La perle
inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani
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Chapitre 16. Un ministère unique
Heureux celui qui recherche l'abri de son
ombre qui s'étend a toute l'humanité.
Abdu'l-Baha
Le Gardien avait fait fusionner, dans l'alambic de son esprit créateur, tous
les éléments de la Foi de Baha'u'llah en un tout indivisible. Il avait créé
de Ses disciples, une communauté organisée qui était le réceptacle de Ses enseignements,
de Ses lois et de Son Ordre Administratif. Les enseignements des Deux Manifestations
de Dieu et de l'Exemple Parfait avaient été tissés en un manteau qui vêtirait
et protégerait l'homme pendant un millier d'années. Un manteau sur lequel, les
doigts de Shoghi Effendi avaient dessiné les modèles, dont il avait joint les
coutures, façonné les agrafes protectrices par ses interprétations des Textes
Sacrés, interprétations qui ne devraient jamais être séparées, ni arrachées
des Textes jusqu'au jour où un nouveau Législateur viendrait et envelopperait,
une nouvelle fois l'homme d'un nouveau vêtement.
Le petit-fils du Maître a été sublimé en Gardien de la Foi par les forces libérées
par le Testament d'Abdu'l-Baha. Appartenant a la caste supérieure de ses aïeux,
il était lui-même un souverain. A la primauté conférée par les liens de consanguinité,
avaient été ajoutés les pouvoirs de la direction infaillible octroyée par le
Covenant de Dieu. Le droit divin et indéfectible de Shoghi Effendi de tenir
le gouvernail de la Cause de Dieu a été pleinement justifié par trente-six ans
de labeurs ininterrompus et harassants. Il serait réellement difficile de trouver
une personnalité comparable dans toute l'histoire. Une personnalité qui, en
un peu plus d'un tiers de siècle, ait mis en mouvement tant d'opérations, qui
ait trouvé le temps de prêter attention aux détails infimes, d'une part, de
concevoir et d'étendre a toute la planète ses plans, ses instructions et sa
direction, de l'autre.
(Photo)
Il avait posé les fondations de cette société future que Baha'u'llah avait engendrée
dans l'esprit du Maître, et que Celui-ci avait développée jusqu'à la perfection
et transmise dans les mains sûres de son successeur.
Patiemment, comme un maître joaillier qui travaille son oeuvre, choisissant
dans son stock de gemmes quelque pierre royale, la mettant parmi d'autres plus
petites mais également précieuses, Shoghi Effendi choisissait un thème des enseignements,
le détachait, l'étudiait, polissait ses facettes et le posait au milieu de ses
brillants commentaires, où il étincelait et attirait notre regard comme jamais
auparavant, lorsqu'il était enterré sous un tas d'autres joyaux. Il ne serait
pas exagéré de dire que nous, les baha'is, vivons maintenant dans une pièce
entièrement entourée par ces glorieux et flamboyants motifs créés par Shoghi
Effendi. Il était comme un prisme analysant la lumière de cette Révélation,
et nous permettant de voir le nombre des couleurs et des rayons constituant
la lumière aveuglante des paroles de Baha'u'llah.
Ce que nous connaissions toute notre vie, prenait, soudain une importance nouvelle
et accrue. Nous étions mis au défi, blâmés, encouragés. Nous nous trouvions
debout pour servir, pour être pionniers, pour nous sacrifier. Nous grandissions
sous son égide et la Foi grandissait avec nous et devenait quelque chose de
bien différent de ce qui existait auparavant. Prenons quelques-uns de ces joyaux,
ces thèmes développés si brillamment par Shoghi Effendi. Un jour Baha'u'llah
se reposait sur le Mont Carmel. Il désigna un emplacement a Abdu'l-Baha et lui
dit d'acheter ce terrain, de faire venir le Corps du Bab et de l'inhumer en
ce lieu. Le Maître fit venir le Dépôt Précieux et le plaça au flanc de la montagne
et le couvrit d'une construction qu'il érigea avec des larmes. Le Gardien compléta
l'édifice sacré et maintenant le glorieux Mausolée du Précurseur de la Foi se
tient, splendide et majestueux sur les flancs du Carmel, et il est le point
de mire de tous les regards.
Le Maître envoya quelques Tablettes précieuses, écrites pendant des jours sombres
et dangereux, a l'Amérique après la guerre. Une agréable cérémonie fut organisée
pour "le dévoilement du Plan Divin". Des paires d'enfants et d'adolescents (y
compris moi-même) tiraient, lors de cette cérémonie, sur une corde et l'une
des Tablettes apparaissait sur le fond drapé du plateau.
Abdu'l-Baha avait envoyé un cadeau royal aux croyants nord-américains, ils s'en
réjouissaient mais ne le comprenaient pas. Shoghi Effendi, sans jamais perdre
de vue ce trésor caché mais inestimable, déposé a l'autre bout du monde, se
mit a frayer un chemin pour s'y rendre. Il lui fallut presque deux décennies,
mais a la fin, ayant péniblement et fiévreusement construit la machine de l'Ordre
Administratif, il était en position de prendre ces joyaux et de les sertir.
