Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

6. La lumière ne fait pas de bruit
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6.3. Le secret des foyers heureux

Il y a plusieurs années j'ai lu dans le périodique e Sélection" un article tellement émouvant que je ne puis pas l'oublier, et, comme il convient au sujet que nous allons traiter ce soir, permettez-moi de vous le résumer.

C'est un officier chinois de l'île de Formose qui raconte l'histoire de son mariage.

Je souffrais - dit-il, de l'inflammation de la cornée de mon oeil droit, ce qui le rendait presque aveugle. Et mon oeil gauche était atteint d'une autre maladie qui, bien que moins grave, risquait de me faire devenir complètement aveugle.

Selon l'oculiste la seule solution était la transplantation de la cornée. Mais où trouver cette cornée. Il fallait attendre plusieurs années et de plus je n'avais pas l'argent nécessaire à l'opération.

Un jour ma femme me dit "Un homme illettré est aveugle bien qu'il puisse voir. Un homme instruit ne peut pas être aveugle, il a besoin de ses deux yeux. Il faut vous faire opérer".

Et elle a tellement insisté que j'ai mis mon nom sur la liste d'attente du chirurgien.

Un jour l'oculiste m'a téléphoné en disant qu'un conducteur accidenté avant de mourir avait demandé à son épouse de vendre les parties intactes de son corps afin de couvrir les frais d'instruction de ses enfants, et qu'il fallait profiter de cette occasion exceptionnelle.

- "Mais je n'ai pas l'argent nécessaire" - répondis-je.

- "C'est votre épouse qui s'en est chargée" - me répondit-il.

Je n'ai donc pas pu hésiter et j'ai consenti à subir l'opération.

Un mot concernant ma femme et notre mariage. J'avais dix-neuf ans quand mon père me maria à la fille de l'un de ses amis, fille que je n'avais jamais vue et que je vis pour la première fois dans la chambre nuptiale. Elle était laide et paraissait avoir quarante ans, bien que n'en ayant même pas vingt. Je n'ai pas pu partager le lit avec elle. J'ai quitté la chambre nuptiale et même la maison, pour m'installer à l'école où j'étais maître nageur. Mon père m'a fait revenir, ce qui n'a pas arrangé les choses. On continuait à faire chambre à part. Ma mère ne cessait de me reprocher mon comportement en disant: "Tu es cruel envers elle. Il est vrai elle n'est pas attrayante, mais elle a un bon coeur. Tu ne la regardes pas, tu ne lui parles même pas, et elle ne se plaint jamais".

Mon père tenait le même langage. Finalement j'ai été amené à partager la chambre avec elle. De notre mariage naquit une fille. Elle n'était pas heureuse, parce que notre foyer n'était pas un heureux foyer.

Durant trente années de mariage rarement j'adressais la parole à ma femme. Et je n'ai jamais dit un seul merci pour tout ce qu'elle faisait pour moi. Et pourtant, pas un seul instant elle ne se permettait de se reposer. À ses moments libres, elle fabriquait toute sorte d'objets, nattes, chapeaux , etc. pour les vendre et mettre l'argent de côté, argent qui, plus tard, m'a permis de couvrir les frais de l'opération. Pour mon séjour à l'hôpital elle m'a envoyé, par notre fille, un transistor, pour lequel je ne l'ai même pas remerciée.

L'opération ayant réussi, je voulus avant tout aller au tombeau du conducteur accidenté qui m'avait rendu la vue.

Mais avant d'y aller, je suis rentré à la maison pour dire le premier merci à ma femme, dont le prix des petits travaux et les économies du ménage m'avaient permis de couvrir les frais de l'opération.

- "Merci pour m'avoir permis de voir" - lui dis-je.

Elle ne m'a pas laissé continuer. Me tournant le dos, afin de cacher son visage en sanglotant elle dit:

- "Entendre ton merci c'est tout ce que je voulais, et je suis heureuse d'avoir vécu jusque là".

- "C'est assez, maman - intervint brusquement notre fille. Dis lui que c'est toi qui as donné la cornée de ton oeil."

- "J'ai fait ce que je devais faire" - répondit-elle, tout en continuant à sangloter.

Je l'ai prise par les épaules, je l'ai regardée dans les yeux et j'ai vu que l'iris de son oeil était opaque. Je me suis jeté à ses pieds et c'est à partir de ce jour là que j'ai connu ce que c'est qu'un foyer heureux.

