Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
6. La lumière ne fait pas de bruit
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6.1. La parole est aux humbles
Quelqu'un a dit non sans raison:
L'homme n'est content de rien, sauf de son intelligence, moins il en a plus
il est content.
Une petite histoire illustre bien ce que voulait dire l'auteur de ces paroles.
Sur le bord de la Seine un peintre très médiocre était en train de faire un
paysage. Un touriste s'arrête.
"C'est formidable. On dirait un vrai Picasso": lui dit il.
"Vous savez, il y en a beaucoup qui m'imitent. Cela ne m'ennuie pas. Bien au
contraire, j'en suis content".
Apparemment une telle opinion trop avantageuse de soi-même et qui s'appelle
l'orgueil, est un sentiment inoffensif. Mais si on réfléchit bien, il est à
l'origine de tous les défauts humains et ce n'est pas en vain qu'on a dit de
l'orgueil qu'il est un péché capital.
L'orgueil est à l'origine de beaucoup de maux sur le plan individuel aussi bien
que social. Il ne serait même pas exagéré de dire que c'est du triomphe de l'homme
sur l'orgueil que dépend le destin du monde. C'est ce que nous allons voir en
étudiant la question du point de vue de la science et de la religion.
Sur le plan individuel l'effet néfaste de l'orgueil se manifeste sur la santé
morale et physique. Un seul exemple nous en fournit la preuve. En effet l'orgueil
nous empêche de satisfaire ce besoin essentiel de notre nature intime, besoin
de pardonner, de ne pas nous venger.
Autant les effets du pardon sont bénéfiques, autant les effets de la vengeance
sont néfastes. Et ces effets ne sont pas à sens unique. Car le pardon non seulement
contribue à l'épanouissement de la personnalité de celui qui pardonne, mais
également, à l'épanouissement de celui qui se voit pardonné.
C'est la raison pour laquelle toutes les Écritures nous exhortent à pardonner
à ceux qui nous offensent.
Jésus, par exemple, insiste sur la loi du pardon avec une telle force que concernant
le nombre de fois qu'il faut pardonner, il dit: "Je ne te dis pas jusqu'à sept
fois, mais jusqu'à septante fois sept fois" (Mat. 18/22).
Le Prophète Muhammad réserve le paradis à ceux qui pardonnent aux hommes leurs
offenses: "Le paradis est destiné à ceux qui maîtrisent leur colère et à ceux
qui pardonnent aux hommes leurs offenses" (Qur'an 3/128).
La science tient un langage identique. En effet, elle permet de déceler au moyen
d'instruments précis les effets néfastes de la vengeance et de la rancune sur
l'organisme humain. Quant à la colère qui est l'un des signes de l'incapacité
de pardonner, les savants la comparent à un acide qui est plus corrosif pour
le récipient qui le contient que pour l'objet sur lequel on le déverse.
L'effet de cet "acide" peut même être mortel.
Un savant anglais, John Hunter, assistait un jour à un congrès médical et ne
pouvant supporter la contradiction de l'un de ses collègues, se laissa aller
à une telle colère pendant qu'il réfutait avec véhémence les arguments de son
adversaire que les artères de son coeur se dilatèrent si fort qu'il en tomba
raide mort.
Qu'il s'agisse de la vengeance, de la rancune ou de la colère, c'est toujours
l'orgueil qui se manifeste.
En effet, celui qui veut se venger ne reconnaît jamais son défaut ou sa faiblesse,
il se dit que l'offenseur mérite une leçon. Il oublie que pour donner des leçons
de morale il y a des gens mieux qualifiés que lui. Qu'il soit agnostique ou
croyant, il admet que les Personnalités sublimes telles que Jésus, Muhammad,
Bouddha ou Moise aient été les plus grands Maîtres en matières de morale. Qu'il
se rappelle alors que ces grands Hommes, bien qu'offensés constamment, non seulement
ne se vengèrent jamais, soit disant pour donner une leçon à leurs offenseurs,
mais qu'ils nous donnèrent la leçon du pardon, Si donc on justifie son désir
de se venger en disant que c'est pour donner une leçon, C'est qu'on se croit
plus qualifié que ces Maîtres en matière de morale. C'est donc de l'orgueil.
Si se venger c'est de l'orgueil, ne pourrait-on pas dire que se froisser c'est
aussi dans une certaine mesure de l'orgueil. Car celui qui se froisse, qui en
veut à son prochain, tout en retenant sa colère, ne désire-t-il pas dans le
fond de son coeur que l'offense qui lui a été faite soit vengée d'une manière
ou d'une autre. D'ailleurs, la religion comme la science condamnent un tel état
d'esprit.
