Dieu en direct
Lucrèce Reynaud


Retour au sommaire


Chapitres 9 à 17

Chapitre 9. LE BAB

A Shiraz, le 9 Octobre 1844, le Bab avait enfin reçu le rapport de Mulla Hussayn. Sa joie fut immense d'apprendre le succès de cette mission et que le haut destinataire de son message ait agi ainsi qu'il l'avait fait. Dès lors, l'attente ne le retenant plus en cette ville, le Bab accompagné par la dix-huitième Lettre du Vivant, et par Mobarek son serviteur éthiopien partit à la fin de ce même mois, au pèlerinage à la Mecque et à Médina, les deux villes saintes de l'Islam.

Une fois ce pèlerinage accompli, le Bab fit remettre au Grand-Shérif de la Mecque un pli scellé contenant la déclaration de la "nouvelle" qu'il incarnait. Mais le shérif, fort occupé, n'ouvrit même pas le document.

Au dernier jour de son séjour à la Mecque, le Bab y avait rencontré Muhit, le n° 2 du turbulent trio qui, à Karbila, avait tant éprouvée la patience de seiyyed Kazim, et à Muhit le Bab avait formellement déclaré: En. vérité, je déclare que personne en ce Jour, sauf Moi, ni à l'Est ni à l'Ouest, ne peut se prétendre la Porte qui mène l'homme à la connaissance de Dieu. Ma preuve n'est autre que celle même par laquelle la vérité du rang du prophète Muhammad. a été établie. Questionnez-moi et je m'engage en cet instant à révéler de tels Versets qu'ils démontreront le caractère authentique de ma mission. Vous aurez alors à choisir entre la soumission sans réserve à ma cause, ou son rejet total (...) Exposez donc ce qui vous trouble."

Muhit s'était alors empressé d'exposer ses nombreuses objections, auxquelles le Bab promit une réponse qui lui serait envoyée par écrit. Ce fut cette réponse, sous forme d'un traité intitulé "Epître écrite entre les deux sanctuaires" (Saïmiri Baynu'l-Hararmayn), que Muhit reçut effectivement à son retour à Karbila. Mais ses objections n'en furent point levées. Toutefois, au-delà de cet objecteur, l'exposé du Bab fut discuté dans les groupes irakiens que fréquentait Muhit et, de ce fait, soit par rejet total, par acceptation mitigée ou par adhésion sans réserve, le message du Bab se trouva implanté en Irak.

Après la Mecque et Médine, le Bab revint au port iranien de Bender-Bushir où il débarqua vers Mars 1855.

Là, il chargea son bien-aimé compagnon de voyage de le précéder à Shiraz, porteur d'un autre exposé intitulé "Les sept Attributs" (Khasa'il-Sabih) qui explicitait pour les nouveaux adeptes Iraniens ce qui jusque là n'était encore qu'implicite.

Ce ne fut pas un au revoir mais un adieu, car il annonça au jeune homme que d'ici peu d'années et sans qu'ils se fussent revus, celui-ci tomberait en martyr pour la cause, suivi de près par son propre martyre.

(En 1848, lors d'un évènement majeur du Babisme, ce jeune compagnon, dix-huitième Lettre du Vivant, sera nommé Quddus (le Sanctissime), nom sous lequel il s'illustrera tragiquement, Désignons-le déjà ainsi pour faciliter le récit.)

Quddus donc, en arrivant à Shiraz est hébergé chez l'oncle qui éleva le Bab. Il lui apporte une missive de son neveu. L'oncle la lit, Quddus la lui commente. Dès lors la vie de l'oncle est acquise à la cause. Son coeur aimant, son. âme religieuse saisissent les implications de la révélation. Et la notoriété de cet homme de bien va s'avérer des plus utiles. Il aura été le premier, hormis les membres de l'Unité du Vivant et Hussayn-Ali, de Nur, à vouer sa vie tout entière à la Cause nouvelle.

Puis Quddus rencontra mulla Sadiq, un très éminent ancien shaykhi de Karbila auquel il fait connaître les "Sept Attributs". A la lecture de cet exposé du Bab, cet homme âgé s'enflamma comme un jeune homme.

L'antique appel à la prière clamé cinq fois par jour du haut des minarets, l'addhan, est pour l'Islam un appel immuable.

Le 6 Août 1845, en la mosquée d'Ilkhani, shaykh Gadiq ose lancer l'appel à la prière sous une formulation différente: celle énoncé, par le Bab dans l'exposé en question. Puis, emporté par son élan, il monte au minbar et, de cette chaire, s'adressant à l'assistance déjà violemment commotionnée, le voici qui commence à lire une apostrophe du "Qayum'u1-Asma": "Ô Assemblée de Rois et Fils de Rois (...) renoncez à votre pouvoir" mais sa voix est aussitôt recouverte: hérésie, blasphème, horreur, hurle le clergé assis aux premiers rangs. Et les fidèles terrifiés d'ajouter leurs imprécations à ces clameurs !

Après quoi, le tumulte ayant gagné la ville entière, le gouverneur général du Pars, ce même Hussayn Khan qui fut ambassadeur à Paris en 1839, fit arrêter le coupable et Quddus, puis se fit apporter le livre concerné.

Ce document l'épouvanta. L'ordre public, selon lui, en tremblait sur ses bases.

C'est qu'il n'était plus en faveur le "modèle des khans les plus distingués" reçu par Louis-Philippe. C'est qu'il n'était que depuis peu chargé de gouverner le Pars, ce gouverneur. Et C'est aussi qu'il lui fallait rembourser ses dettes parisiennes, sous la menace de disgrâce par son souverain. Bien des raisons pour ne point tolérer la moindre apparence séditieuse et regagner la haute quote.

Shaykh Sadiq fut battu à merci. Ensuite, Quddus et lui, avec Ali-Akbar, un troisième engagé, toutes barbes brûlées, leurs nez percés et reliés par le même licou, furent exhibés dans le bazar et promenés dans les rues de Shiraz la douce.

Enfin, Hussayn Khan les fit expulser de la ville et rechercher, l'auteur d'un tel écrit séditieux. La police eut tôt fait d'en identifier la personne.

Comment? Celui qui prétendait parler en souverain à l'Orient et l'Occident, donner ses ordres aux rois des plus puissants empires, indiquer à l'Islam sa conduite, mettre même en danger la position du gouverneur, celui-là n'était qu'un simple négociant parmi les sujets de sa ville !!

Qu'on me l'amène sur le champ !
Oui, mais ce shirazien se trouvait présentement à Bushir !
Qu'on aille l'y quérir et l'amène enchaîné, rugit son Excellence.

A la troisième étape de Shiraz vers Bushir, dans la partie désertique, les gardes-montés aperçurent au loin venant vers eux en sens inverse, un jeune cavalier, seiyyed apparemment vu la couleur de sou turban et commerçant aussi vu ce turban petit que portent les gens du commerce. Un serviteur de race noire le suivait.

Au point de croisement des cavaliers, le voyageur salua et s'informa de leur destination. Le chef des gardes mentionna vaguement une enquête. Le Bab alors, en souriant:

"Le gouverneur vous a mandés pour m'arrêter, me voici (...) Livrez-moi à votre maître et ne craignez point car personne ne voue blâmera".

La garde sidérée dut faire demi-tour car le Rab, en toute liberté, s'était mis en tête de l'escorte et la ramena paisiblement jusqu'à Shiraz, droit au siège du gouvernement provincial.

La confrontation a lieu presque aussitôt, en présence de shaykh Abu-Turab le grand chef religieux régional, homme bienveillant et de paix, et d'un assesseur, shaykh Hussayn, homme malveillant et de violence. Elle est menée avec fureur par S.E. le gouverneur général du Fars, jusqu'au point culminant où quelqu'un frappe le calme interrogé en plein visage. Sous le coup violent, le turban vert roula au sol. Le turban respecté des seiyyeds ! Abu-Turab n'en voulut tolérer davantage. Après avoir rappelé à la décence, il reprit lui-même la direction de l'interrogatoire. L'oncle du Bab, averti par la rumeur publique, accourt pour demander la libération de son neveu. Celle-ci lui est finalement consentie mais l'oncle doit se porter garant, sous peines graves, que le jeune perturbateur vivra en reclus dans sa famille et sans communiquer avec l'extérieur. Un délai de trois jours est alors demandé afin que - sans commettre d'infraction - le pèlerin revenant de la Mecque puisse recevoir les inévitables visiteurs qui ne vont pas manquer d'accourir, conformément aux usages, pour l'en féliciter. Trêve conclue. L'incident est clos.

Son Excellence allait-elle pouvoir classer l'affaire ?

Oh que non ! La ville s'avérant toujours aussi nerveuse et les fanatiques actifs.

Actifs tant et si bien, que le grand chef religieux fut obligé de convoquer le Bab à la mosquée principale, lors de la solennité du Vendredi, - pour y être démasqué, disaient les gens -, pratiquement, pour y formuler publiquement une justification apaisante.

Dans une étude sur la Perse que fit le comte de Sartiges, se détache la remarque suivante:

"L'importance du clergé se comprend, quand on observe qu'il n'y a en Perse d'autre opinion publique que l'Opinion publique religieuse. Les luttes pour le pouvoir se passent au-dessus des masses qui restent indifférentes au sort des hommes qui se le disputent. On n'est attaché ni au shah ni. à sa famille ni à son ministre; on accepte toujours le gouvernement de fait et on ne le défend jamais. L'avènement au trône de tel ou tel prince d'une même famille n'émeut nullement la population de la Perse.
Un changement de dynastie, pourvu qu'il ne soit pas accompli d'une façon ruineuse pour le pays, parait aux persans un fait curieux mais non pas de nature à les passionner. Mais si un fait vient à se produire, dans lequel le sentiment religieux peut être froissé et si les chefs du clergé le pensent et le disent, alors apparaît une opinion publique qui se prononce avec force, à tort ou à raison, contre laquelle personne n'ose lutter et qui entraîne tout avec elle."

C'est bien pourquoi, lors de ladite convocation du Bab à la grande mosquée principale, la foule ce jour là, jour solennel du Vendredi, la foule s'entassait, dense, tumultueuse, et le moindre incident eut eu des suites graves.

Or le Bab, en confirmant alors publiquement sa fidélité aux vérités de Muhammad. et du Coran, à celles de la tradition imamite, à leurs prophéties et à leurs enseignements, le Bab démontra implicitement qu'il n'était point cet imposteur, ce négateur, que l'on supposait qu'il fut. Mais ce faisant, il évitait d'expliciter prématurément devant cet auditoire là, qu'en vérité, lui, Ali- Muhammad, de Shiraz, se savait être Celui que l'Islam avait attendu depuis 1260 ans.

En bref, si le Bab confirma tout ce qu'il n'était pas, il garda le silence sur tout ce qu'il se savait être.

La séance avait été chaude, voire brutale. Mais, tant mal que bien, l'affaire se calma. Et, sous l'autorité protectrice du grand chef religieux, le Bab reclus en sa famille connut encore les quelques mois du calme relatif nécessaire à la mise en place des facteurs de son plan concerté.

En Septembre 1845 à Téhéran, le Shah venait d'avoir une si violente crise de goutte que le bazar - signal de panique - on avait presque cessé ses activités. Un vague docteur Labat, français qui avait jusque là soigné le souverain, ayant abandonné son malade en pleine crise, voici que le premier ministre Aqassi écrit personnellement à M. Guizot, ministre français des Affaires étrangères, pour demander à la France l'envoi d'un rhumatologue de valeur auprès du Shah de Perse.

Cette missive est acheminée par M. de Sartiges le 8 Octobre 1845, et le diplomate ajoute que les légations de Russie et d'Angleterre ont offert, avec une énergie concurrentielle, leurs deux médecins respectifs au royal patient, mais que celui-ci s'y est farouchement opposé, préférant rester sans soins jusqu'à ce qu'il puisse "remettre sa santé aux mains de la France". Et même sans soins, la santé du souverain parait se rétablir.

Puis le 14 Octobre, le roi fut à nouveau au plus mal et semblait si près de mourir qu'il y eut complot de succession. Ce qui n'apaisait point les choses.

Le Shah, tolérant enfin les praticiens russe et anglais, se remit, lentement toutefois. Mais la situation restait grave et toutes les affaires politiques on cours se trouvaient suspendues.

"Depuis ce jour, écrivait M. de Sartiges le 31 Octobre, le Shah s'est plus particulièrement occupé de son fils aîné. Il a voulu qu'il fût entouré d'une garde nombreuse, qu'on lui rendît des honneurs royaux qu'on l'entretint des affaires, enfin, qu'on le préparât à son rôle difficile d'héritier du trône de Mohammad Shah".

A Shiraz, la dénégation publique du Bah à la grande mosquée, où les curieux avaient vu de leurs propres yeux celui qui secouait leur ville, où les dévots avaient reçu apaisement orthodoxique, cette dénégation avait eu pour effet non d'éteindre mais d'exciter les controverses. Les uns, émus, inclinaient pour le Bab. Les autres, méfiants, se rangeaient dans les opposants. Et tout cela était assez bruyant.

Partout ailleurs, les partisans du Bab, déjà placés sur le vaste échiquier des provinces, lui gagnaient peu à peu une partie de l'opinion publique, tandis qu'hurlaient au loup les bergers de la religion.

Ces hurlements firent dresser l'oreille au roi convalescent.

Voulant se faire une opinion sur cette surprenante affaire, Muhammad Shah délègue auprès du Bab, un enquêteur impartial, le célèbre érudit religieux Yahya, de Darab, dont la perspicacité et la probité de pensée sont intangibles. Son avis sera le bon.

Ce fut plus qu'un avis car ce fut un exemple ! Cet enquêteur impérial, après ses entretiens (autorisés) avec le Bab, et sa conviction étant faite, adresse le rapport de sa mission au souverain, puis s'élançant - plus bas, au Sud - vers sa propre contrée, i1 enflamme sur son trajet toutes les villes et villages auxquels il annonce le Bah dans une ferveur absolue. Sa vie est désormais vouée à la nouvelle révélation. Il prend place sur l'échiquier parmi les "fous de Dieu", dont il sera l'un des plus efficaces, également jusqu'au martyre.

Son nom religieux de babi étant "Vahid" (l'Unique), c'est ainsi qu'il sera désigné dorénavant.

Le 9 Janvier 1846, le ministre Guizot écrit à Aqassi que le docteur Cloquet vient d'être choisi et va se mettre on route avec des médicaments appropriés.

Le roi, continuant d'être souffrant, n'en poursuit pas moins quelques activités secondaires. Il adresse notamment à Hussayn Khan gouverneur de Shiraz un décret menaçant au sujet de sa dette française encore non soldée.

Les affaires du pays, toutefois, ne marchent guère. Et M. de Sartiges observe: "... le Premier Ministre, occupé comme toujours replâtrer, au lieu de les réparer, les parties de l'édifice qui menacent ruine, et laissant l'avenir du pays aux chances du hasard et aux mains de la providence."

Ce qui explique comment et pourquoi le Bab à Shiraz, reclus on sa famille, ait connu un certain répit dans le temps.

C'est en ces conditions qu'il fêta chez lui, en 1846, près de sa mère et de son épouse, son dernier Naw-Ruz de tendresse familiale, au Jour de 1'An iranien (21 Mars) ouvert sur l'équinoxe du Printemps.

L'exemple religieux donné par l'impartial Yahya qui, après avoir été envoyé au Bab par le Shah pour enquête, avait voué sa vie à la nouvelle révélation, fut bientôt connu à Téhéran où il fut commenté comme une nouvelle à sensation.

Et comme la petite ville de Zanjan n'est qu'à quelques 330 Kms au N.0. de cette capitale, l'information y parvint rapidement. Elle intrigua si fort un autre très grand érudit religieux, Muhammad Ali, célèbre par sa haute spiritualité et son libéralisme attentif, qu'il envoya immédiatement en mission à Shiraz son meilleur disciple Iskandar.

Mandé par une si haute et si probante personnalité du monde shi'ite, on ne peut refuser à ce deuxième enquêteur d'accéder jusqu'au Bab reclus, avec lequel il eut de longs entretiens. Puis Iskandar revint à Zanjan porteur - outre son avis personnel - d'un exemplaire du "Qayumm'ul-Asma".

Aussitôt arrivé, il joint son maître. Celui-ci est justement en réunion avec les principaux théologiens de la ville.

A peine l'éminent Muhammad Ali a-t-il porté les yeux sur le manuscrit du Bab qu'il prend son auditoire pour témoin de son obédience immédiate à l'auteur de cette révélation car, dit-il, ce qu'il vient de lire procède de la même source divine que le Coran et que nier cela serait nier Dieu même.

Le libéralisme du célèbre érudit déplaisait en général beaucoup à ses collègues, l'on pense bien l'accueil qu'ils firent à cette nouvelle prise de position !

Ces bergers là ne se contentent pas de crier sus à l'hérésie. Estimant intolérable de voir le nouveau converti convertir vivement à son tour leur ville et les environs, ils adressent une pétition au Shah, dénonçant ce danger public.

Muhammad Shah soupire et convoque tout ce monde en son palais devant un consistoire à la fois religieux et gouvernemental, dont il dirige les débats.

Belle occasion pour le converti de défendre publiquement sa conviction. Le souverain n'objecte rien et renvoie les Zanjanais chez eux sans interdit quelconque.

Coup Nul ? Non ! Car grosse publicité, empirique peut-être, mais efficace assurément.

Après quoi, Muhammad Ali, le nouveau supporter du Bab, lui mande un second délégué chargé de lui porter son obédience. Mais cette mission est secrète. Lorsque ce délégué revient, il apporte une missive du Bab qui confère au nouveau grand adepte le nom religieux de "Hujjat" (La Preuve) et qui lui donne le feu vert pour désormais proclamer sans réserve afin de prouver encore davantage

Et la ville de Zanjan devient un ardent foyer d'exemplification de la foi. Elle s'illustrera quatre ans plus tard, on 1850, par un affreux carnage et le nom de Hujjat s'écrira dans le sang du martyre des babis de cette ville.

Le Bab, peu après la fête de Naw-Ruz 1846, avait écrit aux shaykhis de l'Irak que, retenu contre sa volonté, il ne pouvait les y rejoindre et que, son plan étant ainsi modifié, c'est eux qui devaient venir on Perse, à Isfahan, pour y attendre ses directives.

Le 8 Mai 1846, le Dr Cloquet, arrivant de Paris à Téhéran, y prenait aussitôt son service auprès du shah et, peu à peu, l'inquiétude générale s'estompant, les activités normales du gouvernement reprirent leur cours.

En ce printemps 1846, Mulla Hussayn qui, depuis la fin de l'Eté 1845, séjournait en sa province natale du Khorassan, vient d'en partir pour se rendre en Irak. Ignorant la réclusion du Bab à Shiraz, il pense le rejoindre à Karbila conformément aux instructions que le Bah lui avait données en 1844. Il est encore accompagné do son frère et de son neveu.

Derrière lui, au Khorassan, commence une révolte tribale menée par le chef Jafar-Quli Khan qui - refusant l'autorité royale - s'allie aux Turkmans contre la Perse. Le prince Aseph-el-Dowlet, frère du shah et gouverneur général du Khorassan, réagit militairement. Cette révolte - qui va durer quatre ans et faire très peur à l'Etat - va monopoliser l'intérêt des observateurs et des conseillers du shah de Perse.

Venant d'Irak, les shaykhis irakiens qui ont reçu la lettre du Bab les convoquant à Isfahan sont on route vers cette ville.

En Iran, au carrefour de Kangevar, c'est, entre le groupe de Mulla Hussayn et celui des irakiens, la surprise de la rencontre. Ensemble ces voyageurs babis font le point.

A Shiraz, le Bab, en lucide prévision des événements qui vont le séparer à jamais de sa mère et de son épouse, a pris des dispositions juridiques pour leur transférer ses biens et les mettre à l'abri des vicissitudes matérielles jusqu'à la fin de leurs vies. Sa mère ayant toujours vécu sous le voile de la femme musulmane, bien protégée par son époux, puis, veuve, par ses frères, et, tout particulièrement par celui entre eux qui fut le tuteur de son fils, est habituée à respecter aveuglément l'autorité du chef de famille. C'est pourquoi elle ne cherche pas à comprendre ce que veut, ce que fait, ce que dit son fils tant chéri et ne soupçonne ni la gravité des événements ni l'importance de ce qui se joue.

Heureusement car cela serait au-dessus de ses forces.

Sa belle et jeune épouse, par contre, peut tout porter. Depuis le début elle fut informée. Elle est pleinement consciente et assiste le Bab de tout son tendre acquiescement à la volonté de Dieu.

Le Bab, après avoir pris ses dispositions de sécurité pour sa maisonnée, dit adieu à sa bien-aimée et lui fait don, en viatique, d'une prière révélée pour elle. "Quand tu seras troublée, tu la diras avant de t'endormir. Alors je t'apparaîtrai et dissiperai ton angoisse."

Puis il quitta le nid de sa jeunesse heureuse et se transféra dans la maison de son oncle Ali, en transit. Il larguait ainsi son passé humain pour n'être désormais que le libre Oblat-Annonciateur qui allait devoir faire et subir ce qu'il lui incombait d'avoir fait et d'avoir subi, afin que puisse se manifester ultérieurement le Seigneur de l'Accomplissement.

A Kangevar, les amis ont fait le point et Mulla Hussayn les accompagne à Isfahan. Là, ils apprennent qu'à Shiraz cela va mal et qu'ils doivent demeurer sur place. Mais, n'y pouvant tenir bridées son angoisse et son impatience, Mulla Hussayn - avec son frère et son neveu - quittent leurs robes religieuses et vêtus en cavaliers khorassanais s'élancent vers Shiraz où ils ont des entrevues secrètes avec le Bab.

Le Bab alors consent à faire venir les irakiens restés à Isfahan, mais sous le couvert et par petits groupes discrets. Ce qui a lieu conformément.

Las! parmi eux, trois pernicieux se font bientôt remarquer par les intrigues qu'ils déclenchent. Ils passent au camp ennemi. S'y rendent même intolérables et se font expulser de Shiraz.

Ils rejoignent les effectifs de Karim Khan Qadjar, qui a transféré à Kirman la direction de l'école shaykhie dont il s'est institué le directeur, et qui tire à boulets rouges sur le Babisme. De là proviennent les documents antibabis qui circulent et font campagne.

En partie pour ces faits, à Shiraz tout va de mal en pire. Si mal, que le Bab par prudence renvoie les axais à Isfahan et son précieux Hussayn - avec frère et neveu - là-bas, très loin à l'Est, en leur Khorassan natal où ils n'auront, si la sédition tribale durait encore, qu'à faire oublier leur présence, mais où ils seront en sûreté.

A Téhéran, en Juillet-Août 1846, le choléra venu de l'Est par la route du Khorassan a fait son entrée dans la capitale.

M. de Sartiges en fait la description: "La terreur la plus extrême règne dans la ville (...) précipitamment abandonnée (...) le bazar est fermé, le commerce interrompu, les paiements refusés, la police et l'administration de la ville entièrement remise aux chefs des quartiers."

A Niavaran, résidence d'Eté du shah, le fléau a sévi. Dans un sauve-qui-peut général, le roi, la cour, le premier ministre et son gouvernement ont escaladé la montagne. Le prince Karaman âgé de vingt-six ans et frère du roi a succombé malgré les soins du Dr Cloquet, ainsi que plusieurs personnes. La distance en hauteur n'ayant pas été suffisante, tout le monde a gagné le sommet de L'Elburz et toute politique est, de ce fait, interrompue.

Le 29 Juillet 1846, M. de Sartiges relate que: "le gouvernement persan aurait la velléité de faire une expédition contre Bokhara (...) Le gouverneur du Khorassan (...) ne demande que cent mille tumans et quelques troupes en sus de celles qu'il commande, pour entreprendre cette expédition dont à l'avance il garantit le succès. Mais ce projet semble contrarier l'Angleterre et je sais que le colonel Sheil proteste contre sa mise à exécution. (...)"

A la fin. du mois d'Août, de Sartiges annonçait que le choléra était presque éteint dans la région de Téhéran.

A Shiraz, l'on adore ou l'on croasse, tandis que les vautours du gouverneur guettent leur proie. En ce mois de Septembre 1846, la chaleur y est suffocante, au propre comme au figuré.

Le gouverneur général en jubile de rage. Enfin, il va pouvoir intervenir, abattre l'hérésie, sauver l'Etat, se couvrir de mérite. La chose est simple, il n'a qu'à s'emparer du Bab et le faire tuer nuitamment sans nulle forme de procès. Il donne l'ordre.

Vers la fin de la nuit la plus torride, le Bab chez son oncle converse avec un ami de Zanjan. Lorsque, par les toits, font irruption le chef de la police et ses hommes de main. L'officier rafle tous les documents et arrête le Bab et son interlocuteur. Sans objecter, le Bab énonce paisiblement un verset coranique: "Ce dont ils sont menacés est pour le matin. Le matin n'est-il point proche?".

Et voici que, lorsqu'ils sortent de la maison, l'officier de police est stupéfait. Des gens affolés dans les rues, la peur et les lamentations partout. C'est que, dans la chaleur, le choléra vient d'éclater comme foudre et que depuis minuit nombreux déjà sont ses ravages.

Cet officier, Abdul-Hamid, mène pourtant ses prisonniers au gouverneur. Mais là, plus personne sauf trois cadavres et des agonisants. Son Excellence, avec les survivants de sa maison, s'est enfuie hors la ville, dans la nature.

Perplexe, le policier conduit les prisonniers dans sa propre demeure. Horreur! son fils y est déjà mourant. Oh! que le Bab, au nom du ciel, y fasse quelque chose ! En repentir sincère, il se jette à ses pieds. Le Bab l'exauce. Abdul-Hamid, voyant son fils lui revenir, décide d'adresser au gouverneur, sitôt le jour venu, sa démission on l'informant des circonstances.

Cela fait, la réponse d'Hussayn Khan ne tarde pas: 1ibération immédiate du Bab pour qu'il s'en aille où bon lui semble mais qu'il s'en aille. Et l'ordre d'exil est formel, applicable immédiatement.

Alors le Bab régla brièvement avec son oncle Ali le caractère définitif de son départ de Shiraz, lui confia - sans les avoir revues - sa mère et sa jeune femme, le priant de leur exprimer sa tendresse.

Puis, son ami de Zanjan et lui lancèrent leurs chevaux sur les presque 500 Kms qui séparent Shiraz d'Isfahan, cette célèbre ville à mi-chemin de l'objectif de son voyage, objectif qui était de parvenir en présence du shah à Téhéran.

Le gouverneur de la province d'Isfahan, Manuchir Khan, n'était pas du modèle courant. Géorgien d'origine, capturé enfant et vendu comme esclave, puis châtré conséquemment et converti nécessairement à l'Islam, il avait toutefois réussi à se faire en Iran une belle carrière administrative. Parti de bas et monté haut par sa seule valeur, il s'était vu finalement confier la région d'Isfahan fort difficile à gouverner. Cupide, bien sûr, cruel s'il le fallait, mais intelligent cultivé et courtois, il avait en cette fonction bien géré l'intérêt général tout on amassant pour lui une belle fortune, à la mode d'alors. De plus, il jouissait de l'estime et de la confiance du souverain.

Lorsque le Bab et son compagnon parvinrent aux approches d'Isfahan, le banni de Shiraz fit porter par ce dernier une missive au gouverneur, lui demandant asile et que fut désigné un point d'hébergement. Aussitôt, une escorte de bon accueil fut envoyée vers l'arrivant et sa résidence fut organisée par les soins du gouverneur chez le chef religieux suprême de la ville.

Quarante jours durant, sous ce toit, le Bab connut la sécurité. Sa protection et son séjour eussent été parfaits si, là encore, il n'avait suscité tant de passions diverses, d'émerveillement et d'amour, de conversions, d'honneurs multiples, de mouvements de foules, de jalousies, de haines.

De Téhéran, Aqassi le premier ministre, tenu informé, menait un double jeu. Sous mine de conciliateur, il excitait de loin la nervosité du corps ecclésiastique isfahanais; de près, il surveillait l'indécision du roi. Et tandis que les uns finissaient par signer sur place une déclaration d'hérétisme impliquant la peine de mort, de loin, le roi faisait mander le Bab à Téhéran,

C'est alors que Manuchir Khan, le gouverneur pris entre ces feux divergents, inventa l'étrange compromis que voici: pour sauver le Bab de son verdict de mort, pour le sauver également des intrigues d'Aqassi, comme pour se donner à lui-même le temps de préparer avec efficacité un valable entretien entre le Bab et le Roi, en lequel le souverain puisse être ouvertement informé par le Bab lui-même des objectifs de sa révélation, pour toutes ces raisons le gouverneur mit en scène l'envoi du Bab vers Téhéran, accompagné d'une escorte de cinq cents cavaliers. Départ spectaculaire que tout le monde pu voir.

Mais ces cavaliers, une fois en route, reçurent l'ordre de se disséminer par petits groupes vers différentes missions, tandis que dix entre eux, hommes de confiance restés autour du Bab, le ramenaient de nuit, secrètement, dans les appartements privés du gouverneur.

Son plan était valable, humainement parlant! Mais le Bab déclara à Manuchir Khan. que tout évoluerait très différemment, car - avant qu'il puisse aboutir - Manuchir, dans trois mois, mourrait sans mal et de mort naturelle, tandis que Dieu dirigerait sa Cause selon ses propres voies et la ferait triompher autrement.

Le gouverneur, sous la mystérieuse influence de celui qui transformait les âmes et les coeurs, non seulement ne se révolta point à l'annonce d'une mort si proche, mais s'y résigna saintement. Etait-ce là sa grâce spéciale ?

En tous cas, possesseur d'une fortune amassée au cours de ses fonctions, l'homme en fit don propitiatoire au Bab et le Bab l'agréa dans ce but, mais à condition qu'ainsi purifiée le gouverneur - l'acceptant en retour immédiat - on fasse répartition réparatrice envers les pauvres.

Manuchir Khan comprit-il mal ou voulut-il mal comprendre, toujours est-il qu'après sa mort on vit que par son testament il avait quand même fait du Bab son légataire.

A peine était-il décédé, que son neveu et successeur de ses fonctions découvrit à la fois et le Bab et le testament. L'on imagine sa fureur ! Et son empressement à dénoncer au roi sa découverte.

Le comte de Sartiges, le 4 Mars 1847, mentionne entre autres à son ministre que: "le gouverneur d'Isfahan vient de mourir, laissant une fortune évaluée à quelques quarante millions de francs que se disputent le prince héritier et le premier ministre Aqasi, lequel compte sur une partie de cet héritage pour faire face aux dépenses extraordinaires de la prochaine campagne du Khorassan."

A Téhéran, dès la dénonciation reçue, un ordre royal fut envoyé à Isfahan. Le Bab, en rigoureux incognito, devait - courtoisement - mais sous sévère escorte être amené devant le souverain.

A Isfahan, le chef d'escorte, Muhammad-Big, s'organisa. Le convoyé devrait - sans turban vert - être vêtu comme quiconque, ne point se laisser reconnaître, ne pas rencontrer ses amis. On choisirait des chemins secondaires non fréquentés et, aux étapes, on camperait hors les murs des agglomérations. Les autres cavaliers l'accompagnant, ignorerait jusqu'à son nom.

C'est en ces conditions que Seiyyed Ali-Muhammad: qui avait formé l'Unité du Vivant dont il était le Point; qui s'était proclamé le Temple mystique, le Souvenir de Dieu, le Juge, le Témoin; qui - depuis 1844 - avait sans interruption produit un nombre considérable de révélations et commentaires théologiques de caractère autoritatif; qui, enfin, dans le "Qayumm'ul-Asma" avait osé sommer le Shah d'avoir à se soumettre à ces divines injonctions; c'est en ces conditions que Seiyyed A1i-Muhammad sujet du Shah de Perse, partait enfin vers lui pour l'explication nécessaire.

Jusqu'à la moitié du parcours, les consignes furent appliquées. Puis à l'étape de Kashan - coïncidant avec la fête de Naw-Ruz 1847 - et la mystérieuse émanation spirituelle du Bab ayant opéré sur ces hommes rudes, la consigne fut relâchée au point de laisser le Bab séjourner librement du 20 au 23 mars chez un ami-adepte dont la maison était à l'intérieur de la ville.

Les annales babies mentionnent qu'à l'époque où le nécessairement fut à Kashan, l'ex-ministre Aqa Khan, gentilhomme de Nur, résidait en disgrâce dans cette ville et qu'ayant été enseigné par un Babi, il avait déclaré son intention, s'il recouvrait un jour sa position, de protéger la communauté babie dont il admirait la cause.

Et ce propos fut relaté au Bab. En retour, il fit dire de sa part au ministre on disgrâce que celui-ci serait d'ici peu rappelé à Téhéran, puis investi do la plus haute charge, celle qui vient immédiatement après la position du roi. Il devrait alors ne pas oublier sa promesse intentionnelle mais s'efforcer de la concrétiser. Aqa Khan, ravi par ce message, avait réitéré l'assurance donnée. Cet incident n'est pas à négliger, car effectivement, quelques années plus tard, le disgracié sera premier ministre.

De Kashan, l'on reprit la route le 23 Mars 1847 vers Téhéran, pour arriver à Kinar-Gird le 29 Mars après-midi, à peine à quelques kilomètres du Sud de la capitale. La capitale ! cet objectif que souhaitait atteindre le Bab.

Mais là: coup de théâtre. Un ordre d'Aqassi, le premier ministre, les attendait. Ne pas venir à Téhéran mais, bifurquant vers le Nord-est, se rendre au village de Kulayn appartenant à Aqassi et y camper jusqu'à de nouvelles instructions.

Aussi, le 30 Mars, installe-t-on le Bab sur l'une des vertes collines de cette fertile oasis, dans la propre tente du propriétaire, parmi les vergers du printemps en fleurs et les eaux vives des clairs ruisseaux. S'il s'était agi de repos, le site eut été agréable. Mais le Bab n'avait que faire de repos, surtout en telles conditions de si pénible expectative.

Heureusement, deux jours plus tard, le 1er Avril, le Bab vit arriver quatre de ses fidèles qui, depuis Isfahan, l'avaient discrètement suivi de loin.

Un peu avant la mort du gouverneur Manuchir Khan, le Bab avait eu soin d'avertir en secret leur groupe impuissant qui attendait en cette ville, leur désignant pour but la direction de Téhéran.

Ceux qui le rejoignaient étaient: Aziz, 7ème Lettre du Vivant, Hassan son frère, Ahmad 12ème Lettre du Vivant, et shaykh Hassan un des anciens de Karbila. Ces quatre dévouements bientôt seraient prépondérants. Secrétaire, servant, documentaliste, copiste, telles allaient être leurs fonctions respectives.

Pour l'heure, l'escorte subjuguée ne les repoussant point, ils s'organisent autour de leur bien-aimé pour prier et attendre avec lui.

Le 2 Avril, autre rupture de solitude. C'est un membre de la maison du seigneur Hussayn-Ali, de Nur, venant de Téhéran et chargé par son maître de porter au Bab une missive. Cet envoyé repart aussitôt sa mission accomplie.

Depuis qu'en Août 1844, Hussayn-A1i avait commencé sa campagne pour la nouvelle révélation, son courage, son dévouement, son autorité, ses initiatives, n'avaient cessé de se faire sentir. Sa maison de Téhéran était un centre de réconfort, un quartier général de vigilance, bien que sous le couvert d'une indispensable prudence. La missive apportée est secrète et le Bab n'en a rien dévoilé, Mais elle eut sur son coeur un effet d'une telle puissance que ceux qui l'entouraient virent à son émotion combien son angoisse et sa tristesse étaient taries et son courage être comme galvanisé.

Puis le Bab écrivit au souverain afin d'être reçu. Enfin, ce fut dans la sérénité et la prière que la longue attente fut supportée.

A Téhéran, où parvient la lettre du Bab, le shah est en pleins préparatifs de campagne guerrière. N'ayant pu, l'année précédente, envoyer à son oncle, faute de moyens financiers, le renfort militaire demandé pour mater la révolte tribale du Khorassan, celle-ci est presque devenue une affaire internationale.