Il conquit le Nord, il conquit le Sud; l'Est et l'Ouest commencèrent a étinceler
et a briller avec la lumière émise par les nouveaux centres baha'is, plus de
4200 a travers le monde. Il avait fait couler la rivière des traductions de
la littérature de la Foi en 230 langues, vers les différents territoires du
globe qu'il s'était assuré pour qu'ils soient réveillés ou réanimés par les
brises du Plan Divin. Durant vingt années, depuis qu'il mit en branle la puissance
qu'Abdu'l-Baha avait enchâssée dans ces Tablettes, Shoghi Effendi ne cessa pas
un seul instant de lancer en avant une armée de pionniers, bataillon après bataillon,
allant conquérir, a son commandement, toute la planète, allant implanter la
bannière de Baha'u'llah sur toutes les citadelles conquises.
Saisissant la teneur cachée de la Tablette du Carmel de Baha'u'llah, le Gardien
inhuma La Plus Sainte Feuille près du Mausolée du Bab, transféra les restes
de sa mère et de son frère près d'elle, désigna ce lieu comme le coeur d'une
administration mondiale, tira un arc sur le flanc de la montagne qu'il raccrocha
aux paroles de Baha'u'llah "Le siège du Trône de Dieu", construisit le premier
des grands édifices qui s'élèveront sur cet arc et souligna dans d'innombrables
passages la nature du progrès que ce Centre doit déverser sur tous les peuples
et nations de la terre.
C'est un progrès basé sur les enseignements d'une Foi qui est "essentiellement
surnaturelle, supranationale, complètement apolitique, non-partisane et diamétralement
opposée a toute politique ou école de pensée qui cherche a exalter une quelconque
race, classe ou nation"; une Foi dont "les adeptes regardent l'humanité comme
une entité unique, et qui, profondément attachés a ses intérêts vitaux, n'hésiteraient
pas a subordonner tout intérêt particulier, qu'il soit personnel, régional ou
national, aux intérêts supérieurs de la généralité de l'humanité, sachant bien
que, dans un monde de nations et de peuples interdépendants, l'avantage d'une
partie est mieux atteint par l'avantage de l'ensemble"; une Foi dont l'embryon,
expliqua Shoghi Effendi, s'était développé pendant l'Âge Héroïque, dont l'enfant,
l'Ordre social contenu dans les enseignements de Baha'u'llah, grandira pendant
l'Âge de Formation, dont l'adolescence témoignera de l'établissement de l'Ordre
Mondial pendant l'Âge d'Or, dans une civilisation mondiale, une civilisation
planétaire sans précédent qui marquera "les limites les plus élargies de la
société humaine", une civilisation qui ne déclinera jamais, où l'humanité continuera
a progresser indéfiniment et a monter vers les sommets toujours plus hauts de
la puissance spirituelle.
Il divisait les événements survenus ou survenant dans la Cause de Dieu en sections,
les reliait a l'ensemble de l'évolution de la Foi et créait une carte en relief
nous permettant de voir d'un seul regard où intervenaient nos efforts présents,
dans quelle mesure la réalisation d'un objectif immédiat pavait la voie vers
l'inévitable étape ultérieure que nous devions franchir au service de la Cause
de Baha'u'llah. Les définitions et les divisions qu'il utilisait n'étaient pas
arbitraires, mais implicites dans les enseignements. Le Cycle Prophétique, commencé
avec Adam et terminé avec Muhammad, et dont les Prophètes avaient éduqué et
préparé l'homme pour l'âge de sa maturité, avait ouvert la voie au cycle de
l'Accomplissement, inauguré par Baha'u'llah. L'unité de la planète, que la science
avait rendue possible, permettrait a l'homme ou plutôt l'obligerait de créer
une nouvelle société. Une société dans laquelle un monde en paix pouvait se
consacrer exclusivement au développement matériel et spirituel de l'homme. A
cause de la grandeur même de cette transformation, l'ombre de Baha'u'llah sera
projetée sur la planète pendant 5000 siècles dont les premiers mille ans seront
gouvernés selon les lois, les ordonnances, les enseignements et les principes
qu'il a établis.
Shoghi Effendi divise cette Dispensation de mille ans en trois Ages. Le premier
commença avec la déclaration du Bab et se termina avec l'ascension du Maître.
Cet Age dura soixante-dix-sept ans appelés par le Gardien l'Âge Héroïque ou
l'Âge Apostolique de la Foi, a cause de la nature même des événements survenus
pendant cette période, et le bain de sang qui avait caractérisé son commencement
et balayé 20.000 âmes y compris le Bab Lui-même. Le Gardien le divisa en trois
époques se rapportant chacune aux ministères du Bab, de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha.
Shoghi Effendi dénomma le second Age l'Âge transitoire, l'Âge de Formation,
l'Âge de Fer de la Foi.
Il s'agit de cette période où l'Ordre Administratif, le cachet de cet Age, doit
se développer, atteindre la perfection et fleurir dans l'établissement de l'Ordre
Mondial de Baha'u'llah. La première époque de cette Age couvrait la période
allant de l'ascension d'Abdu'l-Baha, en 1921, au Centenaire de la Foi, en 1944
et les événements qui suivirent immédiatement cet anniversaire. La seconde époque
était consommée avec la fin de la Croisade Mondiale en 1963, coïncidant avec
le centième anniversaire de la Déclaration de Baha'u'llah. Quoique le Gardien
n'ait jamais affirmé combien d'époques caractériseront l'Âge de Formation, il
admit néanmoins que d'autres époques également vitales, également vibrantes,
viendront au fur et a mesure que la Foi avancerait vers ce qu'il appela son
Age d'Or qui se lèverait, il le déclara plus d'une fois, probablement dans les
siècles ultérieurs de la Dispensation de Baha'u'llah.
