Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

1. La Foi et l'Amour
Chapitre précédent Chapitre précédent Retour au sommaire Chapitre suivant Chapitre suivant


1.3. Le vrai visage de la vie

La vie, dans tous les domaines, est due à l'équilibre. La rupture de l'équilibre entraîne la mort. Dans le domaine minéral, un corps prend naissance, autrement dit, sa vie commence quand s'établit l'équilibre dans la proportion des éléments qui le composent. Ainsi, par exemple, le sel marin, si nécessaire pour l'organisme, prend naissance à partir du moment où s'établit l'équilibre dans la proportion du chlore et du sodium qui le composent. Rompez cet équilibre, non seulement vous n'avez plus le sel marin si essentiel pour notre existence, mais vous avez du poison qui tue.

Dans le domaine végétal, la plante pousse, autrement dit, elle vit tant qu'il y a équilibre entre les éléments nécessaires pour sa croissance, et elle meurt lorsque cet équilibre est rompu.

Il, en est de même dans le monde animal où la vie se manifeste par les cinq sens, grâce à l'équilibre des éléments correspondants. La rupture de l'équilibre entraîne la perturbation dans le fonctionnement des cinq sens, pour aboutir finalement à l'arrêt de ce fonctionnement, autrement dit la mort.

Dans le monde humain la vie est également due à l'équilibre; mais, cette fois, il ne s'agit pas seulement de l'équilibre entre les éléments matériels qui constituent son corps, car, tout en réalisant cet équilibre, on constate que l'homme ne jouit pas pleinement de la vie, mais qu'il continue à souffrir de bien des maladies.

Parmi ces maladies, à titre d'exemple, citons les maladies dites psychosomatiques, à l'origine desquelles ne se trouvent ni microbes, ni bactéries, ni tumeurs, et pourtant les personnes atteintes de ces maladies souffrent physiquement, l'une de l'estomac, comme si elle avait un ulcère, l'autre des intestins, la troisième du foie. C'est le cas des gens qu'on appelle, dans le langage courant les grincheux, c'est-à-dire les gens qui cherchent toujours un sujet de mécontentement, voyant tout en noir, et ne pensant qu'à ce qui pourrait leur arriver, sans se soucier des autres qui sont pourtant des hommes comme eux.

C'est par la satisfaction simultanée et judicieuse des besoins du corps et de l'esprit que s'établit cet équilibre qui en définitive assure la vie de l'homme dans le vrai sens du mot. C'est cet équilibre qui nous manque aujourd'hui. Une grande revue médicale allemande écrit:

"Ce que l'homme a acquis grâce à la science, il a trois chances sur une de le perdre à cause de ce qui menace l'équilibre de son corps et de son esprit."

Il s'agit donc de rétablir l'équilibre du corps et de l'esprit par la satisfaction simultanée de leurs besoins. Or les besoins du corps, la science nous apprend comment il faut les satisfaire. Cette même science n'est pas en mesure de satisfaire les besoins de l'esprit, car elle n'arrive pas à changer ce que couramment on appelle l'état d'esprit.

La question qui se pose est donc celle-ci: De quel moyen l'homme dispose-t-il pour changer son état d'esprit ou plus exactement pour satisfaire les besoins de son esprit?

Afin de répondre à cette question, voyons d'abord quels sont ces besoins de l'esprit.

Ces besoins sont nombreux. Nous allons citer les deux principaux:

1) Le besoin d'aimer et d'être aimé;

2) Le besoin de pardonner et d'être pardonné.

En ce qui concerne le premier besoin, "s'il n'est pas satisfait, si l'homme n'aime pas et ne se sent pas aimé, s'il hait et s'il se sent haï, cela provoque des changements organiques et de véritables maladies", déclare l'éminent savant spiritualiste Alexis Carrel. De son côté, un autre Prix Nobel, et cette fois un savant matérialiste, Jean Rostand, attribue à la même cause "beaucoup de névroses et de déficiences mentales". Tous les savants" qu'ils soient spiritualistes au matérialistes, sont unanimes sur le fait que l'affection et l'amour constituent un besoin fondamental de la "nature intime" de l'homme au point où ce besoin insatisfait le rend malade. Ceci sur le plan individuel. Quant aux conséquences sociales, on attribue la délinquance juvénile et la désunion conjugale, ces deux fléaux du XXe siècle, à l'insatisfaction de ce besoin de l'esprit, c'est-à-dire au manque d'affection.

Un autre besoin de la "nature intime" de l'homme ou de son esprit, c'est le fait de pardonner et d'être pardonné.

Que la capacité de pardonner soit un besoin, cela découle de ce que la capacité d'aimer est un besoin, car pour arriver à aimer il faut être en mesure de pardonner, étant donné que celui qui ne peut pas pardonner ne peut pas aimer.