Le comte de Sartiges relate le 16 Avril 1847 à F.P. Guizot quel est le fond politique réel de la situation: "Je craindrais, M. le Ministre, de fatiguer l'attention de votre Excellence en lui rapportant les détails de tout ce qui a été fait depuis plusieurs mois par la mission britannique à Téhéran et par le gouvernement de l'Inde anglaise pour détourner Mohamed Shah et mirza Aqasi du projet de marcher sur l'Afghanistan. Promesse d'appui moral et matériel à Jaz Mahomet Khan de Hérat, pour qu'il eut à résister énergiquement aux troupes persanes si elles venaient à l'attaquer, argent répandu parmi les chefs Afghans amis de la Perse pour les diviser et les faire renoncer à l'alliance de ce pays, désordres excités chez les Beloutches et les Bakhtiaris pour inquiéter les provinces du Fars et du Kerman, empêchements apportés à la conclusion des affaires turco-persanes; tout a été mis en jeu pour arrêter la marche de l'armée du Shah sur le Khorassan et l'Afghanistan. Le but des efforts énergiques des agents du gouvernement anglais, cette fois n'était plus dissimulé. Nous voulons, disaient~ils, défendre contre les Russes la grande route de l'Inde et si Mahomet Shah marche sur Hérat, nous prendrons nos précautions et ferons débarquer à Bender-Bushir un corps d'observation que nous ne retirerons plus, comme nous l'avons fait maladroitement après la levée du siège de Hérat. (...)"

Lorsque parvint enfin au Bab la réponse attendue, la royale missive disait: "Bien que Notre désir de vous rencontrer soit grand, Nous sommes toutefois - vu Notre imminent départ de Notre capitale - dans l'impossibilité de vous y accueillir comme il conviendrait. Aussi, avons nous formulé notre désir que vous fussiez conduit à Mah-Ku et avons adressé à Ali Khan, gouverneur de cette forteresse, toutes instructions pour qu'il vous traite avec égards et respect. Notre espoir et Notre intention sont de vous convoquer ici, au siège de notre gouvernement, à Notre retour. C'est alors que Nous prononcerons définitivement Notre jugement."

La forteresse de Mah-Ku ! Mah-Ku à l'extrême Nord-ouest du pays ! Enclave montagneuse et sauvage. Lieu natal d'Aqassi où son influence était prédominante. Où la population était sa chose. Où l'isolement était absolu. Et Muhammad Shah avait accepté la suggestion de son premier ministre !

Au prisonnier était toutefois accordé une subvention de 1'Etat et l'autorisation d'avoir auprès de lui deux amis de son choix.

Le Bab, appliquant aussitôt, pour la seconde fois (après le cas de la donation de feu Manuchir Khan) le rigoureux principe de 1'indépendance financière de la Cause, n'agréa l'or que pour sa transmission immédiate aux pauvres, mais choisit avec plaisir deux compagnons pour sa captivité: Aziz et son frère Hassan.

(Jusqu'à la fin, le Bab vécut sur sa cassette personnelle, alimentée depuis Shiraz par son affaire familiale de textile. Et les Babis se soutenaient entre eux pour subsister par leurs propres moyens.)

Vers le 20 Avril 1847, le Bab, toujours sous la même garde, qui désormais lui étant tout acquise le servait avec dévotion, fut dirigé sur Tabriz, la capitale de la province de l'Adhirbajan, d'où les autorités auraient à le faire conduire à la forteresse de Mah-Ku.

Entre Kulayn et Tabriz, ils couvrirent quelques 650 Kms, suivis de près, bien que séparément, par mirza Ahmad et shaykh Hassan. Or, la décision du roi ayant été vite ébruitée, elle fut par beaucoup considérée comme sévices et les gens, au long du trajet, respectaient le passage du convoyé.

Le comte de Sartiges, dans son rapport cité précédemment, disait encore: "Le gouverneur du Khorassan, prince Asset El Dowlet, frère de la mère du Shah, voyant que le bon ordre qu'il a su établir dans son royaume, et ses alliances avec 1es chefs des plus puissants Kurdes et Afghans, avaient excité les susceptibilités et les craintes du gouvernement Persan, est venu à Téhéran se jeter aux pieds du Shah, protester de son entier dévouement à sa personne et demander justice de ses accusateurs. Or, comme on tête de ses accusateurs se trouve le premier ministre (...) le Roi a reçu très froidement Assef El Dowlet (...) On ne sait encore s'il finira par se faire pardonner la trop bonne position qu'il a su prendre dans le Khorassan et si on le renverra gouverner cette province. En tous cas, sa présence à Téhéran enlève au Shah le prétexte principal qu'il mettait en avant pour marcher sur Meshed (...)"

La remarque de ce diplomate est intéressante, car elle montre que le roi, ne quittant plus la capitale, aurait pu, s'il l'avait voulu, y recevoir le Bab et l'y entendre, Mais il ne modifia pas sa décision le concernant, préférant "oublier" la question.

Et c'est ainsi qu'à la fin d'Avril 1847, le Bab poursuivait sa route vers Tabriz et Mah-Ku.

D'entre les notes prises par la Mission du comte de Sercey, se dégage une vue de Tabriz en 1840 qui reste valable pour toute la période où le Bab s'y trouva amené.

Sans être la capitale de la Perse, elle était la ville la plus riche et la plus importante par ses relations avec les Etats européens. Mais elle était la capitale de l'importante province de l'Adherbajan, le siège du gouvernorat civil et religieux de cette province et le siège administratif qui régissait à la fois les deux forteresses de Mah-Ku et de Chiriq où le Bab fut successivement interné et dont il ne sortit que pour mourir.

Tabriz était alors le point central d'arrivée des caravanes venant de l'Inde, l'Asie mineure et la Russie. C'est là que se faisait tout le commerce de la Perse. La grande importance de cette ville ne venait pas seulement de la richesse de son territoire et de sa nombreuse population, mais surtout de ce commerce et de cette position géographique.


Les dômes élevés de ses mosquées s'affirmaient de loin au-delà des remparts crénelés qui entouraient la ville. A l'intérieur, c'était la solitude des rues étroites, entre leurs hauts murs à fenêtres grillagées derrière lesquelles se devinaient les yeux des femmes. Ces rues aboutissaient à de vastes bazars dont les hautes voûtes résonnaient continuellement des bruits d'une foule intense. Aux caravansérails, s'éployait le chatoiement vestimentaire diversifié des voyageurs de tout l'Orient.

Tabriz fut aussi le carrefour traversé par les pèlerins venus porter au prisonnier leurs dévotions. Et Tabriz fut enfin le centre religieux de la grande proclamation solennelle du Bab, le lieu de sa sentence et celui de son extraordinaire mise à mort.

En 1850, lorsqu'eu lieu cette exécution, le comte de Sartiges avait dû fermer la légation de France un an plus tôt et la France n'a connu que par ricochet cette information.

Mais Tabriz, ville de commerce et de transit d'époque, ne manquait pas, bien sûr, d'avoir en résidence permanente les consuls de Russie et d'Angleterre. Lesquels furent en 1850 les témoins de cette extraordinaire exécution et la relatèrent à leurs autorités respectives. C'est donc grâce à l'importance de la grande ville de Tabriz, impliquant la présence de ces deux consuls, que l'on connut la réalité de l'incroyable chose.

Mais nous sommes encore en ce mois de Mai 1847, où le Bab approchait pour la première fois de cette ville et, déjà, subissait la relève de son escorte dévouée.

Désormais, il se trouvait livré aux hommes du gouverneur de la province.

Ce fut à ce même moment qu'un jeune Tabrizien, en état d'étrange excitation, ayant couru nus pieds hors de la ville vers le célèbre arrivant, le bien-aimé de son coeur exalté, se jeta devant son cheval, en sanglotant la face contre terre.

Le Bab descendit de sa monture, releva l'éploré, essuya ses larmes avec tendresse, apaisant son exaltation.

C'est ce jeune homme là, Anis, - le plus "fou" de tous les "fous de Dieu" tombés sur l'échiquier de la cause babie - c'est celui même dont la "folie" obtint la grâce de partager le supplice du Bab et de mourir encordé avec lui, la tête sur son coeur.

C'est lui, enfin, dont les restes mêlés à ceux du Bab reposent aux lieux saints Baha'is, sous le dôme doré érigé sur le Mont Carmel.

Hormis cet incident à l'arrivée, le séjour du Bab à Tabriz, le premier des trois séjours qu'il y ferait, fut morne et long. Interminable attente sous garde militaire, et privé de communication. Lors de son arrivée dans la ville, curieux et dévots s'étaient pressés ensemble à son encontre et des acclamations ayant même fusé, les crieurs publics tambourinèrent que quiconque approcherait le prisonnier serait lui-même emprisonné à vie et ses biens confisquée. Qu'on se le dise! On se le tint pour dit ! Ce furent alors presque quarante jours sans voir personne. Pas plus les autorités religieuses que civiles.

La consigne était de feindre l'ignorance, pour minimiser la présence du détenu.

Enfin l'on repartit et puis ce fut Mah-Ku.


Chapitre 10. LE BAYAN

Aux confins des empires Ottoman et Russe, enclave frontalière entre ces deux puissances, forteresse à quatre tours, point d'observation et de contrôle, position stratégique, telle était alors la ville de Mah-Ku dont la population était Kurde et Sunnite et de ce fait ennemis des Shi'ites.

La gouverneur garde-frontière, Ali-Khan, auquel le Shah avait remis le Bab, n'avait point en ce lieu un poste de parade. Sans cesse, il lui fallait veiller.

Selon l'observation du comte de Sercey qui, en 1840, la traversa, il vit la ville: "dans un amphithéâtre formé d'énormes rochers dont la partie supérieure semble suspendue au-dessus (...) La citadelle qu'habite le gouverneur est en assez bon état. La ville est fermée par une enceinte garnie de petits forts. La garnison se compose de trois cents hommes d'infanterie régulière. Il y a quelques fortifications dans le haut de la ville, elles sont passablement entretenues. On construit une galerie circulaire dans le roc. On voit dans le bas de la ville un caravansérail et quelques jardins plantés d'arbres fruitiers." "Rien n'est plus extraordinaire que la petite ville de Mah-Ku. La vallée où elle est bâtie est excessivement étroite et les maisons sont, pour ainsi dire, posées l'une sur l'autre, sur une paroi de la montagne. (...) Mah-Ku est une petite ville de deux mille habitants environ"

Telles étaient les observations du comte de Sercey en 1840.

Mais lorsque le Bab, vers la f in de Juin 1847, fut écroué à Mah-Ku, ce croquis était toujours valable.

Pendant les deux premières semaines après son arrivée, le Bab fut isolé avec Azim et Hassan dont les présences lui étaient consenties, sous le contrôle de deux gardiens et de quatre molosses. Chaque matin, Hassan, accompagné d'un garde, descendait dans la ville pour acheter les vivres nécessaires.

Ali-Khan, le gouverneur, veillait scrupuleusement aux consignes, interdisant à quiconque venu pour le Bab, de dormir - ne fut-ce qu'une seule nuit - dans l'enceinte même de la cité.

Les deux autres fidèles, Mirza Ahmad et Shaykh Hassan, qui depuis Isfahan avaient suivi le Bab, résidaient dans l'aile hôtelière d'une mosquée sise hors la ville, où, confinés, ils se rongeaient d'impuissance.

Et la population, ces farouches Kurdes sunnites, mais qui déjà - étrangement - sentaient leurs coeurs saisis d'amour et de pitié, cette population était sévèrement surveillée et réprimandée.

Alors, le Bab fit quelque chose à sa manière.

Ali-Khan eut un rêve de nature religieuse qui le changea du tout au tout. Le voici qui demande audience, exprime son repentir, offre son allégeance et ses services.

Mirza Ahmad et shaykh Hassan furent les premiers à pouvoir librement aider les deux compagnons de cellule du détenu. Puis, peu à peu, la forteresse vit affluer des pèlerins venus de toutes les provinces et qui, après avoir été reçus par le Bab, repartaient le coeur embrasé par le feu mystérieux de la nouvelle révélation.

Durant sa détention de neuf mois dans la forteresse de Mah-Ku, le Bab, en un livre intitulé "Le Bayan" exposa en persan les lois et préceptes de sa Révélation.

Il abroge certaines des ordonnances coraniques, notamment au sujet du jeûne, du mariage, du divorce, de l'héritage, de la prière ; il confirme le missionnement du prophète Muhammad ; il interprète le sens de certains termes employés dans les Ecritures sacrées antérieures: Paradis, Enfer, Mort, Résurrection, Retour, Balance, Heure, Jugement dernier ; il enseigne des vérités de science divine, le tout en un style et une technologie qui lui sont propres. Enfin, il annonce, avec une insistance, une emphase et une gravité particulières, la venue du Seigneur de l'Accomplissement.

Mais avant d'entrouvrir le "Bayan", voici certains extraits de la missive que le Bab adressa de Mah-Ku à Muhammad Shah, car ils dégagent la formelle position revendiquée par le détenu de ce monarque: "Je suis le Point Primal d'où furent engendrées toutes choses crées. Je suis le visage de Dieu dont la splendeur ne peut s'altérer, la Lumière de Dieu dont la clarté ne peut jamais se ternir (...) Toutes les clés du Ciel, Dieu a voulu les placer dans ma main droite, tandis qu'Il mettait en ma gauche toutes les clés de l'Enfer (...) Je suis un des piliers qui soutiennent le Verbe de Dieu. Quiconque m'a reconnu a connu tout ce qui est vrai et droit, a atteint tout ce qui est bon et digne. La substance dont Dieu m'a créé n'est point l'argile dont les autres êtres ont été formés. Ce qu'Il m'a donné, les sages de ce monde ne le peuvent comprendre et les fidèles ne le peuvent découvrir (...) Par ma vie! s'il n'avait été imposé à tous de reconnaître la Cause de Celui qui est le Témoignage de Dieu, je ne t'aurais pas annoncé ces choses (...) Je le jure par la vérité de Dieu, si celui qui a voulu me traiter de la sorte savait QUI est Celui qu'il a traité ainsi, jamais plus en sa vie il ne connaîtrait le bonheur! Que dis-je, il faut que tu saches l'entière vérité: c'est comme s'il avait emprisonné tous les prophètes et tous les justes et tous les élus (...) Malheur à celui dont les mains font le mal et béni est l'homme dont les mains font le bien terrestre (...)! Je le jure par Dieu, je n'attends de toi aucun avantage, fut-il de la valeur d'un grain de moutarde. Je le jure par la vérité de Dieu, si tu savais CE que je suis, tu abandonnerais ta souveraineté en ce monde afin de t'efforcer d'être agréable à mes yeux par ton obéissance à Celui qui est la vérité (...) Mais si tu refuses, le Seigneur des Mondes suscitera quelqu'un qui exaltera sa Cause, et l'Ordre de Dieu sera, en vérité, exécuté."

Après cela, comment imaginer que le Shah de Perse eut pu tenir pour acceptée la teneur d'une telle missive ?

Or, puisque le Bab, dans celle-ci, parle du "Premier Point", entrouvrons à présent les pages du "BAYAN" car le livre donne l'explication théosophique appropriée à cette immense implication. Voici - succinctement analysée - l'esquisse de ce qui s'en dégage:

- L'Essence éternelle, Dieu, est inconcevable, invisible, inaccessible, inconnaissable, Est au-delà de toute mention, de toute louange, de toutes qualités, de toute grandeur. Dieu est unique, vivant, stable, éternel dans le passé, éternel dans l'avenir, Celui qui subsiste par Lui-même. Dieu ne se peut comprendre en essence, ne se peut décrire ni qualifier ni voir. Alors que tout se décrit, se qualifie, se voit et se comprend par Dieu.

- C'est pourquoi Dieu souverain, en vertu de son unicité: engendra - de l'être même de son essence - la Volonté Primordiale laquelle est le Point-de-Vérité, l'absolu pouvoir.

- La Volonté Primordiale, exerçant le Vouloir-Premier, créa - avant tout - dix-huit entités qui, ensemble avec le Point de Vérité, constituent L'Unité-Primordiale-de-Vérité, éternellement vivante, "L'Eternel Vivant".

- C'est PAR L'Eternel-Vivant que la Volonté-Primordiale est le créateur de l'univers invisible et visible. Est cet absolu Pouvoir qui crée, substante, fait mourir, fait vivre, et ressuscite constamment toutes choses. Qui créa l'Assentiment des créatures et des choses en leurs ordres naturels. Qui créa le Contraire de l'Assentiment. Et qui créa l'ordre de toutes choses par les nombres.

- LE POINT, lorsqu'il est en sa nudité essentielle, est le manifestant absolu de Dieu, est le réceptacle de l'invisible Essence, est l'expression même de Dieu.

- LE POINT, lorsqu'il est en son revêtement existentiel d'application de la Volonté Primordiale, est l'être même de cette suprême volonté, est esclave-adorant-Dieu.

- LE POINT, selon la terminologie du "Bayan" est encore nommé: Point Primordial, Point de Vérité, Soleil de Vérité, Arbre de Vérité, Arbre de Vie.

- Le propre du POINT est, de toute éternité, de se manifester sous le nom de la Divinité.

Dans tous les Livres révélés, chaque fois qu'il est question de "voir Dieu", il s'agit uniquement du POINT DE VERITE en action de manifestation divine.

Et voici maintenant, extraits du "Bayan" même, certains versets.

I - Sur l'origine des textes révélés:

"Alors que de toute éternité l'Essence Eternelle est, en son unité, tous versets révélés sont création de la Volonté Primordiale, en laquelle rien d'autre n'est à voir que Dieu."

"Le mot" Livre "veut dire" ce qui est manifesté par le Point de Vérité, depuis une seule parole et sans fin."

"Les lettres des mots n'existent que par le POINT, et l'esprit de ces lettres n'existe que par le POINT DE VERITE."

"Les versets sont la manière de s'exprimer de l'être même de la Volonté Primordiale qui ne montre que Dieu seul. C'est pourquoi on les nomme "Versets de Dieu" et "Parole de Dieu", car nul autre que Dieu n'a le pouvoir de les produire."

"La parole d'aucune des contingences ne ressemble à la parole de l'Arbre de Vérité car c'est de cette parole là qu'est créé l'être même d'une chose."

"Si les hommes élèvent un reproche contre la syntaxe ou la grammaire de la Parole de Dieu, ce reproche est vain car les règles doivent être tirées des versets et non les versets construits d'après les règles. Règles et syntaxe ne se basent que sur ce que Dieu fait entendre."

II - Sur ceux qui révèlent les textes:

"La qualité de prophète vient de la Parole de Dieu que prononce le prophète."

"De la part de Dieu, pour tous les hommes il y a deux témoignages. L'un, les versets. L'autre, la personne humaine sur laquelle descendent les versets."

"Lorsque l'on parle de la manifestation de Dieu, il ne peut s'agir que de l'Arbre de Vérité, qui ne manifeste rien d'autre que Dieu"

"Et cet Arbre de Vérité était et est l'envoyeur de tous les Envoyés. Celui qui fait descendre tous les Livres."

"De toute éternité l'Arc de sa manifestation, son action d'être caché, était parmi les créatures. Et Il l'a manifesté à chaque époque par ce qu'Il a voulu."

"En vérité, il n'y a pas de manifestations postérieures qui ne soient la manifestation antérieure mais plus haute. Il n'y a pas de Livre postérieur qui ne soit le Livre antérieur mais plus haut."

"Dans chaque manifestation de la Volonté Primordiale, les paroles de l'Envoyé sont, en conséquence de son propre degré, plus hautes que les paroles d'auparavant."

"Nous ne créons une religion que pour la manifestation suivante. C'est là Notre façon d'agir. Notre ordonnancement des choses."

Que le lecteur veuille bien accepter ici une comparaison et un commentaire:

Chaque nouvelle manifestation de Dieu, émanant du Point Primordial, est comparable au retour de l'éternel printemps.

Le cycle quadrisaisonnier du précédent printemps ne se termine et ne s'accomplit que dans le surgissement du premier perce-neige issu de son hiver, et la nature alors acclame la proclamation du nouveau printemps revenu. Ce en quoi elle donne l'exemple à l'homme.

Lorsque, au cours des millénaires, l'Arbre de Vérité déploie une nouvelle branche, cette manifestation de Dieu se produit par le canal d'un être humain prédestiné qui - à un moment donné de son existence - est investi par le Point Primordial et reçoit la Connaissance et la Parole.

"La manifestation de Dieu, en chaque manifestation, se manifeste de la manière qu'elle veut." Dit le "Bayan".

Mais quel que soit le mode de manifestation et afin que tout progresse, la manifestation subséquente se compose toujours de la précédente:

"avec en plus ce qu'elle apporte d'elle-même et qui représente l'âge de raison de la précédente."

Le nouveau Manifestant de Dieu est ainsi le fruit de l'accomplissement de la religion antérieure, Il déploie de nouvelles lois, élimine les lois caduques, ratifie et renouvelle les lois intemporelles, institue un ordre nouveau, révèle un nouveau code, renforce l'alliance de Dieu, enseigne en termes inusités une vérité élargie.

Le règne nouveau est la vérité spécifique de ce règne-ci et il porte en lui la semence d'un fruit de progrès qui s'épanouira au règne du seigneur ultérieur.

Le nouveau seigneur porte un nom nouveau. C'est lui qui est le Promis de la promesse, lui qui réalise le Retour annoncé. Comme le printemps nouveau réalise le retour du précédent par l'accomplissement de la germination du dernier hiver.

A partir de là, l'esprit humain en vient à concevoir un autre et plus vaste thème: la pérennité dans la nouveauté.

Car un autre verset du "Bayan" énonce que:

"Les versets de grandeur éclatent au LEVER de Sa Sainteté."

Et c'est notion de pérennité dans la nouveauté qui permet de comprendre ce qu'est ce "lever". Le lever d'un positionnement énergétique différent du précédent.

Par la puissance de la Parole de Dieu, les énergies qu'appelle la vie du règne nouveau entrent en action et le Point Primordial, Soleil de Vérité, Soleil de Réalité, se centrant et s'irradiant dans le miroir positionné de ladite manifestation, retire son rayonnement énergétique de la manifestation antérieure et affecte sa puissance vitale au nouveau règne actualisé.

A chaque manifestation du Point Primordial, le Manifestant devient le miroir recevant et centralisant le Soleil de Vérité. Il est alors miroir de Dieu et soleil-relai qui resplendit dans le monde contingent le degré voulu de la puissance émise par le Point Primordial.

Cela est un peu le système de: Le Roi est mort - Vive le Roi ! Avec le sceptre du pouvoir spirituel qui se transmet au roi successeur et les innovations qui surgiront.

Cela serait aussi une explication plausible de la dévitalisation des grands monothéismes qui, successivement, ont perdu la vigueur de leur jeunesse, donc de leur essor.

Concernant le degré voulu de positionnement du soleil spirituel et prenant l'Islam pour exemple: le soleil coranique n'avait-il pas, au 7ème siècle déjà, offert au monde la grande nouveauté d'une prophétologie sur la continuité successive du Pacte, des prophéties et des Révélations ?

L'apport du "Bayan" a offert au 19ème siècle la nouveauté de mettre l'homme dans un ascenseur qui, d'un coup de bouton, l'élève vers un mirador panoramique. De cette plate-forme, est alors exposé comment Dieu, l'Inconcevable, l'Innaccessible, Dieu Essence immuable et cachée, engendra le Point Primordial qui est l'absolu pouvoir créateur de l'ensemble de la création, et comment ce pouvoir général s'articule en particulier sur la vie ascensionnelle et spirituelle de l'humanité planétaire terrestre.

La grande annonce du "Bayan" est en outre et surtout l'insistante, la lancinante annonce d'une Révélation à venir qui sera: la "nouvelle création du "Qa'yum", "Celui qui secourt dans le péril", "CELUI-QUE-DIEU-RENDRA-MANIFESTE", rendra-manifeste, rendra-manifeste !...

Et si chacun de ces cinq mots est d'un usage usuel, leur assemblage compose une phrase dont le sens est extrêmement particulier.

Voici à ce sujet quelques versets:

"Bienheureux celui qui fixe son regard sur l'ordre de Baha'u'llah et qui rend grâce à son Seigneur. Car Celui-ci sera certainement manifesté. Dieu l'a, en vérité, irrévocablement fixé dans le Bayan."

"Du commencement à la fin, le Bayan est le dépositaire de tous Ses attributs, le trésor de Son ardeur et lumière."

"Si tu parviens jusqu'à Sa révélation et si tu Lui obéis, tu auras découvert le fruit du Bayan. Sinon, tu ne mérites pas d'être mentionné devant Dieu."

"O peuple du Bayan ! n'agissez pas comme le peuple du Coran, car alors les fruits de votre nuit seraient réduits à néant."

"Ne laissez pas le Bayan et tout ce qu'il contient vous cacher cette Essence de 1'Etre, ce Seigneur du visible et de l'invisible."

"Tout ce qui a été révélé dans le Bayan n'est qu'une bague à mon doigt et, en vérité, je ne suis moi-même qu'une bague au doigt de Celui que Dieu rendra manifeste."

"Il la tourne suivant son bon plaisir, selon l'usage qu'Il recherche et de la manière qui lui convient."

"Il est, en vérité, Le Sublime, le Protecteur dans le danger."

De tels versets sont étranges. Lorsque le Bab dit être le Point de Vérité - qu'il a explicité - toute limite devrait logiquement être atteinte. Or le Bab annonce superlativement un Etre à venir, le Qayyum, le Suprême, dont le Bab lui-même ne serait qu'une bague à son doigt.

Jusque là, et en supposant que l'on puisse avoir admises comme telles toutes les assertions formulées par le Bab - ce que firent les Babis - on était déjà arrivé au-delà de toute crédibilité de la raison humaine. Mais ici est énoncé un tel paradoxe qu'il est absolument inconcevable, même aux meilleures bonnes volontés.

Inconcevable, à moins d'admettre que, précisément, la suprématie de Celui que Dieu rendra manifeste ne puisse avoir été annoncée avec suffisamment d'éclat et de puissance par nul autre pouvoir que celui inhérent au Point Primordial, le Point de Vérité.

Le "Bayan" contient également certains versets qui donnent des précisions temporelles:

"Dans l'An IX, vous atteindrez au bien suprême."

"Dans l'An IX, vous atteindrez à la présence de Dieu."

"Ce n'est qu'après l'expiration de neuf années, depuis la naissance de cette Cause (depuis 1844) que les réalités des choses crées seront rendues manifestes. Et tout ce que tu as vu jusqu'ici n'est que la phase qui commence dans le germe humide et se poursuit jusqu'à ce que Nous l'ayons revêtu de chair. Sois patient jusqu'à ce que tu contemples une nouvelle création.

Dis: Que Dieu, le Créateur parfait par excellence, en soit béni."

"Soyez vigilants depuis la naissance de la nouvelle révélation (1844) jusqu'au nombre de vahid (19)."

"Le Seigneur du Jour du Règlement sera manifesté à la fin de vahid (19) et au commencement de 80" (1280 du calendrier musulman).

"S'Il devait apparaître à cet instant même, je serais le premier à me prosterner devant Lui."

"Si, au jour de sa révélation, tous ceux qui sont sur terre lui prêtent serment, la joie entière entrera au plus profond de mon être puisque tous auront atteint le sommet de leur existence (...) Sinon, mon âne sera dans l'affliction. J'ai véritablement préparé toutes choses avec soin dans ce but. Aussi, comment pourrait-Il être voilé pour qui que ce soit ?"

Enfin, dans le "Bayan", le Bab, après avoir explicité le Point Primordial et permis que l'on puisse voir apparaître, avec la pérennité dans la nouveauté, un changement de positionnement énergétique du Point Primordial ; après la lancinante grande annonce du Seigneur du visible et de l'invisible, de l'Essence de l'Etre, "Celui-que-Dieu-rendra-manifeste" ; le Bab - en ce qui le concerne lui-même - a bien confirmé pour les chi'ites, être ce descendant de la tribu des Benia-Hashim, ce Qa'im de la famille de Muhammad qu'annonçait tout au long leur tradition Imamite.

Mais, par surcroît, il a transposé et surélevé cette position.

Il est, a-t-il proclamé, il n'est autre que:

"Celui en qui Dieu a fixé l'Essence des sept Lettres."

Il est: "Le Maître des sept Lettres."

Puis, explicitant ainsi son nom de Bab, il dit encore:

"L'Essence des Sept Lettres est la Porte de Dieu."

Ce qui, au-delà des Shi'ites, remet en mémoire la vision de Jean sur "Le Vivant" et les Lettres aux sept Eglises !

Or, pour qui accepterait de faire ce rapprochement, s'entend là une bien curieuse résonance.


Chapitre 11. L'EPOPEE DU BABISME

A Mah-Ku, le Bab, après l'Eté et l'Automne 1847, atteint le début du premier trimestre de 1848 et bientôt l'Hiver va sévir. Autour de lui, de ses quatre fidèles, c'est Aziz qui prend les versets en dictée, son frère Hassan qui pourvoit aux choses matérielles, mirza Ahmad qui assure le secrétariat et shaykh Hassan qui recopie les textes.

Lorsque le Bab dictait, le flot cadencé des versets vibrait si puissamment que la voix portait loin et que sa mélodie rythmique se propageait comme lumière, irradiant à son écoute ceux de l'agglomération citadine.

Cet hiver là fut particulièrement rigoureux. L'eau dont se sert le Bab se gèle an cours d'usage et le cuivre des ustensiles subit l'intensité du froid. Mais qu'importe l'Hiver! Impassible sous ses assauts, le Bab continue de dicter et nombreux sont les autres grands Ecrits de cette époque. Nombreuses également ses épîtres admonestantes aux prélats des villes principales, et multiple ses enseignements à l'intention de ses adeptes.

Ni la distance, ni l'isolement, ni les contingences matérielles n'entravent son activité, son haut-parler.

Et marne le voici lançant un mot d'ordre: que de partout, par petits groupes, les amis se rejoignent avant 1'Eté 1848, au Khorassan.

A Téhéran, le 28 Octobre 1847, M de Sartiges avait pu écrire à M. Guizot son ministre que la révolte du Khorassan paraissait être totalement vaincue.

En ce début d'Hiver 1848, l'ex- gouverneur du Khorassan,l'oncle du Shah, étant disgracié, y était remplacé par le prince Hamzé. Salar, le fils du disgracié, qui s'était allié au chef de la révolte, avait, comme celui-ci, été vaincu.

A Meshed., capitale du Khorassan, Mulla Hussayn, 1ère Lettre du Vivant, lui qui le premier, à Shiraz en 1844, avait accepté la déclaration du Quddus et que le Quddus,en 1846, avait par mesure de prudence, exilé loin des troubles de Shiraz, en ce même Khorassan, s'y trouvait encore. Avec son frère et son neveu et leurs quelques disciples,ils s'étaient prudemment tenus à l'écart de l'agitation politique et guerrière, qui, heureusement, était sans rapport avec le Babisme. Malgré la crise, ce petit groupe avait pu poursuivre discrètement son enseignement de la foi nouvelle et avait vivifié bien des âmes et coeurs.

A Téhéran, le comte de Sartiges, après plus de trois ans en position diplomatique officieuse, venait d'être officialisé et l'établissement fixe d'une Légation de France en Perse était soumis au vote du Parlement à Paris.

Dans la province d'Adherbajan (où se trouve la forteresse de Mah-Ku) le shah a destitué son frère, le prince Bahman, du poste de gouverneur général et, le 25 Janvier 1848, c'est le jeune prince héréditaire qui reçoit cette très importante charge. L'installation de l'héritier du trône à Tabriz va désormais attirer les regards vers ce pôle. Ce fait nouveau aura bientôt une grande importance sur la réclusion du Bab, sur sa cause et sur son destin.

A Téhéran tout était alors à l'optimisme, mais au Khorassan, si la révolte parait vaincue la braise est rouge sous la cendre et Salar s'apprête à relancer la flamme.

A Meshed, la bonne renommée de Mulla Hussayn et la popularité de son groupe risquaient d'être manipulées à des fins politiques. Mais Hussayn est prudent et sans attendre d'être compromis, il dit à ses amis de tout mettre en veilleuse et lui-même, de nuit, sans le moindre bagage, prend la route secrètement pour s'en aller bien loin de là.

Bien loin ? A presque deux mille kilomètres, il y avait Mah-Ku! A pieds et dans ce rigoureux Hiver, Mulla Hussayn porté par sa sagesse et son amour se dirigea vers son bien-aimé.

Dans chaque ville traversée, ses amis lui offraient un cheval et des commodités de route. Mais lui, transmuant ce glacial voyage en un pèlerinage ardent le fit entièrement à pieds.

A Téhéran qu'il traversait, il eut un entretien avec Hussayn-Ali, de Nur, dont il connaissait les bienfaits pour la Cause.

Il arriva enfin à Mah-Ku pour la fête de Naw-Ruz, le 21 Mars 1848.

Le gouverneur garde-frontière qui, jusque là, n'avait encore autorisé personne parmi les pèlerins à rester nuitamment auprès du Bab, se sentit incité à lui offrir cette faveur.

Ce fut alors comme un rappel des nuits heureuses de Shiraz, Hussayn assis aux pieds du Bab dans sa glaciale solitude et l'écoutant jusqu'au lever du jour. Et l'on imagine combien ce séjour, malgré qu'il dut être bref, fut heureux.

Après neuf jours et la séparation étant venue, le Bab lui annonça:

"Dans quelques jours, on Nous transférera sur une autre montagne. Avant votre arrivée à destination, la nouvelle vous en parviendra, (...) De Téhéran, allez au Mazindaran, car là est un trésor caché qui vous sera dévoilé. Un trésor dont la vue vous révélera le caractère de la tâche que vous êtes destiné à accomplir."

Le Bab le chargea en outre d'exprimer aux amis, sur le trajet, son amour et sa tendre sollicitude et l'enjoignit de fortifier leurs âmes et leurs coeurs.

Enfin, vinrent ces ultimes paroles:

"La fête du sacrifice rapidement approche. Levez-vous et ceignes vos reins pour la tâche. Que rien ne vous entrave dans l'accomplissement de votre destinée. Lorsque vous l'aurez accomplie, préparez-vous à Nous recevoir car, Nous, de même, vous suivrons peu après."

Et Hussayn quitta son maître tant aimé, sachant ainsi que l'adieu de leurs personnes humaines était définitif mais, qu'au delà de leurs martyres, la joie de l'éternelle réunion restait sa force et son attente.

Si l'attention du premier ministre Aqassi avait assez longtemps été requise par le soulèvement en Khorassan, il avait eu, durant l'accalmie qui s'ensuivit, le temps d'être informé de ce qui se passait à Mah-Ku où il avait cru ses ordres tout-puissants.

En conséquence, le 9 Avril 1848, le Bab était transféré en la forteresse de Chiriq, sise dans la même province.

Son nouveau geôlier, un rude Kurde, dont la soeur était l'épouse du Shah et la mère du prince héritier, avait ordre de maintenir le détenu en la plus absolue réclusion. Et certes, ainsi apparenté, comment ce geôlier aurait-il pu se permettre une négligence !

Mulla Hussayn, le pèlerin, pour le retour comme à l'aller, avait à pieds repris la route, et il se trouvait encore à Tabriz lorsque, par la rumeur publique, il sut que le Bab venait d'être transféré "sur une autre montagne."

A la halte de Téhéran, il eut un second entretien avec mirza Hussayn-Ali auquel - revenant de Mah-Ku - il eut certes beaucoup à dire. Puis il se rendit au Mazindaran où il rejoignit Quddus dans sa ville de Barfurush, vers Mai 1848.

QUDDUS ! Dix-huitième Lettre de l'Unité du Vivant, le jeune compagnon du Bab en Arabie, Quddus - après avoir été expulsé de Shiraz en Août 1844 - après avoir, on route vers sa ville natale de Barfurush, prêché partout sur son passage; après avoir été, à la halte de Téhéran, reçu par mirza Hussayn-Ali; Quddus, depuis ces quatre années, résidait dans sa famille, se tenant à la disposition du Bab, attendant l'heure de l'Appel.

Lorsque son condisciple et ami Mulla Hussayn arriva de Mah-Ku à Barfurush, ce fut avec joie qu'il y fut accueilli par Quddus et ce fut avec honneur qu'il fut présenté aux Babis, invités pour célébrer cet hôte de qualité.

Puis, lorsque Quddus et Hussayn se trouvèrent an tête à tête, ce fut dans l'émotion que l'arrivant fut interrogé. Apportait-il quelque Ecrit du Bab ? Quelque message ?

