Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
6. La lumière ne fait pas de bruit
Chapitre précédent
Retour au sommaire
Chapitre suivant
6.6. La magie du silence
Quand on veut parler des bienfaits du silence
on ne peut s'empêcher de se rappeler cette parole de l'éminent humoriste Bemard
Shaw qui disait: "Rien ne vaut le silence. Je voudrais parler des heures et
des heures là-dessus".
Apparemment cette parole nous fait rire, mais elle cache une vérité indéniable,
car si on pouvait garder le silence chaque fois qu'il est opportun et même nécessaire
de le faire, bien des maux pourraient être évités tant sur le plan individuel
que familial ou social.
Le silence est un besoin de la nature humaine au même titre que la parole en
est un autre. L'un comme l'autre, utilisés au bon moment, exercent un pouvoir
magique.
Ne dit-on pas que le silence est, après la parole, la seconde puissance du monde.
Et ce n'est pas une découverte de notre siècle. Nos ancêtres, le savaient. Et
mieux que nous, car ils s'efforçaient de s'y entraîner.
Ainsi, par exemple, en Perse antique il y avait une société dont les membres
s'engageaient à ne pas recourir à la parole pour se faire comprendre. C'est
par des signes qu'ils s'expliquaient. Cette société se développa avec une telle
rapidité et acquit une telle puissance que les autorités s'en inquiétèrent et
finalement la déclarèrent illégale, craignant que ses membres puissent tramer
un complot sans qu'on arrive à le découvrir.
Quand quelqu'un voulait faire partie de cette société, il devait attendre devant
la porte jusqu'à ce que les responsables se consultent et prennent une décision
concernant son cas. Or un jour arrive un homme bizarre. Le président de la société
l'ayant vu, prit un verre, le remplit d'eau jusqu'au bord, lui faisant comprendre
qu'il ne restait plus de place pour lui.
Et le bonhomme en question prit un pétale de fleur qu'il mit délicatement sur
la surface de l'eau du verre, faisant ainsi comprendre à son tour qu'il ne demandait
presque pas de place et que par son adhésion rien ne changerait. Tous les membres
furent réjouis de son geste et unanimement l'admirent dans la société. Concernant
cette société il faut préciser que ses membres n'étaient pas contre la parole,
et qu'ils n'en rejetaient pas la valeur. Ils divisaient la philosophie divine
en deux parties, la première pouvant être acquise par les conférences et les
dissertations, la deuxième par le silence et la méditation en se tournant vers
Dieu. C'est cette deuxième méthode qu'ils appliquaient.
À remarquer qu'on se tourne vers Dieu ou qu'on ne se tourne pas, il est très
difficile d'appliquer la méthode du silence dans la vie, ce qui a poussé quelqu'un
à dire: "On a besoin d'environ deux ans pour apprendre à parler et de toute
une vie pour apprendre à se taire".
Ceci dit, voyons pourquoi et quand l'homme a besoin du silence.
Rappelons-nous d'abord ce point capital que l'homme a deux natures. Il y a d'abord
sa nature matérielle, par laquelle il ressemble à l'animal (nature qui est caractérisée
par les cinq sens et ses exigences). Il y a ensuite sa nature spirituelle par
laquelle il se distingue de l'animal. En langage plus simple l'homme possède
deux réalités: son corps et son esprit (l'animal n'en a qu'un, son corps).
Le corps de l'homme a besoin du silence, comme le corps de l'animal qui en a
le même besoin. L'homme comme l'animal, tous deux, ont besoin du silence ; avant
tout, pour pouvoir dormir, bien que même dans le bruit ils arrivent à s'endormir.
Mais quand ce bruit dépasse une certaine limite le corps en souffre. Cette souffrance
chez l'animal peut même entraîner sa mort.
Ainsi le hurlement continu d'une sirène suffit pour tuer un rat enfermé dans
une cage.
Pour l'homme on fait intervenir une unité qui sert à mesurer l'intensité du
bruit. L'homme peut supporter sans gêne au maximum le bruit comparable à celui
d'une voiture de sport. Mais au-delà de ce maximum (comme c'est le cas du bruit
d'un avion à réaction au moment du décollage) les effets néfastes du bruit commencent
à se manifester sous différentes formes, dont nous citons quelques unes:
1) Diminution du rendement de travail. On a constaté que le bruit peut diminuer
de 30 % le rendement d'un travailleur manuel.
2) Perte du sommeil.
Les savants ont démontré que le bruit même de faible intensité, tout en n'étant
pas suffisant pour réveiller le dormeur, l'empêche d'avoir un sommeil continu,
de sorte que celui-ci doit se contenter de petits sommes successifs bien moins
réparateurs. D'une manière générale, le bruit exerce ses effets néfastes sur
le système nerveux, qui, lui-même agit sur la contraction cardiaque, la respiration,
la digestion etc.
