BAHA'U'LLAH
ET L'ÈRE NOUVELLE
Une introduction à la foi baha'ie
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3. BAHA'U'LLAH: LA GLOIRE DE DIEU
"Ô toi qui attends,
ne t'attarde plus, car il est venu. Vois son tabernacle où réside sa gloire.
C'est la gloire ancienne dans une nouvelle manifestation." (BAHA'U'LLAH)
3.1. Naissance et Premières années
Mirza Husayn-'Ali, qui adopta plus tard le nom de Baha'u'llah [note: Mettre
l'accent sur les deuxième et quatrième syllabes, la première syllabe étant presque
muette et les deux l prononcés distinctement.] (c'est-à-dire "la Gloire
de Dieu"), était le fils aîné d'un vizir ou ministre d'État, Mirza 'Abbas, originaire
de Nur. Sa famille était riche et distinguée, plusieurs de ses membres ayant
occupé, en Perse, des postes importants dans le gouvernement, l'armée et l'administration.
Il naquit à Tihran, capitale de l'Iran, entre l'aube et le lever du soleil,
le 12 novembre 1817 [2 muharram, 1233 A.H.]. Il ne fréquenta jamais ni
école ni collège et le peu d'instruction qu'il reçut lui fut donné chez lui.
Cependant, tout enfant déjà, il fit preuve d'une sagesse et d'un savoir extraordinaires.
Il était encore tout jeune quand son père mourut, le laissant chef de famille,
chargé de ses jeunes frères et soeurs et du soin des grands domaines familiaux.
'Abdu'l-Baha, le fils aîné de Baha'u'llah, raconta à l'auteur de ce livre quelques
traits de l'enfance de son père:
Enfant, il était déjà extrêmement bon et généreux. Il aimait la vie en plein
air et passait la plus grande partie de son temps dans les jardins et les champs.
Il avait un extraordinaire pouvoir d'attraction que tous ressentaient. Les gens
se pressaient toujours nombreux autour de lui. Les ministres et les personnalités
de la cour l'entouraient et même les enfants lui étaient dévoués. Dès qu'il
eut atteint l'âge de treize ou quatorze ans, il devint renommé pour son savoir.
Il savait converser sur n'importe quel sujet et résoudre tous les problèmes
qui lui étaient soumis. Dans les grandes assemblées, il discutait avec les 'ulama
[Note: docteurs de la loi, théologiens chez les musulmans] et pouvait élucider
des points religieux compliqués. Tous l'écoutaient avec le plus grand intérêt.
Baha'u'llah était âgé de vingt-deux ans quand son père mourut, et le gouvernement
souhaitait le voir succéder à son père dans les fonctions de ministre, ainsi
que le voulait la coutume iranienne, mais Baha'u'llah déclina cette offre. Alors
le Premier ministre dit: "Qu'il garde sa liberté. Cette position est indigne
de lui. Il a en vue quelque but plus élevé. Je ne puis le comprendre, mais je
suis convaincu qu'il est destiné à quelque haute mission. Ses pensées sont différentes
des nôtres. Laissons-le."
3.2. Emprisonné comme Babi
En 1844, quand le Bab déclara sa mission, Baha'u'llah, alors dans sa vingt-septième
année, épousa hardiment la foi nouvelle et fut bientôt considéré comme l'un
de ses promoteurs les plus puissants et les plus intrépides.
Il avait déjà subi deux emprisonnements pour la cause et avait enduré la bastonnade
quand, en août 1852, eut lieu un événement lourd des plus terribles conséquences
pour les Babis. Un des disciples du Bab, un jeune homme nommé Sadiq, avait été
si affecté par les souffrances infligées à son maître vénéré--souffrances dont
il avait été le témoin--qu'il perdit la raison. Voulant venger son maître, il
tira un coup de pistolet sur le shah de Perse. Cependant, son arme n'était chargée
que de petits plombs et, bien que quelques grains atteignirent leur but, le
mal causé fut sans gravité. Le jeune homme désarçonna le shah mais il fut aussitôt
saisi par les gardes du souverain et mis à mort sur-le-champ.
Toute la communauté babie en fut injustement tenue pour responsable et, pour
ce seul acte, des massacres terribles furent perpétrés. À Tihran, quatre-vingts
babis furent mis à mort après avoir été honteusement torturés. D'autres furent
arrêtés et jetés en prison; parmi eux se trouvait Baha'u'llah. Il écrivit par
la suite:
Par la justice de Dieu! Nous n'étions pas mêlé en quoi que ce soit à cet
acte odieux, et notre innocence fut indiscutablement prouvée par les tribunaux.
Néanmoins, nous fûmes appréhendé. De Niyavaran, qui était alors la résidence
de Sa Majesté, nous fûmes conduit en prison à Tihran. Un brutal cavalier, qui
nous accompagnait, arracha notre kulah. [Note: Sorte de bonnet ou de calotte]
tandis qu'une bande de fonctionnaires et de bourreaux nous entraînaient précipitamment
et avec rudesse. Pendant quatre mois, nous fûmes enfermé dans un lieu immonde,
hors de toute comparaison. Quant au cachot où étaient confinés cet opprimé ainsi
que d'autres, opprimés eux aussi, une cellule étroite et sombre eut été préférable.
À notre arrivée, on nous fit d'abord traverser un couloir très sombre d'où nous
descendîmes trois séries de marches jusqu'au lieu de réclusion qui nous était
assigné. L'obscurité la plus complète régnait dans ce cachot, et nos compagnons
de captivité, près de cent cinquante hommes, se composaient de voleurs, d'assassins
et de bandits de grand chemin. Bien que bondé, ce lieu n'avait pas d'autre issue
que le couloir par lequel nous étions entré. La plume est impuissante à décrire
cet endroit et aucune parole n'en peut définir la répugnante odeur. La plupart
de ces hommes n'avaient ni vêtements ni literie pour s'étendre. Dieu seul sait
ce qui nous est arrivé dans ce lieu, le plus nauséabond et le plus lugubre qui
soit.
Jour et nuit, dans ce cachot, nous songions aux exploits, à la situation et
au comportement des babis: comment, avec leur grandeur d'âme, leur noblesse
et leur intelligence, avaient-ils pu accomplir un tel acte de violence et de
témérité sur la personne de Sa Majesté? Alors, cet opprimé décida qu'à sa sortie
de prison, il se consacrerait, de toutes ses forces, à régénérer ces âmes.
Une nuit, en rêve, ces paroles exaltantes se firent entendre de tous côtés:
"En vérité, Nous te rendrons victorieux par toi-même et par ta plume. Ne t'afflige
pas de ce qui t'est arrivé et ne sois pas effrayé, car tu es en sécurité. Avant
longtemps, Dieu fera paraître les trésors de la terre--des hommes qui t'aideront
par toi-même et par ton nom, par lesquels Dieu a ranimé le coeur de ceux qui
L'ont reconnu."
(BAHA'U'LLAH, Épistle to the Sun of the Wolf, pp. 20 à 22.)
3.3. Exil à Baghdad
Ce terrible emprisonnement dura quatre mois, mais Baha'u'llah et ses compagnons
demeurèrent pleins de zèle, d'enthousiasme et de sérénité. Presque chaque jour,
un ou plusieurs d'entre eux étaient torturés ou mis à mort et on rappelait aux
autres que leur tour pouvait être proche. Lorsque les bourreaux venaient chercher
un des leurs, celui qui était désigné dansait littéralement de joie, baisait
les mains
de Baha'u'llah, embrassait ses coreligionnaires puis, avec une joyeuse ardeur,
se hâtait vers le lieu de son martyre.
Il s'avéra--preuves à l'appui--que Baha'u'llah n'était en rien mêlé au complot
contre le shah, et le ministre de Russie attesta la pureté de son caractère.
