L'esprit antropique
Par Jean-Marc Lepain


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Chapitre VIII. La réalité du monde et son interprétation

"La Nature doit être l'esprit visible, et l'Esprit la Nature invisible. C'est ici dans l'identité de l'Esprit en nous et de la Nature en-dehors de nous que doit se trouver la solution du problème de la possibilité d'une nature en-dehors de nous."
Schelling [119]


8.1. Réalité et statut de la raison

Au cours de notre étude, nous avons été confronté à un grand nombre de questions demeurées sans réponses. Nous avons pu constater les limites de certains raisonnements rationnels, et nous avons pu entrevoir combien l'image du monde, dont nous avons hérité de la science traditionnelle, pouvait être fragile et susceptible d'être remise en cause. Au terme de ce parcours, nous voyons clairement que c'est le statut de la raison qui est en question. Du moins, le statut de la raison classique; celle qui a été construite par les penseurs positivistes du XIXe siècle, qui eux-mêmes en avaient hérité les prémices des Lumières.
L'exemple le plus connu de cette faille de la raison est généralement emprunté à la mécanique quantique. Il s'agit de la dualité onde-corpuscule qui défie toute représentation et à laquelle s'ajoute l'indéterminisme fondamental de la fonction d'onde, contre lequel s'élevait Einstein, ainsi que le principe de non séparabilité qui viole les lois épistémologiques classiques. Mais ces problèmes, déjà bien connus du public, ne sont pas les seuls. On pourrait également parler de la crise des fondements des mathématiques. Le Principe anthropique nous fournit une nouvelle illustration de cette crise de la raison. Ses conséquences épistémologiques et philosophiques sont encore loin d'être explorées.

Ce qui est ici remis en cause, c'est la fameuse affirmation hégélienne que "tout ce qui est réel est rationnel". Véhiculée par les manuels scolaires, cette affirmation est tellement bien entrée dans les esprits qu'elle est devenue tout à fait inconsciente tout en étant, comme la langue d'Ésope, la chose la mieux partagée du monde. Face à cette question, nous sommes tous des hégéliens qui s'ignorent.
Nous pourrions appeler ce point de vue "l'épistémologie du langage courant", car en fait c'est bien ainsi que fonctionne le langage courant de manière inavouée. Mais nous avons vu que ce point de vue est loin aujourd'hui d'être aussi clair que lorsque Hegel le formula. Si nous écrivons Réel = Rationnel, nous sommes face à une équation qui a un sens seulement si l'un des deux termes est connu.
Si je peux savoir avec certitude ce qu'est la réalité je saurai ce qu'est la rationalité. C'est bien ainsi que l'entendait Hegel. Le problème est qu'aujourd'hui, nous n'avons plus une idée claire de ce qu'est la réalité. Il s'est d'abord produit un éclatement entre la réalité empirique et la réalité phénoménale qui ont cessé de coïncider. Vainement, on a cherché les fondements de la réalité empirique dans l'appréhension de la réalité par nos sens contrôlés par la raison. Déjà ce concept de réalité empirique doit faire appel au contrôle d'une instance rationnelle qui, pour le moment, non seulement n'est pas définie, mais constitue l'objet même de notre recherche.
Nous comprenons maintenant que nos sens, et l'ensemble de notre appareil cognitif, n'ont pas accès à l'ensemble de la réalité phénoménale. Il existe même un niveau de réalité phénoménale qui, comme le champs quantique ou les particules virtuelles, échappe à nos appareils de mesure et qui ne peut être connu qu'indirectement par ses effets apparents. Le concept de réalité phénoménale devient de plus en plus flou, particulièrement dans une approche idéaliste de la physique. Qu'est-ce qu'un phénomène? Sommes-nous capable de maintenir l'unité catégorielle du phénomène?
Le spin d'un électron est-il un phénomène au même titre qu'un phénomène électrique? Doit-on considérer le spin comme un phénomène en soi ou seulement comme une propriété de la particule? Dans ce cas, comment se fait-il que cette propriété défie toute représentation mentale? De plus, la physique doit recourir à toutes sortes d'expressions géométriques et mathématiques dont il devient de plus en plus difficile de déterminer si elles sont purs concepts inventés par l'homme ou bien réalité phénoménale existant indépendamment de l'esprit humain.

Si la notion de réalité est une notion floue et trouble qui suppose déjà acquise la rationalité, serait-il possible d'inverser les termes de l'égalité hégélienne et de définir le réel à partir du rationnel? Cela supposerait que le concept de rationalité soit invariant, ou autrement dit, qu'on puisse assurer qu'il ne surgira pas de phénomènes tels qu'ils puissent remettre en cause notre conception de la réalité. Cela signifie également que, même en admettant une définition extrêmement restreinte de la rationalité, celle-ci présuppose une connaissance de la réalité. Or, comme nous l'avons vu la notion de rationalité pose encore plus de problèmes que la notion de réalité.

Nous voyons que si nous reprenons à notre compte l'affirmation de Hegel que tout ce qui est réel est rationnel, la relation Réel = Rationnel est circulaire. Chacun de ces deux termes est inséparable de l'autre. Aucun ne peut être considéré comme antérieur à l'autre. De plus, nous sommes obligés de redéfinir l'idée de réel. Le réel ne peut plus être une réalité en soi existant de manière indépendante de l'homme.
Par "réel" au sens hégélien, on ne peut comprendre que le réel connu, or nous savons que tout le réel n'est pas dans ce qui est connu, à moins d'adopter une position idéaliste qui nous paraît fondamentalement fausse. De même, nous ne pouvons plus définir la rationalité comme l'ensemble des règles abstraites qui règlent le fonctionnement de l'esprit humain.
La phénoménologie, et par la suite les sciences cognitives, nous ont montré qu'on ne peut pas abstraire la conscience humaine. Il n'existe de conscience dans ce monde qu'inscrite dans un corps. Toute conscience est donc duellement conscience de soi-même et conscience du monde. Pas plus qu'on ne peut séparer la conscience du corps, on ne peut non plus séparer la conscience du monde.
On est conscience de quelque chose. La conscience sans objet n'existe pas. Par conséquent, on peut comprendre que la rationalité ne se construit que dans le rapport de la conscience au monde. Or le monde, quand il se présente à notre conscience n'est pas seulement une réalité empirique.
Le monde se présente à la conscience à la fois comme réalité empirique et comme monde de valeurs. L'idée du bien et du beau est inséparable du monde comme elle est inséparable de la conscience. Indubitablement, l'expérience du monde comme monde de valeurs participe également à l'élaboration de la rationalité. C'est cela qui justifie la position baha'ie selon laquelle la compréhension rationnelle est tout entière inclue dans une compréhension plus large qui est la compréhension spirituelle.
Ceci signifie également que l'immanence du monde est inséparable de sa transcendance. Cette non séparabilité de l'immanence et de la transcendance est à la base du principe phénoménologique tel qu'on le retrouve dans les Écrits de Baha'u'llah. Elle explique que certaines questions sur le monde peuvent recevoir une double réponse dont pourtant les deux éléments semblent mutuellement exclusifs. C'est la conjonction des opposés dont nous reparlerons.

Que nous soyons confronté à une remise en cause de la notion de rationalité n'a rien d'étonnant. Toute l'histoire de la pensée au XXe siècle est caractérisée par cette remise en cause et la recherche d'un élargissement qui permette de reculer l'horizon du monde intelligible. Nous comprenons maintenant que la rationalité n'est pas un instrument standard donné une fois pour toute. La rationalité humaine s'inscrit dans l'histoire et évolue avec la pensée de l'homme et avec la transformation de sa relation au monde.
C'est à ce point que nous pensons pouvoir insérer la dimension spirituelle de l'homme dans le contexte d'une philosophie baha'ie. La pensée baha'ie remet elle aussi en cause la rationalité classique. Mais elle ne le fait pas comme certaines philosophies spiritualistes pour s'attaquer aux fondements du rationnel, mais pour intégrer ce que nous pourrions appeler la rationalité épistémologique dans une compréhension plus large de l'homme et de l'univers.


8.2. Le paradigme baha'i de la réalité

Comme nous l'avons vu, réalité et rationalité sont inscrites dans une relation circulaire. La notion de réalité (haqiqat) est fondamentale dans les Écrits baha'is. La connaissance de la réalité est un des buts de l'existence humaine parce que la connaissance de la réalité conduit à la connaissance de Dieu, qui est Réalité suprême (Haqq), source de toute autre réalité (haqa'iq). C'est pourquoi 'Abdu'l-Baha donne de la science et de la religion la même définition. Chacune a pour but ultime la connaissance de la réalité, mais chacune procède par des voies différentes.

Il sera un jour nécessaire de faire une étude précise de ce vocabulaire de la réalité dans les Écrits baha'is. Nous voyons déjà que la notion de la réalité, qui émerge ici, est totalement dépouillée de toute référence à la matérialité. La réalité peut être phénoménale ou non phénoménale. Cette notion de phénoménalité est considérée comme complètement illusoire.
Nous considérons comme phénoménal ce qui tombe sous nos sens, ou ce qui peut être mesuré par les appareils des physiciens. Cependant, même dans la science, cette notion perd de sa consistance. Le vide quantique laisse apercevoir une réalité qui ne peut être saisie par les appareils de mesure, et qu'on devrait donc considérer comme non phénoménale, mais néanmoins celle-ci se laisse appréhender dans ses effets qui eux sont mesurables. Le non phénoménal se manifeste dans le phénoménal créant une nouvelle catégorie de la phénoménalité. La science se rapproche donc de plus en plus du point de vue baha'i qui soutient que la réalité phénoménale ne peut être considérée comme toute la réalité, car la phénoménalité dépend uniquement du situs ontologique de l'homme qui détermine l'illusion anthropique.

