Les
jardiniers de Dieu
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Chapitre IV - Baha'i au jour le jour
"Nous sommes comme tout le monde, constate
en souriant Françoise P.M, des êtres très imparfaits. Mais nous faisons des
efforts pour nous approcher d'un idéal."
Nous en sommes au stade de notre enquête où nous essayons de mesurer l'influence
de leur religion sur le comportement quotidien des baha'is. Pour ouverte qu'elle
soit, leur foi n'en comporte pas moins des lois, des obligations, un code de
conduite en somme, dont le respect exige, à tout le moins, une constante discipline
personnelle.
Nous avons déjà évoqué l'interdiction de l'alcool, quelqu'il soit, aussi bien
dans sa consommation que dans sa production ou sa commercialisation, celle de
toute drogue, fut-elle douce, et celle des rapports sexuels hors des liens du
mariage. Mais les prescriptions de Baha'u'llah ne se limitent pas à ces interdits.
Un baha'i doit, chaque jour, prier Dieu. Suivre dans la mesure du possible le
calendrier baha'i, avec ses célébrations et ses jours fériés. Veiller très scrupuleusement
à l'éducation de ses enfants. Considérer le mariage comme l'instrument nécessaire
à l'épanouissement du couple et de la famille. Etre attentif aux autres et courtois.
Ne jamais médire, même de ses ennemis, se taire sur les fautes d'autrui, et
blâmer ceux qui les divulguent: "Si un homme a dix qualités et un défaut, enseigne
Abdu'l-Baha, il ne faut voir que les qualités et ignorer le défaut. Si c'est
le contraire, considérer la qualité et oublier les défauts". Etre sincère, hospitalier,
respectueux des droits d'autrui. S'efforcer de porter secours aux malades, de
réconforter les affligés. Détacher son coeur de soi-même et du monde, être humble,
se vouloir le serviteur de chacun et savoir qu'il n'est supérieur à nul autre.
Agir avec prudence et sagesse, en usant plus de la concertation que de l'autorité.
Supporter sans se révolter les difficultés ou les injustices dont il peut être
victime et, malgré tout, aimer ses semblables. Considérer les calamités comme
des épreuves à surmonter. S'adonner à la propagation des enseignements sacrés.
Etre "La table céleste pour ceux qui ont faim, un guide pour les chercheurs,
une eau bienfaisante pour les terres arides, une étoile à chaque horizon, une
flamme pour chaque lampe et le messager de tous ceux qui attendent le royaume
de Dieu."
Vaste et beau programme, dont l'application n'est pas si évidente. Il est peut
être plus facile de croire en Dieu que de s'astreindre à le prier chaque jour,
d'adhérer à de grands principes que de ne pas dire tout net d'un vilain personnage
qu'il est un vilain personnage, de s'élever bien haut contre toute ségrégation
que de n'être jamais, soi-même, vindicatif, emporté, autoritaire ou sexiste,
de considérer que l'on est le détenteur d'une vérité que de s'astreindre à l'exprimer
plus par ses actes que par ses paroles, sans l'imposer, en respectant les vérités
des autres.
"Beaucoup de baha'is, nous avait dit Bill Collins, n'arrivent pas à vivre ce
qu'ils disent. Moi non plus, mais nous faisons tous un effort constant."
Nous avons tenté d'avancer un peu plus loin que cette boutade, savoir au moins
ce qu'ils disent de ce qu'ils font, dans leur vie quotidienne, le respect des
prescriptions ou des interdictions de leur foi, leur cellule familiale, l'exercice
de leur profession et leurs rapports sociaux.
Autant de nouvelles conversations à bâton rompu, où, s'ajoutant à nos précédents
interlocuteurs entrent en scène Mohammad B. et Françoise P.M. brièvement mentionnés
au chapitre précédent, ainsi que le professeur K. S. "patron" du service d'anesthésie
d'un grand hôpital parisien.
Avec Mohammad B, nous avons d'abord évoqué le problème du calendrier Algérien,
musulman converti à la foi baha'ie, marié à une française baha'ie de famille
catholique, père d'un petit garçon de 8 ans et d'une grande fille de 13 ans,
il vit à Paris, est cadre administratif d'une grande entreprise. Il constituait
une "victime" toute désignée pour nous expliquer comment on ne s'emmêle pas
entre trois manières de compter le temps, celle de sa culture d'origine, l'hégire,
celle des pays occidentaux, et celle de la religion baha'ie.
Le calendrier baha'i fut créé par le Bab en 1844, l'année qui marque le début
de l'ère baha'ie. Basé sur l'année solaire, il débute le 21 Mars, avec l'équinoxe
de printemps et se divise en 19 mois de 19 jours, plus quatre jours intercalaires
qui amènent au compte d'une année. Chaque nouveau jour commence au coucher du
soleil. Tous les quatre ans, un cinquième jour intercalaire joue le rôle du
29 février dans le calendrier grégorien.
Chaque premier jour du mois est célébrée la fête des 19 jours. Ordonnée par
Baha'u'llah, elle symbolise la fondation de l'ordre administratif, et comporte
trois séquences. Une de méditation, où sont 1us des textes baha'is mais aussi
d'autres religions. Une administrative, le président de l'assemblée spirituelle
locale ou le trésorier font leur rapport, on discute des projets, on examine
des propositions. On termine enfin par la récréation avec des conversations
amicales, des divertissements, etc. Cette fête a un caractère très important.
Elle est à la fois le ciment de la communauté, l'occasion d'une consultation
générale de celle-ci avec son assemblée élue et le plus sûr garant de la constante
adaptabilité de l'ordre administratif aux besoins d'une société en évolution
permanente.
Du 2 au 20 mars, entre le lever et le coucher du soleil, les baha'is adultes
sont appelés à jeûner, sauf dans certaines circonstances prévues. Ce jeûne est
une préparation au renouveau physique et spirituel, en accord avec le renouveau
de la nature. Il symbolise, par son aspect concret, une période pendant laquelle
il convient de s'abstenir de tout désir égoïste, de convoitises personnelles;
de faire le point sur sa vie, de corriger sa paresse spirituelle et les mauvaises
habitudes éventuellement prises au cours de l'année. Le jeûne physique serait
de nulle valeur s'il n'était pas la traduction de cette remise en cause.
A l'issue du jeûne de 19 jours, on fête Naw-Ruz, ce joli nouvel an qui prend
date le jour du printemps.
Sont encore fériés le 21, le 29 avril et le 2 mai (commémorant des déclarations
de Baha'u'llah en 1863), le 23 mai (déclaration du Bab en 1841), le 29 Mai (Mort
de Baha'u'llah en 1892), le 9 juillet (martyr du Bab en 1850), le 20 octobre
(naissance du Bab en 1819) et le 12 novembre (naissance de Baha'u'llah en 1817).
Dans l'optique baha'ie, ce calendrier est un facteur d'intégration qui permet
à des cultures et des sociétés d'origines tellement différentes de fonctionner
sur des repères communs.
Actuellement, les Assemblées baha'ies s'efforcent de faire reconnaître leurs
jours fériés par les autorités administratives des états dont elles dépendent.
"Quoi qu'il en soit, assure Mohammad B., ce calendrier n'est pas un problème.