Si j'ai raconté cette histoire ce n'est pas pour en déduire que le bonheur au sein du foyer familial implique un sacrifice dans le genre de celui de notre héroïne. Mon but était d'en tirer quelques conclusions: aussi bien du comportement de la femme que de celui de son époux.

1) La première conclusion que nous pouvons tirer c'est que par son sacrifice la femme a montré à son mari qu'elle lui était indispensable, qu'elle était irremplaçable auprès de lui.

Et c'est le premier secret du bonheur d'un foyer: chacun doit montrer qu'il est indispensable à l'autre. Et à tous les points de vue, surtout au point de vue moral. J'estime cette précision nécessaire, car de nos jours on a de plus en plus tendance à croire qu'on se marie pour satisfaire le besoin sexuel.

Jamais depuis la Rome antique, on n'a donné à la sexualité plus d'importance qu'aujourd'hui. On va jusqu'à juger l'amour de son conjoint (ou de sa conjointe) sur la mesure de sa volupté. Les effets néfastes d'un tel jugement se font ressentir surtout quand on avance en âge. En effet, à l'âge de 50 ans, la femme n'a pas le même charme qu'elle avait à vingt ans, et l'homme physiquement ne garde pas continuellement la même passion qu'au début du mariage. Si le critère de l'amour reste la mesure de la volupté, alors avec l'âge, l'amour conjugal commence à s'anémier pour finir par mourir. Car les époux deviennent l'un pour l'autre comme ces objets qui portent l'étiquette "A jeter après usage".

Statiquement il est démontré que les mariages fondés uniquement sur la passion ne sont pas souvent heureux, car la passion est aveugle: un homme follement épris confond l'objet de sa flamme avec le portrait idéalisé par son imagination et il ne voit pas sa bien-aimée telle qu'elle est.

C'est pour cela que selon les enseignements baha'is, il faut avant le mariage que les deux parties se connaissent afin que chacun voit son conjoint (ou sa conjointe) tel qu'il est avec son caractère, son tempérament et ses goûts pour voir si on peut fonder un foyer heureux. Indiscutablement il y a une part de passion qui intervient dans le mariage et c'est la raison pour laquelle le bonheur du foyer implique que les conjoints ne se jugent pas toujours avec les mêmes critères que lorsqu'ils se sont connus. Il faut prendre en considération tous les aspects de la question aussi bien physiques que spirituels et surtout les derniers.

Le terme "union" doit nous rappeler l'union qui existe entre les différents membres de l'organisme humain où chaque membre ayant besoin de l'autre, étant indispensable à l'autre doit lui venir en aide. Si un membre ne fonctionne pas bien, l'autre doit mieux accomplir sa tâche.

Si l'estomac ne digère pas bien, la bouche doit mieux mastiquer les aliments.

Sur le plan matrimonial s'il y a défaillance de la part de l'un des conjoints, l'autre doit lui venir en aide. Si, par exemple, l'humilité manque à Madame pour reconnaître qu'elle a tort, que Monsieur lui vienne en aide en gardant le silence, loin d'insister pour lui faire avouer son erreur, qu'il cède plutôt pour lui donner une leçon d'humilité, car dans la guerre des sexes il faut toujours un objecteur de conscience.

2) Une deuxième leçon que nous tirons de cette histoire, c'est que le bonheur d'un foyer dépend de la loyauté de chacun des conjoints. Etre loyal c'est rester fidèle à son engagement. Etre déloyal c'est rompre son engagement. Par la déloyauté nous n'entendons pas seulement l'infidélité conjugale, bien qu'elle soit le pire outrage que l'on puisse infliger au statut matrimonial. Et là-dessus, les Écrits baha'is sont catégoriques, allant jusqu'à dire que e la chasteté si minime soit-elle vaut mieux qu'un millier d'années de dévotion passive et qu'une mine de connaissances".

Par la déloyauté nous entendons également la médisance. C'est une déloyauté, car lorsqu'on se marie on s'engage à s'unir. Or rien ne contribue autant à la désunion que la médisance. Il ne peut pas y avoir d'union et d'harmonie dans un foyer où les conjoints se critiquent l'un l'autre par derrière. Quand les conjoints se rabaissent l'un l'autre aux yeux des enfants, non seulement ils portent préjudice à leur propre union, mais aussi ils contribuent à la désunion des enfants, car inévitablement les uns défendront papa et les autres se mettront du côté de maman, et la vie familiale en deviendra insupportable. Baha'u'llah dit "Comment peux-tu oublier tes propres défauts et t'occuper de ceux d'autrui?".