En outre, il était si malade qu'on craignit une issue fatale. Si bien qu'au
lieu de le condamner à mort, le shah ordonna son exil dans l'Iraq arabe [note:
La province de Baghdad.], en Mésopotamie; aussi, quinze jours plus tard
fit-on partir Baha'u'llah, accompagné de sa famille et d'un certain nombre d'autres
croyants. Tous souffrirent terriblement du froid durant ce long voyage hivernal
et ils arrivèrent à Baghdad dans un état de dénuement presque complet.
Dès que sa santé le lui permit, Baha'u'llah entreprit d'instruire ceux qui venaient
à lui et d'encourager les croyants. Bientôt, la paix et le bonheur régnèrent
parmi les babis. [note: Ces faits se passaient au début de l'année 1853,
c'est-à-dire neuf ans après la déclaration du Bab, accomplissant certaines prophéties
du Bab concernant l'année 9.] Toutefois, cette période fut de courte durée.
Le demi-frère de Baha'u'llah, Mirza Yahya, connu aussi sous le nom de Subh-i-Azal,
arriva à Baghdad et, peu après, des dissensions, secrètement fomentées par lui,
commencèrent à s'élever comme jadis entre les disciples du Christ. Ces dissensions
qui, plus tard, à Andrinople, devinrent ouvertes et violentes, furent extrêmement
pénibles pour Baha'u'llah dont le seul but dans la vie était l'avènement de
l'unité entre les peuples du monde.
3.4. Deux années dans la solitude
Un an environ après son arrivée à Baghdad, il se retira seul dans le désert
de Sulaymaniyyih, n'emportant qu'un vêtement de rechange. À propos de cette
période, il écrit dans le Kitab-i-Iqan [Le Livre de la certitude] ce
qui suit:
"Dès les premiers jours de notre arrivée ici, nous avions discerné les signes
des événements futurs et, avant qu'ils ne se produisent, nous décidâmes de nous
retirer dans la solitude. Je demeurai ainsi, seul et abandonné, pendant deux
ans dans le désert. Des larmes d'angoisse coulaient de mes yeux, un océan d'afflictions
et de peines gonflait mon coeur sanglant; combien de jours ai-je passés sans
nourriture pour me soutenir, et combien de nuits où mon corps ne trouva point
de repos! Malgré toutes ces calamités et ces afflictions continuelles, par celui
qui tient mon âme entre ses mains, je n'ai jamais été plus heureux; j'ai connu
le vrai bonheur et la joie parfaite car, dans ma solitude, je n'avais pas le
spectacle des malheurs, des soucis, des maladies de chacun. Dans l'isolement,
je me recueillais en esprit, oublieux du monde et de tout ce qu'il renferme.
Mais j'ignorais que les mailles de la destinée divine sont plus serrées que
nous ne pensons et que les flèches de ses décrets l'emportent sur les desseins
humains les plus hardis. Nul ne peut s'affranchir de la volonté de Dieu, et
sa seule ressource est de s'y soumettre. Par la justice de Dieu! Lors de mon
départ, je n'envisageais pas de revenir. C'était une séparation sans espoir
de retour. Je ne désirais qu'une seule chose: ne pas être un objet de discorde
pour les croyants, un motif de révolte pour mes compagnons ni une cause de souffrance
ou de tristesse pour les âmes et les coeurs. Tel était mon unique désir et je
n'avais pas d'autre but. Malgré cela, chacun faisait ses propres plans et poursuivait
ses vaines chimères, jusqu'au moment où, de la source mystique, me parvint l'ordre
de revenir et, soumis, je revins ici. Ma plume est impuissante à dire ce que
je vis alors! Durant deux ans, mes ennemis avaient conjugué tous leurs efforts
pour essayer de me faire périr, ainsi que chacun le sait."
(BAHA'U'LLAH, Le Livre de la certitude, p. 120.)
Livre de la certitude
3.5. Opposition des mullas
Après son retour, sa renommée grandit plus que jamais et les gens affluèrent
vers Baghdad pour le voir et entendre ses enseignements. Juifs, chrétiens et
zoroastriens aussi bien que musulmans furent attirés par le nouveau message.
Cependant, les mullas (théologiens musulmans) adoptèrent une attitude hostile
et complotèrent obstinément sa ruine. Un jour, ils envoyèrent un des leurs pour
lui poser certaines questions. L'envoyé trouva les réponses de Baha'u'llah si
convaincantes, et sa sagesse si surprenante--bien que, de toute évidence, non
acquise par l'étude--qu'il fut obligé d'avouer que le savoir et l'intelligence
de Baha'u'llah étaient incomparables. Toutefois, afin de convaincre les mullas
qui l'avaient envoyé de la réalité du don de prophétie de Baha'u'llah, il lui
demanda de produire quelque miracle a titre de preuve.
Baha'u'llah se montra disposé à accepter sous certaines conditions. Il déclara
qu'il fournirait la preuve désirée; que, sinon, il s'avouerait coupable d'imposture;
mais il exigeait que les mullas soient d'accord sur le genre de miracle à produire
et qu'ils signent et scellent un document stipulant que, sitôt le miracle accompli,
ils reconnaîtraient l'authenticité de sa mission et cesseraient toute opposition.
Si le but réel des mullas avait été de rechercher la vérité, certes ils auraient
saisi cette occasion. Mais leur intention était tout autre; ils redoutaient
d'apprendre la vérité; aussi se dérobèrent-ils à cet audacieux défi.
Leur défaite, toutefois, ne fit que les inciter à fomenter de nouveaux complots
pour saper le mouvement à la base. Le consul général de Perse à Baghdad les
y aida; il envoya plusieurs messages simultanés au shah afin de dénoncer Baha'u'llah
comme nuisant plus que jamais à la religion musulmane et l'accusa encore d'exercer
une influence néfaste sur l'Iran; il insista pour qu'il fût exilé plus loin.
Alors que les mullas musulmans, les persans et le gouvernement turc coalisaient
leurs efforts pour déraciner le mouvement, Baha'u'llah, d'une façon qui le caractérise
bien, ne se départit jamais, durant cette épreuve, de son attitude calme et
sereine, encourageant et inspirant ses disciples, écrivant d'impérissables paroles
de consolation et de guidance. 'Abdu'l-Baha raconte dans quelles conditions
"Les Paroles cachées" furent écrites en cette période. Baha'u'llah se
promenait souvent le long des rives du Tigre. Il en revenait rayonnant de bonheur
et écrivait alors ces joyaux poétiques, ces sages préceptes qui ont apporté
aide et guérison à des milliers de coeurs souffrants et troublés. Des années
durant, seules existèrent quelques rares copies manuscrites des Paroles cachées,
et on les dissimulait avec soin de crainte de les voir tomber entre les mains
des ennemis qui veillaient. Mais maintenant, de toutes les oeuvres de Baha'u'llah,
ce petit volume est probablement le plus connu; il est lu dans toutes les parties
du monde. Le Kitab-i-Iqan est une autre des oeuvres les plus répandues
de Baha'u'llah, écrite à peu près à la même époque, vers la fin de son séjour
à Baghdad. (A.D.1862-1863.)
3.6. Déclaration du Ridvan près de Baghdad
[Note : Ridvan se prononce "Rezvan" en persan]
Après maintes négociations, un ordre du gouvernement turc enjoignit à Baha'u'llah
de se rendre à Constantinople, à la requête du gouvernement iranien. En apprenant
cette nouvelle, les disciples furent plongés dans la consternation. Ils se rendirent
en masse à la maison de leur chef vénéré, à tel point que, pendant douze jours,
la famille alla camper hors de la ville, dans le jardin de Najib Pasha, tandis
qu'on préparait la caravane pour le long voyage.
Ce fut exactement dix-neuf ans après la déclaration du Bab, le premier de ces
douze jours (21 avril au 2 mai 1863) que Baha'u'llah confia la bonne nouvelle
à plusieurs de ses disciples: il leur annonça qu'il était celui dont la venue
avait été prédite par le Bab, le Promis de tous les prophètes, l'élu de Dieu.
