Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
3. L'amour et l'objectivité
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3.6. Notre chance est dans la confiance
On raconte qu'un Arabe avait un cheval
d'une valeur exceptionnelle qui faisait l'objet de l'admiration de tout le monde.
Un jour, le chef de la tribu exprima le désir de posséder ce cheval. L'un de
ses sujets se chargea de réaliser son désir.
Il alla vers la région où habitait le propriétaire du cheval. Le voyant de loin,
il s'assit sur le bord de la route et simula la maladie et la souffrance. Le
cavalier arrive, il a pitié de lui. Il le prend sur son cheval afin de l'amener
chez le guérisseur. Arrivé à destination, il descend pour aller frapper à la
porte. L'autre en profite, prend la bride en main et s'enfuit. "Arrête-toi,
lui crie le propriétaire du cheval. Je vais te dire un mot et tu pourras repartir
avec le cheval " , lui promet-il. L'autre s'arrête. Alors le propriétaire du
cheval lui dit: "Ce cheval est à toi. Mais promets-moi de ne dire à personne
par quelle ruse tu me l'as pris; les gens n'auraient plus confiance en ceux
qui souffrent réellement et personne ne s'arrêterait plus pour leur porter secours."
L'autre lui donne sa promesse et repart en possession du cheval. Arrivé chez
le chef de la tribu, celui-ci lui demande comment il a eu ce cheval. N'ayant
pas eu de réponse, il ordonne de le punir sévèrement. Alors l'autre lui explique
ce qui c'est passé.
"Vas lui rendre immédiatement son cheval, lui ordonne le chef de la tribu. Car
c'est un tel homme seulement, avec des sentiments si nobles qui mérite d'avoir
un tel cheval."
Quelle conclusion, tirons-nous de cette histoire? C'est que l'homme doit être
digne de confiance et autant que possible avoir confiance en son prochain. Sans
cette confiance, la vie dans la société devient insupportable, sinon impossible.
Car il ne faut pas oublier que l'homme est un être social, il ne peut vivre
qu'en société, avec les autres.
Il y a pourtant des créatures qui ne le sont pas. Un arbre, par exemple, peut
vivre seul, planté au Sahara, il pousse, mais l'homme abandonné seul ne survit
pas.
La possibilité de vivre en société implique la collaboration et la possibilité
de collaborer implique la confiance mutuelle.
Malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui les gens perdent de plus en plus
confiance les uns en les autres, ils deviennent de plus en plus méfiants les
uns vis-à-vis des autres. Cette méfiance commence au sein du foyer familial.
La femme soupçonne son mari de ne pas lui dire la vérité, de ne pas lui être
fidèle. Le mari, lui non plus, n'est pas toujours sûr de la conduite irréprochable
de sa femme. La scène se passe dans un transatlantique. Le mari rentre tard
dans la nuit, sur la pointe des pieds dans la cabine où sa femme l'attend impatiemment.
"Où étais-tu? " s'écrie-t-elle furieuse.
"Dans un coin discret du bar, en train de jouer au bridge." "Menteur, je t'ai
cherché partout et je ne t'ai pas trouvé." "Tu ne vas tout de même pas prétendre
que je n'étais pas sur le bateau!"
La méfiance pénètre dans le domaine des transactions entre les hommes.
Un pâtissier va dans un bureau de placement pour engager un vendeur. "Comment
le voulez vous? " demande le directeur, "femme, homme, jeune, âgé, débutant,
expérimenté?", "Diabétique " , l'interrompt le pâtissier.
Sûrement, le pâtissier trouvera un diabétique, mais ce qui est triste, c'est
que ce vendeur ne se soit pas fait soigner par le médecin. Peut-être n'avait-il
pas confiance dans les médecins, s'imaginant que souvent ceux-ci poursuivent
leur traitement inutilement pour gagner davantage. Quant aux médecins, ils se
plaignent des autres; des plombiers, par exemple, estimant que leur visite est
plus chère que la leur.
"Mon plombier, disait un médecin, m'a appelé au chevet de sa femme. J'y suis
resté près d'une heure et j'ai chargé mon plombier de faire une petite réparation
dans ma salle de bains. Cela lui a pris une demi-heure. "Et il concluait: "J'ai
demandé 400 francs pour ma visite. Mon plombier m'a présenté une facture de
800 francs. Comment puis-je lui faire confiance?"
Et le cercle vicieux continue. Tous les domaines de l'activité sociale sont
imprégnés par la méfiance. Tout le monde est mécontent. Voilà encore un autre
problème dont il faut trouver la solution. Et comme nous l'avons dit concernant
le problème du mensonge, la solution est donnée par l'expérience du passé qui
dit que c'est par la foi religieuse qu'on peut combattre ce mal.
D'ailleurs le mot même " foi " n'évoque-t-il pas l'idée de la confiance Mais
les religions du passé ayant perdu leur esprit, leur vitalité, on entend de
plus en plus cette objection:
Pourquoi le religion et pourquoi pas la philosophie?
Les enseignements des philosophes tels que Socrate ne créent-ils pas une ambiance
de confiance parmi les hommes. Lui-même n'a-t-il pas fourni le meilleur exemple?
Ne lui attribue-t-on pas cette histoire?
