Les jardiniers de Dieu


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Chapitre IV - Baha'i au jour le jour

"Nous sommes comme tout le monde, constate en souriant Françoise P.M, des êtres très imparfaits. Mais nous faisons des efforts pour nous approcher d'un idéal."

Nous en sommes au stade de notre enquête où nous essayons de mesurer l'influence de leur religion sur le comportement quotidien des baha'is. Pour ouverte qu'elle soit, leur foi n'en comporte pas moins des lois, des obligations, un code de conduite en somme, dont le respect exige, à tout le moins, une constante discipline personnelle.

Nous avons déjà évoqué l'interdiction de l'alcool, quelqu'il soit, aussi bien dans sa consommation que dans sa production ou sa commercialisation, celle de toute drogue, fut-elle douce, et celle des rapports sexuels hors des liens du mariage. Mais les prescriptions de Baha'u'llah ne se limitent pas à ces interdits. Un baha'i doit, chaque jour, prier Dieu. Suivre dans la mesure du possible le calendrier baha'i, avec ses célébrations et ses jours fériés. Veiller très scrupuleusement à l'éducation de ses enfants. Considérer le mariage comme l'instrument nécessaire à l'épanouissement du couple et de la famille. Etre attentif aux autres et courtois. Ne jamais médire, même de ses ennemis, se taire sur les fautes d'autrui, et blâmer ceux qui les divulguent: "Si un homme a dix qualités et un défaut, enseigne Abdu'l-Baha, il ne faut voir que les qualités et ignorer le défaut. Si c'est le contraire, considérer la qualité et oublier les défauts". Etre sincère, hospitalier, respectueux des droits d'autrui. S'efforcer de porter secours aux malades, de réconforter les affligés. Détacher son coeur de soi-même et du monde, être humble, se vouloir le serviteur de chacun et savoir qu'il n'est supérieur à nul autre. Agir avec prudence et sagesse, en usant plus de la concertation que de l'autorité. Supporter sans se révolter les difficultés ou les injustices dont il peut être victime et, malgré tout, aimer ses semblables. Considérer les calamités comme des épreuves à surmonter. S'adonner à la propagation des enseignements sacrés. Etre "La table céleste pour ceux qui ont faim, un guide pour les chercheurs, une eau bienfaisante pour les terres arides, une étoile à chaque horizon, une flamme pour chaque lampe et le messager de tous ceux qui attendent le royaume de Dieu."

Vaste et beau programme, dont l'application n'est pas si évidente. Il est peut être plus facile de croire en Dieu que de s'astreindre à le prier chaque jour, d'adhérer à de grands principes que de ne pas dire tout net d'un vilain personnage qu'il est un vilain personnage, de s'élever bien haut contre toute ségrégation que de n'être jamais, soi-même, vindicatif, emporté, autoritaire ou sexiste, de considérer que l'on est le détenteur d'une vérité que de s'astreindre à l'exprimer plus par ses actes que par ses paroles, sans l'imposer, en respectant les vérités des autres.

"Beaucoup de baha'is, nous avait dit Bill Collins, n'arrivent pas à vivre ce qu'ils disent. Moi non plus, mais nous faisons tous un effort constant."

Nous avons tenté d'avancer un peu plus loin que cette boutade, savoir au moins ce qu'ils disent de ce qu'ils font, dans leur vie quotidienne, le respect des prescriptions ou des interdictions de leur foi, leur cellule familiale, l'exercice de leur profession et leurs rapports sociaux.

Autant de nouvelles conversations à bâton rompu, où, s'ajoutant à nos précédents interlocuteurs entrent en scène Mohammad B. et Françoise P.M. brièvement mentionnés au chapitre précédent, ainsi que le professeur K. S. "patron" du service d'anesthésie d'un grand hôpital parisien.

Avec Mohammad B, nous avons d'abord évoqué le problème du calendrier Algérien, musulman converti à la foi baha'ie, marié à une française baha'ie de famille catholique, père d'un petit garçon de 8 ans et d'une grande fille de 13 ans, il vit à Paris, est cadre administratif d'une grande entreprise. Il constituait une "victime" toute désignée pour nous expliquer comment on ne s'emmêle pas entre trois manières de compter le temps, celle de sa culture d'origine, l'hégire, celle des pays occidentaux, et celle de la religion baha'ie.

Le calendrier baha'i fut créé par le Bab en 1844, l'année qui marque le début de l'ère baha'ie. Basé sur l'année solaire, il débute le 21 Mars, avec l'équinoxe de printemps et se divise en 19 mois de 19 jours, plus quatre jours intercalaires qui amènent au compte d'une année. Chaque nouveau jour commence au coucher du soleil. Tous les quatre ans, un cinquième jour intercalaire joue le rôle du 29 février dans le calendrier grégorien.

Chaque premier jour du mois est célébrée la fête des 19 jours. Ordonnée par Baha'u'llah, elle symbolise la fondation de l'ordre administratif, et comporte trois séquences. Une de méditation, où sont 1us des textes baha'is mais aussi d'autres religions. Une administrative, le président de l'assemblée spirituelle locale ou le trésorier font leur rapport, on discute des projets, on examine des propositions. On termine enfin par la récréation avec des conversations amicales, des divertissements, etc. Cette fête a un caractère très important. Elle est à la fois le ciment de la communauté, l'occasion d'une consultation générale de celle-ci avec son assemblée élue et le plus sûr garant de la constante adaptabilité de l'ordre administratif aux besoins d'une société en évolution permanente.

Du 2 au 20 mars, entre le lever et le coucher du soleil, les baha'is adultes sont appelés à jeûner, sauf dans certaines circonstances prévues. Ce jeûne est une préparation au renouveau physique et spirituel, en accord avec le renouveau de la nature. Il symbolise, par son aspect concret, une période pendant laquelle il convient de s'abstenir de tout désir égoïste, de convoitises personnelles; de faire le point sur sa vie, de corriger sa paresse spirituelle et les mauvaises habitudes éventuellement prises au cours de l'année. Le jeûne physique serait de nulle valeur s'il n'était pas la traduction de cette remise en cause.

A l'issue du jeûne de 19 jours, on fête Naw-Ruz, ce joli nouvel an qui prend date le jour du printemps.

Sont encore fériés le 21, le 29 avril et le 2 mai (commémorant des déclarations de Baha'u'llah en 1863), le 23 mai (déclaration du Bab en 1841), le 29 Mai (Mort de Baha'u'llah en 1892), le 9 juillet (martyr du Bab en 1850), le 20 octobre (naissance du Bab en 1819) et le 12 novembre (naissance de Baha'u'llah en 1817). Dans l'optique baha'ie, ce calendrier est un facteur d'intégration qui permet à des cultures et des sociétés d'origines tellement différentes de fonctionner sur des repères communs.

Actuellement, les Assemblées baha'ies s'efforcent de faire reconnaître leurs jours fériés par les autorités administratives des états dont elles dépendent.