Le jardin où eut lieu cette mémorable déclaration est bien connu des baha'is
sous le nom de jardin du Ridvan. Les douze jours que Baha'u'llah y passa sont
commémorés chaque année par la fête du Ridvan qui a lieu à la date anniversaire.
Pendant ce séjour, Baha'u'llah, loin d'être triste et déprimé, montrait la plus
grande joie, la plus grande majesté et la plus grande puissance. Ses disciples
étaient heureux et enthousiastes et de grandes foules accouraient pour lui témoigner
leur vénération. Tous les notables de Baghdad et même le gouverneur vinrent
rendre hommage au prisonnier qui s'en allait.
3.7. Constantinople et Andrinople
Le voyage pour Constantinople dura trois à quatre mois, pendant lesquels Baha'u'llah,
les membres de sa famille et ses vingt-six disciples eurent énormément à souffrir
des intempéries. Arrivés à destination, ils furent emprisonnés dans une petite
maison où ils se trouvèrent terriblement entassés. Plus tard, on leur accorda
un logement moins exigu, mais au bout de quatre mois, ils furent de nouveau
déplacés, cette fois vers Andrinople. Ce voyage, bien qu'il ne durât que quelques
jours, fut le plus terrible qu'ils eussent jamais entrepris. La neige tombait
en abondance presque constamment et, comme ils manquaient de vêtements chauds
et de nourriture, leurs souffrances furent extrêmes.
Pendant tout ce premier hiver à Andrinople, Baha'u'llah et les douze personnes
de sa famille vécurent dans une petite maison de trois pièces, dépourvue de
confort et infestée de vermine. Au printemps, on leur donna un abri moins précaire.
Ils demeurèrent à Andrinople plus de quatre ans et demi. Dans cette ville, Baha'u'llah
se remit à enseigner, groupant autour de lui un vaste auditoire. Il y annonça
publiquement sa mission et fut reconnu avec enthousiasme par la majorité
des babis qui furent, dès lors, désignés sous le nom de baha'is.
Toutefois, sous la conduite du demi-frère de Baha'u'llah, Mirza Yahya une minorité
se retourna violemment contre lui et se joignit à ses anciens ennemis, les shi'ihs,
pour comploter sa chute. De grands troubles s'ensuivirent et, à la fin, le gouvernement
turc bannit d'Andrinople babis et baha'is, exilant Baha'u'llah et ses disciples
à 'Akka, en Palestine, où ils parvinrent--d'après Nabil [note: Auteur d'une
histoire sur les débuts de la foi, "The Dawn Breakers", Nabil participa à quelques
scènes décrites dans cet ouvrage, et il fut en relation étroite avec bon nombre
des premiers croyants] - le 31 août 1868, tandis que Mirza Yahya et sa suite
étaient expédiés à Chypre.
3.8. Lettres aux rois
C'est à cette époque que Baha'u'llah écrivit ses fameuses lettres au sultan
de Turquie, aux principaux souverains d'Europe, au pape et au shah d'Iran. Plus
tard, dans son Kitab-i-Aqdas [note: L'Aqdas, Kitab-i-Aqdas, le plus saint
Livre, le Livre de l'Aqdas, font tous référence au même livre], il s'adressa
à d'autres souverains, aux chefs d'État et au président des États-Unis d'Amérique,
aux chefs religieux en général et à l'humanité tout entière, leur annonçant
sa mission et les adjurant de déployer tous leurs efforts en vue de l'établissement
de la vraie religion, d'un gouvernement équitable et de la paix internationale.
Dans sa lettre au shah, il plaidait éloquemment la cause des babis opprimés
et demandait à être confronté avec les instigateurs de la persécution. Inutile
de dire que cette requête fut vaine. Badi, le jeune et dévoué baha'i qui porta
la lettre de Baha'u'llah, fut arrêté et martyrisé cruellement au moyen de briques
brûlantes appliquées sur la chair.
Cette même lettre de Baha'u'llah fournit un très émouvant compte-rendu de ses
souffrances et de ses aspirations:
Ô Souverain! J'ai vu, dans le chemin de Dieu, ce que nul oeil n'a vu, ce que
nulle oreille n'a entendu. Les amis m'ont désavoué. Pour moi, les chemins sont
fermés; le puits de la sécurité est desséché; la plaine du repos est jaunie.
Que de souffrances se sont abattues sur moi et, bientôt, m'atteindront encore!
J'avance vers le Puissant, le Généreux tandis que, derrière moi, rampe le serpent.
J'ai tant versé de larmes que mes pleurs ont transpercé mon lit. Mais ce n'est
pas sur moi que je m'attriste. Par Dieu! Ma tête désire ardemment la lance pour
l'amour de son Dieu. Je ne suis jamais passé près d'un arbre sans que mon coeur
ne lui dise: "Oh, puisses-tu être abattu en mon nom pour que mon corps soit
crucifié sur toi dans le chemin de mon Seigneur!" Oui, car je vois l'humanité
égarée dans son ivresse et elle ne le sait pas! Les hommes ont exalté leurs
passions et repoussé leur Dieu, comme s'ils prenaient son commandement pour
une dérision, un jeu, un divertissement! Et ils croient bien agir et se réfugient
dans une citadelle imprenable! Grande est leur erreur: demain ils verront ce
qu'ils nient aujourd'hui!
Nous sommes sur le point de quitter ce lointain lieu de bannissement (Andrinople)
pour la prison de 'Akka. On dit que c'est certainement la ville du monde la
plus désolée, celle qui offre l'aspect le plus désagréable, le climat le plus
détestable et l'eau la plus malsaine qui soient. Il semble que ce soit la capitale
des hiboux, car on n'y perçoit que leurs hululements. Et c'est là qu'ils veulent
emprisonner ce serviteur, fermer sur notre visage les portes de la douceur,
nous privant, pendant les jours qu'il nous reste à vivre, des bonnes choses
de la vie!
Par Dieu! Dussent la fatigue m'abattre, la faim m'épuiser, la roche nue me servir
de lit et les bêtes des champs me tenir lieu de compagnons, je ne me plaindrai
pas; je le supporterai patiemment, comme d'autres, par le pouvoir de Dieu, l'éternel
Souverain, le Créateur des nations, l'ont supporté et, en toutes circonstances,
je rendrai grâce à Dieu. Et j'espère que, par sa faveur, qu'Il soit exalté!
cette détention servira à libérer les hommes des chaînes et des fers et leur
permettra de se tourner avec sincérité vers le visage de celui qui est le Puissant,
le Généreux. En vérité, Il répond à celui qui l'invoque et Il est près de celui
qui l'appelle. Et je Lui demande de faire de cette noire calamité un bouclier
protégeant ses fidèles contre les épées acérées et les lances coupantes. Au
travers des afflictions, éternellement, sa lumière a brillé et sa louange fut
glorieuse. Telle fut sa méthode dans les temps anciens et les cycles passés.
(La Proclamation de Baha'u'llah, pp. 55 et 56.)
La proclamation de Baha'u'llah
3.9. Emprisonnement à 'Akka
À cette époque, 'Akka était une forteresse où l'on enfermait les pires criminels
envoyés de toutes les parties de l'Empire turc. En y arrivant, après un pénible
voyage par mer, Baha'u'llah et ses disciples, environ quatre-vingts personnes,
hommes, femmes et enfants, furent emprisonnés dans des casernes. L'endroit était
malpropre et lugubre à l'extrême. Ni lits, ni commodités d'aucune sorte. La
nourriture y était mauvaise et insuffisante si bien que, au bout de quelque
temps, les prisonniers implorèrent la permission d'acheter eux-mêmes leur nourriture.