Celui qui est capable de comprendre est capable de pardonner. Et il en est de même en ce qui concerne l'affection et l'amour: Qui dit comprendre dit aimer.

Tout revient donc à nous comprendre les uns les autres. L'incompréhension entraîne les malentendus, le chaos et la décadence. Les pages de l'histoire en portent témoignage.

La civilisation Babylonienne s'effondra parce que les Babyloniens cessèrent de se comprendre, ce que la Bible rapporte en termes imagés, en disant qu'à un moment donné ils se sont aperçus qu'ils ne parlaient pas la même langue. Et ceci malgré tout leur progrès scientifique que la Bible rapporte également, en disant qu'ils allaient atteindre lie ciel par leur tour de Babel, ce que nous réalisons actuellement par nos fusées et satellites artificiels.

Le phénomène d'effondrement se produisit à Rome comme à Babylone, raison pour laquelle nos ancêtres l'avaient baptisée Babylone moderne.

Selon le témoignage des historiens la plupart des civilisations ont succombé à ce mal intérieur, et non par suite d'invasions. Elles succombèrent parce que les gens ne se comprenaient pas, ne s'entendaient pas.

Pourquoi aller chercher trop loin la paille dans les yeux des Babyloniens ou des Romains, ou d'une manière générale des anciens? Pourquoi ne pas voir la poutre dans nos propres yeux? Avons-nous un langage commun? A parler, franchement, sommes nous d'accord sur le mot franchise, par exemple? Ce qui pour les uns est la grossièreté même, pour les autres est la franchise. Sommes-nous d'accord sur le mot loyalisme? Ce qui pour les uns est le fanatisme même, pour les autres est le loyalisme.

Sommes-nous d'accord sur le mot paix? Je ne le crois pas, étant donné que chaque fois qu'il y a une ,guerre, c'est pour avoir la paix que les deux belligérants font la guerre ! Avouons que nous n'avons pas un langage commun; nous ne nous comprenons pas. Et à vrai dire, la majeure partie de nos ennuis, déceptions et échecs viennent de ce que nous ne nous comprenons pas, ou bien que nous nous comprenons mal.

Ce qui est regrettable, c'est qu'en principe non seulement on ne se comprend pas, mais on ne se donne même pas la peine de tenter de se comprendre, on n'y pense pas. D'où le chaos, la confusion, la "Babel" actuelle, le mot "Babel" signifiant précisément le chaos et la confusion. Il est bien temps que nous nous efforcions de nous comprendre les uns les autres.

Cet effort de compréhension doit d'abord commencer sur le plan familial.

L'homme doit comprendre avant tout sa femme, la comprendre quant à ses idées, facultés et capacités afin de contribuer à leur épanouissement. La femme aussi doit comprendre son mari, et toujours du même point de vue. La réciprocité est essentielle, car c'est de cette façon que l'entente est réalisée.

Nous avons dit que comprendre sa femme veut dire comprendre ses idées, facultés et capacités, afin de contribuer à leur épanouissement. Et quand peut on dire qu'on a compris sa femme? Lorsque ses capacités et facultés sont épanouies, l'homme sent combien ce qui lui manquait est complété. On peut donc dire que l'homme a compris sa femme s'il est arrivé à sentir qu'elle le complète, que sans elle il est incomplet, qu'il n'est pas ce qu'il est, sentiment qu'un mari a si bien exprimé le jour où à l'anniversaire de sa femme, il lui dit: "Je t'aime non seulement pour ce que tu es, mais pour ce que je suis avec toi".

Mais le fait de se sentir complété l'un par l'autre exclut tout sentiment de supériorité et implique l'égalité. C'est pourquoi le sentiment d'égalité de l'homme et de la femme doit les inspirer dans la vie conjugale. Et ce sentiment présente une telle importance dans la foi baha'ie, qu'il en constitue l'un des principes sacrés.

Nous arrivons donc à cette conclusion que c'est par un effort de compréhension mutuelle, inspiré du sentiment d'égalité, qu'on arrive à avoir une vie harmonieuse et bienheureuse au sein de la famille.

Mais dans une famille il n'y a pas que le mari et la femme, il y a encore l'enfant. Les parents doivent le comprendre afin de rendre la vie familiale encore plus agréable et plus délicieuse, rien que par la présence de l'enfant.

Mais qu'est-ce que cela veut dire, comprendre l'enfant? Une fois de plus, cela veut dire arriver à prendre conscience des capacités et des facultés de l'enfant, afin de contribuer à leur épanouissement.

Mais comment peut-on apporter cette contribution, si ce n'est par l'éducation et l'instruction? C'est pour cela que l'éducation et l'instruction de l'enfant constituent, selon les enseignements baha'is, le devoir sacré des parents, aussi sacré que le baptême chez les chrétiens. Et toute négligence à cet égard est considérée comme un péché impardonnable.