"Si le feu du moi vous embrasse - nous conseille-t-Il, souvenez-vous de vos propres défauts et non de ceux de mes créatures, attendu que chacun se connaît mieux lui-même qu'il ne connaît les autres".

Ce qui semble juste et logique.

Dans l'histoire que nous avons racontée, si malgré toute l'ingratitude de son mari, malgré son comportement cruel en échange de tous les services qu'elle lui rendait, si notre héroïne l'avait critiqué par derrière, qu'aurait-elle gagné sinon la haine de son mari et finalement le divorce. Elle a agi autrement et c'est la deuxième conclusion que nous tirons de notre histoire.

3) Notre héroïne, au lieu de penser au comportement cruel de son mari, et de se laisser ronger par le chagrin, ne pensait qu'à ce que, malgré son aspect si peu attrayant, elle a son mari, sa fille, son foyer et a son but (l'affection de son mari à atteindre à n'importe quel prix). Et elle a réussi à obtenir tout ce qui lui était cher, ce qu'elle aimait.

D'une manière générale on doit adopter un tel comportement dans la vie, c'est-à-dire chaque fois qu'une mauvaise pensée nous vient à l'esprit, au lieu de nous efforcer de la réprimer, nous devons carrément penser à autre chose, à ce qui nous est cher, ce que nous aimons, ce qui nous réjouit: un succès imminent, un voyage agréable qu'on va entreprendre, un devoir que vous êtes sûr de remplir brillamment.

Encore une image pour illustrer cette idée. Vous êtes sur la route qui mène vers le lieu de rendez-vous avec votre bien-aimée. Vous ne pensez qu'à la joie de la rencontrer, de sorte que si, par hasard, quelqu'un vous offense, l'idée de vengeance (mauvaise pensée) ne vous arrête pas, vous ne vous donnez aucune peine pour la réprimer, car la joie de la rencontre domine votre esprit et ne laisse pas de place à l'idée de vengeance.

À ce sujet on a posé à `Abdu'l-Baha (Successeur du Fondateur de la Foi baha'ie) la question suivante: "Quelle est la source des mauvaises pensées qui troublent ceux qui ne veulent pas les entretenir?".

Et Il a répondu en ces termes: "Les mauvaises pensées viennent de l'extérieur et trouvent leur réflexion en l'homme. On ne doit pas servir de miroir pour elles. On ne doit même pas les réprimer, car c'est impossible et les difficultés en s'aggravant les mettent de plus en plus en évidence. On doit constamment tourner le miroir de son coeur carrément vers Dieu, de sorte que la Lumière du Soleil de Vérité s'y réfléchisse. C'est le seul remède contre les mauvaises pensées. La face du miroir doit être tournée vers Dieu et le dos vers les mauvaises pensées".

Tourner le miroir de son coeur vers Dieu c'est PRIER et l'un des effets de la lumière qui s'y réfléchit c'est le fait qu'on voit tout en bien. Si, par exemple, on a une mauvaise opinion de son prochain, on l'oublie pour découvrir ses bonnes qualités.

Une telle attitude doit être adoptée avant tout dans le foyer familial où les conjoints doivent s'efforcer de découvrir les qualités que l'un ou l'autre possède et d'en parler, ce qui est un facteur de l'épanouissement de la personnalité. En effet, c'est dans la nature de l'homme de s'efforcer de ressembler à la bonne image qu'on se fait de lui. Plus vous dites à un homme qu'il est courageux, plus il s'efforce de se montrer courageux. Plus vous dites à une femme qu'elle est belle, plus elle se fait belle.

Mon mari, disait une dame à propos de son époux, avait un défaut, je lui dis que s'il s'efforçait de se débarrasser de ce défaut, en échange je ferai tout pour me débarrasser de l'un de mes défauts de son choix.

- "Mais tu n'en as aucun" - me répondit-il.

Après cela comment pouvais-je encore le critiquer?