Les premiers jours, les enfants pleuraient sans discontinuer, rendant tout sommeil
impossible. La malaria, la dysenterie et d'autres maladies se déclarèrent; tous
furent contaminés, sauf deux personnes. Trois malades succombèrent et les souffrances
des survivants furent indescriptibles [note: Afin qu'on pût enterrer deux
des morts, Baha'u'llah donna à vendre sa propre couverture pour payer les funérailles,
mais au lieu d'employer l'argent à cet effet, les soldats se l'approprièrent
et jetèrent les corps dans une fosse. D'après 'Abdu'l-Husayn Avarih Tafti.].
Cet emprisonnement rigoureux dura deux années pendant lesquelles aucun baha'i
ne put franchir les portes de la prison, sauf les quatre hommes sévèrement escortés
qui allaient chaque jour acheter la nourriture.
De plus, les visiteurs étaient rigoureusement exclus. Plusieurs baha'is d'Iran
firent toute la route à pied pour voir leur chef vénéré, mais ils se virent
refuser l'entrée de l'enceinte de la ville. Ils allaient alors à un endroit
de la plaine, au-delà du troisième fossé, d'où ils pouvaient voir les fenêtres
de Baha'u'llah. Par l'une d'elles, il apparaissait; après l'avoir contemplé
de loin, versant bien des larmes, les fidèles s'en retournaient à leur foyer,
enflammés d'un nouveau zèle, prêts à se sacrifier pour sa cause et pour la servir.
3.10. Les sévérités se relâchent
Enfin l'emprisonnement fut adouci. Les troupes turques ayant été mobilisées,
il fallut rendre les casernes aux soldats. Baha'u'llah et sa famille furent
transférés dans une maison et ses disciples s'installèrent dans un caravansérail
de la ville. Baha'u'llah resta encore sept années confiné en cette demeure.
Dans une petite pièce près de celle où il était emprisonné, treize membres de
sa famille, féminins et masculins, devaient s'accommoder comme ils le pouvaient.
Au début de leur séjour, ils souffrirent énormément de l'insuffisance de nourriture,
du manque d'espace, de l'absence des commodités les plus élémentaires. Toutefois,
par la suite, on leur accorda quelques chambres supplémentaires; ils purent
alors goûter un bien-être relatif. Dès le jour où Baha'u'llah et ses compagnons
quittèrent les casernes, ils eurent la possibilité de recevoir des visiteurs
et, graduellement, les sévères restrictions imposées par les fonctionnaires
du gouvernement impérial turc se relâchèrent, sans cesser toutefois d'être appliquées
rigoureusement de temps à autre.
3.11. Les portes de la prison s'ouvrent
Même dans les moments les plus sombres de leur captivité, les baha'is ne perdirent
jamais courage; leur confiance sereine ne fut jamais ébranlée. Pendant qu'il
était dans les casernes de 'Akka, Baha'u'llah écrivait à des amis: Ne craignez
point. Ces portes s'ouvriront. Ma tente sera plantée un jour sur le mont Carmel
et nous connaîtrons la plus grande joie. Cette déclaration fut une source
de consolation pour ses disciples et elle se réalisa littéralement en son temps.
'Abdu'l-Baha a raconté comment les portes de la prison s'ouvrirent. Nous ne
saurions mieux faire que de citer son admirable récit, traduit du persan [En
anglais] par son petit-fils, Shoghi Effendi:
Baha'u'llah aimait la beauté et la verdure des campagnes. Un jour, il fit
cette remarque: "Je n'ai vu aucune verdure depuis neuf ans. La campagne est
le monde de l'âme, la ville est le monde des corps." Quand ce propos me fut
rapporté, je compris à quel point il avait la nostalgie de la nature et je fus
convaincu de réussir par mes efforts à satisfaire son désir. Il y avait alors
à 'Akka un homme appelé Muhammad Pasha Safwat qui nous était extrêmement hostile.
Il possédait un palais appelé "Mazra'ih", situé à environ sept kilomètres au
nord de la ville, dans un site ravissant tout entouré de jardins où coulait
un ruisseau. J'allai trouver le propriétaire chez lui. Je lui dis: "Pasha, votre
palais est vide et vous vivez à 'Akka." Il répondit: "Je suis infirme et ne
puis quitter la ville. Si je vais là-bas, en ce lieu solitaire, je me sens loin
de mes amis." Je dis: "Puisque vous ne vivez pas là-bas et que la maison est
vide, laissez-nous y aller." Il fut stupéfait de la proposition mais ne tarda
pas à l'accepter. J'eus la maison pour un loyer très minime, environ cinq livres
par an; je lui payai cinq années et fis un bail. J'envoyai des ouvriers réparer
la maison, mettre le jardin en état et j'y fis installer des bains. Je fis aussi
préparer une voiture pour la Beauté bénie [Jamal-i-Mubarak (la Beauté bénie)
était un titre souvent donné à Baha'u'llah par ses disciples et ses amis]. Un
jour, je résolus d'aller visiter l'endroit moi-même.
En dépit des firmans [Édits, décrets] répétés nous interdisant de passer la
limite des murs de la ville, je sortis de la cité. Des gendarmes veillaient,
mais ils n'élevèrent aucune objection et je me dirigeai directement vers le
palais. Le jour suivant, je m'y rendis de nouveau, accompagné de quelques amis
et personnalités de la ville et je ne fus ni arrêté ni molesté, bien que des
gardes et des sentinelles veillassent de chaque côté des portes. Une autre fois,
je préparai un banquet, fis mettre la table sous les pins de Bahji et je réunis
les notables et les fonctionnaires de la ville. Le soir, nous retournâmes tous
ensemble à 'Akka.
Un jour, je me rendis en la sainte présence de la Beauté bénie et je lui dis:
"La villa de Mazra'ih est prête pour vous recevoir et une voiture attend pour
vous y conduire." (En ce temps-là, il n'y avait de voiture ni à 'Akka ni à Haïfa.)
Il refusa, disant: "Je suis prisonnier." Quelque temps après, je renouvelai
ma requête, mais sans plus de succès. Je m'enhardis jusqu'à en parler une troisième
fois, mais la réponse fut encore "non" et je n'osai pas insister davantage.
Cependant, il y avait à 'Akka un certain shaykh musulman, homme bien connu et
très influent qui vénérait Baha'u'llah et avait su gagner sa confiance. J'appelai
ce shaykh et lui expliquai la situation. Je lui dis: "Vous êtes hardi; allez
ce soir en la sainte présence, mettez-vous à genoux devant elle, prenez- lui
les mains et n'abandonnez pas avant d'avoir obtenu sa promesse de quitter la
ville." Il était arabe [C'est-à-dire persévérant, tenace, courageux. (Note du
comité de traduction.)]!... Il se rendit à l'instant auprès de Baha'u'llah,
s'assit tout près de lui, s'empara des mains de la Beauté bénie, les baisa et
demanda: "Pourquoi ne quittez-vous pas la ville?" Baha'u'llah dit: "Je suis
prisonnier." Le shaykh répliqua: "Dieu vous en garde! Qui a le pouvoir de faire
de vous un prisonnier? Vous vous emprisonnez vous-même. C'est par votre volonté
seule que vous avez été emprisonné et maintenant je vous supplie de partir d'ici
pour vous rendre à ce manoir. Il est agréable et entouré de verdure. Les arbres
y sont splendides et les oranges y ressemblent à des boules de feu." Aussi longtemps
que la Beauté bénie répéta: "Je suis un prisonnier, cela est impossible", le
shaykh prit ses mains et les embrassa. Il plaida une heure durant. À la fin,
Baha'u'llah dit: "Khayli Khub!" (très bien) et la patience et la persévérance
du shaykh se trouvèrent récompensées. Il vint me trouver tout joyeux et m'annonça
la bonne nouvelle du consentement de Sa Sainteté.
En dépit du sévère firman de 'Abdu'l-'Aziz qui m'interdisait toute rencontre
et communication avec la Perfection bénie, je pris la voiture le lendemain et
conduisis Baha'u'llah au manoir. Personne n'y fit objection. Je l'y laissai
et revins à la ville.