De la même manière qu'en Algérie nous fonctionnons sur deux calendriers juxtaposés,
celui de l'hégire et le calendrier grégorien des occidentaux, nous avons nous
aussi deux calendriers superposés, baha'is et grégorien. Nous ne sommes pas
bornés. Nous savons où nous allons. Il faut avoir du sens pratique. Nous appliquons
et respectons le calendrier grégorien dans notre vie sociale, et nous observons
les jours saints et le jeûne du calendrier baha'i dans notre vie privée. Ce
n'est pas plus compliqué que cela". En consultant un calendrier baha'i, nous
avons pu en effet constater qu'il utilise le découpage grégorien, du 1er janvier
au 31 décembre, mais, évidemment, sans ses saints ni ses fêtes, en faisant en
revanche ressortir toutes les commémorations spécifiques de cette foi. Chaque
jour, en outre, est assorti d'un mot symbolique. Dimanche la beauté, lundi la
perfection, mardi la grâce, mercredi la justice, jeudi la majesté, vendredi
l'indépendance, samedi la gloire. "Dans le futur, assure sereinement Mohammad
B, notre calendrier communautaire aura une application généralisée. Mais ce
n'est pas pressé. Nous avons le temps devant nous."
Plus contraignante peut-être est l'obligation de prière quotidienne. "Quelle
contrainte? s'étonne Mohammad B. Effectivement, nous devons prier chaque jour.
Mais toute latitude nous est laissée de choisir entre trois formes de prière.
l y en a une toute petite, à dire tourné dans la direction Akkà (Saint-Jean-d'Acre)
où se trouve le tombeau du prophète. Elle ne prend que quelques minutes, et
peut se faire n'importe où, au bureau, à l'usine... une prière pour paresseux,
ou pour marquer le coup.
Il y en a une autre, de longueur moyenne, qui doit se répéter trois fois: au
lever du soleil, à midi, au coucher du soleil, toujours après des ablutions
et tourné vers Akkà, avec quelques gestes. Celle là, évidemment, puise dans
la tradition musulmane.
Enfin il y a une grande prière, plus longue, plus conséquente, qui peut être
faite à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, par exemple le soir, quand
on est bien, ou le week-end, quand on a du temps devant soi pour bien se recueillir.
Mais que l'on choisisse la plus courte prière ou la plus longue, toutes ont
la même valeur spirituelle. Le choix est strictement personnel. De toutes façons,
là comme ailleurs, Baha'u'llah nous enseigne la modération et a dit qu'il ne
fallait pas prier jusqu'à en être fatigué, la prière n'aurait plus aucun sens."
Nous lui avons demandé s'il priait en couple. Réponse: "Non, le dialogue avec
Dieu, sauf dans certains cas, est, pour moi, strictement individuel". Nous avons
posé la même âme question à Françoise P.M. mariée à un éthiopien également baha'i.
Chez elle, on prie à la maison, ensemble. Mais, ajoute-t-elle, "il est bien
évident que nous avons aussi des moments de méditation, de recueillement, qui
exigent la solitude. Quand l'un de nous se retire pour méditer ou prier, il
va de soi que l'on comprend et respecte cette nécessité de solitude. Si vous
voulez, c'est un certain respect de l'autre et un silence qui est dans le fond
très bon. Il faut des silences et des moments où l'on est "en-soi", bien que
l'on veuille communier au maximum".
Restait à savoir quels étaient exactement ces prières, ces gestes, enseignés
par Baha'u'llah et intégralement transmis d'une génération de croyants à l'autre.
La "prière pour paresseux", comme dit Mohammad B., est effectivement très courte.
"Je suis témoin, ô mon Dieu, que tu m'as créé pour te connaître et pour t'adorer.
J'atteste en cet instant mon impuissance et ton pouvoir, ma pauvreté et ta richesse.
Il n 'est pas d'autre Dieu que toi, celui qui secourt dans le péril, celui qui
subsiste par lui-même".
La prière qui se dit trois fois par jour développe le thème de l'unicité de
Dieu et de sa toute puissance. Elle comporte plusieurs paragraphes assez courts,
chacun souligné par un geste. Par exemple, pour le premier, qui commence par:
"Fortifie ma main, o mon Dieu...", le croyant se lave les mains. Au second,
"J'ai tourné mon visage vers toi ô mon Dieu...", il se lave le visage. Le troisième,
"Dieu atteste qu'il n 'y a pas d'autre Dieu que lui...", se dit debout, tourné
vers Saint-Jean-d'Acre.
La longue prière qui est à la fois célébration, supplication, acte de confiance
et de soumission ne compte pas moins de six pages imprimées. Elle s'accompagne
de toute une gestuelle précisément indiquée, chaque mouvement, comme dans la
précédente, renforçant le sens des paroles prononcées. "Pour dire cette prière,
se tenir debout, se tourner vers Dieu, puis, sans changer de place, regarder
à droite et à gauche comme pour chercher la miséricorde du Seigneur le très
miséricordieux, le compatissant..." Au paragraphe suivant: "Elever les mains
en signe de supplication vers Dieu-Béni et glorifié soit-il..." Un peu plus
tard, on s'agenouille en baissant le front vers la terre, puis alternent agenouillements
et gestes de supplication, front à terre, position assise ou debout, jusqu'au
dernier paragraphe. Rien, nous a-t-il semblé, ni dans le texte, ni dans les
gestes où l'on retrouve d'ailleurs des rituels connus, ne distingue vraiment
ces prières uniquement adressées à Dieu de celles que prononcent les juifs,
les chrétiens ou les musulmans. Elles pourraient à l'évidence être dans la bouche,
des uns ou des autres sans que quiconque puisse crier à l'hérésie. Plus spécifique
de la foi baha'ie est en revanche une prière particulière pour l'union de l'humanité,
qui comporte notamment ces paroles:
"...Tu as créé toute l'humanité de la même souche, tu as voulu que les hommes
appartinssent tous à la même famille (...) Tous, tu les as doués de facultés
et de talents, tous sont plongés dans l'océan de ta Miséricorde ( ..) Unis les
hommes, que leurs religions s'accordent, que leurs nations s'unifient, afin
qu'ils ne constituent plus qu'une seule espèce et les enfants d'une même patrie..."
Après les prescriptions, les interdits. Celui de l'alcool nous intéressait particulièrement,
dans la mesure où les boissons alcoolisées constituent dans la société occidentale
l'une des expressions de la convivialité, et qu'il est en outre difficile, dans
un pays viticole comme la France, d'admettre l'idée d'une disparition du vin.
"Pour le musulman pratiquant que j'étais lorsque je me suis déclaré baha'i,
explique Mohammad B. ce n'était vraiment pas une nouveauté. En revanche, ce
qui a été un tout petit peu plus difficile, c'est de faire admettre que je n'en
buvais pas, par exemple aux parents de ma femme, qui sont français, ou à des
relations de travail, dans ces pots qui sont organisés, à la moindre occasion
dans une entreprise. Au début, mes beaux-parents étaient vraiment étonnés: "Allons,
quand même, rien qu'un petit verre de vin, ce n'est rien, un petit verre de
vin, ce n'est pas boire de l'alcool". Et ils remettaient ça. J'ai laissé venir
J'ai expliqué que dans la foi baha'ie on ne boit pas d'alcool, ni peu, ni beaucoup,
car ce n'est pas la quantité qui compte mais le principe, et qu'en revanche
je ne voyais aucun inconvénient à ce qu'eux-mêmes en boivent, chacun ayant absolument
le droit de faire ce qu'il veut. Maintenant, c'est une affaire classée. Dans
les pots, les cocktails où je suis parfois appelé à me rendre, je bois un jus
d'orange, et ça ne fait pas de différence. Je n'ai aucun complexe."