Les parents ne doivent pas croire que c'est à l'école que l'enfant reçoit son éducation (acquisition des qualités morales). Et ceci surtout de nos jours où, à l'école, on ne s'occupe que de l'instruction de l'enfant. Il est également de leur devoir de s'intéresser à l'éducation de l'enfant, et ceci surtout dans le cas où à l'école l'enfant ne reçoit pas l'encouragement dont il a besoin.

Un jour, un petit écolier de six ans rapporte à ses parents que son maître le trouve trop borné pour l'éduquer.

- Mon enfant n'est pas un imbécile je l'éduquerai moi-même, dit la mère. Elle tint parole. L'enfant devint Edison, cet homme qui a éclairé le monde.

Tous les enfants ne sont pas Edison pour éclairer le monde - pourrait-on nous dire.

Mais tout enfant déclarent les Écritures baha'ies - est une lampe pour la maison. Il a tout ce qu'il faut pour "éclairer" la maison, à la condition que les parents l' "allument", à la condition que les parents se soucient autant de ses qualités morales (éducation) que de ses notes en histoire et géographie (instruction).

C'est donc par l'effort de compréhension de la part des parents, effort stimulé par le caractère sacré de l'éducation et de l'instruction, que les capacités latentes de l'enfant se révèlent, apportant ainsi une lumière de plus à l'ambiance familiale, et permettant par là de mieux voir le vrai visage de la vie.

Mais n'oublions pas que ce n'est pas en famille que nous passons la majeure partie de notre temps. C'est plutôt en dehors de la famille, en contact avec notre prochain. Si donc nous cherchons à avoir une vie facile et agréable à vivre, si nous voulons voir le vrai visage de la vie, non seulement au sein de la famille, mais également en dehors de la famille, nous devons nous efforcer de comprendre notre prochain.

Mais que signifie comprendre notre prochain?

Une fois de plus, cela signifie prendre conscience de ses facultés et capacités latentes pour contribuer à leur épanouissement.

Mais comment peut-on y arriver si ce n'est en le fréquentant, en lui parlant, en entrant en dialogue avec lui, ce fameux dialogue, dont on nous parle aujourd'hui seulement, alors que pour les baha'is c'est un commandement sacré: "Fréquentez les gens de toutes les religions dans la joie et la sincérité", écrivait Baha'u'llah il y a plus de cent ans.

"Mais on ne fréquente pas les gens que Dieu ne fréquente pas, que Dieu rejette", disent certains.

Un tel commandement implique donc qu'on croit que Dieu ne rejette personne, que Pour Dieu, tous ses enfants sont égaux. Ce qui constitue pour les baha'is un principe sacré, principe Connu sous le nom de l'unité du genre humain.

Or, l'homme est homme par sa capacité de comprendre. Par conséquent, dire que les hommes sont égaux, c'est dire que tous ont la môme capacité latente de comprendre ce qui est bon et ce qui est mauvais. Moralement parlant, personne n'a le droit de croire qu'il possède plus de capacités latentes, et par conséquent qu'il est supérieur aux autres. Il doit croire qu'il est comme les autres et ceci à un tel point que les Écrits baha'is disent que si jamais du point de Vue moral il voit un certain défaut, chez Son Prochain, il doit penser que c'est lui-même qui a ce défaut, sinon il ne S'en serait pas aperçu. S'il croit que les autres sont des menteurs, c'est que lui-même a ce défaut.

Bernard Shaw dit: "Le malheur du menteur ce n'est pas tellement le fait qu'on ne le croit pas c'est plutôt le fait que c'est lui qui ne croit pas les autres".

Il faut cultiver ce sentiment suivant lequel on est comme les autres, et que Dieu ne nous a pas favorisé par rapport aux autres en nous accordant Plus de qualités morales qu'aux autres, et que pour Lui "Gus sommes tous égaux, sentiment inspiré par la Prise de conscience du Principe de l'UNITÉ DU GENRE HUMAIN.

Ce Principe semble difficile à appliquer dans la vie courante, où l'on a l'habitude de considérer toujours les autres comme responsables de ce qui nous arrive. Souvent même il semble impossible d'y croire, comme la télévision semblait impossible avant qu'on ne l'aie vue. Mais là, télévision on l'achète, on voit et on y croit.

