Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
6. La lumière ne fait pas de bruit
Chapitre précédent
Retour au sommaire
Chapitre suivant
6.9. Tomber martyr - ce fut leur seul désir
Un jour, l'un des disciples d'Avicenne(Illustre
savant du 10ème siècle) lui dit: "Maître, si jamais tu te déclares le prophète
de Dieu, je serai ton premier disciple". Avicenne ne dit rien, mais quelques
jours après, il le réveille à l'aube pour lui demander un verre d'eau.
"Maître, il n'est pas bien de boire de l'eau à cette heure-ci" lui répondit
son élève sans bouger de son lit.
Un instant après ayant entendu l'adhan (Appel à la prière chez les musulmans)
il se lève précipitamment pour aller à la mosquée.
"Tu vois, lui dit Avicenne, voilà la différence entre ce que dit un prophète
et ce que dit un homme ordinaire. Ton maître qui est devant tes yeux et que
tu vois, te demande de te lever pour lui chercher un verre d'eau, et tu ne l'écoutes
pas. Mais le prophète, ce prophète que tu ne vois pas, t'a demandé, il y a des
siècles, de quitter ton lit pour aller à la mosquée, et tu lui obéis scrupuleusement."
Cette histoire est instructive en ce sens qu'elle illustre l'influence de la
parole de Dieu, influence si puissante que durant des siècles et même des millénaires,
les gens restent toujours prêts à lui obéir au prix non seulement de leur confort
matériel ou de leurs biens terrestres, mais encore de leur vie afin de tomber
en martyr pour l'amour de Dieu.
Indiscutablement il y a des martyrs dans tous les mouvements (politique, patriotique,
etc.) mais ce qui est particulier à ces martyrs, c'est que leur but garde toujours
un caractère matériel, et que leur nombre reste toujours limité à une catégorie
bien déterminée.
Ainsi, par exemple, les mouvements politiques revendicatifs d'avantages sociaux
ne comptent jamais parmi leurs martyrs des gens jouissant pleinement des biens
matériels et disposant de grandes richesses.
Ce n'est pas le cas des martyrs pour la foi. Et plus particulièrement en ce
qui concerne la Foi baha'ie dont les 20000 martyrs non seulement n'avaient en
vue aucune considération matérielle, mais en plus étaient originaires de toutes
les religions et de toutes les couches de la société en commençant par les gens
très pauvres pour finir par des hommes immensément riches et occupant de très
hautes positions dans la société.
Ce soir nous allons rappeler l'histoire de deux frères qui étaient infiniment
riches et qui sacrifièrent à la Foi non seulement leurs biens mais leur vie.
Il s'agit de deux frères Mirza Hossein et Mirza Hasan, originaires de la ville
d'Isfahan. Leur père était parmi les disciples du Bab (Précurseur de la Foi
baha'ie) à qui il les a présentés quand ils avaient respectivement 11 et 9 ans.
En 1852, avant d'atteindre l'âge de 20 ans, tous deux allèrent à Bagdad pour
faire visite à Baha'u'llah (Fondateur de la Foi baha'ie) qui à cette époque,
s'y trouvait en exil. De retour a Isfahan, ils se donnèrent coeur et âme aux
oeuvres de bienfaisance, tout en s'occupant de leur commerce, où ils obtinrent
un succès auquel personne ne pouvait s'attendre. Leur réputation atteignit les
autres villes de l'Iran, de sorte que beaucoup de commerçants de différentes
villes entrèrent en relation avec eux.
Malgré toutes leurs activités aussi bien dans le domaine du commerce que dans
celui de la Foi, ils trouvaient toujours le temps d'assister les malheureux,
de venir en aide aux nécessiteux, de consoler les affligés et par tous les moyens
de manifester leur générosité à l'égard de tout le monde. Durant l'année de
la famine à Isfahan, ils sauvèrent de la mort un très grand nombre de leurs
concitoyens.
Sur le plan religieux, ils organisaient chez eux des réunions d'information
sur la Foi, invitant régulièrement et recevant chez eux des enseignants de la
Foi, ce qui n'était un secret ni pour les autorités civiles, ni pour les autorités
ecclésiastiques.