"Quoi qu'il en soit, assure Mohammad B., ce calendrier n'est pas un problème. De la même manière qu'en Algérie nous fonctionnons sur deux calendriers juxtaposés, celui de l'hégire et le calendrier grégorien des occidentaux, nous avons nous aussi deux calendriers superposés, baha'is et grégorien. Nous ne sommes pas bornés. Nous savons où nous allons. Il faut avoir du sens pratique. Nous appliquons et respectons le calendrier grégorien dans notre vie sociale, et nous observons les jours saints et le jeûne du calendrier baha'i dans notre vie privée. Ce n'est pas plus compliqué que cela". En consultant un calendrier baha'i, nous avons pu en effet constater qu'il utilise le découpage grégorien, du 1er janvier au 31 décembre, mais, évidemment, sans ses saints ni ses fêtes, en faisant en revanche ressortir toutes les commémorations spécifiques de cette foi. Chaque jour, en outre, est assorti d'un mot symbolique. Dimanche la beauté, lundi la perfection, mardi la grâce, mercredi la justice, jeudi la majesté, vendredi l'indépendance, samedi la gloire. "Dans le futur, assure sereinement Mohammad B, notre calendrier communautaire aura une application généralisée. Mais ce n'est pas pressé. Nous avons le temps devant nous."

Plus contraignante peut-être est l'obligation de prière quotidienne. "Quelle contrainte? s'étonne Mohammad B. Effectivement, nous devons prier chaque jour. Mais toute latitude nous est laissée de choisir entre trois formes de prière.

l y en a une toute petite, à dire tourné dans la direction Akkà (Saint-Jean-d'Acre) où se trouve le tombeau du prophète. Elle ne prend que quelques minutes, et peut se faire n'importe où, au bureau, à l'usine... une prière pour paresseux, ou pour marquer le coup.

Il y en a une autre, de longueur moyenne, qui doit se répéter trois fois: au lever du soleil, à midi, au coucher du soleil, toujours après des ablutions et tourné vers Akkà, avec quelques gestes. Celle là, évidemment, puise dans la tradition musulmane.

Enfin il y a une grande prière, plus longue, plus conséquente, qui peut être faite à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, par exemple le soir, quand on est bien, ou le week-end, quand on a du temps devant soi pour bien se recueillir. Mais que l'on choisisse la plus courte prière ou la plus longue, toutes ont la même valeur spirituelle. Le choix est strictement personnel. De toutes façons, là comme ailleurs, Baha'u'llah nous enseigne la modération et a dit qu'il ne fallait pas prier jusqu'à en être fatigué, la prière n'aurait plus aucun sens." Nous lui avons demandé s'il priait en couple. Réponse: "Non, le dialogue avec Dieu, sauf dans certains cas, est, pour moi, strictement individuel". Nous avons posé la même âme question à Françoise P.M. mariée à un éthiopien également baha'i. Chez elle, on prie à la maison, ensemble. Mais, ajoute-t-elle, "il est bien évident que nous avons aussi des moments de méditation, de recueillement, qui exigent la solitude. Quand l'un de nous se retire pour méditer ou prier, il va de soi que l'on comprend et respecte cette nécessité de solitude. Si vous voulez, c'est un certain respect de l'autre et un silence qui est dans le fond très bon. Il faut des silences et des moments où l'on est "en-soi", bien que l'on veuille communier au maximum".

Restait à savoir quels étaient exactement ces prières, ces gestes, enseignés par Baha'u'llah et intégralement transmis d'une génération de croyants à l'autre. La "prière pour paresseux", comme dit Mohammad B., est effectivement très courte.

"Je suis témoin, ô mon Dieu, que tu m'as créé pour te connaître et pour t'adorer. J'atteste en cet instant mon impuissance et ton pouvoir, ma pauvreté et ta richesse. Il n 'est pas d'autre Dieu que toi, celui qui secourt dans le péril, celui qui subsiste par lui-même".

La prière qui se dit trois fois par jour développe le thème de l'unicité de Dieu et de sa toute puissance. Elle comporte plusieurs paragraphes assez courts, chacun souligné par un geste. Par exemple, pour le premier, qui commence par: "Fortifie ma main, o mon Dieu...", le croyant se lave les mains. Au second, "J'ai tourné mon visage vers toi ô mon Dieu...", il se lave le visage. Le troisième, "Dieu atteste qu'il n 'y a pas d'autre Dieu que lui...", se dit debout, tourné vers Saint-Jean-d'Acre.

La longue prière qui est à la fois célébration, supplication, acte de confiance et de soumission ne compte pas moins de six pages imprimées. Elle s'accompagne de toute une gestuelle précisément indiquée, chaque mouvement, comme dans la précédente, renforçant le sens des paroles prononcées. "Pour dire cette prière, se tenir debout, se tourner vers Dieu, puis, sans changer de place, regarder à droite et à gauche comme pour chercher la miséricorde du Seigneur le très miséricordieux, le compatissant..." Au paragraphe suivant: "Elever les mains en signe de supplication vers Dieu-Béni et glorifié soit-il..." Un peu plus tard, on s'agenouille en baissant le front vers la terre, puis alternent agenouillements et gestes de supplication, front à terre, position assise ou debout, jusqu'au dernier paragraphe. Rien, nous a-t-il semblé, ni dans le texte, ni dans les gestes où l'on retrouve d'ailleurs des rituels connus, ne distingue vraiment ces prières uniquement adressées à Dieu de celles que prononcent les juifs, les chrétiens ou les musulmans. Elles pourraient à l'évidence être dans la bouche, des uns ou des autres sans que quiconque puisse crier à l'hérésie. Plus spécifique de la foi baha'ie est en revanche une prière particulière pour l'union de l'humanité, qui comporte notamment ces paroles:

"...Tu as créé toute l'humanité de la même souche, tu as voulu que les hommes appartinssent tous à la même famille (...) Tous, tu les as doués de facultés et de talents, tous sont plongés dans l'océan de ta Miséricorde ( ..) Unis les hommes, que leurs religions s'accordent, que leurs nations s'unifient, afin qu'ils ne constituent plus qu'une seule espèce et les enfants d'une même patrie..."

Après les prescriptions, les interdits. Celui de l'alcool nous intéressait particulièrement, dans la mesure où les boissons alcoolisées constituent dans la société occidentale l'une des expressions de la convivialité, et qu'il est en outre difficile, dans un pays viticole comme la France, d'admettre l'idée d'une disparition du vin.

"Pour le musulman pratiquant que j'étais lorsque je me suis déclaré baha'i, explique Mohammad B. ce n'était vraiment pas une nouveauté. En revanche, ce qui a été un tout petit peu plus difficile, c'est de faire admettre que je n'en buvais pas, par exemple aux parents de ma femme, qui sont français, ou à des relations de travail, dans ces pots qui sont organisés, à la moindre occasion dans une entreprise. Au début, mes beaux-parents étaient vraiment étonnés: "Allons, quand même, rien qu'un petit verre de vin, ce n'est rien, un petit verre de vin, ce n'est pas boire de l'alcool". Et ils remettaient ça. J'ai laissé venir J'ai expliqué que dans la foi baha'ie on ne boit pas d'alcool, ni peu, ni beaucoup, car ce n'est pas la quantité qui compte mais le principe, et qu'en revanche je ne voyais aucun inconvénient à ce qu'eux-mêmes en boivent, chacun ayant absolument le droit de faire ce qu'il veut. Maintenant, c'est une affaire classée. Dans les pots, les cocktails où je suis parfois appelé à me rendre, je bois un jus d'orange, et ça ne fait pas de différence. Je n'ai aucun complexe."