Shoghi Effendi affirma que la Foi passerait de l'obscurité et de la persécution
a la lumière de la reconnaissance en tant qu'une religion mondiale; elle s'émancipera
complètement des entraves du passé, et deviendra une religion d'Etat et éventuellement
l'Etat baha'i en émergera. Quand l'Âge de Formation sera passé et que l'homme
sera entré dans l'Âge d'Or, il aura pénétré dans cet Age prédit par la Bible,
Habaquq 11, 14: "Car la terre sera remplie de la connaissance de la gloire du
Seigneur, comme les eaux comblent la mer."
L'implantation historique du Plan Divin d'Abdu'l-Baha par Shoghi Effendi était
divisée en époques. Ces époques étaient, a leur tour ' subdivisées en des phases,
un moyen qui permettait aux baha'is de suivre étroitement le cours de leurs
propres activités et de se concentrer sur des buts bien déterminés. La première
époque du Plan Divin eut trois phases: le premier Plan de Sept Ans, le second
Plan de Sept Ans et le Plan d'Enseignement et de Consolidation que nous appelons
la Croisade Mondiale.
Shoghi Effendi divisa également cette Croisade en une série de phases: la première
dura un an, 1953-1954, durant cette phase, dit Shoghi Effendi, l'objectif vital
du Plan a été virtuellement atteint par l'addition de non moins de 100 nouveaux
pays enrôlés sous la bannière de Baha'u'llah; la seconde phase, de 1954 en 1956,
était marquée par la consolidation et l'expansion qui non seulement pavèrent
la voie a l'érection de quarante huit corps nationaux nouveaux qui étaient programmés
au Plan, mais aussi par des dépenses sans précédent occasionnées par l'achat
des Haziratu'l-Quds nationaux, des terrains de Temples et la formation des Maisons
d'Edition; "la troisième et qui promet d'être la plus brillante phase de la
Croisade Spirituelle Mondiale", écrivit-il, prendra place entre 1956 et 1958.
Elle devait se distinguer par une multiplication sans parallèle des centres
baha'is dans le monde ainsi que par la formation de seize nouvelles Assemblées
Nationales. Avant son ascension, le Gardien indiqua que la quatrième phase de
son puissant Plan, qui s'étendrait de 1958 a 1963, devait se distinguer par
une très grande augmentation du nombre des croyants et des centres tout autour
de la terre, et par le progrès dans l'érection des trois Temples faisant maintenant
partie du Plan de Dix Ans.
Mais pour nous, cette grande direction qui nous avait donné de tels concepts,
qui avait accompli d'une manière si brillante l'oeuvre commencée par 'Abdu'l-Baha,
qui avait si méritoirement exécuté non seulement les instructions du Maître,
mais aussi les directives suprêmes de la Manifestation de Dieu, touchait a sa
fin. Personne ne pouvait savoir, personne ne pouvait se douter que lorsque le
monde baha'i reçut le message daté d'octobre 1957, il recevait le dernier message
de Shoghi Effendi.
C'était un message heureux et victorieux, plein d'espoir et de projets nouveaux.
C'était le dernier don inestimable d'un homme qui, en l'écrivant, posait, en
réalité, sa plume et détournait la tête de ce monde et de ses tristesses, pour
toujours. Shoghi Effendi nous informait que bientôt la Croisade Spirituelle
Planétaire arrivait a mi-parcours lequel devait être marqué par la convocation
de cinq Conférences Intercontinentales en janvier, mars, mai, juillet et septembre
et respectivement en Afrique, aux Antipodes, en Amérique, en Europe et en Asie.
A l'instar des quatre premières Conférences Intercontinentales, tenues pendant
l'Année Sainte, Shoghi Effendi désigna cinq Assemblées Nationales pour l'organisation
de ces cinq grands rassemblements, les présidents de ces Assemblées étant chargés
de lancer les convocations a cet effet. L'Assemblée Régionale du Centre et de
l'Est de l'Afrique était chargée de la première Conférence. (Ce n'est certainement
pas un hasard qu'en cinq ans, l'Afrique organisa deux fois la première de ces
conférences). L'Assemblée Nationale d'Australie était chargée de la seconde,
l'Assemblée Nationale des Etats-Unis de la troisième, l'Assemblée Nationale
des Baha'is d'Allemagne et d'Autriche de la quatrième et l'Assemblée Régionale
du Sud-Est Asiatique de la cinquième.
"Elles doivent être convoquées", écrivit Shoghi Effendi, "dans un
but quintuple d'offrir une humble action de grâce a l'Auteur Divin de notre
Foi, qui a gracieusement permis a Ses adeptes d'exécuter sans interruption,
a un moment d'angoisse grandissant et dans la confusion et les incertitudes
d'une phase critique de la destinée de l'humanité, le Plan de Dix Ans formulé
en vue de l'exécution du Grand Dessein conçu par Abdu'l-Baha; de revoir et de
célébrer les victoires insignes, remportées si rapidement, au cours de chacune
des campagnes de cette Croisade planétaire; de délibérer sur les voies et les
moyens qui assureront sa consommation triomphale et de donner simultanément
une impulsion puissante au processus vital de la conversion individuelle, l'objectif
primordial sous-jacent au Plan et a toutes ses ramifications; et a la construction
et l'achèvement des trois Temples Mères a édifier sur les continents européen,
africain et australien."