Hussayn ne put que relater fidèlement les dernières paroles du Bab,qui lui demeuraient énigmatiques, et hormis l'allusion au "trésor caché" qu'il devait découvrir au Mazindaran, non, il ne voyait rien de spécial qui puisse être un message !

Sans mot dire, Quddus lui tend alors un manuscrit. Hussayn le prend, en parcourt une page. Et le voici soudain comme hors de lui. Ce texte est sublime et son auteur est directement inspiré par la haute source surnaturelle. Hussayn, grand théologien, connaissant sa propre valeur, qui par sa situation en vedette jadis à Karbila, et - depuis 1844 - par son rôle de "porte de la Porte", Hussayn,était quelque peu incliné à se sentir privilégié. Or, à cette lecture, le voici qui se résorbe en une humilité émerveillée. Puis, dans le profond silence observé par Quddus et voyant l'expression bouleversée de son visage, il réalise que son jeune ami est l'auteur de cette oeuvre à couper le souffle. Hussayn est trop instruit, trop intelligent, trop sincère, pour ne pas comprendre aussitôt que Quddus est beaucoup plus qu'un condisciple, qu'il est infiniment élevé dans la grâce, que sa réalité est au-delà du monde, que Quddus est l'un des mystères de l'entité du Vivant.

L'énigme du "trésor caché" qu'Hussayn devait découvrir cesse d'être. Dès lors, avec félicité, il va se laisser diriger par celui que le Bab lui désigne.

Au jour suivant, les amis qui la veille avaient vu Hussayn être assis à la place d'honneur, eurent une surprise. Le prestigieux arrivant de Mah-Ku avait, devant le jeune maître de maison, une tenue d'extrême humilité, tandis que ce dernier, à la place d'honneur, donnait à Hussayn des directives.

Mulla Hussayn devait, sans attendre, aller affronter le tyrannique grand chef religieux de la région, lui exposer les implications de la nouvelle révélation et le mettre en présence de ses responsabilités. Puis il devrait se rendre à Meshed pour y ériger un hôme pour les babis et - avant d'y être bientôt rejoint par Quddus - de proclamer, de révéler, d'enflammer.

Cette mission fut accomplie. Hussayn alla, il érigea, il proclama. Et la maison appelée "Bahiyyeh" fut le premier hôme, le premier "bercail sacré" du Babisme, au sein même de Meshed cette ville de pèlerinage imamite, dont la bondieuserie nourrissait les finances. Tout s'y vendait et tout s'y achetait. Ses pèlerins en étaient la manne et son commerce en fleurissait. Que le Babisme austère et pur y eut ainsi pignon sur rue était une véritable performance, un réel défi aux superstitions et au lucre !

C'est que pour Hussayn, rien n'était invincible. Et la cause du Bab y gagnait des adeptes en quantité spectaculaire.

Lorsque bientôt Quddus l'y eut rejoint, la haute flamme irradia comme soleil jusqu'aux confins du Khorassan.

A Téhéran, M. de Sartiges est en pleine euphorie. Tout va si bien pour le traité franco-persan d'amitié et de commerce, en instance de ratification de signatures, que le diplomate sollicite enfin un congé de plusieurs mois en France et qu'un intérimaire soit envoyé à Téhéran.

Mais le 22 Avril 1848, venant de recevoir les journaux de Paris dont le dernier est daté du 10 Mars, il apprend la chute de la Monarchie et la proclamation de la deuxième République. Le même jour, il se b&te d'envoyer son obédience au nouveau régime qu'il servira "avec le même dévouement que par le passé".

Le 9 Mai, c'est le consul de France à Bagdad. qui informe Paris:au Khorassan, Salar, conjointement avec le chef de la rébellion, a réouvert les hostilités.

Cette information est importante, car Quddus et Hussayn, on leur action religieuse, vont avoir à éviter d'être impliqués on ces nouveaux troubles.

A Chiriq, dans la forteresse, le Bab avait opéré un prodige. Car à Chiriq comme à Mah-Ku, - Chiriq dont la population était encore plus kurde et plus farouche, plus anti-shiite si possible que celle de Mah-Ku avant la présence du Bab - oui, à Chiriq comme à Mah-Ku, geôlier et population fondirent comme neige sous le rayonnement mystérieux, irrésistible, qui émanait du doux prisonnier. Et à Chiriq comme a Mah-Ku, ces hommes rudes se sentirent saisis d'amour, assoiffés de bénédictions, comblés d'étranges rêves inexplicables.

La forteresse était ouverte à qui voulait. L'enseignement du Bab était quasi public. D'éminents visiteurs, chercheurs en quête ou croyants confirmés, venaient s'abreuver à la source nouvellement jaillie.

Même un nabab de l'Inde, appelé on rêve à Chiriq, fit à pieds l'immense trajet, vêtu en humble pèlerin derviche, et malgré cet incognito son arrivée fit grosse sensation.

De jour en jour le phénomène s'amplifiait, Chiriq était un centre rayonnant et le prisonnier faisait de sa prison la chaire la plus haute.

Puis, le 28 Juin 1848, le comte de Sartiges informe son ministre à Paris que Aqassi lutte à nouveau contre la rébellion du Khorassan.

Le 7 Juillet suivant, c'est le ministre français des Affaires étrangères qui annonce à Sartiges que le nouveau gouvernement de la République confirme la ratification du traité, entérine ce diplomate comme Envoyé extraordinaire en Perse et envoie la lettre de créance, En. outre, un secrétaire de Légation, M. Dano, arrivera prochainement pour assurer l'intérim durant le congé demandé et apportera les cadeaux offerts au Shah par le précédent régime "moins le portrait du roi Louis Philippe"

Le comte de Sartiges soupire d'aise pour avoir gagné la partie !

Il n'est guère étonnant que le développement de l'affaire babie, qui débutait à peine lors de son arrivée à Téhéran, on Août 1844, eut échappé à l'attention du jeune comte à barbe blonde, car en général les chi'ites quels qu'ils fussent, n'étaient au regard de tout diplomate français que la "secte d'Ali",ainsi qu'ils la nommaient entre eux du bout des lèvres. Et que ces musulmans chi'ites persans eussent en leur propre secte une hérésie quelconque, n'était qu'affaire de clocher - pardon ! de minaret-. Du folklore sans importance.

Mais les évènements qui vont se succéder à cadence rapide, vont arrêter le prochain départ en congé et Sartiges bientôt parlera des Babis.

Pour l'instant, c'est encore le Printemps 1848. A Chiriq, le Bab a fait de sa prison la chaire la plus haute. A Meshed, Mulla Hussayn et Quddus proclament ouvertement la foi. Et de toutes parts, conformément au mot d'ordre lancé de Mah-Ku par le Bab l'Hiver précédent, les Babis se préparent à se rassembler au Khorassan.

Comment la belle Qurrat'ul-Ain, la "Consolation des yeux", pourrait-elle manquer à l'appel !

Ce surnom que lui avait donné seiyyed Kazim en 1843, elle le portait encore en ce Printemps 48. Mais, comme au cours du rassemblement on question elle va recevoir le nom religieux babi de "Tahirih" (La Pure), nom qu'elle immortalisera dans la geste babie, désignons-la déjà ainsi par anticipation.

TAHIRIH donc, était arrivée à Karbila en Janvier 1844, à peine quelques jours après le décès de Kazim. Elle avait résidé chez sa veuve un certain temps. Son séjour irakien avait été fertile pour la Cause du Bab. De grands shaykhis et autres théologiens de qualité, ainsi que de hautes dames, tous percutés par l'irrésistible pouvoir de sa Loi magnifique, l'entouraient pour l'aider à propager la nouvelle révélation. Et malgré la houle suscitée par les opposants, son champs d'action avait atteint jusqu'à Bagdad.

Tahirih était à la fois la beauté et l'intelligence, le charme et la féminité, la lucidité et la décision, l'autorité et l'action. Elle avait un don poétique et littéraire exquis, une vaste culture religieuse, l'esprit ouvert et l'âme réceptive, un irréductible courage, la flamme de l'apostolat.

Elle avait atteint, jeune, riche et belle, les hauts degrés du détachement, de l'acceptation, de l'effacement, et son coeur était embrasé d'amour pour Dieu.

Elle était la seule femme de l'Unité du Vivant, la 17ème Lettre.

Au Printemps 1847, elle s'était trouvée en difficulté car sa célébrité agaçait fort les autorités gouvernementales de l'empire Ottoman sunnite.

Et comme à ce moment là commençait à se répandre la nouvelle que le Bab était dirigé sur la forteresse de Mah-Ku, Tahirih estima devoir rentrer en Iran où allait se jouer le sort du Bab. C'est ainsi qu'accompagnée de son beau-frère, 16ème Lettre du Vivant, et d'un nombre important de grands babis d'Irak, la jeune femme avait quitté Bagdad avant la fin du Printemps 1847.

Mais dès qu'elle eut touché le sol d'Iran, voici que ses frères l'y attendaient, envoyés par leur père pour la convaincre de cesser son incongru vagabondage et de rentrer directement au bercail à Qazvin. Tahirih, fort à contrecoeur, accepta d'y faire un séjour, oh! provisoire et par seul respect filial.

Arrivée en sa ville, elle ne rentra point chez son mari mais alla résider chez son père. Cela se passait au début de l'Eté 1847. La mari indigné la réclama. Tahirih ayant énergiquement refusé de rentrer dans le rang de la femme au foyer, l'époux outragé aussitôt fomenta vengeance.

Ce fut l'oeuvre d'un fanatique qui la lui procura. Celui-ci venait d'assassiner un important personnage religieux z le père même de l'époux outragé, De là à accuser Tahirih d'avoir téléguidé le meurtre de son ex-beau-père, le mari n'hésita pas. Le meurtrier eut beau revendiquer farouchement l'initiative de son acte, Tahirih fut inculpée. Et comme il n'était point de prisons pour les femmes de qualité, elle fut écrouée chez son propre père, mais recluse, Et cette situation se prolongea Jusqu'au Printemps 1848 où les Babis sont en cours de rassemblement.

A Téhéran, Hussayn-Ali, centralisant chez lui les vigilances et la protection de la Cause, apprend que la clique de l'ex-époux de Tahirih prépare à Qazvin l'assassinat de celle-ci.

Un ami, des chevaux, sont envoyés par lui dans la nuit à Qazvin et le plan d'évasion réussit pleinement. Voici Tahirih hébergée on sécurité dans la noble et hospitalière demeure du grand. protecteur du Babisme.

Et quelques jours plus tard, juste le temps d'avoir organisé son départ clandestin de Téhéran, voilà Tahirih dûment escortée qui prend la route du Khorassan vers l'importante réunion qui s'y prépare.

Toutefois le grand protecteur du Babisme, voyant que cette province à nouveau agitée allait subir la répression armée, préféra éviter que la réunion des Babis en encourût le risque.

Pour se rendre en Khorassan, il fallait traverser la province du Mazindaran, Or c'est en Mazindaran, dans le district de Nur, que se trouvait son manoir héréditaire, qu'il y possédait de nombreux villages de productivité agricole, que chaque ville lui était familière, qu'en bref il y était chez lui, connu et respecté. C'est là donc qu'il fit s'arrêter les amis en cours de route.

Presque en bordure de la ligne de démarcation séparant le turbulent Khorassan du paisible Mazindaran, au hameau de BADASHT proche de la petite cité de Shah-Rud, dans une plaine aimable et sans surprises, il fit dresser un vaste camp on lequel leur congrès eut lieu sans ingérence politique.

LE CONGRES DE BADASHT, quel en était le but ?

En fait, c'est le Bayan "révélé par le Bab à Mah-Ku, le Bayan, ce Livre des Lois de la révélation babie, qui motiva cette réunion des disciples.

Il s'agissait, ni plus ni moins, de "lancer" le nouveau livre saint dans le temps et l'espace, et, par une spectaculaire mise en application de ses préceptes, d'abroger la révélation coranique. Si le "Bayan" était la parole de Dieu, et pour ces Babis il l'était, il convenait désormais de faire entrer cette Parole dans leurs actes.

Parmi les grands babis notoires, le seul qui n'assista pas au congrès était Mulla Hussayn car empoché par raison majeure. En effet, ai Quddus,natif du Mazindaran, avait pu aisément circuler on simple voyageur d'une province à l'autre, Hussayn, lui, étant khorassanais, s'était vu impérativement "invité" par le prince Hamzé, gouverneur et chef de la répression militaire, à rester à côté de lui, on son camp, sous le prétexte d'assister à la "pacification" du soulèvement.

Au hameau de Badasht, le congrès était en cours.

"Dieu autorise ses créatures à porter des noms qui Le démontrent" avait énoncé un verset du Bayan.

Autrement dit, non plus les noms usuels des hommes de l'Islam en leurs combinaisons diverses, mais des noms qui fussent nouveaux et confèrent une qualification religieuse nouvelle, comme le Bab en avait déjà appliquée à certains.

Ce fut là que Qurratu'ul-Ain devint TAHIRIH (la Pure, et que Muhammad Ali devint QUDDUS (le Sanctissime) entre d'autres adeptes auxquels fut conférée une identité nouvelle, dans la geste de la révélation babie.

D'autres versets sur ce même sujet énonçaient encore:

"Les meilleurs de ces noms sont ceux qui sont reliés à Dieu, tels "Gloire de Dieu", "Lumière de Dieu", (...) et autres analogues (...)"

"Sache que Celui que Dieu doit rendre manifeste est comme la pierre de touche qui différencie l'or pur de ce qui n'en est point. Si, par exemple, quelqu'un porte le nom de "Gloire de Dieu" et si, par sa lumière il illumine un premier croyant à avoir foi on lui, alors la personnalisation de ce nom se trouve divinement confirmée. En cas contraire, celui qui s'est nommé ainsi, ne démontre que son néant."

L'être qui à Badasht devint BAHA, était l'homme qui depuis Août 1844 avait immédiatement voué sa personne, son prestige, sa fortune et sa vie à la nouvelle Cause de Dieu: BAHA (Gloire), BAHA'U'LLAH (Gloire de Dieu); NUR (Lumière), NUR'U'LLAH (Lumière de Dieu). Mirza Hussayn-Ali, de Nur, en devenant entre autre était plus que jamais celui qui n'avait cessé de proclamer, de diriger, de protéger, de secourir la Cause. Celui qui par sa vigilance, ses initiatives, son autorité, sa haute position sociale,était le plus réaliste assistant du Bab, était enfin celui qui avait organisé, financé, et qui soutenait les travaux du Congres.

Or pour Mirza Hussayn-Ali,de Nur, en résolvant sa haute personnalité connue en celle d'un babi nommé Baha, qu'avait-il à gagner au point de vue humain, Sinon la perte de sa sécurité, de sa position privilégiée, de ses biens, et la persécution inévitable ? Il était trop intelligent, trop informé et trop lucide pour ne point le savoir. Et pourtant, il Lit ce qu'il fit !

De point de vue humain cela parait irrationnel, voire aberrant! De quoi lever les yeux au ciel!

Or, dans le ciel des astronomes du 19ème siècle qui observaient la voie lactée, ils virent se mouvoir un certain dessin animé, en tracé d'or sur fond de ciel nocturne.

C'est que la comète périodique Biéla, appartenant au tourbillon météoritique des Andromèdes, revenait (une fois de plus) dans le champ visuel des observateurs terrestres, en Novembre 1845, y restant visible jusqu'au 15 Janvier 1846, et que, ce jour là, les astronomes voyaient la tète de Biéla former une curieuse protubérance. Après quoi, la comète se scinda en deux comètes jumelles qui se placèrent en orbite parallèle: Biéla-A prenant la position dominante et Biéla-B demeurant en second plan. Puis, poursuivant côte à côte leur trajectoire, les deux comètes jumelles sortirent du champ visuel terrestre.

Les astronomes désignèrent alors Biéla par le qualificatif de comète binaire.

En 1852, l'orbite de Biéla-binaire l'ayant à nouveau rapprochée de notre soleil, elle fut reprise en observation astronomique. Mais ces jumelles, séparées par un million et demi de miles, se présentèrent en deux temps:

Biéla-A, qui en Janvier 1846 avait pris la position dominante, reparut la première. Suivie, trois semaines plus tard, par Biéla-B, laquelle semblait s'être amenuisée.

Les astronomes alors virent distinctement ces deux corps refusionner et n'en plus faire qu'un.

Biéla, continuant sa trajectoire, s'éloigna à nouveau du champ de vue après avoir tracé au ciel un flamboiement unique de sa clarté étincelante.

Enfin, en 1872, Biéla revint lancer des milliers d'étoiles filantes et, comme l'écrivit Camille Flammarion dans son livre "L'astronomie Populaire", il "est probable qu'elle s'est dissoute et qu'elle a cessé d'appartenir au monde des comètes".

Ce dessin animé, tracé en encre d'or sur fond de ciel nocturne aux dates de 1846, 1852, 1872, est-il pure coïncidence ? Ou pourrait-on lui attribuer une certaine signification métaphysique? Car, dans le plan de la grande promesse d'Unité universelle, le Coran et la tradition imamite avaient annoncé que deux divines manifestations jumelées auraient lieu en temps venu, puis le Bab a enseigné ensuite que toute manifestation divine provient du Point Primordial. Or le Point Primordial étant ce que, dans le "Bayan" le Bab explique, on peut concevoir le Point en état de manifestation par le double canal de deux hommes prédestinés, nés à deux années de distance dans le même royaume d'Iran. En ce cas, et subséquemment, on peut encore concevoir que ces deux hommes fussent ensemble le Point en leurs deux existences essentielles. Ce pourrait être là. l'image de Biéla, la comète unitaire vue au début du dessin animé.

Puis le Bab entre en son rang existentiel et manifeste humainement le Point. En six ans seulement, sa révélation monte, éclaire, irradie, culmine et semble disparaître

Ce serait l'image de Biéla qui, dans le dessin animé se dédouble, devient Biéla-A et prédomine, tandis que Biéla.B se trouve en second plan sur même trajectoire.

Six ans plus tard, an 1852, l'image mouvante fait quelque chose d'insolite:
Le Bab, par son exécution en 1850, ayant quitté son rang existentiel; et Baha'u'llah, en 1852, étant entré en son propre rang existentiel, celui que Dieu rendra manifeste relèvera le Babisme défaillant, l'élèvera très haut, et enfin assumera par lui-même la manifestation ; on voit Biéla terminer son imagerie par les deux comètes jumelles refusionnées en une apothéose de lumière.

Laquelle disparaît an un seul mouvement pour, en 1872, venir une dernière Lois déverser sa pluie d'or de milliers d'étoiles filantes.

Reportons la vue sur Badasht où la fin du congrès s'approche. Ce fut à Tahirih, sous l'égide de Baha, qu'incomba l'honneur d'accomplir le geste décisif.

Elle dont la beauté n'avait d'égale que sa foi, elle qui venait d'être consacrée "La Pure", elle l'unique présence féminine parmi tant d'hommes assemblés et, par surcroît; féminité musulmane, tenue par la plus rigoureuse des traditions à ne se montrer aux hommes que voilée, la voici soudain entrant an séance, avec sa grâce, sa dignité, radieuse, moderne, parée, sereine, souriante, et son merveilleux visage s'offrant librement à la vue de tous, semblable en cela à toutes ses soeurs d'Occident.

Indifférente à la rumeur scandalisée de la plupart des congressistes qui voyaient là un véritable sacrilège, elle se dirige& vers sa place habituelle et s'assit lentement.

Divers mouvements véhéments, protestations, interpellations, querelles dramatiques, agitèrent fort cette séance.

Mais après avoir laissé passer l'orage, l'émancipatrice potentielle de la femme d'Orient, nouvelle émancipée, proclama qu'un tel jour - en lequel les entraves du passé avaient été rompues et le seuil de l'avenir franchi - était jour solennel de paix universelle et devait être fêté paisiblement.

C'est ainsi que le compte à rebours, commencé le 22 Mai 1844 à Shiraz, (ce même jour où aux U.S.A. William Miller constatait amèrement que le retour du Christ prédit par lui pour cette même date ne s'était pas produit) c'est ainsi que le compte à rebours du Babisme reçut le top-départ donné par ce congrès et que le seuil de non-retour des croyants de la religion du Bab fut franchi.

Les Babis à Badasht,avaient par leur congrès précédé,de très peu et sans le savoir, la grande déclaration officielle que le Bab allait faire dans la dernière semaine de Juillet.

Car, tandis qu'à l'Est, le Khorassan redonnait au gouvernement fil à retordre, à l'Ouest, en Adhirbajan, Chiriq donnait à l'épiscopat le vertige.

Il importait donc à l'Etat d'affirmer son autorité, à l'église shi'ite de réaffirmer se. puissance, à Aqassi le premier ministre de prouver son invincibilité.

Et l'on convint qu'en traduisant le Bab devant un tribunal, un grand procès bien orchestré remettrait les esprits en place.

Déjà le Bab, bien avant que l'ordre de son transfert à Tabriz eut même été émis, mais prévoyant ces choses, avait fait emporter en lieu sûr l'ensemble de ses manuscrits. Puis il avait enjoint ses assistants de le précéder on cette ville car, leur dit-il:

"Le feu de Nemrod sera bientôt allumé. Nais à Tabriz, malgré se. flamme ardente, aucun mal n'accablera nos amis".

Pour éviter qu'au cours de son transfert, le trop célèbre prison-. nier fut acclamé par ses partisans, 1es autorités l'avaient fait convoyer par une route détournée. Malgré cela, son transit par Urumiyyh fut marqué par une apothéose de sa glorification populaire, un véritable bain de foule, un vrai Dimanche des Rameaux.

A Tabriz, pour empêcher la ferveur passionnée des masses qui se portaient vers lui, les autorités le logèrent hors les murs et sous sévère garde, maintenu à l'écart jusqu'au jour du procès.

Ce fut dans la dernière semaine de Juillet 1848, au palais du gouvernorat général, devant les plus hautes autorités religieuses et de nombreux théologiens, qu'en présence du prince héréditaire eut lieu le procès du Bab.

Le Prince, chargé depuis le 23 Janvier du gouvernement de l'Adherbajan et traité - selon la volonté du Shah - en figure de proue du royaume, exhaussait ainsi l'assemblée par sa personne qui, intensifiant la résonance du procès, amplifia l'impact de la déclaration qu'y fit le Bab.

Le jeune prince, âgé de dix-sept ans à peine, extrêmement timide, dont l'adolescence avait été tenue à l'écart des affaires de l'Etat jusqu'à l'Automne précédent, était mal préparé au pouvoir. Il ne se doutait aucunement que, six semaines plus tard, la mort aurait soudain frappé son père et que si tôt lui-même serait roi.

A l'ouverture du procès, devant les portes de la salle, se pressait une foule si dense que l'on dut forcer un passage pour introduire le prévenu.

A peine entré, le Bab, avec sa gracieuse dignité habituelle, salua courtoisement la haute assemblée.

Le fauteuil réservé par l'étiquette au prince héréditaire était resté vacant car ce dernier avait préféré se placer moins solennellement non loin de là.

Le Bab se dirigea vers ce fauteuil vide et s'y assit. Ce fut une première sensation, l'assistance en perdit le souffle.

Enfin, rompant un lourd silence, le président du tribunal interrogea "Qui prétendez-vous être et quel est votre message" ?

Alors le Bab de répondre d'une voix vibrante:

"Je suis, je suis, je suis le Promis. Je suis Celui dont vous avez invoqué le nom depuis mille ans, dont la mention vous a fait lever, dont vous avez ardemment désiré l'avènement, priant Dieu d'avancer l'heure de Sa révélation."

C'en était fait, la foudre était tombée sur l'assistance !Les longs débats pseudo-juridiques qui s'ensuivirent furent du pur remplissage. Poliment, patiemment, le Bab répondait, mais sa position demeurait affirmée.

Puis, comme cela eut pu s'éterniser, le surprenant accusé prononça une citation coranique conclusive, se leva, et retraversant la salle sidérée, quitta de son propre chef le prétoire.

Une commission médicale fut nommée par le tribunal pour examiner la santé mentale du prisonnier. L'un de ces médecins, le Dr. Cormick, praticien anglais exerçant à Tabriz, écrivit quelques années plus tard à un ami, le Révérend SED, une lettre relative à cet examen. Ce témoignage est celui de l'unique européen qui soit entré en contact avec le Bab. Cette lettre disait:

"Vous me demandez quelques particularités sur mon entrevue avec le fondateur de la secte Babi. Rien d'aucune importance n'en est survenu car le Bab était conscient du fait que m'avoir envoyé avec deux autres médecins persans pour examiner s'il était sain d'esprit ou aliéné trancherait la question de savoir s'il fallait le condamner à mort ou non.

En cette circonstance, il n'était pas disposé à répondre à notre enquête. A chaque questions que nous lui posions, il nous regardait avec douceur, psalmodiant d'une voix basse et mélodieuse des hymnes - je suppose. Deux autres seiyyeds, ses amis intimes qui devaient subséquemment être mis à mort avec lui, étaient présents, ainsi que deux fonctionnaires du gouvernement.

Il ne daigna me répondre qu'une seule fois, lorsque je lui eus dit que, n'étant point musulman, j'aimerais connaître un peu sa' religion car peut-être serais-je incliné à l'adopter. Il me regardait très intensément pendant que je disais cela, puis me répondit que, sans nul doute, tous les européens viendraient à sa religion.

Notre rapport au shah fut de nature à préserver sa vie. Il a été condamné à mort quelque temps plus tard par ordre de 1'Amir-ò-Nizam Taqi Khan, mais à l'époque de notre rapport il ne fut alors condamné qu'à la bastonnade.

Au cours de celle-ci, un farrash (fonctionnaire exécutant), et que ce fut intentionnellement ou non, le frappa au visage par le bâton destiné aux pieds. Ce coup lui causa une grosse blessure avec oedème de la face. A la question qui lui fut posée: si un chirurgien persan devait être appelé pour le soigner, il exprima le désir que je lui sois envoyé pour cela.

Conformément, je lui ai dispensé mes soins durant quelques jours. Mais pendant ces visites je ne pus jamais avoir avec lui le moindre entretien particulier car, l'homme étant un prisonnier, des gens du gouvernement étaient toujours présents.

Il me fut très reconnaissant pour mes attentions à son égard. il était un homme d'apparence douce et délicate, plutôt menu de stature et très beau comme persan, avec une voix douce et mélodieuse qui me frappa beaucoup. Etant un seiyyed, il était vêtu selon les coutumes de cette secte, comme l'étaient aussi ses deux compagnons. En fait, son apparence et son comportement avaient tout pour disposer chacun en sa faveur.

De sa doctrine, je n'ai rien entendu de sa propre bouche, mais l'idée était qu'il y avait en sa religion une certaine approche du christianisme. Il a été vu par des charpentiers arméniens venus réparer sa prison, en train de lire la Bible, et non seulement sans s'en cacher mais au contraire en leur en parlant.

Sans nul doute, le fanatisme musulman ne doit pas exister dans sa religion, comme il l'est pour les Chrétiens, ni elle n'a pas ces restrictions envers la femme, telles qu'elles existent actuellement." (2)

A la suite du rapport de cette commission spéciale, le Bab fut ramené à Chiriq au mois d'Août et y retrouva sa réclusion en forteresse mais cette fois sous un contrôle draconien.

Toutefois, ce qui demeurait évident était que, grâce à ce procès en présence du Prince héritier, aucune assertion, aucune revendication, aucune proclamation, ne pouvaient avoir été plus formelles, plus officielles, plus publiques, que celles que venaient de faire le Bab à Tabriz.

Celui qui se disait le Promis, l'Envoyé, le Dispensateur attendu, venait donc de ratifier, presque immédiatement à leur suite, les objectifs du congrès de Badasht et, à Tabriz comme à Badasht, venait de déclencher le top-départ du non retour.

Déjà, avant même que ces deux évènements eussent eu lieu, le peuple iranien, excité par son clergé shi'ite, oscillait entre deux penchants: l'un, le "sus aux babis", l'autre le "vive le babisme", mais l'opinion penchait vers le premier et la haine cristallisait.

Vers le 20 Juillet 1848, au moment même où allait s'ouvrir le procès du Bab, la plupart des congressistes de Radasht étaient sur les routes en direction du retour vers leurs foyers. annonciateur, Tahirih et Quddus, partis les derniers de Badasht, se trouvaient encore dans la région. Ils firent halte pour la nuit au village de Nyala où leur camp fut adossé au flanc d'une montagne. Leur nuit fut calme, mais soudain, à l'aube, les dormeurs Lurent lapidés par des pierres de cette montagne, suivies du déferlement de cinq cents villageois tombant sur eux du haut du mont et qui pillèrent leur camp avec furie.

En un éclair les assaillis, c'est à dire l'arrière-garde des congressistes avec la plupart des chevaux et palefreniers, parvinrent à prendre la fuite. De son côté, annonciateur confiait Tahirih aux soins d'un jeune brave qui la protégea sabre en main, jetait sur la robe religieuse de Quddus son propre manteau seigneurial et le faisait partir vers Nur où ils se rejoindraient.

Ensuite, faisant Lace aux assaillants, il les calma par le raisonnement et par sa noble autorité paisible. Le calme revenu, on lui restitua une part du pillage: matériel et harnachements, afin qu'il poursuive son voyage.

Hélas! lorsqu'il arriva à Nur avec Tahirih et son chevalier défenseur, Quddus n'était pas au rendez-vous.

Vers le 20 Juillet également, Mulla Hussayn que" l'invitation" du gouverneur avait privé d'assister au congrès, venait de rentrer à Meshed et la ville qu'il retrouvait était à nouveau sous grave pression.

Par prudence, il décida de s'en éloigner, lui et ses coreligionnaires les plus en vue. Le mieux, pensait-il, serait d'aller dans le lointain Irak faire un pèlerinage à Karbila. Et le prince- gouverneur avait approuvé cette idée.

Hussayn et ses amis étaient sur leur départ, lorsque survint, venant droit de Chiriq, un messager du Bab.


Il apportait à Hussayn, avec le propre turban vert de leur maître, l'impératif suivant:"Pare ton front de mon emblème et, déployant 1'Etendard. Noir, hâte-toi vers l'île de verdure, porter secours à mon bien-aimé Quddus".

L'expression "île de verdure" on le savait, s'appliquait à un lieu de la province du Mazindaran.

Il est évident que, pour être arrivé vers le 22 Juillet à Meshed après avoir franchi quelques deux mille kilomètres, à pieds la plupart du temps, ce messager avait dû partir de Chiriq longtemps avant que Quddus n'eût disparu, et donc que le Mont Carmel en avait eu la vision anticipée, avant même le congrès et avant le procès. En outre, Hussayn et ses amis ignoraient alors que Quddus ait été en danger par l'agression à Nyala et qu'il ait disparu entre Nyala et Nur.

Quant à l'expression "Etendard Noir", elle référait aux livres de la tradition, dont un verset attribué au prophète Muhammad disait: "Si vous voyez les étendard noirs partir du Khorassan, hâtez-vous vers eux, même si vous deviez ramper dans la neige, car ils proclament l'avènement du Promis, le Vicaire de Dieu." Or nul parmi les chi'ites n'ignorait cette signification. De même, chacun des compagnons d'Hussayn comprit la signification complémentaire de l'envoi du propre turban du Bab. Adjoint à cet étendard, il identifiait le Promis.

Aussi, Hussayn et ses amis, prirent-ils promptement le départ, en simples pèlerins, au vu et su de tout le monde, mais dès qu'ils furent hors la vue, ils se formèrent en légion de cent- vingt cavaliers, Hussayn coiffé du vert turban du Mont Carmel, l'étendard bissé en tête du cortège, et ils s'élancèrent en direction de Barfurush, en Mazindaran, la ville natale et résidentielle de Quddus.

La légion des chevaliers de Dieu, au début de sa chevauchée, avait traversé la ville de Nishapur célèbre pour ses mines de turquoises, si bleues, Si belles. Et le fils d'un propriétaire minier, le jeune Abdul-Jalil, vint se joindre au cortège, emportant en monnaie de voyage un sachet de ces gemmes.

A chaque halte en cours de route, la légion s'arrêtait,proclamait l'avènement, convertissait certains et grandissait en nombre.

Plus loin sur le parcours, Hussayn jugea nécessaire d'inviter ses légionnaires, pour démontrer publiquement leur renoncement aux biens matériels et le caractère purement religieux de leur mission, à larguer tous bagages et objets de confort personnels, ne conservant que leur monture et leur sabre défensif.

Celui entre eux qui le premier donna l'exemple, fut Abdul-Jalil, de Nishapur, jetant sereinement au sol, d'un geste large, la fortune de ses turquoises.

Dans l'enthousiasme, il fut suivi par tous les autres. Chacun lançant au sol son superflu. Et toua en repartant - chevau-légers- n'avaient plus rien sur eux que leur vêture, tandis qu'à terre, de précieux cailloux chantaient en bleu la beauté du renoncement.

Belle, jeune, exemplaire, pure, enthousiaste, fraternelle, la légion avançait. Elle avançait vers l'île de verdure!

En ce Mazindaran, Baha'u'llah- après l'agression au. camp de Nyala, -était arrivé sain et sauf à Nur, y avait organisé pour Tahirih une retraite sûre dans la famille d'un notable ami, puis, lui-même replié dans son manoir ancestral de Takur attendait anxieusement des nouvelles de Quddus qui ne donnait aucun signe de vie.

Il n'était pas très loin de là Quddus Il était à Sari, capitale de cette province. Mais il était interné au secret chez le chef religieux de la ville qui veillait jalousement à faire silence sur sa capture. Impuissant, Quddus se trouvait donc aux mains des ennemis du Bab.

Ainsi s'écoula tout ce mois d'Août 1848. Et toujours proclamant, chevauchant, avançant, la légion désormais était proche du but.

A ce moment donné, à proximité du village de Savad-Kuh, Hussayn mit en garde ses volontaires: - de grandes épreuves les attendaient. Sous l'étendard de Dieu beaucoup perdraient leur jeune vie. Ils pouvaient à leur gré demeurer ou se retirer, mais qu'ils choisissent en cet instant, Il était temps encore. Ils étaient libres de leurs actes.

Vingt seulement se retirèrent. Et la légion, lucidement, se livra à sa destinée, quoi qu'il puisse lui advenir.

Au cours de la dernière semaine de ce même mois d'Août, le shah, en sa résidence d'Eté, retomba une fois de plus malade' Puis, le 4 Septembre au matin, son médecin français, le Dr. Cloquet, voyant que cette fois le mal était fatal et empirait d'une heure à l'autre, appela pour confirmation ses confrères des légations de Russie et Grande Bretagne.

Ces docteurs,toutefois, furent plus optimistes. Ainsi, sauf le Dr. Cloquet, personne à la cour ne s'alarma. Le Roi était souffrant et l'on en avait l'habitude !

Mais M. Cloquet prévint le comte de Sartiges que le Roi était au plus mal et ne passerait pas la nuit. Le ministre de France se trouvant ainsi le seul à connaître la grave situation se hâta d'en informer le premier ministre Aqassi car ce dernier résidait au repos à quelque distance du souverain et ignorait la soudaine évolution du mal.

Aqassi dépêcha sur le champ un courrier à Tabriz pour informer le prince héritier, puis se terra entre ses murs dans une attente terrifiée. Avec la vie du Roi, son propre règne agonisait. A vingt et une heures du soir, avec la mort du Roi, son propre règne était fini.

Sa Majesté le Shainshah Muhammad Qadjar mourut tel un simple mortel, seul entre son médecin et l'intendant de sa demeure. Sa dépouille fut veillée toute la nuit par le docteur Cloquet et quatre jeunes gens de sa maison royale. A l'extérieur, nul ne savait encore. Au matin, quand la nouvelle fut annoncée, ce fut le chaos général,

Loin des troubles de Téhéran, la légion des chevaliers de Dieu, belle, jeune, sainte, exemplaire et pure, avançait.

En route, elle avait appris la nouvelle de la mort du Shah.

Enfin, le 10 Septembre, elle fut en vue de Barfurush.

Ce jour là, la population, dûment conditionnée par son clergé, s'est armée contre "l'invasion", s'avance contre "l'envahisseur".

Et c'est l'affrontement d'une populace déchaînée contre les deux cents cavaliers conduits par celui qui porte le vert turban du Bab et qui leur interdit de se servir de leurs sabres.