L'interdiction de l'alcool a posé un problème dont il sourit aujourd'hui au docteur P, médecin israélien installé comme généraliste dans une petite cité du Languedoc, en pleine région viticole. "Oui, au début, c'était difficile, dans cette région où la viticulture fait partie de la culture. Délicat de faire comprendre à mes patients pourquoi je refusais le verre de vin ou le pastis qu'ils m'offraient si gentiment, si naturellement, à l'issue d'une consultation à domicile, ou la bonne bouteille dont il voulaient me faire cadeau. Il a fallu quelques années pour faire admettre que "le docteur ne buvait pas de vin". Maintenant, ça va tout à fait bien. On nous offre des légumes formidables, des fruits du jardin, et ça, c'est merveilleux".

Paradoxalement, en raison de conditions assez particulières, c'est pour une femme que l'interdit a été le plus difficile à accepter. Françoise P.M, la bourguignonne, s'en explique avec sincérité. "En devenant baha'ie, j'ai arrêté de fumer et, petit à petit, de boire de l'alcool. Je dis bien petit à petit, car il ne faut pas croire que c'est une porte que l'on ferme ou que l'on ouvre. Il est déconseillé de fumer. Donc, plus de tabac. Ce n'était pas douloureux. L'alcool si. Mais si on n'a pas le courage de se défendre contre des habitudes comme ça, pour des choses plus difficiles, on n'y arrivera pas... Pour l'alcool, ça n'a pas été évident. Pas la privation de vin, je n'aimais pas ça et je n'en ai jamais bu, mais quand on est comme moi française et bourguignonne 100 %, pas une goutte d'alcool, vous imaginez... Mais il faut choisir, et choisir ne fait pas toujours du bien.

- Vous ne trouvez pas un peu excessive cette interdiction totale de l'alcool?

- Au début, je l'ai pensée comme telle et je ne l'ai pas acceptée. Par exemple, quand j'allais voir les fermiers et qu'ils me disaient "Françoise, goûte de cette bonne bouteille, nous l'avons gardée pour toi", dire non, c'était refuser un travail qu'ils ont à coeur, qui demande des efforts, surtout en plein hiver, qui est le fruit de toute une culture à laquelle j'appartiens, et il n'est pas question que je dénigre ce travail. Mais l'expérience m'a montré que les trucs devant lesquels je me révoltais contenaient une sagesse, et que c'était moi qui me trompais. Alors, maintenant, je suis beaucoup plus humble, je me dis: il y a certainement une sagesse derrière, et c'est pour cela que je peux le faire."

Nous n'en avions pas encore fini avec les interdits. L'obligation de chasteté hors du mariage, comment se supporte-t-elle, à notre époque, quand on mène une vie sociale normale, dans un pays comme la France où l'union libre est totalement entrée dans les moeurs, où la normalité n'est pas la chasteté des jeunes gens et des jeunes filles, mais son contraire, et les expériences multiples une banalité? "Pour moi, dit Mohammad B. devenu baha'i à 18 ans, ça a été un problème, un gros problème. D'autres en ont avec l'alcool. Ça fait partie des lois.

C'est à ce niveau là que notre foi est mise à l'épreuve. Mais plus on lit les textes baha'is, plus on apprend à connaître Baha'u'llah, mieux on comprend que Dieu a mis des garde-fous, comme un père qui dit "ne touche pas à ça, si tu t'y frottes, tu t'y piques". Il ne punit pas... Le sida n'est pas une punition de Dieu, et il y a les préservatifs. Mais si on dit "les relations sexuelles n'ont pas d'importance, puisqu'il y a les préservatifs", c'est oublier que l'homme n'est pas un robot, faire abstraction des liens d'amour, de la vraie relation entre deux êtres, qui inclut la sexualité mais ne peut se résumer à elle, Dieu n'impose rien pour le plaisir, il nous met simplement en garde. C'est ce que j'ai compris. La foi baha'ie, à la différence du christianisme ou de l'islam, qui n'expliquent rien, fournit des réponses. Et à notre époque, on est gourmand de connaissances, on a besoin de réponses qui donnent satisfaction à notre intellect, et pas de formules qu'il faut accepter comme un postulat, du style: "c'est comme ça parce que c'est comme ça".

Avec Françoise P.M, nous avons parlé de ses deux filles d'un peu plus de vingt ans, toutes deux étudiantes... et baha'ies. La chasteté leur pose-t-elle ou non un problème? "Non, non, c'est intéressant. Plus maintenant. Cela leur en a posé quand elles avaient dix-sept, dix-huit ans, et étaient encore au lycée, en terminale. Elles n'ont pas été invitées à certaines soirées, à des fêtes avec les copains, parce que justement elles n'avaient pas "un" copain. Et c'était un peu dur pour elles. Après, tout s'est arrangé, parce qu'elles sont très sociables, très gâtées, très appréciées je crois, et, pour le coup. ont beaucoup, énormément de copains et de copines. Je n'ai jamais refusé de les recevoir. Ça remplit la maison. Elles amènent in extremis des amis qui dorment dans un sac de couchage sur le tapis du salon. Nous avons récemment emménagé dans un nouvel appartement. Elles m'ont demandé d'avoir la maison, un soir, pour faire une fête, et toutes les deux ont invité tous leurs copains d'école et de fac... Elles ont préparé une sangria sans alcool, sans un poil d'alcool, et de toute la soirée, personne ne s'en est plaint. Il y avait une ambiance terrible. Ils ont dansé comme des fous. Maintenant ils savent que l'on peut très bien s'amuser sans se soûler la gueule... cela dit. les jeunes filles baha'ies ont des histoires d'amour comme les autres, et quand il y a rupture, elles sont comme les autres, leur vie est brisée, finie, etc. Tout pareil que les autres..."

La chasteté nous amène à l'amour, et, par voie de conséquence, au mariage, considéré par la religion baha'ie, qui n'accepte que la monogamie, comme une institution spirituelle. Il donne lieu à une cérémonie très simple, mais indispensable, avec des prières et des phrases obligatoires, au sein de l'Assemblée locale. Baha'u'llah, qui le désigne comme "une forteresse pour le bien être", exprime ainsi que son but primordial est non seulement l'épanouissement de l'individu, mais plus encore un moyen nécessaire à cet épanouissement. Dans une de ses lettres, Abdu'l-Baha, le Serviteur, le précise d'une manière claire autant que poétique:

"La plupart des peuples de la terre ne voient dans le mariage que des rapports physiques. Cette union et ces relations sont seulement temporaires, puisqu'à la fin, elles sont vouées à l'inévitable séparation corporelle. Mais chez les baha'is, le mariage doit comporter des relations spirituelles aussi bien que physiques, car elles sont vivifiées toutes deux par l'attrait de l'Unique, de l'lncomparable, elles sont régénérées par la même vie et illuminées par la même lumière. Voilà ce qu'on appelle des relations spirituelles et une éternelle union. Dans le monde physique également, des liens solides et indissolubles unissent les époux. Quand l'intimité, l'union et la concorde règnent entre les deux conjoints, tant au point de vue spirituel que physique, alors le mariage est réel, et par cela même éternel. Mais si l'union n 'existe qu'au point de vue charnel, elle n'aura qu'une durée temporaire, et, à la fin, la séparation sera inévitable.

Par conséquent, lorsque des baha'is désirent s'unir par le lien sacré du mariage, il faut que des affinités éternelles et des relations idéales existent entre eux. Dans le domaine spirituel aussi bien que physique, leurs idées et leur conception de la vie doivent être semblables, afin qu'à tous les stades d'existence et dans tous les mondes de Dieu leur union puisse continuer à tout jamais. Cette union est un reflet de l'amour resplendissant de Dieu".