Il demeura deux années en ce lieu charmant. Ensuite, nous décidâmes de partir
pour Bahji. Une épidémie s'étant déclarée à Bahji, le propriétaire d'une certaine
maison, sur le point de s'enfuir avec sa famille, avait décidé de confier sa
maison gratuitement à qui en ferait la demande. Nous la louâmes pour un loyer
très minime et là, les portes de la majesté et de la vraie souveraineté s'ouvrirent
toutes grandes.
Baha'u'llah était théoriquement prisonnier (car les implacables firmans du sultan
'Abdu'l-'Aziz ne furent jamais abrogés) mais en réalité il déployait tant de
noblesse et de dignité dans sa vie et son comportement qu'il était vénéré par
tous, et ceux qui régnaient sur la Palestine enviaient son influence et sa puissance.
Les gouverneurs et les mutasarrifs, fonctionnaires généraux et locaux, sollicitaient
humblement l'honneur d'être admis en sa présence, requête qui leur était rarement
accordée.
À une certaine occasion, le gouverneur de la ville implora cette faveur, s'appuyant
sur le fait que les autorités suprêmes lui avaient commandé d'aller, en compagnie
d'un général, rendre visite à la Perfection bénie. La demande ayant été acceptée,
le général, un Européen, homme de forte corpulence, fut tellement impressionné
par la majestueuse présence de Baha'u'llah qu'il resta agenouillé sur le sol,
près de la porte. La déférence des deux visiteurs était telle qu'il fallut des
invitations réitérées de Baha'u'llah pour les décider à fumer le narguilé qui
leur était offert. Même alors, ils ne firent que l'effleurer de leurs lèvres
et, le posant à côté d'eux, ils se croisèrent les bras et se tinrent dans une
attitude de respect et d'humilité telle que tous ceux qui étaient présents en
furent étonnés.
L'affectueuse vénération des amis, la considération et la déférence témoignées
par les hauts fonctionnaires et les notables à son égard, le flot de pèlerins
et de chercheurs de vérité, l'esprit de dévotion et de service qui se manifestait
dans son entourage, le comportement majestueux et royal de la Perfection bénie,
l'efficacité de ses préceptes, le nombre de ses disciples dévoués, tout cela
portait témoignage du fait que Baha'u'llah était, non un prisonnier, mais en
réalité le roi des rois. Quoique confiné dans les prisons qui appartenaient
à deux souverains despotiques, puissants autocrates ligués contre sa personne,
il s'adressait à eux en termes sévères, comme un roi s'adresserait à ses sujets.
Par la suite, en dépit des rigoureux firmans, il vécut à Bahji comme un prince.
Il disait souvent: "En vérité, la plus misérable prison a été changée en paradis
terrestre."
Certes, rien de pareil n'a pu être observé depuis la création du monde.
3.12. La vie à Bahji
Ayant, dans ses précédentes années de malheur, montré comment on peut glorifier
Dieu dans la pauvreté et l'ignominie, Baha'u'llah, dans ses dernières années
à Bahji, montra comment on peut glorifier Dieu au sein des honneurs et de l'abondance.
Les offrandes de centaines de milliers de disciples dévoués mirent à sa disposition
des sommes importantes qu'il fut appelé à administrer. Bien que sa vie à Bahji
ait été décrite comme vraiment royale, au sens le plus élevé du terme, toutefois
il ne faut pas s'imaginer qu'elle l'était par la splendeur matérielle et l'extravagance.
La Perfection bénie et sa famille vivaient d'une façon très simple, très modeste,
et toutes les dépenses destinées à satisfaire un luxe égoïste étaient exclues
de la maison. Près de son habitation, les croyants aménagèrent un très beau
jardin, appelé Ridvan (paradis), dans lequel il passait souvent plusieurs journées
consécutives et même des semaines, dormant la nuit dans un modeste pavillon
construit dans le jardin. Quelquefois, il s'aventurait dans la campagne.
Il visita plusieurs fois 'Akka et Haïfa et, à plusieurs reprises, sa tente fut
plantée sur le mont Carmel, comme il l'avait prédit pendant son emprisonnement
à 'Akka. Baha'u'llah passait la plus grande partie de son temps à prier et à
méditer, à écrire ses livres sacrés et ses tablettes inspirées, à faire l'éducation
spirituelle de ses disciples. Afin qu'il eût tout loisir de se consacrer à cette
oeuvre, 'Abdu'l-Baha se chargea des autres occupations, recevant même les mullas,
les poètes, les membres du gouvernement. Tous étaient enchantés de ces entretiens
et parfaitement satisfaits de ses explications et, sans voir Baha'u'llah en
personne, ils devenaient ses amis, car 'Abdu'l-Baha savait, par son attitude
et ses paroles, leur faire comprendre le rang de son père.
Un orientaliste distingué, le professeur Edouard G. Browne de l'université de
Cambridge, alla voir Baha'u'llah à Bahji en 1890, et il nota ses impressions
comme suit:
Mon guide s'arrêta un moment pendant que j'enlevais mes chaussures. Puis,
d'un mouvement rapide de la main, il tira la tenture et la referma aussitôt
derrière moi. Je me trouvai alors dans une vaste salle au fond de laquelle il
y avait un divan bas, tandis qu'en face de la porte étaient placées deux ou
trois chaises. Bien que sachant vaguement où j'allais et qui j'allais voir--aucune
précision ne m'avait été fournie--il me fallut une ou deux secondes avant que,
le coeur battant de surprise et de crainte respectueuse, je réalise que la chambre
n'était pas vide. Dans le coin où le divan touchait le mur se tenait un merveilleux
et vénérable personnage, couronné d'une coiffure de feutre que les derviches
appellent taj (d'une hauteur et d'une forme particulières), à la base de laquelle
s'enroulait un mince turban blanc. Le visage de celui que je contemplai, je
ne saurais l'oublier et pourtant je ne puis le décrire. Ses yeux perçants semblaient
pénétrer jusqu'au tréfonds de l'âme; de larges sourcils soulignaient la puissance
et l'autorité, tandis que les rides profondes du front et du visage semblaient
indiquer un âge que la chevelure noire comme le jais et la barbe, d'une luxuriance
étonnante atteignant presque la taille, semblaient démentir. Il eut été superflu
de demander en la présence de qui je me trouvais; je me prosternai devant celui
qui fait l'objet d'une vénération et d'un amour que les rois lui envieraient
et auxquels les empereurs aspireraient en vain!
Une voix douce, pleine de courtoisie et de dignité, me pria de m'asseoir et
continua: "Loué soit Dieu de ce que tu sois parvenu au but. Tu es venu voir
un prisonnier et un exilé... Nous ne désirons que le bien du monde et le bonheur
des nations; cependant, on nous suspecte d'être un élément de désordre et de
sédition, digne de la captivité et du bannissement... Que toutes les nations
deviennent une dans la foi et que tous les hommes soient des frères; que les
liens d'affection et d'unité entre les enfants des hommes soient fortifiés;
que la diversité des religions cesse et que les différences de races soient
annulées, quel mal y a-t-il en cela? Cela sera, malgré tout; ces luttes stériles,
ces guerres ruineuses passeront et la "paix suprême" viendra... N'avez-vous
pas besoin de cela en Europe aussi? N'est-ce pas cela que le Christ a prédit?...
Cependant, nous voyons les souverains et les chefs d'État gaspiller plus volontiers
leurs trésors en moyens de destruction de la race humaine qu'en ce qui conduirait
l'humanité au bonheur... Ces luttes, ces massacres, ces discordes doivent cesser
et tous les hommes doivent former une seule famille... Que l'homme ne se glorifie
pas d'aimer son pays, mais plutôt d'aimer le genre humain."