Shoghi Effendi nous apprit que "le progrès phénoménal accompli depuis le
commencement de cette Croisade planétaire, dans le bref laps de temps de moins
de cinq ans, éclipse... par le nombre et la qualité des exploits de ses exécutants,
toute oeuvre collective entreprise depuis la fin de... l'Âge Héroïque..." Avec
une joie évidente, il récapitulait ces exploits et énumérait les victoires remportées,
les qualifiant d'un "progrès si merveilleux, touchant un domaine si vaste, réalisées
sur une si courte durée, par un si petit groupe d'âmes héroïques."
C'était dans ce message que le Gardien nomma le dernier contingent des Mains
de la Cause de Dieu, huit personnes de plus a joindre cette "auguste institution",
portant ainsi le nombre total des "officiers de haut rang, d'un Ordre Administratif
en expansion rapide" a vingt sept. Il les invitait également, afin d'assumer
"leur responsabilité sacrée de protecteurs de la Foi", a former un second Corps
Auxiliaire, d'un nombre égal au précédent, de chargé du devoir spécifique de
veiller a la sécurité de la Foi". Les cinq Mains qui avaient été choisies par
Shoghi Effendi pour travailler au Centre Mondial devaient assister a ces cinq
Conférences Intercontinentales en tant que ses représentants personnels. Deux
de ces Mains placeraient dans les fondations des Temples-Mères de Kampala et
de Sydney "une quantité de la terre bénie de l'intérieur du Mausolée de Baha'u'llah",
une quantité égale de cette même terre sacrée serait remise a Francfort a l'Assemblée
Spirituelle Nationale d'Allemagne et d'Autriche, en attendant le moment où elle
pourrait être placée dans les fondations du premier Mashriqu'l-Adhkar européen.
Une reproduction du portrait de Baha'u'llah et une boucle de ses précieux cheveux
seraient non seulement montrées aux participants des Conférences européenne,
africaine et australienne, mais elles seraient déposées auprès des Assemblées
Nationales de la région où ces grandes Maisons d'Adoration seraient érigées,
comme un don permanent et affectueux de leur Gardien. Le Gardien enverrait avec
la Main devant le représenter a la Conférence asiatique une autre reproduction
du Portrait de Baha'u'llah, mais cette reproduction retournera en Terre Sainte,
après la Conférence. Pour la Conférence de Chicago, le représentant du Gardien
montrera aux amis réunis, les reproductions des portraits du Bab et de Baha'u'llah
confiées précédemment a l'Assemblée Nationale d'Amérique. C'était les derniers
gestes d'amour que Shoghi Effendi pouvait manifester envers les croyants, cette
armée de fidèles sur laquelle il avait veillé, qui l'avait suivi infatigablement
pendant tant d'années historiques.
Lorsque des milliers de baha'is, venant de très nombreux pays, se rassemblèrent
en 1958, pour accomplir le désir et le projet de Shoghi Effendi, a ces cinq
Conférences Intercontinentales, ce n'était pas seulement avec des regrets qu'ils
fixèrent les portraits sacrés des Fondateurs de leur Foi, mais aussi avec des
coeurs tristes et des yeux pleins de larmes. Pourquoi avait-il, Celui devant
la gloire de qui ils se prosternaient, Celui dont ils avaient épousé les enseignements,
Celui dont ils fixaient maintenant la profondeur du regard, pourquoi avait-il
cru bon de retirer Son rejeton de parmi eux? Non seulement ils pleuraient leur
Gardien, mais ils se demandaient aussi où était le Gardiennat? C'était l'épreuve
suprême de la foi; Dieu avait donné et Dieu avait repris et "Il fait ce qui
Lui plaît. Il choisit; et personne ne peut discuter Son choix." Au Martyre du
Bab, il restait Baha'u'llah, a l'Ascension de Baha'u'llah, il restait Abdu'l-Baha;
après Abdu'l-Baha Shoghi Effendi restait. Mais maintenant? C'était comme si
une procession de Rois, bien que chacun fût différent, bien différent des autres,
avait passé et que la porte était fermée. Nous, les baha'is, nous regardions
la porte et nous nous demandions, comme des enfants dont les parents étaient
tués et disparus dans un séisme, nous nous demandions pourquoi la porte restait-elle
fermée?
Probablement a aucun autre moment de l'histoire, la profondeur de la racine
de la croyance qui lie les baha'is a leur religion ne sera mise a nu comme elle
le fut durant l'année qui suivit l'ascension de Shoghi Effendi.
Les baha'is plièrent sous le poids du chagrin et de l'inquiétude mais ne rompirent
pas. Le Gardien n'avait-il pas fixé ces cinq points de ralliement où les croyants
pouvaient se retrouver et se consoler mutuellement, recevoir les directives
des Mains de la Cause qui s'étaient levées pour terminer le Plan du Gardien
et permettre l'élection de la Maison Universelle de justice, divinement guidée?