S'il y a quelque chose à critiquer, ce n'est pas la personne qu'on peut critiquer, mais plutôt l'acte et avec tact. Par exemple, si Monsieur, par mégarde, laisse tomber un objet fragile que Madame vient d'acheter, au lieu de diriger sa colère contre son mari, qu'elle dise plutôt. e C , est tout de même ennuyeux comme on doit être prudent quand on se sert de tout ce qu'on fait de nos jours". Et Monsieur comprendra ce qu'elle veut dire. C'est du tact.

Le tact est une vertu nécessaire dans les rapports humains et principalement dans le mariage. C'est le tact qui implique que la femme, si elle est plus riche que son mari, ne fasse pas la moindre allusion à sa contribution au budget familial, étant donné que pour un homme la situation financière a une extrême importance en tant qu'une preuve qu'il a réussi à faire vivre sa famille. Que la femme fasse des remarques désobligeantes à ce sujet et son orgueil d'époux en souffre sûrement. Et nous arrivons ainsi à une quatrième conclusion à tirer de notre histoire.

4) Il faut que les conjoints s'interdisent de se faire des réprimandes, surtout devant les autres. C'est d'ailleurs une conséquence de la tendance à ne pas penser aux défauts de son conjoint (ou de sa conjointe) à ne pas les voir. En effet, quand on ne voit pas de défauts on n'a rien à reprocher.

Si notre héroïne avait sans cesse fait des réprimandes à son mari pour son comportement injuste, surtout devant sa belle-mère, le mari aurait peut-être définitivement quitté la maison, ou carrément divorcé. Non, elle s'est interdit de lui adresser la moindre réprimande, convaincue que ce n'est pas par des réprimandes qu'elle arriverait à changer son comportement.

Ce qui en plus de son acte de sacrifice a contribué à la réalisation du but qu'elle s'était fixé, à savoir, le bonheur de son foyer.

Il faut qu'il en soit de même en ce qui concerne tout foyer qui cherche à assurer son bonheur: les conjoints doivent s'interdire de se réprimander l'un l'autre. Les réprimandes ne peuvent se faire que dans les relations avec les enfants.

Et d'une manière générale, une telle attitude doit en principe être adoptée dans les relations humaines. Si faire des réprimandes était admis dans le passé par les Écritures c'est parce que dans le passé l'humanité traversait le stade de son enfance.

"Ceux qui pêchent reprends les devant tous afin que les autres éprouvent aussi de la crainte" (I. Timothée 5/20) lisons-nous dans le Nouveau Testament.

Mais aujourd'hui, la Foi baha'ie ne l'admet plus, étant donné que l'homme entre dans le stade de sa maturité. Un baha'i n'a pas le droit de juger qui que ce soit, c'est aux institutions de le faire.

Et à ce propos on raconte cette anecdote, dont je ne puis garantir l'authenticité, mais comme elle est très instructive, je prends la liberté de vous la raconter.

Un jour, dit-on, un pèlerin demande à Baha'u'llah s'il est possible que Dieu pardonne à Nemrod?

- "Dieu est miséricordieux" aurait répondu Baha'u'llah.

- "Est-il possible que Dieu pardonne au Pharaon?"

- "Dieu est clément" - fut la réponse.

- "Est-il possible que Dieu pardonne à Ponce Pilate?"

- "Dieu est indulgent."

- "Alors qui Dieu va-t-il juger pour le condamner à l'enfer?"

- "Les gens comme toi - l'interrompit un autre pèlerin - qui mettent leur nez dans ce qui ne leur regarde pas."

Mais revenons à notre sujet concernant le bonheur dans le foyer. Résumons-nous donc pour finir cet exposé.

Le secret des foyers heureux est dans l'effort incessant de chaque conjoint de se montrer indispensable à l'autre, comme c'est le cas des membres de l'organisme humain.

Le secret des foyers heureux est dans la fidélité conjugale, dans le respect de l'engagement à assurer l'unité et l'harmonie au sein du foyer et, par conséquent, à s'interdire la médisance, autant que les réprimandes qui portent atteinte à la dignité humaine. Ce secret réside aussi dans l'oubli des défauts et la recherche des qualités du conjoint et, indiscutablement, dans bien d'autres règles à s'imposer afin de constater combien nos ancêtres avaient raison de dire qu'UN HEUREUX MÉNAGE EST UN PETIT PARADIS.

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