A cette époque, le gouverneur d'Isfahan était le fils aîné du Shah, un nommé
Zello's Soltan, un tyran qui avait versé le sang de beaucoup d'innocents. Concernant
sa cruauté on raconte qu'un jour, accompagné de ses chiens féroces, il se trouvait
à la campagne, lorsqu'un paysan lui tendit une lettre où il se plaignait de
l'injustice du chef du village. En réponse le gouverneur fit signe à ses chiens
de se jeter sur le malheureux et de mettre fin à ses jours par une mort atroce,
spectacle auquel il prenait plaisir.
Quant aux chefs ecclésiastiques il y en avait deux parmi eux qui se distinguaient
particulièrement par leur esprit satanique ; le premier était l'Imam Jom'ah
(Prêtre musulman qui les vendredis à la tête des croyants récite la prière rituelle
à la mosquée) d'Isfahan, et le second un certain Shaykh Baqir.
L'Imam Jom'ah avait confié la gestion de ses biens immobiliers aux deux frères
Mirza Hossein et Mirza Hasan, et il en profitait pour leur demander sans cesse
les sommes considérables afin de jouir pleinement des plaisirs de ce monde.
Tant que les deux frères lui payaient tout ce qu'il leur demandait, il n'attachait
aucune importance à ce que ses créanciers soient des baha'is et soient très
actifs dans la propagation de leur foi. Peu lui importait, à cette époque, si
les baha'is étaient terriblement persécutés partout en Iran et surtout à Isfahan.
Ce fut alors que les deux frères écrivirent une lettre à Baha'u'llah, Lui exprimant
leur désir de tomber martyrs pour la Foi.
Telle resta la situation jusqu'en 1879. Quand les deux frères ayant fait le
compte de l'imam Jom'ah s'aperçurent que sa dette s'élevait à un montant de
plus de 18 mille toumans (Somme équivalent à presque 26000 dollars à l'époque
et par conséquent à des dizaines de millions de dollars à notre époque). Ils
lui demandèrent donc de s'en acquitter et c'est alors que l'idée diabolique
vint à l'esprit de l'imam Jom'ah de faire disparaître les deux frères sous l'accusation
d'être baha'i.
Il en paria un jour à un autre mollah, un nommé Shaykh Baqir, lequel approuva
pleinement son projet.
Mais il fallait encore l'accord du gouverneur. Ils allèrent donc chez celui-ci,
et lui dirent que profitant de leur haute situation sociale et de l'estime générale,
les deux frères attiraient les habitants d'Isfahan à la cause de Baha'u'llah
et qu'au train où allaient les choses, il ne restera bientôt plus de trace de
l'islam. "Votre devoir est donc de les faire disparaître" insistèrent-ils.
"Mais ils n'ont rien fait pour que je les fasse arrêter. Au contraire, leur
conduite est irréprochable et ils jouissent précisément de l'estime générale.
Pour quel crime vais-je les faire exécuter?" dit le gouverneur.
"Il n'y a pas de crime plus grand que de quitter l'islam pour adopter une nouvelle
religion" fut la réponse des mollahs.
"Mais ils sont des descendants même du Prophète Muhammad. Que vais-je répondre
à Dieu?".
"C'est à nous de répondre à Dieu".
"N'oubliez pas qu'ils représentent les intérêts de beaucoup de commerçants,
lesquels subiront de grandes pertes par la disparition des deux frères. Ils
porteront plainte au Shah lui-même. Que vais-je répondre au Shah?"
"C'est à nous de répondre au Shah, comme aux commerçants".
Finalement, ils arrivèrent à le convaincre de la nécessité de l'exécution des
deux frères, en lui promettant une part des bénéfices qu'ils en tireraient.
Et pour le tranquilliser, ils lui remirent un document signé, par lequel ils
assumaient la pleine responsabilité de cette condamnation à mort.
D'un commun accord, ils décidèrent de garder le secret jusqu'au jour de la célébration
de la naissance du Prophète Muhammad, jour où les personnalités de la ville
rendent visite aux autorités ecclésiastiques et civiles pour leur présenter
leurs meilleurs voeux.
"Ce sera une occasion pour faire arrêter les deux frères" dirent-ils.
Or ce jour-là, le frère aîné Mirza Hossein accompagné de Mirza Ismail (le troisième
et le plus jeune des trois frères) alla à la réunion en question. Et au moment
où ils prenaient du thé, sur un signe de l'Imam Jom'ah, on leur arracha les
tasses pour les jeter dehors, en tant qu'objets touchés par la main des infidèles
et, par conséquent, impurs. Après quoi on se mit à les humilier et à les insulter.