Et par ailleurs:
"Mais l'amour entre les amis n 'est pas toujours le véritable amour, car il est exposé aux changements. Sous le vent d'est, l'arbre s'incline vers l'ouest, le contraire se produit. Les circonstances accidentelles de la vie sont à l'origine de cet amour là. Ceci n'est pas l'amour mais une simple liaison exposée aux vicissitudes du changement..."

Ni puritanisme judéo-chrétien, ni attitude romantique, moins encore conception matérialiste d'un mariage d'intérêt ou de seule sensualité, mais définition, donc, d'une union idéale à trois dimensions, Dieu, l'esprit et la chair... Comment se traduit-elle dans le vécu d'un couple?

Mohammad B et Françoise P.M. ont continué de nous éclairer:
"Pas plus dans le couple qu'ailleurs, être baha'i ne signifie que l'on est parfait, remarque Mohammad B. Mais la vie du couple sera le reflet de l'intensité de la foi. Plus le couple vit intensément cette foi, plus il est harmonieux et paisible. Cela demande des efforts permanents, surtout dans l'environnement actuel qui nous oppresse, nous impose des habitudes que l'on voudrait rejeter. On le subit. Il faut le subir sans dommage, le filtrer, être actif pour établir ce filtre, trier ce qui est bon et ce qui n'est pas bon sans blesser personne, ce qui n'est pas si commode. Plus tard, ce sera plus facile. En attendant, il faut lutter".

Françoise P.M apporte d'autres précisions: "Je n'ai été mariée que selon la foi baha'ie, je ne peux donc pas vous dire que le mariage, pour nous, est différent de ce qu'il est pour les non baha'is. Il signifie un engagement profond. Je ne suis pas sûre que ce ne soit pas la même chose pour d'autres gens, je crois qu'il existe par exemple chez les catholiques des groupes de réflexion sur le couple qui vont dans la même direction, vers le respect de l'autre, mais peut-être pas avec une recherche constante d'ajustement, de communion, etc... Ça, oui, nous le faisons. Ce qui est difficile, c'est que c'est très exigeant pour soi-même, et qu'il y a des moments où l'on a envie de tout envoyer promener, comme dans n'importe quel rapport humain. Alors on essaie de trouver la solution qui ne fait pas tout casser. En même temps, on ne peut pas se contenter de rapports superficiels du type "passe-moi le sel ou apporte-moi une tasse de café". Il faut que le couple approfondisse constamment sa relation. On ne peut pas tricher, ce n'est pas concevable, et il y a des moments où c'est dur. Vous savez, ce n'est pas parce que l'on est un couple baha'i que l'on n'est pas des êtres humains. Il y a les mêmes problèmes que chez les autres, "même si les baha'is essaient de changer leur comportement.

- Il y a aussi des gens d'autres religions, ou des athées, qui essaient de réussir leur couple!

- Heureusement! Mais, quand je vois le fiasco des ménages dans la génération des quarante ans, et la soif d'absolu que tout le monde s'accorde à constater chez les jeunes, je me demande s'il ne serait pas intéressant de créer des groupes multi-confessionnels. Quand je dis multi-confessionnel, ça ne veut pas dire que religion, ça peut être aussi des francs-maçons, des libres-penseurs, mais en tout cas des gens qui ont un idéal et qui le suivent. On discuterait des joies et des problèmes du mariage, comment ça fonctionne, comment ça ne fonctionne pas, ce qu'il faut éviter... ça pourrait être très intéressant, et ce serait peut-être une façon de donner une chance, justement, à cette nouvelle génération qui ne demande qu'à revenir à certaines valeurs puisqu'elle a vu que la prétendue liberté sexuelle aboutissait à un fiasco, que ça ne marchait pas."

Toujours à propos du mariage, Mohammad B. liant les recommandations de Baha'u'llah au futur, dessine des perspectives qui, à première vue, paraissent surprenantes, et, à seconde vue, plutôt cohérentes.

"Baha'u'llah dit que, dans le futur, la société s'organisera de telle sorte que les adolescents s'épanouissent et que les mariages aient lieu dès le plus jeune âge. Ils s'épouseront au moment où ils sont encore en train de se former, et l'unité de leur couple, ils la bâtiront ensemble. Vous savez bien que lorsque l'on est très jeune et que l'on trouve l'âme soeur, c'est merveilleux. Ceux qui ont les moyens et la chance de pouvoir fonder leur couple à ce moment là progressent à deux, et ont bien plus de chances de réussir leur union que ceux qui se marient tard, et font, alors, beaucoup plus un mariage de raison qu'un vrai mariage de coeur. De plus, les couples jeunes ont de beaux enfants, et comme l'écart est réduit entre parents et enfants, la communication est plus facile, l'entente plus assurée.

- Croyez-vous vraiment qu'à quinze ou seize ans, on soit capable d'assumer l'éducation d'un enfant. alors qu'on l'est encore un peu soi-même?

- A quinze ans, probablement non, mais à dix-huit ans, pourquoi pas. Tout dépend de la manière dont on a été élevé, éduqué. Si vous apprenez à un enfant très jeune à voir le monde et à réfléchir sur lui, à prendre progressivement des responsabilités, à dix-huit ans, il est mûr. Mais si vous le maintenez dans un état d'assisté, d'asservi, d'irresponsable, il ne sera pas mûr à dix-huit ans, mais il ne le sera pas davantage à trente.

Bien sûr, cet enseignement de Baha'u'llah ne peut pas être appliqué aujourd'hui. Il le sera à longue échéance. Mais il faut dès maintenant corriger notre vie, nos manières de voir, en fonction de ces principes, pour qu'un jour les choses puissent changer dans le sens de l'épanouissement des êtres". Précision qui a son importance, si le divorce n'est pas recommandé, il n'est pas non plus interdit.

Du mariage à l'éducation des enfants, l'enchaînement est logique. Il est venu tout naturellement.

Il s'agit, dans la foi baha'ie, d'un devoir sacré, sur lequel repose l'avenir de l'humanité, Il implique, à la fois, l'éducation et l'instruction.

Au mot éducation, les baha'is attachent le qualificatif de "spirituelle". Les non baha'is peuvent être tentés de préférer le terme de "religieuse". La doctrine prévoit en effet que l'enfant très jeune doit apprendre la signification de la prière et la nécessité d'une attitude pieuse. "Encore dans le ventre de sa mère, le bébé entend les prières, et leur vibration spirituelle peut avoir une bonne influence sur lui". Dès la naissance, les parents sont invités à prendre l'habitude de chanter et de dire des prières près du berceau. Néanmoins, il est également précisé que les bases du message doivent être inculquées sans dogmatisme, puisqu'elles ont un caractère universel, et qu'il importe d'enseigner également les autres religions et les grands courants philosophiques. A quinze ans, l'adolescent sera en mesure d'entreprendre sa propre recherche, de manière à savoir si oui ou non il souhaite confirmer sa foi baha'ie. Si tel est le cas, il ne le deviendra effectivement qu'à vingt et un ans.

Mohammad B et Françoise P.M. se sont expliqués de cette imprégnation. Le premier la nuance. "Oui, ils ont de petites prières qu'ils apprennent par coeur, qu'ils disent le matin, avant un repas, ou le soir avant d'aller au lit. Je discute beaucoup avec eux, je leur explique la religion, mais d'une manière globale, en parlant aussi des autres religions... Ce qu'est Dieu, qui a tout créé... Un peu la vie après la mort...