Sept entre eux sont aussitôt tués sous le feu des mousquets.

On voit alors Mulla Hussayn, le calme théologien, lui de frêle constitution et dont la main souffrait d'un tremblement quand il tenait la plume, lui le pacifique, on voit Hussayn être comme investi d'une puissance titanesque et - avant d'agir - dire d'une voix portant loin: "Sois témoin, Ô Dieu, de l'accueil fait à tes bien-aimés, Toi qui sais que notre intention est de guider ces gens vers la vérité et de leur proclamer ta révélation !", puis, sabre au clair et lançant son cheval, il clame à pleins poumons l'ordre: "A cheval, ô héros de Dieu!" et fonce sur le premier qui a tiré, qui a tué.

Lequel, épouvanté, se réfugie derrière un arbre en tenant verticalement son mousqueton. Mais la force qui manie le sabre est telle, que l'arme - frappant de taille et à l'horizontale - tranche à la fois et l'arbre et l'homme et le mousquet.

L'incroyable fait d'arme a pétrifié les assaillants, Et tandis qu'Hussayn galope seul vers Barfurush, la légion sans peine se dégage.

Hussayn pénètre directement chez le fanatique chef religieux qui avait excité ses ouailles et le rend responsable devant Dieu des morts et des blessés.

Les citadins en panique ont regagné leur ville et font grand bruit pour réclamer la paix.

Hussayn se montre à eux, les rassemble, leur expose le pacifisme de la légion dont la mission est de proclamer, où elle passe, le Seigneur de l'ère nouvelle. Il leur explique qu'on les a induit en erreur, que cette erreur est oubliée et que la paix est rétablie.

Le jour du dix Septembre va sur sa fin. Chacun rentre chez soi. Mais la légion, où en est-elle ?

Son objectif étant de retrouver Quddus: la voici dans la ville où il demeure. Or, ni dans sa ville ni chez lui, nul ne sait ce qu'il est devenu. Le Mohammad a ordonné que la légion se rende en "l'île de verdure": la voici dans cette "île". Mais l'endroit est vaste. Il faudra le fouiller.

Pour l'instant, les légionnaires autant que leurs montures ont besoin de repos, de nourriture et de sommeil. La nuit portant conseil, Hussayn installe tout son monde au caravansérail.

Ce fut dès l'heure du couchant que cette paix précaire fut rompue. Un jeune compagnon, chantant sur le toit du caravansérail l'appel babi aux prières du soir, mourut sous une balle au début de son chant. Un second s'élança, poursuivant le verset, mais le chant s'arrêta avant d'être fini, éteint par la seconde balle, Un troisième reprit alors au point interrompu et juste terminait la phrase sainte lorsqu'à. son tour il fut tué.

Hussayn enfin ouvrit grandes les portes et fit charger tous ses "héros de Dieu" lui-même en tête.

Une nouvelle débandade s'ensuivit, un nouvel appel à la paix s'éleva. Les notables parlementèrent, adjurèrent les compagnons de quitter la cité, leur promettant une escorte de protection. Un accord fut conclu pour une nuit paisible et pour le départ dès le matin. Des aliments et du fourrage furent fournis.

La nuit tomba. La belle nuit d'Automne au ciel de Perse. Mais tandis que reposait la légion, un traquenart se préparait pour elle.

Le jour suivant, 11 Septembre 1848, sous l'autorité d'un notable accompagné de nombreux citadins à cheval, la légion ainsi escortée fut courtoisement dirigée vers la pleine forêt.

Après quelques heures d'une marche ralentie par la densité des sous-bois, le notable fit un signe et l'escorte découvrant ses armes cachées se rua sur ses "protégés" qui, derechef, se défendirent et se libérèrent de leurs agresseurs.

Puis la Légion du Promis reprit sa marche. Elle avançait pour s'éloigner de tant de haine derrière elle. Elle avançait ! La nuit revint. La belle nuit du début de l'Automne. On s'arrêta.

Dès le lever du jour, le 12 Septembre, Hussayn partit en éclaireur. Non loin de là., apparemment an un lieu isolé des hommes, il découvrit un édifice. Un vieux gardien y veillait à demeure sur le mausolée d'un saint shaykh nommé Tabarsi. Ce vieillard fit bon accueil à Hussayn et accepta d'abriter les réfugiés. Ainsi parant au plus pressé, Hussayn avait trouvé pour eux un havre et tombeau-Tabarsi deviendrait fort-Tabarsi.

A Téhéran comme à Tabriz, quand avait été connue la mort du roi le père, en un instant il ne fut plus question que du roi le fils.

Sur place dans la capitale, la nouvelle reine-mère improvisait au nom du fils une quasi régence et des grands du royaume s'agglutinèrent autour d'elle pour se faire valoir et implanter une sorte de gouvernement de Lait. Elle s'avéra femme de tête, se montra intelligente et énergique. Il semblait bien qu'elle eut l'intention d'imposer à son jeunot de fils toutes ses propres décisions. C'est pourquoi les représentants de la Russie, l'Angleterre et la France, furent-ils fort empressés auprès d'elle.

Aqassi avait aussitôt disparu, honni, traqué, réfugié sous droit d'asile au fond d'un inviolable sanctuaire, dictateur ruiné, pillé, terminé. Trois mois plus tard, à fin Novembre, M. de Sartiges relatera à son ministre qu'Aqassi avait fini par être transféré en exil définitif à Karbila et que lui-même l'avait bienveillamment recommandé à l'ambassadeur de France. (Ce qui n'empêcha point le réfugié qui n'était plus qu'un miséreux, d'être désagrégé par une lente maladie dont il mourut comme crève un animal perdu.)

A Tabriz, par contre, où le jeune prince-gouverneur était devenu Nassr-ed-Din Shah, la couronne si soudainement tombée sur sa jeune tête faisait de lui la cible de toutes les convoitises.

Le 11 Septembre 1848, veille de la proclamation du nouveau roi, une coïncidence fortuite amenait à Tabriz, arrivant de Paris par la voie du Nord de l'Iran, M. Dano, le Secrétaire de Légation promis au comte de Sartiges et qui se rendait à son poste à Téhéran. Ce débutant en affaires persanes survenait impromptu en plein scoop. On trouve aux archives diplomatiques des Affaires étrangères à Paris trois de ses rapports qui composent un reportage très vivant sur les circonstances spécifiques à ce début de règne.

Il y est question de choix astrologiques conditionnant les décisions, d'hommes à mettre en place sur le champ, d'argent à trouver d'urgence pour assumer la situation, de problèmes cruciaux de protocole et d'influences, etc.

Si Nasser-ed-Din, âgé de dix-sept ans à peine, n'avait eu près de lui les deux vizirs civil et militaire attachés à son cabinet de prince héréditaire avant qu'il ne fut roi, il eut été totalement livré à l'emprise des consuls de Russie et d'Angleterre. Dano relate que: "la curée des places se faisait presque tout entière chez ces derniers, leurs maisons ne désemplissant pas, le nombre des solliciteurs y étant plus grand que dans les anti-chambres royales".

Mais par leur présence, ces deux vizirs sauvent la situation. Celui qui avait été le vizir-précepteur de la maison civile du prince, personnage falot, est bombardé d'urgence premier ministre faute de mieux. Celui qui dirigeait le cabinet militaire, Taqi Khan, a de telles capacités qu'à lui seul il règle énergiquement tous les problèmes et devient sans délai l'homme le plus puissant du royaume. Il le demeurera jusqu'à la fin de 1851 et c'est lui seul qui, en 1850, décidera l'exécution du Bab. Sa responsabilité envers le Bab et le Babisme aura été totale. Il est donc intéressant, grâce à M. Dano, de le voir prendre le pouvoir.

A Tabriz, ce 12 Septembre, il fallait un premier ministre: c'est chose faite! Il fallait à l'Adherbajan un nouveau gouverneur: un grand-oncle du roi, le prince Kalek-Kassem en étant nommé vice-roi, c'est chose faite! Il fallait rassembler, sans pouvoir la payer, une importante escorte militaire de prestige et de sécurité pour le roi: Taqi Khan influant sur le moral des troupes, c'est cause gagnée! Il fallait emprunter plus d'un million pour les frais du voyage: Taqi Khan persuadant un prêteur commercial de Tabriz, c'est affaire traitée !

Il fallait ramener les deux consuls à quelque retenue: Taqi Khan sachant parler langue diplomatique, les consuls ont compris!

Et le 18 Septembre 1848, le cortège royal, entouré de dix mille hommes et officiers, quitta Tabriz pour Téhéran.

Le voyage solennel allait durer un mois. Le règne allait durer quarante-huit ans. Et le timide adolescent influençable n'allait guère tarder, dès l'âge de vingt-et-un ans, à s'avérer un tyran sanguinaire, qui martyrisa le Babisme et ne cessa de poursuivre Baha'u'llah de sa haine implacable


Chapitre 12. LE MASSACRE

Dans le Mazindaran, le 12 Septembre 1848, en pleine forêt sauvage et loin des échos du changement de règne, Hussayn et la légion - fuyant la haine et les troubles - entraient en réfugiés dans le solitaire mausolée de Tabarsi. Hélas pour eux, malgré cette apparence, les environs étaient peuplés. Comme vagues autour d'un goulet maritime, ce havre fut à maintes reprises assailli par les forestiers d'alentour. Oh! Les "héros de Dieu" ne se laissaient pas faire. Et même, connaissant la tactique de dissuasion, sortaient soudainement à cheval, leur étendard en tête, sabres étincelants, poussant le cri de la légion et, sans leur faire mal repoussaient les hommes simples de la forêt. La crainte étant parfois commencement de la sagesse, ceux d'un hameau voisin vinrent chaque matin vendre aux réfugiés des vivres frais. De part et d'autre, on s'observait, on attendait.

Enfin, heureuse diversion ! Voici qu'après une semaine de cet état qui ne rimait à rien, un éclaireur arrive annonçant Baha'u'llah. Et c'est bientôt l'immense réconfort de la présence du grand protecteur. Il est venu, leur dit-il, pour les encourager à tenir car leur refuge est sage et que présentement partir serait pour aller nulle part. Quddus, annonce-t-il, est retrouvé. Sept d'entre eux doivent aller à Sari le réclamer à celui qui le détient secrètement depuis trois mois. "La crainte de Dieu et la terreur qu'inspire son châtiment l'inciteront à libérer son prisonnier sans résistance". Baha'u'llah conseille certains travaux pour fortifier Tabarsi. Enfin, devant aller à Téhéran, il les quitte en promettant, "s'il plait à Dieu", de revenir avant la fin du prochain mois de Novembre.

Mulla Hussayn se hâta donc d'envoyer à Quddus sept légionnaires et la libération s'opéra effectivement sans résistance.

A Tabarsi, sous l'étendard flottant du "Vicaire de Dieu", la légion, confiante, attendait. Lorsque Quddus arriverait, elle aurait justifié sa mission de délivrance ordonnée par le Bab. En attendant, elle entourait le mausolée d'une forte muraille.

Vers la fin de Septembre, un cavalier, bride abattue, arriva le premier: Quddus, dit-il, suivait de peu, entouré des six compagnons. Hussayn n'y put tenir. Sautant en selle, en tête de cent cavaliers, tous sans toucher les rênes et brandissant en chaque main une torche enflammée, il lance en la nuit noire ce cortège de joie; fusée d'amour propulsée vers l'ami.

Quddus est rencontré, acclamé, entouré. Les deux cents flammes transforment la forêt en un fantastique et glorieux décor.

Des cent poitrines un choeur s'élève: "Saint, saint, saint est le Seigneur notre Dieu, Seigneur des Anges et de l'Esprit !"

Et le vent de la nuit d'Automne amplifie cette action de grâces. Ce fut en chantant de la sorte que Quddus, en triomphe, fut escorté à Tabarsi.

Durant le mois d'Octobre, les réfugiés connurent sous la haute direction de Quddus une période d'intense spiritualité.

Tandis que les uns s'affairaient aux travaux de fortification et aux approvisionnements en vue d'un siège à soutenir, Quddus, avec Hussayn et les plus éminents théologiens du groupe, faisait prier, méditer et chanter des versets du Bab ou du Coran, que parfois il leur commentait. Sous l'animation d'un tel chef, d'une si haute sainteté, le moral et la foi des reclus supporteraient n'importe laquelle des épreuves qui pouvaient à chaque instant fondre sur eux. La vie de ces "héros de Dieu" s'était organisée en véritable monastère contemplatif, au sommet duquel flottait la bannière du Promis.

Et observé de l'extérieur par les hommes simples de la foret, le comportement des Babis s'avérait rassurant, voire édifiant, même des conversions se firent !

Mais cela ne pouvait durer. Car si, après la mort de Muhammad Shah, il y avait eu dans les provinces deux mois d'une sorte d'interrègne en lequel elles furent quasi livrées à elles-mêmes, désormais le roi, sa cour et son gouvernement étaient à Téhéran et le nouvel appareil de l'Etat entrait en fonction.

C'est ce qu'avait attendu impatiemment la suprême autorité religieuse du Nazindaran, pour venir au début de Novembre décrire au nouveau roi les "révoltés" de Tabarsi.

Nasser-ed-Din Shah, s'il entendait pour la première fois mentionner Tabarsi, connaissait le demi temps pour avoir, trois mois auparavant, présidé son procès à Tabriz et l'avoir entendu proclamer ce que le Bab se proclama. Déjà, lors du procès religieux, en tant que jeune gouverneur il avait atermoyé, fait remettre le Bab en la forteresse de Chiriq et espéré superstitieusement que ces étranges choses disparaîtraient ainsi. De même, en tant que jeune roi que l'on venait importuner par cette "révolte" de Tabarsi, il temporisa en renvoyant le clergé avec l'imprécise promesse que l'on ferait le nécessaire. Puis il fit prendre l'avis du commandant militaire de la région concernée, lequel assura que venir à bout de ces jeunes contemplatifs mystiques qui jouaient au petit soldat serait la moindre des choses et ne demanderait que quelques jours. En conséquence, ce commandant reçut carte blanche.

Alors cet homme, Abdullah Khan, recruta une troupe nombreuse, plaça ses positions face au fort et, commençant par supprimer aux assiégés l'apport de vivres et d'eau, ordonna de tirer sur qui en sortirait pour se ravitailler.

Mais les vivres frais, paisiblement les reclus s'en passèrent. Et l'eau douce, c'est en pluie torrentielle qu'elle tomba, inondant les assiégeants et fournissant aux assiégés d'importantes réserves. Le ciel généreux ajoutant par surcroît une précoce et forte chute de neige, vint embarrasser les mouvements des troupes.

Enfin, le 1er Décembre 1848, au lever du jour, Quddus suivi d'un certain nombre des légionnaires s'élance sur cette neige au cri des "héros de Dieu": "Ya Sahibu'l-Zaman" et sa charge équestre surprend le camp ennemi. Le résultat est tel qu'Abdullah Khan y perd la vie avec quatre cents de ses hommes, dont le reste s'enfuit. Le butin est à prendre mais la légion ne se saisit que des chevaux et que des sabres.

Autour de ce même 1er Décembre, Baha'u'llah, fidèle à sa promesse de revenir, se dirigeait vers Tabarsi accompagné de quelques ardents babis. Entre Nur, d'où ils venaient, et Tabarsi, la distance n'était pas grande, mais toute la région était en alerte afin d'intercepter quiconque allait au fort des assiégés.

Ce fut à Amul, que des gardes zélés les livrèrent au substitut du gouverneur absent de la cité. Cet adjoint, reconnaissant parmi les suspects la haute personnalité du gentilhomme Hussayn- Ali, de Nur, comprit l'impair commis par ces gardes. Mais les chefs religieux accourus réclamaient à grands cris l'extermination de ces hérétiques et le substitut fut obligé de manoeuvrer: qu'on les bastonne seulement, ordonna-t~i1, car seul le gouverneur absent serait qualifié pour les livrer au roi. Et il fit aussitôt lier les captifs, tous excepté mirza Hussayn-Ali!

Mais lui, au contraire, exigea d'être le seul à être maltraité. Navré, le substitut se résigna. Devant le clergé jubilant, disparaître eut les pieds battus à sang. Puis, on enferma les captifs dans un local sous juridiction religieuse, tandis que quelques milliers de forcenés, à la mosquée et sur les toits, invectivaient les "hérétiques".

La nuit venue, le substitut les délivra et les mit à l'abri dans les appartements de la résidence, jusqu'au retour du gouverneur. Durant ce laps de temps, la haine et fureur de la ville ne cessèrent de se manifester.

Lorsque revint le gouverneur, il fit en sorte que le grand gentilhomme et sa suite fussent rapatriés sains et saufs à Téhéran.

Je reviendrai "s'il plait à Dieu", avait, à Tabarsi, promis disparaître Cet incident d'Amul qui l'empêchait de tenir sa promesse, montrait que Dieu ne voulut point qu'à Tabarsi il vint risquer sa vie!

La facile victoire de Quddus sur les troupes d'Abdullah Khan, avait prouvé en haut lieu que le défunt commandant avait sous-estimé les assiégés. En outre, le nouveau régime était allergique à toute opposition, à toute nouvelle rébellion et le gouvernement pliait sous les problèmes.

Toujours, bien sûr, le fameux Khorassan, où le roi voulant en finir envoie du renfort au prince Hamzé, le gouverneur.

A Téhéran, Taqi Khan premier ministre désormais, tient court les rênes du pouvoir, apure l'administration, supprime des prébendes et se fait de multiples ennemis. Mais le roi se repose sur lui en confiance et quiconque s'adresse au souverain est inéluctablement dirigé par lui sur Taqi Khan. Même la reine-mère et ses partisans ont compris.

Les problèmes de trésorerie sont aggravés par les dépenses militaires. Les deux provinces du Khorassan et du Fars ne payant plus leurs impôts, il a même fallu puiser dans le trésor personnel légué par feu Fath-Ali Shah, ce que l'on n'avait jamais encore, non jamais, osé faire ! Voyant cela, la Russie et la Grande Bretagne intriguent encore davantage.

Le comte de Sartiges qui avait sacrifié son congé, et malgré sa Légation établie, son traité ratifié par Paris, et ses lettres de re-créance enfin reçues, le pauvre Sartiges se ronge d'impuissance à obtenir la ratification du roi. Déjà le 30 Septembre 1848, écrivant à Paris, il annonçait: "Tenez pour certain, M. le Ministre, que je ne permettrai pas à ce jeune roi mal conseillé, un instant d'hésitation sur ce qu'il doit faire à l'égard de la France. Au fond de l'Asie comme au coeur de l'Europe, il faut que notre drapeau continue à flotter haut et considéré, ou qu'il soit amené par nos propres mains".

Or Décembre est là et rien n'est obtenu.

C'est en de telles conditions de tension générale, que le prince Mehdi-Quli reçoit le haut commandement du siège de Tabarsi, et l'on comprend que cette fois l'affaire est devenue grave.

Tandis que les régiments du prince s'installent sur une hauteur qui domine Fort-Tabarsi, les assiégés s'activent à creuser un fossé autour de leurs murs extérieurs. Dès son arrivée, le prince a fait demander à Mulla Hussayn, au nom du souverain, quels étaient leurs buts et objectifs. Hussayn avait fait répondre que son groupe et lui n'avaient aucune tendance antimonarchique, que leur unique objectif était religieux, qu'il demandait aux autorités ecclésiastiques régionales de venir entendre son exposé de la nouvelle révélation: "afin que ce soit le Coran qui décide quant au véridique" et que le prince en personne - jugeant alors leur cas - prononce lui-même le verdict.

Sans nul besoin d'un exposé ni de palabres ecclésiales, le prince le 21 Décembre 1848 choisit de faire ouvrir le feu.

Derechef, Quddus en tête, suivi d'Hussayn et de deux cent deux cavaliers, fonça sur l'ennemi, au cri désormais classique de: "A cheval, Ô héros de Dieu !".

Le premier jour d'Hiver n'était pas encore levé. La neige molle était comme un cloaque. Pourtant leurs chevaux bondissaient.

Et derechef, malgré la mousqueterie défensive de l'armée, c'est la terreur et la débâcle. Le prince est surpris en son privé par Hussayn dont l'illustre sabre le menace, et doit d'enfuir nus pieds dans la neige de la forêt, suivi de près par son armée en débandade. Deux princes du sang ont péri. Le butin est royal mais on n'y touche pas. Seul le sabre du prince est pris comme trophée. L'armée en fuite se regroupe, revient sur eux, les mousquets tirent et Quddus est blessé. Hussayn se porte à son secours et c'est avec deux sabres cette fois que des deux mains il dégage la voie tandis que l'on transporte le blessé.

La victoire est certaine. L'assaillant a vidé la place incontinent. La légion se resserre et rejoint son abri. Et l'on recreuse et l'on refortifie.

Le 31 Décembre 1848, le comte de Sartiges relate qu'il a enfin pu communiquer au premier ministre les ratifications françaises du traité qui lui étaient parvenues de Paris depuis le 5 Septembre. Il a vivement insisté pour que les ratifications persanes lui fussent délivrées. Taqi Khan s'est montré fort embarrassé. Après deux semaines d'atermoiements, il a demandé à M. de Sartiges un délai de deux mois, justifié par le propos suivant: "Vous connaissez la difficulté de ma position. Premier ministre depuis quelques semaines seulement, d'un jeune souverain depuis quelques semaines assis sur un trône battu en brèche de toutes parts, j'ai non seulement à lutter contre les ennemis déclarés et secrets du Roi, mais contre la foule d'ennemis qui m'assiègent au palais, dans les rues, dans les hôtels de la diplomatie, dans ma propre maison ; Russes et Anglais profitent de ces circonstances critiques pour s'ingérer dans nos affaires intérieures, pour exciter même contre le Roi et contre moi ses propres sujets. Je suis forcé de les ménager et ils sont hostiles au point de nous menacer de leur ressentiment si nous ratifions le traité conclu avec vous."

Ayant accepté le délai demandé, le comte de Sartiges avait posé toutefois un grave ultimatum: si à l'expiration de ces deux mois le traité n'était toujours pas ratifié, il quitterait immédiatement la Perse avec le personnel de la légation de France.

Le propos tenu par Taqi Khan, premier ministre de la Perse, au représentant de la France, et officiellement transcrit par ce diplomate à son ministre des Affaires étrangères à Paris, est une historique illustration, un parfait résumé de la tension politique extrême qui sévissait alors à Téhéran.

C'est pourquoi le prince Mehdi-Quli était résolu à supprimer de ce tableau le nom même de Tabarsi.

Du fort, les assiégés regardaient les troupes se mouvoir ostentatoirement et voyaient s'élever sept fortes barricades destinées à briser l'élan de leurs sorties équestres.

En ce mois de Janvier 1849, à l'Est, bien loin de là, le celui-ci à Chiriq vivait son avant-dernier Hiver en ce monde et goûtait la dernière de ses joies humaines par la visite de son oncle.

Venu de Shiraz, leur ville natale, oncle Ali lui apportait l'image fraîche encore de sa jeunesse, de ses tendresses, de son bonheur sacrifié. Oh! sacrifice non inutile, si l'on en jugeait par la foi inconditionnelle que le Bab avait suscitée dans un grand nombre d'âmes, dont son oncle était le messager, dont il était aussi l'un des parfaits exemples.

En ce même mois de Janvier, au centre du pays, Baha'u'llah à Téhéran même - étant par sa haute naissance en relation avec la cour - se tenait à l'écoute au jour le jour des nouvelles qui provenaient de l'Est et de l'Ouest, ce qui lui permettait de veiller occultement sur la Cause et sur les disciples.

Et lorsque l'oncle du Bab aura dit adieu à Chiriq, mais qu'il n'aura point le coeur de trop s'en éloigner, c'est à Téhéran qu'il restera au centre des nouvelles. Shiraz et les affaires de famille se passeraient de lui.

A Tabarsi, les assiégés regardaient s'élever les barricades. Et lorsqu'elles furent prêtes pour la grande attaque inévitable, ils ouvrirent l'action préventive.

Au lever de l'étoile matutinale du 2 Février 1949, Hussayn coiffé du vert turban symbolique du Promis et suivi de la légion, - ils étaient trois cent treize à présent, dont quelques uns restèrent au fort près de Quddus blessé - Hussayn, toujours au cri des "héros de Dieu", chargea malgré les barricades qui furent saccagées et tomba sur l'adversaire endormi. Nouveau succès pour la légion. Mais cette fois les pertes des héros de Dieu étaient sévères: quatre-vingt-dix blessés, dont beaucoup mortellement, et trente-six morts.

Mulla Hussayn était atteint en pleine poitrine.

Lorsqu'on l'apporta agonisant à Quddus, le Sanctissime éloigna tous les autres et, en ultime tête à coeur, fit à l'ami encore conscient un adieu de proche réunion, puis recueillit son dernier souffle et lui ferma les yeux en communion mystique.

Celui qui le premier, sous le ciel de Shiraz, avait au bibliques donné son obédience et dont l'acceptation - premier miroir - avait inauguré le Renouveau, quittait sa vie terrestre à l'âge de trente-cinq ans. Avec amour, Quddus déposa de ses mains le Bab'ul'Bab dans une tombe, à l'abri de Fort-Tabarsi, où son corps repose toujours.

Après cela régna au fort l'intense Hiver et la famine. Des blessés se mouraient faute du nécessaire. Dans les deux camps, on guettait le retour du Printemps.

Le 19 Février 1849, M. de Sartiges relate que Taqi Khan vient d'épouser la soeur du shah - sa soeur de même père et mère, précise-t-il - ce qui renforce encore davantage le premier ministre dont le pouvoir est devenu absolu. La reine-mère, opposée à cette union, en demeure fort courroucée. Sartiges relate également que: "le Dr. Cloquet qui, dès l'arrivée du nouveau roi à Téhéran avait repris auprès de lui son service de médecin, conjointement avec le Dr. Cormick, le continue seul en ce moment."

Enfin, dans cette même dépêche diplomatique, M. de Sartiges pour la première fois mentionne le Babisme au ministre français des Affaires étrangères, à propos de ce qui se passait alors dans le Mazindaran (c'est à dire à Fort-Tabarsi). Et s'il politise son commentaire, c'est que l'envoi à Tabarsi du prince Mehdi-Quli ayant attiré son attention, les raisons officielles qui lui en furent données devaient très probablement avoir mentionné la menace dont il parle on ces termes: "Une difficulté d'un autre genre vient de surgir dans le Mazindaran. Une secte de musulmans dissidents dont le gouvernement avait arrêté le chef, vient de prendre les armes et défend énergiquement contre les quelques troupes expédiées contre elle, sa liberté de penser.

Les Babis - ils se nomment ainsi de la désignation de leur chef Bab, mot qui veut dire Porte, en arabe, et qui signifie que le chef Bab est la porte de la sagesse et de l'interprétation exacte du Coran - ont de nombreux adhérents à Téhéran et à Tabriz. Et comme ils sont hostiles à la dynastie Qadjar prétendant qu'elle a usurpé le trône sur les descendants des Imams, les seuls souverains légitimes de la Perse, il n'est pas sans importance pour le gouvernement d'étouffer promptement cette secte religieuse qui menace de devenir un parti politique."

Ce fut à l'approche du Printemps 1849 que commencèrent d'arriver les renforts d'artillerie demandés par le prince Quli-Mehdi. Au fort, le 21 Mars, Naw-Ruz, la fête de l'An-nouveau, fut fêtée comme on doit fêter le Printemps, même si celui-là devait pour eux être l'ultime. Quddus avait le don de vivifier les affamés on leur faisant chanter des hymnes.

Le 30 Mars, au neuvième jour du Printemps, l'appareil militaire ouvrit le feu, un feu dense et de plusieurs jours. Nul ne sortit du fort, sauf le son renforcé d'hymnes de joie et de prières.

Quddus rendait ainsi les coups à sa manière et l'effet en était exaspérant. Un mortier fut alors hissé sur une haute plate-forme pour dominer les assiégés et les boulets pilonnèrent l'intérieur du fort. Cela, il fallait l'arrêter!

Nouvelle charge équestre de dix-neuf légionnaires sur des montures squelettiques - les seules qui n'avaient pas servi de nourriture -. Charge héroïque, invincible, victorieuse et le mauvais mortier anéanti. Avec, comme prise de bonne guerre, des chevaux sains abandonnés par les fuyards.

Un mois nouvellement se passe. Plus de vivres, plus même de cuir à faire bouillir, rien que de l'herbe du fossé.

Le prince Mehdi est désormais certain que la défense est à bout de forces humaines. Ses mortiers tirent à nouveau pour couvrir l'assaut donné au fort par plusieurs régiments.

Mais, ô surprise, jaillissent à nouveau, vivants, impérissables, trente-sept affamés à cheval dont la force était centuplée par leur faiblesse même, et à nouveau voici que retentit le cri de la légion de Dieu! Puis cette hallucinante apparition, galvanisée par l'héroïsme de sa foi, charge avec une puissance irrésistible, traversant salves et boulets sans que rien ne l'atteigne, et parait aux régiments - nourris et équipés - tellement invulnérable que l'effroi du surnaturel s'empare d'eux. L'assaut qu'ils donnaient au fort se transforme en fuite éperdue.

Cette fois, le prince a compris. Pour lui, c'en est assez. Le 9 Mai 1849, il fait demander à Quddus d'envoyer un plénipotentiaire en son camp pour une solution pacifique. Et l'entretien a lieu. Le prince jure, sur son honneur et par Dieu et sur le Coran, que les survivants sont désormais sous la protection du Roi. N'ayant plus rien à craindre, ils peuvent sortir du fort. On leur enverra des montures, ils seront hébergés au camp même du prince, juste le temps d'organiser avec sécurité leurs retours en leurs foyers.

La vie des compagnons étant à bout de souffle et le serment donné l'un de ceux qu'on ne peut trahir, Quddus accepte. L'accord scellé se fait sur un exemplaire du Coran.

Alors le prince envoie son propre cheval à Quddus et le reçoit avec tous les honneurs en son cantonnement situé à quelque distance du fort. Puis les héros de Dieu sortent à leur tour de Fort-Tabarsi, si heureux de pouvoir enfin ressusciter à la vie libre !

Et Mehdi-Quli ayant obtenu ce qu'il voulait, ce lui fut oeuvre pie que de faire d'eux ce qu'il en fit et ce qu'il en laissa faire. Le 11 Mai 1849, il entrait avec Quddus à Barfurush, Quddus n'étant plus son hôte mais son captif. Quant aux compagnons "hébergés" au camp même du prince, certains furent saisis par ses hommes pour être rançonnés ou vendus en esclaves, d'autres attachés aux gueules des mortiers, d'autres criblés de projectiles. Très peu purent s'enfuir et survivre.

De Barfurush, où le prince ne faisait que passer, il conduisait Quddus, sa prise de guerre, à Téhéran pour l'offrir au roi en trophée et comme preuve de son succès.

Mais Barfurush qui était la ville natale de Quddus, ne voulut laisser - même au Roi - le soin du châtiment. Le clergé fit entendre au prince un tel vacarme et proféra si puissamment sa revendication de "l'hérétique", que ce prince - accordant aux édiles de faire du captif ce qu'ils en voudraient faire - proclama seulement que cet abandon à l'arraché le dégageait d'en être responsable. Après quoi, il partit sur le champ pour Téhéran.

Ce qu'ils en voulurent faire ? Sitôt Mehdi-Quli eut-il quitté la ville, que Quddus dans les rues fut dénudé, enchaîné, injurié, moqué, maudit, couvert de crachats, puis livré à la furie de la lie féminine de la cité qui le supplicia et mutila par le couteau et par la hache, jusqu'à ce qu'en pièces il fut livré aux flammes d'un brasier dans l'exultation générale.

A la nuit noire, de pieuses mains recueillirent ce qui subsistait du martyr et inhumèrent secrètement les restes calcinés du merveilleux Quddus. De Quddus, le jeune saint qui avait animé en vie existentielle l'une des dix-huit entités constituant - comme l'énonce un verset du Bayan - ensemble avec le Point de Vérité: l'Unité-Primordiale-de-Vérité, éternellement vivante, qui est 1'ETERNEL VIVANT.

Lorsqu'à Chiriq le Bab fut informé en un seul coup de l'affreux sort subi par sa légion, de la mort noble d'Hussayn et du supplice abominable infligé à Quddus, ce fut trop pour son coeur humain. Farouchement replié sur sa seule douleur,durant neuf jours et nuits il vécut tout une agonie, refusant la présence de ceux qui l'assistaient, repoussant toute nourriture, incessamment en pleurs et en prières. Des hauteurs du Point Primordial dont il se savait investi, même la source de la révélation - comme pour respecter sa douleur - avait cessé de se faire entendre. Profondément atteint, inerte, supplicié, il demeura ainsi cinq mois sur son calvaire.

Quand il sortit enfin de son retrait, l'Automne autour de lui enveloppait les monts et déjà l'Hiver approchait, un Hiver qui serait le dernier de sa vie.

Puis, le flux sous sa plume ayant repris, la "Tablette de la Visitation" immortalisa leur martyre, avant tout autre Ecrit de cette ultime période.

Alors qu'en Mai 1849 avait péri la légion du Bab, en ce même mois le comte de Sartiges, exécutant le fier propos émis dans sa dépêche du 30 Septembre 1848 - pour le cas où le shah n'aurait point ratifié le traité franco-persan dans le délai de l'ultimatum convenu - amenait avec douleur le pavillon de France, fermait la légation et quittait Téhéran.

Pour suppléer à ce départ qui prive l'histoire de l'excellent observateur direct qu'était M. de Sartiges, deux sources d'information sont pourtant consultables au département des archives diplomatiques à Paris.

L'une, est celle des rapports consulaires de Trébizonde et d'Erzeroum, consulats français situés en Irak et proches des points frontaliers turco-persan. L'autre, est celle de M. Ferrier, un des quelques sous-officiers français envoyés comme instructeurs militaires en Perse avec le retour de l'ambassadeur Hussayn-Khan en 1839. M. Ferrier, après le départ de M. de Sartiges, prit l'initiative d'envoyer au ministre français des Affaires étrangères à Paris des rapports mensuels "mais en cachette car la correspondance est interceptée an contrebande". Ces informations des consuls et de M. Ferrier n'étant pas de première source, les analyses politico-religieuses qu'ils en donnent n'ont pas la hauteur de vue et la sagacité de celles du comte de Sartiges. Néanmoins, faute de mieux elles ont leur utilité, comme on le verra plus loin.

Si l'année 1848 avait été marquée peur les Babis par plusieurs événements tels que la promulgation du Bayan au congrès de Badasht, le procès du Bab à Tabriz officialisant sa solennelle prise de position, l'épopée de la chevalerie du Promis, la mort de Muhammad Shah et le changement de règne;

si l'année 1849 avait pour eux été marquée par le siège et la chute de Tabarsi, le massacre de la chevalerie du Promis et l'incommensurable douleur du Bab ;
l'année 1850 allait les accabler bien plus cruellement encore.

Ce fut à Téhéran, vers la mi-Février 1850, en plein Hiver, que se produisit la première séquence d'une série tragique que l'on peut nommer l'hallali.

Quelqu'un, par haine du Babisme, ayant "donné" aux autorités une liste de noms et adresses de Babis se trouvant alors en cette ville, une recherche policière s'ensuivit. Beaucoup, avertis par les amis purent s'enfuir, mais quatorze furent saisis.

Ces quatorze furent torturés pour livrer leurs coreligionnaires, ce qu'ils ne firent point. On leur offrit alors la liberté s'ils reniaient leur hérésie, ce que firent sept entre eux Les sept autres sont ceux que les Babis honorèrent du titre: les Sept Martyrs de Téhéran.

Décapités par ordre de Taqi Khan, le premier ministre, leurs corps furent durant trois jours laissés à terre sur la grande place du palais royal, livrés à la merci des musulmans chi'ites Et ceux-là, à plaisir et par milliers, purent cracher sur les dépouilles, les lapider, les piétiner et les maudire, déverser sur elles des ordures, commettre des atrocités.

Le premier dont tomba la tête était l'oncle bien-aimé du Bab.