Jésus dit: "Et lorsque vous êtes debout, faisant votre prière, si vous avez
quelque chose contre quelqu'un, pardonnez lui" (Marc 11 /25).
D'autre part, pour les savants celui qui contient sa colère, tout en désirant
que l'offenseur soit puni est comparable au chauffeur qui au volant d'une voiture,
appuie sur le frein en tenant le pied sur l'accélérateur. Cela détraque la voiture.
Cela détraque celui qui est rongé par le sentiment d'être froissé.
Nous arrivons donc à cette conclusion qu'étant donné ses effets néfastes pour
l'individu, l'orgueil est condamné aussi bien par la religion que par la science.
Non moins néfastes sont les effets de l'orgueil sur le plan social. En effet,
de l'avis des sociologues, l'une des causes de la désunion conjugale est la
fréquence des scènes de ménage. Or ces scènes de ménage commencent d'ordinaire
par des propos contradictoires, continuent par des paroles dures, pour aboutir
finalement à une querelle. Et dire qu'avec un peu moins d'orgueil on aurait
pu éviter tout cela.
Une petite histoire nous en donne l'illustration:
"Papa - demande un petit garçon, au dîner - comment les guerres éclatent-elles?"
"Et bien, mon cher - commence le père - mettons que la France se dispute avec
l'Angleterre."
"La France ne se dispute jamais avec l'Angleterre - interrompt la mère.
"Je n'ai jamais dit que la France se disputait avec l'Angleterre" - répond le
père, "J'ai dit: mettons".
"Avec tes "mettons" tu vas lui fourrer un tas d'idées fausses dans la tête."
"Evidemment - répond le père - s'il n'écoute que toi il ne risque pas d'avoir
une seule idée dans la tête."
Et l'atmosphère atteint le point où la vaisselle risque de voler en éclats.
Et juste à ce moment on entend la petite voix de l'enfant:
"Merci papa, merci maman, j'ai compris comment les guerres éclatent."
Si l'une des parties avait un peu moins d'orgueil, elle aurait suivi ce conseil
du Bouddha: "Faites le bien par des silences opportuns".
Mais non, l'orgueil enlève à l'homme le courage de dire ces trois mots, les
plus difficiles d'ailleurs à prononcer "j'ai eu tort".
Dans le monde d'aujourd'hui ces scènes de ménage deviennent de plus en plus
fréquentes, ce qui conduit à l'anémie de l'amour conjugal, anémie qui finit
souvent par la mort de l'amour conjugal: le divorce.
C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles les jeunes, sous prétexte
de garder leur liberté, préfèrent de plus en plus le mariage libre; en Amérique,
par exemple, le nombre de ces mariages a doublé en un an. Pourquoi, se disent-ils,
chercher des querelles, quand on peut les éviter.
"Papa - demande le petit - pourquoi les nouveaux mariés se donnent-ils la main
devant monsieur le maire?
"C'est une tradition, tu n'as pas remarqué que les boxeurs avant le combat se
donnent toujours la main?"
Tout en étant l'un des fléaux de notre siècle, le divorce en entraîne un autre:
la délinquance juvénile. En effet, les statistiques françaises montrent que
85 % des jeunes délinquants proviennent des familles désunies.
Mais les effets néfastes de l'orgueil ne s'arrêtent pas là. Sur le plan mondial
l'orgueil est à l'origine de la plupart des guerres.
Voici quelques exemples.
Napoléon III poussé par l'orgueil, provoqua la guerre de Crimée en se rangeant
au côté de ceux dont il rejetait la religion (les Turcs)contre ceux dont il
professait la religion (les Russes). En réalité, il voulait venger la défaite
de son oncle, mais ouvertement, il prétendait qu'obéissant à sa mission divine
il voulait seulement défendre les opprimés.
Baha'u'llah (Fondateur de la Foi baha'ie) se trouvait à cette époque dans la
prison pestilentielle de St Jean d'Acre et Ses disciples étaient persécutés
à outrance. Il écrivit à ce monarque que puisqu'il déclarait avoir reçu de Dieu
la mission de défendre les opprimés, il devait se lever pour défendre les milliers
de femmes et d'enfants baha'is qu'on massacrait depuis plus de 20 ans ; et que
c'était toujours Dieu qui le lui demandait.