Cette nouvelle conception de la réalité réduit à néant la relation qu'avait établi Hegel entre la réalité et la rationalité. La rationalité scientifique est circonscrite à la phénoménalité, d'une façon qu'il faudrait d'ailleurs étudier de manière plus approfondie. On ne peut plus dire que tout le réel est rationnel, ou que ce qui n'est pas rationnel n'est pas réel. Hegel confond rationalité et intelligibilité.
D'un point de vue baha'i, l'intelligibilité relève du langage courant ou de certains langages artificiels, comme les mathématiques qui sont un raffinement de ce langage courant. Il est clair qu'une réalité phénoménale est une réalité qui est descriptible par le moyen de ces langages. La conception baha'ie de la raison ('aql) conçoit celle-ci comme le pouvoir qui est en l'homme de s'élever au-dessus de la réalité phénoménale. Cependant, même en s'élevant au-dessus de la phénoménalité, l'homme ne pourra pas embrasser toute la réalité, ni la comprendre. Par conséquent, la nouvelle notion de la réalité qui émerge est distincte des notions de phénoménalité, d'intelligibilité et de rationalité.


8.3. La connaissance intuitive du monde comme monde de valeurs

Si la connaissance du monde est à la fois expérience empirique des sens et expérience du monde comme valeurs, comment pouvons nous connaître les valeurs? Baha'u'llah répond à cette question en disant que c'est à travers sa nature spirituelle que l'homme connaît les valeurs qui sont également spirituelles. Cette médiation entre deux ordres de réalité et d'intelligibilité est établie par le "Signe" divin (Ayyat) qui se trouve en l'homme et établit sa connaturalité avec le monde des valeurs spirituelles comme reflet des attributs de l'essence divine. La connaissance du monde comme valeur est donc une connaissance intuitive de la réalité qui se trouve au-delà des données des sens.

Le monde des valeurs échappe à la rationalité humaine. Il se trouve au-delà. L'existence même de ce monde prouve que l'homme ne peut être réduit à sa dimension matérielle et rationnelle. L'intuition spirituelle est donc considérée, dans la philosophie baha'ie, comme une dimension importante de la connaissance de l'homme sans laquelle une véritable connaissance du monde ne peut être atteinte.
Cependant, la théorie de cette connaissance spirituelle reste à faire d'un point de vue philosophique. Dans L'Archéologie du Royaume de Dieu, nous avons montré comment la connaissance spirituelle est établie dans les textes de Baha'u'llah et d''Abdu'l-Baha, notamment dans Le Livre de la Certitude et dans Les Leçons de Saint Jean d'Acre, comme partie de la psychologie et l'anthropologie baha'ie.
'Abdu'l-Baha définit la connaissance intuitive des valeurs spirituelles comme la connaissance qui ne peut être formulée par le langage humain en termes analysables, tout en restant communicable dans certaines limites, grâce à l'expérience intersubjective qui fait que, par exemple, tout le monde connaît la signification du mot "Beauté" ou du mot "Amour" sur la base de son expérience personnelle de la Beauté et de l'Amour.
Cependant, remarque 'Abdu'l-Baha, la communication de cette expérience intuitive ne peut se faire que par la violation des règles du langage courant, comme c'est le cas de la poésie. D'autres textes laissent entrevoir que l'expérience intuitive n'est nullement limitée au monde du sentiment. 'Abdu'l-Baha l'étend à certaines réalités qu'il appelle "intelligibles" (ma'qulih) parce qu'elles ne tombent pas sous les sens [120]. Tout cela a peut-être un aspect platonicien, dont nous reparlerons, dans la mesure où on suppose ici l'existence de réalités intelligibles indépendantes de l'esprit humain. Mais on aurait tord de réduire cette théorie à ce seul aspect, car elle donne un rôle important au langage et à la rationalité.
'Abdu'l-Baha suppose l'existence de deux types de réalité: celle qui est connue empiriquement par les sens et qui est exprimable par le moyen des règles et conventions du langage courant et de la rationalité, et celle qui relève de l'intuition et qui échappe à la rationalité et n'est que partiellement communicable en violant les règles du sens des énoncés dans le langage courant comme, par exemple, lorsque je dis "mon coeur est réduit en cendre". En ce sens, on peut trouver ici certaines similitudes avec la théorie qu'expose Wittgenstein dans Le Tractatus Logico-philosophicus où celui-ci distingue ce qui peut être dit de ce qui peut être montré. On pourrait tout aussi bien définir les réalités intelligibles dont nous avons une connaissance intuitive comme des réalités qui peuvent être montrées (grâce à l'expérience intersubjective), mais qui ne peuvent pas être dites (du moins en utilisant la logique et les conventions du langage courant).

Ces premiers linéaments d'une théorie de la connaissance sont encore loin de constituer une théorie cognitive globale. Pour ébaucher cette théorie, il faut commencer par réfuter les thèses empiristes courantes. Il faudrait ensuite montrer l'articulation du domaine purement empirique de la connaissance avec le domaine intuitif, puis définir clairement les catégories ontologiques sous-jacentes. Ensuite, il faudrait formuler une théorie de la signification et du langage qui permette de présenter la nature des liens qui relient les catégories ontologiques des réalités tenues pour existantes avec d'une par le fonctionnement du langage et le fonctionnement de la rationalité, et d'autre part avec l'analyse en terme psychologique de l'expérience humaine et des processus cognitifs.


8.4. Épistémologie et engagement ontologique [121]

Toute épistémologie implique une ontologie sous-jacente parce que, au minimum, une théorie scientifique se doit de tenir à priori pour vrai l'existence de certaines entités. D'autres questions plus complexes peuvent ensuite surgir comme la mécanique quantique nous en offre plusieurs exemples. Les rapports entre les théories scientifiques et l'ontologie est une question qui a encore été très mal étudiée. Certains, comme Thomas Kuhn, soutiennent qu'un changement de paradigme implique un changement d'ontologie, alors que pour W.V.O. Quine la référence est inscrutable et l'ontologie est relative. Les théories scientifiques sont, pour lui, indifférentes aux changements d'ontologie qui peuvent survenir [122]. Ce débat est conditionné au départ par la manière dont on définit l'ontologie.

Quine donne des exemples très convainquants de changements d'ontologie qui n'affectent pas la théorie. Un des exemples qu'il avance est celui d'une théorie économique des revenus où les revenus sont exprimés en fonction des individus. [123] Il s'agit donc d'une ontologie des personnes.
On procède alors à un changement d'ontologie qui substitue à la classe des personnes la classe des revenus. Cette réécriture de la théorie est beaucoup plus économique puisque, a priori, la classe des revenus est plus petite que la classe des personnes. Ce changement, qui se réalise au prix de quelques ajustements, n'a aucune influence ni sur le fonctionnement de la théorie (il n'y a pas de changement de paradigme), ni sur l'évidence empirique qu'on cherche à saisir. Cette exemple révèle la conception quinienne de l'ontologie et, d'une certaine façon, on peut dire que cette conception n'est que la justification rationalisée d'un préjugé qui imprègne toute la pensée empiriste et la culture post-moderne et trouve son origine dans le positivisme.
Ce préjugé consiste à vouloir neutraliser à tout prix l'ontologie. L'empirisme logique avait cru pouvoir se débarrasser de la métaphysique. La philosophie quinienne reconnaît que c'est impossible, mais cependant veut isoler la science de toute influence métaphysique. De ce fait, le concept d'ontologie chez Quine n'a rien à voir avec celui de Kuhn, ou avec le sens du mot tel que nous l'avons employé jusqu'à présent.
Pour Quine, l'ontologie définit simplement les classes d'énoncés qui servent à faire fonctionner une théorie. La théorie, elle, n'est concernée que par les évidences empiriques. L'ontologie n'est qu'un simple auxiliaire parce que la théorie scientifique repose sur les objets vrais. Par conséquent, les objets restent vrais quelque soit l'ontologie.
Le changement d'ontologie n'implique aucun changement radical dans l'épistémologie. L'ontologie fonctionne uniquement à l'intérieur du langage et de la logique qui s'y substitue. L'épistémologie est "naturalisée". Quine refuse à l'épistémologie la mission de fonder la connaissance. Pour lui, le rôle de l'épistémologie se borne à expliquer le passage de l'évidence empirique que produisent les sens (ce qu'il appelle les "données occasionnelles") à la théorie scientifique. Il qualifie l'épistémologie de "technologie de la construction d'hypothèses dignes d'être testées".

Cette théorie implique une articulation difficile entre épistémologie et ontologie, et c'est certainement le point le plus faible de toute la théorie de Quine qui a dû, pour surmonter la difficulté, introduire toute une série d'hypothèses et de nouveaux concepts ad hoc. Il introduit en particulier le concept d'"ontologie immanente" pour dissiper la tension entre ce qu'il appelle l'ontologie absolue et l'ontologie relative. L'ontologie est immanente parce que la vérité est immanente aux évidences empiriques.
Ainsi, l'indifférence ontologique des théories scientifiques est une notion "épistémologique" et non pas "ontologique". On voit que la séparation entre épistémologie et ontologie devient extrêmement floue et difficile à maintenir et on se demande comment les notations canoniques peuvent manifester les engagements ontologiques si les théories scientifiques sont vraiment indifférentes à l'ontologie. Quine lui-même reconnaîtra la difficulté. Les efforts que fait Quine, et à sa suite Goodman, pour neutraliser l'ontologie sont en même temps une reconnaissance de son importance. Vouloir neutraliser ou "naturaliser" l'ontologie signifie aussi reconnaître son importance.