En Mars 1850, le consul de France à Erzeroum informe son ministre à Paris que "le gouvernement persan vient de sévir contre une secte religieuse qui menaçait de prendre des proportions inquiétantes. Cette secte a pour chef un fanatique appelé Bab qui se dit être l'incarnation de Dieu sur la terre (...) Je n'ai pu connaître encore les dogmes de cette nouvelle religion ; il faut qu'ils soient fort séduisants puisque le aînesse compte déjà un nombre considérable de prosélytes. Sept de ces Babis viennent d'être décapités à Téhéran".

Or, précédant de peu ce qu'écrivait ce consul, M. Ferrier dans son rapport mensuel du 21 Février décrivait également le Babisme et relatait que "sept entre eux ont déjà été publiquement exécutés malgré leur qualité de seiyyeds. Il est remarquable que ceux qui ont adopté la nouvelle doctrine sont surtout des mullas et des seiyyeds".

Le Bab, à Chiriq, ne tarda pas à apprendre l'atroce événement. Et de partout, le "feu de Nemrod" s'étendait.

Après à l'Est, ceux de Tabarsi ; Après au centre, les sept martyrs de Téhéran ; voici qu'au Sud, à Nairiz dans le Fars, un autre foyer va s'allumer. C'est Vahid, l'ex-enquêteur royal envoyé en 1846 à Shiraz et depuis lors ardent Babi, c'est Vahid qui va être la proie des flammes.

Pour Naw-Ruz 1850, il se trouve en sa résidence de Yazd, après un long périple au cours duquel son éloquence, sa foi et sa célébrité, avaient gagné bien des adeptes à la nouvelle révélation. A Yazd, il vient d'arriver. Aussitôt, il proclame. Il proclame et convainc. Il convainc comme l'on respire. Il souffle sur le feu, pour ainsi dire ! Et bientôt Yazd est à feu et à sang ! Il doit s'enfuir, mais l'incident de Yazd n'est que simple avertissement. C'est à Nairiz, dans la maison de son enfance, que sa fuite l'a ramené. C'est là que va recommencer le bain de foule, suivi de troubles analogues à ceux de Tabarsi. Un fort, des assiégés, le cri des héros de Dieu, un siège en règle, de larges forces de renfort, l'ordre d'exterminer, le commandant perdant la face, et Vahid au-dessus de tout qui prie, qui clame et qui proclame. Et comme à Tabarsi, c'est par la trahison et le faux serment, qu'au nom du Prophète et du Coran, qu'on a raison des invincibles.

Et l'on désarme et l'on massacre. Pas de pitié pour les Babis. Un bain de sang dans lequel meurent même leurs femmes et enfants.

Vahid, massacré, agonisant, traîné par un cheval dans les rues de la ville de son enfance au son des cymbales et des tambours, tandis que dansaient de joie autour de lui des femmes hystériques, expira le 29 Juin 1850.

M. Ferrier, dans son rapport mensuel du 25 Juillet 1850, a développé ce qu'il pensait du Bab et du Babisme, puis décrivant les faits de Nairiz dirigés par Vahid, il estime que "tous les nouveaux sectaires qui ont été exécutés à ce jour ont supporté leur supplice avec un courage et une foi dignes des temps héroïques des premiers martyrs".

Ce fut à Chiriq, au début de cet Hiver 1850, qu'avait eu lieu un fait apparemment minime mais qui allait être plus tard la cause matérielle de la captivité à vie de Baha'u'llah et des obstacles dressés devant l'essor de ses enseignements.

Il s'agissait d'une missive du Bab qui, subtilement, attirait l'attention des Babis sur la personne d'un demi-frère de aînée, l'adolescent Yahya, orphelin que protégeait paternellement son grand aîné.

Le Bab n'a désigné explicitement personne comme porte-drapeau du Babisme après sa propre mort qu'il savait proche.

Mais, afin de maintenir "Celui-que-Dieu-rendrait-manifeste" dans une relative sécurité jusqu'à l'heure de cette manifestation Le Bab, par cette missive, braquait le projecteur non sur aînesse mais sur son jeune frère et parce que les Babis avaient déjà l'habitude de le voir vivre auprès de son aîné.

Ce document fut employé plus tard à mauvais escient par ce jeune frère. Tel un cancer, il ravagea le Babisme. Mais, à cause même du grand mal qu'il causa, il fut l'instrument évènementiel de la manifestation de celui que Dieu allait rendre manifeste.

A Chiriq encore et dans les premiers jours de Mai 1850, le Bab plaça dans un coffret divers documents, ses sceaux, son écritoire, ses derniers écrits révélés, et même dénudant son doigt de sa bague gravée, y ajouta celle-ci. Le coffret fut fermé à clé, la clé mise dans une missive cachetée adressée à son documentaliste mirza Ahmad, douzième Lettre du Vivant. Puis il confia le tout à mulla Baqir, treizième Lettre du Vivant, qui quitta Chiriq pour aller porter ce dépôt à mirza Ahmad. Le Bab avait précisé que cette mission devait rester secrète et que nul sauf Ahmad ne devait avoir connaissance du caractère sacré de ce dépôt.

C'est à Qum, bien loin de Chiriq, que Baqir retrouva Ahmad.

Mais lorsqu'il arriva au but, Ahmad était entouré de plusieurs Babis qui, loin de se retirer, font fête au messager. Ahmad, le documentaliste du Bab prend connaissance des instructions. Lui, et lui seul, devra emporter le coffret et la clé à Téhéran et les remettre, en leg du Bab, à son destinataire qui est Baha'u'llah. Et que cette mission soit secrète !

Secrète ? Certes ! Oui, mais ce coffret avec sa clé, là sous les yeux du petit groupe de fidèles qui entourent Ahmad, comme il excite leur aimante curiosité ! L'un d'eux, Azim, - et non des moindres car il donnera sa vie en 1852 pour sauver celle de Baha'u'llah - Azim insiste tant et tant, qu'enfin Ahmad à contrecoeur consent à ouvrir.

Ce fut très mal à eux d'avoir agi ainsi. Mais sans cette indiscrétion, les annales babies auraient-elles jamais pu retenir que, parmi ces documents, se trouvait un fin parchemin de teinte bleue, sur lequel, de la main du Bab, était exquisément calligraphié trois cent soixante et un dérivatifs du nom BAHA ?

Et qui sait si le Bab n'avait pas d'avance pardonné une indiscrétion propice à sa raison subtile?

Lorsque Baha'u'llah entra en possession de ce leg, il comprit que le Bab, près de sa mort, déjà ouvrait ses ailes pour l'envol.

Et de partout, la haine attisait le "feu de Nemrod".

Voilà qu'après Nairiz au Sud, c'est désormais à Zanjan, au Nord-ouest, à mi-chemin entre Téhéran et Tabriz - cela se rapproche ! - qu'un nouvel embrasement est en cours.

Le grand théologien zanjanais qui, en 1846, avait reçu du Bab le nom religieux de "hujjat" (La Preuve), avait dès lors si profondément implanté le Babisme à Zanjan que même de tout jeunes enfants s'y faisaient un bonheur d'appliquer les nouveaux préceptes à leur vie quotidienne.

Puis, en Février 1850, la décollation des sept Babis de Téhéran avait porté à leur comble les convictions des deux parties antagonistes de la ville qui depuis des années vivaient une sorte de guerre religieuse larvée.

Le 16 Mai 1850, à Zanjan, un Babi fut massacré. Ce fut le déclanchement de ce nouvel embrasement. Hujjat se vit forcé de se replier dans une enceinte fortifiée, avec ses religionnaires, leurs femmes et leurs enfants. Et revoilà les barricades, un siège en règle et le cri des "Héros de Dieu", et les chants saints et les prières et les combats. Une nouvelle fois presque le synopsis de Tabarsi !

A Téhéran, en Juin 1950, le tableau politique brossé par la dépêche du comte de Sartiges le 31 Décembre 1848 a subi quelques changements.

En Février 1849, Taqi Khan ayant épousé la soeur du roi était au sommet de son pouvoir dictatorial. Il avait alors poursuivi ses réformes financières, augmentant ainsi le nombre de ses ennemis. Or, Tabarsi et le Khorassan ayant "tenu" malgré sa poigne, le roi à la fin de 1'Eté 1849 commençait de manifester une sérieuse défiance envers son favori.

Au Printemps 1850, l'affaire de Nairiz vint aggraver les choses, bien que Taqi Khan eut, par anticipation, offert en pâture à l'opinion les sept décapités de Téhéran.

En Juin, la révolte du Khorassan est enfin réglée définitivement par la défaite et par la mort de ses responsables.

Mais pour que Taqi Khan se maintienne au sommet du pouvoir, cette victoire là serait insuffisante. Il réunit donc ses ministres: le Khorassan étant réglé, après Tabarsi et Nairiz voilà encore qu'à Zanjan un nouveau siège a commencé. Puisqu'il s'agit de fanatisme, qu'on soit pour ou contre le Bab, c'est en exécutant le Bab qu'on éteindra le fanatisme !

Le dictateur ayant parlé, l'auditoire reste muet. Un seul objecte que feu Muhammad Shah pratiquait à l'égard du Bab cette forme "d'oubli" politique qui use lentement mais à coup sûr les excessifs et les excès bien mieux que ne les combattent les armes. Celui qui ose s'exprimer ainsi est Aqa Khan, ministre autrefois disgracié par Aqassi et qui, après son exil à Kashan, est à nouveau ministre de la Guerre. Mais son propos demeure sans effet, le dictateur faisant la sourde oreille. Aqa Khan, malgré sa sympathie pour le Babisme et la promesse de protection qu'il avait prononcée à Kashan, doit s'incliner.

A Tabriz quelques jours plus tard, le prince Hamzeh, gouverneur de l'Adhirbajan, reçoit du premier ministre l'ordre de faire ramener le Bab à Tabriz. Le prince, pensant qu'il s'agit de préparer la libération du Bab, envoie des cavaliers au prisonnier de Chiriq et lui organise un amical hébergement dans la capitale de cette province.

De Chiriq vers le 20 Juin 1850, le Bab courtoisement escorté est conduit à Tabriz où il est logé chez un ami personnel du prince-gouverneur. Il est accompagné de son secrétaire Aziz, septième Lettre de l'Unité du Vivant.

De Téhéran peu après, le premier ministre envoie son propre frère Hassan Khan remettre au gouverneur un décret d'exécution immédiate du Bab. - Le dictatorial Taqi Khan a coutume d'agir sans informer le souverain et ce "paternalisme" que le jeune roi commence à mal supporter vaudra au dictateur sa brutale destitution en Automne 1851 -.

A Tabriz, le prince Hamzeh refuse avec horreur d'adhérer à cette exécution. Promptement informé du fait, le premier ministre la confie à son frère Hassan. Celui-ci, dès qu'il reçoit l'affaire en mains, le Samedi 8 Juillet 1850, ne perd pas de temps pour agir avec énergie.

Ce maître d'œuvre incite les autorités religieuses suprêmes de Tabriz, les mêmes qui avaient dirigé le procès du Bab deux ans auparavant, à signer une sentence de mort explicite et formelle. Avec joie cela est accepté. Le document sera prêt pour le matin suivant.

Puis il choisit le régiment non musulman qui tirera les salves. Le colonel Sam Khan est chrétien orthodoxe.

Et pour le lieu d'exécution, plus il sera public mieux ce sera. La vaste cour de la caserne centrale de la ville fera l'affaire. Qu'on laisse s'approcher alors tous ceux que le spectacle attirera.

Il est temps que l'on aille quérir le Bab et ceux qui seraient avec lui et qu'on le ou les emprisonne en la caserne.

Un condamné à mort, s'il est seiyyed, doit être dépouillé du turban et des emblèmes de son lignage, qu'on l'en dépouille ! Un condamné à mort doit passer sa dernière nuit en cellule, qu'il l'y passe ! Et, pour celui-là, que la garde soit renforcée.

Dans l'épaisse chaleur, dans la poussière et le tapage de cette fin d'après-midi du 8 Juillet, le Bab, avec Aziz, fut brutalement arraché à la résidence privée qui l'hébergeait et amené à la caserne.

Arrivé devant celle-ci, le Bab se sent saisi par le bas de son vêtement. C'est le jeune Anis, celui qui déjà en 1847, lors du premier passage du Bab à Tabriz, s'était jeté exalté d'amour à ses pieds. Le plus "fou" de tous les "fous de Dieu" une seconde fois a couru dans la foule pour l'approcher. Il est exténué, à bout de souffle, poussiéreux, nus pieds, les cheveux en désordre, mais il n'en a cure et implore: "Ne me renvoie pas, ô Maître! Où que tu ailles, souffre que je te suive !".

Et le Bab avec tendresse lui répond: "... lève-toi et sois assuré que tu y seras avec moi. Demain, tu témoigneras de ce que Dieu a décrété".

Deux autres Babis qui, malgré la garde, étaient également venus se serrer autour du Bab, lui clament à leur tour leur attachement. Prestement, ils sont poussés dans la caserne hors la vue de la foule, et ils sont écroués ensemble avec le Bab.

Cette nuit là, l'ultime nuit, entouré de ces coeurs offerts, ces âmes saintes, le Bab irradiait de paix surnaturelle.

Il leur annonça avec entrain que dès le lendemain aurait lieu son martyre. Et c'est après avoir donné cette précision qu'il s'exclama: "Oh, si l'un d'entre-vous pouvait dès à présent se lever pour, de ses propres mains, mettre fin à ma vie, combien préfèrerais-je être tué par la main d'un ami que par celle d'un ennemi !"

En méditant sur l'étrangeté apparente de cette exclamation en contraste avec la précédente affirmation que son martyre aurait lieu le jour suivant, on pourrait peut-être entendre le Bab émettre sa pitié implicite pour les générations d'aveugles fanatiques motivées par la haine. Et pourrait-on aussi - par le geste inouï qu'il demandait à ses amis - l'entendre donner subtilement en exemple le tout-puissant pouvoir rédempteur en faveur de ces générations, que mériterait l'acte d'amour total de celui des amis qui acquiescerait à sa demande !

Aziz et les deux autres, comme pétrifiés d'horreur, pleurant de silencieuses larmes, étaient incapables d'émettre un son.

Mais le jeune Anis déclara qu'il pourrait accomplir toutes les volontés du Bab et même celle-ci, si tel était le bon plaisir de son seigneur. Le Bab, alors, donna l'affirmation suivante:

"Ce jeune homme, qui a accepté de se conformer à mon voeu, subira avec moi le martyre. C'est lui que j'ai choisi pour en partager la couronne."

Ah! si l'on est croyant comme l'était Anis, comment ne pas admirer une telle preuve de foi inconditionnelle, d'amour total ? Et comment ne pas s'émerveiller d'un tel partage pour récompense ? Une récompense dont la magnitude donne la jauge de qualité d'une telle foi et d'un tel amour !

Et si les annales babies demeurent étrangement muettes sur l'identité des deux autres amis présents en cette ultime nuit, qui, au matin, vont devoir s'éloigner, la raison d'un tel mutisme ne serait-elle pas de vouloir réserver à Anis l'immortel souvenir de son sacrifice d'amour ?

Après avoir ainsi donné l'enseignement de cette suprême récompense, le Bab, avec douceur, avec gaieté, ramena les coeurs de ses amis à la réalité de leur veillée commune. Dans la cellule du condamné à mort, leur nuit s'écoula dans une sorte de célestielle joie. En se trouvant si près du Bab, certains versets du "Qayyum'ul-Asma" leur revenaient à la mémoire. Dès sa déclaration, en 1844, le Bab n'avait-il pas révélé dans ce livre:

"Afin que l'on puisse connaître le degré de ma patience, de ma résignation, du sacrifice de moi-même (...) Ô Toi, Pérennité de Dieu! Je me suis intégralement sacrifié pour Toi. J'ai accepté les douleurs pour l'amour de Toi et je n'ai désiré rien d'autre que le martyre dans le sentier de ton amour. Dieu m'en est témoin, l'Exalté, le Protecteur, l'Ancien des Jours !".

Par ces versets, ils comprenaient un peu ce qu'éprouvait le Bab, si proche de son but, si grand dans son amour pour Celui qu'il nommait "Pérennité de Dieu" et que souvent aussi il avait indiqué comme le grand Promis de tous les âges, l'Attendu de 1'humanité.

Cette nuit là, le temps pour eux avait comme suspendu son avance, et se leva tel un rideau le jour du 9 Juillet.

La dramaturgie conçue par le frère du premier ministre fut poursuivie. Le Bab, dès le matin, devait être ostensiblement conduit, manu militari, collier de fer au cou, tenu en laisse, aux demeures respectives des trois principaux seigneurs ecclésiastiques signataires de sa sentence de mort.

Avant que l'on vienne le quérir à cet effet, le prisonnier parlait à Aziz, son secrétaire. Il voulait être renié par Aziz qui sauverait ainsi sa vie pour porter aux amis son authentique témoignage de ce jour. Et Aziz, de la glorieuse Unité du Vivant dont la moitié avait donné Sa vie à Tabarsi, lui qui avait servi le Bab à Mah-Ku et Chiriq, lui dont le dévouement et la foi étaient sans bornes, Aziz par amour acceptait héroïquement cette apparente lâcheté.

Lorsque le geôlier entra, il interrompit l'entretien. Le Bab alors, à celui qui le dérangeait et lui désignant son interlocuteur Aziz, déclara: "Tant que je ne lui aurai pas dit tout ce que je désire dire, aucune puissance terrestre ne pourra me réduire au silence. Le monde entier serait-il armé contre moi qu'il serait encore impuissant a m'empêcher d'aller jusqu'au bout de mes intentions".

Ce qui n'empêcha point ce geôlier de faire sortir le Bab de la pièce et l'on se doute bien des pensées de l'intrus !

Ce 9 Juillet étant un Dimanche, en pays musulman ce jour n'est pas jour de repos. Tabriz ce matin là était en pleine effervescence. Le Bab encadré de gardes, mené à pieds, la tête nue, tenu au cou par une longe, devait traverser la foule dense, pour être conduit aux trois demeures respectives de ceux qui avaient signé son destin.

Durant ce temps, Aziz répudiait sa foi et le jeune Anis rejetait avec véhémence ceux qui, croyant bien faire, tentaient de le ramener à la raison.

Puis, quand la triple collecte fut terminée, le Bab raillé, moqué, injurié par les badauds qui grossissaient en nombre, fut ramené à la caserne. La chaleur sur Tabriz était de plus en p1us pénible. Sous le soleil brûlant, la foule sur les toits s'impatientait. Les rues, les places et bazars étaient couverts de monde. Une atmosphère de corrida rendait l'attente insoutenable. Oh! le metteur en scène était un dramaturge de talent et la figuration nombreuse sur la scène!

Le colonel Sam Khan plaça son régiment en position. Un spectacle préliminaire.

A l'intérieur de la caserne, Anis persistait à réclamer d'être tué avec le Bab. Lassés, ses objecteurs le remirent au colonel. Le Bab, paisiblement attendait.

Soudain, le colonel éprouva une désolation. Laissant là ses préparatifs, il alla au Bab et lui dit: "Je suis chrétien et n'ai rien contre vous. Si votre cause est celle de la vérité, puissiez-vous me délivrer d'avoir à faire couler votre sang". Le Bab répondit seulement: "Suivez les instructions que vous avez reçues et, si vos intentions sont pures, le Tout-Puissant pourra certainement vous libérer de votre angoisse "!

Le colonel reprit alors sa triste tâche. Il fit enfoncer dans une poutre extérieure de la caserne, devant le régiment, un crampon de fer sur lequel on enroula deux cordes destinées à tenir suspendues les deux victimes devant le feu du tir.

Sous un soleil éblouissant, l'heure de midi approchait.

La foule bigarrée, toutes classes se côtoyant, formait une entité passionnelle et mauvaise. Elle attendait la mise à mort, le vrai spectacle. Un grand silence attentif fit place au précédent tumulte. Un silence qui fut intolérable au coeur de ceux qui, dans la foule, assistaient impuissants au martyre de leur bien-aimé. Dans ce silence, le régiment qui était réparti en trois rangs, chacun de deux cent cinquante tireurs, figé sur place attendait l'ordre.

Cet invraisemblable déploiement de tant de mousqueterie était une mesure de prévoyance, car après les multiples combats des années précédentes, l'armée persane avait assez prouvé l'incapacité de ses armes et de ses hommes. Le maître d'oeuvre de l'exécution publique du Bab s'assurait ainsi que, de tous ces mousquets, certains au moins ne manqueraient leur cible.

Le feu fut commandé successivement à chaque groupe, jusqu'à ce que chacun eut tiré sa salve. La fumée s'élevant de tant de poudre, cacha de son épais rideau les suppliciés et l'éclatant soleil de l'heure médiane ne traversait pas ce nuage.

Ecarquillant les yeux, quelques dix mille personnes vainement cherchaient à voir. Lorsque l'on vit enfin, la fumée s'étant dissipée, nul n'en voulut croire ses yeux. Anis, parfaitement indemne, se tenait debout sur le sol, ayant à ses pieds l'encordage déchiqueté. Quant au Bab, pas la moindre trace.

Le Bab a disparu ! le Bab a disparu de toute vue ! entendait-on hurler la foule. Mais lui, était tout simplement assis avec Aziz dans la pièce d'où, le matin même, il avait été interrompu. Comme Anis, il était parfaitement indemne et il terminait calmement ce qu'il voulait encore dire à son secrétaire Aziz.

Dans l'affolement général de la recherche, le geôlier qui l'avait interrompu fut celui qui le retrouva. "J'ai terminé mon entretien, dit le Bab à cet homme, à présent vous pouvez accomplir votre tâche". Mais celui-ci épouvanté donna incontinent sa démission.

Il ne fut pas le seul. Le colonel Sam Khan, ayant compris le sens de l'étrange réponse du Bab à sa requête, son régiment et lui démissionnèrent aussitôt.

A l'instant même, un musulman Iranien, colonel de la Garde, s'offrant lui et ses hommes, on recommença la préparation du supplice.

Et pendant que les suppliciés, pour la seconde fois, se laissaient encorder, on entendit le Bab prononcer en persan ces ultimes paroles: "Si vous aviez cru en moi, chacun de vous aurait suivi l'exemple de ce jeune homme dont le rang est supérieur à la plus part d'entre vous, et se serait sacrifié volontairement sur ma route. Le jour viendra où vous me reconnaîtrez ; ce jour-là, j'aurai cessé d'être avec vous".

Lorsque sonna la douzième heure, les salves accomplissaient l'oeuvre de mort, les corps déchiquetés tombaient à terre. Seuls les visages et particulièrement celui du Bab, respectés par l'impact, gardaient une beauté sereine avec aux lèvres un sourire léger.

L'éclatant jour d'Eté, le ciel d'un bleu intense, comme par un prodige disparurent. Car, d'un seul coup, un grand vent de tempête jeta sur Tabriz de bas et lourds nuages, la recouvrant comme d'un voile mortuaire. Tel un balai, le vent par ses tourbillons de poussière évacua la foule qui avait eu sa corrida. Ce fut presque la nuit depuis la douzième heure, une nuit qui ne fut remplacée à l'heure naturelle que par la véritable nuit.

Cette nuit là, le frère du premier ministre, le talentueux dramaturge, pour parfaire l'image qu'il voulait donner de l'imposteur, de l'hérétique exécuté, fit jeter le Bab et son "fou", entremêlés, inséparables, sur le fossé extérieur de la ville, offerts aux animaux sauvages, car relèvent de cette ignominie ceux qui par forfaiture n'ont pas droit à la sépulture des croyants.

Et pour que les Babis n'en pussent faire des reliques, on y plaça des sentinelles qui, par relèves successives, devaient garder les corps jusqu'à dégradation totale.

C'est ainsi que Seiyyed Ali-Muhammad, dit Le pas, né à Shiraz le 20 Octobre 1819, lui qui se proclamait le Point Primordial dont furent engendrées toutes choses créées, le Maître des Sept Lettres et la Porte de Dieu, mourut pour ce postulat, à l'âge de trente et un ans, à Tabriz, le Dimanche 9 Juillet 1850, à l'heure de midi.

Dès l'aube du lundi, le consul de Russie à Tabriz amena un dessinateur là où gisaient les restes des suppliciés et lui en fit prendre un croquis. Cet extraordinaire document, qui fut adjoint au dossier de l'ambassadeur de Russie, avait valeur de témoignage. Le croquis reproduisait fidèlement où et on quel état se trouvaient ces corps déchiquetés et entremêlée, ainsi que les visages sauvegardés de ce massacre.

La Russie et l'Angleterre, en raison du contrôle qu'elles exerçaient sur l'Iran, avaient été tenues au courant par leurs ministres respectifs du développement de l'affaire babie. Un livre baha'i intitulé "le Bab", de H.M. Balyusi, publié à Londres on 1973, contient sur ce sujet une documentation approfondie. Le rapport que le colonel Sheil, ministre de la Mission britannique à Téhéran, adressa le 22 Juillet 1850 à Lord Palmerston, au Foreign Office à Londres, relate l'exécution du Bab.

Et, pour apprécier ce rapport, il existe une analyse du caractère de M. Sheil que fit le comte de Sartiges le 28 Mai 1847, à l'intention du ministre F.P. Guizot: "Le colonel Sheil, quinze ans officier dans l'Inde, envoyé ensuite en Perse comme instructeur des troupes persanes, plus tard attaché à la Mission britannique à Téhéran, puis Secrétaire et enfin Ministre (...) en devenant diplomate n'a pas cessé d'être militaire et il ne pense pas qu'il soit nécessaire d'apporter quelque esprit de conciliation dans les consignes qui lui sont données."

Cela dit, voici un extrait du rapport du ministre Sheil sur l'exécution du Bab: "Le fondateur de cette secte a été exécuté à Tabriz. Il fut tué par une salve de mousqueterie et sa mort a été sur le point de donner à sa religion un lustre qui en aurait largement accru le nombre des prosélytes. Lorsque fumée et poussière se furent dissipées après la salve, le Bab n'était plus visible et la populace proclamait qu'il était monté au ciel. Les balles avaient rompu les cordes qui le liaient, mais il fut tiré du recoin où - après quelques recherches - il fut découvert, et tué. Sa mort, selon la conviction de ses disciples, ne modifie rien puisque - à jamais - le Bab est."

Connaissant déjà par l'analyse du comte de Sartiges la raideur intransigeante du colonel Sheil devenu ministre, le style dépouillé de son rapport officiel rend plus saisissant encore le caractère extraordinaire du fait qu'il relate le condamné encordé sur lequel est tiré une salve, les balles rompant les cordes sans avoir atteint le supplicié. Dans le tumulte et la fumée il se retire dans un lieu proche, d'où il est - peu après - ramené et cette fois tué. En outre, ce rapport mentionne l'impression de la foule et la conviction des disciples du Bab.

Ce rapport officiel, impartial en principe et pourtant légèrement dédaigneux - qui ne comprendrait l'état d'esprit du diplomate anglais ? - est en soi un témoignage historique, dont la date, à peine treize jours après le fait, donne à ce document un caractère de reportage que la marche du temps ne peut altérer.

Dans le jour qui suivit l'exécution du Bab, arrivait à Tabriz Sulayman Khan, Babi notoire et grand ami du préfet de cette ville auquel il confia le secret de sa venue. Dès la nuit, lui et quelques amis sûrs, iraient sur le rempart, d'où, et en dépit des sentinelles, ils emporteraient le Bab et Anis, dussent-ils pour cela livrer bataille en règle.

Mais le préfet le pria, loin de risquer un nouveau drame, de s'en remettre à lui qui avait une idée préférable.

Et de fait, bien avant l'aube du Mardi, un homme de confiance du préfet apportait aux amis les précieux restes enveloppés dans une cape et recueillis tandis que dormaient étrangement les sentinelles. Aussitôt l'on quitta Tabriz pour gagner d'abord la proche petite ville de Milan où attendait un coffre mortuaire. Puis on appliqua les mesures prévues pour que ce dépôt sacré soit transporté et caché en absolue sécurité.

Quoi d'étonnant à ce que les sentinelles, en émergeant de leur coma inexcusable, eussent juré que les bêtes sauvages avaient fait ce qu'elles devaient faire. Et puisqu'il était de tradition que les restes saints, s'ils étaient sains, restaient saufs de toute dégradation, quel meilleur argument contre la sainteté du Bab que d'avoir annoncé en mosquée la preuve livrée par ces bêtes sauvages.

Les modernes touristes et pèlerins qui, circulant on Terre-sainte, visitent Haïfa, ne manquent pas d'être sensibles à la beauté d'un mausolée érigé sur le mont Carmel, au coeur des ravissants jardins persans. Posé sur cet écrin de verdure et de fleurs, il attire de loin les regards. De son volume de marbre blanc s'élèvent des colonnes de granit rose qui supportent un dôme revêtu de céramique vernie à feu sur feuilles d'or. De jour comme de nuit, le dôme doré couronne de son éclat la pure beauté du monument. C'est dans ce tombeau, le tombeau du Bab, que les restes mortels à jamais réunis des deux suppliciés de Tabriz, après avoir été durant cinquante-neuf années cachés et protégés contre une haine qui ne désarmait pas, sont inhumés en Terre-sainte. Et s'ils le sont en Terre-sainte et non ailleurs, c'est que Baha'u'llah, que le Bab annonça, pour lequel il mourut, y fut lui-même emprisonné à vie et que toute l'histoire post-babie puis baha'ie, née en Iran, fut - par la main de fer de ses persécuteurs - enracinée à Saint-Jean d'Acre et sur le mont Carmel. Le plan de Dieu a ses raisons que la raison des tyrans humains ne prévoit pas !

Mais en Iran, en Juillet 1850, malgré l'exécution du Bab la haine était toujours ardente.

La petite cité de Zanjan avait formé comme un abcès de fixation..

Hujjat y défendait la foi de ses religionnaires zanjanais, or pour la défendre il leur fallait la vie que les troupes royales s'efforçaient de leur prendre. Ce fut une troisième fois le synopsis de Tabarsi.

Le colonel Sheil suivait, bien sûr, l'affaire et tenait le Foreign Office informé. Les 22 Août, 5 Septembre et 25 Octobre 1850, ce qu'il en relate peut se résumer comme suit: contre toute vraisemblance, les assaillis tiennent toujours.

De même, M. Ferrier écrit au ministre des Affaires étrangères à Paris, notamment les 25 Octobre et 5 Décembre, ce qui, résumé, équivaut à: ils tiennent toujours.

Le 6 Janvier 1851, le colonel Sheil relate l'épisode terminal. En voici la substance: Hujjat ayant succombé aux suites d'une blessure, sa perte plongea les Babis dans une douleur qui amoindrissait leur énergie défensive. Le commandant des troupes royales profitant de la mort de leur chef se sentit encouragé à donner un nouvel assaut. "Ce succès fut suivi d'une grande atrocité.

La pusillanimité des troupes, que les évènements de ce siège avaient rendue si notoire, fut égalée par leur férocité. De sang-froid, tous les captifs furent passés par les baïonnettes des soldats, vengeant (...) la tuerie de leur camarades. La haine religieuse peut avoir conspiré avec les sentiments excités par la haine tribale, qui sont très fortes entre les tribus, pour déterminer cet acte impitoyable. Quatre cents personnes sont dites avoir ainsi péri parmi lesquelles seraient quelques femmes et enfants (...) Sur le fait lui-même il n'y a aucun doute car il est admis par le gouvernement dans son annonce de la réduction de la ville (...)".

Le 24 Janvier 1851, un rapport de M. Ferrier recoupe celui du colonel Sheil, ministre de Grande Bretagne. Enfin, un mois plus tard, Ferrier trace le trait final. Depuis la prise de Zanjan, écrit-il, "on n'entend plus parler des Babis. Les troupes assiégeantes sont pour la plupart rentrées à Téhéran".

Par ailleurs, en Juillet 1850, dès que la mort du Bab avait été effective, Aqa Khan, ce même nouveau ministre de la Guerre qui avait osé déconseiller au dictatorial premier ministre d'user de violence à l'égard du Bab, voulut par déférence informer lui-même Baha'u'llah que cette exécution avait eu lieu.

Tous deux appartenaient à la noblesse de Nur, de la même génération et amis de jeunesse. Après avoir donné la tragique nouvelle, Aqa Khan exprima toutefois son soulagement de ne plus avoir à redouter de danger permanent pour son ami, puisque la cause à laquelle celui-ci s'était dévoué allait désormais s'éteindre d'elle-même.

Mais Baha'u'llah lui déclara: "Certainement point, car si ce dont tu m'informes est advenu, sois sûr que la flamme attisée par cet acte va s'intensifier et, plus ardente que jamais, elle causera un tel embrasement que les hommes d'Etat de ce royaume, même en conjoignant leurs pouvoirs, seront impuissants à le maîtriser."

En fait, en cette année 1851, après six ans d'orage et comme pour donner raison aux meurtriers du Bab, on n'entendait plus parler des Babis. Alors, un calme relatif s'étendit sur toutes les provinces.

Le premier ministre Taqi Khan ayant formellement "prié" mirza Hussayn-Ali, de Nur, - pour faire oublier ses activités antérieures babies - de transférer pendant un certain temps sa résidence à l'étranger, Baha'u'llah s'était rendu en Irak. A Bagdad et à Karbila, le grand ami fut un bienfait pour les coeurs de tous ceux qui pleuraient le Bab.

La seule personne en Iran qui n'avait point perdu le souffle était l'impétueuse Tahirih. Après le congrès de Badasht, elle avait été confiée par Baha'u'llah à la famille d'un notable de Nur, en laquelle elle avait vécu en sécurité. Puis, en 1849, après le martyre de Quddus, elle avait quitté cette retraite pour se rendre à Téhéran dans l'espoir de pouvoir aller au Roi lui présenter la vérité du Babisme. Mais en cours de route elle avait été reconnue, saisie, et se trouvait depuis lors aux arrêts chez le préfet de Téhéran. En cette réclusion, pourtant, l'intrépide, l'invincible, attirait vers elle, du seul fait de sa renommée, les invitées des réceptions de la préfète. Ces dames, préférant le logement de la recluse, délaissaient les salons, étaient avides de la voir, l'entendre, et s'en cachant à peine. La voir, elles en étaient éblouies. L'entendre, elles en demeuraient subjuguées, conquises, converties. Les autorités n'en ignoraient rien mais voulaient l'ignorer en attendant qu'intervienne une décision supérieure.

Le Babisme était toujours aussi honni, toutefois l'agressivité était moins vive et si l'on assistait à une apparente régression, le vrai calme était loin d'être revenu.

Ce fut en ces conditions, qu'en Novembre de cette année 1851, Nasr-ed-Din Shah, qui avait émergé d'une obscurité adolescente étouffée par le dictatorial Taqi Khan, destitua brutalement celui-ci, bien qu'il lui eut été fort utile au début et qu'il soit devenu son beau-frère.

Et l'homme qui fut soudain promu premier ministre, - cette plus haute fonction du royaume - était Aqa Khan, auparavant déjà redevenu ministre de la Guerre était celui-même auquel le Bab, à Kashan en 1847, avait fait annoncer cette invraisemblable promotion. Cela, Aqa Khan ne l'oubliait pas !

Dans l'intention d'inaugurer pacifiquement son oeuvre par une réconciliation durable avec les Babis, il fit demander à Baha'u'llah en Irak de revenir à Téhéran et d'avoir ensemble une consultation constructive.

La situation paraissait donc s'éclaircir, la tempête se dissiper et ce précieux calme précaire pouvoir être solidement établi.


Chapitre 13. UNE PREDICTION PARADOXALE

Lorsqu'en Juin 1852 Baha'u'llah revint d'Irak, il fut amicalement invité par Aqa Khan, à ne pas réintégrer immédiatement son domicile de famille mais à accepter de résider quelque temps dans une maison de ce nouveau premier ministre afin d'y avoir en tête à tête les conversations confidentielles et constructives que tous deux souhaitaient. Cet accueil sous un tel toit, ayant un caractère honorifique, rendrait visible la direction du vent nouveau. Et, de ce fait, les diverses personnalités, qui ne manqueraient point d'y venir visiter l'invité à l'occasion de son retour d'Irak, pourraient mieux concevoir que soit élaboré un programme de pacification religieuse.

En Août, après de multiples entretiens laissant entrevoir une solution positive, la chaleur torride vida Téhéran de tous interlocuteurs valables.

Le souverain, la cour, le gouvernement, les ambassades, avaient pris leurs quartiers d'Eté en Shimiran, sur les proches bas-contreforts des monts Elburz. Suivis en cela par tous ceux qui avaient quelque rang et notoriété.