Et finalement on les arrêta pour les amener chez le gouverneur.
Comme Mirza Hasan, le second frère était absent, l'Imam Jom'ah chargea ses serviteurs
d'aller le chercher.
Mirza Hasan se trouvait chez un mollah très pieux. Celui-ci, au courant du dessein
diabolique de l'Imam Jom'ah , voulut garder son protégé, mais sur l'ordre du
gouverneur, la douleur au coeur il dut livrer Mirza Hasan aux gardes qui le
réclamèrent "Ne soyez pas triste" dit Mirza Hasan à son hôte "c'est l'heure
de mon martyr qui approche ; je m'y attendais avec joie depuis longtemps".
Ceci dit, il donna sa montre à l'un des gardes, et tout ce qu'il avait avec
lui, il le partagea parmi les autres.
Amené auprès du gouverneur, il y rencontra ses deux frères. A peine arrivé il
vit le gouverneur s'attaquer à lui avec des propos injurieux, maudissant sa
foi:
"Excellence" lui dit-il "si vous saviez ce que je sais, vous n'auriez pas tenu
ce langage indigne de vous".
Le gouverneur explosa, lui donna une gifle et se mit à le frapper sur la tête
avec sa canne. Puis il ordonna que l'on enlève aux trois frères leurs vêtements,
qu'on les enchaîne et qu'on les mette en prison. Ce qui fournit à l'Imam Jom'ah
une excellente occasion de faire piller leur maison et de s'approprier leurs
biens mobiliers (chameaux et marchandises) et immobiliers.
Mais d'autre part, alarmés par la nouvelle de leur arrestation les commerçants
des différentes villes envoyèrent des télégrammes au Shah et au gouverneur,
leur expliquant les préjudices qu'ils auraient subi. Le Shah avait ordonné d'envoyer
les prisonniers à Téhéran. Mais, désirant mettre la main le plus tôt possible
sur les biens des victimes, le gouverneur décida d'en finir avec eux et de n'annoncer
au clergé la réception du télégramme du Shah qu'après l'exécution des deux frères.
Il essaya pourtant de leur faire renier leur foi et leur promit la liberté contre
une forte somme d'argent liquide.
Les deux premiers des frères lui dirent que tomber martyr pour la Foi était
leur seul désir en ce monde.
Afin d'avoir la vie sauve le troisième (le plus jeune des trois) consentit à
payer 9000 touman (Equivalent de 13000 dollars à époque (plusieurs millions
aujourd'hui)) et à dire qu'il n'était pas baha'i.
Il fut donc libéré et envoyé chercher l'argent promis. Quant aux deux autres,
sur la base de la sentence signée par le clergé et de l'engagement de celui-ci
à être responsable en ce monde et dans l'autre, le gouverneur ordonna le bourreau
de les décapiter.
À la vue du bourreau avec son épée tirée du fourreau Mirza Hossein, le frère
aîné dit à son cadet: "C'est moi que les tyrans veulent tuer. Il vaut mieux
que tu dises que c'est seulement ton frère aîné qui est baha'i ce qui te permettra
de sauver ta vie et de pouvoir protéger ma femme et mes enfants".
"Non, mon cher frère, Dieu est le Seul Protecteur. Restons toujours ensemble,
même dans l'au-delà".
Touché par ce dialogue et se sentant déjà endetté à leur égard à cause de leur
générosité incessante dans le passé, le bourreau les supplia de renier leur
foi, pour lui permettre ainsi de ne pas commettre cet acte ignoble.
"Mais tu ne fais que ton devoir" répondit le frère cadet.
Alors il leur banda les yeux pour procéder ensuite à la décapitation, tâche
qui lui parut difficile, car chacun désirant être le premier à offrir son sang,
empêchait l'autre d'avancer. Cette scène tragique dura presqu'une heure devant
les yeux des deux mollahs, leurs vrais meurtriers. Finalement ceux-ci firent
signe au bourreau de porter le coup fatal au moment où les deux frères étaient
dans les bras l'un de l'autre et ne cessaient d'invoquer BAHA'U'LLAH.