3) Aggravation des maladies.
Le périodique "Sélection" rapporte le cas de ce savant qui, hospitalisé pour
son ulcère à l'estomac, constata qu'une certaine douleur revenait à intervalles
réguliers. Et il découvrit que c'était précisément aux moments du passage des
camions sous sa fenêtre. Il se boucha les oreilles et les douleurs passagères
cessèrent.
4) Diminution du pouvoir de perception des sons.
On a constaté des cas de surdité (bien que passagère au début) chez les individus
travaillant dans les milieux bruyants.
Ce qui est plus triste c'est que non seulement l'individu souffre du bruit,
mais sa famille et la société où il travaille en subissent les conséquences
néfastes. Car les études faites sur les individus travaillant dans des usines
bruyantes ont montré que ceux-ci s'entendent difficilement avec leurs semblables,
s'irritent et se mettent facilement en colère, par opposition aux gens qui travaillent
dans des milieux calmes (les habitants de la campagne, par exemple) et qui sont
généralement moins susceptibles et plus sociables.
Prenant en considération les effets néfastes du bruit sur le plan individuel
et social, un savant italien estime que les ravages causés par le bruit dépasse
ceux de la tuberculose.
Les savants ont donc raison d'ajouter le bruit à la liste des fléaux de notre
siècle. L'un des responsables de ce fléau est l'usage excessif des voitures,
ce qui est non seulement la cause de la pollution acoustique, mais également
la cause de la pollution de l'air, phénomène si néfaste pour la santé. Et ce
qui est non moins grave c'est que l'homme perd de plus en plus l'habitude de
marcher, cet exercice qui est nécessaire pour le maintien de la santé, exercice
dont l'importance a été souligné à maintes reprises par `Abdu'l-Baha, interprète
des enseignements baha'is.
Mais revenons à notre sujet. La conclusion à laquelle nous sommes arrivés c'est
que le CORPS de l'homme a besoin du silence. Mais comme nous l'avons dit, il
y a encore une autre réalité; l'ESPRIT. Or il arrive que l'esprit de l'homme
a autant besoin du silence que son corps, si ce n'est pas beaucoup plus. C'est
ce que nous allons voir.
L'esprit de l'homme se manifeste par la faculté de perception et de concentration.
Pour cela il a besoin du silence. À ce propos citons le cas de cette émission
de l'une des stations de Radio de l'Est qui rencontre un succès grandissant.
Il s'agit de trois minutes de silence absolu précédant la conférence. Cette
idée a surgi brusquement d'un ennui technique empêchant le programme d'être
exécuté et le conférencier déjà présenté de commencer son exposé. Etonnés, puis
enthousiasmés par ce silence inattendu, les auditeurs écrivaient à la direction
dans l'espoir que cette initiative puisse être répétée. Le directeur, tenta
l'expérience avec succès. Et depuis, trois fois par jour, les auditeurs peuvent
écouter et entendre ce SILENCE. Pour dire avec quelle impatience les auditeurs
attendent ce SILENCE et quelle satisfaction ils y trouvent il suffit de noter
qu'alors que d'habitude ils parlent en écoutant l'émission d'une conférence
ou d'une chanson, ils se taisent quand arrive l'instant du silence.
L'esprit se manifeste par la faculté de méditation. À ce propos il est bon de
dire quelques mots sur la "méditation transcendantale".
D'abord e méditation" veut dire réflexion qui aboutit à l'approfondissement
d'un sujet". Quant au mot "transcendantal" il signifie "au-delà de la pensée".
La "méditation transcendantale" est une pratique de détente et de méditation
où chacun se voit attribué un son qu'il n'est pas tenu à comprendre, mais qu'il
répète en silence en concentrant son attention sur une activité quelconque du
corps, disons sur l'acte de respiration et comme nous venons de le dire, cherchant
par la méditation et par la paix de l'esprit, la solution des problèmes quotidiens
et le comportement à adopter.
Indiscutablement, d'abord au point de vue de la détente et du calme, cette pratique
a ses mérites, et surtout de nos jours quand l'homme ne respire plus mais s'asphyxie,
ne mange plus, mais avale, ne marche plus, mais court, ne s'amuse plus mais
s'énerve, ne parle plus, mais crie.
Ne serait-il pas mieux, disent les baha'is, qu'au lieu de répéter des sons incompréhensibles,
et de concentrer son attention sur une activité quelconque du corps, qu'on dise
des paroles traduisant l'état d'esprit qu'on doit acquérir et qu'on concentre
son attention sur l'activité de l'esprit, ce qui, en bref, s'appelle PRIERE.
Chez les baha'is ces prières sont révélées par le Fondateur de leur Foi pour
chaque cas (demande d'assistance, paix de l'esprit, guérison, protection, etc.).
Le but de la prière étant l'ACTION, on prie pour savoir comment agir.