L'interdiction de l'alcool a posé un problème dont il sourit aujourd'hui au
docteur P, médecin israélien installé comme généraliste dans une petite cité
du Languedoc, en pleine région viticole. "Oui, au début, c'était difficile,
dans cette région où la viticulture fait partie de la culture. Délicat de faire
comprendre à mes patients pourquoi je refusais le verre de vin ou le pastis
qu'ils m'offraient si gentiment, si naturellement, à l'issue d'une consultation
à domicile, ou la bonne bouteille dont il voulaient me faire cadeau. Il a fallu
quelques années pour faire admettre que "le docteur ne buvait pas de vin". Maintenant,
ça va tout à fait bien. On nous offre des légumes formidables, des fruits du
jardin, et ça, c'est merveilleux".
Paradoxalement, en raison de conditions assez particulières, c'est pour une
femme que l'interdit a été le plus difficile à accepter. Françoise P.M, la bourguignonne,
s'en explique avec sincérité. "En devenant baha'ie, j'ai arrêté de fumer et,
petit à petit, de boire de l'alcool. Je dis bien petit à petit, car il ne faut
pas croire que c'est une porte que l'on ferme ou que l'on ouvre. Il est déconseillé
de fumer. Donc, plus de tabac. Ce n'était pas douloureux. L'alcool si. Mais
si on n'a pas le courage de se défendre contre des habitudes comme ça, pour
des choses plus difficiles, on n'y arrivera pas... Pour l'alcool, ça n'a pas
été évident. Pas la privation de vin, je n'aimais pas ça et je n'en ai jamais
bu, mais quand on est comme moi française et bourguignonne 100 %, pas une goutte
d'alcool, vous imaginez... Mais il faut choisir, et choisir ne fait pas toujours
du bien.
- Vous ne trouvez pas un peu excessive cette interdiction totale de l'alcool?
- Au début, je l'ai pensée comme telle et je ne l'ai pas acceptée. Par exemple,
quand j'allais voir les fermiers et qu'ils me disaient "Françoise, goûte de
cette bonne bouteille, nous l'avons gardée pour toi", dire non, c'était refuser
un travail qu'ils ont à coeur, qui demande des efforts, surtout en plein hiver,
qui est le fruit de toute une culture à laquelle j'appartiens, et il n'est pas
question que je dénigre ce travail. Mais l'expérience m'a montré que les trucs
devant lesquels je me révoltais contenaient une sagesse, et que c'était moi
qui me trompais. Alors, maintenant, je suis beaucoup plus humble, je me dis:
il y a certainement une sagesse derrière, et c'est pour cela que je peux le
faire."
Nous n'en avions pas encore fini avec les interdits. L'obligation de chasteté
hors du mariage, comment se supporte-t-elle, à notre époque, quand on mène une
vie sociale normale, dans un pays comme la France où l'union libre est totalement
entrée dans les moeurs, où la normalité n'est pas la chasteté des jeunes gens
et des jeunes filles, mais son contraire, et les expériences multiples une banalité?
"Pour moi, dit Mohammad B. devenu baha'i à 18 ans, ça a été un problème, un
gros problème. D'autres en ont avec l'alcool. Ça fait partie des lois.
C'est à ce niveau là que notre foi est mise à l'épreuve. Mais plus on lit les
textes baha'is, plus on apprend à connaître Baha'u'llah, mieux on comprend que
Dieu a mis des garde-fous, comme un père qui dit "ne touche pas à ça, si tu
t'y frottes, tu t'y piques". Il ne punit pas... Le sida n'est pas une punition
de Dieu, et il y a les préservatifs. Mais si on dit "les relations sexuelles
n'ont pas d'importance, puisqu'il y a les préservatifs", c'est oublier que l'homme
n'est pas un robot, faire abstraction des liens d'amour, de la vraie relation
entre deux êtres, qui inclut la sexualité mais ne peut se résumer à elle, Dieu
n'impose rien pour le plaisir, il nous met simplement en garde. C'est ce que
j'ai compris. La foi baha'ie, à la différence du christianisme ou de l'islam,
qui n'expliquent rien, fournit des réponses. Et à notre époque, on est gourmand
de connaissances, on a besoin de réponses qui donnent satisfaction à notre intellect,
et pas de formules qu'il faut accepter comme un postulat, du style: "c'est comme
ça parce que c'est comme ça".
Avec Françoise P.M, nous avons parlé de ses deux filles d'un peu plus de vingt
ans, toutes deux étudiantes... et baha'ies. La chasteté leur pose-t-elle ou
non un problème? "Non, non, c'est intéressant. Plus maintenant. Cela leur en
a posé quand elles avaient dix-sept, dix-huit ans, et étaient encore au lycée,
en terminale. Elles n'ont pas été invitées à certaines soirées, à des fêtes
avec les copains, parce que justement elles n'avaient pas "un" copain. Et c'était
un peu dur pour elles. Après, tout s'est arrangé, parce qu'elles sont très sociables,
très gâtées, très appréciées je crois, et, pour le coup. ont beaucoup, énormément
de copains et de copines. Je n'ai jamais refusé de les recevoir. Ça remplit
la maison. Elles amènent in extremis des amis qui dorment dans un sac de couchage
sur le tapis du salon. Nous avons récemment emménagé dans un nouvel appartement.
Elles m'ont demandé d'avoir la maison, un soir, pour faire une fête, et toutes
les deux ont invité tous leurs copains d'école et de fac... Elles ont préparé
une sangria sans alcool, sans un poil d'alcool, et de toute la soirée, personne
ne s'en est plaint. Il y avait une ambiance terrible. Ils ont dansé comme des
fous. Maintenant ils savent que l'on peut très bien s'amuser sans se soûler
la gueule... cela dit. les jeunes filles baha'ies ont des histoires d'amour
comme les autres, et quand il y a rupture, elles sont comme les autres, leur
vie est brisée, finie, etc. Tout pareil que les autres..."
La chasteté nous amène à l'amour, et, par voie de conséquence, au mariage, considéré
par la religion baha'ie, qui n'accepte que la monogamie, comme une institution
spirituelle. Il donne lieu à une cérémonie très simple, mais indispensable,
avec des prières et des phrases obligatoires, au sein de l'Assemblée locale.
Baha'u'llah, qui le désigne comme "une forteresse pour le bien être", exprime
ainsi que son but primordial est non seulement l'épanouissement de l'individu,
mais plus encore un moyen nécessaire à cet épanouissement. Dans une de ses lettres,
Abdu'l-Baha, le Serviteur, le précise d'une manière claire autant que poétique:
"La plupart des peuples de la terre ne voient dans le mariage que des rapports
physiques. Cette union et ces relations sont seulement temporaires, puisqu'à
la fin, elles sont vouées à l'inévitable séparation corporelle. Mais chez les
baha'is, le mariage doit comporter des relations spirituelles aussi bien que
physiques, car elles sont vivifiées toutes deux par l'attrait de l'Unique, de
l'lncomparable, elles sont régénérées par la même vie et illuminées par la même
lumière. Voilà ce qu'on appelle des relations spirituelles et une éternelle
union. Dans le monde physique également, des liens solides et indissolubles
unissent les époux. Quand l'intimité, l'union et la concorde règnent entre les
deux conjoints, tant au point de vue spirituel que physique, alors le mariage
est réel, et par cela même éternel. Mais si l'union n 'existe qu'au point de
vue charnel, elle n'aura qu'une durée temporaire, et, à la fin, la séparation
sera inévitable.
Par conséquent, lorsque des baha'is désirent s'unir par le lien sacré du mariage,
il faut que des affinités éternelles et des relations idéales existent entre
eux. Dans le domaine spirituel aussi bien que physique, leurs idées et leur
conception de la vie doivent être semblables, afin qu'à tous les stades d'existence
et dans tous les mondes de Dieu leur union puisse continuer à tout jamais. Cette
union est un reflet de l'amour resplendissant de Dieu".