L'ontologie ne peut être neutre pour les théories scientifiques que si on accepte le rapport très particulier que Quine établit entre l'ontologie et l'épistémologie. Comment une thèse servant à définir l'ontologie peut être une thèse épistémologique? Quine devant la difficulté finira par dire qu'ontologie et épistémologie sont mutuellement inclusives.

Mais s'il n'est pas possible de neutraliser l'ontologie, alors les questions de l'ontologie classique retrouvent tout leur sens: "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?", "Que signifie exister?", "L'existence des choses est-elle le seul mode d'existence possible?", "La distinction entre Être et Existence a-t-elle un sens?", "Les classes et les relations entre les entités mathématiques existent-t-elles au même sens que les choses existent?", "Les entités mathématiques ont-elles une existence indépendante de l'esprit humain et si oui comment?", "Sur quelle base l'épistémologie peut elle faire l'inventaire des entités qui ont une existence ontologique autonome?", "Toutes les entités mathématiques que l'homme est capable d'imaginer dans toutes les mathématiques et les géométries possibles ont-elles une existence réelle et procèdent-elles d'une même rationalité universelle qui se trouve inscrite dans l'univers?", "Si les mathématiques sont l'expression de la rationalité universelle, l'univers a-t-il épuisé tous les systèmes mathématiques possibles, si non qu'elle est le statut des entités mathématiques possibles par rapport à celles qui existent réellement?"
A moins qu'il ne faille considérer que les mathématiques ne sont que le reflet de la seule rationalité humaine, comme le pensent les intuitivistes, ce qui ne change pas vraiment le problème du statut ontologique des entités mathématiques qui expriment réellement des propriété de l'univers et de ce fait ne peuvent être considérées comme de simples propriétés de l'esprit humain. "Peut-il exister des entités ontologiquement autonomes et inaccessibles à la rationalité humaine en terme de représentation, bien que exprimables par le formalisme mathématique?", "L'homme peut-il avoir accès à la réalité en soi de l'univers?", "L'univers est-il fait d'autre chose que d'énergie?", etc. Ce sont ces questions que la philosophie baha'ie s'essaie à son tour de résoudre non sans un certain succès.


8.5. La fin de l'empirisme

Nous espérons avoir démontré que les questions ontologiques étaient au coeur de la physique moderne. On peut certes se contenter de manier le formalisme mathématique des théories, mais aujourd'hui vouloir comprendre le niveau le plus fondamental de la réalité physique implique de se poser des questions ontologiques. De ce fait, comprendre les rapports entre l'ontologie et les théories épistémologiques est une tâche de la plus haute importance.
Quine a posé la question d'un point de vue de logicien. En fait, il a complétement ignoré aussi bien la pratique des sciences fondamentales que celle des sciences expérimentales. Il a confondu théorie scientifique et théorie logique ou linguistique. Contrairement à ce que Quine a voulu prouver, les choix entre objectivisme et subjectivisme, idéalisme et réalisme, empirisme et intuitivisme, platonisme et psychologisme, phénomènologisme et physicalisme, etc., ne sont pas des choix neutres du point de vue des théories scientifiques.
A travers l'ontologie, c'est toute la métaphysique qui fait un retour en philosophie des sciences fondamentales. En rejetant une grande partie de son héritage positiviste, Quine nous a donné de l'empirisme la forme la plus élaborée que la pensée ait produite. D'une certaine façon, on peut dire que le positiviste s'est auto-détruit. Nous pensons maintenant que c'est au tour de l'empirisme, aussi bien dans sa version phénoménaliste que physicaliste, d'être remis en cause.
Réintégrer l'ontologie dans la philosophie des sciences implique le renoncement à l'empirisme. Quine lui-même s'est rendu compte qu'on ne peut fonder l'empirisme sur les seules évidences sensorielles (sens data) comme s'est le cas chez les empiristes classiques ou chez Ayer, d'où le fait qu'il ait dû reconnaître que la connaissance scientifique ne peut être fondée sur la seule induction et doit également comprendre les méthodes hypothético-déductives ainsi que sa "naturalisation" de l'ontologie.
Les faits, les évidences empiriques, ne sont pas des données brutes de la conscience. La connaissance d'un fait, même scientifique, implique d'abord une personne avec toutes ses idiosyncrasies. L'appréhension du moindre fait nécessite un ensemble de connaissances préalables étendu. La connaissance du fait ne peut donc être séparée du contenu de la conscience, de son passé et de son vécu. L'acte même d'isoler un fait, de l'objectiver, implique tout un travail de l'esprit fort complexe. Le fait ne se présente jamais de manière isolée. Il se manifeste toujours avec d'autres faits qu'il faut ensuite séparer. Isoler un fait brut est une opération délicate dans la vie courante. Elle l'est encore plus en physique fondamentale.


8.6. Empirisme, ontologie et mécanique quantique

La découverte de l'indivisibilité du quantum d'action est le type même d'événement qui implique un changement d'ontologie et constitue un changement de paradigme au sens de Kuhn [124].
Cette découverte n'a pas été en elle-même un changement d'ontologie, mais son introduction dans les théories mécaniques et électromagnétiques était impossible dans la mesure où il y avait violation des conventions de représentation de l'espace et du temps sur lesquelles la physique classique est fondée, et en particulier parce qu'il y avait opposition entre l'atomicité de l'effet lumineux et la continuité du transfert d'énergie tel que la théorie électromagnétique se le représentait.
Dans sa nature, la révolution quantique est fondamentalement différente des autres révolutions scientifiques dans la mesure où elle ne fait seulement que remettre en cause une représentation du monde comme la révolution copernicienne ou newtonienne, mais met également en doute nos modes de représentations et la rationalité de nos processus intellectifs. L'exemple de l'indivisibilité du quantum d'action illustre bien comment ontologie et théorie sont liées. Le quantum d'action a révélé la nature ontologiquement différente de l'objet atomique ce qui a entraîné un changement de théorie. Mais remarquons-le, à ce stade de la théorie, l'objet atomique est resté le même. Le changement d'ontologie n'est pas un changement d'objet. C'est un changement de représentation.

Certains changements d'ontologie impliquent des changements théoriques inévitables. Ce n'est cependant pas le cas de tous les changements de ce type. Il existe aussi des changements d'ontologie qui n'impliquent aucune variation de la théorie. On en voit une illustration dans les différences d'interprétation du formalisme quantique chez Bohr et chez Heisenberg par exemple.
La différence d'ontologie entre l'un et l'autre n'implique aucun changement théorique. Le changement ne se fait pas dans la théorie, mais dans l'interprétation du formalisme, c'est-à-dire dans le passage du langage physico-mathématique au langage courant. Ce qui est fondamental c'est la définition que l'on donne ici du concept de "théorie". Une théorie physique épuise-t-elle tout son sens dans le formalisme mathématique qui sert à l'exprimer? La réponse à cette question peut varier selon qu'on sera idéaliste ou réaliste.
Si on admet, comme les idéalistes, que la réalité en soi est inaccessible à l'esprit humain, ou bien qu'il n'existe pas de réalité objective, mais seulement une réalité subjective dépendante de l'esprit humain, alors oui, peut-être est-il possible de se satisfaire du formalisme mathématique et d'exclure toute interprétation de la théorie dans un langage autre que le langage physico-mathématique.
Les logicistes et les physicalistes répondront également oui à cette question pour des raisons très différentes. Cependant, si on adopte une position réaliste, et qu'on admette qu'il existe une réalité en soi accessible totalement ou partiellement à l'intelligibilité humaine, alors on ne peut se contenter du formalisme mathématique et on a le devoir de chercher à approfondir la signification du formalisme en se servant du langage courant, même si pour cela il faut accepter quelques violations des règles classiques de la représentation.

On peut également se demander si l'objet quantique peut être considéré comme une évidence empirique, comme un fait qu'on peut isoler sans se poser aucun problème ontologique. Déterminer l'objet quantique est extrêmement difficile. En réalité, la singularisation et la détermination de l'objet quantique sont entièrement postérieures à la théorie. Sans la théorie, nous ne pourrions savoir ce qu'est l'objet quantique. Bien que Bohr ait cherché à le nier, la théorie de l'objet quantique est l'exemple même d'une théorie où l'ontologie est déterminante.
Il n'est pas possible d'isoler l'objet quantique comme un fait quinien sur la seule base de l'évidence empirique, même dans une approche physicaliste. Certes, Bohr pensait qu'il est possible d'interpréter la mécanique quantique en-dehors de toute ontologie, il est cependant le premier à nous apporter à son insu des arguments en faveur de l'interprétation ontologique. Bohr dit que, très tôt, c'est-à-dire avant même les développements de Schrödinger et Heisenberg qui aboutirent à la création de l'appareil de la mécanique quantique, il fut convaincu de l'impossibilité d'exprimer le phénomène quantique en terme classique. [125]
Dans la conception bohrienne de l'objet quantique, l'objet observé et l'appareil d'observation forment un système unique, une totalité indivisible. Le paradoxe de cet objet, c'est qu'une partie peut être décrite uniquement à l'aide du langage courant et l'autre pas. L'instrument est l'aspect extérieur de la totalité à l'intérieure de laquelle le phénomène quantique se manifeste [126].
L'intérieur de l'objet est constitué par le vecteur d'état, mais pour Bohr le vecteur d'état d'une particule n'existe pas. L'intérieur d'un phénomène quantique n'a pas d'existence en soi. La fonction d'onde n'a pas un mode d'existence objectif. On a donc deux phénomènes et deux langages pour un seul objet. On ne peut donc dire que l'objet quantique constitue une évidence empirique.

