle avait pris contact avec le comité de l'éducation Baha'ie
afin d'être acceptée dans l'un de ses sous-comités mais cette demande lui fut
refusée car elle n'avait pas encore eu ses 15 ans révolus ni la maturité suffisante
pour entreprendre cette mission. Aussi lorsqu'elle en fut avisée, elle éclata
en sanglots.
L'arrivée de ses 15 ans représentait à ses yeux son premier et véritable anniversaire
; Mona fit sa déclaration immédiatement en qualité de jeune Baha'ie puis elle
relança le comité de l'éducation. Cette fois, elle fut détachée par celui-ci pour
enseigner dans les classes pour enfants Baha'is.
Son programme contenait l'histoire des grandes religions, le développement des
qualités spirituelles, l'exhortation en direction des enfants afin qu'ils consacrent
leurs talents et leur éducation au service de leurs prochains et également leur
apprendre à apprécier le principe de l'unité dans la diversité que représente
la famille humaine.
Son dévouement à la Foi s'amplifia à un degré tel que Mona rencontra de véritables
difficultés. En effet, elle consacra une bonne partie de son temps à s'investir
dans des activités Baha'ies au point qu'elle en négligeait ses propres cours.
Une fois, la pression était si forte qu'elle envisagea la possibilité de laisser
tomber ses activités baha'ies annexes ; cependant une telle solution lui parut
si difficile à assumer.
Un jour, tandis qu'elle éprouvait une certaine lassitude, elle demanda à son père
de lui venir en aide. Il lui lut un extrait des écrits sacrés Baha'is qui soulignait
:
" Les prophètes des Anciens Jours chérissaient l'espoir de demeurer en vie jusqu'à
l'ère nouvelle dans le seul but de pouvoir s'investir pour répandre la Cause de
Dieu ". Mona cessa immédiatement de parler de ses problèmes et décida qu'elle
ferait de son mieux pour tenir ses engagements.
D'ailleurs, elle se rendit à pied à l'école au lieu de prendre le bus afin de
pouvoir économiser suffisamment d'argent de poche en vue d'acheter des crayons
de couleur, des cahiers et des stylos qui serviront à décerner des prix aux enfants
Baha'is pendant les classes. Elle écrivit aussi des prières sur la page de garde
des cahiers pour que les enfants puissent les apprendre.
3. LA CRISE EN IRAN
En raison de la montée au pouvoir du clergé musulman, la révolution islamique
marqua une nouvelle ère de répressions atroces à l'encontre des adeptes de la
Foi Baha'ie. Les mullas, expression désignant le clergé, qualifiaient les Baha'is
" d'hérétiques " aux tout premiers souffles de la religion en 1844 et ne cessaient
de fomenter des troubles populaires à leur égard et même au cours des régimes
successifs. Ainsi plus de 20 000 Baha'is furent exécutés après avoir été victimes
de tortures barbares subis sur la place publique et ce, tout au long du 19ème
siècle.
Plus récemment en 1955 et en 1963, au cours d'agressions sporadiques exercées
par les forces conjuguées du clergé musulman shi'ite et de l'armée de l'ex Shah,
des Baha'is furent assassinés et leurs centres détruits.
Dès lors que le Bab a proclamé être le dispensateur d'une nouvelle religion complétant
l'islam, le clergé musulman réfuta catégoriquement la possibilité qu'un autre
message de source divine autre que celui de Mohammed puisse être révélé car il
considère ce messager comme " le sceau des prophètes ". De plus, ces autorités
religieuses appréhendaient fortement l'esprit moderne et social contenus dans
les enseignements de la nouvelle Foi tels que les principes de l'égalité des hommes
et des femmes, l'intérêt porté à l'éducation avec une ouverture d'esprit et notamment
l'accent mis sur l'initiative laissée à chaque homme et à chaque femme d'entreprendre
une recherche personnelle et indépendante de la vérité spirituelle sans la consultation
d'un clergé.
A Shiraz, les persécutions étaient particulièrement violentes. En 1978, la maison
du Bab fut l'objet d'actes de vandalisme commis par la populace qui incendia également
les maisons de plusieurs centaines de Baha'is. Ces événements affectèrent profondément
Mona et son père. Tous deux se rendirent à la maison du Bab alors quasiment détruite
le 19 novembre 1981 pour la dernière fois. La mère de Mona rapporte que lorsque
sa fille revint de sa visite, elle lui demanda expressément la permission de marcher
dans toute la maison en gardant ses chaussures puisque celles-ci portaient les
traces de la poussière relevée dans la maison du Bab. Selon les mots de Mona :
" Cela purifiera notre maison ". Puis, elle confia à sa mère avec beaucoup d'émotion
quelle désirait écrire quelque chose sur l'expérience qu'elle venait de vivre.
Aussi gagna-t-elle sa chambre pour se plonger dans une longue réflexion poétique.