Condamné à mort par l'empoisonnement, Socrate ayant pris le poison, fut envahi
par l'engourdissement, mais avant de perdre l'usage de la parole dit à Criton:
"Je dois un coq à Esculape, voudras-tu payer ma dette?", "La dette sera payée,
dit Criton, n'y a-t-il pas autre chose? " Mais Socrate ne répondit pas.
Cette histoire est vraie et les enseignements de Socrate contribuent à créer
la confiance entre les hommes, mais on oublie que Socrate a acquis ces qualités
après son voyage en Syrie où il a connu la foi judaïque.
Préférer la philosophie à la religion, c'est préférer la lune au soleil en disant
que la lune donne la lumière la nuit quand il fait noir et que l'on a besoin
de la lumière, tandis que le soleil donne la lumière le jour quand on n'a pas
besoin de lumière.
Cette lumière du jour, on la prend pour un fait acquis, oubliant qu'elle est
due précisément au soleil. Si donc, il y a des gens d'une moralité irréprochable
et qui ne parlent pas de religion, c'est que c'est un fait acquis, grâce à la
religion de leurs ancêtres. Comme la lune prend sa lumière au soleil, la philosophie
a pris sa lumière à la religion. Et la religion étant en évolution constante,
comme tout ce qui vit, c'est le stade actuel de son évolution qu'il faut prendre
en considération, ce stade étant la foi baha'i.
Cette mise au point faite, voyons ce que disent les Écrits baha'is concernant
la confiance.
`Abdu'l-Baha dit:
"Efforcez-vous d'attirer la confiance de tous les peuples et communautés, même
celle de vos ennemis, de façon qu'ils mettent tout leur espoir en vous; si quelqu'un
tombe cent mille fois dans l'erreur, qu'il puisse encore se tournez vers vous,
espérant que vous avez oublié tous ses péchés, car il ne doit être ni découragé,
ni abattu, ni affligé."
Ces paroles se passent de tout commentaire.
Notons cependant qu'en montrant aux gens qu'ils peuvent toujours compter sur
nous, par la même occasion, nous manifestons notre confiance en eux et en leur
avenir, ce qui contribue dans une grande mesure à leur amélioration morale,
étant donné que c'est l'une des caractéristiques de la nature humaine de s'efforcer
de ressembler à l'image qu'on se fait d'elle. Plus on dit à un conférencier
qu'il est éloquent, plus il s'efforce de le justifier. Plus vous dites à une
femme que, pour vous, elle reste toujours belle, plus elle s'efforce de se montrer
belle, plus elle prend soin d'elle-même.
Il ne faut cependant pas négliger les avantages matériels de la confiance de
notre prochain en nous et de la confiance que nous avons en lui. Peu importe
que l'on soit déçu quelquefois, dans l'ensemble on y gagne. Quelqu'un a dit,
non sans raison: "Ce que j'ai perdu en faisant confiance aux autres peut se
calculer, mais ce que j'ai gagné par le même moyen est inestimable."
Un exemple historique illustre bien cette idée. C'était aux environs de 1900.
Un couple en voyage de noces dînait dans un petit restaurant de Paris. Or, voilà
qu'au moment de régler l'addition, le jeune mari s'aperçoit qu'on lui a dérobé
son portefeuille. Le garçon refuse de le croire et appelle le patron.
Celui-ci apprend que les amoureux ont même égaré leur billet de retour. Non
seulement il ne leur demande rien, mais en plus il leur paie le retour à Vienne.
"Vous ne regretterez pas votre beau geste, dit le jeune homme, je vous promets
de vous rendre célèbres, vous et votre établissement. J'écrirai une opérette
où il sera question de votre restaurant. "Le patron sourit. Tout ce qu'il demande
c'est son argent. Mais Franz Lehar - car c'était lui - tint sa promesse. Quelques
années plus tard, il écrivit " La veuve joyeuse " dont la scène la plus fameuse
a pour cadre le café Maxim's qui va devenir par la suite le plus célèbre restaurant
du monde.
Et ce n'est qu'un exemple à suivre dans la vie. En conclusion, qu'on fasse confiance
aux autres ou bien qu'on se montre digne de confiance, dans les deux cas, on
gagne, on gagne aussi bien moralement que matériellement.
Mais il y a une confiance qui est au-delà de toute considération matérielle
et qui apporte le véritable bonheur, mais qui demande un effort considérable
du point de vue spirituel et qui reste toujours très relatif. C'est la confiance
en la Providence, une confiance qui fait qu'en toutes circonstances on s'en
remet à Dieu, qui fait que dans les pires souffrances on rend grâces à Dieu,
c'est cette confiance qui a fait que Jésus tout en avouant la " faiblesse de
la chair " soumise aux atroces douleurs, s'est écrié: "Toutefois que ta volonté
se fasse. "C'est cette confiance qui aujourd'hui, pour les baha'is prend la
forme d'un humble effort pour s'en rapprocher dans la mesure de leurs possibilités
humaines si modestes, c'est cette confiance qui fait que tous les jours dans
leurs prières, ils disent: "Me voici prêt à accomplir ta volonté et ton désir
et je ne souhaite rien d'autre que ton plaisir."
C'est cette confiance qui fait qu'on ne regrette pas le passé et que l'on ne
s'inquiète pas pour l'avenir, on vit dans le présent ayant constamment à l'esprit
cette ancienne sagesse qui dit: "Le moment d'être heureux, c'est maintenant."
"Le lieu d'être heureux, c'est ici." "Celui qui est heureux, c'est toi."