Bohr avait d'ailleurs tord de penser qu'on pouvait comprendre la mécanique quantique en-dehors de toute ontologie. Le fait qu'il n'ait pas défini son ontologie implique des contradictions dans sa propre théorie. Bohr fonde son interprétation de la mécanique quantique sur l'unicité du langage courant sur laquelle il a beaucoup écrit, mais qu'il n'a jamais démontré.
Cette unicité du langage courant fournirait le cadre de l'interprétation sans avoir recours à aucune ontologie. Il serait donc très intéressant de connaître comment il justifiait cette unicité. Des indications nous sont fournies par un dialogue entre Bohr et Heisenberg publié par ce dernier. [127]
Dans cette déclaration, Bohr semble admettre l'existence d'une réalité en soi indépendante de l'observateur, et il parle même, à propos d'une logique commune à tous les langages possibles, de "formes fondamentales qui ne sont pas faites par l'homme et qui appartiennent à la réalité tout à fait indépendamment de nous". C'est sur cette réalité en soi que Bohr fonde sa thèse de l'unicité du langage car si "les formes fondamentales" de la logique appartiennent à la réalité en soi, alors la logique, nous serions tenté de dire la rationalité, est indépendante de l'esprit humain qui ne peut introduire que des variantes limitées en fonction des différents langages qu'il élabore.
Ce qui est paradoxal ici, c'est que cette justification de la thèse de l'unicité de langage s'appuie sur une approche réaliste de la réalité. Il y a ici une double contradiction: d'abord parce que toute l'approche de la mécanique quantique par Bohr est fondamentalement idéaliste, ensuite parce que, comme l'a si bien démontré Roldan, la seule justification de l'unicité de langage sur laquelle se base sa thèse de l'indifférence de la mécanique quantique à l'ontologie est fondée sur une ontologique cachée, contradictoire de surcroît avec l'interprétation de la théorie. [128] Ces incohérences montrent que la question ontologique ne peut absolument pas être esquivée.

Aucun fait ne peut être perçu ni appréhendé sans une théorie interprétative, aussi primitive soit elle. Les très petits enfants comme les peuples les plus primitifs ne reconnaissent que les faits pour lesquels ils ont une théorie interprétative. Les autres faits sont invisibles pour eux. Le langage joue un grand rôle dans le processus d'objectivation des faits et le langage met immédiatement en jeu l'intersubjectivité. Un fait doit être communicable. Plus nous avons progressé dans la connaissance du langage plus nous avons compris sa complexité.
Ainsi que l'a démontré Strawson [129], loin d'être un moyen d'expression défectueux comme l'ont cru Frege et les logicistes, le langage est au contraire beaucoup trop complexe pour pouvoir être décrit uniquement à l'aide de catégories d'énoncés et de relations logiques. Il devient donc de plus en plus difficile de comprendre ce qu'est un "fait", ou une "évidence" empirique. Il n'est pas non plus facile de comprendre l'exacte nature d'une théorie scientifique. Les travaux de Feyerhabend ont fait apparaitre l'impossibilité d'établir avec précision la méthode scientifique [130]. Ceux de Holton ont montré le rôle que pouvaient jouer "l'inspiration" et les éléments irrationnels. [131]

En dépit de notre rejet de l'empirisme, les travaux de Quine, de Goodman et de leurs écoles, comprennent nombre d'enseignements extrêmement précieux pour nous, et ont contribué à faire progresser de manière considérable notre compréhension de la logique, du langage et de la philosophie. L'approche baha'ie de la philosophie des sciences n'est peut-être pas si éloignée des positions de Quine qu'il n'y semble de prime abord. On y trouve le même refus d'élire l'ontologie ou l'épistémologie comme philosophie première. La même tendance vers un certain nominalisme, qui pourtant dans le cas de la philosophie baha'ie n'exclue pas la croyance en l'existence d'entités intelligibles indépendantes de l'esprit humain, et l'acceptation d'une certaine forme de réalisme.

La recherche d'une philosophie première constitue une tentative pour fonder la connaissance, quelle soit philosophique ou scientifique sur une base irrécusable. Nous ne pouvons aborder cette question qui sera traitée à la fin du chapitre suivant. Cependant, il suffit de regarder l'histoire de la philosophie pour constater combien cette quête a été vaine. 'Abdu'l-Baha, dans les Leçons de Saint Jean d'Acre, a développé sa thèse sur la compémentarité des différents modes de connaissance, soulignant que la connaissance ne portait en elle aucune immunité contre les errances. Nous verrons au chapitre suivant que la philosophie baha'ie implique qu'il n'y ait pas de philosophie première pour la raison qu'il n'y a pas de fondement de la connaissance accessible à l'homme. Ce fondement se trouve en l'homme, ou plutôt dans la relation circulaire entre l'homme, l'univers et Dieu. De ce fait, l'homme ne peut se connaître lui-même dans sa totalité.


8.7. Ontologie et langage

A la suite des travaux de Quine, la tendance de la philosophie contemporaine est de ramener les questions ontologiques à des problèmes linguistiques. Derrière cette question se profile tout le problème du rapport de l'homme à l'univers.

Nous pensons quant à nous que les problèmes ontologiques sont des problèmes réels, c'est-à-dire qu'ils constituent de véritables et légitimes interrogations sur la nature de l'univers, et non de simples problèmes linguistiques. Le problème n'est donc pas de déterminer le rapport entre le langage et la réalité, mais plutôt de définir le rapport entre le langage et la rationalité universelle. Il y a une différence entre dire, comme Quine et certains pragmatistes, que les problèmes d'ontologie sont des problèmes de langage, et affirmer que toute réflexion sur la réalité passe par une réflexion sur le langage.
Le langage est l'expression de notre représentation du monde, vouloir donc ramener les problèmes ontologiques à des problèmes linguistiques c'est, d'une certaine manière réintroduire l'idéalisme sous une nouvelle forme; celle qui dit que la seule réalité qui existe est celle qu'exprime le langage. Une telle thèse, qui est souvent implicite chez nombre de philosophes, ignore totalement la nature de la réalité physique telle que la science cherche à la saisir.

Dans le contexte de la thèse baha'ie de l'intelligibilité limitée de l'univers, il ne peut y avoir parfaite adéquation entre la rationalité humaine, qui s'exprime essentiellement par le langage, et la rationalité universelle. La métaphysique baha'ie pose, de plus, qu'il existe une réalité indépendante de l'homme et que, par conséquent, la rationalité universelle existe de manière indépendante des mécanismes cognitifs de l'homme. La question est donc de savoir comment, à l'aide du langage, l'homme peut approcher la rationalité universelle du plus près possible et la transformer en une expérience communicable.

La manière la plus simple d'aborder le problème est de considérer qu'il n'existe qu'une seule rationalité qui a différentes expressions partielles. Ce problème est fondamentale pour toute théorie de la connaissance. Peut-on considérer la rationalité humaine comme un reflet, même partiel ou déformé, de la rationalité universelle? Ou bien faut-il voir dans la rationalité une "rationalisation" ou une "abstraction" de la rationalité universelle qui serait synthétisée de manière indépendante dans l'esprit humain à partir d'un processus de reconstruction de la réalité?
Les textes baha'is considèrent que la faculté rationnelle n'est pas une propriété psychologique du psychisme de l'homme, mais est un attribut spirituel de l'âme qui se reflète à son tour dans le psychisme humain. Pour être cohérente avec elle-même, la philosophie baha'ie doit pencher en faveur de la première solution; celle d'un lien consubstantiel entre la rationalité universelle et la rationalité humaine. Nous ne sommes pas loin des thèses augustiniennes qui voient dans la connaissance un reflet dans l'âme des réalités intelligibles.

Toute la pensée humaine est sous-tendue par une forme de rationalité qui est une approximation de la rationalité universelle de l'homme. Il ne s'agit que d'une approximation parce que l'horizon de l'intelligibilité humaine est limité par le situs ontologique de l'homme.
La rationalité humaine a plusieurs formes d'expression. Une de ses formes d'expression est celle du langage courant. Une autre est celle des mathématiques. Le langage courant est fondé sur l'expérience empirique alors que, pour les mathématiques, celle-ci est tout à fait secondaire et les mathématiques peuvent même s'en affranchir totalement. Cela remet-il en cause la thèse de l'unicité du langage que l'on trouve chez Bohr et chez Heisenberg, ainsi que chez de nombreux partisans de l'interprétation classique de la mécanique quantique? Peut-être pas fondamentalement dans la mesure où cette thèse se trouve ici ramenée à une thèse sur l'unicité de la rationalité. Mais on ne peut vraiment pas soutenir, comme le fait Bohr, que les mathématiques sont un simple raffinement du langage courant. "Raffinement" devrait ici désigner un processus de clarification des règles et des concepts au moyen d'une démarche systématique fondée sur une méthodologie.
Mais on ne passe pas du domaine des données des sens et des évidences empiriques aux idéalités mathématiques par un simple "raffinement". Le langage mathématique est fondé sur une capacité de l'esprit humain à saisir les données intelligibles. Il s'agit d'une fonction psychologique fondamentalement différente que celle en oeuvre dans le langage courant, même si les deux langages peuvent communiquer l'un avec l'autre et s'influencer réciproquement.