Et par ailleurs:
"Mais l'amour entre les amis n 'est pas toujours le véritable amour, car il
est exposé aux changements. Sous le vent d'est, l'arbre s'incline vers l'ouest,
le contraire se produit. Les circonstances accidentelles de la vie sont à l'origine
de cet amour là. Ceci n'est pas l'amour mais une simple liaison exposée aux
vicissitudes du changement..."
Ni puritanisme judéo-chrétien, ni attitude romantique, moins encore conception
matérialiste d'un mariage d'intérêt ou de seule sensualité, mais définition,
donc, d'une union idéale à trois dimensions, Dieu, l'esprit et la chair... Comment
se traduit-elle dans le vécu d'un couple?
Mohammad B et Françoise P.M. ont continué de nous éclairer:
"Pas plus dans le couple qu'ailleurs, être baha'i ne signifie que l'on est parfait,
remarque Mohammad B. Mais la vie du couple sera le reflet de l'intensité de
la foi. Plus le couple vit intensément cette foi, plus il est harmonieux et
paisible. Cela demande des efforts permanents, surtout dans l'environnement
actuel qui nous oppresse, nous impose des habitudes que l'on voudrait rejeter.
On le subit. Il faut le subir sans dommage, le filtrer, être actif pour établir
ce filtre, trier ce qui est bon et ce qui n'est pas bon sans blesser personne,
ce qui n'est pas si commode. Plus tard, ce sera plus facile. En attendant, il
faut lutter".
Françoise P.M apporte d'autres précisions: "Je n'ai été mariée que selon la
foi baha'ie, je ne peux donc pas vous dire que le mariage, pour nous, est différent
de ce qu'il est pour les non baha'is. Il signifie un engagement profond. Je
ne suis pas sûre que ce ne soit pas la même chose pour d'autres gens, je crois
qu'il existe par exemple chez les catholiques des groupes de réflexion sur le
couple qui vont dans la même direction, vers le respect de l'autre, mais peut-être
pas avec une recherche constante d'ajustement, de communion, etc... Ça, oui,
nous le faisons. Ce qui est difficile, c'est que c'est très exigeant pour soi-même,
et qu'il y a des moments où l'on a envie de tout envoyer promener, comme dans
n'importe quel rapport humain. Alors on essaie de trouver la solution qui ne
fait pas tout casser. En même temps, on ne peut pas se contenter de rapports
superficiels du type "passe-moi le sel ou apporte-moi une tasse de café". Il
faut que le couple approfondisse constamment sa relation. On ne peut pas tricher,
ce n'est pas concevable, et il y a des moments où c'est dur. Vous savez, ce
n'est pas parce que l'on est un couple baha'i que l'on n'est pas des êtres humains.
Il y a les mêmes problèmes que chez les autres, "même si les baha'is essaient
de changer leur comportement.
- Il y a aussi des gens d'autres religions, ou des athées, qui essaient de réussir
leur couple!
- Heureusement! Mais, quand je vois le fiasco des ménages dans la génération
des quarante ans, et la soif d'absolu que tout le monde s'accorde à constater
chez les jeunes, je me demande s'il ne serait pas intéressant de créer des groupes
multi-confessionnels. Quand je dis multi-confessionnel, ça ne veut pas dire
que religion, ça peut être aussi des francs-maçons, des libres-penseurs, mais
en tout cas des gens qui ont un idéal et qui le suivent. On discuterait des
joies et des problèmes du mariage, comment ça fonctionne, comment ça ne fonctionne
pas, ce qu'il faut éviter... ça pourrait être très intéressant, et ce serait
peut-être une façon de donner une chance, justement, à cette nouvelle génération
qui ne demande qu'à revenir à certaines valeurs puisqu'elle a vu que la prétendue
liberté sexuelle aboutissait à un fiasco, que ça ne marchait pas."
Toujours à propos du mariage, Mohammad B. liant les recommandations de Baha'u'llah
au futur, dessine des perspectives qui, à première vue, paraissent surprenantes,
et, à seconde vue, plutôt cohérentes.
"Baha'u'llah dit que, dans le futur, la société s'organisera de telle sorte
que les adolescents s'épanouissent et que les mariages aient lieu dès le plus
jeune âge. Ils s'épouseront au moment où ils sont encore en train de se former,
et l'unité de leur couple, ils la bâtiront ensemble. Vous savez bien que lorsque
l'on est très jeune et que l'on trouve l'âme soeur, c'est merveilleux. Ceux
qui ont les moyens et la chance de pouvoir fonder leur couple à ce moment là
progressent à deux, et ont bien plus de chances de réussir leur union que ceux
qui se marient tard, et font, alors, beaucoup plus un mariage de raison qu'un
vrai mariage de coeur. De plus, les couples jeunes ont de beaux enfants, et
comme l'écart est réduit entre parents et enfants, la communication est plus
facile, l'entente plus assurée.
- Croyez-vous vraiment qu'à quinze ou seize ans, on soit capable d'assumer l'éducation
d'un enfant. alors qu'on l'est encore un peu soi-même?
- A quinze ans, probablement non, mais à dix-huit ans, pourquoi pas. Tout dépend
de la manière dont on a été élevé, éduqué. Si vous apprenez à un enfant très
jeune à voir le monde et à réfléchir sur lui, à prendre progressivement des
responsabilités, à dix-huit ans, il est mûr. Mais si vous le maintenez dans
un état d'assisté, d'asservi, d'irresponsable, il ne sera pas mûr à dix-huit
ans, mais il ne le sera pas davantage à trente.
Bien sûr, cet enseignement de Baha'u'llah ne peut pas être appliqué aujourd'hui.
Il le sera à longue échéance. Mais il faut dès maintenant corriger notre vie,
nos manières de voir, en fonction de ces principes, pour qu'un jour les choses
puissent changer dans le sens de l'épanouissement des êtres". Précision qui
a son importance, si le divorce n'est pas recommandé, il n'est pas non plus
interdit.
Du mariage à l'éducation des enfants, l'enchaînement est logique. Il est venu
tout naturellement.
Il s'agit, dans la foi baha'ie, d'un devoir sacré, sur lequel repose l'avenir
de l'humanité, Il implique, à la fois, l'éducation et l'instruction.
Au mot éducation, les baha'is attachent le qualificatif de "spirituelle". Les
non baha'is peuvent être tentés de préférer le terme de "religieuse". La doctrine
prévoit en effet que l'enfant très jeune doit apprendre la signification de
la prière et la nécessité d'une attitude pieuse. "Encore dans le ventre de sa
mère, le bébé entend les prières, et leur vibration spirituelle peut avoir une
bonne influence sur lui". Dès la naissance, les parents sont invités à prendre
l'habitude de chanter et de dire des prières près du berceau. Néanmoins, il
est également précisé que les bases du message doivent être inculquées sans
dogmatisme, puisqu'elles ont un caractère universel, et qu'il importe d'enseigner
également les autres religions et les grands courants philosophiques. A quinze
ans, l'adolescent sera en mesure d'entreprendre sa propre recherche, de manière
à savoir si oui ou non il souhaite confirmer sa foi baha'ie. Si tel est le cas,
il ne le deviendra effectivement qu'à vingt et un ans.
Mohammad B et Françoise P.M. se sont expliqués de cette imprégnation. Le premier
la nuance. "Oui, ils ont de petites prières qu'ils apprennent par coeur, qu'ils
disent le matin, avant un repas, ou le soir avant d'aller au lit. Je discute
beaucoup avec eux, je leur explique la religion, mais d'une manière globale,
en parlant aussi des autres religions... Ce qu'est Dieu, qui a tout créé...