Durant cette pause estivale, l'invité d'Aqa Khan se retira au village d'Afchih, propriété privée de ce dernier et située à quelques kilomètres plus au Nord de Shimiran. Là, Baha'u'llah eut le loisir de méditer, dans un certain recul, sur les deux années qui venaient de s'écouler depuis l'exécution du Bab en Juillet 1850.

Il se souvint qu'au Printemps 1851, lorsqu'il était en route vers l'Irak, il avait rencontré Azim. (Azim avait été ce pieux curieux qui, en Mai 1850, et malgré le secret imposé par le Bab, avait voulu connaître le contenu du coffret adressé à Baha'u'llah).

Lors de sa rencontre avec Azim, il avait appris que celui-ci, avec quelques autres disciples du Bab, était animé du désir de venger le sang de leur maître bien-aimé. Mais il avait pu ramener ces âmes, égarées par la douleur, à l'acceptation de la volonté du Bab dont le sacrifice devait demeurer à jamais leur glorieux et pacifique exemple. Grâce à Baha'u'llah, il n'y avait pas eu de complot.

Il se remémora son séjour en Irak où sa présence avait hautement relevé le moral des amis irakiens que la mort du Bab avait profondément perturbés.

En Automne 1851, il y avait eu - après la destitution soudaine de Taqi Khan - l'heureuse nomination d'Aqa Khan au poste de premier ministre, avec une politique de sagesse qui tendait vers une réelle pacification du pays.

Les entretiens reprendraient en Septembre, dès la rentrée à Téhéran, et des actes positifs pourraient bientôt concrétiser de saines mesures.

L'avenir s'offrait donc sous ces heureux auspices et le 15 Août vécu dans la verdure eut dû n'être qu'une reposante journée.

Or ce jour là précisément, ce jour là en Shimiran, le Roi se rendant à une inspection militaire proche de son camp d'Eté de Nyavaran, franchissait l'enceinte du parc. Le souverain, depuis son avènement avait pris quatre années d'expérience et savait à présent se faire redouter. Son despotique dictateur Taqi Khan, après avoir été destitué, avait subi mort violente par ordre sans merci du Roi. En exemple spectaculaire !

(Incidemment noté au passage: Hassan, frère de l'ex-premier ministre, Hassan qui à Shiraz avait réglé l'exécution du Bab, Hassan, moins de deux ans après, également disgracié et tué, déjà n'était plus de ce monde !)

Le Roi, franchissant l'enceinte du parc, était précédé et suivi par son royal cortège mais protégé de la poussière des chevaux par une certaine distance entre ses cavaliers et son propre cheval. C'est ainsi isolée sur sa monture que Sa Majesté fut assaillie par trois inconnus comme surgis du sol. L'un brandissait un sabre dont il n'eut pas le temps de se servir car déjà l'un des deux autres, avec un pistolet, criblait le Shah de... plombs de chasse. Horrifié, le cortège se précipita. Le sabreur fut tué au sabre, les tireurs jetés au sol et ligotés. Le Souverain secouru. Ses plaies étaient minimes et furent aussitôt pansées par le Dr. Cloquet. Mais le lèse-majesté mit tout le monde au bord de la folie collective.

Les agresseurs identifiés étaient de jeunes ouvriers de Téhéran dont l'un d'eux, Sadiq, celui que l'on venait de fendre en pièces, avait été, avant d'être manoeuvre, le domestique d'Aziz que l'on savait Babi notoire. Et bien que le simplisme mental de ces garçons soit évident, - on ne tue pas un roi comme on tire un gibier - ces naïfs furent surestimés au rang de tueurs véritables.

En outre, la reine-mère qui désormais et comme tous redoutait le Roi, amplifia l'attentat par la désignation de régicide et proclama qu'il y avait complot. Or puisqu'il fallait ainsi que complot il y eut, dont les têtes fussent connues, on pressa les aveux des tueurs qu'on avait sous la main. Lesquels, malgré tortures horrifiques, étant morts sans avoir parlé, une immédiate série d'arrestations fit tomber sa terreur sur la communauté babie.

Au proche crépuscule de ce 15 Août 1852, Baha'u'llah se trouvait dans la reposante verdure d'Afchih lorsque lui arriva de Nyavaran un message du frère d'Aqa Khan qui l'informait de l'attentat. La reine-mère accusait publiquement Baha'u'llah d'être la tête du complot. Aqa Khan en était compromis, le désordre inextricable, les passions incontrôlables, et, pour parer au plus pressé, il était demandé à l'estivant de quitter aussitôt Afchih pour quelque lointaine retraite de son choix, où il puisse attendre en sécurité que la situation soit éclaircie.

Mais, contrairement à cet avis, et afin que cette situation soit éclaircie au plus tôt, ce fut droit sur Nyavaran que Baha'u'llah se dirigea. Arrivé à la nuit tombée et pour attendre le matin suivant où il pourrait se présenter devant le Shah, il passa la nuit chez l'un de ses beaux-frères qui, étant employé à la légation de Russie, avait sa tente à côté du camp estival du ministre russe, le prince Dolgorouki.

Or des espionneurs en service ayant reconnu l'illustre arrivant, s'empressèrent d'informer le Souverain du lieu où celui qu'accusait la reine-mère "se cachait". Le shah, non informé de la libre et loyale intention de Baha'u'llah, la devança en réclamant aussitôt à ce prince que le "fugitif" lui soit livré sans délai. Mais le ministre de Russie répondit que, puisque mirza Hussayn-Ali, de Nur, était venu de son propre gré chez le parent qui l'abritait, il se trouvait sous la protection de la Russie. Pour aller librement en royale audience, le représentant de la Russie confierait son protégé au Premier ministre de la Perse, si celui-ci s'en rendait officiellement responsable envers lui. Ce que Aqa Khan, bien que déjà fort compromis, fut bien obligé d'accepter.

Puis, entre le moment où Baha'u'llah était confié à la protection officielle d'Aqa Khan et celui où - en cette protection - il aurait dû être reçu par le Shah en libre et loyale audience, il fut intercepté et littéralement "enlevé" par un rapide commando de sbires qui l'emmenèrent à la prison de Téhéran.

Fut-ce une action spontanée de moindres fonctionnaires animés d'un zèle excessif ? Fut-ce une faiblesse d'Aqa Khan pour se sortir d'une situation périlleuse pour lui-même ? Fut-ce un subterfuge d'Aqa Khan pour sauver Baha'u'llah d'un danger sans merci de massacre immédiat et, de ce fait, pour gagner du temps ? Ou fut-ce du Destin la mystérieuse poussée ?

Toujours est-il que Baha'u'llah, enchaîné, tête nue sous le soleil de feu, pieds nus sur la route embrasée, poussé, tiré, lapidé, injurié, ensanglanté, fut ainsi conduit presque en courant sur ces vingt kilomètres, jusqu'au lieu de son incarcération. Prison de Téhéran ou basse-fosse de la mort ? Car ce lieu n'avait de prison que le nom et qu'en fait il s'agissait d'une citerne souterraine, ex-réservoir d'eaux usées d'anciens bains publics, sans aucune aération ni lumière, dont un étroit goulot aussi noir que goudron et scandé de trois séries de marches était l'unique accès.

Dans cette fosse étaient parqués dans une obscurité totale près de cent cinquante criminels de droit commun, dont la plupart n'avaient ni vêtement ni moyens de s'étendre et qui tremblaient de froid, de fièvre et de vermine, parmi la puanteur des déjections humaines. Une quarantaine de Babis venaient d'y être amenés. Baha'u'llah, à son arrivée, fut lié à cinq de ces religionnaires par une chaîne collective pesant quatre-vingt-dix kilos, qui les enserrait individuellement par le cou, tout mouvement de l'un blessant inexorablement les autres. En outre, ses chevilles furent entravées par un lourd cep. Une sorte de repli en ce bas-fond formait une manière de cellule qui leur fut affectée.

De jours en jours, sous l'appel matinal du bourreau, le nombre des Babis captifs diminua.

De nuits en nuits, sous l'impulsion de Baha'u'llah, ces condamnés chantaient des versets d'action de grâce, qui les menaient en paix au matin du supplice dans toute l'ardeur de leur foi.

Alentour, dans la ville à feu et à sang, la terreur régnait absolue, mais sous cette terreur l'on entendait clamer par les victimes qu'en vérité elles venaient de Dieu et que vers Dieu elles retournaient.

Le 29 Août 1852, le capitaine Von Goumoens, officier autrichien en service auprès du Shah de Perse, adressait de Téhéran, à un ami en Autriche, une lettre relatant des faits tellement inhumains que ce texte fut publié dans un périodique autrichien, le "Soldaten Freund" n° 291 du 17 Octobre de la même année. Ce fut l'un des tous premiers témoignages d'un européen à l'Europe, d'un témoin se trouvant sur les lieux et dans le moment même des faits. Voici ce reportage vécu:

"Ma précédente lettre du 20 Août vous parlait de l'attentat contre le Shah. De l'interrogatoire auquel les deux criminels ont été soumis et malgré les terribles tortures infligées, les interrogateurs n'obtinrent aucune révélation. Les lèvres de ces fanatiques restèrent closes même lorsque des fers rougis à blanc s'efforçaient de leur faire livrer le nom du chef de la conspiration.
Ecoutez bien ce qui suit, mon ami (...) et plût à Dieu que je n'eusse jamais vécu pour voir cela ! (...) Présentement, je ne sors plus de chez moi pour ne pas me rencontrer avec de telles scènes d'horreurs.
Imaginez ces infortunés qui, les yeux arrachée, sont obligés de manger - telles quelles et sur les lieux du drame - leurs propres oreilles qu'on a coupées. Ou ceux dont les dents sont arrachées avec une violence inhumaine par la main du bourreau, ou dont les crânes dénudés sont simplement défoncés à coups de marteau.
Ou encore, imaginez le bazar illuminé par de malheureuses victimes dont la poitrine et les épaules, creusées de chaque côté de trous profonds, portent des mèches allumées dans les plaies. J'en ai vues qu'on traînait, enchaînées, à travers le bazar, précédées d'un orchestre militaire, et dans lesquelles ces mèches avaient brûlé si profondément que la graisse crépitait par à-coups dans les blessures, comme la lampe qui charbonne.
Il n'est pas rare que l'infatigable ingéniosité de l'oriental aboutisse à trouver de nouvelles tortures. Ainsi, ils écorcheront la plante des pieds du babi et tremperont ses blessures dans l'huile bouillante, ou bien, ferrant ses pieds comme les sabots d'un cheval, ils forceront la victime à courir. Nul cri ne s'échappe de la poitrine du supplicié ; la torture est supportée dans un silence de mort par les sens engourdis du fanatique ; maintenant il lui faut courir ; le corps ne peut endurer ce que l'âme a supporté et il tombe. Qu'on lui donne le coup de grâce ! Qu'on le délivre de sa douleur ! Mais non ! Le bourreau brandit son fouet et - j'ai dû moi-même être témoin de cela - la malheureuse victime cent fois torturée se met à courir. C'est le commencement de la fin.
Pour ce qui est de la fin elle-même, elle consiste à suspendre le corps roussi et troué à un arbre, la tête an bas, par les mains et les pieds. Chaque persan peut alors exercer son adresse au tir, à une distance déterminée mais pas trop proche du noble gibier mis à sa disposition. J'ai vu des cadavres déchirés par près de cent cinquante balles.
Après leur mort, les babis sont tranchés en deux et chaque pièce est empalée aux grilles de la cité ; ou bien jetés dans la plaine pour les chiens et pour les chacals. Ceci pour les châtier au-delà des limites de notre triste monde, car les musulmans, s'ils n'ont pas de sépulture ne sont pas admis en Paradis.
Toute mon âme se révolte contre de telles infamies et je ne veux pas conserver plus longtemps ma charge sur la scène de pareils crimes."

Outre ce reportage de M. de Gouemens publié en Autriche, l'ambassadeur de France à Constantinople, M. de Lavalette, écrivait le 3 Octobre 1852 au ministre des Affaires étrangères à Paris les lignes suivantes:

"(...) relativement à la tentative d'assassinat dirigée contre la personne du Shah. On annonce qu'il a été pris des mesures d'une extrême rigueur contre la secte des babis ; car ces fanatiques inspirent au souverain les plus vives appréhensions, afin de s'assurer le dévouement de ses ministres, il les a tous contraints à mettre à mort, chacun de sa main, un babi. soit avec des armes blanches soit avec des armes à feu. Un avis officiel annonce qu'ils se sont tous conformés à l'ordre du Shah."

Et le 25 Octobre, faisant suite à cette information, M. de Lavalette envoyait "la traduction fidèle d'un article du journal officiel persan rendant compte des dernières exécutions" (...) cet article, faisait remarquer l'ambassadeur, "peut avoir de l'intérêt pour Votre Excellence ; il lui donnera, dans tous les cas, une idée de la barbarie dans laquelle se trouve encore plongé ce malheureux pays."

L'article en question, donnait en vingt longues pages un récit grandiloquent, farci d'expressions qui en donnent le ton et de détails qui en dessinent le tableau. Sans le reproduire ici, ton et tableau sont suffisamment évocateurs !

"Cette épouvantable affaire" - "cette vaste conspiration" - "leur abominable cause" - "leur infâme religion" - "la plus épouvantable hérésie dont on ait jamais entendu parler" (...) Tel est le ton. Quant au tableau: on y voit des princes Qadjar, le frère et les trois fils du premier ministre, des ministres, des membres de la cour, des généraux, colonels, capitaines, d'autres différents hauts dignitaires, rivaliser entre eux - et chacun d'eux ayant un Babi à tuer - pour leur donner la mort la plus spectaculaire. Les personnels civils et militaires de la maison du Roi, ceux des royales écuries, un peloton d'infanterie, un corps de cavalerie, des lampistes de la fonction publique, le chef de l'arsenal, le prévôt des marchands, même des professeurs de l'école dite des sciences, et la valetaille du gratin, et la tourbe de la populace, tiennent également à bien prouver au Roi qu'ils le vengent. A coups de sabres, de pistolets, de poignards, de coutelas et baïonnettes, de hache et de massue, de pierres, ils font une bouillie de ces chairs déjà mortes.

En contraste avec ces abominations, l'exécution de Tahirih laisse une étrange image de beauté, Tahirih, la dix-septième Lettre de l'Unité du Vivant, Tahirih la ravissante héroïne de la vertu et de la foi babie, l'audacieuse première émancipée des femmes sous le voile ; Tahirih aux arrêts à Téhéran depuis l'Eté 1849 et qui, en cette réclusion, - femme vouée aux femmes - n'avait cessé de passer le message à celles qui venaient discrètement l'entendre ; Tahirih que l'on n'avait entre 1849 et 1852 ni condamnée ni libérée mais gardée en expectative ; Tahirih en Août 1852 connut sa sentence de mort.

De blanche soie vêtue comme pour une fête, allant à ses bourreaux en grande dame qu'elle était, sa strangulation avec sa propre écharpe eu lieu a nuit tombée. Elle fut aussi discrète que rapide et son corps non ensanglanté fut enseveli au fond d'un puits à sec que l'on emplit de pierres jusqu'au niveau de l'orifice.

"Vous pouvez me tuer, quand vous voudrez (affirma-t-elle au bourreau), mais vous ne pouvez empêcher l'émancipation des femmes !" (3)

Après cette première explosion de sauvage passion où les uns s'efforçaient de surpasser les autres en vitesse et en atrocités, Aqa Khan, le premier ministre, fit donner un cadre à la répression. Si la reine-mère ne désarmait point, le roi admit pourtant que pour anéantir ces babis exécrables il y eut un appareil de justice. Dès lors, les délations provoquées, les arrestations arbitraires, les aveux arrachés sous la torture, furent manipulés par la police.

Et tandis que s'étalait une enquête sur le "complot de Nyavaran" et que l'on recherchait les présumés complices, les Babis que l'on tenait aux fers près de Baha'u'llah étaient, de matin en matin, appelés à la criée par les bourreaux, cependant que partout ailleurs, quiconque était babi étant un hérétique, ils devenaient la proie des justiciers de la loi coranique, autant que celle des justiciers du Roi !

L'année 1852 (de notre calendrier grégorien) était, pour les Babis, la neuvième année d'un calendrier qu'avait instauré le précolombienne à partir de l'année de sa première déclaration à Shiraz (en 1844) et le calendrier babi commençait ses propres années au 1er jour de chaque Printemps (21 Mars).
(Par équivalence, l'An IX des Babis, commencé le 21 Mars 1852, finirait le 30 Mars 1853.)

"Dans l'An IX, vous atteindrez le Bien suprême."
"Dans l'An IX, vous arriverez à la présence de Dieu."
avaient annoncé deux énigmatiques versets du "Bayan".

L'An IX, roulant toujours ses flots de sang, toujours pourvoyant les bourreaux de victimes et toujours allongeant la longue liste des martyrs, 1'An IX, de mois en mois, avait atteint l'Automne.

Or aucun des Babis harcelés, traqués et suppliciés, n'étant en condition méditative, le contraste paradoxal entre l'horreur évidente de cet an IX et le Bien suprême annoncé leur échappa. Des milliers de martyrs, sous la faux de la mort proclamaient en chantant de leur ultime souffle que "de Dieu ils venaient et que vers Dieu ils retournaient". Puis ils mouraient dans cette certitude sans s'être posé de questions.

S'ils avaient pu faire le point sur les faits apparents, le procès de Nyavaran développait de plus en plus ses tentacules ; le Babisme était sur le bord du naufrage ; Baha'u'llah gisait au fond d'une mortelle basse-fosse ; et la terreur partout avait force de loi.

Bien que le jeune Yahya, de Nur, eut été mentionné dams une missive du précolombienne, aucun des Babis n'aurait envisagé qu'il eût les qualités pour être le drapeau du babisme et le chef de leur maintenance. En outre, loin de revendiquer ce risque et cet honneur, Yahya dès l'attentat s'était enfui vers les montagnes où, méconnaissable sous les hardes du classique derviche-quêteur, il tendait la sébile pour un croûton de pain.

Dès l'incarcération de Baha'u'llah et sous le déferlement du raz de marée de la haine, les membres intimes de ses deux foyers avaient dû se terrer. Sa vaste et richissime parenté avait ressenti les coups du ressac et les biens du prisonnier étaient saisis ou ravagés.

S'il avait deux foyers, c'est que Baha'u'llah, ayant été musulman avant d'être Babi, avait contracté deux très hauts mariages dont il avait une double descendance.

Mais sa première épouse, Assiyeh, était celle de son foyer de prédilection, était pour lui l'épouse véritable, était celle qu'il désigna plus tard en hommage posthume comme étant "son épouse éternelle dans tous les mondes de Dieu."

Dès sa naissance, elle n'avait connu que la fortune et le bonheur. En un instant, elle fut au tréfonds de la pauvreté et de la détresse. Avec Abbas, garçonnet de huit ans, avec Bahiyeh, fillette de six ans, avec Mehdi, un bébé de deux ans en mauvaise santé, elle avait dû fuir leur luxueuse maison envahie et pillée, vers un minuscule logis de misère qui lui offrait le bienfait d'être proche du lieu où était détenu leur bien-aimé.

Puis, alors que pétrifiés, ceux du second foyer, ainsi que la parenté et les amis, semblaient ne plus la connaître, elle fit front, elle fit face, et le seul qui la protégea fut Musa, le meilleur frère de son époux.

Pour faire passer quelques vivres à Baha'u'llah, comme pour nourrir les enfants, elle monnaya les boutons de ses vêtements, boutons en or et pierreries. Lorsqu'elle n'eut plus rien à vendre, elle donna aux enfants de la farine à l'eau, mais elle faisait front. Pour avoir des nouvelles du détenu, elle se tint à l'affût du moindre indice, redoutant chaque jour le pire mais faisant face. Et, quand ce pire n'advenant pas, un impatient précipita la chose en faisant empoisonner Baha'u'llah - qui, s'il n'en mourut pas, en fut terriblement malade -, elle, à proximité de la prison, et faisant front et face, faisait acte de foi pour la vie de Baha'u'llah.

Quant à Baha'u'llah que son fils, le petit Abbas de huit ans, parvint enfin à voir de loin lors de l'exercice quotidien des prisonniers et dont il gardait l'image d'un père radieux, d'un seigneur somptueux, raffiné, magnifique, d'un homme jeune qui rayonnait de santé et de force, ce père bien-aimé qu'il voyait apparaître était en loques sous des chaînes, le cou enflé et blessé par son carcan, la barbe et les cheveux le couvrant comme une broussaille, le corps ployé sous le poids de ses fers, et il avançait pas après pas dans une si extrême faiblesse que chacun semblait le dernier.

Certes, selon les apparences, l'An IX paraissait ne plus conduire qu'à un paroxysme de désespoir en lequel tant de foi et d'héroïque amour eussent été sacrifiés en vain !

Mais en ce cas, qu'en fut-il advenu de la grande promesse universelle ? Les grandes aurores spirituelles et énergétiques qui, d'Hurqalya, s'étaient manifestées sur Terre au cours des âges, étaient-elles taries ? La prophétie antique pouvait-elle avoir été fallacieuse ?

Ce fut après avoir atteint ce paroxysme, qu'enfin, dans le noir absolu de l'abyssale crypte où avait été broyée et ensevelie l'humaine réalité d'Hussayn-Ali,de Nur, se produisit sa métamorphose et qu'en Hurqalya la Lumière de Gloire embrasa le Mont des Aurores.

Voici comment Baha'u'llah a relaté - beaucoup plus tard - cette sorte d'investiture mystique:

"Pendant les jours où j'étais confiné dans la prison de Téhéran, quoique le poids irritant des chaînes et l'air empesté m'aient laissé peu de sommeil, il me semblait que dans ces rares moments d'assoupissement quelque chose s'écoulait du sommet de ma tête sur ma poitrine, ainsi qu'un torrent puissant se précipite sur terre du sommet d'un mont élevé. Alors tous mes membres prenaient feu et à ces moments là ma langue prononçait des paroles qu'aucun homme ne pourrait supporter d'entendre."

"Une nuit en rêve, ces paroles exaltantes se firent entendre de tous côtés: En vérité, Nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne t'afflige pas à cause de ce qui t'est arrivé et ne sois pas effrayé, car tu es en sécurité. Bientôt, Dieu fera paraître les trésors de la Terre: des hommes qui t'aideront par toi-même et par ton nom, avec lesquels Dieu a ranimé les coeurs de ceux qui l'ont reconnu." (4)

"Tandis que je sombrais sous le poids des afflictions, j'entendis, au dessus de ma tête, une voix merveilleuse et infiniment douce qui m'appelait. Levant les yeux, j'aperçus une créature virginale, -personnification du souvenir du Nom de mon Seigneur - qui flottait dans l'espace, devant moi. Son âme tout entière était dans une telle joie que son expression resplendissait du bon plaisir de Dieu, et que son visage rayonnait de la clarté du très miséricordieux. Entre ciel et terre, elle lançait un appel qui captivait le coeur et l'esprit des hommes. Elle me fit part, d'une façon à la fois objective et subjective, de nouvelles qui réjouirent mon âme et celle des serviteurs estimés de Dieu. Montrant ma tête du doigt, elle s'adressa à tous ceux qui sont au Ciel et à tous ceux qui sont sur Terre en ces termes: "Au nom de Dieu voici le bien-aimé des mondes, et cependant vous ne le comprenez pas. Voici la beauté de Dieu parmi vous, et la puissance de sa souveraineté en vous, si seulement vous pouviez le comprendre. Celui-ci est le mystère de Dieu et son trésor, la Cause de Dieu et sa Gloire, pour tous ceux qui sont dans les royaumes de la Révélation et de la Création, si vous êtes de ceux qui perçoivent!" (5)

En cet Automne de l'An IX, les procéduriers de l'Etat n'ayant toujours rien trouvé qui puisse confirmer l'accusation lancée contre Baha'u'llah - que par son rang et son importance sociale on ne pouvait exécuter sans preuves véridiques - l'affaire traînait en longueur.

Puis, shaykh Ali, de Turshiz, nommé Azim, fut capturé. Lui qui avait eu comme serviteur celui qui avait levé le sabre contre le Shah, lui qui était notoirement l'un des proches compagnons du précolombienne ! Tout pour être à la fois la tête et le bras du complot, en quelque sorte !

Or Azim savait mieux que quiconque que ce complot n'avait pas existé, mais il savait aussi dans le secret de sa conscience qu'il en avait eu la coupable intention. Pour arrêter le génocide de ses religionnaires, il voulut en finir avec ce prétendu complot. Revendiquant d'en être le seul et l'entier responsable, il signa la déclaration qui innocentait tous les autres. Après cela, il fut un martyr de plus dans le flot rouge de l'An IX.

Désormais, Baha'u'llah étant entièrement mis hors de cause, ses proches, sa parenté et ses amis purent plaider en faveur de sa prompte libération. Et Aqa Khan, aidé par le ministre de Russie, obtint du Souverain - non sans difficultés et lenteurs - qu'il veuille bien donner son royal consentement.

Lorsque l'ordre d'élargissement de Baha'u'llah lui fut enfin signifié, son incarcération avait duré quatre mois et l'An IX entrait dans l'Hiver.

Dépossédé de tous ses biens, exproprié même de sa maison natale à Téhéran, aussi pauvre qu'il avait été riche et sa santé profondément atteinte, ce fut en cet état qu'il recouvrait sa liberté.

Sa fille, la petite Bahiyeh d'alors six ans, évoqua longtemps plus tard devant une amie ce que fut le retour de son père:

"Enfin! il vint dans nos deux petites pièces. Oh! la joie de sa présence! (...) Il parla très peu des terribles souffrances, mais ma mère et moi pleurions sur les marques des blessures de sa nuque et de ses chevilles. Et lui, nous disait la foi des amis partis si joyeusement vers le couronnement du martyre. En cette prison, il avait eu une merveilleuse expérience divine. Nous pouvions percevoir comme un rayonnement nouveau (...) mais dont la signification ne nous fut dévoilée que bien des années plus tard. A l'époque de son retour, nous la sentions sans la comprendre et ne savions rien de cet évènement sacré."

Pour que Baha'u'llah à peine libéré puisse reprendre souffle, il eut besoin de répit. Mais en Mazindaran, Yahya, son demi-frère, avait, dès les aveux d'Azim, quitté son camouflage de derviche et groupé des partisans locaux autour de sa personne. Ces gens là, naïvement, espéraient que leur babisme trouverait en Yahya un protecteur. Dans la tragédie de l'An IX, ce minime incident local aurait pu être pris pour ce qu'il était: une sottise. Or les autorités religieuses qui aussitôt s'en emparèrent et qui l'exploitèrent avec ampleur auprès du Souverain, au-dessus de Yahya visaient Baha'u'llah. Leur coup porté, le résultat ne tarda point.

Le libéré, "à peine avait-il rejoint sa famille, qu'un décret du Shah Nasiri'd-Din lui parvint, lui ordonnant de quitter pour toujours le territoire de la Perse, dans un délai d'un mois au maximum, et l'autorisant à choisir le lieu de son exil."

Le prince Dolgorouki, dès qu'il connut cette mesure, offrit à Baha'u'llah la protection de la Russie et toute facilité pour y entrer. Mais le grand proscrit, déclinant l'offre, choisit d'aller vivre à Bagdad, en Irak province ottomane.

(L'Irak où se trouvaient les lieux saints du shiisme, l'Irak qui avait été le jardin du shaykhisme et l'un des parvis du babisme; l'Irak dont une liberté confessionnelle laissait vivre parallèlement sunnites et chi'ites et dont certains chi'ites pouvaient être favorables au babisme; Bagdad enfin, dont bon nombre d'habitants parlaient sa langue et dont il connaissait les coutumes et le climat.)

Et tandis qu'à Téhéran, ruiné et démuni de tout, il se préparait au départ, dans le district de Nur où se trouvaient ses domaines agricoles, à Takur où était son château ancestral - plein d'oeuvres d'art irremplaçables qu'avait collectionnées son père -, des régiments allèrent ravager et les biens et les paysans, afin que rien ne subsiste qui puisse évoquer la mémoire du banni.

Se le tenant pour dit, Yahya sous un nouveau déguisement avait à temps repris le large.

Le 12 Janvier 1853, au début du rigoureux Hiver de l'An IX, accompagné de sa famille, de son frère Mussa, volontaire compagnon d'exil, et de quelques coeurs liés par dévouement à sa vie, Baha'u'llah se mit en route: "accompagné d'êtres débiles et d'enfants en bas âge, à l'époque où le froid est si intense que l'on ne peut même parler et que neige et glace sont si abondantes qu'il est impossible d'avancer."

Le long trajet de Téhéran à Bagdad à travers les pistes de montagnes - que Baha'u'llah, fier cavalier, avait l'an précédent rapidement couvert à la belle saison - dura trois mois interminables, car les malheureux voyageurs étaient démunis d'équipements appropriés. Un officier de la Garde iranienne, ainsi qu'un fonctionnaire de l'ambassade de Russie, les escortèrent jusqu'à la frontière d'Irak.

Lorsque les exilés avaient traversé la ville de Kirmanshah, Yahya les ayant vus, quitta l'anonyme échoppe où, vendeurs de linceuls, il se cachait méconnaissable, et, sous un nouveau déguisement de 1'arabe-ambulant-vendeur-de-cotonnades, les rejoignit séparément à Bagdad. Sur la cause babie, nouvelle épreuve suspendue !

Enfin, après que l'An IX, de tragique mémoire, eut été remplacé par l'An Nouveau, Baha'u'llah en exilé à vie arrivait à Bagdad le 8 Avril 1853.


Deuxième partie: CAP SUR DIEU

* Liminaire (6)

L'histoire événementielle que vous allez lire est rigoureusement authentique.

Elle pourrait paraître irréelle si nous n'avions trouvé dans les archives historiques du Ministère des Affaires Etrangères à Paris, un ensemble de dépêches diplomatiques échangées entre les ambassades de France à Téhéran et à Constantinople et le ministre des Affaires Etrangères à Paris.

Ces documents couvrent les années primordiales dans l'émergence des évènements babis-baha'is, et ont ainsi valeur d'impartial témoignage.

En outre, ces rapports recoupent en parallèle nombre d'informations relatés dans la "chronique de Nabil" (7).

Or Nabil étant baha'i et les diplomates neutres, ce parallèle est d'autant plus appréciable.


Chapitre 14. TRANSFERT DE DECOR SUR BAGDAD

Les carnets de route du comte de Sercey, rentrant de Téhéran à Paris par Bagdad, en Août 1850, évoquent cette ville.

Un rapport de MM. Coste et Flandrin qui faisaient partie de la suite du diplomate, complètent cette évocation. Et, ensemble, les observations de ces trois voyageurs font revivre Bagdad sous son aspect d'alors, Bagdad dont l'aspect n'avait guère changé lorsque Baha'u'llah vint vivre en cette ville, au Printemps 1853.

Voici d'abord ce que virent MM. Coste et Flandrin:

"Bagdad bâtie par E1-Mansour, Calife Abbasside, dans le premier siècle de l'hégire, est située sur la rive gauche du Tigre, entourée d'une enceinte flanquée de tours. Sa population est tout au plus de quatre-vingt mille âmes... Elle est presque entièrement composée d'Arabes. On y voit pourtant quelques Turcs, quinze mille Juifs, mille cinq cents Chrétiens catholiques et deux à trois cents schismatiques. Les bazars y sont nombreux, chaque culte y possède ses temples et les mosquées y sont au nombre de cinquante.
Les parties de Bagdad situées sur les rives du Tigre offrent le plus séduisant aspect. Des rues entourées de jardins au milieu desquels s'élèvent des palmiers, de jolis cafés, bordent le fleuve et, çà et là, s'élèvent au loin des dômes et minarets. La province est l'une des plus vastes de l'Empire Turc, mais presque déserte par l'incurie et l'insouciance du gouvernement.
... La Compagnie des Indes entretient à Bagdad un Résident largement rétribué... Il a sous ses ordres une compagnie de cypayes qui lui sert de garde d'honneur. Quatre paquebots à vapeur font un service régulier entre Bagdad et Bassorah, et correspond au moyen de barques arabes avec... le golfe Persique et, par d'autres navires avec Bombay."

Quant au comte de Sercey, sa première impression exprimée fut surtout subjective:

"La chaleur était tellement affreuse que nous fûmes obligés de faire comme les gens du pays et nous nous réfugiâmes dans des caves préparées pour servir d'asile pendant la journée... Ces espèces de caves se trouvent dans toutes les maisons de Bagdad... On y attend que les brises du soir se soient élevées et, alors, on monte sur les terrasses où l'on dîne, l'on respire, et on se couche... La première fois que je montais sur ces terrasses, la vue me parut ravissante. Tout autour de moi je voyais les dômes bleus des mosquées avec leurs frêles minarets s'élever vers les cieux. Des masses de dattiers avec leur sombre verdure et leur feuillage dentelé s'appuyaient sur leurs flancs, comme pour faire mieux ressortir leurs nuances éclatantes... Enfin, des cigognes attardées traversaient un ciel d'azur avec la rapidité de la flèche et on les voyait perchées sur leur nid donner une nourriture hâtive à leurs petits affamés."

Mais M. de Sercey, après s'être un peu acclimaté, fut en mesure d'exprimer d'autres impressions, objectives cette fois:

"Bagdad est une oasis au milieu des déserts qui l'entourent ; c'est la reine née des peuplades errantes qui la sillonnent ;... Située sur le Tigre qui la sépare en deux parties inégales, et voisine de I'Euphrate avec lequel elle communique... seule au milieu d'un pays d'une immense étendue... ; elle exerce une influence morale puissante sur ces tribus sauvages que nulle domination n'a soumises jusqu'ici...
Bagdad compte approximativement cinquante mille musulmans dont les deux tiers sont chi'ites, et la rive droite du fleuve n'est même habitée que par eux. Huit mille Juifs, un millier de Chrétiens de différents rites, complètent la population de cette grande cité... La Majeure partie des environs de Bagdad est peu pittoresque et, excepté les forêts de palmiers dattiers qui touchent à ses murailles, tout y est d'une stérilité désolante. Le désert commence à sa porte et des nuages d'une poussière éternelle pèsent constamment sur son horizon brûlé. On a peine à comprendre que ce soit là l'ancienne Mésopotamie, fameuse par la fécondité de ses jardins...
Le Pacha qui gouverne Bagdad exerce une autorité plus ou moins contestée sur les Arabes établis dans les environs immédiats de la ville. Mais cette autorité est inopérante sur les peuplades les plus éloignées. Quoi qu'il en soit, ce pacha est un véritable souverain et il entretient une maison princière. Il a des troupes régulières sous ses ordres, des officiers qui lui sont attachés, une cour en règle... Le caractère généreux de l'établissement consulaire anglais... et les communications journalières avec Bombay, ont fait connaître à Bagdad des raffinements inconnus au reste des villes arabes."

Ces commentaires permettent de voir pourquoi et comment ce fut à Bagdad, et parmi les chi'ites de la rive droite du Tigre, que Baha'u'llah voulut et put organiser sa vie d'exil !

Au Printemps de 1853, Baha'u'llah vint donc s'incorporer dans cette esquisse de Bagdad et le voici tel qu'il était alors, tel que le virent ses contemporains au début de la deuxième phase de son existence.

Les cadeaux qu'en naissant il avait trouvés dans son berceau étaient sa haute lignée, l'immense fortune et la proximité de la couronne. Enfant, il avait été imprégné - au-delà de la couronne même - par la pure royauté de l'Iran antique, dont l'âme impérissable, est exaltée par le poète Ferdoussi dans "Le Livre des Rois". Adulte, quand désormais proscrit de son pays il entrait en Irak comme le plus pauvre des réfugiés, il n'en était pas moins du monde seigneurial des personnalités de son époque et par elles incontesté.

De cet homme d'alors trente-six ans, extrêmement atteint dans sa santé, portant sa récente misère vestimentaire avec la même aisance que naguère ses brocards et velours, toujours aussi sereinement calme en son énergique comportement, toujours aussi fier et simple à la fois en sa naturelle courtoisie, émanait une présence souveraine.

Son port de tête, sur un corps puissant mais de stature moyenne, donnait à celle-ci un équilibre de majestueuse grandeur.