Par rapport au débat engager par l'empirisme logique, il est également intéressant de spécifier le statut de la logique. La logique constitue-t-elle, comme le croit ses partisans, l'ultime vérité sur laquelle se fondent l'arithmétique et les mathématiques, seuls langages capables de décrire effectivement la réalité et permettant de palier à la défectuosité du langage courant? Ou bien la logique n'est-elle que le reflet des règles de fonctionnement de l'esprit humain?
La tentative de l'empirisme logique de réduire d'une part l'arithmétique et les mathématiques à la logique et d'autre part de parvenir à une axiomatisation qui permette de distinguer infailliblement les énoncés vrais et de corriger ainsi le langage courant s'est soldée par un échec. La démonstration qu'il existe des propositions indécidables, l'abandon du concept d'analycité, sont là, entre autres, pour nous le prouver. Nous pensons qu'il est difficile de donner à la logique le statut d'un langage autonome.
Nous y voyons plutôt un effort pour abstraire du langage les règles de la rationalité. Il existe donc une logique du langage courant fondée sur l'expérience humaine, et une logique des mathématiques. Il existe également diverses tentatives pour unifier ces sources de la logique dans un modèle de la rationalité qui a un moment donné constitue notre meilleure compréhension de la nature et de l'usage de la rationalité humaine.

La question des rapports du langage (qu'il soit courant ou mathématique) avec la réalité se situe dans la perspectives des rapports de la rationalité humaine avec la rationalité universelle. Mais nous ne pensons pas qu'il faille voire dans la rationalité humaine quelque chose de définitif. Nous ne croyons pas que le langage ait terminé son évolution.
La rationalité humaine repose sur des mécanismes fondamentaux qui déterminent une structure générale sur laquelle se modèle l'expérience de la réalité. Ces mécanismes fondamentaux servent de base aux processus cognitifs qui nous permettent une reconstitution mentale de la réalité. Il est peu probable qu'il soit un jour possible à l'homme de construire une nouvelle forme de rationalité qui fasse fi de ces mécanismes fondamentaux mis en place depuis plusieurs millénaires.
Toute évolution de la rationalité devra respecter cette structure qui gouverne toute l'intelligibilité humaine. Il n'y a cependant aucun doute qu'il nous soit possible non seulement de produire de nouveaux concepts, mais surtout de nouveaux modes de pensée nous permettant de communiquer des abstractions qui jusqu'à présent ne faisaient partie ni du langage courant, ni du langage mathématique. Il nous faut ici un véritable acte de foi pour croire que ces mécanismes fondamentaux sont la reproduction fidèle de la structure fondamentale universelle, si non toute science devient simplement impossible.
Nous devons donc croire par nécessité qu'il y a identité de structure entre les mécanismes cognitifs humains et la réalité fondamentale de l'univers. Cette idée se trouve implicitement contenue dans les ultimes conséquences philosophiques du Principe anthropique, et on la retrouve également à la base de toutes les interprétations métaphysiques du monde, y compris celle de Baha'u'llah.


8.8. Nominalisme, empirisme et pragmatisme

La Philosophie de Quine, comme celle de tous ses successeurs et l'ensemble de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle a un fort préjugé anti-platonicien. Ce préjugé découle des thèses de la philosophie post-moderne sur la fin de la métaphysique en général, et l'inutilité de l'ontologie en particulier. Il est donc normal, dans ce contexte, de se tourner vers le nominalisme qui est en fait la seule position qui puisse aisément s'accorder avec l'empirisme et le pragmatisme.
Quine écrivit en 1947 un article en collaboration avec Goodman en faveur d'un nominalisme strict. Par la suite, il s'éloigna de ce nominalisme strict et finit par admettre l'existence d'entités abstraites en mathématique. Cette position est assez proche finalement de la métaphysique baha'ie qui, tout en admettant l'existence de réalités intelligibles indépendantes de l'esprit de l'homme, ne verse pas dans le platonisme total, comme nous le verrons bientôt, et a des racines nominalistes. L'ontologie baha'ie est une ontologie d'individus.
Ce n'est pas une ontologie de classes ou d'archétypes. Cette ontologie d'individus pose un problème délicat sur lequel les philosophes du futur devront se pencher. En effet, la métaphysique qui se dégage des textes baha'is est, comme nous l'avons dit, une métaphysique volontairement incomplète, pour la raison que le message de Baha'u'llah n'est pas un message philosophique, mais un message spirituel.
Ce message spirituel comporte cependant une ontologie minimale dont se dégagent quelques grands principes ou quelques grandes tendances qui forment un cadre général. Il revient donc à la philosophie d'élaborer sur la base de ces principes ou de ces tendances une ontologie développée. Cependant, les tendances que l'on peut dégager en matière d'ontologie laissent la porte ouverte à plusieurs options. Une de ces options est l'élaboration d'une ontologie nominaliste fondée uniquement sur les individus. L'autre option est l'élaboration d'une ontologie qui embrasse à la fois les individus et les relations.
Sur ce point, la métaphysique baha'ie semble très bien pouvoir s'accorder avec la philosophie contemporaine et diffère fondamentalement des philosophies chrétiennes et musulmanes encore très prisonnières des débats entre platoniciens et aristotéliciens. L'évolution de Quine montre la difficulté de maintenir un épistémologie et un extensionalisme strict. Il y a contradiction entre le nominalisme, qui est une ontologie, et la volonté de cantonner l'ontologie à des questions de langage. Le fait que Quine ait finalement dû reconnaître l'existence d'entités abstraites plaide en faveur des thèses ontologiques que nous développons. Un nominalisme strict entraîne vers des thèses idéalistes qui posent de nombreux problèmes quand on veut les appliquer à la connaissance scientifique de l'univers.

Il faut enfin souligner un certain penchant de la métaphysique baha'ie pour le réalisme qui peut s'accorder assez bien avec les tendances philosophiques que représente Quine et ses disciples à l'opposé. En effet, le nominalisme dont nous avons parlé est un nominalisme réaliste qui a rien à voir avec la nominalisme de la philosophie du langage comme celle de Goodman, ou avec le nominalisme pragmatique de Peirce. Nous reviendrons bientôt sur cette question.


8.9. La connaissance du monde comme totalité

Le monde n'est pas seulement monde de valeur il est totalité. Dire que la connaissance a son fondement dans l'homme et dans sa relation au monde ne résout pas le problème des fondements. Encore faut-il analyser les problèmes que cela soulève. Comment peut-on se référer à la totalité?
Malgré le nominalisme qui sous-tend notre interprétation de la métaphysique baha'ie, nous retrouvons là une question qui est typique de l'idéalisme, ce qui montre bien que cette métaphysique ne se range dans aucune des catégories habituelles de la métaphysique. La référence à la totalité est précisément ce qui sépare la connaissance rationnelle de la connaissance intuitive.
Ce que nous pouvons connaître rationnellement de l'univers c'est uniquement les éléments composants de sa structure et les processus qui les relient. Nous pouvons connaître rationnellement la structure de notre galaxie, la nucléosynthèse, le fonctionnement de l'écosystème terrestre, le métabolisme du corps humain, la fonction d'onde, etc. Mais de l'univers pris dans sa globalité, c'est-à-dire dans sa dimension sensible, et surtout dans sa dimension intelligible et spirituelle, nous ne pouvons avoir qu'une intuition; intuition signifiant d'abord prise de conscience. Le savoir rationnel est connaissance, alors que le savoir intuitif est expérience. C'est dans l'expérience du monde que se trouve le fondement de toute connaissance rationelle.

Ce thème de la connaissance du monde comme totalité est un thème typiquement théosophique. Il explique pourquoi la connaissance du monde exige en plus de l'approche rationnelle une herméneutique qui interprète le monde dans sa relation avec l'intériorité de l'homme. Le monde est écriture.
Le monde ne parle pas seulement de lui-même, il parle aussi de l'homme. Comprendre le monde c'est finalement pour l'homme se comprendre soi-même. L'homme cherche sa trace dans les étoiles. Le Principe anthropique ne fait que confirmer cette démarche. Il explicite en terme rationnel ce que l'intuition et la connaissance herméneutique s'efforcent de saisir.
C'est pour cette raison que le Principe anthropique peut servir de pivot entre le domaine de la science et le domaine de la connaissance spirituelle. L'herméneutique est le lieu de synthèse de la connaissance et de l'expérience. Elle est conaissance du monde, conaissance de l'homme par l'homme, et ainsi que le voulait Dilthey, recherche d'un sens de la vie. L'herméneutique est comme le dit Ast, la seule tentative possible pour comprendre la partie à partir du tout. [132]


8.10. Entre Platonisme et nominalisme

Dans L'Archéologie du Royaume de Dieu, nous avions montré que si la métaphysique baha'ie était une philosophie de l'émanation, cela ne suffisait pas à en faire une forme de platonisme. Nous avions alors procédé à une comparaison systématique avec les théories de Plotin, d'Avicenne et de Farabi, pour montrer que la métaphysique baha'ie n'a que très peu en commun avec elles, en dehors de cette philosophie de l'émanation.
Nous avions également démontré que la métaphysique baha'ie pouvait très bien s'accommoder d'une certaine dose de nominalisme. Bien entendu, lorsqu'alors nous parlions de platonisme, ou de néoplatonisme, nous pensions essentiellement aux systèmes de la philosophie arabo-musulmane et à ses contreparties dans la philosophie scolastique du Moyen-Âge.
De la même façon, lorsque nous parlions de nominalisme, il s'agissait du nominalisme de Guillaume d'Ockam et de Duns Scot si, au-delà de la controverse sur le réalisme, on le considère comme un précurseur. La questions que nous posons maintenant est celle de savoir si nous parviendrions au même résultat si nous comparions la pensée de Baha'u'llah à des platoniciens modernes comme Meinong, Russel et Moore, et à des nominalistes contemporains comme Goodman?
Nous ne pouvons cette fois procéder à une comparaison systématique dans la mesure où cela nous entraînerait trop loin de notre sujet et exigerait de longs développements qui peuvent difficilement trouver leur place ici. Nous nous contenterons de traiter brièvement le problème dans le cadre qui est le nôtre, c'est-à-dire pour ce qui est de ses rapports avec la question de la rationalité et de l'intelligibilité du monde.