Un peu la vie après la mort...
L'important, c'est de leur inculquer l'amour de Dieu et de la religion. Mes
enfants étant élevés dans un foyer baha'i, la première chose qu'ils doivent
comprendre, c'est qu'ils font partie de l'humanité, blancs, noirs, jaunes réunis.
Ça, on leur explique chaque fois qu'ils posent des questions. Mais il est essentiel
de ne pas mener cette éducation de façon étroite. Baha'u'llah précise bien qu'il
faut élever les enfants dans notre religion, mais en faisant très attention
de ne pas aller vers le fanatisme". Françoise PM admet qu'il y a imprégnation
mais sans endoctrinement.
" Oui, nous apprenons des prières à nos enfants. Oui, nous leur présentons notre
conception religieuse du monde. Oui, nous exerçons sur eux une influence. Mais
connaissez vous beaucoup de parents soucieux de l'éducation de leurs enfants
qui ne souhaitent pas leur enseigner les valeurs auxquelles ils croient? En
revanche, je peux vous assurer que mes filles n'ont vraiment pas été élevées
dans un esprit de sectarisme. Une grande partie de leur enfance s'est déroulée
en Ethiopie, où nous avons vécu assez longtemps, puisque mon mari est éthiopien
et qu'il y avait son travail. Lui même est issu d'une vieille famille éthiopienne
chrétienne orthodoxe. Sa grand mère, veuve très jeune, était religieuse. Les
petits copains de mes filles étaient catholiques ou musulmans. En outre, comme
je travaillais et n'avais personne pour garder ma première née, toute petite,
seule la crèche israélienne a accepté de la prendre. Elle a appris à parler
l'hébreu en même temps que le français. Des gens me demandaient: ça ne vous
gêne pas? Je ne vois pas en quoi cela aurait pu me gêner. Non seulement ils
avaient été assez chics de me la prendre, mais les israéliens ont un sens merveilleux
de l'éducation des petits. Ils développent leur créativité. Ils leur apprennent
la musique. Après l'aînée, la cadette y est allée à son tour.
Donc, vous le voyez, notre environnement était très diversifié. Moi, automatiquement,
j'expliquais tout. Pourquoi Noël, pourquoi en Ethiopie tout s'arrête le Vendredi
Saint, pourquoi pâques. Et qu'est ce que c'est la fête du Mouton chez le petit
copain musulman, et Hanukkah, la fête des lumières, chez les petits copains
juifs. Je trouvais normal qu'elles participent à ces fêtes. J'estimais indispensable
qu'elles sachent leur signification. Ensuite, elles ont été au lycée franco-éthiopien.
Il y avait au moins une soixantaine de nationalités représentées, qui se mélangeaient
allègrement. Je n'ai pas eu à leur enseigner le non-racisme, ça aurait été enfoncer
une porte ouverte. Tout ça, c'est une chance que j'ai eue, que je n'aurais peut-être
pas eue en France.
- Mais dans l'éducation quotidienne des enfants baha'is, n'y a-t-il pas des
règles particulières ?
- Non, vraiment rien de spécial! Le problème des enfants n'est pas un petit
problème, et je ne vois pas de couples qui n'éprouvent pas de difficultés face
aux enfants. Des difficultés pratiques, quotidiennes. L'éducation de l'enfant
est une science en soi, une science de la psychologie qui se développe depuis
plusieurs années. Pour nous, c'est l'application des Ecrits, mais aussi toute
cette partie scientifique. Quelle que soit votre religion, si vous vous intéressez
à vos enfants, si vous voulez les élever autrement que l'on élève des petits
cochons, vous êtes attentifs, vous réfléchissez, vous enseignez, et vous loupez
les baha'is comme les autres. Avec le même coefficient de risque que n'importe
quels parents. Simplement, nous nous efforçons de transformer en positif ce
qui est négatif. Disons plutôt que nous sommes très conscients de l'importance
de l'éducation, et qu'il n'y en a pas un parmi nous qui ne le soit pas.
- Vos filles ont adopté la foi baha'ie sans remise en cause?
- Je ne les ai jamais poussées. J'ai réalisé beaucoup d'expositions baha'ies,
je les emmenais avec moi, je les faisais participer mais plutôt pour des choses
pratiques: monter les panneaux, dessiner des choses, etc A quinze ans, mon aînée
ne voulait absolument pas entendre parler de tout ce qui était religieux. Je
l'ai laissée tranquille.
- Cela ne vous a pas inquiétée, troublée?
- C'est normal! Ecoutez, si à quinze ans on n'est pas contre ses parents, on
ne le sera jamais.
- Ensuite, ça s'est arrangé?
- Oui. Elle a été dans des réunions de jeunes baha'is où l'on ne faisait pas
beaucoup d'enseignement, mais où on partait camper huit jours pour faire de
la varappe, de la spéléo., du canoë. Comme c'était une fille qui voulait vraiment
faire du sport, ça l'a enthousiasmée. Peu à peu, elle a appris à relativiser.
A quinze, seize ans, on ne peut pas relativiser, on est trop entier. Elle a
compris qu'être baha'i ce n'était pas une "teinture" acquise par son éducation,
mais quelque chose qui la remettait en question, qui vous oblige à vous remettre
en jeu tous les jours." Et voilà.
- Et sa soeur?
- Sa soeur a eu un cheminement plus calme. Elle a beaucoup, beaucoup lu. Elle
est allée voir elle-même. C'est elle qui a décidé. Je n'ai pas eu besoin de
l'emmener quelque part, ni de lui montrer quoi que ce soit. Elle est devenue
baha'ie sans à coups, de façon extrêmement posée."
Nous voulions encore vérifier ce qui nous avait été expliqué: dans la religion
baha'ie, la première responsable de l'éducation est la mère. Nous avons posé
la question à Mohammad B avant d'y revenir dans ce qui concerne spécifiquement
la condition féminine.
"Pourquoi est ce la femme, et non le couple, qui a d'abord la charge de l'éducation
des enfants?
- Parce que dans la première période de leur vie, la plus importante, la plus
intense, les enfants sont d'abord avec leur mère, qui auparavant les a portés.
Cette présence leur imprime les premières bases. C'est une prééminence qui vaut
disons pour les deux ou trois premières années de l'existence. Mais elle ne
dégage en rien la responsabilité du père. Elle ne peut lui permettre de se soustraire
à son rôle d'attention, d'affection, d'intervention qui équilibre l'affectif
et la psychologie de l'enfant"
Reste l'instruction, qui dans l'optique baha'ie est fort loin de symboliser
toute l'éducation, mais en fait partie intégrante. Le professeur K,S insiste
sur ce point:
"Ce qui m'a beaucoup apporté, c'est de faire des études. L'importance accordée
à l'instruction est très spécifique des baha'is. Les valeurs scolaires et universitaires
sont beaucoup plus valorisées que les valeurs financières et matérielles. C'est
clair, moi j'ai vécu dans un environnement familial aisé, où on me disait l'argent,
ce n'est pas la vraie valeur. La vraie valeur, c'est la connaissance, tout ce
que tu peux acquérir par l'éducation et les études. L'histoire des baha'is iraniens
est à ce sujet intéressante. Au départ c'était des musulmans, des juifs, quelques
chrétiens très peu rassemblés dans une minorité qui ne se différenciait pas
du reste de la population iranienne. Après cent, cent cinquante ans, il n'y
avait pratiquement plus d'analphabètes, les filles étaient mieux éduquées...
Sept ou huit générations ont suffi pour qu'un groupe d'iraniens devienne plus
éduqué que la moyenne de la population, parce que le système baha'i favorisait
cela."
