Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
3. L'amour et l'objectivité
Chapitre précédent
Retour au sommaire
Chapitre suivant
3.5. Le mensonge motivé - quelle calamité!
Un jour le prophète Muhammad, accompagné
de ses disciples, était encerclé par les forces d'une tribu ennemie qui voulait
le tuer. Ayant décidé de s'enfuir, il dit à son fidèle compagnon Salman:
"Je me mettrai dans une corbeille que tu porteras sur ta tête, et tu traverseras
les lignes ennemies. "Si l'on te demande où est Muhammad, tu diras qu'il est
dans la corbeille sur ta tête. "C'est ce que Salman fit, de sorte que chaque
fois qu'on lui demandait où est Muhammad, il disait qu'il est dans la corbeille.
Ce qui était vrai, mais paraissait incroyable pour les ennemis de Muhammad.
Et c'est ainsi que Salman sauva Muhammad, lequel lui dit: "Si tu cherches le
salut ne dis que la vérité."
Si le monde d'aujourd'hui va vers sa perte, si cette soi-disant civilisation
doit s'effondrer, c'est que le mensonge est devenu monnaie courante, et on en
trouve toujours le " motif".
Il n'y a plus de mensonge tout court, tous les mensonges sont " motivés".
Le mensonge commence au sein du foyer familial.
"Yugo, dit papa, j'ai constaté dernièrement que tu commences à mentir. Ce n'est
pas bien. Promets-moi de ne plus mentir." "Bien papa", répond le petit. Et puis,
voilà que l'on frappe à la porte. "Vas voir qui est là " dit le père. "Si on
me demande, dis que je ne suis pas à la maison."
Le mensonge " motivé " sort du foyer familial pour pénétrer chez le voisin.
Un paysan vient trouver son voisin: "Peux-tu me prêter ton âne pour aller à
la foire." "Je regrette, mais mon âne est aux champs, s'il était là, je te l'aurais
prêté avec plaisir. "Comme il achève sa phrase, on entend l'âne braire dans
l'écurie. "Tiens, c'est bizarre! Ton âne est aux champs et on l'entend braire
ici!", "Je n'aurais jamais cru, dit le voisin, d'une voix offensée, que tu aurais
plus de confiance en l'âne qu'en moi."
Le mensonge " motivé " devient un mal contagieux.
Un jour un soldat demande une permission à son capitaine. "Ma femme a besoin
de moi" dit-il.
"Nous déménageons après-demain." "C'est faux, lui répond l'officier, je viens
de recevoir justement une lettre de votre femme qui ne me parle absolument pas
du déménagement, ni d'une permission. Vous êtes un menteur." "Mon capitaine,
dit alors le soldat, il y a deux menteurs dans cette pièce, puisque je ne suis
pas marié."
Ce qui aggrave la situation, c'est qu'il est facile de dire un petit mensonge,
mais il est difficile de n'en dire qu'un. On continue donc de mentir et le mensonge
devient une habitude. Et, comme dit un proverbe espagnol connu, les habitudes
sont d'abord comme les fils d'araignée, puis elles deviennent comme des câbles.
Comment rompre ce câble. Peut-on le faire instantanément? Très difficile. On
ne se débarrasse pas d'une habitude en la flanquant par la fenêtre, il faut
lui faire descendre l'escalier marche par marche. C'est un tout autre problème.
Comment trouver la solution? Pour y arriver, adoptons la méthode scientifique.
En science, on résout les problèmes difficiles, on établit même des lois en
partant de l'expérience. Si, par exemple, on établit cette loi qui dit que chaque
fois qu'on réduit le volume d'un gaz de moitié, sa pression est doublée.
C'est par suite de l'expérience qu'on y arrive.
Et bien l'expérience enregistrée par l'histoire dit que chaque fois que le mensonge
prenait la forme d'un mal social, menaçant l'existence même de la société, survenaient
des hommes extraordinaires appelés prophètes qui produisaient une transformation
spontanée dans les esprits, raison pour laquelle les historiens non croyants
les appellent " mutants". C'est le cas de Bouddha, de Moise, de Jésus, de Muhammad,
pour n'en citer que quelques-uns. Et ce qui est triste, c'est que leur siècle
était tellement imprégné de mensonge que tout le monde les prenait pour des
menteurs ainsi que leurs premiers disciples. Et, accusés de mensonge, ils étaient
toujours terriblement persécutés et même mis à mort.
La même chose s'est produite dans le domaine de la science où chaque fois qu'il
y a eu une nouvelle vérité, les révélateurs de ces vérités étaient traités de
menteurs. Huxley a dit: "Toute nouvelle vérité commence par être hérétique.