Il est difficile d'imaginer comme le corps de la Foi a pu être affecté par la
mort soudaine et inattendue de son Chef bien-aimé. Le fait que les amis étaient
activement engagés dans l'exécution d'un Plan, le fait qu'a ces Conférences
cinq thèmes spécifiques devaient attirer particulièrement leur attention et
le fait qu'ils reçurent fréquemment des messages d'amour, de foi et d'encouragement
des Mains de la Cause, tout cela exerça une influence unificatrice sur les baha'is
du monde. La calamité même apporta a leur coeur, purifié par l'ondée de la douleur,
un nouveau courage assurant la conclusion triomphale du Plan. Très bien, ils
l'accompliraient! Ils le verraient couronné de succès en 1963! Un succès qui
aurait fait vibrer son coeur, et fait couler de sa plume ces avalanches de louanges
et de gratitudes si chèrement appréciées par les baha'is.
Aucun témoignage de la vérité et de la force de la Cause n'aurait pu être plus
grand que la conclusion triomphale de la Croisade Mondiale du Gardien, réalisée
par les croyants. Ce fut une tâche dure, écrasante. Que les baha'is l'aient
réalisée, que pendant plus de cinq ans ils aient travaillé et sacrifié plus
que jamais auparavant, sans sa direction, sans ses rappels, ses rapports, ses
merveilleuses images peintes dans ses messages, sans la connaissance qu'il était
la a la barre leur capitaine si chèrement aimé, les conduisant sûrement a la
victoire, ce n'est rien de moins qu'un miracle, et cela témoigne non seulement
de la solidité de la Cause, mais aussi de ces paroles du Maître: "Il y a une
puissance dans cette Cause, bien au dela de la portée des hommes et des anges.
"
La vie et la mort sont si étroitement liées qu'elles sont les deux moitiés d'une
pulsation cardiaque. Et pourtant, la mort ne nous paraît jamais réelle dans
le cours normal des événements. Qui donc s'attendait a la mort de Shoghi Effendi!
Il avait été en très bonne santé, ce dernier été. Mieux qu'il ne l'avait été
depuis longtemps.
Un fait que non seulement il mentionna lui-même, mais que son médecin constata
également, lorsqu'il l'examina quelques semaines avant son ascension. Personne
ne pouvait songer et ne songeait que le temps alloué au pendule intérieur de
son coeur touchait a sa fin. Les gens m'ont souvent demandé si je n'avais pas
noté quelque parole ou geste indiquant que la fin était proche. Ma réponse était
un non hésitant: si un terrible orage éclate soudain, alors que le temps est
au beau fixe, on peut plus tard penser qu'on a vu flotter un fétu de paille
dans le vent c'était un signe de mauvaise augure. Je me rappelle, en effet,
quelques rares choses qui auraient pu être significatives, mais certes elles
n'ont rien signifié pour moi, a l'époque. Je n'aurai jamais pu survivre a la
moindre prémonition de la mort du Gardien et je n'y ai survécu a la fin que
parce que je ne pouvais abandonner ni lui ni son oeuvre précieuse, une oeuvre
qui l'avait tué avant même que quiconque ait cru. que sa vie finirait.
L'un des buts du Plan de Dix Ans attribué au Centre Mondial, un but que le Gardien
s'était alloué a lui-même, était ce qu'il nommait la "codification des lois
et ordonnances du Kitab-iAqdas, le Livre-Mère de la Révélation Baha'ie". Tout
travail concernant un livre de cette importance qui était, déclara Shoghi Effendi,
avec le Testament d'Abdu'l-Baha, "le dépôt principal où sont enchâssés ces éléments
inestimables de la Civilisation Divine dont l'établissement est la mission première
de la Foi baha'i", tout travail concernant un tel livre ne pouvait être entrepris
convenablement que par le Chef de la Foi. Shoghi Effendi y travailla environ
trois semaines au printemps de 1957, avant son départ de Haïfa. J'étais souvent
assise dans la pièce pendant qu'il travaillait, lisant a haute voix et prenant
des notes. D'après ce qu'il me dit, je compris qu'il n'avait pas l'intention,
a l'époque, de faire une codification légale des clauses de l'Aqdas, mais plutôt
une compilation, mettant les sujets ensemble, de sorte que les baha'is comprennent
la nature des lois et ordonnances données par Baha'u'llah a ses adeptes. C'est
a cette époque que Shoghi Effendi déclara, plus d'une fois, qu'il ne se sentait
pas pouvoir finir cette tâche qu'il avait entreprise. Je n'attachais aucune
importance particulière a ces paroles, car il s'irritait parfois contre le poids
toujours plus lourd de son travail, et je les attribuais a sa grande fatigue
a la fin de ces longs mois exténuants de travail sans répit a Haïfa. Après sa
mort, je m'en rappelai et m'en étonnai.
Ce dernier été, il retourna voir ses paysages favoris dans les montagnes, je
m'en étonnai également après coup, mais sur l'heure j'étais seulement trop heureuse
de le voir heureux, oubliant pendant quelques instants fugaces les charges et
les tristesses de sa vie.
Au mois de novembre, avant de retourner a Haïfa, Shoghi Effendi se rendit a
Londres pour acheter quelques autres objets pour l'ameublement du bâtiment des
Archives, maintenant terminé. Il pensait transférer, a son retour, dans ce nouveau
bâtiment tous les éléments précieux et historiques qu'il avait réunis et qui
étaient exposés dans les six pièces des anciennes archives.