L'important, c'est de leur inculquer l'amour de Dieu et de la religion. Mes enfants étant élevés dans un foyer baha'i, la première chose qu'ils doivent comprendre, c'est qu'ils font partie de l'humanité, blancs, noirs, jaunes réunis. Ça, on leur explique chaque fois qu'ils posent des questions. Mais il est essentiel de ne pas mener cette éducation de façon étroite. Baha'u'llah précise bien qu'il faut élever les enfants dans notre religion, mais en faisant très attention de ne pas aller vers le fanatisme". Françoise PM admet qu'il y a imprégnation mais sans endoctrinement.

" Oui, nous apprenons des prières à nos enfants. Oui, nous leur présentons notre conception religieuse du monde. Oui, nous exerçons sur eux une influence. Mais connaissez vous beaucoup de parents soucieux de l'éducation de leurs enfants qui ne souhaitent pas leur enseigner les valeurs auxquelles ils croient? En revanche, je peux vous assurer que mes filles n'ont vraiment pas été élevées dans un esprit de sectarisme. Une grande partie de leur enfance s'est déroulée en Ethiopie, où nous avons vécu assez longtemps, puisque mon mari est éthiopien et qu'il y avait son travail. Lui même est issu d'une vieille famille éthiopienne chrétienne orthodoxe. Sa grand mère, veuve très jeune, était religieuse. Les petits copains de mes filles étaient catholiques ou musulmans. En outre, comme je travaillais et n'avais personne pour garder ma première née, toute petite, seule la crèche israélienne a accepté de la prendre. Elle a appris à parler l'hébreu en même temps que le français. Des gens me demandaient: ça ne vous gêne pas? Je ne vois pas en quoi cela aurait pu me gêner. Non seulement ils avaient été assez chics de me la prendre, mais les israéliens ont un sens merveilleux de l'éducation des petits. Ils développent leur créativité. Ils leur apprennent la musique. Après l'aînée, la cadette y est allée à son tour.
Donc, vous le voyez, notre environnement était très diversifié. Moi, automatiquement, j'expliquais tout. Pourquoi Noël, pourquoi en Ethiopie tout s'arrête le Vendredi Saint, pourquoi pâques. Et qu'est ce que c'est la fête du Mouton chez le petit copain musulman, et Hanukkah, la fête des lumières, chez les petits copains juifs. Je trouvais normal qu'elles participent à ces fêtes. J'estimais indispensable qu'elles sachent leur signification. Ensuite, elles ont été au lycée franco-éthiopien. Il y avait au moins une soixantaine de nationalités représentées, qui se mélangeaient allègrement. Je n'ai pas eu à leur enseigner le non-racisme, ça aurait été enfoncer une porte ouverte. Tout ça, c'est une chance que j'ai eue, que je n'aurais peut-être pas eue en France.

- Mais dans l'éducation quotidienne des enfants baha'is, n'y a-t-il pas des règles particulières ?

- Non, vraiment rien de spécial! Le problème des enfants n'est pas un petit problème, et je ne vois pas de couples qui n'éprouvent pas de difficultés face aux enfants. Des difficultés pratiques, quotidiennes. L'éducation de l'enfant est une science en soi, une science de la psychologie qui se développe depuis plusieurs années. Pour nous, c'est l'application des Ecrits, mais aussi toute cette partie scientifique. Quelle que soit votre religion, si vous vous intéressez à vos enfants, si vous voulez les élever autrement que l'on élève des petits cochons, vous êtes attentifs, vous réfléchissez, vous enseignez, et vous loupez les baha'is comme les autres. Avec le même coefficient de risque que n'importe quels parents. Simplement, nous nous efforçons de transformer en positif ce qui est négatif. Disons plutôt que nous sommes très conscients de l'importance de l'éducation, et qu'il n'y en a pas un parmi nous qui ne le soit pas.

- Vos filles ont adopté la foi baha'ie sans remise en cause?

- Je ne les ai jamais poussées. J'ai réalisé beaucoup d'expositions baha'ies, je les emmenais avec moi, je les faisais participer mais plutôt pour des choses pratiques: monter les panneaux, dessiner des choses, etc A quinze ans, mon aînée ne voulait absolument pas entendre parler de tout ce qui était religieux. Je l'ai laissée tranquille.

- Cela ne vous a pas inquiétée, troublée?

- C'est normal! Ecoutez, si à quinze ans on n'est pas contre ses parents, on ne le sera jamais.

- Ensuite, ça s'est arrangé?

- Oui. Elle a été dans des réunions de jeunes baha'is où l'on ne faisait pas beaucoup d'enseignement, mais où on partait camper huit jours pour faire de la varappe, de la spéléo., du canoë. Comme c'était une fille qui voulait vraiment faire du sport, ça l'a enthousiasmée. Peu à peu, elle a appris à relativiser. A quinze, seize ans, on ne peut pas relativiser, on est trop entier. Elle a compris qu'être baha'i ce n'était pas une "teinture" acquise par son éducation, mais quelque chose qui la remettait en question, qui vous oblige à vous remettre en jeu tous les jours." Et voilà.

- Et sa soeur?

- Sa soeur a eu un cheminement plus calme. Elle a beaucoup, beaucoup lu. Elle est allée voir elle-même. C'est elle qui a décidé. Je n'ai pas eu besoin de l'emmener quelque part, ni de lui montrer quoi que ce soit. Elle est devenue baha'ie sans à coups, de façon extrêmement posée."

Nous voulions encore vérifier ce qui nous avait été expliqué: dans la religion baha'ie, la première responsable de l'éducation est la mère. Nous avons posé la question à Mohammad B avant d'y revenir dans ce qui concerne spécifiquement la condition féminine.

"Pourquoi est ce la femme, et non le couple, qui a d'abord la charge de l'éducation des enfants?

- Parce que dans la première période de leur vie, la plus importante, la plus intense, les enfants sont d'abord avec leur mère, qui auparavant les a portés. Cette présence leur imprime les premières bases. C'est une prééminence qui vaut disons pour les deux ou trois premières années de l'existence. Mais elle ne dégage en rien la responsabilité du père. Elle ne peut lui permettre de se soustraire à son rôle d'attention, d'affection, d'intervention qui équilibre l'affectif et la psychologie de l'enfant"

Reste l'instruction, qui dans l'optique baha'ie est fort loin de symboliser toute l'éducation, mais en fait partie intégrante. Le professeur K,S insiste sur ce point:

"Ce qui m'a beaucoup apporté, c'est de faire des études. L'importance accordée à l'instruction est très spécifique des baha'is. Les valeurs scolaires et universitaires sont beaucoup plus valorisées que les valeurs financières et matérielles. C'est clair, moi j'ai vécu dans un environnement familial aisé, où on me disait l'argent, ce n'est pas la vraie valeur. La vraie valeur, c'est la connaissance, tout ce que tu peux acquérir par l'éducation et les études. L'histoire des baha'is iraniens est à ce sujet intéressante. Au départ c'était des musulmans, des juifs, quelques chrétiens très peu rassemblés dans une minorité qui ne se différenciait pas du reste de la population iranienne. Après cent, cent cinquante ans, il n'y avait pratiquement plus d'analphabètes, les filles étaient mieux éduquées... Sept ou huit générations ont suffi pour qu'un groupe d'iraniens devienne plus éduqué que la moyenne de la population, parce que le système baha'i favorisait cela."