Tandis que cette façon de penser est une expérience que chacun doit vivre personnellement. C'est l'expérience la plus merveilleuse qu'on puisse vivre. Car non seulement elle nous permet de voir nos propres défauts, pour nous efforcer de nous en débarrasser, de nous corriger, de nous améliorer, ce qui est le premier fruit de la prise de conscience de l'unité du genre humain, mais cette expérience a bien d'autres fruits, parmi lesquels citons les deux suivants:

L'un de ces fruits est l'entente générale. En effet, si on a le sentiment qu'aux yeux du Père tous ses enfants sont égaux, qu'Il les aime tous, étant donné qu'en chacun d'eux Il connaît des qualités qui restent latentes pour les autres, et que toute l'humanité n'est qu'une seule famille, un tel sentiment crée l'entente parmi tous les membres de la grande famille humaine, comme il crée l'entente au sein d'une famille malgré la différence de caractère et de tempérament des enfants de cette famille.
Ne voyons-nous pas qu'au sein d'une même famille deux enfants qui ont des tempéraments contradictoires s'entendent tout de même très bien, au moment même où, avec cette divergence de caractère, hors de l'ambiance familiale, ils seraient devenus des ennemis? Mais dans l'ambiance familiale, ils s'entendent bien. Pourquoi? Parce qu'ils ont le sentiment qu'aux yeux de leur père ils sont égaux, que leur père les aime tous les deux, étant donné qu'en chacun d'eux il connaît des qualités qui restent latentes à leurs yeux. Si cette unité, aux yeux du père de famille, est à l'origine de l'entente des enfants de la famille, par extension l'unité aux yeux du Père de la grande famille humaine sera la cause de l'entente de tous les enfants de cette famille.

Un autre fruit de la prise de conscience de l'unité du genre humain, autrement dit du sentiment que le genre humain ne constitue qu'une seule famille,

c'est que chacun pensera à assurer les besoins (spirituels et matériels) de l'autre, à nourrir (spirituellement ou matériellement) son prochain, et par voie de conséquence, son Prochain pensera à le nourrir à son tour, et en définitive tous les deux seront bien servis. Comme au sein d'une famille où le mari travaille pour bien nourrir sa femme et la femme aussi travaille (à la maison) pour bien nourrir son mari. Chacun passe à l'autre le produit de son labeur sans ,le monopoliser à sa propre personne. De cette façon' les membres de la famille sont bien servis, chacun jouit pleinement de la vie, en créant un heureux ménage qu'on appelle un petit paradis.

Rien ne saurait mieux illustrer cette façon de penser, ou plus exactement cette expérience merveilleuse, que cette histoire que nous a racontée M. Faizi, Main de la Cause en Terre Sainte (Instructeur éminent de la Foi baha'ie):

Deux hommes se rencontrent. L'un demande à l'autre:

- "Quelle est la différence entre le Paradis et l'enfer?

Il n'y en a pas, répond l'autre.

- Comment il n'y en pas? Tout de même il y a des choses qu'on trouve au paradis et qu'on ne trouve pas en enfer.

- Mais si, tout ce qu'on trouve au paradis se retrouve en enfer.

- Alors il y a une différence entre les habitants du paradis et de l'enfer,

- Non, il n'y a pas de différence entre eux. Ils sont pareils. Et ils se ressemblent même dans les moindres détails. Ainsi, par exemple aussi bien le bras des uns que celui des autres n'a pas de coude, de sorte qu'ils ne peuvent pas plier les bras, et par conséquent ne peuvent pas se servir eux-mêmes.

- Alors qu'est-ce qui fait que les habitants du paradis sont si heureux et que ceux de l'enfer sont malheureux?

C'est que, mis devant les délices qui leur sont destinées, Ils n'agissent pas de la même façon. L'habitant du paradis prend ces délices dans sa main, il sait qu'il ne peut pas plier son bras pour porter ces délices dans sa bouche, mais il sait que la bouche de son voisin est comme sa bouche, de sorte qu'il peut tourner son bras pour porter ces délices dans la bouche de son voisin, et comme tous les habitants du paradis pensent de la même façon, ils sont tous servis mutuellement l'un par l'autre.

Quant à l'habitant de l'enfer, pour lui, les autres ne comptent pas; il n'y a que lui qui compte. Il prend donc les délices dans sa main. Il ne peut pas plier son bras pour les porter dans sa bouche, et il ne veut pas tourner son bras pour les porter dans la bouche de son voisin. Et comme tous pensent et se comportent de cette façon, le résultat est que personne n'est servi, et tous crèvent de faim."

La morale de l'histoire est que le monde est fait comme ça, que c'est une loi: pour être nourri il faut nourrir les autres, pour être aimé il faut aimer les autres. La prise de conscience de cette loi qui s'exprime en trois mots: unité de tous, nous fait découvrir un monde d'intimité et de délices, ce que symboliquement on appelle le Jardin des Délices ou le Paradis. Cette prise de conscience nous fait revivre l'expérience la plus merveilleuse qu'on puisse vivre.

C'est à tenter cette expérience que la foi baha'ie vous invite.

Chapitre précédent Chapitre précédent Retour au sommaire Chapitre suivant Chapitre suivant