Il nous restait encore à aborder le comportement dans la vie professionnelle,
les rapports sociaux. Avec Mohammad B, cadre administratif, nous l'avons exploré
sous l'angle des rapports avec les subordonnés.
"Baha'u'llah prescrit de ne pas médire, de comprendre plutôt que de juger, de
préférer la concertation à l'autorité, mais par exemple, si, dans votre travail,
on vous agresse, comment réagissez-vous ?
- En toute sincérité, je n'ai pas eu l'occasion d'être confronté à cette situation.
Généralement, on a avec les autres les rapports que l'on mérite. Les gens qui
dégagent honnêteté, amitié, sincérité, qui font ce qu'ils peuvent pour faciliter
la vie des autres, qui ne considèrent pas leurs subordonnés comme des robots
auxquels il suffit de donner des ordres à exécuter, mais qui dialoguent, cherchent
les bonnes solutions, ne rencontrent que de rares oppositions.
- Honnêtement, cela ne vous est jamais arrivé de penser: celui là, vraiment,
je ne peux pas le voir?
- Pas comme ça. Il y a des gens qui n'arrivent pas à me cerner, qui s'interrogent,
qui ne comprennent pas que je sois différent...
- Ça, c'est eux par rapport à vous, mais vous par rapport à eux?
- Eh bien, évidemment, il y a parfois des gens que je trouve difficiles. Je
le leur dis. C'est important. Il y a des gens qui au lieu de le dire à l'intéressé
vont le dire à d'autres Je ne condamne pas. J'essaie de comprendre le pourquoi
d'une attitude. Même dans les petites choses. Tenez, un exemple banal, le type
qui arrive en retard le matin au travail. Si le premier réflexe est d'abord
de regarder sa montre et de l'engueuler, au lieu de vérifier d'abord qu'il n'y
a pas eu un problème, je ne trouve ça ni normal, ni humain. On peut toujours
passer un savon, mais le côté coeur doit compter autant que le côté raison.
Quand il y a un problème dans le travail, j'essaie toujours de voir où est ce
problème, et si je peux aider à le résoudre. Qu'est ce que ça me coûte? Une
heure? Qu'est ce qu'une heure? J'applique cela avec mes subordonnés. Ce n'est
pas toujours perçu comme je le souhaite, mais on le remarque"
L'original parcours professionnel de Françoise P M révèle une autre facette
des attitudes baha'ies dans la vie professionnelle. Kinésithérapeute, elle enseigne
en France dans le cadre hospitalier. Puis, suivant son mari en Ethiopie, elle
apprend l'amharique, langue officielle, plus le dialecte le plus parlé par les
paysans et exerce sa profession en praticienne dans des conditions très dures.
"J'ai créé, avec des Allemands, le premier centre de rééducation. Dans des pays
comme l'Ethiopie, vous avez des cas épouvantables, aucun moyen financier ou
presque, pas de solution pour les aider, plus la pression des pays occidentaux
qui cherchent à placer leur matériel alors qu'il n'est pas adapté aux conditions
locales. C'était terriblement éprouvant." Plus tard, pour des raisons personnelles,
elle change radicalement d'orientation, et, revenue en France avec son mari
et ses filles, elle prend, a 45 ans, le chemin de la Sorbonne afin de préparer,
en un an, une licence et une maîtrise qu'elle obtient.
Elle est actuellement chargée de mission auprès du Président d'un important
organisme français très directement lié à la publicité. Or qui dit publicité
dit incitation à la consommation. Est ce qu'il n'y a pas là une contradiction
pour l'adepte d'une religion qui, sans jeter l'anathème sur l'avoir, à l'évidence
privilégie l'être?
"Je dirais oui, assure Françoise PM, si dans le secteur où je travaille il n'y
avait pas une commission d'éthique, avec un souci constant de préserver les
questions de moralité dans la profession. En revanche, là où ça me gêne, c'est
lorsque l'on fait de la publicité pour les boissons alcoolisées, le tabac, ou
le lait non maternel dans des pays en voie de développement, où l'on sait bien
que son usage est catastrophique. Cela, ça me choque énormément. Donc, je suis
contre.
- Etre contre, ça se concrétise comment ?
- Je ne peux pas l'empêcher, je n'en ai pas le droit, mais je m'abstiens, et
si on me demande mon avis, je le donne.
- Si vous étiez directement impliquée dans une agence de publicité, comme créatif
par exemple, accepteriez-vous de promouvoir n'importe quel produit?
- Je pense que j'aurais du mal à faire coïncider cela avec ma propre éthique.
- Si vous aviez le choix entre accepter de faire de la publicité pour un produit
contraire à votre éthique personnelle ou refuser et perdre votre situation,
que feriez vous?
- C'est tout choisi. Je perdrais ma situation! Si je suis créative, justement,
je justifierai ma créativité en étant créative pour moi-même, et en mettant
sur pied quelque chose qui me corresponde.
- Le fait d'être baha'ie a-t-il été parfois un obstacle à votre activité professionnelle?
- Indirectement. Par exemple, il est arrivé que l'on me demande d'accompagner
mon Président dans un pays musulman très orthodoxe où les baha'is sont interdits
de séjour. Pour avoir le visa, il faut remplir une fiche et indiquer sa religion.
Il était hors de question que j'indique catholique" comme il m'avait été suggéré
de le faire, puisqu'effectivement j'ai été catholique, et pratiquante...Donc
j'ai expliqué cela à mon patron... et il est parti sans moi, voilà tout.
- vos collègues de travail savent que vous êtes baha'ie?
- Je ne porte pas un badge, mais oui, ils le savent.
- Ça n'a pas d'autre incidence?
- Pas spécialement. Sauf sur un point, quand même, dans les situations de revendication.
Vous savez bien, dans les bureaux, tout se dit. il y a les grenouillages, etc
et ceux qui aimeraient bien être tenus au courant de ces grenouillages. On sait
que ce que l'on me dit ne sera jamais divulgué. Ils viennent me raconter: Un
tel est ceci, X est un salaud... Alors j'essaie de dédramatiser, de dénouer
l'écheveau, ils savent que ça restera là, et ça évite un clash. Si vous voulez,
il m'arrive de faire la mère du régiment.
- Autant dans votre vie professionnelle que dans votre vie sociale, vous arrivez
vraiment à ne pas médire, à ne pas vous mettre en colère, à ne pas dire ou vous
dire: quel idiot ou quel salaud?
- Mais je ne dis pas qu'on y arrive tout le temps! C'est ça le drame. C'est
tout notre réflexe, toute notre faiblesse humaine...
- Alors, vous culpabilisez?
- Culpabiliser ne sert à rien. La culpabilité est destructrice. On n'est pas
censé repartir en arrière. Un baha'i doit toujours aller de l'avant, poursuivre
son effort vers l'amélioration. Du courage, il en faut pour être baha'i. Mais,
au fond, c'est vrai pour n'importe quelle foi que l'on vit vraiment."
Le rapport entre le vécu de la foi et la vie professionnelle nous a enfin semblé
particulièrement intéressant dans tout ce qui touche au médical. Il nous fut
possible d'en faire une première approche en assistant à une journée de rencontres
organisée par l'association des médecins baha'is dont beaucoup, ce détail nous
frappa sont d'origine iranienne.
Pas de prière au début ni à la fin. Une assemblée attentive mais plutôt décontractée.