Il nous restait encore à aborder le comportement dans la vie professionnelle, les rapports sociaux. Avec Mohammad B, cadre administratif, nous l'avons exploré sous l'angle des rapports avec les subordonnés.

"Baha'u'llah prescrit de ne pas médire, de comprendre plutôt que de juger, de préférer la concertation à l'autorité, mais par exemple, si, dans votre travail, on vous agresse, comment réagissez-vous ?

- En toute sincérité, je n'ai pas eu l'occasion d'être confronté à cette situation. Généralement, on a avec les autres les rapports que l'on mérite. Les gens qui dégagent honnêteté, amitié, sincérité, qui font ce qu'ils peuvent pour faciliter la vie des autres, qui ne considèrent pas leurs subordonnés comme des robots auxquels il suffit de donner des ordres à exécuter, mais qui dialoguent, cherchent les bonnes solutions, ne rencontrent que de rares oppositions.

- Honnêtement, cela ne vous est jamais arrivé de penser: celui là, vraiment, je ne peux pas le voir?

- Pas comme ça. Il y a des gens qui n'arrivent pas à me cerner, qui s'interrogent, qui ne comprennent pas que je sois différent...

- Ça, c'est eux par rapport à vous, mais vous par rapport à eux?

- Eh bien, évidemment, il y a parfois des gens que je trouve difficiles. Je le leur dis. C'est important. Il y a des gens qui au lieu de le dire à l'intéressé vont le dire à d'autres Je ne condamne pas. J'essaie de comprendre le pourquoi d'une attitude. Même dans les petites choses. Tenez, un exemple banal, le type qui arrive en retard le matin au travail. Si le premier réflexe est d'abord de regarder sa montre et de l'engueuler, au lieu de vérifier d'abord qu'il n'y a pas eu un problème, je ne trouve ça ni normal, ni humain. On peut toujours passer un savon, mais le côté coeur doit compter autant que le côté raison. Quand il y a un problème dans le travail, j'essaie toujours de voir où est ce problème, et si je peux aider à le résoudre. Qu'est ce que ça me coûte? Une heure? Qu'est ce qu'une heure? J'applique cela avec mes subordonnés. Ce n'est pas toujours perçu comme je le souhaite, mais on le remarque"

L'original parcours professionnel de Françoise P M révèle une autre facette des attitudes baha'ies dans la vie professionnelle. Kinésithérapeute, elle enseigne en France dans le cadre hospitalier. Puis, suivant son mari en Ethiopie, elle apprend l'amharique, langue officielle, plus le dialecte le plus parlé par les paysans et exerce sa profession en praticienne dans des conditions très dures. "J'ai créé, avec des Allemands, le premier centre de rééducation. Dans des pays comme l'Ethiopie, vous avez des cas épouvantables, aucun moyen financier ou presque, pas de solution pour les aider, plus la pression des pays occidentaux qui cherchent à placer leur matériel alors qu'il n'est pas adapté aux conditions locales. C'était terriblement éprouvant." Plus tard, pour des raisons personnelles, elle change radicalement d'orientation, et, revenue en France avec son mari et ses filles, elle prend, a 45 ans, le chemin de la Sorbonne afin de préparer, en un an, une licence et une maîtrise qu'elle obtient.

Elle est actuellement chargée de mission auprès du Président d'un important organisme français très directement lié à la publicité. Or qui dit publicité dit incitation à la consommation. Est ce qu'il n'y a pas là une contradiction pour l'adepte d'une religion qui, sans jeter l'anathème sur l'avoir, à l'évidence privilégie l'être?

"Je dirais oui, assure Françoise PM, si dans le secteur où je travaille il n'y avait pas une commission d'éthique, avec un souci constant de préserver les questions de moralité dans la profession. En revanche, là où ça me gêne, c'est lorsque l'on fait de la publicité pour les boissons alcoolisées, le tabac, ou le lait non maternel dans des pays en voie de développement, où l'on sait bien que son usage est catastrophique. Cela, ça me choque énormément. Donc, je suis contre.

- Etre contre, ça se concrétise comment ?

- Je ne peux pas l'empêcher, je n'en ai pas le droit, mais je m'abstiens, et si on me demande mon avis, je le donne.

- Si vous étiez directement impliquée dans une agence de publicité, comme créatif par exemple, accepteriez-vous de promouvoir n'importe quel produit?

- Je pense que j'aurais du mal à faire coïncider cela avec ma propre éthique.

- Si vous aviez le choix entre accepter de faire de la publicité pour un produit contraire à votre éthique personnelle ou refuser et perdre votre situation, que feriez vous?

- C'est tout choisi. Je perdrais ma situation! Si je suis créative, justement, je justifierai ma créativité en étant créative pour moi-même, et en mettant sur pied quelque chose qui me corresponde.

- Le fait d'être baha'ie a-t-il été parfois un obstacle à votre activité professionnelle?

- Indirectement. Par exemple, il est arrivé que l'on me demande d'accompagner mon Président dans un pays musulman très orthodoxe où les baha'is sont interdits de séjour. Pour avoir le visa, il faut remplir une fiche et indiquer sa religion. Il était hors de question que j'indique catholique" comme il m'avait été suggéré de le faire, puisqu'effectivement j'ai été catholique, et pratiquante...Donc j'ai expliqué cela à mon patron... et il est parti sans moi, voilà tout.

- vos collègues de travail savent que vous êtes baha'ie?

- Je ne porte pas un badge, mais oui, ils le savent.

- Ça n'a pas d'autre incidence?

- Pas spécialement. Sauf sur un point, quand même, dans les situations de revendication. Vous savez bien, dans les bureaux, tout se dit. il y a les grenouillages, etc et ceux qui aimeraient bien être tenus au courant de ces grenouillages. On sait que ce que l'on me dit ne sera jamais divulgué. Ils viennent me raconter: Un tel est ceci, X est un salaud... Alors j'essaie de dédramatiser, de dénouer l'écheveau, ils savent que ça restera là, et ça évite un clash. Si vous voulez, il m'arrive de faire la mère du régiment.

- Autant dans votre vie professionnelle que dans votre vie sociale, vous arrivez vraiment à ne pas médire, à ne pas vous mettre en colère, à ne pas dire ou vous dire: quel idiot ou quel salaud?

- Mais je ne dis pas qu'on y arrive tout le temps! C'est ça le drame. C'est tout notre réflexe, toute notre faiblesse humaine...

- Alors, vous culpabilisez?

- Culpabiliser ne sert à rien. La culpabilité est destructrice. On n'est pas censé repartir en arrière. Un baha'i doit toujours aller de l'avant, poursuivre son effort vers l'amélioration. Du courage, il en faut pour être baha'i. Mais, au fond, c'est vrai pour n'importe quelle foi que l'on vit vraiment."

Le rapport entre le vécu de la foi et la vie professionnelle nous a enfin semblé particulièrement intéressant dans tout ce qui touche au médical. Il nous fut possible d'en faire une première approche en assistant à une journée de rencontres organisée par l'association des médecins baha'is dont beaucoup, ce détail nous frappa sont d'origine iranienne.