Telles sont, pour autant que je m'en souvienne, quelques-unes des paroles que
j'entendis prononcer par Baha'u'llah. Que ceux qui les lisent se demandent sincèrement
si un être qui professe de telles doctrines mérite la mort et les chaînes, si
le monde doit gagner ou perdre à leur diffusion.
(Episode of the Bab, dans Introduction to A Traveller's Narrative p. XXXIX-XL.)
3.13. Ascension
Baha'u'llah passa ainsi, simplement et paisiblement, le soir de sa vie terrestre
jusqu'à ce que, après une attaque de fièvre, il s'éteignît, le 29 mai 1892,
à l'âge de soixante-quinze ans. Parmi les dernières Tablettes révélées se trouvait
son testament écrit de sa propre main. Neuf jours après sa mort, son fils en
brisa les sceaux en présence des membres de la famille et de quelques amis,
et le contenu de ce bref mais remarquable document fut divulgué. Ce testament
désignait 'Abdu'l-Baha comme le représentant et l'interprète des enseignements
de son père et enjoignait à la famille et à la parenté de Baha'u'llah, ainsi
qu'à tous les croyants, de se tourner vers lui et de lui obéir. Cette décision
obviait à tout sectarisme éventuel, à toute division et assurait l'unité de
la cause.
3.14. Le don de prophétie de Baha'u'llah
Il est important d'avoir une idée claire du caractère de la mission prophétique
de Baha'u'llah. Ses paroles, comme celles des autres manifestations divines,
peuvent se classer en deux catégories: parfois, il parle ou écrit simplement
comme un homme chargé par Dieu d'un message pour ses semblables; parfois, ses
paroles semblent être proférées directement par Dieu Lui-même.
Baha'u'llah écrit dans l'Iqan:
Dans les pages précédentes, nous avons vu qu'il existe deux états différents
pour chacun des soleils qui surgissent des divins horizons: l'un de ces états
est celui de l'unité essentielle qui a déjà été expliquée. "Nous n'avons de
préférence pour aucun d'entre eux." (Qur'an, II: 136.)
Le Coran
L'autre a trait, au contraire, à leur particularité. Dans ce second cas, ce
qui distingue les prophètes est relatif au monde de la création et aux limitations
qui s'y rattachent. Chaque Manifestation possède une individualité propre, une
mission spéciale, une révélation prédestinée et des limites spécifiquement définies.
Chacune porte un nom différent, se caractérise par un attribut spécial, accomplit
une mission déterminée; une révélation particulière lui est confiée.
Comme il a été dit: "Nous avons élevé certains prophètes au-dessus des autres.
Il en est à qui Dieu a parlé, et Dieu a élevé plusieurs d'entre eux à des degrés
supérieurs. Nous avons donné à Jésus, fils de Marie, des preuves évidentes.
Nous l'avons fortifié par l'Esprit de sainteté." (Qur'an, II: 253.)
Ainsi envisagés, à partir du point de vue de leur unité et de leur sublime détachement,
les attributs de Dieu - divinité et unité suprême - ont toujours été et sont
toujours applicables à toutes ces essences de vie puisqu'elles siègent sur le
trône de la révélation divine et que toutes se tiennent sur les hauteurs du
divin mystère. C'est-à-dire que la révélation de Dieu se manifeste dans leur
personne, que sa beauté se révèle dans leur comportement. Et c'est ainsi qu'on
entend le langage de Dieu Lui-même, à travers les paroles des manifestations
de l'être divin.
Envisagées au point de vue de leur particularité, de ce qui les distingue, de
leurs limitations temporelles, de leurs caractéristiques et de leur état, les
manifestations font preuve d'un dévouement, d'une abnégation, d'un renoncement
sans pareils. Ainsi que le dit Muhammad: "Je ne suis qu'un mortel semblable
à vous..." (Qur'an, XVIII: 110)
Si l'une des manifestations universelles dit: "Je suis Dieu", c'est vrai; car
il a été démontré plusieurs fois que par leur révélation, leurs noms et leurs
attributs, la révélation de Dieu, ses noms et ses attributs deviennent manifestes
sur terre... Ainsi il est dit: "Tu ne lançais pas toi-même les traits quand
tu les lançais, mais Dieu les lançait pour éprouver les croyants au moyen d'une
belle épreuve venue de Lui." (Qur'an, VIII: 17.)
Et aussi: "Ceux qui prêtent un serment d'allégeance ne font que prêter serment
à Dieu. La main de Dieu est posée sur leurs mains." (Qur'an, XLVIII: 10.)
Et si la Manifestation dit: "Je suis le messager de Dieu", c'est également juste
et hors de doute. De même, si elle dit: "Muhammad n'est le père d'aucun homme
parmi vous, mais il est le prophète de Dieu." (Qu'ran, XXXIII: 40.) Et toutes
ces manifestations viennent de la présence du Roi de Réalité et de l'Identité
éternelle.
Quand bien même chacune dirait: "Je suis le sceau des prophètes", cela est également
incontestable, car elles n'ont toutes qu'une identité, une âme, un esprit, une
existence, une révélation, et elles sont toutes l'apparition de l'Origine et
de la Fin, de l'Alpha et de l'Oméga, du Visible et de l'Invisible, de l'Esprit
de tous les esprits et de l'Essence des essences éternelles. Si elles disaient:
"Nous sommes serviteurs de Dieu", cela aussi est manifeste et indiscutable,
car leur mission s'est accomplie dans un état d'effacement complet, une servitude
telle qu'aucun être humain ne peut l'atteindre.
Ainsi, au moment où ces essences de vie étaient profondément immergées dans
l'océan de l'ancienne et immortelle sainteté, ou encore lorsqu'elles planaient
dans les sphères les plus hautes des mystères divins, elles proclamaient que
leurs paroles étaient la voix de la Divinité, l'appel de Dieu Lui-même.
Si l'oeil de notre discernement est grand ouvert, il nous apparaît que, dans
cette situation, elles se considèrent elles-mêmes comme entièrement effacées
et non existantes devant celui qui règne par-dessus tout, l'Incorruptible. Il
me semble que, en cette céleste cour, elles se considèrent comme tout à fait
insignifiantes et estimeraient comme un blasphème le fait de se mentionner elles-mêmes.
Car la moindre mention de soi-même en ce lieu céleste serait une affirmation
de son existence indépendante. Et pour ceux qui ont atteint cette céleste cour,
rien que cette idée est un péché grave. De quelle gravité serait alors la condition
d'un autre placé dans ce cas? Quelle serait la situation des hommes dont les
discours, le coeur, l'âme, l'esprit s'attachent à n'importe qui sauf au Bien-Aimé,
ceux dont les yeux voient d'autres beautés que la sienne, dont les oreilles
se tendent vers d'autres chants que la mélodie de sa voix, dont les pieds se
posent partout sauf dans son chemin?
En ce jour soufflent les brises de Dieu et son Esprit pénètre toutes choses.
Et le flot de sa grâce est si abondant que la plume s'arrête et que la langue
se tait.
Étant donné le rang qu'ils occupent, les prophètes affirment qu'ils sont la
voix de Dieu et, en vertu de leur condition de messager, ils se déclarent les
envoyés de Dieu. Dans chaque cas, ils ont prononcé des paroles appropriées aux
besoins du moment, et ils se sont attribué toutes ces déclarations descendues
du monde de la révélation divine à celui de la création, du royaume divin à
celui de l'existence terrestre. De sorte que, quoi qu'ils disent, que cela appartienne
au royaume divin, aux domaines de l'autorité, de la prophétie, de l'annonciation,
du Gardiennat, de l'apostolat ou de la servitude, tout est vrai sans l'ombre
d'un doute.
Par conséquent, examinez attentivement l'exposé que nous avons fait pour corroborer
notre raisonnement, afin que disparaissent le trouble de votre âme et la perplexité
de votre esprit au sujet des différents termes employés par les manifestations
de l'Invisible et de la Source de sainteté.