"Bruno Giordano fut brûlé comme hérétique parce qu'il enseignait que la terre
tournait autour du soleil. Galilée allait subir le même sort s'il n'avait pas
abjuré la même doctrine.
Pourquoi remonter si loin dans l'histoire. Il n'y a même pas quarante ans, une
centaine de professeurs allemands se sont réunis pour démontrer que la théorie
d'Einstein était un mensonge, à quoi le célèbre savant répondit:
"Si je m'était trompé, un seul professeur aurait largement suffi à me réfuter."
Laissons de côté le domaine scientifique pour revenir au domaine moral.
Si l'histoire nous parle des siècles de mensonge qui ont été témoins de l'apparition
de prophètes, la même histoire dit qu'aucun siècle n'a été autant imprégné de
mensonges que le XVIIIe siècle.
L'éminent historien Carlyle écrit:
"Un siècle qui n'a pas d'histoire et ne pouvait guère en avoir. Le siècle le
plus riche en mensonges, qui n'avait aucune conscience de ces mensonges tant
il en était imprégné."
En vérité, la mesure était comble (Voir " Frédéric le Grand", de Carlyle).
Comme, après la nuit, il y a le jour, après le XVIIIe siècle, c'est-à-dire au
XIXe siècle, a pris naissance la plus grande révélation jamais enregistrée dans
l'histoire, la révélation baha'ie.
Et, comme il fallait s'y attendre, jamais la réaction du monde contre les nouvelles
vérités proclamées par cette révélation n'a été aussi vive et aussi cruelle.
Traité de menteur et d'hérétique, le Précurseur de cette révélation, le Bab,
a eu la poitrine déchiquetée par la salve de 750 balles, comme si un peloton
d'exécution ne suffisait pas. Le Fondateur de la foi baha'ie - Baha'u'llah -a
vécu une vie plus atroce que celui de martyr si l'on tient compte de ses condamnations
à mort, de ses empoisonnements, de ses emprisonnements successifs, de ses exils
de ville en ville et de sa terrible incarcération dans la prison forteresse
de Saint-Jean d'Acre.
Plus de 20000 de ses disciples, originaires de différentes religions, de diverses
races, de toutes classes, riches, pauvres, savants ou illettrés ont été traités
de menteurs et d'hérétiques et, pour cette raison, mis à mort. On leur demandait
de ne dire qu'un mensonge et leur vie serait sauve, ce mensonge étant le reniement
de cette foi qui disait qu'il faut que chacun cherche personnellement et indépendamment
la vérité, qu'il abandonne les préjugés, qu'il aime l'humanité tout entière,
qu'il admette l'intelligibilité de la foi, qu'il accepte l'égalité des droits
de la femme et de l'homme et bien d'autres vérités considérées comme mensongères
à l'époque.
Ces 20000 martyrs nous servent d'exemple, exemple en ce sens que c'étaient des
êtres humains comme nous. S'ils ont montré que l'homme peut dire la vérité,
même si cela lui coûte la perte de sa vie, avouez, alors qu'il n'est pas difficile
de dire la vérité quand cela ne revient pas si cher, ce qui est le cas de la
vie quotidienne. L'homme peut donc dire la vérité à son fils, il peut dire la
vérité à son voisin, à son supérieur, il peut résister à la contamination par
le mensonge qu'il côtoie quotidiennement.
Voilà le sens de l'éducation baha'ie selon laquelle " Dire la vérité est la
fondation de toutes les vertus. Sans cette vertu, le progrès et le succès deviennent
impossibles pour quoi que ce soit et dans tous les domaines. Quand cette qualité
est acquise, toutes les autres peuvent également être acquises." (`Abdu'l-Baha)
Quant au mensonge, voilà, à titre d'exemple, ce que nous lisons dans les Écrits
baha'is:
"Le défaut le plus ignoble qui est à l'origine de tous les autres est le mensonge.
On ne peut rien imaginer de pire. Le mensonge détruit toutes les perfections
humaines, il est la cause de tous les actes infâmes, ses conséquences néfastes
sont innombrables." (`Abdu'l-Baha)
En effet, quand on peut se permettre de mentir, on peut facilement tromper son
prochain, trahir sa confiance, sujet dont nous aborderons l'étude lors d'une
autre causerie vu son importance. Et concernant cette importance, il suffit
de remarquer que sans la confiance mutuelle, la vie sociale même devient insupportable
sinon impossible.
Et, concernant cette importance, il suffit de remarquer que ce n'est qu'avec
la confiance mutuelle entre les hommes que la vie devient tellement agréable
qu'on ne peut s'empêcher de s'écrier: "Qu'il fait bon vivre, la vie mérite d'être
vécue."