S'il est Dieu, je suis deux fois dieu, se serait écrié Napoléon III après avoir
reçu la lettre de Baha'u'llah.
Alors Baha'u'llah lui écrivait une deuxième lettre, lui prédisant la perte de
son pouvoir par suite de son refus de défendre les opprimés. L'année après,
Napoléon III, à l'apogée de sa gloire, croyant prendre Berlin d'assaut, entra
en guerre contre la Prusse, guerre qu'il perdit et durant laquelle lui-même
fut fait prisonnier, pour finir ses jours en exil.
Non moins orgueilleux était son vainqueur, le roi de Prusse, à qui Baha'u'llah
rappela le cas de Napoléon III, lequel, précisait-Il, avait été bien plus puisant
que lui. Il perdit son pouvoir, lui écrivit Baha'u'llah, parce qu'il ne s'était
pas levé pour défendre la justice ; il en sera de même du roi de Prusse, s'il
suit l'exemple de son prédécesseur (Napoléon III).
Cette prophétie se réalisa par la défaite allemande de 1918.
Mais ce ne fût pas qu'à Napoléon III et au roi de Prusse que Baha'u'llah déclara
Sa mission par des Lettres.
Il s'adressa à tous les monarques de Son époque, par une Lettre générale, leur
donnant des conseils et des directives susceptibles de soulager le monde, les
exhortant à exercer la justice envers tous, à s'occuper des pauvres, à cesser
d'accroître leurs dépenses militaires, à réduire leurs armements, à concilier
leurs différends, et poser la base d'une paix durable.
Mais l'orgueil des monarques les empêcha d'écouter l'appel du Prisonnier de
Si Jean d'Acre. Alors Baha'u'llah écrivit que, par suite de leur refus de s'unir
et d'établir la justice, le pouvoir leur avait été arraché. Effectivement, fait
sans précédent, en moins d'un siècle plus d'une vingtaine de monarchies absolues
disparurent l'une après l'autre à une cadence incroyable. Et s'il reste encore
quelques monarchies, leur pouvoir n'est plus que symbolique.
Ce pouvoir qui a été arraché aux rois devait, par décret divin, passer aux mains
des humbles de la terre.
C'était d'ailleurs prévu par les Écritures du passé. Jésus dit "Les humbles
seront les plus grands de tous" (Jean 18/14).
Plus précis est le Prophète Muhammad quand il prédit: "Et nous désirons accorder
nos faveurs aux humbles de la terre, et nous en ferons des guides parmi les
hommes et ils seront nos héritiers" (Qur'an 28/4).
La question qui se pose maintenant est celle-ci:
Pourquoi a-t-il prévu que ce soit aujourd'hui que le pouvoir passe aux mains
des humbles?
C'est qu'aujourd'hui on se trouve devant le choix: S'UNIR ou PÊRIR. Et que ce
ne sont que les HUMBLES qui peuvent S'UNIR et UNIR.
En effet, les humbles ayant le sentiment de leur faiblesse, recherchent l'acquisition
de plus de force. Et sachant que l'union fait la force, il est naturel qu'ils
pensent à s'unir, ce qui, à son tour, est l'exemple pour encourager et entraîner
tout le monde à s'unir.
N'ayant pas une haute position, les humbles sont comparables aux gens qui se
trouvent au pied d'une montagne.
Ils cherchent donc à "monter" par l'union, Cette "ascension" les conduit au
sommet de la montagne. Et comme il n'y a qu'un sommet ils s'y rejoignent, ils
s'unissent. L'humilité est donc une nécessité pour la réalisation de l'unité.
Ceci dit, voyons quels sont les obstacles sur le chemin conduisant à l'unité.
Ces obstacles sont nombreux. Nous allons en citer quelques uns.
1 - Le premier obstacle c'est qu'on divise l'humanité en deux familles: la famille
de ceux que Dieu aime et la famille de ceux que Dieu n'aime pas. Selon les baha'is
il n'y a qu'une famille, la famille humaine, et Dieu aime tous les membres de
cette famille humaine.
2 - Un deuxième obstacle c'est que les adeptes de chaque religion croient qu'eux
seuls détiennent la Vérité et que les autres ne détiennent pas cette Vérité.
Selon les baha'is il n'y a qu'une Vérité et toutes les religions détiennent
cette vérité, car au fond il n'y a qu'une Religion et les soi-disant différentes
religions sont les différents stades de cette Religion unique qui est en constante
évolution.