Sur la petite estrade où se succédaient les intervenants, baha'is ou non, plus
de chaleur et de sincérité que d'emphase, avec tutoiement généralisé. Sans s'attarder
au détail des exposés ou des discussions qui suivaient chacun d'entre eux, que
la parole soit donnée à un généraliste, un chirurgien, un pédiatre, une pharmacienne
ou une infirmière, à noter tout de même la charmante jeune fille prénommée Monique
qui attaqua bravement son exposé par "Je tiens à déclarer avant toute chose
que je suis solidaire des infirmières en grève" (c'était en novembre 88), on
peut résumer l'ensemble de cette journée à un dénominateur commun: l'approche
globale de l'être humain opposée à une vision purement technicienne. Elle était
perceptible dans l'intervention de ce responsable (non baha'i) d'un service
d'anesthésie, parlant de ces malades dont les yeux seuls sont encore capables
de pousser un cri, et de la nécessité de ne pas transformer les comateux en
objets exclus de toute communication. Mais présente aussi quand cette pharmacienne
insistait sur le fait que sa fonction ne consistait pas seulement à vendre des
médicaments, mais à tranquilliser, conseiller, aider les patients, dans une
relation humaine, constatant que son plus gros problème était, compte tenu de
cette attitude, celui du manque de temps.
Quand cette infirmière, très simplement, disait: parce que je suis baha'ie,
je mets beaucoup d'idéal dans mon travail. Quand ce chirurgien remarquait: il
ne s'agit plus d'établir une relation binaire médecin-malade mais une relation
triangulaire, incluant les forces de la vie, et citait Ambroise Paré "Je le
pansais, Dieu le guérit".
Instruits par ces prémices, nous avons logiquement souhaité pousser plus avant
la réflexion, ce qui nous amena dans le salon très élégant du professeur K.S..
Comme ce fut souvent le cas au cours de notre enquête, il nous tint le discours
que nous n'attendions pas.
"Il y a, dans notre travail de médecin, des parties où le fait d'être baha'i
n'intervient pas du tout, et d'autres où cela, me semble-t-il, nous amène à
agir d'une certaine façon. Si vous voulez, prenons un exemple, je suis médecin,
chef de service et universitaire. J'ai deux fonctions. L'une est de soigner
les patients. L'autre d'être un peu un animateur, un chef d'équipe. Dans ces
deux fonctions, il y a des choses qui sont de l'ordre de la technique, où le
fait d'être baha'i n'intervient pas: le choix d'un traitement, une décision
thérapeutique, tout ce que l'on peut appeler des décisions politiques dans le
cadre de l'université, quels types de cours nous devons donner, quels horaires
établir, relèvent de décisions professionnelles, de connaissances techniques.
Et puis, dans les deux parties, médicale et extra médicale, il y a aussi des
aspects où la foi intervient: dans la relation au malade, la conception des
devoirs vis à vis de la communauté. Le fait d'être baha'i nous aide parce qu'il
nous donne des repères. Evidemment, en tant que médecin, on est en permanence
confronté à des problèmes d'éthique. Mais ce n'est pas spécifiquement baha'i.
Il y a ceux qui sont devenus des techniciens, et puis ceux qui se préoccupent
de ces problèmes et y réfléchissent, pas en tant que baha'is, mais en temps
qu'individus ayant d'autres valeurs que les valeurs purement scientifiques.
On arrive à être en parfaite harmonie éthique avec des tas de confrères qui
ont d'autres croyances ou sont non croyants.
Par exemple, une des plus graves interrogations que nous rencontrions aujourd'hui
est due à l'efficacité des moyens techniques dont nous disposons. Nous ne pouvons
pas les appliquer comme ça, simplement parce qu'ils existent. Il faut toujours
se demander où est l'intérêt du malade. Prenons le cas d'un patient pour lequel
on envisage une opération. En anesthésie, actuellement, on peut tout faire.
Il n'y a pratiquement plus de contre indication. La bonne question est: faut
il l'opérer? En quoi sa vie en sera t elle améliorée? Est ce que, pour lui,
ce sera bénéfique ou pas? L'obstacle n'est plus scientifique. La question se
pose avec la même acuité pour des cancéreux en phase terminale, des accidentés
graves en coma dépassé, des vieillards à bout de vie.
- En somme, chaque fois que l'on pourrait utiliser le terme d'acharnement thérapeutique?
- Oui, l'acharnement thérapeutique est l'une des facettes importantes de la
question. En gros, nous avons trop de pouvoir, il faut y réfléchir et en user
avec discernement. Beaucoup de médecins se posent ce type de problème. Mais
cette réflexion implique des données scientifiques. Il faut être du métier pour
s'y aventurer. Je suis parfois surpris et choqué, je vous le dis en toute franchise,
de voir des baha'is porter des jugements d'éthique médicale en ne connaissant
pas la médecine. Ils ont quelquefois l'impression qu'ils détiennent seuls la
vérité, qu'ils sont les seules personnes qui se posent les problèmes d'éthique.
Je suis contre ça. Je trouve autour de moi, dans mon travail, beaucoup de personnes
qui se posent ces problèmes, beaucoup de personnes généreuses, beaucoup de personnes
qui pensent au malade plutôt qu'à la maladie. Ce n'est pas parce que l'on est
baha'i que l'on est le nombril du monde! En revanche le fait d'être baha'i aide
beaucoup à toute la réflexion sur la jeunesse et la vieillesse, la souffrance,
la vie, la mort, même des choses comme la fécondation in vitro ou l'avortement.
On vit dans cette réflexion permanente. On n'a donc aucune réticence à en discuter.
- Quelle est la position orthodoxe de la foi baha'ie sur l'avortement?
- Je ne la connais pas. Je ne suis pas un, "baha'i orthodoxe".
- Alors, quelle est la vôtre?
- Vous savez que les médecins n'ont pas le droit de refuser leurs soins à quelqu'un
qui en a besoin, mais peuvent, par clause de conscience, refuser de pratiquer
un avortement. Moi, en tant qu'anesthésiste, je participe à certains avortements,
et si je le fais, c'est que je pense qu'il y a des cas où c'est indiqué. L'avortement
est catastrophique, c'est horrible de le faire, la femme qui le subit en gardera
nécessairement quelque chose dans la tête, une séquelle, il y a toujours une
blessure. Mais il y a des cas où, en ne le faisant pas, la séquelle peut être
plus grave encore. Et je ne me place pas au niveau de l'âme du bébé, je vous
le dis très honnêtement.
- Comment vous comportez vous face à un patient qui va mourir?
- Il ne peut pas y avoir d'a priori. Il faut sentir la chose. Quand un patient
sait qu'il va mourir, il y a un moyen de lui dire: Voilà, vous avez une maladie
à pronostic grave. Moi je suis médecin, je suis en bonne santé, mais il se peut
que demain je sois mort, et que vous vous soyez encore là. Je n'ai pas un rapport
de supériorité avec vous. Vous êtes un être humain, je suis un être humain.
La seule chose qu'il y a c'est que j'ai une connaissance qui peut vous aider.
C'est ma seule supériorité mais moi non plus, je n'ai pas l'éternité. Je crois
que ça, c'est déjà important.
- Oui, mais pas spécifiquement baha'i. Bien d'autres médecins, comme vous le
soulignez vous-même, ont cette attitude. Alors, n'y a-t-il rien de spécifiquement
baha'i dans votre comportement de médecin.
- Je n'ai pas de recettes baha'ies. En revanche, il y a des domaines où je suis
comme un poisson dans l'eau parce qu'ils sont ceux là même de la vie baha'ie,
et que j'ai été élevé comme ça. Une grande ouverture à l'écoute des avis différents.
Une très grande habitude de la concertation, ou, comme nous disons, de la consultation,
parce que, dans la communauté baha'ie, on vit de façon consultative. Je dirai
presque que c'est une technique que l'on acquiert très vite dans la communauté
baha'ie qui fonctionne tout le temps comme ça, qui est très utile, très enrichissante.