A cette époque une épidémie d'influenza sévissait en Europe et elle ne nous
épargna pas. Nous avions un excellent médecin. Le Gardien l'aimait et avait
confiance en lui. Notre cas n'était pas particulièrement sérieux, malgré une
très forte fièvre pendant quelques jours. Le médecin insista que le Gardien
ne quitte Londres qu'une semaine après la cessation de toute fièvre. Shoghi
Effendi y consentit. Malgré la fièvre, il lisait beaucoup au lit et s'occupait
de son courrier et de ses télégrammes. A aucun moment il ne fut frappé d'une
quelconque incapacité, mais il était simplement plus faible et sans appétit.
Une semaine après le début de l'influenza, il était occupé a travailler sur
sa dernière carte, celle qu'il appelait "le mi-parcours de la Croisade de Dix
Ans ". Il m'avait réclamé une grande table pour pouvoir la déployer, et pendant
des heures il y travaillait pour montrer l'état de la Croisade tout autour du
monde. Lorsque je lui reprochais de rester tant d'heures debout alors qu'il
était encore si fatigué et je le priais d'attendre quelques jours jusqu'à ce
qu'il se sente plus fort, il me répondait: "Non, je dois la terminer, elle me
tracasse. Il ne reste plus qu'a la vérifier. J'ai un ou deux noms a ajouter
que j'ai reçus avec ce courrier et je dois la finir aujourd'hui." Tout en travaillant,
il répéta une fois encore les mots que j'avais souvent entendus les années passées:
"Ce travail me tue! Comment pourrai-je le continuer? je vais être obligé de
m'arrêter. C'est trop. Regarde le nombre d'endroits que je dois marquer. Regarde
comme je dois être précis." A la fin de ce travail, il était fatigué; il alla
au lit où il s'assit pour lire. Son courrier était si volumineux qu'il fallait
qu'il y consacre plusieurs heures par jour, sinon il risquait de ne plus jamais
être a jour.
Mais les tensions et les pressions de sa vie avaient été trop nombreuses; et
le matin du 4 novembre, il eut une thrombose coronaire. La mort a dû l'approcher
si calmement, si soudainement, qu'il rendit l'âme sans même savoir qu'il montait
vers un autre royaume. Lorsque j'entrai dans sa chambre, le matin pour demander
de ses nouvelles, je ne compris pas qu'il était mort. Ses yeux était mi-clos,
sans aucune expression de douleur, d'alarme ou de surprise. Il était étendu
comme s'il était éveillé et pensait tranquillement a quelque chose, dans une
position confortable. Comme il a dû souffrir, lorsqu'il apprit soudain la mort
de son grand-père! Maintenant, il avait été doucement appelé et a était parti
rapidement le rejoindre. La souffrance et le choc étaient cette fois le lot
de quelqu'un d'autre.
Il me semblait, dans les profondeurs de mon agonie de ce jour terrible et noir,
que je ne pouvais faire a aucun baha'i ce qui m'avait été fait. Comment pouvais-je
télégraphier aux croyants que leur Gardien était monté au Royaume d'Abha? Que
dire des vieux, des malades et des faibles pour qui ces nouvelles seraient un
coup insupportable, ayant le même effet sur eux que la nouvelle de la mort du
bien-aimé Maître avait eu sur Shoghi Effendi et sur ma propre mère? C'était
pour cette raison que je télégraphiais immédiatement aux membres du Conseil
International Baha'i a Haifa: "Bien-aimé Gardien désespérément malade grippe
asiatique demander Leroy informer toutes Assemblées Nationales avertir croyants
supplier prières protection divine Foi." Je savais que quelques heures plus
tard je devrais envoyer un second télégramme leur disant toute la vérité. Mais
je me sentais poussée a envoyer celui-la d'abord, avec l'espoir d'amortir le
coup. Plus tard dans la journée, je télégraphiais a Haifa tous les détails demandant
d'en informer les Assemblées Nationales du monde. De telles nouvelles, je le
sentais, devaient partir du Centre Mondial:
"Shoghi Effendi bien-aimé de tous coeurs dépôt sacré croyants par Maître
décédé soudaine attaque coeur suite grippe asiatique. Presse croyants demeurer
fermes s'attacher institution Mains formée avec amour récemment renforcée importance
soulignée par bien-aimé Gardien. Seule unité coeur et buts peut convenablement
témoigner loyauté toutes Assemblées Nationales croyants Gardien disparu qui
se sacrifia si complètement au service Foi.
Ruhiyyih"
Le lendemain, le 5 novembre, un autre câble fut envoyé a toutes les Assemblées
Nationales, cette fois directement de Londres:
"Bien-aimé tous coeurs Précieux Gardien Cause Dieu éteint paisiblement
hier après grippe asiatique. Appelle Mains Assemblées Nationales Corps Auxiliaires
protéger croyants aider affronter suprême déchirante épreuve. Funérailles notre
bien-aimé Gardien samedi Londres Mains membres Assemblées corps auxiliaires
invités assister tout communiqué de presse devrait mentionner réunion Mains
sous peu Haifa fera déclaration au monde baha'i concernant plan futur. Recommande
organiser réunions commémoratives samedi.
Ruhiyyih"
L'océan de chagrin qui submergea les croyants du monde entier, a l'annonce de
cette nouvelle, était similaire a celui qui avait noyé le coeur des baha'is
trente six ans auparavant, lorsqu'ils perdirent leur Maître dans des circonstances
également soudaines, également accablantes. Les problèmes que posaient cet événement
étaient également sérieux. Selon les Lois de l'Aqdas - dont Shoghi Effendi était
le défenseur désigné - la distance entre le lieu de la mort et celui de l'inhumation
ne doit pas dépasser une heure de voyage. Je savais qu'il ne saurait être question
de violer cette loi et de ramener les restes de Shoghi Effendi en Terre Sainte.