3 - Un troisième obstacle c'est qu'en leur état actuel, les religions ne contribuent
pas à l'entente et à l'harmonie en agissant comme si elles avaient un autre
but.
Selon les baha'is, le but de la religion est l'entente et l'harmonie. Si une
religion ne visé pas ce but il vaut mieux l'abandonner.
4 - Un quatrième obstacle est l'inégalité des droits des femmes et des hommes.
Selon les baha'is les femmes doivent jouir des mêmes droits que les hommes.
5 - Un cinquième obstacle c'est le manque de collaboration entre la science
et à la religion.
Pour les baha'is l'accord et la collaboration entre la science et la religion
est un principe sacré.
Ce qui est remarquable c'est que ces cinq principes baha'is (parmi bien d'autres)
destinés à éliminer les cinq obstacles que j'ai cités sont présentés sous forme
imagée par St Jean dans sa vision du Jour Promis (Apocalypse 21.) où l'unité
sera réalisé "Un seul pasteur, un seul troupeau".
En effet, St Jean présente la Foi du Jour Promis comme une nouvelle cité sainte
descendue du ciel. Sa base, dit-il, est jaspe et ses murailles sont ornées de
différentes pierres précieuses parmi lesquelles, citons après le jaspe, la calcédoine,
l'émeraude, la sardoine et le sardonyx, correspondant par leurs caractéristiques
aux cinq principes baha'is que nous avons mentionnés, en tant que principes
de base pour la réalisation de l'unité.
Voyons d'abord ce que signifie l'expression "les murailles de jaspe".
1) Le jaspe est une pierre précieuse qui attire notre attention sur sa couleur
rouge, couleur du coeur. Ce qui signifie qu'il faut voir la couleur du coeur
des hommes et non pas la couleur de leur peau ou celle de leur opinion. La couleur
de tous est la même, ce qui évoque l'idée de l'unité de l'humanité.
Or l'unité de l'humanité est le principe le plus important, le plus essentiel
de la Foi baha'ie ; les "murailles" de l'édifice baha'i sont donc en jaspe.
2) La calcédoine' attire notre attention sur sa couleur d'une blancheur remarquable.
Or le blanc est le symbole de la pureté et d'autre part c'est la combinaison
de sept couleurs, ce qui signifie que les sept religions (Adam, Noé, Abraham,
Moise, Jésus, Muhammad, Baha'u'llah avec Son Précurseur le Bab) vu leur pureté
essentielle, en réalité ne font qu'UNE.
C'est l'unité de base de toutes les religions, qui est un deuxième principe
baha'i.
3) L'émeraude attire notre attention sur sa couleur verte. Le vert est le symbole
de l'harmonie. Les feuilles vertes s'harmonisent avec les fleurs de toutes couleurs.
Par conséquent nous devons fixer notre regard sur l'HARMONIE en tant que but
de la religion, ce qui est un troisième principe baha'i.
4) La sardoine est une pierre qui se compose de deux couches qui en réalité
n'en font qu'une. C'est le symbole des deux couches de la société: homme et
femme, qui au fond ne sont qu'une et une seule unité. L'égalité des droits de
la femme et de l'homme est un quatrième principe baha'i.
5) Le sardonyx est une pierre précieuse qui se présente sous deux couleurs différentes
suivant la manière dont on la tient. Mais c'est toujours la même pierre. C'est
la science et la religion qui ne font qu'un, bien qu'elles jouent deux rôles
différents. L'accord et l'unité entre la science et la religion est un cinquième
principe baha'i.
Et je m'arrête là, ce qui ne veut pas dire qu'il y a seulement cinq principes
dans la Foi baha'ie. Les principes baha'is sont beaucoup plus nombreux, mais
ses Écrits nous en présentent douze comme les plus importants. Et il arrive
que St Jean dans sa vision nous parle précisément de douze pierres précieuses
constituant les ornements de la "nouvelle cité sainte", douze pierres précieuses
qui, par leurs caractéristiques, représentent d'une manière imagée les douze
plus importants principes baha'is.
A noter que Si Jean donne bien d'autres détails concernant le Jour Promis. Il
n'entre pas dans mes intentions de vous en parler ni de les interpréter.
Notre devoir aujourd'hui ce n'est pas d'interpréter cette vision mais d'en faire
une réalité ; ce qui implique cette vertu sublime qui est l'humilité.
La parole est donc aux humbles de la terre.