Pas de prière au début ni à la fin. Une assemblée attentive mais plutôt décontractée. Sur la petite estrade où se succédaient les intervenants, baha'is ou non, plus de chaleur et de sincérité que d'emphase, avec tutoiement généralisé. Sans s'attarder au détail des exposés ou des discussions qui suivaient chacun d'entre eux, que la parole soit donnée à un généraliste, un chirurgien, un pédiatre, une pharmacienne ou une infirmière, à noter tout de même la charmante jeune fille prénommée Monique qui attaqua bravement son exposé par "Je tiens à déclarer avant toute chose que je suis solidaire des infirmières en grève" (c'était en novembre 88), on peut résumer l'ensemble de cette journée à un dénominateur commun: l'approche globale de l'être humain opposée à une vision purement technicienne. Elle était perceptible dans l'intervention de ce responsable (non baha'i) d'un service d'anesthésie, parlant de ces malades dont les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri, et de la nécessité de ne pas transformer les comateux en objets exclus de toute communication. Mais présente aussi quand cette pharmacienne insistait sur le fait que sa fonction ne consistait pas seulement à vendre des médicaments, mais à tranquilliser, conseiller, aider les patients, dans une relation humaine, constatant que son plus gros problème était, compte tenu de cette attitude, celui du manque de temps.

Quand cette infirmière, très simplement, disait: parce que je suis baha'ie, je mets beaucoup d'idéal dans mon travail. Quand ce chirurgien remarquait: il ne s'agit plus d'établir une relation binaire médecin-malade mais une relation triangulaire, incluant les forces de la vie, et citait Ambroise Paré "Je le pansais, Dieu le guérit".

Instruits par ces prémices, nous avons logiquement souhaité pousser plus avant la réflexion, ce qui nous amena dans le salon très élégant du professeur K.S.. Comme ce fut souvent le cas au cours de notre enquête, il nous tint le discours que nous n'attendions pas.

"Il y a, dans notre travail de médecin, des parties où le fait d'être baha'i n'intervient pas du tout, et d'autres où cela, me semble-t-il, nous amène à agir d'une certaine façon. Si vous voulez, prenons un exemple, je suis médecin, chef de service et universitaire. J'ai deux fonctions. L'une est de soigner les patients. L'autre d'être un peu un animateur, un chef d'équipe. Dans ces deux fonctions, il y a des choses qui sont de l'ordre de la technique, où le fait d'être baha'i n'intervient pas: le choix d'un traitement, une décision thérapeutique, tout ce que l'on peut appeler des décisions politiques dans le cadre de l'université, quels types de cours nous devons donner, quels horaires établir, relèvent de décisions professionnelles, de connaissances techniques. Et puis, dans les deux parties, médicale et extra médicale, il y a aussi des aspects où la foi intervient: dans la relation au malade, la conception des devoirs vis à vis de la communauté. Le fait d'être baha'i nous aide parce qu'il nous donne des repères. Evidemment, en tant que médecin, on est en permanence confronté à des problèmes d'éthique. Mais ce n'est pas spécifiquement baha'i. Il y a ceux qui sont devenus des techniciens, et puis ceux qui se préoccupent de ces problèmes et y réfléchissent, pas en tant que baha'is, mais en temps qu'individus ayant d'autres valeurs que les valeurs purement scientifiques. On arrive à être en parfaite harmonie éthique avec des tas de confrères qui ont d'autres croyances ou sont non croyants.

Par exemple, une des plus graves interrogations que nous rencontrions aujourd'hui est due à l'efficacité des moyens techniques dont nous disposons. Nous ne pouvons pas les appliquer comme ça, simplement parce qu'ils existent. Il faut toujours se demander où est l'intérêt du malade. Prenons le cas d'un patient pour lequel on envisage une opération. En anesthésie, actuellement, on peut tout faire. Il n'y a pratiquement plus de contre indication. La bonne question est: faut il l'opérer? En quoi sa vie en sera t elle améliorée? Est ce que, pour lui, ce sera bénéfique ou pas? L'obstacle n'est plus scientifique. La question se pose avec la même acuité pour des cancéreux en phase terminale, des accidentés graves en coma dépassé, des vieillards à bout de vie.

- En somme, chaque fois que l'on pourrait utiliser le terme d'acharnement thérapeutique?

- Oui, l'acharnement thérapeutique est l'une des facettes importantes de la question. En gros, nous avons trop de pouvoir, il faut y réfléchir et en user avec discernement. Beaucoup de médecins se posent ce type de problème. Mais cette réflexion implique des données scientifiques. Il faut être du métier pour s'y aventurer. Je suis parfois surpris et choqué, je vous le dis en toute franchise, de voir des baha'is porter des jugements d'éthique médicale en ne connaissant pas la médecine. Ils ont quelquefois l'impression qu'ils détiennent seuls la vérité, qu'ils sont les seules personnes qui se posent les problèmes d'éthique. Je suis contre ça. Je trouve autour de moi, dans mon travail, beaucoup de personnes qui se posent ces problèmes, beaucoup de personnes généreuses, beaucoup de personnes qui pensent au malade plutôt qu'à la maladie. Ce n'est pas parce que l'on est baha'i que l'on est le nombril du monde! En revanche le fait d'être baha'i aide beaucoup à toute la réflexion sur la jeunesse et la vieillesse, la souffrance, la vie, la mort, même des choses comme la fécondation in vitro ou l'avortement. On vit dans cette réflexion permanente. On n'a donc aucune réticence à en discuter.

- Quelle est la position orthodoxe de la foi baha'ie sur l'avortement?

- Je ne la connais pas. Je ne suis pas un, "baha'i orthodoxe".

- Alors, quelle est la vôtre?

- Vous savez que les médecins n'ont pas le droit de refuser leurs soins à quelqu'un qui en a besoin, mais peuvent, par clause de conscience, refuser de pratiquer un avortement. Moi, en tant qu'anesthésiste, je participe à certains avortements, et si je le fais, c'est que je pense qu'il y a des cas où c'est indiqué. L'avortement est catastrophique, c'est horrible de le faire, la femme qui le subit en gardera nécessairement quelque chose dans la tête, une séquelle, il y a toujours une blessure. Mais il y a des cas où, en ne le faisant pas, la séquelle peut être plus grave encore. Et je ne me place pas au niveau de l'âme du bébé, je vous le dis très honnêtement.

- Comment vous comportez vous face à un patient qui va mourir?

- Il ne peut pas y avoir d'a priori. Il faut sentir la chose. Quand un patient sait qu'il va mourir, il y a un moyen de lui dire: Voilà, vous avez une maladie à pronostic grave. Moi je suis médecin, je suis en bonne santé, mais il se peut que demain je sois mort, et que vous vous soyez encore là. Je n'ai pas un rapport de supériorité avec vous. Vous êtes un être humain, je suis un être humain. La seule chose qu'il y a c'est que j'ai une connaissance qui peut vous aider. C'est ma seule supériorité mais moi non plus, je n'ai pas l'éternité. Je crois que ça, c'est déjà important.

- Oui, mais pas spécifiquement baha'i. Bien d'autres médecins, comme vous le soulignez vous-même, ont cette attitude. Alors, n'y a-t-il rien de spécifiquement baha'i dans votre comportement de médecin.