On prie pour apprendre à SERVIR dans le SILENCE. On prie pour contenir sa colère.
On prie pour éviter de se disputer, de se quereller. Dans tous ces cas les bienfaits
du silence sont évidents car il assure la santé de l'esprit comme la santé du
corps, selon ce qui a été dit. Seulement en ce qui concerne l'esprit, il ne
s'agit pas de l'influence du silence extérieur, mais surtout du silence que
nous devons nous imposer volontairement.
Et c'est là-dessus que je vous demande la permission de dire quelques mots.
Considérons le cas du service dans le silence. Il est évident que les gens aiment
mieux que ce soient nos actes qui parlent plutôt que notre langage, autrement
dit les gens préfèrent le service dans le silence plutôt qu'avec le son de la
trompette.
Dieu ne nous apprend-Il pas à servir dans le silence lorsqu'Il dit à Elie: "J'aime
Mes adorateurs inconnus". Or la meilleure façon pour exprimer son adoration
à l'égard de Dieu c'est de SERVIR Ses créatures. Et la meilleure façon pour
servir c'est donc servir sans se faire connaître sans le montrer, autrement
dit, en restant inconnu.
Ne lisons-nous pas dans l'Évangile: "Lors donc que tu fais l'aumône ne sonne
pas de la trompette devant toi.
Mais quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta
main droite".
La terre elle-même en pleine activité par son mouvement autour du soleil, capte
ainsi son énergie en nous assurant la vie ; entendons-nous le bruit de son mouvement,
de son activité, de ses services? Non, elle nous sert dans le silence, et c'est
là que nous devons avoir un exemple devant nos yeux: exemple disant qu'il faut
servir tout le monde et sans ostentation. Et c'est précisément la définition
que donne Baha'u'llah de l'homme d'aujourd'hui. "Aujourd'hui, dit-Il, l'homme
est celui qui sert l'humanité toute entière". Comme l'humanité tout entière
ne peut pas voir les services qu'un homme lui rend, il s'en suit que le véritable
service est celui qu'on rend à tous sans se faire voir, sans se faire connaître,
dans le silence, sans en parler.
Quant au silence à garder en face de l'offense qu'on reçoit, quand on est poussé
à se mettre en colère, ses effets sont aussi bienfaisants pour celui qui contient
sa colère par le silence, que pour celui qui est la cause de la colère, si ce
n'est pas plus pour le premier, étant donné les conséquences 4léfastes de la
colère sur la santé physique et morale.
On a donc tout intérêt de garder le silence face aux offenses reçues mais un
silence sans la moindre trace de rancune.
Et pour finir un mot sur les bienfaits du silence afin d'éviter les disputes
et les querelles. Combien de scènes de ménage pourraient être évitées si seulement
l'une des parties avait le courage de garder le silence. À noter que si ces
scènes de ménage se répètent, elles conduisent à l'anémie de l'amour conjugal,
laquelle anémie aboutit finalement au divorce, qui est un des fléaux de notre
siècle.
Un baha'i a le devoir moral d'éviter à tout prix de se disputer avec son prochain,
surtout dans le domaine
de la religion, car, selon la Foi baha'ie, le but de la religion c'est de contribuer
à l'entente et l'harmonie.
Si en entrant en discussion avec son prochain concernant la religion on sent
qu'on l'irrite, ce n'est plus une contribution de la religion à l'entente et
à l'harmonie, c'est le contraire. Il faut donc recourir au silence qui est alors
l'argument le plus irréfutable.
C'est cette attitude qu'adoptait `Abdu'l-Baha, interprète des enseignements
baha'is. Et à ce propos permettez-moi de vous lire un extrait du livre du pasteur
Ives (Les voies de la liberté) devenu plus tard baha'i. Et c'est par cet extrait
que je termine mon exposé.
Un jour qu`Abdu'l-Baha interprétait les paroles de Jésus d'une manière absolument
différente de la nôtre, je ne pus m'empêcher de protester en disant: "Personne
après tant de siècles de controverse n'ose interpréter avec une certitude ce
que Jésus voulait dire. Je ne peux pas accepter ce que vous dites".
Son interprète me regarda avec un regard si furieux que je ne l'oublierai jamais,
regard qui voulait dire: "Qui es-tu pour contrarier `Abdu'l-Baha?".
Par contre, `Abdu'l-Baha lui-même me regarda d'un regard pour lequel je reste
éternellement reconnaissant à Dieu. C'était le regard d'un amant qui cherche
à comprendre sa bien aimée.
Il garda un long silence pendant lequel il a sûrement prié. Puis d'une voix
douce et avec un sourire séduisant, il me dit que je suive mon chemin et lui
le sien. Il m'a fait sentir toute ma liberté d'apprécier ou de rejeter ce qu'Il
disait.
"Mes yeux s'emplirent de larmes et je murmurai: pardonnez-moi, je vous prie."