Alors que la situation s'empira pour les Baha'is, Mona avait l'esprit troublé
par des pensées négatives qui présageaient d'un avenir incertain quant à la vie
de son père et de la sienne. Elle eut la vision pendant un rêve que son père et
elle-même allaient se faire tuer au nom de la religion. Après ce rêve, Mona renforça
les qualités qu'elle possédait déjà avec une nouvelle vertu : la hardiesse.
Comme les massacres s'aggravaient, Mona s'entretenait avec ses amis et leur écrivait
qu'il était nécessaire de faire preuve de courage devant les persécuteurs intégristes
en leur montrant une attitude vaillante face à la mort. Son père réagit de la
même façon.
Malgré l'interdiction d'assister à des conférences publiques baha'ies ordonnées
par les autorités islamiques, la famille Mahmudnizhad continuait à se rendre au
domicile de leurs amis Baha'is en dépit de la surveillance et de l'harcèlement
dont ils étaient l'objet.
3.1. Les persécutions à l'école
Toutes les catégories sociales de la communauté Baha'ie étaient victimes d'exactions.
Tandis que les autorités islamiques avaient d'abord tendance à cibler uniquement
les personnalités les plus importantes de la Foi en procédant à des arrestations,
des exécutions, mais aussi en prononçant des arrêts sur le versement des pensions
de retraite de vieillesse, en bloquant les comptes bancaires, et en favorisant
les licenciements abusifs ; ces mêmes autorités, s'attaquèrent sévèrement ensuite
au milieu scolaire en expulsant massivement les enfants Baha'is, et notamment
les lycéens et les étudiants.
Cependant, leur présence à l'école était tolérée à l'unique condition qu'ils renient
leur identité Baha'ie pour préserver leurs études. Pourtant même si l'on autorisait
encore les enfants Baha'is à poursuivre leurs études, ils étaient contraints à
s'asseoir au fond de la classe, et qualifiés de " mécréants ". Ils n'avaient pas
le droit de toucher les autres élèves. Un jour, un enfant Baha'i s'est vu infligé
une punition par son professeur intégriste musulman qui l'avait obligé à nettoyer
le sol de sa classe avec les mains nues parce qu'il avait refusé de renoncer à
sa Foi.
A Shiraz, un certain nombre d'enfants Baha'is furent expulsés et Mona espérait
que son tour viendrait prochainement. Cependant, au lieu de redouter cette situation,
elle l'attendait avec impatience parce que cela lui permettrait alors de se consacrer
entièrement aux activités de la communauté Baha'ie. Lorsque l'une de ses amies
fut renvoyée, elle lui dit : " C'est une bonne nouvelle, maintenant tu vas pouvoir
étudier les livres Baha'is pendant une année entière. Prie pour qu'il m'arrive
la même chose ".
En 1981, pendant la chute du pouvoir, qui correspond à sa seconde année de lycée,
Mona était inscrite à un cours de littérature religieuse. A ce stade précisément,
comme ce fut le cas pour la plupart des Baha'is d'Iran, sa liberté d'expression
était censurée et se bornait uniquement à consentir des réponses évasives lorsque
ses camarades de classe l'interrogeaient sur le symbolisme de sa bague.
Cependant lorsque le professeur de littérature donna aux lycéens un thème de réflexion
sur le sujet suivant : " Les fruits de l'islam engendrent la liberté de penser
et ouvrent le chemin vers l'indépendance ; quiconque s'en imprègne devient alors
un être privilégié " ; Mona afficha sa frustration.
Elle se lança dans les flots d'une dissertation poignante. Bien que les autorités
scolaires détiennent encore la réflexion dont Mona fut l'auteur, certains commentaires
qui ont servi à étayer son propos ont été masqués et lus comme suit :
" La liberté représente l'expression la plus brillante qui figure parmi les termes
scintillants de vérité existant au monde. L'individu, a, de tous temps revendiqué
et revendiquera toujours sa liberté. Pour quelles raisons alors en fut-il privé
? Comment se fait-il que depuis l'aube de l'Humanité il n'y a jamais eu de liberté
? L'histoire témoigne que l'Humanité a toujours été dirigée par des lobbies puissants
et sans scrupule qui pour sauvegarder leurs intérêts ont usé de moyens répressifs
et d'actes tyranniques.
Pour quelles raisons ne me laissez-vous pas exprimer librement nos objectifs au
sein de cette communauté, et ne me permettez pas de dire qui je suis, ce que je
désire et de dévoiler ma religion aux autres ?
Pourquoi ne m'accordez-vous pas la liberté d'expression afin que je puisse écrire
et être publiée ou intervenir sur les ondes de la radio et m'exprimer devant une
chaîne de télévision pour pouvoir faire connaître mes idées ? Bien sûr la liberté
est une grâce divine et nous avons aussi le droit à ce cadeau. Cependant, vous
nous en interdisez l'accès.