(BAHA'U'LLAH, Le Livre de la certitude, pp. 85 à 87.)
Livre de la certitude
Quand Baha'u'llah parle en tant qu'homme, ce qu'il revendique pour lui-même
est un état de totale humilité, d'annihilation complète en Dieu. Ce qui distingue
la Manifestation des autres hommes dans sa personnalité humaine, c'est son abnégation
absolue ainsi que la perfection de ses pouvoirs. En toutes circonstances, la
Manifestation peut dire, comme Jésus le disait au jardin de Gethsemani: Toutefois,
que ta volonté soit faite et non la mienne. C'est ainsi que, dans son épître
au shah, Baha'u'llah dit:
"Ô Souverain! Je n'étais qu'un homme comme tant d'autres, endormi sur mon
lit, lorsque le souffle du Très-Glorieux passa sur moi et m'enseigna la science
de ce qui fut. Cela ne vient pas de moi mais de celui qui est tout-puissant
et omniscient. Il m'ordonna d'élever la voix entre la terre et les cieux et,
pour cela, il m'est advenu ce qui a fait couler les larmes de tout homme de
discernement. Je n'ai pas étudié les sciences couramment répandues ici-bas et
n'ai fréquenté aucune école... Je ne suis qu'une feuille que remuent les brises
de la volonté de ton Seigneur, le Tout-Puissant, le Très-Glorifié. Peut-elle
rester immobile lorsque souffle la tempête déchaînée? Non, par le Seigneur des
noms et attributs! Le vent la déplace à son gré. L'éphémère n'est rien en face
de celui qui est l'Éternel! Son commandement irrésistible me parvint, m'ordonnant
de Le célébrer parmi les peuples. En vérité, j'étais comme mort quand cet ordre
me fut donné. La main de la volonté de ton Seigneur, le Compatissant, le Miséricordieux,
me transforma. Quelqu'un pourrait-il, de lui-même, dire ce que les hommes de
toutes conditions contesteront? Certes non, par celui qui dévoila les mystères
éternels à la plume divine, sinon celui qui est fortifié par la grâce de Dieu,
le Tout-Puissant, l'Omnipotent."
(Tablette au roi de Perse, dans La Proclamation de Baha'u'llah, p. 53.)
La proclamation de Baha'u'llah
De même que Jésus lavait les pieds de ses disciples, Baha'u'llah préparait les
repas de ses adeptes et leur rendait d'humbles services. Il se faisait une gloire
de servir. Il était plus humble que ses serviteurs, satisfait de dormir, au
besoin, sur le sol, de se nourrir de pain et d'eau, ou même parfois de ce qu'il
appelait la divine nourriture qui est la faim ! On reconnaissait sa parfaite
humilité dans son profond respect de la nature, de l'être humain et surtout
des saints, des prophètes et des martyrs. Pour lui, toutes choses, les plus
humbles comme les plus élevées, parlaient de Dieu.
Sa personnalité humaine avait été élue par Dieu pour devenir le porte-parole
divin de la plume divine. Ce n'est pas de son propre chef qu'il assuma cette
position hérissée de difficultés et de tribulations sans précédent.
De même que Jésus a dit: "Mon père, s'il se peut, éloignez de moi ce calice",
Baha'u'llah dit: "Nous n'aurions pas fait de notre personne un objet de critiques,
de railleries et de calomnies de la part du peuple si un autre interprète ou
porte-parole eut existé."
(Les Splendeurs.)
Les Tablettes de Baha'u'llah
Mais l'appel divin était clair et impérieux et Baha'u'llah obéit. La volonté
de Dieu devint sa volonté, le plaisir de Dieu son plaisir; et dans un "radieux
acquiescement", il déclara:
"En vérité, je le dis: l'âme chérit et le coeur désire tout ce qui arrive
dans le chemin de Dieu. Tout poison mortel est un miel savoureux et toute tribulation
est une eau cristalline à boire."
(Épistle to the Sun of the Wolf, pp. 17 et 18.)
À d'autres moments, ainsi que nous l'avons dit, Baha'u'llah s'exprime comme
la divinité. Lorsqu'il parle dans cet état, sa personnalité humaine s'efface
si complètement qu'elle semble ne plus exister. À travers lui, c'est alors Dieu
qui s'adresse à ses créatures, proclamant son amour pour elles, leur dévoilant
ses attributs, faisant connaître sa volonté, énonçant ses lois pour les guider,
sollicitant leur amour, leur loyauté et leurs services.
Dans les Écrits de Baha'u'llah, la parole passe souvent d'une de ces formes
à l'autre. Parfois, c'est, de toute évidence, l'homme qui s'exprime, puis, sans
transition, l'écriture continue à la première personne, comme si Dieu parlait
Lui-même. Même lorsqu'il s'exprime en tant qu'homme, Baha'u'llah parle comme
un messager de Dieu, comme un vivant exemple de la soumission totale à la volonté
de Dieu. Sa vie entière trouve son inspiration dans le Saint-Esprit. Aussi ne
peut-on faire de délimitation formelle entre les aspects divins et humains de
sa vie et de ses enseignements. Dieu lui ordonne:
"Dis: On ne voit dans mon temple que le temple de Dieu, dans ma beauté que
sa beauté, dans mon être que son Être et en moi-même que Lui-même, dans mon
action que son action, dans mon acquiescement que son consentement et dans ma
plume rien que sa plume, la puissante, la célébrée.
Dis: Il n'y a jamais eu dans mon âme que la vérité et, en moi-même, rien n'apparaît
si ce n'est Dieu."
(Suriy-i-Haykal.)
Les Tablettes de Baha'u'llah
3.15. Sa mission
La mission de Baha'u'llah dans ce monde est d'apporter l'unité: unité de toute
l'humanité, en Dieu et par Dieu. Il dit:
De l'arbre de la connaissance, le fruit très glorieux est cette parole exaltée:
"Vous êtes tous les fruits d'un seul arbre et les feuilles d'une même branche."
"Que l'homme ne se glorifie pas d'aimer son pays mais plutôt d'aimer l'humanité!"
Les prophètes d'autrefois ont annoncé un âge de paix sur la terre, de bonne
volonté parmi les hommes et ils ont donné leur vie pour en hâter l'avènement;
mais tous, indistinctement, ont clairement affirmé que cette époque bénie ne
serait atteinte qu'après la venue du Seigneur, aux derniers jours, alors que
les méchants seraient jugés et les bons récompensés.
Zoroastre prédit trois mille ans de conflits avant l'avènement de shah Bahram,
le sauveur du monde qui vaincrait Ahriman, l'esprit du mal, et qui établirait
le règne de la justice et de la paix.
Moïse prédit une longue période d'exil, de persécutions, d'oppression pour les
enfants d'Israël, avant que le Seigneur des armées n'apparaisse pour les rassembler
parmi toutes les nations, détruisant les oppresseurs et établissant le royaume
de Dieu sur terre.
Le Christ dit: "Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre;
je ne suis point venu pour la paix mais pour l'épée" (MATTH. X, 34), et
il prédit une période de guerres et de bruits de guerre, de tribulations et
d'afflictions qui continuerait jusqu'à la venue du Fils de l'homme dans la gloire
du Père.
Muhammad déclara que, à cause de leurs mauvaises actions, Allah sema l'inimitié
et la haine parmi les juifs et les chrétiens et que cela durerait jusqu'au jour
de la résurrection, lorsqu'il apparaîtra pour les juger tous [Voir citations
du Qur'an, p. 238].
D'autre part, Baha'u'llah annonce qu'il est le Promis de tous les prophètes,
la manifestation divine d'une ère au cours de laquelle le règne de la paix sera
véritablement établi. Cette déclaration est unique et sans précédent; toutefois,
elle s'accorde merveilleusement avec les signes des temps et avec les prophéties
de tous les autres grands prophètes. Baha'u'llah a révélé avec une clarté incomparable
les moyens d'instaurer la paix et l'unité parmi les hommes.