La chevelure d'un noir intense tombait en boucles profuses au dessous des épaules et le visage s'adornait d'une barbe et moustaches aussi noires que luxuriantes. De semblables sourcils sertissaient le noir et pur diamant de ses yeux magnifiques dont le regard allait au fond des êtres. Le nez fort était de belle forme. La bouche d'un dessin ferme et généreux. De ce visage rayonnaient l'airain du caractère et la puissante force de volonté, tempérés par la douceur d'une transparaissante bonté.

Pour l'heure, l'investiture de Dieu qu'il savait avoir reçue au précédent Automne de l'An IX demeurait son secret préservé. Pour cette même heure - et indépendamment de l'affaire babie - il était aux yeux des autorités civiles et religieuses qui l'accueillaient en cet Irak, province du sultanat ottoman, il était ce proscrit persan, Hussayn-Ali, de Nur, dont nul ne sous-estimait la haute qualité. C'est à ce titre qu'il fut laissé libre d'y organiser sa nouvelle existence, pour sa famille et lui-même, et, hormis les tracasseries du consul d'Iran à Bagdad, s'y trouva relativement sans contraintes administratives.

Ce séjour en Irak allait durer dix ans. Et s'il peut être considéré comme une sorte de répit par rapport à ce qui advint ensuite, il fut pourtant qualifié par Baha'u'llah de séjour sur les rives du fleuve des tribulations.

Après ces deux esquisses, voici celle de la météo politique d'alors.

Au Printemps de 1853, l'immense empire turc que Baha'u'llah ne pourra jamais plus quitter se composait encore d'une partie dite Turquie d'Europe, de la Turquie d'Asie et de la Turquie Méditerranéenne.

Une convention diplomatique entre l'Etat Ottoman et certains Etats de la Chrétienté, leur conférait des droits et immunités en empire islamique pour leurs consuls et pour leurs nationaux. Afin d'y pouvoir exercer plénièrement ces privilèges, chacune des Missions diplomatiques des Etats concernés contrôlait jalousement l'intégrité des frontières de cet Empire.

Elles y soutenaient avec vigueur leurs propres nationaux, donc les intérêts commerciaux. Elles protégeaient leurs propres formes de chrétienté, donc chacune son Eglise et, de surcroît, s'entre combattaient pour que ce soit leur propre Eglise qui eut la haute garde des lieux saints de Jérusalem !

L'ambassade de France à Constantinople, aux rouages précédemment huilés par les politiques de la Restauration et de la Deuxième République, tournait alors à plein régime pour le récent empereur Napoléon III et son jeune Second Empire.

Le palais de France sur la colline de Péra avait valeur de haut et puissant phare, vivifiant de ses feux circulaires tout le réseau des postes consulaires placés en Turquie d'Europe, d'Asie et de Méditerranée. Vers l'Europe, la vue portait notamment sur la Roumélie et les principautés danubiennes. Vers l'Asie, elle portait sur tout l'Irak et le Kurdistan frontalier de 1'Iran. Par Bagdad, l'ambassade avait vue sur la Perse et le golfe Persique. Vers la Méditerranée par la Syrie, sur Alep, Beyrouth et sa rade, la Palestine et les lieux saints de Jérusalem. Par Damas, sur le Liban, ses monts et ses problèmes. Et plus loin en Afrique, sur la principauté vassale d'Egypte et la Régence de Tripoli en Libye. Enfin, de Constantinople, au coeur même de la capitale ottomane, elle avait l'écho maritime direct de la Crète et de la Grèce, celui des clapotements de l'ours russe dans la mer Noire, et elle vivait en contact étroit avec le gouvernement ottoman.

Baha'u'llah, à dater de son arrivée en Empire Turc au titre de réfugié libre installé à Bagdad en 1853, et jusqu'au terme de sa vie terrestre de prisonnier du sultan à Saint-Jean d'Acre en 1892, ayant vécu ces trente-neuf années sous les règnes successifs des sultans Abdul-Aziz et Abdul-Hamid II, la vie du grand proscrit s'écoula tout entière dans le champ de mire des observateurs consulaires.

En effet, celles des Missions diplomatiques qui bénéficiaient des privilèges de la convention précitée, - agissant parfois de concert et parfois en rivales - surveillaient jusqu'au plus infime incident les méandres politico-religieux - administratifs des trois Turquie du vaste empire: Soutien des nationaux opprimés, protection des missions chrétiennes, contrôle des opprimés, protestations, recommandations, suggestions, conseils, rebondissement des affaires en cours, escadres "d'évolution" soudain visibles, apaisements, etc. Bref, une sempiternelle besogne et une masse de notes et rapports à l'appui. La chronique de la petite histoire, en quelque sorte!

Mais, bien au-delà de cette routine de maintien et de surveillance, prédominait la grande histoire, celle des politiques divergentes ou convergentes, allant de la seconde moitié du 19e siècle à la première guerre mondiale. Données géopolitiques dont les profondes modifications ultérieures, par répercussions successives, ont façonné le 20ème siècle.

La grande histoire d'alors s'incarnait principalement dans l'anglicane royauté de Victoria, dans le catholique impérialisme de Napoléon III, dans l'orthodoxe romanovité de Nicolas 1er et Alexandre II, dans 1'islamique sultanat d'Abdul-Aziz et Abdul-Hamid II.

Et si Baha'u'llah vécut à la vue de la petite histoire de ces quatre empires, il fut par 1'obscurité même de sa condition de proscrit, puis de déporté, et enfin de prisonnier à vie, préservé de toute immixtion involontaire dans la chronique de la grande histoire d'alors. Ce qui donne un relief saisissant aux apostrophes impératives que ce même proscrit et prisonnier, parlant en Seigneur des seigneurs, adressa aux maîtres du monde et à certains monarques, ainsi qu'on le verra plus loin dans le texte de sa grande Proclamation générale, et dans ceux de ses lettres aux souverains. En ces documents, il n'est question que de la suprême politique de Dieu, reliée à l'histoire de la grande promesse universelle, et les destinataires responsables du destin des peuples sont traités selon leur dû. Ainsi en alla-t-il particulièrement pour Napoléon III, Alexandre II, Abdul-Aziz et Abdul-Hamid II.

Dès le 22 Mars 1853, très peu avant l'arrivée de Baha'u'llah à Bagdad - et la guerre de Crimée se préparant - le ministre français des Affaires étrangères adressait à M. de Latour ambassadeur à Constantinople, de fortes instructions prévisionnelles "dans la crise que traverse l'Empire Ottoman". Ces instructions montrent l'escadre française d'évolutions, déjà envoyées dans les mers de la Grèce en démonstration "pacifique" tout en s'étant ainsi rapprochée du théâtre des événements.

Le 14 Août 1853 - alors que Baha'u'llah résidait à Bagdad depuis le 8 Avril - c'est le consul de France en cette ville qui expose au ministre français des Affaires étrangères la situation locale "sous les graves évènements qui se préparent dans la Turquie d'Europe". "L'administration de Bagdad s'occupe activement pour faire face par ses propres moyens à l'éventualité d'une rupture avec la Perse... Ainsi, le cas d'une rupture échéant, le gouvernement de Bagdad peut lancer en Perse plus de trente mille Kurdes, autant d'Arabes, et enfin une dizaine de prétendants au trône et aux vice-royautés, appuyés d'une armée régulière de vingt mille hommes et d'un excellent parc d'artillerie de campagne."

Cet extrait de l'exposé du consul permet de saisir combien précaire pouvait être la situation de Baha'u'llah et des siens et combien de prudence il leur fallait pour éviter que ces agitations ne fussent dangereuses pour les pauvres émigrés persans qu'ils étaient.


Le 16 Août 1853, de Constantinople, l'ambassadeur de France rendait compte à son ministre des solennités qu'il avait organisées pour la fête du 15 Août. Grand-messe de Te Deum célébrée par l'archevêque de Pétra en présence du ban et de l'arrière ban de toute la présence française. Puis grand banquet au palais d'Eté de l'ambassade à Thérapia. Reçu les félicitations de Sa Hautesse le Sultan, du Gouvernement Ottoman et des chefs des Missions diplomatiques étrangères. Toasts portés à la santé de S.M. Napoléon III et à celle du Sultan. Parmi les invités, Mgr. 1'Archevêque, les chefs des missions religieuses chrétiennes, les députés du commerce, la commission commerciale, les commandants des navires français présents en rade, le ministre Turc des Affaires étrangères, le commandant en chef des armées turques. Et le même soir, dans les salons de l'ambassade, grande réception de tous les hauts fonctionnaires du gouvernement ottoman, du corps diplomatique et de la société de Péra.

En somme, protocole, élégances, uniformes, panache, et très spectaculaire démonstration de la haute civilité innocente et paisible du Deuxième Empire.

Mais de Paris, le 26 septembre 1853, le ministre des Affaires étrangères télégraphie sous chiffre très confidentiel à son ambassadeur à Constantinople (et cela se rapporte au plan du 22 Mars précédent) l'ordre suivant: "l'empereur m'écrit de Saint Omer qu'il faut, à tout prix et dans tous les cas, les Dardanelles soient franchies. Réussissez donc."

Or, la Russie ayant par ultimatum enjoint la Turquie de "reconnaître la protection du Tzar" sur les Chrétiens orthodoxes des principautés danubiennes en Turquie d'Europe et cet ultimatum ayant été rejeté, les troupes russes entrèrent dans ces principautés. Le 29 Septembre 1853, la Turquie déclarait donc la guerre à la Russie, laquelle s'empressa de massacrer la flotte turque en mer Noire. Après quoi, la France et l'Angleterre purent s'élancer "au secours" de la Turquie en détresse.

Provocation de la Russie, déclaration de guerre de la Turquie, motivation d'intervention pour la France et pour l'Angleterre, en quelque sorte les impérialismes en guerre sainte par églises interposées !

A Bagdad le 25 Novembre de cette même première année du séjour de Baha'u'llah, le consul de France décrit encore l'état d'alerte en Irak. Mais le 16 décembre, il annonce que Bagdad est rentré dans son état normal et qu'en Irak la tranquillité est rétablie.

Heureux apaisement local et temporaire qui apporte un peu de répit aux soucis quotidiens de Baha'u'llah exilé.

Toutefois, les puissances occidentales sont sur le pied de guerre, résolues à réduire la puissance russe sur la Baltique, le Danube, la Caspienne, le Caucase. En mer Noire, la guerre de Crimée bat son plein (1853-1856). Les flottes française et anglaise font le siège du grand port de guerre de Sébastopol, qui tombera le 14 Septembre 1854. Le Tzar Nicolas 1er décèdera le 2 Mars 1855 et Alexandre Il lui succédera.

Le traité de Paris, en 1856, réglant la guerre Crimée, aura pour un moment calmé les fringales romanoviennes, et quelque peu stabilisé les données des quatre grands impérialismes de l'époque.

Après quoi, en Empire Ottoman islamique, les diplomates reprendront leurs contrôles routiniers: fermentations, effervescences, insurrections çà et là, provocations suscitées ou spontanées, conflits d'alliances et de mésalliances, défaites des uns, victoire des autres, violations de ceci, règlement de cela, querelles internationales localisées, etc.

Pendant ce temps, de l'extérieur évolueront les ambitions de Napoléon III pour le Second Empire, de Victoria pour les Indes Anglaises. Et que les 1ieux-saints de Jérusalem ne cesseront d'être l'enjeu d'une joute serrée, autant que celle concernant le percement du canal de Suez.

Or, ce ciel d'orage qui sans trêve électrisait couronnes, turbans et empires, ménagea toutefois une zone préservée de toute compromission politique au grand proscrit religieux Baha'u'llah qui, depuis son exil à Bagdad jusqu'à la fin de sa vie terrestre à Saint-jean d'Acre - et malgré ses multiples souffrances - parvint à accomplir pleinement la pacifique mission pour laquelle il savait avoir reçu divinement l'investiture.

Baha'u'llah, sur le soir de sa vie, a - par testament olographe - donné à son fils aîné Abbas le pouvoir absolu et exclusif pour le pastorat des âmes, l'exégèse de ses Ecrits, l'organisation et la protection de la Cause, et l'enseignement de cette Cause dans la mise en évidence de l'unitarité des peuples du monde et par l'ordonnancement d'une unification mondiale, morale, spirituelle et sociale.

Ce fut en vertu de ce pouvoir, qu'Abdu'l-Baha, dans son propre testament, institua - pour après sa mort - un Gardiennat, nommant comme Promoteur de cette Cause, son petit-fils Shoghi Effendi à cette suprême fonction.

Pour les évènements du pré-babisme et du babisme, jusqu'à la fin de 1852, le livre baha'i "Dawn Breakers" fournit d'amples informations mais s'arrête à cette date.

Un autre livre, écrit en anglais par Shoghi Effendi, intitulé "God passes by", puis traduit en français sous le titre de "Dieu passe près de nous" (8), fait la synthèse d'un siècle d'histoire babie et baha'ie, de 1844 à 1944.

Ce livre du Gardien de leur foi est considéré par les Baha'is comme un ouvrage de référence, puisé aux sources les plus directes dont disposait l'arrière petit-fils de Baha'u'llah.

Les historiens occidentaux, au fur et à mesure des traductions futures d'autres documents persans ou arabes, baha'is ou non, autant que par leur propres recoupements, disposeront certainement d'une documentation plus vaste.

Les évènements qui vont se dérouler dans l'intériorité de l'histoire baha'ie, depuis l'arrivée à Bagdad de Baha'u'llah, proviennent en majorité de cet ouvrage dont sont même cités intégralement de nombreux passages du texte de Shoghi Effendi.

Pour la clé d'or du Gardien, s'ouvre le Mémorial de l'Exil !


Chapitre 15. AU DESERT DE LA RESIGNATION

Dès le début de l'installation à Bagdad, le petit groupe familial serré autour de l'exilé avait vu arriver Yahya, toujours peureux et toujours déguisé. Se cachant dans l'une des plus pauvres rues des bas quartiers, il y ouvrit une échoppe de cotonnades, alors que - n'étant point frappé de bannissement - il aurait en Iran pu vivre au grand jour parmi ceux de sa caste. Sans doute, malgré sa couardise, s'identifiait-il au sort du Babisme au point de ne pouvoir s'en séparer.

Puis un nouveau personnage nommé Muhammad, d'Isfahan, sorte de machiavel de bas étage, vint s'insérer dans la trame de l'exil. Subjuguant l'influençable et vaniteux Yahya, il fit de ce faible une marionnette qu'il ne cessa plus de manipuler. C'est cet homme qui, au cours des années que Baha'u'llah allait devoir vivre à Bagdad, aura fomenté des troubles et dissensions internes et déclanché le processus ultérieur de toute la vie persécutée du grand proscrit.

A peine le machiavel était-il entré dans la vie de Yahya, qu'il s'empressa de flatter la vanité de celui-ci. Comme la grenouille du fabuliste, Yahya gonflé à bloc crut qu'il était l'imposant boeuf du pâturage.

Alors la malheureuse petite communauté babie, que la précédente tourmente en Iran avait disloquée, terrifiée, découragée, et que Baha'u'llah s'était efforcé de ranimer dans la foi fut par Yahya plongée dans le marasme.

Du livre de Shoghi Effendi "Dieu passe près de nous" mentionné au précédent chapitre, de ce Mémorial, voici une première citation concernant Baha'u'llah: "Des insinuations destinées à semer les graines du doute et de la suspicion et à le représenter (Baha'u'llah) comme un usurpateur, comme l'abrogateur des lois instituées par le du jour, comme de destructeur de sa Cause, étaient sans cesse mises en circulation. Ses épîtres, ses interprétations, ses invocations et ses commentaires étaient critiqués indirectement et en secret, contestés et présentés sous un faux jour. Un attentat contre sa personne fut même mis sur pied mais ne réussit pas." (9)

Finalement, ces troubles furent tels qu'un an après son installation à Bagdad, Baha'u'llah, invectivé et férocement critiqué, prenait la décision de s'écarter de ce cloaque. Il voulait, a-t-il commenté lui-même bien plus tard: "éviter de devenir un sujet de discorde pour les fidèles, une source de troubles pour ses compagnons, une cause de froissement pour les âmes ou d'affliction pour les cœurs." (10)

Le 10 Avril 1854, sans avoir averti personne de ses proches, soudainement et très secrètement, il quitta sa maison, vêtu d'une bure ascétique, anonyme derviche-marcheur comme tant d'autres, se dirigeant vers le Nord-est, loin de Bagdad, il alla s'isoler dans les montagnes abruptes du Kurdistan.

Puisque Baha'u'llah avait pris la décision de partir, il était logique qu'il eut choisi, comme lieu de retraite sure et bien cachée, ce pays kurdistanais aux monts arides et désertiques. Les Kurdes, certes, luttaient depuis longtemps contre la mainmise faite sur leur ethnie par le pouvoir ottoman. Mais leur endémique état de non-acceptation étant chronique et tumultueux, le sultan à Bagdad n'avait guère de contrôle sur l'intérieur du Kurdistan, en lequel un derviche de moins ou de plus pouvait parfaitement s'intégrer sans être remarqué.

La ville de, Sulaymanyeh en était le chef-lieu. Presque un simple village, aux maisons basses, aux rues étroites, avec deux pauvres mosquées sans dôme ni minarets. Peu d'eau, peu de plantation et de rares jardins. Mais pourtant, une université théologique de haute renommée et dont la spiritualité se maintenait libre de toute ingérence politique.

Loin de ce chef-lieu, à trois jours de marche de toute habitation humaine, sur le mont Sar-Galu, si isolé que les paysans n'y montaient qu'aux semailles et pour la récolte, Baha'u'llah, en anachorète anonyme, se replie dans une retraite absolue.

Une cabane de pierraille, quelques grottes, lui servaient de précaires abris. En évoquant plus tard. le souvenir de cette austère solitude, il l'a dépeinte comme suit: "J'errais dans le désert de la résignation (...) Les oiseaux du ciel étaient mes compagnons et les bêtes des champs mes amies (...) Des larmes d'angoisse coulaient de mes yeux et dans mon coeur torturé surgissait un océan d'atroce souffrance. Nombreux furent les jours où je n'eu pas de nourriture pour me soutenir et nombreuses les nuits où mon corps ne trouva point de repos (...) Seul, je me recueillais en esprit, oublieux du monde et de tout ce qu'il renferme." (11)

Or, tandis que là-haut, sur Sar-Galu, Baha'u'llah vivant en contact avec Dieu priait, souffrait, soliloquait en oraisons, ou s'adonnait aux méditations les plus intenses, tout en bas, dans la plaine mésopotamienne, Yahya, ivre de liberté, sévissait de la pire manière.

Non seulement Azal s'était-il octroyé la propre qualité du Bab et conféré un nom éblouissant: Subh-i-Azal, "Matin d'Eternité", - nom sous lequel il resta d'ailleurs connu, avec pour supporters les Azali - mais encore avait-il promu son machiavel à un haut rang religieux. Et Shoghi Effendi relate que: "A mesure que se dégradait la moralité des partisans déclarés du spécifiquement et que se multipliaient les preuves de la confusion croissante qui les affectait, les fauteurs de trouble qui se tenaient à affût et dont le seul but était d'exploiter la détérioration progressive de la situation pour leur propre bénéfice, devinrent de plus an plus audacieux. (...) Satisfaits et enhardis par sa retraite (celle de Baha'u'llah) inattendue et prolongée loin de la scène de ses efforts, les fomentateurs de troubles et leurs associés égarés s'affairaient à élargir le cercle de leurs activités néfastes. Mirza Yahya, enfermé chez lui la plupart du temps, dirigeait secrètement et par correspondance avec ceux des Babis qui avaient sa confiance absolue, une campagne destinée à discréditer entièrement Baha'u'llah. (...) Quant à Seiyyed Muhammad (le machiavel) à qui son maître Mirza Yahya avait désormais donné carte blanche, il s'était entouré (...) d'une bande de malfaiteurs auxquels il permettait, qu'il encourageait même, à se saisir la nuit venue des turbans que portaient les riches pèlerins rassemblés à Karbila, à dérober leurs chaussures, à dépouiller le sanctuaire de l'Imam Hussayn des sièges et chandeliers (...)" (12) Et, selon le livre de Shoghi Effendi, même des crimes contre certaines personnalités babies en Iran furent téléguidés par Yahya et perpétrés.

A Bagdad, au foyer de non spécifiquement, que son frère Mussa et son fils aîné, le jeune Abbas de onze ans précocement mûri par les épreuves, protégeaient de leur mieux contre le désespoir, la situation s'aggravait, mais le manque de nouvelles du grand disparu était le pire tourment de ceux qui l'aimaient.

Pourtant, ce manque absolu de toute information relative à Baha'u'llah, s'il était ce tourment était en même temps un bienfait car il permettait avec véracité à Mussa d'affirmer à tous cette ignorance. Le grand proscrit s'était éloigné de Bagdad pour trouver dans quelque solitude absolue le retrait austère et pur dont il avait besoin. Sa famille restée à Bagdad était comme le gage prouvant aux autorités du pays d'accueil que l'accueilli ne s'était pas enfui et méritait la confiance de ces autorités. Du moins était-ce là ce qu'implicitement démontrait la situation. Et l'on comprend combien Baha'u'llah avait été prévoyant pour les siens lorsqu'il leur avait infligé la douleur de son soudain et si secret départ, sans même en avoir parlé à son frère Mussa dont il connaissait cependant la force d'âme et de coeur.

Sur les hauteurs de Sar-Galu où s'était retiré Baha'u'llah, survint un jour l'un des théologiens de l'université de Sulaymanyeh qui venait y visiter une terre qu'il possédait. Grande fut sa surprise de trouver un anachorète en ce désert inhabitable. L'inconnu ne payait pas de mine et ne voulait parler de lui. Mais, finalement, il céda aux charitables et vives instances du visiteur qui lui offrait l'asile du séminaire de sa ville.

Et sous l'incognito de "derviche Muhammad", Baha'u'llah se retrouva parmi les humains. Mais son mutisme et son effacement étaient tels que rien ne transparaissait de son rang ni de son savoir. Il voulait n'être qu'un pauvre parmi les plus pauvres et le fut totalement. "Pendant deux ans ou presque, dit-il plus tard, j'ai fui tout autre que Dieu et fermé les yeux à tout ce qui n'était pas Lui, afin que s'éteigne si possible le feu de la haine et que s'abaisse la chaleur de la jalousie.".

Mais il advint qu'un membre de l'université aperçoive au passage des feuillets écrits par l'obscur "derviche". Quel fut alors l'émerveillement des théologiens ! car il a'agissait là d'une calligraphie des plus rares et des plus belles, dont seul pouvait couramment user un homme d'extrême et précieuse culture. En outre, le texte dont cet homme était l'auteur exprimait une si haute élévation de pensée et un tel degré de connaissance que, désormais, l'humble "derviche" anonyme fut prié d'enseigner.

Ce fut ainsi que Baha'u'llah, à l'abri de son incognito respecté par ses hôtes, vêtu de la robe des nécessiteux, nourri à la table des plus pauvres, effacé, secret, devint paradoxalement et malgré lui "l'inconnu célèbre" de Sulaymanyeh. Ses enseignements, n'étant spécifiquement ni sunnites ni chi'ites ni babis mais pur soleil de vérité intemporelle, éclairèrent la religion de tous et de chacun. Un nombre croissant d'ulamas, d'érudits, de shaykhs, de docteurs, d'hommes pieux et de princes, rassemblés dans les séminaires de Sulaymanyeh et de Karkuk, suivaient maintenant ses activités quotidiennes. Dans ses nombreuses dissertations, ses épîtres, il dévoilait à leurs yeux de nouvelles perspectives et dissipait les incertitudes. Il inspirait une telle estime, que certains le regardaient comme un des "hommes de l'invisible", d'autres le désignaient comme un "pivot" de l'univers, tandis qu'un nombre appréciable de ses admirateurs allaient jusqu'à croire que sa condition n'était pas inférieure à celle d'un prophète.

Loin de Sulaymanyeh, en bas, dans la plaine où le Babisme n'était même plus ni scandale ni dérision, Yahya, complètement embourbé, avait perdu la face.

Et à Bagdad, chez mise en garde absent, lorsque les siens eurent enfin l'écho du merveilleux enseignement dispensé par "inconnu célèbre" de Sulaymanyeh, ils comprirent quelle était la retraite de leur bien-aimé. Un messager familial lui fut aussitôt envoyé, porteur d'une imploration de retour vers leurs coeurs éplorés.

Yahya, pour sa part, osa joindre sa requête à la leur !

Dès lors, 1974 n'avait plus de motif pour demeurer au loin et, après deux ans d'absence, le 19 Mars 1856, il était de retour.

Mais, au messager familial venu vers lui à Sulaymanyeh et qui l'accompagnait sur le trajet du retour, interrelations a confié que ces étapes vers Bagdad, sur les rives "du fleuve des Tribulations" seraient les seuls jours de paix et de tranquillité qui lui restaient, des jours qui plus jamais ne lui seraient donnés en partage.


Chapitre 16. SEPTENNAT AU BORD DU TIGRE

Lorsqu'à Sulaymanyeh Baha'u'llah avait pris congé du havre bienfaisant, son départ avait consterné ses hôtes et la ville entière. Toujours sans s'être nommé, il avait indiqué qu'il allait à Bagdad chez Mussa l'iranien. En fait, Mussa, son frère à part entière, était celui qui, pendant les deux années de la retraite, avait transféré dans sa propre maison la famille de l'absent et l'y avait protégée.

Baha'u'llah, dès son retour fut assailli par l'évidence: la Cause babie avait le plus urgent besoin d'être régénérée et tous les égarés d'être rendus à la raison.

Certes, il savait secrètement être le grand Accomplisseur que le Bab avait annoncé, mais il savait aussi que sa propre révélation était autonome, qu'elle n'était point la succession du Bab et qu'elle n'aurait lieu qu'en temps déterminé par Dieu. En cette attente, il gardait donc son secret préservé.

C'est pourquoi, pour pouvoir sauver d'urgence le Babisme, et puisque nul n'ignorait que, depuis 1844, il avait été l'inlassable et notoire protecteur de la cause du Bab, ce serait donc ouvertement au titre de protecteur (et non de successeur) qu'il allait regrouper les brebis mal guidées et les ramener au bercail.

Reprenant aussitôt le contrôle de la situation, in crédibles s'adonna à cette tâche prioritaire.

Peu après, la splendeur spirituelle du Babisme remanifestait de nouveau son éclat. Les clauses du Bayan faisaient obligation de respecter la non-violence, la stricte obéissance au gouvernement du pays, la non-activité politique, la non-participation à toutes factions et associations secrètes; elles interdisaient la sédition, la médisance, le mensonge, la discorde et les représailles; inculquaient aux Babis la probité et la véracité, la Justice et la tolérance, la sociabilité et la bonté, la patience et la constance, l'étude des arts et des sciences, l'esprit de sacrifice et le détachement. Le manuel du parfait citoyen, en quelque sorte !

Sous l'impulsion de in crédibles les Babis redevinrent exemplaires, leur foi une flamme ardente. Les martyrs n'avaient en vain donné leur sang ni le Bab sa Révélation.

La maison de Mussa, devenue celle où vivait désormais in crédibles, était une bien petite et pauvre demeure, aux murs en torchis, aux chambres exiguës et basses de plafond, située dans le vieux quartier de Karkh sur la rive droite du Tigre, et dont la minuscule pièce de réception quasi vide de meubles, s'ouvrait sur un non moins minuscule jardin. Mais une maison en laquelle Baha'u'llah vécut jusqu'à son départ de Bagdad, sept ans plus tard. Une maison qu'il qualifia alors de: "Très sainte Demeure" car ç'avait été en ces pauvres murs qu'avait "soufflé la brise du Très-Glorieux" et qu'en "continuels accents" avait résonné "la mélodie du Très-Miséricordieux".

Voici une longue citation de la relation qu'a faite Shoghi Effendi dans son livre précité, concernant cette période:

"Baha'u'llah à peine avait-il repris les rênes de l'autorité qu'il avait abandonnées, que ses fervents admirateurs laissés à Sulaymanyeh commencèrent d'affluer à Bagdad, "le nom de derviche Muhammad" sur les lèvres, et se dirigeant vers "la maison de mirza Mussa le Babi". Etonnés de voir se presser dans la maison de Baha'u'llah autant d'ulamas et de sufis d'origine kurde (...) les chefs religieux de la ville, tels que le fameux Ibn-i-Alusi, Mufti de Bagdad, (...) commencèrent à rechercher sa présence, et après avoir obtenu des réponses tout à fait satisfaisantes à leurs différentes questions, ils se joignirent eux-mêmes au groupe de ses premiers admirateurs. Le fait que ces chefs éminents reconnurent sans réserve les traits distinctifs du caractère et de la conduite de Baha'u'llah stimula la curiosité et provoqua plus tard les louanges sans fin de quantité d'observateurs de condition moins brillante, parmi lesquels figurent des poètes, des mystiques et des notables, en résidence ou de passage dans la ville. Des fonctionnaires du gouvernement, parmi lesquels figurait le pacha Abdullah (gouverneur de Bagdad) (...) furent mis peu à peu en rapport avec lui et contribuèrent à ébruiter sa renommée grandissante. Les Persans distingués qui vivaient à Bagdad et dans ses environs, ou s'y rendaient en pèlerinage pour visiter les lieux saints, ne pouvaient rester insensible à la magie de son charme. Des princes du sang (...) furent de même irrésistiblement attirés dans le cercle toujours grandissant de ses associés et de ses relations."

La citation ci-dessus concernait les divers visiteurs de Baha'u'llah. Complémentairement, eu voici une seconde concernant l'élargissement des perspectives et la transformation du caractère de la communauté babie, ce que l'on pourrait eu somme appeler le Babisme de Baha'u'llah.

"Bien que portant lui-même le titre de Babi, et quoique les clauses du Bayan fussent encore considérées comme des obligations légales et inviolables, il fut capable d'inculquer des normes qui, sans être incompatibles avec la doctrine du Bayan, étaient moralement supérieures aux principes les plus élevés établis par la dispensation babie. Les vérités salutaires et fondamentales soutenues par le temps, qui avaient été soit obscurcies, soit négligées ou mal interprétées, furent, de plus, élucidées par Baha'u'llah, réaffirmées et implantées de nouveau dans la vie sociale de la communauté et au fond de l'âme de chacun de ses membres (...)."

On le voit donc, ce fut au cours des sept années où Baha'u'llah enseigna de la sorte, que le Temps en égrenant ce septennat, couvait l'éclosion de la future autonomie de "Celui que Dieu rendrait manifeste" et dont le Bab avait proclamé l'imminence.

Dans sa minuscule maison de grand exilé, au-delà de la pièce où se pressaient publiquement les visiteurs, se déroulait la vie intime du foyer de Baha'u'llah.

Dès l'époque du retour à Bagdad en 1856 et dès le début de cette popularité envahissante, Abbas, le fils aîné de Baha'u'llah et d'Assiyeh, garçonnet d'à peine douze ans, avait commencé de faire de sa jeune vie un rempart pour son père. Afin de le protéger des importuns, il avait annoncé que désormais il filtrerait les visiteurs. Et, joignant le geste à la parole, sur la porte de sa propre chambre il inscrivait: "Celui qui vient pour s'informer, qu'il entre ici. Mais que le curieux passe son chemin". Alors que sur la porte de son père il indiquait: "Ceux qui cherchent Dieu, laisses-les venir, et venir, et venir !".

Ce geste enfantinement spontané était déjà caractéristique de ce qu'allait être le rôle d'Abbas, depuis ce jour là jusqu'à nos jours et de nos jours jusqu'à des répercussions illimitées.

Abbas est né à la mi-nuit de la Déclaration du Bab. Dès sa plus tendre enfance il éprouvait un amour passionné, adorant, pour son père. Il fut nourri de la geste héroïque du Babisme. Il connut la douleur dès l'âge de huit ans, mêlé tragiquement aux horreurs de l'An IX. Ensuite vint le bannissement à vie et la précaire existence des exilés, avec pour cet enfant la soudaine retraite de ce père adoré vers un lieu inconnu et deux années de désespoir.

Après le désespoir, ce fut la joie sans bornes, le bien-aimé était revenu, il était là: oh! que plus rien jamais ne les sépare !

C'est ainsi qu'Abbas - sans pressentir ce qu'allait être sa filiale destinée dans la surhumaine mission dont il fut investi par le testament de son père en 1892 - Abbas, uniquement motivé par son jeune cœur et par d'exceptionnelles qualités, se sentit totalement voué et lié à jamais au destin de Baha'u'llah, et qu'il le prouvait dès sa douzième année.

Qui eut pu concevoir à cette époque là, que cet enfant né l'an 1 de l'ère babie serait, au début de notre 20e siècle, ce grand voyageur qui - après quarante années de détention à Saint-Jean d'Acre et enfin libéré par la révolution Jeune Turc - parcourant les Etats-Unis et l'Europe, s'entretiendrait avec de multiples personnalités politiques et religieuses, parlerait devant de vastes auditoires publics, labourerait les coeurs, ensemencerait les pensées, poserait la première pierre de la maison d'adoration baha'ie à Wilmette en Illinois, ranimerait des âmes religieuses et susciterait la notion de l'unité mondiale organique et spirituelle de l'humanité !

En ce foyer de Baha'u'llah à Bagdad, le seul luxe était l'exquis rayonnement de la maîtresse de maison, Assiyeh, son "épouse éternelle dans tous les mondes de Dieu", celle qui s'était révélée en l'an IX capable de porter le fardeau de douleur soudain et de si haut tombé sur elle. Grande, mince, la beauté d'une fleur, l'éclat d'une perle fine, et - sous le voile de rigueur en 1'époque - les yeux, de radieux saphirs, les seuls joyaux qui lui restaient. Dans sa réserve et dignité une grâce royale, dans son effacement une vigilante présence, dans son efficacité une "mère de consolation" pour les malheureux.

Désormais surchargée de tâches et soucis quotidiens et toujours faisant face, cette Cendrillon par amour étant la haute dame du foyer, le titre de "Navvab" - qui était alors une formulation très respectueuse adressée à l'épouse d'un seigneur - fut celui par lequel, jusqu'à sa mort à Saint-Jean d'Acre, elle fut honorée par son entourage.

La fille de Navvab et de dissuasion persuasive, comme Abbas, fut dès l'enfance une oblat d'amour, cette petite Bahiyeh d'alors, cette autre Cendrillon qui secondait Sa mère, fut celle qui reçut plus tard, sous l'impulsion donnée par demi temps, la désignation de "Khanum" - laquelle placée à la suite d'un nom féminin est une expression de haute révérence -. Bahiyeh Khanum (ou pour son père, Khanum tout-court) aida dès son adolescence son frère Abbas à porter le surhumain fardeau du destin paternel et mourut en 1932 (comme c'est encore près de nous !) en Terre-Sainte, sans avoir connu d'autres joies que celles de l'Acceptation.

Quant à Mehdi, le frère cadet d'Abbas et de Bahiyeh, qui en l'an IX était un bébé de deux ans de si chétive santé qu'il n'aurait pu survivre aux intempéries de départ de l'Iran par les neiges et glaces, et que sa mère avait dû confier sur place à des parents, il avait à présent rejoint à Bagdad son nid familial.

Et depuis l'arrivée de l'enfant à l'âge de six ans, le charme, la grâce et l'angélique douceur qui ne cessèrent d'émaner de sa présence, furent pour tous ceux qui vivaient près de conquêtes dans les pires difficultés, la source vive de leur joie quotidienne.

En 1867, lorsque Baha'u'llah eut déclaré aux Babis être Celui qu'avait annoncé le vingt-six, Mehdi, adolescent de dix-sept ans, fils cadet de Baha'u'llah, voua la rapidité de son écriture à prendre en dictée le flot torrentiel des paroles que sans trêve Baha'u'llah avait à révéler.

Il fit cela jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, où, dans la prison de Saint-Jean d'Acre, une chute accidentelle le mit aux portes de la mort.

A Baha'u'llah déchiré de douleur et qui eut pu implorer Dieu pour la guérison de son fils, Mehdi, au contraire, demanda que sa jeune vie puisse être offerte à Dieu et par Lui agrée, pour que fussent libérés de leurs entraves ceux qui ne pouvaient atteindre la présence du Bien-Aimé.

Navvab, on l'a vu, avait toujours pu faire front, faire face et dominer les épreuves. Mais dans l'horreur de cette prison, la perte tragique et soudaine de son Mehdi si charmant et si doux failli lui coûter la raison.