Ce qui paraît le plus étonnant de prime abord c'est que la pensée de Baha'u'llah semble tenir à la fois du platonisme et du nominalisme, sans engendrer de graves contradictions. Cela tient à une structure métaphysique très dépouillée, et somme toute assez simple.

Le monde physique est constitué d'objets qui tous ont une existence indépendante et objective. Cependant, la réalité physique dans son ensemble est la manifestation d'une réalité plus fondamentale qui est de nature purement spirituelle. La réalité physique est donc purement phénoménale. Souvenons nous que nous avions montré que le matériel n'est pas la catégorie antinomique du spirituel duquel il se trouverait radicalement séparé, mais au contraire une modalité particulière et originale du spirituel. Le matériel se trouverait donc tout entier inclus dans le spirituel.
A toute réalité physique se trouve associée une dimension spirituelle. Ici se pose la question de ce que peut être cette dimension spirituelle. Les textes se prêtent à deux interprétations. Une première interprétation, qui est plus dans la ligne platonicienne, considère chaque réalité physique comme "l'image" (suwar), "le reflet" (in'ikas) ou "la trace" (athar) d'une réalité spirituelle, qui serait première par rapport à elle, et qui serait comme sa source et son origine (asl).
Les réalités matérielles seraient donc comme les "projection" ou les "manifestations" (mazahir) de ces réalités spirituelles premières (haqa'iq). Le problème de ce genre d'interprétation réside dans le fait de savoir qui sont les individus qui peuplent cette ontologie, c'est-à-dire qu'est-ce qui peut constituer une individualité susceptible d'être la manifestation d'une réalité essentielle première constitutive d'une individualité ontologiquement viable.
C'est pourquoi la seconde interprétation, qui aurait plus notre faveur, est beaucoup plus restrictive. Celle-ci considère que c'est l'ensemble du monde physique qui dans sa globalité doit être considéré à la fois comme une "image" et une "manifestation" du monde spirituel. La ressemblance entre le monde physique et le monde spirituel ne serait pas une ressemblance due aux individualités ontologiques qui peuplent ces mondes, mais une ressemblance de structure.
Dans ce cas, le nombre des réalités essentielles qui peuplent le monde spirituel est encore plus réduit. On trouve d'une part les esprits individuels et d'autre part l'essence de la matière, soit que le monde matériel tout entier s'origine dans une seule réalité essentielle qui est sa source, soit qu'on considère que les individualités premières qui forment la matière, en d'autres termes, les particules les plus élémentaires, sont dotées d'une réalité essentielle individuelle.
L'étude des textes ne nous a pas encore permis de trancher entre ces deux possibilités. Une troisième possibilité, qui est une combinaison des deux premières, existe. On pourrait admettre que c'est au point de coalescence et de substantification (taqyid), qui se trouve aux alentours du monde imaginal ('alam-i-mithal), que se produit l'individuation des réalités essentielles, des individualités constitutives du niveau le plus fondamental de la réalité physique.

Un point que nous n'avions peut-être pas assez souligné précédemment est que toutes les réalités intelligibles (ma'qulat) ne sont pas dotées d'une réalité essentielle (haqiqat). L'âme humaine est une essence. Mais une réalité intelligible comme l'Amour ou le nombre p ne sont pas des essences. C'est pour les distinguer que nous avons choisi de les appeler des réalités intellectuelles ou intellectives.
La nature ontologique de ces réalités intellectuelles est une question importante de l'ontologie et de l'épistémologie baha'ie. D'un côté, ces réalités existent dans l'esprit de l'homme et ce n'est que par son esprit que l'homme peut les saisir. D'un autre côté, il ne semble pas qu'on puisse dire que ces réalités soient une création de l'esprit humain bien qu'elle montre une parenté de structure entre le principe rationnel qui les fait fonctionner et le fonctionnement de la rationalité humaine.
Sur ce point, la métaphysique baha'ie est assez claire. Ces réalités intellectives doivent exister indépendamment de l'esprit de l'homme. Encore faut-il préciser leur mode d'existence ontologique. Sont-elles dotées d'une individualité subsistante de manière autonome, ou n'indiquent-elles que des rapports entre les individualités ontologiques constitutives de la réalité?
Le fait même que l'on puisse poser cette question montre toute la modernité de l'image du monde qui se dégage des Écrits de Baha'u'llah. Il semble d'ailleurs que les textes baha'is laissent toute liberté pour choisir entre ces deux solutions, ce qui montre bien que l'ontologie de Baha'u'llah ne constitue pas une théorie fermée et exclusive, mais plutôt un cadre à l'intérieur duquel sont susceptibles de s'épanouir des ontologies très différentes.

Le fait que nous rencontrions dans la métaphysique baha'ie d'une part des réalités essentielles existant dans un monde spirituel indépendant du monde matériel, et d'autre part des réalités intellectives, comme les nombres et certaines entités mathématiques, ayant une existence indépendante de l'esprit de l'homme, suffit-il pour caractériser un platonisme baha'i? [133]
Le platonisme a certainement joué un très grand rôle dans l'élaboration de la terminologie et des concepts dont se sert Baha'u'llah pour exprimer sa pensée. Mais nous sommes très loin du monde des idées platoniciennes. Les réalités essentielles (haqa'iq) qui tiennent ici la place des idées platoniciennes sont réduites à leur plus simple expression. Elles n'ont rien à voir avec l'idée platonicienne de la table ou du lit de laquelle proviendraient toutes les tables et tous les lits. L'idée que le monde matériel est l'image ou le reflet d'un monde spirituel ne signifie plus du tout que chaque individu doit trouver sa correspondance dans le monde des images.
Par ailleurs, les idées platoniciennes jouent le rôle de classe ou d'ensemble auquel se rattacheraient toutes les familles d'individus, ce qui est nullement le cas des réalités essentielles. Ces deux considérations suffisent à établir à nos yeux le fait qu'en aucun cas on ne s'aurait parler d'un platonisme baha'i, en dépit de certaines ressemblances évidentes que nous avons signalées. En effet, un système platonicien devrait exclure toutes formes de nominalisme.
Or dans la métaphysique baha'ie, ce qui existe, que ce soit dans le monde matériel ou dans le monde spirituel, ce sont bien des individus et non des classes comme nous l'avons dit, encore moins des universaux. En ce sens, la métaphysique baha'ie est plus nominaliste que la philosophie de Russel ou de Quine. Russel pensait que pour éliminer la métaphysique de la philosophie des sciences, il fallait supprimer toutes les entités mathématiques dotées par les platoniciens d'une existence autonome.
Par conséquent, il reprenait l'idée de Frege de réduire les mathématiques à la logique et il démontra qu'on pouvait exprimer toute la logique, et donc les mathématiques, à l'aide de la notion de "classe". Quine pensera lui aussi que seuls existent les objets physiques et les classes. Dans la métaphysique baha'ie, l'existence des individus ne dépend ni d'un universel, comme les classes, ni d'une forme eidétique ou substantielle comme dans le platonisme.

L'épistémologie baha'ie ne permet pas de réduire les mathématiques à la logique, comme voulait le faire Frege, ce qui semble confirmer aujourd'hui par nombre de théories scientifiques, dont celle du Principe anthropique n'est pas une des moindres. La fonction des mathématique est d'analyser et de reproduire la rationalité universelle afin de décrire les relations entre les différentes entités constitutives de l'univers, alors que la logique a un rôle essentiellement lié au langage humain. La preuve en est qu'il est possible de construire des systèmes mathématiques et géométriques qui, bien que viollant certaines conventions de la logique, trouvent néanmoins des applications dans la physique.
Dans la mesure où il existe un lien étroit entre la rationalité universelle et la rationalité du langage, et où les mathématiques sont elles aussi un langage qui n'est pas dénué de lien avec le langage courant, il existe forcément un parenté étroite entre la logique et les mathématiques. Mais cette parenté n'autorise pas à réduire l'une à l'autre. Par conséquent, il est impossible d'éliminer la métaphysique de la science de cette façon.

La conséquence la plus paradoxale de cela est que la métaphysique baha'ie, en dépit de son apparence platonicienne, n'a pas besoin des classes en tant qu'objet ontologique et pourrait donc être considérée comme plus nominaliste que la philosophie de Quine qui d'ailleurs reconnaîtra la difficulté de maintenir une position strictement nominaliste en mathématique et tentera, comme nous l'avons vu, de réhabiliter l'ontologie traditionnelle qui avait été discréditée par les positivistes et surtout par Carnap. Il serait intéressant de poursuivre l'étude de ces conceptions par une comparaison avec le nominalisme de Peirce.
Peirce croît à l'existence d'une réalité indépendante de l'homme et déterminant les règles d'une rationalité. Il doute cependant que cette réalité soit accessible à l'homme parce que la connaissance de l'homme est essentiellement faillible. La philosophie baha'ie sous-entend la même faillibilité, mais elle va au-delà en insistant sur la progressivité de la connaissance. Certes, la connaissance de la réalité dans sa totalité nous est interdite. Mais entre cette connaissance absolue représentant, selon l'expression de Putnam, "le point de vue de Dieu" et la connaissance faillible de l'homme existe un espace qui permet néanmoins un progrès infini. La marge de progrès de la connaissance ne connaît aucune limite.