Une autre chose enfin qui me vient de mon éducation c'est une intransigeance
totale contre tout préjugé de race, de sexe, de classe. Encore une fois, ce
n'est pas un monopole des baha'is, mais chez eux, une attitude naturelle. L'éducation
baha'ie, m'aide beaucoup. Pour moi, ce fut une bonne école. D'autres ont la
même attitude sans avoir eu cette école là, et ils l'ont parfois mieux que moi.
- Est ce que l'on ne trouve pas plus fréquemment chez les médecins baha'is que
chez les autres un grand souci de respecter le malade dans sa personne? Globalement,
l'attitude des médecins hospitaliers s'améliore, mais il est encore fréquent
de voir de grands patrons traiter la maladie avec une haute compétence, mais
ne pas faire plus de cas du patient hospitalisé que s'il était un objet ou un
idiot total.
- Peut-être 1'ambition, le souci d'efficacité deviennent ils parfois l'élément
essentiel, au détriment d'autres valeurs. Mais les vrais grands patrons sont
des êtres sensibles. Mes maîtres ont toujours été d'une écoute, d'une humilité
extraordinaires. Vous savez, il y a un proverbe persan qui dit l'arbre plein
de fruits est un arbre penché. Ce n'est pas une affaire de religion, mais de
qualités humaines. Moi je suis séduit, rassuré, heureux, de voir tant de gens
dans ma profession qui ont ces qualités là, et qui ne sont pas baha'is. Il y
a beaucoup de gens qui ont un comportement qui va dans le même sens que le nôtre.
J'ai l'impression de participer à un courant positif qui va dans le sens de
l'écoute, de l'ouverture, de l'accord des peuples. Simplement, quand on est
né, comme moi, dans une famille baha'ie, il y a beaucoup de choses qui sont
devenues quasiment un réflexe, que l'on fait plus facilement, c'est tout.
- Beaucoup d'iraniens baha'is sont médecins. Dans votre cas, c'était une vocation?
Un souci d'être utile? Une conséquence directe de votre foi?
- Pas du tout. J'ai fait une terminale mathématiques, mais je n'étais pas assez
fort en maths pour les classes préparatoires de grandes écoles qui m'intéressaient.
Alors, c'est plutôt un hasard. Mon frère était médecin, j'ai fait médecine.
- On m'a dit que le médecin personnel du dernier Shah d'Iran était baha'i
- C'est vrai.
- Imaginons que l'ayatollah Khomeyni, qui persécute vos coreligionnaires, ait
besoin de vos soins. Que feriez vous?
- Je le soignerais, c' est évident. Une des plus belles choses que nous ayons,
dans le corps médical, c'est de soigner les gens, quels qu'ils soient. Votre
exemple est un peu artificiel, mais le type qui arrive à l'hôpital après s'être
bourré la gueule et a causé un accident de voiture où il y a eu cinq victimes,
on le soigne comme les autres. Aux Etats Unis, où j'étais récemment, combien
arrivent aux urgences de trafiquants de drogue qui font du mal à la jeunesse,
qui sont des gens immondes? Les infirmiers, les médecins les soignent et se
fichent de savoir qui c'est, puisque c'est un être humain. Et dans les hôpitaux
français, est-ce que le personnel médical fait un tri en disant tiens, celui
là, c'est un étranger, on ne va pas le soigner? Ça fait partie des choses encore
rassurantes. Donc, si l'ayatollah vient, j'espère que j'aurai le plaisir de
le soigner malgré le fait qu'il a persécuté les baha'is en Iran. Ceci n'a pas
d'incidence sur l'exercice de mon métier.
Au cours de cette exploration de la vie quotidienne des Baha'is, nous avons
encore abordé le problème de l'attitude politique. Toute adhésion à un parti,
toute opposition active à un gouvernement en place sont, rappelons le, interdites.
Qu'en est-il dans les faits? Mohammad B, y a fait allusion à propos des parents
qui lui avaient fait découvrir la foi baha'ie à l'époque de la guerre d'Algérie.
Ils étaient pour l'indépendance. Mais au moment où, à Oran, vous vous en souvenez,
il y a eu une situation dramatique, explosive, ils se sont je crois surtout
efforcés de faire le lien, de maintenir le dialogue entre les deux communautés
qui s'opposaient.
A propos des régimes tyranniques, corrompus, racistes, Françoise PM a un discours
très clair, et très baha'i: Il faut tourner en positif toutes les situations,
même les plus catastrophiques.
- Difficile de tourner en positif les goulags, les stades de Pinochet ou l'Apartheid!
- Si on est à l'intérieur, on peut faire de l'enseignement autour de nous pour
que les gens ouvrent les yeux. On n'est pas obligé d'enseigner la foi baha'ie
avec le prêchi-prêcha. Mais dire aux gens, vous avez le droit d'apprendre à
penser par vous-même, de lire les journaux, de comprendre." Pourquoi ces tyrans
ont-ils le pouvoir? Parce qu'il y a trop de gens qui ont gobé, qui n'ont pas
relativisé, qui n'ont pas eu l'esprit critique, et le malheur de ce monde, c'est
de maintenir les peuples dans la soumission sans discussion. Je vous jure que
ce qui ferait le plus peur aux tyrans actuels, c'est de se trouver face à des
peuples qui se prennent en main. Si les individus se prennent en main, le peuple
se prend en main, à ce moment là, vous savez, c'est très difficile à un type
de raconter n'importe quoi. Notre rôle, dans une dictature, ce n'est pas de
fuir, c'est d'encourager, de maintenir le moral, et de dire ne soyez pas résignés,
car la résignation est une chose épouvantable. C'est en cela que l'on peut être
positif, tout en étant non-violent."
A la fin de notre tour d'horizon, nous sommes arrivés à la conclusion que le
plus grand dénominateur commun du quotidien baha'i, celui auquel tous font référence,
est le réflexe de la concertation qui est une des lois sociales de Baha'u'llah.
Au niveau de l'entreprise aussi bien que de la cellule familiale, dans le travail
comme dans le privé, dans l'ordre administratif de la communauté comme dans
la vie personnelle des croyants, une décision importante n'est jamais prise
sans que tous les points de vue se soient exprimés. Comme l'écrivait Abdu'l-Baha:
"La brillante étincelle de la vérité ne jaillit que du heurt de diverses opinions."
Il nous restait à parler des loisirs. Sujet vite épuisé. A part les coins de
feu, les réunions de l'Assemblée locale, les écoles d'été où, pendant une semaine,
on consacre le matin à l'approfondissement d'un thème qui n'est pas obligatoirement
religieux, et l'après-midi aux distractions et aux sports, rien de particulier.
Cinéma, musique, théâtre, danse, réunions d'amis, chacun fait ce qu'il veut.
Simplement, précise Mohammad B, nous rejetons ce qui est dégradant, bassement
commercial, et nous essayons d'aller vers ce qui est beau, ce qui est bien,
dans la musique comme dans la cuisine ou les vêtements." Nous lui emprunterons
cette conclusion: "Dans la foi baha'ie, certaines règles ont des applications
strictement spirituelles, d'autres une portée plus communautaire, plus sociale,
plus humaine. Leur respect est capital pour constituer les bases saines de la
société et préparer l'émergence d'une civilisation divinement inspirée, divinement
guidée. Mais l'essentiel, pour réaliser l'unité, c' est l'amour de son prochain
au niveau universel, dans son ensemble et sa diversité. Si on n'a pas intégré
ça, on n'est pas baha'i."