Il est vrai que, depuis l'avènement de Baha'u'llah jusqu'à présent, la guerre
a été plus dévastatrice que jamais, mais ceci n'est que l'accomplissement de
ce que tous les prophètes ont annoncé comme devant advenir à l'aube du grand
et terrible jour du Seigneur.
Par conséquent, les événements actuels confirment l'idée que la "venue du
Seigneur" n'est pas seulement proche, mais qu'elle est déjà un fait accompli.
Selon la parabole du Christ, le Seigneur du vignoble doit faire périr misérablement
les mauvais intendants, avant de confier le vignoble à d'autres qui lui remettront
les fruits en temps voulu. Cela ne signifie-t-il pas que, lors de la venue du
Seigneur, ces gouvernements autoritaires, ces prêtres et ces mullas intolérants
et cupides, ces tyrans despotiques seront voués à la destruction complète, eux
qui pendant des siècles ont, comme les mauvais intendants, mal administré la
terre dont ils s'appropriaient les fruits?
Il peut encore survenir des événements terribles, des calamités sans précédent
sur la terre, mais Baha'u'llah nous affirme que "avant longtemps, ces luttes
stériles, ces guerres ruineuses passeront et que la paix suprême viendra".
La guerre a acquis une si atroce puissance de destruction que l'humanité doit
maintenant s'en délivrer ou périr. "Les temps sont accomplis et le Libérateur
promis est arrivé!"
3.16. Ses Écrits
Les Écrits de Baha'u'llah forment un vaste ensemble très clair, traitant de
tous les aspects de la vie humaine--individuelle et collective--des problèmes
matériels et spirituels, de l'interprétation des Écritures anciennes et modernes
et des anticipations prophétiques sur l'avenir le plus proche comme le plus
lointain.
L'étendue et la précision de son savoir sont étonnantes. Il savait citer et
expliquer les Écritures des diverses religions familières à ses correspondants
et à ses interlocuteurs d'une manière convaincante et pleine d'autorité, bien
qu'il semble n'avoir jamais eu l'occasion de compulser les livres auxquels il
se réfère. Il déclare dans "l'Épître au fils du Loup" qu'il n'a jamais
lu le Bayan bien que, dans ses propres Écrits, il fasse preuve de la connaissance
et de la compréhension les plus parfaites de la révélation du Bab--le Bab, nous
l'avons vu, déclara que sa révélation, le Bayan, était inspirée par "celui
que Dieu doit manifester" et qu'elle émanait de lui. En dehors de la visite
du professeur Browne avec qui, en l'année 1890, il eut quatre entretiens d'une
durée de vingt à trente minutes chacun, jamais l'occasion de communiquer avec
des penseurs occidentaux éclairés ne s'offrit à lui.
Cependant, ses Écrits révèlent une exacte compréhension des problèmes sociaux,
politiques et religieux du monde occidental, et ses ennemis eux-mêmes durent
admettre que sa sagesse et sa science étaient incomparables. Étant donné les
circonstances bien connues de son long emprisonnement ['Abdu'l-Baha, à qui
l'on demandait si Baha'u'llah avait fait une étude spéciale des livres du monde
occidental et avait fondé sur eux son enseignement, répondit que les livres
de Baha'u'llah, écrits et imprimés dans les années 1870, contenaient les idéaux
communs au monde occidental, alors qu'à cette époque ils n'avaient pas encore
été conçus ni même envisagés en Occident], il est hors de doute que la plupart
des connaissances exposées dans ses Écrits émanèrent d'une source spirituelle
absolument indépendante où les moyens ordinaires d'étude ou d'instruction, livres
et maîtres, n'eurent aucune part.
Parfois il écrivait en persan moderne, la langue usuelle de ses compatriotes,
fréquemment mêlé d'arabe. En d'autres occasions, lorsqu'il s'adressait à des
zoroastriens lettrés, il s'exprimait dans le plus pur persan classique. Il écrivait
tout aussi couramment l'arabe, parfois dans un style très simple, parfois dans
un style classique ressemblant à celui du Qur'an. Sa parfaite maîtrise de ces
langues et de ces styles divers fut remarquable étant donné son manque complet
d'études littéraires.
Dans certains de ses Écrits, la voie de la sainteté est indiquée en termes simples
tels que: Ceux qui la suivront, même les insensés, ne pourront s'égarer.
(ISAÏE XXXV, 8.) D'autres Écrits contiennent un tel trésor d'images poétiques,
de profonde philosophie, d'allusions aux Écritures islamiques, zoroastriennes
et autres, ou à la littérature et aux légendes persanes et arabes que seul un
poète, un penseur, un savant peut les apprécier à leur juste valeur. D'autres
encore traitent d'un stade avancé de la vie spirituelle et peuvent être compris
uniquement par ceux qui sont déjà passés par les stades précédents. Les oeuvres
de Baha'u'llah sont comme une table abondante pourvue de nourriture et de mets
délicats, capables de satisfaire aux besoins et aux goûts de tous les véritables
chercheurs de vérité.
C'est pour cela que sa cause trouva un écho parmi des gens lettrés et cultivés,
des poètes spiritualistes et des écrivains connus. Quelques chefs soufis ou
d'autres sectes ainsi que des hommes politiques, des écrivains renommés ont
été attirés par ses paroles d'une beauté et d'une profondeur spirituelles tellement
supérieures.
3.17. L'esprit baha'i
De sa prison, dans le lointain 'Akka, Baha'u'llah secoua profondément son pays
natal, la Perse, et non seulement la Perse, mais le monde entier. L'esprit qui
les animait, lui et ses disciples, était inépuisablement doux, courtois, patient
quoique d'une vitalité étonnante et d'un pouvoir transcendant. Il accomplissait
ce qui semblait impossible. Il changeait littéralement la nature humaine. Les
hommes qui se soumirent à son influence devinrent des êtres nouveaux. Ils étaient
imprégnés d'un amour, d'une foi et d'un enthousiasme tels que les joies et les
douleurs terrestres pesaient autant qu'un grain de poussière. Ils étaient prêts
à faire face à une vie de souffrances ou à la mort violente avec une sérénité
absolue, que dis-je! avec une joie radieuse, mus par la force d'une inébranlable
confiance en Dieu.
Plus merveilleux encore, leur coeur débordait d'une telle joie dans cette vie
nouvelle que toute pensée d'amertume ou de vengeance contre leurs oppresseurs
était bannie. Même dans des cas de légitime défense, ils renoncèrent complètement
à toute violence et, loin de se lamenter sur leur sort, ils se considérèrent
comme les plus fortunés de tous les hommes, détenant le privilège de recueillir
cette nouvelle et glorieuse révélation et de lui sacrifier leur vie ou de répandre
leur sang pour témoigner de sa vérité. On comprend que leurs coeurs se soient
élevés en des hymnes de joie, car ils savaient que le Dieu suprême, l'Éternel,
le Bien-Aimé, leur avait parlé par des lèvres humaines, les avait appelés pour
être ses serviteurs et ses amis, qu'Il était venu pour établir son royaume sur
la terre et pour apporter le don inestimable de la paix à un monde épuisé par
les luttes et les guerres.
Telle était la foi qu'inspirait Baha'u'llah. Il annonçait sa propre mission
comme l'avait prédit le Bab et, grâce au labeur dévoué de son grand précurseur,
une multitude d'êtres se trouvait prête à acclamer son avènement--des milliers
d'hommes avaient secoué le joug des superstitions et des préjugés et, le coeur
pur et l'esprit ouvert, attendaient la manifestation de gloire promise par Dieu.
La pauvreté, les chaînes, les conditions sordides et l'apparente ignominie de
sa vie ne parvinrent pas à leur dissimuler la gloire spirituelle de leur Seigneur;
au contraire, ce sombre cadre terrestre ne fit que mieux ressortir l'éclat de
sa véritable splendeur.