8.11. Le réalisme transcendantal de Baha'u'llah

Il existe cependant un autre point sur lequel la métaphysique baha'ie se rapproche du platonisme moderne, c'est celui de la transcendance de la norme dont on trouve une illustration chez Russel. A la différence de Wittgenstein qui tient pour une conception immanentiste des normes et des règles, Russel pense que les formes logiques existent dans un monde transcendant.
La position d''Abdu'l-Baha dans son Tafsir est un peut différente, puisqu'il n'est pas question d'admettre l'existence d'un monde transcendant qui serait le paradis des normes et des archétypes. Ce qu'on pourrait appeler la fonction imaginale (mithali) n'est pas assumée par un "Monde imaginal" ('alam-i-mithal) en tant que tel, mais comme le dit Baha'u'llah lui-même dans une de ses tablettes [134], par le Malakut, c'est-à-dire par le monde spirituel qui abrite les réalités essentielles qui sont à l'origine de toute réalité. Bien que la métaphysique baha'ie ne reconnaisse pas d'existence autonome aux formes logiques, elle les considère néanmoins comme transcendantes par rapport à la réalité physique parce qu'elles sont immanentes au monde spirituel.
Ces formes logiques sont le reflet dans le monde physique des rapports nécessaires qui découlent de ce qu'on pourrait appeler, à défaut d'une meilleure expression, la "structure" ou "l'architecture" du monde spirituel qui, rappelons le n'est pas séparé ou distincte de ce monde, mais l'embrasse et le compénètre entièrement. Les normes de la rationalité, les règles telle que les règles des mathématiques, et les formes logiques ont donc leur source dans un monde également transcendant.

L'idée d'une transcendance des normes n'est évidemment pas très populaire parmi les philosophes contemporains. L'immanentisme est devenu une des caractéristiques de la philosophie post-moderne. Il faut dire qu'il y a de bonnes raisons à cela. Et ces raisons vont bien au-delà des simples interrogations sur la nature de la réalité physique.
Du point de vue immanentisme qui est le sien, Wittgenstein avance deux critiques contre le réalisme transcendantal. Si les règles sont transcendantes, il paraît difficile d'expliquer au moyen de la causalité classique comment des règles, encore inconnues pour certaines, pourraient avoir pour l'homme une valeur normative. Par ailleurs, on est en droit de se demander comment de telles règles pourraient à leur insu déterminer le comportement de leurs utilisateurs.
En effet, si on admet que, par exemple, les règles mathématiques s'imposent à nous de manière transcendante, on est facilement amener à accepter que, de proche en proche, d'autres types de règles s'imposent à nous de la même façon telle que les règles du langage et même les règles éthiques. Ainsi, les règles décideraient pour nous et sans nous. C'est donc le problème de la liberté de l'homme qui est posé. L'immanentisme débouche sur le scepticisme.
Pour l'immanentisme wittgensteinien et d'une manière générale post-moderne, la force des règles réside dans la compréhension. C'est la compréhension qui crée la règle. Le réalisme transcendantal baha'i est conséquent avec lui-même. Il accepte que si les formes logiques sont transcendantes, alors cette transcendance est valable pour d'autres types de règles, y compris les règles éthiques.
Nous voyons que ce débat va bien au-delà d'un simple affrontement entre platonisme et idéalisme. D'une part, une des questions qui est soulevée par Wittgenstein est celle de la causalité. Wittgenstein a en tête la causalité classique. Nous sommes aujourd'hui moins troublé par le problème parce que la causalité classique a été profondément remise en cause par la physique moderne nous permettant d'envisager la causalité en d'autres termes.
Nous reviendrons sur le problème au chapitre suivant. Puis nous voyons le débat se déplacer du champs métaphysique vers le champs anthropologique. Derrière la question de la causalité se profile celle de la liberté de l'homme, et au-delà la question de la nature humaine. C'est finalement en fonction de l'idée qu'on se fait de la nature de l'homme et de sa liberté qu'on risque de se déterminer pour l'idéalisme, pour le platonisme ou pour le réalisme transcendantal de Baha'u'llah. Un débat sur la nature des règles et des formes logiques entraîne immédiatement à poser le problème du déterminisme en général, et tout débat sur le déterminisme implique la question de savoir comment le déterminisme affecte l'homme dans son rapport avec la réalité, mais aussi dans son rapport avec lui-même.
Le déterminisme a des conséquences linguistiques aussi bien que psychologiques -existe-t-il un déterminisme de la pensée? Quelle sont les contraintes que la rationalité universelle fait peser sur ma pensée?- et finalement des conséquences éthiques.
Le fait que Baha'u'llah proclame que la nature de l'homme est spirituelle, a ici d'immenses implications. Cette nature spirituelle rattache l'homme a un monde transcendant. Dans cette métaphysique, le statut des règles et des formes logiques n'est finalement pas différent de celui des valeurs. Tous sont la traduction dans le monde visible des propriétés du monde invisible. Ce que la théologie ancienne appelait les "attributs divins" (sifat) ne sont pas des propriétés distinctes de l'essence divines, mais le reflet dans la création de l'émanation première.
En effet, Dieu ne peut avoir des attributs multiples. Ce que l'homme distingue comme des attributs différents ne sont qu'une seule propriété spirituelle et universelle qui est en sorte "diffractée" lorsqu'elle se reflète dans la création. Ainsi ce "signe" divin (Ayyat), par une illusion purement humaine, apparaît sous des manifestations et des noms différents tels que "Amour", "Bonté", "Justice", "Clémence", "Beauté", etc. Ce que l'ancienne théologie appelait des "attributs divins" sont donc en fait des "valeurs spirituelles".
Ces valeurs spirituelles n'ont pas d'existence indépendante puisque dans l'essence divine, elles n'existent que comme une unité sans distinction ni différenciation. Ces distinctions et différenciations apparaissent lors du processus "d'individuation" (tafrid) des réalités essentielles dans les mondes spirituels, pour se refléter ensuite dans le monde matériel.
Toutes les propriétés du monde matériel ne sont que le reflet et la transposition des propriétés du monde spirituel. Cela est nécessairement vrai également des règles et des formes logiques, non pas que celles-ci existeraient en tant que telles dans le monde spirituel, puisque nous avons vu que les propriétés du monde matériel ne sont que des "transpositions" du monde spirituel.
La seule chose que l'on puisse affirmer c'est que ces règles et ces formes sont la traduction d'une réalité transcendante qui existent de manière indépendante d'elles. Cette position est finalement assez différente de l'atomiste platonicien puisque pour l'atomisme platonicien les règles et les formes logiques existent de manière indépendante dans un monde transcendant, alors que, dans la perspective baha'ie, les règles et les formes logiques sont effectivement transcendantes par rapport au monde physique, sans cependant exister dans un monde transcendant, où seulement se situent les réalités dont elles sont le reflet.

On peut faire ici une comparaison entre la façon dont la science découvre les formes logiques et les lois de l'univers et la façon dont la religion révèle les valeurs spirituelles qui, comme nous venons de le voir sont de nature identique. De même que la science découvre progressivement les lois de l'univers et que les théories se succèdent les unes aux autres en approchant la réalité de plus en plus près, de même chaque nouvelle révélation permet à l'homme d'accéder à un niveau supérieur de compréhension des valeurs spirituelles.
L'apparition d'une nouvelle révélation est équivalent pour la religion à un changement de paradigme dans la science. Cette conception des valeurs spirituelles introduit donc un certain relativisme dans les réalismes. L'homme n'a jamais une connaissance pleine et directe des valeurs spirituelles. En fonction d'une certaine révélation, qui définit un paradigme, il acquière de ces valeurs une connaissance qui est relative d'une part à son époque et aux conditions historiques et sociales, et d'autre par à son propre développement intérieur.
La connaissance des valeurs spirituelles étant pour partie intuitive, cette connaissance est une gnose qui ne peut s'acquérir que par la transformation progressive de l'être intérieur. En découvrant les valeurs spirituelles l'homme se transforme lui-même et il découvre en même temps sa propre nature également spirituelle. Le relativisme de notre compréhension restaure la liberté de l'homme dans un univers qui demeure cependant largement déterministe. C'est pour cela que les baha'is ne voient pas de contradiction entre la liberté de l'homme et le caractère transcendant des règles et des normes universelles, contrairement aux critiques de Wittgenstein.

L'idée que les réalités essentielles sont des individualités irréductibles fonde le nominalisme baha'i. Il faut se demander si là encore il n'y a pas une ressemblance avec l'atomisme platonicien de Russel. L'atomisme platonicien n'est pas un empirisme et il s'oppose vigoureusement au néokantisme et à l'idéalisme hégélien. Russel dans les Principia Mathematica souligne la nature non existentielle des propositions logiques et leur indépendance par rapport à l'esprit humain.
Sur ce point il s'éloigne donc de Wittgenstein qui reviendra à un psychologisme d'inspiration kantienne. Il prône une ontologie pluraliste, faite d'une infinité d'atomes logiques inconciliables avec le monisme de l'idéalisme hégélien. Le réalisme transcendantal de Baha'u'llah a donc plus d'une parenté avec le platonisme moderne. On ne peut cependant pas affirmer qu'il constitue une forme de platonisme. Il s'agit d'une philosophie tout à fait originale qui est d'autant plus difficile à saisir qu'on cherche à l'appréhender à l'aide des concepts de la vieille philosophie.