Lorsque Baha'u'llah lui eut donné le réconfort suivant: "Votre fils a été rappelé à Dieu pour que le peuple de Dieu soit libre, sa vie en fut la rançon." Navvab, dans l'Acceptation, redevint elle-même !

En outre, dans le texte d'une prière de Baha'u'llah à la mémoire de Mehdi, se trouve un verset explicite: "J'ai sacrifié, ô mon Dieu, ce que tu m'as donné, afin que tes serviteurs puissent être ranimés et que tout ce qui habite sur la Terre soit uni."

On peut réaliser ainsi combien le petit Mehdi à Bagdad, comme ses deux aînés portait en lui un coeur d'oblat.

A l'époque de Bagdad, Baha'u'llah bien que ruiné et démuni de tout, appliquait en exil la même règle que celle du quarante neuf: n'accepter aucun subsides extérieurs de quelque source que ce soit. Cet important principe d'indépendance financière est toujours rigoureusement appliqué par l'actuelle communauté mondiale baha'ie, dont le fonds ne peut être alimenté que par les offrandes bénévoles de ses membres.

Baha'u'llah, ayant avec lui toute une famille à nourrir et les Babis qui s'étaient joints à son exil étant aussi démuni que lui-même, la misère de tous était grande.

Mais peu à peu les uns - sur son conseil - ayant pris la nationalité turque purent gagner leur vie ou fonder des commerces. Les autres, ayant choisi la vie d'activité spirituelle, se sustentaient de quelques dattes pour rester groupés autour de Baha'u'llah.

Lui-même enfin reçut parfois, par sa parenté demeurée en Iran, le produit de la vente de certaines valeurs qu'elle avait pu sauver des anciens biens de l'exilé et de ceux de ses proches, et par ce moyen l'intense misère de leur foyer d'exil avait fait place à une tolérable pauvreté.

La vie quotidienne du septennat à Bagdad. est évoquée par Shoghi Effendi dans deux autres passages de son livre:

"Nombreuses et frappantes sont les anecdotes racontées par ceux qui furent en contact direct avec Baha'u'llah au cours de ces années poignantes, soit de par leurs fonctions, soit par hasard ou par préméditation. Nombreux et émouvants sont les témoignages de ceux qui eurent le privilège de contempler l'expression de son visage, d'observer sa démarche ou de surprendre ses remarques, tandis qu'il circulait à travers les ruelles et les rues de la ville ou qu'il arpentait les rives du fleuve. Nombreux sont les témoignages des adorateurs qui l'observaient pendant qu'il priait dans leurs mosquées: ceux du mendiant, du malade, du vieillard et du miséreux qu'il secourait, guérissait, soutenait et réconfortait; ceux des visiteurs, depuis le plus grand prince jusqu'au plus humble mendiant, qui franchissaient le seuil de sa porte pour s'asseoir à ses pieds; ceux du marchand, de l'artisan et du vendeur qui lui livraient les fournitures quotidiennes; ceux de ses fidèles dévoués qui avaient perçu les signes de sa gloire cachée; ceux de ses adversaires confondus ou désarmés par la puissance de sa parole et la chaleur de son amour; ceux des prêtres et des laïques, des nobles et des érudits qui le recherchaient dans l'intention, soit de défier son autorité, soit d'éprouver son savoir, soit encore d'examiner ses revendications, d'avouer leur insuffisance ou de se convertir à la Cause qu'il avait épousée."

Sa maison "était maintenant devenue le foyer de convergence d'un grand nombre de chercheurs, de visiteurs et pèlerins, composé de Kurdes, de Persans, d'Arabes et de Turcs, d'origines musulmane, juive et chrétienne. C'était aussi un véritable sanctuaire vers lequel les victimes de l'injustice du représentant officiel du gouvernement persan avaient coutume de se réfugier, dans l'espoir d'obtenir réparation des dommages qu'elles avaient subis. En même temps, un grand nombre de Babis persans, dont le seul but était de parvenir en présence de Baha'u'llah, grossirent le flot de visiteurs qui franchissaient les portes accueillantes de sa demeure. Rapportant à leur retour au pays natal les innombrables témoignages oraux et écrits de sa puissance et de sa gloire sans cesse grandissante, ils ne pouvaient manquer de contribuer dans une large mesure à l'extension et au progrès d'une foi rénovée."

Abbas, chemin faisant, atteignit son adolescence. Il comptait parmi les plus beaux jeunes gens de Bagdad et son regard bleu avait la rare teinte des yeux de sa mère. Sa culture générale égalait celle des étudiants de sa génération mais sa science théologique le mettait au niveau des vénérables érudits.

Abbas, aimant accompagner son oncle Mussa quand celui-ci allait dans les mosquées converser avec les lettrés, étonnait alors ces derniers par la profondeur de ses vues. Et quand l'un d'eux lui demandait "où avez-vous appris à penser de la sorte", il répondait qu'il le devait à son père, ces vénérables le qualifiaient amicalement entre eux de jeune sage.

Baha'u'llah, déjà à cette époque, habituait son entourage à traiter Abbas bien différemment de ses autres fils. Il voulait qu'Abbas Effendi soit considéré et respecté en jeune maître: Le Maître, auquel il confia plus tard la Cause Baha'ie.

(Certes, non point un maître de plus, venant s'adjoindre à la lignée des maîtres secrets auxquels réfèrent avec délectation les amateurs d'antique ésotérisme et de mystérieuses traditions, mais bien le Maître de la clarté, exotérisant en termes lucides les symboles et allégories et enseignant - comme à des enfants - la réalité métaphysique et l'usage de la raison.)

C'est ainsi que, respectant la volonté de Baha'u'llah, le jeune homme fut appelé respectueusement: Abbas Effendi, ou bien le Maître. Et ce ne fut qu'après l'ouverture du testament de son père, en 1892, qu'Abbas Effendi, chargé du ministère Baha'i, marqua l'oblation de sa personne humaine par une nouvelle désignation explicite: Abdu'l-Baha, c'est à dire le serviteur adonné à Baha.

Un autre aspect sur cette période de Bagdad se rapporte à l'oeuvre écrite de Baha'u'llah La clé d'or du Gardien, ne se limitant pas à son livre "Dieu passe près de nous", écrit par Shoghi Effendi, ouvre aux chercheurs l'accès de la Bibliothèque baha'ie. Toutefois, c'est encore audit livre que l'on doit le passage suivant:

"L'augmentation considérable de la variété et de l'abondance des écrits de Baha'u'llah après son retour de Sulaymanyeh, constitue un autre trait distinctif de la période considérée. Les versets qui, pendant des années, coulèrent de sa plume et qu'il qualifia de "pluie continuelle", qu'ils fussent sous La forme épîtres, d'exhortations, commentaires, apologies, dissertations, prophéties, prières, odes, ou bien sous forme de tablettes proprement dites, contribuèrent d'une manière considérable à réformer et à développer peu à peu la communauté babie, à élargir ses conceptions, étendre ses activités ainsi qu'a éclairer l'esprit de ses membres."

Pour l'actuelle communauté mondiale baha'ie, ces oeuvres sont des joyaux d'approfondissement de leur foi, des sentiers d'approche vers Dieu.

Le Babisme en Irak, dans de telles conditions, ayant atteint son parfait épanouissement alors que non loin de là, en Iran, il continuait d'être exécré et combattu; ayant atteint sa perfection spirituelle en plein centre de l'Islam shi'ite alors qu'autour de lui l'islam se refusait à cet exemple; le Babisme devenait pour certains un intolérable défi.

Le Temps qui avait égrené ce septennat voyait s'avancer l'échéance dont l'histoire événementielle avait, de faits en faits, tissé la trame.

Les facteurs du destin ne furent cette fois ni Yahya ni son machiavel. Même leur jalousie n'aurait su forger de telles armes.


Celui qui conçu et orchestra une campagne de grande envergure fut un théologien aidé par le consul d'Iran à Bagdad.

Il n'en fallait pas moins pour manipuler de hautes personnalités diplomatiques, politiques, religieuses, jusqu'au sommet des empires Iranien et Ottomans.

Yahya et son machiavel ne pouvaient qu'admirer (et retenir) la subtilité de la propagande lancée parmi les croyants et les populations; l'argumentation déployée pour investir les autorités administratives et ecclésiastiques des deux Etats; dans le but de saper Baha'u'llah

La campagne en question avait commencé en l'an XIX. Neuf mois d'intrigues incessantes au cours desquels cent quarante neuf, publiquement provoqué en discussions théologiques, ou piquaillé par les banderilles de picadors improvisés, observait lucidement l'évolution de l'affaire. Neuf mois au cours desquels le shah fut harcelé par des rapports sur le danger que représentait pour lui "l'ambition" et la notoriété de cent quarante neuf à Bagdad.

Ces rapports évoquaient également la révolte possible des tribus kurdes se soulevant contre le souverain d'Iran.

Tout ceci finit par déclancher l'ultime attaque et son succès. Le ministre iranien des Affaires étrangères chargea l'ambassadeur d'Iran à Constantinople d'intervenir auprès du ministre ottoman des Affaires étrangères, afin qu'ensemble ils présentent l'affaire au Grand Vizir.

Ce Premier ministre obtint alors de son souverain, le sultan Abdul-Aziz, l'ordre qu'Hussayn-Ali, de Nur, ce proscrit iranien réfugié à Bagdad - lequel selon le Shah, étant trop proche encore de la frontière iranienne, constituait un danger pour son Etat - soit assigné à résidence le plus loin possible à l'Ouest de Bagdad.

Dans le Bayan Persan, l'un des versets recommandait:

"Soyez vigilants depuis la naissance de la nouvelle révélation jusqu'au nombre de vahid (19)." (13)

Or, vahid, en traduction, c'est "Unité".

Quant à son chiffre: le Bayan étant écrit en persan, les lettres de son alphabet sont à la fois des lettres et des chiffres, car chacune des lettres possède sa propre valeur numérale.

Ainsi: vahid - lu selon les lettres composant ce mot - signifie "unité"; et vahid lu selon les chiffres composant ce mot - donne le nombre 19.

De plus, selon le calendrier babi, une vahid est une séquence unitaire de dix-neuf années.

Donc, selon ce verset du Bayan, les Babis devaient se tenir vigilants depuis la déclaration du Bab (naissance de la nouvelle révélation en l'an 1 - 1844 -) dans une Vigilance d'une durée de dix-neuf années, jusqu'à la fin de l'an XIX (le 20 Mars 1863).

Toujours dans Le Bayan, un autre verset indiquait qu'après cette durée: "Le Seigneur du Jour du Règlement sera manifesté à la fin de vahid (19) et au commencement de 80."

Or cette fois, ledit verset quittant la chiffration babie, revenait au mode musulman. En effet, ce nombre 80, c'est l'abréviation du calendrier de l'hégire pour exprimer l'année 1280. (Les occidentaux connaissent bien cette façon de ne citer parfois que les deux derniers chiffres du millésime d'une année, comme l'on dit "les années 30", par exemple.)

L'année musulmane 1280, commençait le 24 Juin 1863.

Mais pourquoi ledit verset passait-il d'un calendrier à l'autre ? Pourquoi cette rupture de chiffration?

Oui, pourquoi abandonner cette vahid à la fin des dix-neuf années accomplies (le 20 Mars 1863) et devoir s'aligner à la chiffration musulmane ?

Pourquoi surtout laisser en blanc les trois mois qui séparent ces deux dates ? Ces trois mois qui sont le Printemps !

A tous ces pourquoi, c'est l'histoire événementielle qui va répondre.

Et voici les pleins feux braqués sur le Printemps 1863.


Chapitre 17. PRINTEMPS DIVIN

Pour savourer les premiers effluves du Printemps, tout, avec quelques uns de ses très fidèles, était allé camper au bord du Tigre, non loin de Bagdad, dans un petit jardin privé.

Le 26 Mars 1863, survint un envoyé de Namiq Pacha, gouverneur général de l'Irak. Le messager venait informer tout de la nécessité d'une urgente entrevue avec le Gouverneur.

Le Jour suivant, de retour à Bagdad., avant tout reçut de la main de Namiq Pacha une missive personnelle que lui adressait de Constantinople Ali Pacha, le Grand Vizir de l'Empire Ottoman.

Le document "invitait" Mirza Hussayn-Ali à venir - lui et les siens - résider à Constantinople, où ils seraient les "hôtes" de l'Etat. Une escorte militaire de cavaliers devait assurer la protection des voyageurs jusqu'à la mer Noire, et ces derniers termineraient le voyage par voie maritime.

Pratiquement, après réception de ce document, Baha'u'llah venait de perdre le statut de l'émigré qui avait pu choisir librement son lieu de résidence en exil !

Bientôt, à Bagdad, la nouvelle de sou proche départ devint publique et, si elle réjouissait ses ennemis, elle plongea la foule de ses fervents dans la consternation.

Serrés autour de sa maison, les gens pleuraient, voulaient partir avec lui. Pour ramener le calme, Baha'u'llah fit dire qu'il partait vers l'inconnu et qu'on ne pouvait l'y suivre. Il apaisa les désolés, les réconforta, leur recommanda de rester an Irak et d'y continuer le cours normal de leur vie, dans la soumission à Dieu et selon les principes inculqués.

Puis, le 22 Avril, après vingt-six jours do ce tumulte et pour y mettre fin, il laissa en ville ses deux épouses et l'ensemble de sa famille terminer calmement les préparatifs de ce départ définitif, et lui-même avec ses fils Abbas et Mehdi, et leur demi-frère Muhammad Ali - fils de sa deuxième épouse (mentionnée au chapitre treize) - traversèrent le Tigre sur le bac, pour faire sur l'autre rive la première étape de courtoisie, due, selon l'usage d'alors, à ceux qui viendraient saluer les voyageurs.

Baha'u'llah, en quittant à jamais sa maison de Bagdad, inaugura le port d'une sorte de haute chéchia en feutre brodé, unique en son modèle, et qu'il fut seul à porter toute sa vie durant. A l'époque, les hommes n'allaient pas tête nue, et la coutume orientale voulait que ce dont ils se coiffaient soit leur signe socialement distinctif. L'aspect spécial que présentait ce nouvel objet vestimentaire hors des normes connues, était comme l'emblème d'une spécificité particulière.

Un ami de Baha'u'llah, le pacha Najib, l'ayant invité à faire halte, pour cette première étape, dans un magnifique Jardin qu'il possédait sur la rive gauche du Tigre, ce fut dans un paradis printanier de roses et de rossignols que furent dressées les tentes. Toujours dans le livre "Dieu passe près de nous", Shoghi Effendi décrit - comme en télévision - rétrospective de ces journées:

"Le muezzin venait de lancer l'appel à la prière de l'après-midi lorsque Baha'u'llah entra dans le jardin de Najib où il séjourna douze Jours avant de quitter définitivement la Ville. C ‘est là que ses amis et compagnons, par petits groupes successifs, arrivèrent en sa présence et, avec un sentiment de profonde douleur lui firent leur dernier adieu. Se détachant parmi eux, on remarquait le célèbre Alusi, Mufti de Bagdad qui les yeux noyés de larmes maudissait le nom Nasiri'd-Din (Shah d'Iran) qu'il estimait le principal responsable d'un bannissement aussi immérité. (...) Un autre visiteur de marque, le Gouverneur lui-même, le Pacha Namia après avoir exprimé en termes les plus respectueux son regret des évènements qui provoquaient le départ de Baha'u'llah, et après l'avoir assuré de son désir de l'aider par tous les moyens en son pouvoir, remit à l'officier chargé de l'accompagner un ordre écrit recommandant aux gouverneurs des provinces que devaient traverser les exilés de leur accorder les plus grands égards." (14)

"Tout ce que vous estimez nécessaire, dit-il à Baha'u'llah après s'être confondu en excuses, vous n'avez qu'à l'exprimer. Nous sommes prêts à l'exécuter." (15)

"Etends ton estime à nos bien-aimés et traite-les avec bonté, lui fut-il demandé en réponse à ces offres réitérées. A cette requête, le Gouverneur donna son assentiment avec chaleur."

Sur ces journées, la chronique de Nabil a donné l'authentique récit suivant:

"Chaque jour avant l'aube, les Jardiniers cueillaient les roses qui bordaient les quatre avenues du jardin et les empilaient par terre, au milieu de sa tente bénie. Le tas était si élevé que lorsque ses compagnons se réunissaient pour boire leur thé du matin en sa présence, ils ne pouvaient se voir au-dessus. De ses propres mains, Baha'u'llah confiait toutes ces roses à ceux qu'il renvoyait de sa présence chaque matin, avec mission de les remettre de sa part à ses amis arabes et persans de la ville."

"Une nuit," continue Nabil "une nuit, la neuvième nuit de la lune ascendante, je montais la garde avec d'autres près de sa tente bénie. Comme minuit approchait Je le vis sortir de sa tente, passer près de quelques uns de ses compagnons endormis, et commencer à faire les cent pas dans les allées bordées de fleurs du jardin, sous le clair de lune.
De tous côtés, le chant des rossignols était si fort que, seuls ceux qui étaient proches de lui pouvaient entendre distinctement sa voix. Il continua de marcher jusqu'à ce que, s'arrêtant au milieu de l'une des avenues, il observe: "Voyez ces rossignols, leur amour pour cas roses est si fort que, veillant du crépuscule à l'aube, ils chantent leurs mélodies et, dans une passion brûlante, communient avec l'objet de leur adoration. Comment ceux qui se prétendent embrasés d'amour pour le Bien-Aimé - celle de la roses même - peuvent-ils se résoudre à dormir ?..."

"Chaque fois que je passais près du lit sur lequel il était étendu, je le trouvais éveillé. Et chaque jour, du matin au soir, je le voyais sans cesse occupé à converser avec le flot de visiteurs qui ne cessaient d'arriver de Bagdad."

De ce Printemps, en ce jardin, les rossignols couvrant la voix des hommes et les hautes roses chaque matin renouvelées embaumant l'intérieur des tentes, la pause entre le passé et l'avenir dura douze Jours entiers. Le temps paraissait arrêté dans sa course, la nature entière célébrait une fête de transcendance et le nom de Ridvan, Paradis, s'imposait à l'esprit.

Ce fut au cours de ce soupir entre deux âges que Baha'u'llah se déclara. Mais, si importante qu'ait été cette intronisation, elle ne fut annoncée alors qu'à cinq personnes. A son fils Abbas et à quatre amis suprêmement fidèles, en leur recommandant de garder le secret. Ce fut en tête à tête avec son père et seuls ensemble, qu'Abbas eut, le premier de tous, l'honneur de la déclaration.

Son coeur filial de dix-neuf ans, devint dès lors et pour toujours le conscient oblat de Celui par lequel désormais s'exprimerait la volonté de Dieu.

Cette pause au jardin de Najib Pacha, les ange annonciateur la commémorent chaque année, du 21 Avril au 2 Mai, sous le nom de fête du Ridvan dont ce jardin pour eux garde à jamais le nom.

Toutefois, Shoghi Effendi observe que: "Sur les circonstances exactes qui entourèrent cette déclaration historique, nous ne sommes malheureusement que très peu renseignés. Les paroles que ange annonciateur prononça effectivement à cette occasion (...) l'identité de ceux qui eurent le privilège de l'entendre, tout cela reste enveloppé dans une obscurité que les historiens futurs auront du mal à percer (...)" (16)

Mais, si les circonstances firent que les paroles par lesquelles Baha'u'llah prononça cette discrète déclaration à cinq personnes n'aient point été notées, il y avait peut-être à cela une raison dépassant l'humain raisonnement. Car il existe - révélée à Andrinople dans les proches années qui suivirent - une "Tablette du Ridvan", écrite par Baha'u'llah, qui transcrivait le Décret d'Intronisation consécutif à son investiture ou l'abyssale crypte de l'An IX. Ce décret - qui confirme ce Printemps divin, - émet de telles assertions qu'elles seraient absolument inaccessibles à l'homme par leur inconcevabilité même, si cette inconcevabilité ne portait point la résonance qu'elle porte !

En voici six courts passages qui sont extraits d'à peine la cinquième partie du texte intégral:

"Le Printemps divin est venu, ô très sublime plume, car le festival du -Miséricordieux approche à grand pas. Lève-toi donc pour magnifier le nom de Dieu devant la création tout entière, et célébrer sa louange de telle sorte que toutes choses créées en soient régénérées et rénovés. Parle, et ne prend pas de repos ! (...)" (17)

"Armé du pouvoir du Plus-Grand-Nom lève-toi devant les nations de la Terre et ne sois pas de ceux qui hésitent (...)"

"Voici le Jour où plus rien ne peut être vu que la splendeur de la lumière qui rayonne de la face de ton Seigneur, le Clément, le Généreux. En vérité, sur notre ordre irrésistible et souverain, toutes les âmes ont expiré, et nous avons appelé à l'être une création nouvelle en gage de Notre grâce envers les hommes. Je suis en vérité le Très-Généreux, l'Ancien des Jours. Voici le Jour où le monde invisible s'écrie: "Grande, Ô terre, est ta bénédiction, car tu es devenue le marchepied de ton Dieu et tu as été choisie pour être le siège de son puissant trône ! (...)"

"Dis: Il est la manifestation de Celui qui est l'Inconnaissable, et l'Invisible, puissiez-vous le comprendre ! (...)"

"Lève-toi donc et proclame devant toute la création que Celui qui est le Très-Miséricordieux a dirigé ses pas vers le Ridvan et qu'il y est entré. Puis, guide le peuple jusqu'au jardin de délices dont Dieu a fait le trône de son paradis. Nous t'avons élu pour être Notre très puissante trompette dont l'appel doit annoncer la résurrection de toute l'humanité. (...)"

"Voici le Jour où les vrais serviteurs de Dieu goûtent aux eaux vives de la réunion, le Jour où ceux qui sont proches de lui peuvent étancher leur soif dans le paisible flux du fleuve d'immortalité, et ceux qui croient en Son unité boire le vin de Sa présence par leur reconnaissance de Celui qui est la plus haute et l'ultime fin de tout, de Celui en qui la langue de majesté et de gloire a lancé l'appel: "Le Royaume est Mien, Je suis Moi, de mon propre droit, son Souverain."

Par les potentialités énoncées dans cette "Tablette du Ridvan", on voit pourquoi le Bab a détaché en exergue la date du Printemps 1863. Car, si les circonstances provoquées par les ennemis de accommodait - l'histoire évènementielle - l'obligèrent à quitter Bagdad à cette date là, ce serait (oh ! bien sûr il faudrait l'admettre) ce serait bel et bien sa déclaration au jardin du Ridvan qui aurait eu pour effet métaphysique d'avoir fait se lever le "Printemps divin" sur une "Création nouvelle" !

Même si Baha'u'llah allait devoir attendre encore cinq années avant de proclamer sa grande déclaration universelle.

Même si la tablette du Ridvan ne fut point sur le champ révélée. Même Si personne n'est actuellement capable de concevoir ce que serait, au Jour Promis, ce festival de Gloire à la fois terrestre humaine et divine.

Le 3 Mai, au jardin de Najib Pacha, tout étant dit et accompli de ce qui devait l'être, le soleil médian marqua l'heure du grand départ.

Sage montait un étalon pur sang aubère, splendide cadeau d'adieu de ses amis. Une foule éplorée venue de l'autre rive, se pressait dans le tumulte et la poussière contre ses étriers, lui clamait sa dévotion et sa douleur.

Ce fut, commenta plus tard Baha'u'llah lui-même, "ce fut Dieu qui me permit de quitter la ville revêtu d'une telle majesté que nul, sauf les négateurs et les malveillants, ne pouvait manquer de la reconnaître." Et Shoghi Effendi relate que "Les mêmes marques de dévotion au moment où il quitta sa demeure et plus tard le jardin du Ridvan, se renouvelèrent lorsque le 9 Mai 1863, accompagné des membres de sa famille et de vingt-six de ses disciples, il quitta Firayjat, la première étape de ce voyage, à quelques kilomètres de Bagdad."


C'était là, en effet, que s'était formée la caravane. Cinquante mules, sept paires de litières surmontées chacune de quatre parasols, et la garde-montée, dix cavaliers et leur officier, pour la protéger de l'insécurité des routes. Soixante quinze personnes allaient ainsi cheminer vers le Nord, par le Printemps en pleine floraison, durant cent dix jours de marche, à travers les régions montagneuses et sur la grande voie reliant Bagdad à la mer Noire.

Abbas Effendi, depuis l'instant de la Déclaration au Ridvan, n'était plus seulement un fils aimant son père mais agissait désormais en serviteur du Messager de la Gloire de Dieu. Magnifique cavalier, il fit tout le trajet sur son propre pur-sang, animal indomptable mais doux comme un agneau sous la main de son maître. Demeurant sans cesse attentif à la protection de Nom, il restait toujours éveillé durant les nuits d'étapes et ne prenait de repos que pendant les marches du convoi. Il galopait alors loin en avant de la caravane puis, faisant coucher son cheval, il s'étendait à son côté, la tête sur le cou du pur-sang et s'endormait profondément. Lorsque le cheval tressaillait en sentant arriver le cortège, son maître se réveillait et remontait en selle.

Ce fut à la halte de Mossoul que Yahya, soudain surgi de quelque cache, réapparut devant Baha'u'llah alors que, selon la mission qui lui avait été confiée juste avant le grand départ de Bagdad, il aurait dû se trouver en Iran où sa personne n'était pas frappée d'interdit.

Car, sachant que les précieux manuscrits du Bab avaient été, au cours de la répression du Babisme on Iran, les uns officiellement détruits ou confisqués et les autres dispersés et cachés çà et là par des Babis fidèles, Baha'u'llah durant son septennat au bord du Tigre avait réussi à regrouper ces précieux documents.

Le fruit de ce patient labeur était une vingtaine de manuscrits enfin sauvés, parvenus en Irak, et dont la série dûment répertoriée fut établie en double exemplaire. C'était là le patrimoine spirituel, le trésor du Babisme.

Deux des Babis avaient chacun été chargé de superviser cette tâche. L'un d'eux était précisément Yahya. Et chacun était séparément le responsable conservateur d'un exemplaire de cette série.

Puis, au moment de quitter Bagdad pour toujours, Baha'u'llah avait chargé Yahya - puisque celui-ci était libre de ses déplacements - d'emporter en Iran un exemplaire de ce précieux dépôt et de faire en sorte que ces manuscrits puissent, tôt ou tard, être publiés.

Flatté de cette haute mission, Yahya, devançant ceux qui se préparaient au grand départ, s'élança fièrement vers la frontière de l'Iran. Mais, peu avant la frontière, à nouveau paniqué il avait odieusement jeté ce trésor dans les broussailles et renoncé à sa mission. Ensuite, ç'avait été le processus habituel, un faux nom, un nouveau déguisement de minable, et la marche solitaire vers Mossoul pour y attendre la jonction.

Et le voilà, sans nulle honte, le voilà qui jetait sa défroque et se réintégrait dans le groupe de Baha'u'llah !

Heureusement, le second exemplaire existant, et resté l'unique, se trouve conservé dans la Maison des Archives Baha'ies, sur le Mont Carmel, en Terre~Sainte.

Sur tout le long trajet depuis Bagdad jusqu'au port de Samsun sur la mer Noire, et selon l'ordre écrit du gouverneur général de l'Irak aux gouverneurs des districts à traverser, Baha'u'llah trouva partout le meilleur accueil. Aux étapes, les autorités locales qui le recevaient, lui rendaient les plus grands honneurs.

C'est ainsi que, même ai ce long voyage était le fait d'une décision dictatoriale, même si ce voyageur avait perdu sa liberté de mouvement, même si apparemment celui qui voyageait était Hussayn-Ali, de Nur, que l'on traitait toutefois selon le rang de sa haute naissance, Baha'u'llah savait bien ne plus être Hussayn-Ali, mais être devenu l'Emissaire de Dieu, constatait que ce voyage se transformait en une sorte de marche glorieuse le menant à Constantinople.

Constantinople, Stambul, centre religieux du califat sunnite, résidence monarchique du puissant sultan de l'Islam, siège du gouvernement de l'Etat, capitale de l'Empire Ottoman, Constantinople !


Chapitres préparés mais non rédigés (18)
Chapitre 18 Celui que Dieu doit rendre manifeste. (non rédigé)
Chapitre 19 Pour les "archipels" d'innocents. (non rédigé)
Chapitre 20 Prescriptions pour mille ans. (non rédigé)
Chapitre 21 L'humaine fin d'une vie immortelle. (non rédigé)
Chapitre 22 Le covenant testamentaire. (non rédigé)
Chapitre 23 Le seigneur du covenant. (non rédigé)
Chapitre 24 Le conducteur de l'action. (non rédigé)
Chapitre 25 Structuration mondiale baha'ie. (non rédigé)
Chapitre 26 Au mont Carmel, l'Arc d'Unité. (non rédigé)
Chapitre 27 Dans les brises de la Promesse Universelle. (non rédigé)


BIBLIOGRAPHIE

Livres baha'is de référence et de citations.

Certaines références suivantes sont accessibles sur http://www.bahai-biblio.org et dans http://www.religare.org ; elles sont aussi proposées par la librairie baha'ie à Paris parmi les 373 ouvrages référencés

- La proclamation de Baha'u'llah
La Proclamation de Baha'u'llah aux rois et dirigeants du monde. (Baha'u'llah)

- Extraits des Ecrits de Baha'u'llah
Extraits des Ecrits (Baha'u'llah)

- Foi mondiale Baha'ie
Foi mondiale Baha'ie: Le cycle prophétique est clos... (Baha'u'llah)

L'épître au fils du loup
(Baha'u'llah)

- La Chronique de Nabil
The Dawn Breakers (Nabil-i-Azam)

- Dieu passe près de Nous
(Shoghi Effendi)

- "Voici le Jour Promis
(Shoghi Effendi)

- Prescriptions for Living
(Ruhiyyh Rabbani)
http://www.grbooks.com/show_book.php?book_id=154

- The Priceless Pearl
(Ruhiyyh Rabbani)

- The Bab
(H.M. Baliusi)

- The Chosen Highway
(Lady Blomfield)

- Shoghi Effendi
(Ugo Giachery)

- La révélation de Baha'u'llah
(Adib Taherzadeh)

- Le Voleur dans la nuit
(William Sears)
http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/ouvrage/voleur-nuit/voleur-nuit-sommaire.htm

- Le Cycle de l'Unité
(Lucienne Migette)

- Epîtres aux Lettres du Vivant
http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/saint/epitre-lettre-vivant.htm

* Autres livres :

- "Seiyyed Ali Muhammad dit le Bab" de A.L.M. Nicolas.
http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/etude/memoire-parvine-soleymani.htm
NICOLAS A.L.M, "Seyyed Ali Muhammad dit Le Bab" Paris, Dujaric, 1905 (en 2 tomes)

- "Le Livre des Sept Preuves" de A.L.M. Nicolas.
http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/etude/memoire-parvine-soleymani.htm
Le Livre des sept preuves", du Bab, Paris, Maisonneuve, 1902 (68 pages) Cote Bibliothèque Nationale [02 H 258] (Selon le livre en anglais "BAB" de Baliuzi, le livre de sept preuves aurait été révélé dans la forteresse de Chiriq au cours des derniers mois avant l'exécution).

- "Essai sur le Shaykhisme" de A.L.M. Nicolas.
http://www.bahai-biblio.org/centre-doc/etude/memoire-parvine-soleymani.htm
NICOLAS A.L.M, "Essai sur le Sheykhisme", Paris, Paul Geuthner, 1910-1914 en 4 fascicules

- "Religions et philosophies dans l'Asie Centrale" de A. Gobineau.
P. Edit. G.Crès, 1928. In-8 br. couv. rempliée, V-474 pp. Bel ex

- "Le Bayan Persan" traduit par A.L.M. Nicolas.
Livre saint révélé par le Bab annonçant le Promis (traduction de courtoisie du persan de l'orientaliste A.L.M. Nicolas). Auteur: Le Bab, traduction de courtoisie

- "Le Bayan Arabe" traduit par A.L.M. Nicolas.
Texte mystique important (différent du Bayan persan) dans la révélation du Bab (traduction de courtoisie du persan de l'orientaliste A.L.M. Nicolas).
Auteur: Le Bab, traduction de courtoisie


Liens internet

http://bahai.org
The International Web Site of the Baha'i Faith

http://bahai-library.com/books/biblio/biography.autobio.html
The Babi and Baha'i Religions: An Annotated Bibliography

http://f19.free.fr

http://info.bahai.org/
Baha'I topics

http://info.bahai.org/article-2-2-0-1.html
La Foi baha'ie

http://news.bahai.org
A news service of the baha'i international community.

http://perso.wanadoo.fr/eric.coffinet/Eternel_Appel.htm
L'Eternel Appel

http://reference.bahai.org/en/
Baha'i Reference Library

http://statements.bahai.org
Baha'i International Community Statements Library

http://www.bahai.fr
Les baha'is de France

http://www.bahai-biblio.org
Audiothèque Photothèque Vidéothèque Textes saints Bibliothèque baha'ie

http://www.bahai-education.org/ocean/
Ocean Free Software Library of the World's Religious Literature

http://www.bahaibookstore.com
An agency of the National Spiritual Assembly of the United States BAHA'I DISTRIBUTION SERVICE

http://www.bahaiview.org
We are pleased to offer our viewers videos that provide accurate information about the Baha'i Faith

http://www.beliefnet.com/milestones/commemoration.asp?milestoneTypeID=2&milestoneID=424
Ruhiyyih Rabbani Our Beloved Ruhiyyih Khanum

http://www.ca.bahai.org/main.cfm?sid=67
Amatu'l-Baha Rúhiyyih Khanum

http://www.ccfr.bnf.fr/accdis/accdis.htm
Bibliothèque Nationale de France

http://www.lepromis.org
L'unité des religions confirmée par les prophéties

http://www.librairie-bahaie.fr
Librairie baha'ie

http://www.onecountry.org
ONE COUNTRY The online newsletter of the Baha'I International Community

http://www.religare.org
Découvrez les religions de l'humanité



Notes

1. Cette page, rédigée par Lucrèce REYNAUD en dehors de son manuscrit, est supposée prévue pour être intégrée à cette place.
2. traduction libre pour Lucrèce Reynaud du texte anglais cité dans "the Bab" de H.M BALYUZI. Ed. (G. ROMELD ??) LONDON 1973
3. Dieu Passe près de Nous, page 72 édition 1980
4. Dieu Passe près de Nous, page 96 édition 1980
5. Dieu Passe près de Nous, page 97 édition 1980
6. Cette page, rédigée en dehors du livre par Lucrèce Reynaud en février 1996, est supposée destinée à prendre cette place dans le livre ?
7. Chronique de Nabil
8. Dieu passe près de nous Voir page 173
9. Dieu Passe près de Nous, page 111 édition 1980
10. Dieu Passe près de Nous, page 113 édition 1980
11. Dieu Passe près de Nous, page 114 édition 1980
12. Dieu Passe près de Nous, pages 117-118, édition 1980
13. Dieu Passe près de Nous, page 28 édition 1980
14. Dieu Passe près de Nous, page 142 édition 1980
15. Dieu Passe près de Nous, page 142 édition 1980
16. Dieu Passe près de Nous, page 144 édition 1980
17. Extraits des écrits de Baha'u'llah, page 20, 3ème édition 1990
18. Lucrèce Reynaud, décédée le 20 mars 2000, n'a pas pu terminer ce livre.

Lucrèce Reynaud, née le 4 novembre 1904 et décédée le 20 mars 2000, n'a pas pu terminer ce livre... Le manuscrit de plus de 300 pages dactylographiées a été scanné par son amie Parvine SOLEYMANI. Ce manuscrit est archivé à la bibliothèque du Centre National baha'i, 45 rue Pergolèse 75016 Paris. Cette édition s'arrête au chapitre 17. Pour chapitres 18 à 27, les notes préparées par Lucrèce Reynaud sont archivées, séparément des 17 premiers chapitres, à la bibliothèque du Centre National baha'i, 45 rue Pergolèse 75016 Paris
Pour chapitres 18 à 27, les notes préparées par Lucrèce Reynaud sont archivées, séparément des 17 premiers chapitres, à la bibliothèque du Centre National baha'i, 45 rue Pergolèse 75016 Paris.

Retour au sommaire