Pourquoi ne m'accordez-vous pas le droit de parler librement en qualité de Baha'ie
? Pourquoi refusez-vous d'admettre qu'une nouvelle religion a été révélée, qu'une
nouvelle étoile brillante s'est levée ? Pour quelle raison n'écartez-vous pas
cet épais voile de votre visage ?
Vous estimez probablement que je ne mérite pas la liberté. Pourtant, Dieu a garanti
cette liberté à l'homme. Vous, son serviteur, ne pouvez prétendre me l'enlever.
Par conséquent, je proclame et certifie que Sa Sainteté Baha'ullah est la Vérité.
Dieu m'a donné le droit de m'exprimer. Donc, j'affirme et signe dans un langage
clair que Baha'u'llah est celui que Dieu a rendu manifeste ! Il est le fondateur
de la religion Baha'ie et son oeuvre est la pièce maîtresse des écrits sacrés
".
L'éclatante sincérité du texte de Mona a provoqué un vent de panique à l'école.
Le principal, qui passait pour être quasiment un fanatique musulman, convoqua
Mona à son bureau et lui intima l'ordre de ne jamais plus prononcer un mot sur
la Foi Baha'ie sur les bancs de l'école. Interdiction à laquelle Mona dût se soumettre.
3.2. Le rêve racontant l'histoire des capes
Depuis l'âge de 13 ans, Mona commença à rêver et à écrire sur la mort de son père
de façon saisissante. Certains de ses écrits sont actuellement conservés parmi
ses effets personnels. Dix mois avant son exécution, Mona fit un autre songe extraordinaire
qui fut relaté plus tard par sa famille et ses amis.
Elle récitait des prières chez elle durant plusieurs heures en présence d'un petit
groupe d'amis. Après leur départ, Mona fut si transportée par la force des prières
qu'elle gagna le salon et se mit à méditer silencieusement avant de s'endormir.
Elle eut la vision que Baha'u'llah entra dans la pièce. La Beauté Bénie se dirigea
dans une chambre annexe et en revint avec une boîte contenant une magnifique cape
rouge. Il la déroula devant elle en lui notifiant : " Voici la cape de ton martyr
sur mon sentier. Est-ce que tu l'acceptes ? ". Mona resta sans voix et pourtant
enchantée. Finalement, elle lui répondit : " Tout ce qui Vous fera plaisir ".
Baha'u'llah rangea la cape dans sa boîte et retourna dans l'autre pièce et rapporta
une seconde boîte dans laquelle se trouvait une cape de couleur noire qu'Il déballa
et déclara : " Cette cape noire symbolise la douleur semée sur mon chemin. Est-ce
que tu l'acceptes ? ". Mona Lui répliqua : " Combien belles sont les larmes versées
sur Votre sentier ! ".
Il remit la cape noire à sa place et rentra à côté de la pièce, puis Il fit irruption
cette fois-ci avec une troisième boîte dans laquelle une ravissante cape bleue
était rangée, soigneusement confectionnée avec le même type de motif que les précédentes.
Sans aucun mot d'hésitation, Il enroula la cape autour des épaules de Mona et
lui confia : " Voici la cape qui servira ma cause ".
Puis il s'assied Lui-même sur le fauteuil et demanda à Mona : " Viens prendre
une photo avec moi ". Mona fut tellement touchée par cette surprenante faveur
et par autant de sollicitudes manifestées à son égard qu' elle en eut le souffle
coupé et qu'elle eut du mal à marcher. Elle leva les yeux et aperçut un homme
assis derrière un vieil appareil photographique lequel était recouvert par un
tissu. Baha'u'llah lui renouvela son instruction mais Mona ne put esquisser un
seul mouvement.
Alors Baha'u'llah lui saisit le bras en disant : " Mehdi, prend notre photo !
". Et le photographe les prit ensemble. Le flash de l'appareil la réveilla brusquement,
aussi dût-elle lutter péniblement pour pouvoir terminer son rêve et finalement
elle s'endormit. Baha'u'llah avait quitté la pièce. Il ne restait plus que le
photographe, transportant le trépied et juchant l'appareil sur son épaule comme
s'il était sur le point de s'en aller. Il se retourna et pria Mona de bien vouloir
transmettre toutes ses pensées pleines d'amour à ses enfants.
Cependant, Mona était incapable de dire de quel Mehdi il s'agissait car ce prénom
appartenait à de nombreuses personnes qui avaient servi la cause tout au long
de la grande histoire de la Foi et même au sein de sa propre communauté. Pourtant
son visage ne lui était pas inconnu.