- Je n'ai pas de recettes baha'ies. En revanche, il y a des domaines où je suis comme un poisson dans l'eau parce qu'ils sont ceux là même de la vie baha'ie, et que j'ai été élevé comme ça. Une grande ouverture à l'écoute des avis différents. Une très grande habitude de la concertation, ou, comme nous disons, de la consultation, parce que, dans la communauté baha'ie, on vit de façon consultative. Je dirai presque que c'est une technique que l'on acquiert très vite dans la communauté baha'ie qui fonctionne tout le temps comme ça, qui est très utile, très enrichissante. Une autre chose enfin qui me vient de mon éducation c'est une intransigeance totale contre tout préjugé de race, de sexe, de classe. Encore une fois, ce n'est pas un monopole des baha'is, mais chez eux, une attitude naturelle. L'éducation baha'ie, m'aide beaucoup. Pour moi, ce fut une bonne école. D'autres ont la même attitude sans avoir eu cette école là, et ils l'ont parfois mieux que moi.

- Est ce que l'on ne trouve pas plus fréquemment chez les médecins baha'is que chez les autres un grand souci de respecter le malade dans sa personne? Globalement, l'attitude des médecins hospitaliers s'améliore, mais il est encore fréquent de voir de grands patrons traiter la maladie avec une haute compétence, mais ne pas faire plus de cas du patient hospitalisé que s'il était un objet ou un idiot total.

- Peut-être 1'ambition, le souci d'efficacité deviennent ils parfois l'élément essentiel, au détriment d'autres valeurs. Mais les vrais grands patrons sont des êtres sensibles. Mes maîtres ont toujours été d'une écoute, d'une humilité extraordinaires. Vous savez, il y a un proverbe persan qui dit l'arbre plein de fruits est un arbre penché. Ce n'est pas une affaire de religion, mais de qualités humaines. Moi je suis séduit, rassuré, heureux, de voir tant de gens dans ma profession qui ont ces qualités là, et qui ne sont pas baha'is. Il y a beaucoup de gens qui ont un comportement qui va dans le même sens que le nôtre. J'ai l'impression de participer à un courant positif qui va dans le sens de l'écoute, de l'ouverture, de l'accord des peuples. Simplement, quand on est né, comme moi, dans une famille baha'ie, il y a beaucoup de choses qui sont devenues quasiment un réflexe, que l'on fait plus facilement, c'est tout.

- Beaucoup d'iraniens baha'is sont médecins. Dans votre cas, c'était une vocation? Un souci d'être utile? Une conséquence directe de votre foi?

- Pas du tout. J'ai fait une terminale mathématiques, mais je n'étais pas assez fort en maths pour les classes préparatoires de grandes écoles qui m'intéressaient. Alors, c'est plutôt un hasard. Mon frère était médecin, j'ai fait médecine.

- On m'a dit que le médecin personnel du dernier Shah d'Iran était baha'i

- C'est vrai.

- Imaginons que l'ayatollah Khomeyni, qui persécute vos coreligionnaires, ait besoin de vos soins. Que feriez vous?

- Je le soignerais, c' est évident. Une des plus belles choses que nous ayons, dans le corps médical, c'est de soigner les gens, quels qu'ils soient. Votre exemple est un peu artificiel, mais le type qui arrive à l'hôpital après s'être bourré la gueule et a causé un accident de voiture où il y a eu cinq victimes, on le soigne comme les autres. Aux Etats Unis, où j'étais récemment, combien arrivent aux urgences de trafiquants de drogue qui font du mal à la jeunesse, qui sont des gens immondes? Les infirmiers, les médecins les soignent et se fichent de savoir qui c'est, puisque c'est un être humain. Et dans les hôpitaux français, est-ce que le personnel médical fait un tri en disant tiens, celui là, c'est un étranger, on ne va pas le soigner? Ça fait partie des choses encore rassurantes. Donc, si l'ayatollah vient, j'espère que j'aurai le plaisir de le soigner malgré le fait qu'il a persécuté les baha'is en Iran. Ceci n'a pas d'incidence sur l'exercice de mon métier.

Au cours de cette exploration de la vie quotidienne des Baha'is, nous avons encore abordé le problème de l'attitude politique. Toute adhésion à un parti, toute opposition active à un gouvernement en place sont, rappelons le, interdites. Qu'en est-il dans les faits? Mohammad B, y a fait allusion à propos des parents qui lui avaient fait découvrir la foi baha'ie à l'époque de la guerre d'Algérie. Ils étaient pour l'indépendance. Mais au moment où, à Oran, vous vous en souvenez, il y a eu une situation dramatique, explosive, ils se sont je crois surtout efforcés de faire le lien, de maintenir le dialogue entre les deux communautés qui s'opposaient.

A propos des régimes tyranniques, corrompus, racistes, Françoise PM a un discours très clair, et très baha'i: Il faut tourner en positif toutes les situations, même les plus catastrophiques.

- Difficile de tourner en positif les goulags, les stades de Pinochet ou l'Apartheid!

- Si on est à l'intérieur, on peut faire de l'enseignement autour de nous pour que les gens ouvrent les yeux. On n'est pas obligé d'enseigner la foi baha'ie avec le prêchi-prêcha. Mais dire aux gens, vous avez le droit d'apprendre à penser par vous-même, de lire les journaux, de comprendre." Pourquoi ces tyrans ont-ils le pouvoir? Parce qu'il y a trop de gens qui ont gobé, qui n'ont pas relativisé, qui n'ont pas eu l'esprit critique, et le malheur de ce monde, c'est de maintenir les peuples dans la soumission sans discussion. Je vous jure que ce qui ferait le plus peur aux tyrans actuels, c'est de se trouver face à des peuples qui se prennent en main. Si les individus se prennent en main, le peuple se prend en main, à ce moment là, vous savez, c'est très difficile à un type de raconter n'importe quoi. Notre rôle, dans une dictature, ce n'est pas de fuir, c'est d'encourager, de maintenir le moral, et de dire ne soyez pas résignés, car la résignation est une chose épouvantable. C'est en cela que l'on peut être positif, tout en étant non-violent."

A la fin de notre tour d'horizon, nous sommes arrivés à la conclusion que le plus grand dénominateur commun du quotidien baha'i, celui auquel tous font référence, est le réflexe de la concertation qui est une des lois sociales de Baha'u'llah. Au niveau de l'entreprise aussi bien que de la cellule familiale, dans le travail comme dans le privé, dans l'ordre administratif de la communauté comme dans la vie personnelle des croyants, une décision importante n'est jamais prise sans que tous les points de vue se soient exprimés. Comme l'écrivait Abdu'l-Baha: "La brillante étincelle de la vérité ne jaillit que du heurt de diverses opinions."

Il nous restait à parler des loisirs. Sujet vite épuisé. A part les coins de feu, les réunions de l'Assemblée locale, les écoles d'été où, pendant une semaine, on consacre le matin à l'approfondissement d'un thème qui n'est pas obligatoirement religieux, et l'après-midi aux distractions et aux sports, rien de particulier. Cinéma, musique, théâtre, danse, réunions d'amis, chacun fait ce qu'il veut. Simplement, précise Mohammad B, nous rejetons ce qui est dégradant, bassement commercial, et nous essayons d'aller vers ce qui est beau, ce qui est bien, dans la musique comme dans la cuisine ou les vêtements." Nous lui emprunterons cette conclusion: "Dans la foi baha'ie, certaines règles ont des applications strictement spirituelles, d'autres une portée plus communautaire, plus sociale, plus humaine. Leur respect est capital pour constituer les bases saines de la société et préparer l'émergence d'une civilisation divinement inspirée, divinement guidée. Mais l'essentiel, pour réaliser l'unité, c' est l'amour de son prochain au niveau universel, dans son ensemble et sa diversité. Si on n'a pas intégré ça, on n'est pas baha'i."


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