Des dispositions furent donc prises pour inhumer le bien-aimé de nos coeurs
dans un cimetière près de Londres, un lieu beau et paisible, entouré d'arbres
et plein de chants d'oiseaux. Les obsèques furent fixées pour le samedi 9 novembre
a 10h.30. Londres devint l'aimant du monde baha'i. Des messages, des appels
téléphoniques et des croyants commencèrent a affluer vers le Haziratu'l-Quds
National, chacun apportant une nouvelle vague de douleurs et d'amour a la mer
houleuse des sentiments focalisés sur cette figure paisible immobile et enfin
libérée de toute responsabilité.
Mes pairs, les Mains de la Cause, furent les premiers a me rejoindre a la suite
de cette nouvelle fracassante. Immédiatement après les terribles événements
qui suivirent mon entrée dans la chambre de Shoghi Effendi, je me tournais vers
Hassan Balyuzi qui vivait a Londres. Il me joignit aussitôt, suivi de John Ferraby
qui vivait également dans cette ville. Cette nuit, Ugo Giaghery arriva de Rome
et de lendemain Milly Collins arriva de Haifa pour être a mes côtés, comme elle
l'a souvent été dans les heures où j'en avais le plus besoin.
Adelbert Mühlschlegel, une Main qui était en même temps médecin, a qui j'avais
demandé téléphoniquement s'il pouvait venir et laver les restes sacrés du Gardien,
était arrivé d'Allemagne avec Hermann Grossmann. Ces Mains partagèrent alors
ma charge et s'assurèrent que tout ce qui pouvait être fait pour montrer le
respect, la gratitude et l'amour qui débordaient du coeur de chaque croyant
sincère, serait fait. Les autres Mains arrivèrent les jours suivants, c'était
un réconfort infini pour moi, pour toutes les Mains et pour les croyants. La
veille des obsèques, nous, les Mains, nous nous réunimes pour choisir les textes
qui seraient lus le lendemain. Ce fut la première des nombreuses réunions des
Mains au cours de la Croisade, alors que le monde baha'i remportait victoire
sur victoire pour terminer finalement ce Plan de Shoghi Effendi par le triomphe
qu'il avait projeté et espéré.
Le jour du dernier adieu vint. Des centaines de croyants suivirent le cercueil
du Gardien en un cortège de plus de soixante voitures se dirigeant vers le Great
Northern Cimetery. Une foule de croyants attendait le cortège a la porte du
cimetière. Pratiquement toute la communauté britannique s'était réunie pour
rendre hommage au Gardien dont les restes allaient être confiés au sol de leur
terre natale choisie pour quelque raison mystérieuse, par Dieu a cet effet.
Devant la multitude debout, les têtes courbées, des visages ruisselant de larmes,
le premier char mortuaire plein de fleurs et le second char contenant le cercueil
de Shoghi Effendi passèrent, dans un silence impressionnant. Le service funèbre
fut célébré dans une chapelle du cimetière, un lieu simple, digne et n'appartenant
a aucune dénomination et qui était trop petit pour contenir tous les croyants.
La description que j'écrivis, et qui fut publiée dans Les derniers jours de
Shoghi Effendi quelques mois plus tard, relate mieux la suite des événements:
"Le Grand Gardien fut porté a l'intérieur de la chapelle et déposé sur le revêtement
de velours vert du catafalque. La chapelle était remplie de monde jusqu'aux
portes et beaucoup durent rester dehors. Tout le monde entendit debout la merveilleuse
prière révélée par Baha'u'llah pour les morts, qui fut chantée en arabe. Puis
des amis lurent, avec des voix splendides, en anglais et en persan, six autres
prières et extraits des enseignements; ces amis représentaient les baha'is d'Europe,
d'Afrique, d'Amérique et d'Asie (noirs, juifs et aryens).
Le cercueil fut ensuite porté au dehors, replacé sur le char mortuaire et conduit
lentement près de la tombe, a quelques centaines de mètres de la, suivi par
le solennel cortège des amis.
"Tandis que tous attendaient, debout et en silence, que le cercueil soit
descendu dans la tombe, Ruhiyyih Khanum ressentit la souffrance des coeurs autour
d'elle s'ajouter a sa propre et profonde douleur. Il était leur Gardien. Il
disparaissait a jamais de leurs yeux, enlevé brusquement par l'immuable décret
de Dieu dont nul n'oserait discuter la Volonté. Ils ne l'avaient pas vu, ils
n'avaient pu l'approcher. Ruhiyyih Khanum résolut de faire annoncer que les
amis qui le désiraient pouvaient défiler devant le cercueil pour rendre hommage.
Pendant plus de deux heures, les croyants venus de l'Orient et de l'Occident
défilèrent. La plupart d'entre eux s'agenouillèrent, posant leur lèvres sur
le bord ou la poignée du cercueil.