Mehdi remarqua que Mona ne l'avait pas reconnu. Alors qu'il s'apprêtait à quitter
la pièce, il se tourna vers elle et lui dit : " Je suis Mehdi Anvari". A ces mots,
l'esprit de Mona s'éclaircit et elle identifia cet homme comme un ancien de Shiraz
qui avait été exécuté (Monsieur Mehdi ANVARI fut exécuté à Shiraz le 17 mars 1981).
3.3. L'arrestation de Mona et de son père
Les mois qui suivirent le songe racontant l'histoire des capes furent chargés
de tensions pour la communauté Baha'ie. A Shiraz, le Procureur de la République
avait prononcé une série d'arrestations massives à la fin du mois d'octobre 1982.
Cependant même si l'arrestation du père de Mona, pour cause de ses services au
sein de l'Assemblée Spirituelle Locale et auprès du Bureau Auxiliaire, paraissait
inévitable, peu de personnes ne s'attendaient à ce que Mona fut également capturée.
L'arrestation eu lieu le 23 octobre 1982 à 19 heures 30. Mona se trouvait chez
elle en compagnie de ses parents. Sa soeur, Taraneh, était mariée et ne vivait
plus avec sa famille. Au moment où l'on sonna à la porte d'entrée, Mona travaillait
sur un contrôle d'anglais, son père écrivait quelques lettres sur un bloc-notes,
quant à sa mère, elle vaquait à quelques tâches ménagères. Monsieur Mahmudnizhad
alla ouvrir la porte et quatre gardes exigèrent d'enter en déclarant qu'ils étaient
assermentés par le Procureur de la République avec pour mission de perquisitionner
le domicile de la famille Mahmudnizhad.
Avant que l'inspection ne démarre, Mona demanda la permission de porter son chador
(nota : foulard de femme) et fut escortée jusqu'à sa chambre pour le récupérer.
Son père demanda si son épouse pouvait passer une veste. Puis les trois membres
de la famille reçurent l'ordre de s'asseoir au salon ; Mona et sa mère devant
se tenir de chaque côté de Monsieur Mahmudnizhad . Pendant qu'un garde braqua
son arme en direction de la famille, les trois autres entreprenaient une fouille
minutieuse en chamboulant toute la maison.
Au cours d'un instant, la mère de Mona chuchota à son époux : " Que vais-je faire
? Ils vont t'arrêter ! ". Son mari lui répliqua : " Récites la prière intitulée
Epreuves et difficultés , et concentres ton attention sur Abdul'Baha " (Nota :
Abdul'Baha est l'une des figures centrales de la Foi Baha'ie et le fils du fondateur
Baha'u'llah. Sa vie et ses écrits représentent une source d'inspiration et une
lampe qui éclairent les enseignements de la Foi Baha'ie).
Puis il fixa son regard sur le portrait de Abdul'Baha en face d'eux. Mona reflétait
l'expression de la sérénité même, elle continua à étudier sa leçon d'anglais.
Elle se risqua même à poser une question à son père, mais le garde lui intima
l'ordre de se taire.
A la fin de la perquisition, la mère de Mona fut complètement bouleversée lorsque
la faction armée ordonna à Mona et à son père de les suivre. Elle s'exclama :
" Je peux comprendre que vous emmeniez mon mari, mais pourquoi voulez-vous emmener
Mona ? ce n'est qu'une enfant ".
Il semblerait que l'un des gardes lui répondit : " Ne dites surtout pas que c'est
une enfant. Vous devriez plutôt l'appeler une jeune enseignante Baha'ie. Tenez,
regardez ce poème, ce n'est pas l'oeuvre d'une enfant. Il pourrait être une bombe
incendiaire qui embraserait le monde. Un jour, elle deviendra une grande enseignante
Baha'ie ".
Les gardes ne cessèrent de proférer des insanités à l'encontre de Mona et de son
père, ce qui eut pour effet d'angoisser profondément Madame Mahmudnizhad à tel
point que son époux lui dit de ne pas s'inquiéter et lui murmura doucement qu'il
considérait ces gardes comme ses propres enfants et Mona leur soeur ; qu'ils avaient
été choisis par Dieu pour venir à la maison les arrêter ensemble.
Mona réconforta sa mère en lui disant : " Pourquoi supplies-tu ces gens ? Quelle
offense ai-je commis ? Ai-je été une mauvaise fille ? Avons-nous caché des objets
frauduleux dans la maison ? Ils m'arrêtent pour la simple raison que je crois
en Baha'u'llah. Tu sais maman, cela va nullement nous conduire en prison mais
au paradis. Nous n'allons pas sombrer dans un abîme mais nous envoler vers la
lune ".
Lorsque les gardes emmenèrent Mona et son père, ils leur confisquèrent également
tous leurs documents et certaines cassettes audio contenant la voix mélodieuse
de Mona psalmodiant des prières.
PHOTO: Yad'ullah MAHMUDNIZHAD, le père de Mona, aussi
éxécuté le 12 mars 1983