8.12. Les réalités essentielles et l'interprétation idéaliste de la chose en soi

L'idéalisme est la philosophie qui permet de minimiser l'ontologie au maximum. Elle implique une conception immanente du monde qui récuse toute forme de transcendance. L'idée que finalement seule compte la réalité phénoménale exprimable par le langage ou par un formalisme mathématique est assez similaire à l'idée de l'individualisme post-moderne qui fait de l'individu la source de ses propres valeurs.
D'un autre côté, il paraît difficile de marier une position authentiquement religieuse avec une conception idéaliste de l'univers. Ceci explique peut-être pourquoi les religions, quelque elles soient, ont une préférence pour le réalisme physique. Ce serait cependant une erreur que de ramener le débat à ce seul aspect. L'idéalisme est né du problème du statut de la conscience et du rapport entre la représentation et la chose en soi tel que l'avait posé Kant. Comme le dit Coplestone, Kant nous avait laissé avec "une réalité bifurquée". [135]
D'un côté, nous avions le monde phénoménal qui constitue le domaine particulier de la science, et de l'autre le monde suprasensible des agents moraux libres et de Dieu. Kant croit à l'existence de la chose en soi, mais il la place au-delà du monde phénoménal, donc au-delà de la science. Cette position permet d'évacuer la vieille métaphysique qui, comme il le dit dans l'introduction de La Critique de la Raison Pure, n'avait d'ailleurs plus aucun partisan. L'idéalisme post-kantien, notamment avec Fichte, supprimera la chose en soi.

L'affirmation hégélienne que tout ce qui est réel est rationnel et réciproquement est le produit logique de l'idéalisme, puisque la rationalité humaine sert de fondement à la connaissance du réel.

Il ne semble pas qu'il existe dans la pensée de Baha'u'llah une notion de "réalité en soi", ou du moins elle est fort problématique. Il existe bien une réalité phénoménale accessible à l'homme. Il existe aussi une réalité indépendante de l'homme et partiellement intelligible, mais cette réalité n'est pas la réalité en soi. Baha'u'llah est cependant d'accord avec Kant sur au moins un point: il n'est pas possible d'étendre le concept de cause au-delà du monde phénoménal.
C'est également pour cela qu'il n'existe pas une ontologie baha'ie qui servirait de fondement à une métaphysique comme philosophie première. Les réalités du monde spirituel ne peuvent être connues par l'intermédiaire du raisonnement discursif. Elles font seulement l'objet d'une intuition globale qui nous permet d'affirmer leur existence.
Au-delà, tout ce que nous pouvons avancer ne l'est pas par déduction à partir de quelques principes premiers, mais par des analogies fondées sur notre connaissance du monde phénoménal. La connaissance des mondes spirituels n'a que deux sources: la révélation divine et l'analogie. Le discours sur les mondes spirituels par nature s'apparente plus à la poésie qu'au discours scientifique.

Nous avons ici un paradoxe qui est que le réalisme transcendantal de Baha'u'llah ne repose pas sur une réalité dotée de propriétés en soi. La réalité existe bien de manière indépendante de l'observateur, mais on ne peut pas dire qu'elle existe de manière indépendante de l'homme en tant qu'espèce, ou plutôt en tant que manifestation de l'Esprit anthropique, puisque Baha'u'llah nous dit qu'il a toujours exister une créature, manifestation de cet Esprit, pour connaître le créateur et que l'univers a été créé en fonction de cette finalité.
Si donc la réalité phénoménale et la réalité sous-jacente sont véritablement indépendantes de l'observateur, on ne peut cependant dire que l'univers existe de manière indépendante de l'homme. La différence entre ce réalisme métaphysique et le réalisme autoréférentiel de Wheeler ou l'idéalisme, c'est qu'ici la relation entre l'homme et la réalité n'est pas directement liée à l'observation. c'est d'abord un lien de nature ontologique qui est très bien exprimé par le Principe anthropique. Le réalisme de Baha'u'llah ne porte que sur l'univers, et non sur toute la réalité et il admet que l'univers n'étant pas toute la réalité il y un point de rupture au-delà duquel le réalisme strict n'est plus possible. Il s'agit donc d'un réalisme partiel.

La réalité phénoménale est distincte de la réalité fondamentale à l'origine de tous les phénomènes. Cette dernière ne procède pas de propriétés en soi dans un sens physique. Cette réalité fondamentale est en-dehors de l'espace temps et des rapports de causalité classique. On ne peut pas lui prêter de propriétés en soi dans la mesure où toute propriété est une "manifestation" (zuhur) et que la manifestation est sensée nous révéler "l'intérieur" (batin) d'une réalité (haqiqat), c'est-à-dire son essence (jawhar ; dhat). Mais ici les propriétés manifestées dépendent beaucoup du situs ontologique de l'observateur. En effet, Baha'u'llah décompose la réalité en "monde", et il nous dit que ces mondes existent en nombre infini.
La caractéristique de ces mondes est de manifester les propriétés des réalités, car une même réalité peut exister simultanément dans un grand nombre de mondes. Les mondes eux-mêmes n'ont pas de propriétés objectives en fonction du principe phénoménologique de Baha'u'llah que nous avons déjà longuement développé. D'ailleurs, leur multitude est elle-même une illusion. Ces mondes sont des catégories onto-herméneutiques. Un monde est une modalité de l'être, mais les modalités de l'être sont elles-mêmes réduites à des modalités de la compréhension et de l'intuition. Chaque monde est un situs à partir duquel la réalité "existe", c'est-à-dire peut être comprise à partir des propriétés qu'il manifeste. C'est la thèse que nous avons développée dans L'Archéologie du royaume de Dieu.

Tout cela nous montre que dans la métaphysique baha'ie il n'y a pas identité entre la réalité (haqiqat) et le phénomène (zuhur ; mazhar). Le phénomène est bien la manifestation d'une réalité sous-jacente, mais la réalité prise dans sa globalité est infiniment plus vaste et plus diversifiée que ce que le monde phénoménal laisse apparaître.
Le phénomène est l'aboutissement d'une hiérarchie de "natures" (kaynunat) dans laquelle la chose en soi n'a pas véritablement sa place. La chose en soi, ce ne peut être la réalité phénoménale, ni la métaréalité sous-jacente, ni les différentes modalités sous laquelle la réalité fondamentale se manifeste. La réalité fondamentale éclate entre ses différentes manifestations et modalités ontologiques comme l'image d'un miroir qui se reflète dans un autre miroir et nous montre des miroirs à l'infini se contenant tous les uns les autres et pourtant étant tous les deux mêmes miroirs.
Les distinctions de modalité ontologique que nous faisons, comme par exemple entre le matériel et la spirituel, s'apparente à l'image des différents miroirs qui pourtant ne sont que le reflet d'une réalité unique. Mais le problème de l'homme c'est que son existence est elle-même une image dans le miroir.



Notes

119. Schelling, Essais, trad. S. Jankelevitch, Aubier, 1946, pp. 86-87.

120. 'Abdu'l-Baha, Les Leçons de Saint Jean d'Acre, p. 95.

121. Rappelons que le concept d'"engagement ontologique" a été défini par W.V.O. Quine dans un article de son livre From a logical point of View (Harward, 1953) qui se penche sur les problèmes de la logique comme langage. Quine oppose les "critères ontologiques" aux "critères d'engagement ontologique". Le critère ontologique est un critère qui permet de déterminer ce qui existe. Un critère d'engagement .ontologique nous informe sur ce que le locuteur tient pour existant. En tant qu'empiriste Quine pense que l'évidence empirique est suffisante comme critère ontologique dans une théorie scientifique. La véracité des faits est donnée par les faits eux-mêmes. Il y a cependant confusion entre l'évidence ontologique et les engagements ontologiques que le locuteur manifeste par le langage. La notation canonique des théories a pour objectif de manifester les critères d'engagement ontologique et de les neutraliser.

122. cf.W.V.O. Quine, Word and Object, trad. fr., Le Mot et la chose, trad. J. Dopp et P. Gochet, Paris, 1978; Pursuit of Truth, trad. fr., La Poursuite de la vérité M. Clavelin, Paris, 1993, (voir notamment p. 57); et Relativité de l'ontologie et autres essais, trad. fr., J. Largeault, Paris 1977.

123. W.V.O. Quine, Relativité de l'ontologie et autres essais, p. 68.

124. cf. Kuhn, Th, La structure des révolutions scientifiques, Paris, 1972.

125. cf. Roldan, J. Langage, Mécanique quantique et Réalité; Un essai sur la pensée de Niels Bohr, thèse de doctorat, Université Paris-Panthéon-Sorbonne, 1990, p. 67, 186-191.

126. ibid. p. 187.

127. Heisenberg, W., La partie et le tout, Paris, 1972, p. 192.

128. cf. Roldan, J., op.cit., pp. 51-54.

129. Strawson, "Carnap's Views on Constructed System versus Natural Languages in Analytical Philosophy", in Schilpp, The Philosophy of Rudolf Carnap, La Salle, Illinois, Open Court, 1963. Voir également: Intoduction to logical theory, Londres, University Paperbacks, 1952; "Construction and Analysis", in G. Ryle, The Revolution in Philosophy, Londres MacMillan, 1956; et "Alalyse, science et létaphysique", in Cahiers de Royaumont, 1962.

130. cf. Feyerhabend, Contre la méthode, trad. fr., Paris, 1988. Voir également Adieu la raison, trad. fr., Paris, 1989.

131. cf. Holton, L'imagination scientifique, trad. fr., Paris.

132. Ast écrit: "La loi fondamentale (Grundgesetz) de toute compréhension et connaissance consiste à trouver l'esprit du tout depuis la partie et comprendre la partie à travers le tout." (Grundlinien der Grammatik, Landshut, 1808, § 75), cité par J. Grondin, in L'Universalité de l'herméneutique, p. 83.

133. Rappelons que certains aspects de cette question sur lesquels nous ne reviendrons pas ici ont déjà été traités dans les chapitres XV et XVI de L'Archéologie du Royaume de Dieu.

134. Baha'u'llah, Ma'idiy-i-Asimani, tome I, p. 18.

135. Frederick Coplestone, S. J., "Post-kantian idealist systems; an Introduction" in A History of Philosophie, tome VII, p.6.


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