En vérité, on vit rarement dans l'histoire une telle démonstration d'amour et
de douleur. Les enfants, près de leur mère, inclinaient leur petite tête; des
hommes âgés pleuraient; la réserve inaltérable des Anglo-Saxons dont la tradition
est de ne jamais montrer ses sentiments en public, fondait sous la douleur brûlante
de leur coeur. La matinée avait été belle et ensoleillée; maintenant une ondée
légère commençait a tomber, répandant quelques gouttes d'eau sur le cercueil,
comme si la nature elle aussi était soudainement émue jusqu'aux larmes. Quelques
amis répandirent vers la tête du cercueil de petits flacons d'essence de rose
de Perse et quelqu'un, d'une main incertaine, posa dessus une rose rouge, symbole
probable de son propre coeur. Un autre ne put supporter ces quelques gouttes
de pluie tombées sur ce visage béni caché des regards, et il les essuya en s'agenouillant.
D'autres emportèrent dans leurs doigts crispés un peu de la terre proche du
cercueil. Ce furent des larmes, des larmes et des baisers, et de solennels serments
intérieurs prononcés devant le cercueil de celui qui s'était toujours qualifié
lui-même de "vrai frère". Lorsque le dernier croyant de ce cortège accablé par
la douleur eut défilé, Ruhiyyih Khanum s'approcha du cercueil, y posa les lèvres
et resta agenouillée en prière pendant un moment. Elle le recouvrit ensuite
du drap vert, posa dessus le tapis de brocart bleu et or provenant de l'intérieur
du Tombeau de Baha'u'llah, et disposa sur toute la longueur les fleurs de jasmin
encore odorantes. Alors les restes mortels de celui qu'Abdu'l-Baha désigna comme
'La perle unique et inestimable qui étincelle d'entre les flots houleux des
deux Mers Jumelles' furent lentement descendus dans le caveau aux parois recouvertes
de rameaux verts piqués de fleurs, pour reposer sur la carpette provenant du
Tombeau sacré de Bahji."
C'est avec de tels hommages et dans un tel esprit, que les baha'is portèrent
a leur dernière demeure, les restes du petit-fils béni d'Abdu'l-Baha.
Tout au long des obsèques reposait sur son cercueil une grande gerbe de fleurs
rouges et blanches que j'avais commandée, et sur laquelle j'avais mis une carte
qui exprimait, me semble-t-il, les sentiments de ceux qui seuls avaient le droit
de partager ce bouclier parfumé reposant sur son corps: "de la part de Ruhiyyih
et de tous ceux qui tu as aimés et qui aiment dans le monde entier, de tout
leur coeur déchiré." Quand le caveau fut scellé, cette gerbe resta sur la tombe;
et pareilles a des vagues d'une mer multicolore, des milliers et des milliers
de fleurs que les baha'is de toutes les parties du monde avaient apportées ou
commandées, l'entourèrent, couvrant complètement toute la surface autour de
la tombe.
A la fin des obsèques on informa le monde baha'i et on demanda aux croyants
de tenir des réunions appropriées:
"Bien-aimé Gardien repose Londres selon lois Aqdas dans le lieu admirable
après cérémonie impressionnante tenue présence multitude croyants représentant
plus de vingt cinq pays est-ouest. Médecins assurèrent décès soudain entraîna
aucune souffrance visage béni portait expression beauté majesté paix infinies.
Dix huit Mains réunies obsèques pressent Corps Nationaux demander tous croyants
tenir réunions souvenir dix huit novembre commémorant aube direction divine
qui nous a abandonnés après trente-six ans sacrifice total labeurs sans fin
vigilance constante.
Ruhiyyih"
En 1958, Son tombeau fut construit en marbre blanc de Carrare, celui-la même
qu'il avait choisi pour les monuments de ses parents illustres a Haïfa. C'est
un tombeau simple comme il l'aurait aimé. Une seule colonne de marbre, couronnée
par un chapiteau de Corinthe, surmonté d'un globe, la carte de l'Afrique sur
sa face avant (les victoires remportées en Afrique n'avaientelles pas été la
plus grande joie des dernières années de sa vie?) et sur ce globe se trouve
un grand aigle en bronze doré, une reproduction d'une belle sculpture japonaise
qu'il admirait beaucoup et qu'il avait placée dans sa propre chambre. Aucun
autre emblème que ce symbole de la victoire ne pouvait mieux convenir pour la
dernière demeure de celui qui avait remporté tant de victoires tandis qu'il
conduisait les armées conquérantes des adeptes de Baha'u'llah sur les cinq continents.
Ayant accompli, avec un courage indomptable face aux épreuves, la laborieuse
tâche de fixer le modèle, de poser les fondations, d'ériger les rouages et de
mettre en application l'Ordre Administratif", pour employer les propres paroles
du Gardien, ayant propagé et établi tout autour de la terre la Cause de Dieu
par la mise en application du Plan Divin d'Abdu'l-Baha, ayant guidé, par son
esprit combinant si admirablement l'audace et la sobriété, la Foi de Baha'u'llah
vers les hauteurs jamais atteintes auparavant, ayant porté l'oeuvre que Son
Seigneur lui avait confiée aussi en avant que sa force défaillante le lui permit,
portant les cicatrices d'innombrables attaques personnelles subies tout au long
de son ministère, Shoghi Effendi quitta la scène. Le Gardien, celui qui est
nommé dans le Testament du Maître la "première branche de l'Arbre Divin et Sacré",
restait a jamais profondément enraciné dans les coeurs des croyants. Et bienheureux,
en vérité "celui qui cherche l'abri de son ombre qui s'étend a toute l'humanité".