La révélation de Baha'u'llah
Volume 1
Baghdad 1853-1863

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1. LA NAISSANCE DE LA RÉVÉLATION

Une révélation, infiniment précieuse, divinement ordonnée, glorieuse dans son essence, dramatique par les circonstances de sa naissance, majestueuse par la personne de son Porteur, distinguée par l'universalité de son message et incomparablement riche par la multitude de ses écrits, fut octroyée à l'humanité, il y a un peu plus de cent ans par Baha'u'llah, la Manifestation de Dieu pour cette époque. Sa lumière jaillit sur le monde, inaperçue par la vaste majorité de l'humanité, depuis les confins d'une prison souterraine, sombre et pestilentielle, le Siyah Chal de Téhéran. Là, Baha'u'llah fut emprisonné durant les derniers mois de 1852, en compagnie d'une poignée de disciples du Bab et entouré de plus de cent cinquante criminels et assassins.

Baha'u'llah, de son nom Mirza Husayn-'Ali, était noble et natif de la province de Nur en Perse. Un grand érudit baha'i, Mirza Abu'l-Fadl, après avoir fait des recherches historiques approfondies, a établi que Baha'u'llah est descendant de Zoroastre et des rois sassanides de Perse. Sa venue réalise ainsi certaines traditions disant que le grand rédempteur de l'humanité serait d'une pure lignée persane. Baha'u'llah est aussi descendant d'Abraham par sa troisième femme Keturah. Il réunit ainsi en lui les deux branches des religions arienne et sémitique. Il naquit à Téhéran en 1817 et son père Mirza 'Abbas, connu dans les cercles royaux sous le nom de Mirza Buzurg appartenait à la cour du chah.

Environ neuf ans avant son emprisonnement au Siyah Chal, Baha'u'llah reçut, par l'entremise d'un envoyé spécial, un message du Bab (Siyyid 'Ali Muhammad 1819-1850), ce dernier affirmait être le héraut de cette manifestation universelle de Dieu prédit par les religions révélées du monde. Peu de temps après, Baha'u'llah se leva pour promouvoir la cause du Bab, tout d'abord parmi sa famille et ses amis proches de la province de Nur, puis à d'autres personnes. Beaucoup d'entre eux acceptèrent le Bab et devinrent actifs dans la diffusion de son message. Parmi ceux-là, se trouvaient quelques-uns des oncles, tantes, frères, soeurs et cousins de Baha'u'llah, ainsi que certains notables et ecclésiastiques de Nur. Par la suite, beaucoup d'entre eux furent martyrisés.

La force et le rayonnement d'une nouvelle Foi se trouvaient maintenant ajoutés aux nobles qualités et vertus qui avant la naissance de la révélation babie, avaient distingué Baha'u'llah durant sa vie. Inévitablement, il attirait, ainsi, l'attention publique. Sa connaissance innée, sa vue intérieure et sa sagesse, sa foi invincible, son soutien ouvert à la cause du Bab, son éloquence irrésistible lorsqu'il exposait la Foi nouveau-née à des groupes d'ecclésiastiques érudits et au public, ainsi que son ingéniosité, son jugement pénétrant et son commandement effacé et pourtant effectif de la communauté babie pendant l'emprisonnement du Bab et après son martyre - tout ceci lui apporta l'adoration et le respect de cette communauté. Ses compagnons l'estimaient tellement qu'ils s'abstenaient même de prononcer son nom et parlaient de lui à la forme plurielle. À la conférence de Badasht il fut appelé Jinab'i'Baha [Nota: "Son excellence Baha"], un titre que le Bab confirma par la suite.

La vénération qu'on lui témoignait s'ajoutant à la proclamation ouverte de la cause du Bab, provoqua l'opposition des ennemis qui l'avaient déjà persécuté en de nombreuses occasions et qui n'attendaient maintenant qu'une excuse, pour l'emprisonner dans le Siyah Chal. Celle-ci fut d'ailleurs fournie par l'attentat sur la vie du chah par quelques babis irresponsables, il fut arrêté et forcé de marcher entre Niyavaran et Téhéran, devant les cavaliers royaux et à leur cadence, une distance d'approximativement quinze miles, dans la chaleur brûlante d'un jour d'été, pieds nus et enchaînés. Pour l'humilier encore plus, ceux-ci lui ôtèrent son chapeau. À cette époque, le chapeau était le symbole même de la dignité d'un homme.

Le Siyah Chal (fosse noire) n'était pas une prison ordinaire, mais une énorme fosse en sous-sol qui avait un temps servi de réservoir à l'un des bains publics de la ville et qui ne possédait qu'une seule entrée. Celle-ci était située au centre de Téhéran, proche d'un des palais du chah et adjacent à la Sabzih-Maydan, lieu de l'exécution des sept martyrs de Téhéran. Cette prison était occupée par de nombreux prisonniers, certains d'entre eux n'avaient ni vêtements ni couchage. Son atmosphère était humide et sombre, son air était fétide et plein d'odeurs immondes, son sol était mouillé et jonché d'ordures. Ces conditions égalaient les brutalités des gardes et des fonctionnaires envers les victimes babies qui étaient enchaînées ensemble dans ce lieu lugubre. Les célèbres chaînes Qara-Guhar et Salasil, dont l'une des deux, constamment placée autour du cou de Baha'u'llah, lui entailla la chair et laissa des marques sur son corps béni jusqu'à la fin de sa vie. Elles étaient si lourdes qu'une fourche spéciale en bois, était fournie pour soutenir leur poids[Qara-Guhar était plus lourde que Salasil, elle pesait à peu près dix-sept 'man' soit cinquante et un kilos].

Grâce à la gentillesse de l'un des fonctionnaires de la prison qui était amical envers Baha'u'llah, son fils aîné, 'Abdu'l-Baha, alors âgé de neuf ans fut amené un jour pour rendre visite à son père dans le Siyah Chal [D'après le calendrier lunaire, Abdu'lbaha est né le 23 mai 1844 et était dans sa neuvième année]. À peine eut-il descendu la moitié de l'escalier, que Baha'u'llah le vit et ordonna que l'on fasse immédiatement sortir l'enfant. Il fut autorisé à attendre dans la cour de la prison jusqu'à l'heure de midi, heure à laquelle les prisonniers avaient la permission de sortir une heure à l'air frais. Lorsque 'Abdu'l-Baha vit son Père, il était enchaîné et attaché à son neveu Mirza Mahmud. Il marchait avec beaucoup de difficultés, sa barbe et ses cheveux n'étaient pas entretenus, son cou meurtri et gonflé à cause de la pression de l'acier du lourd collier, et son dos était courbé avec le poids de la chaîne. Le voyant ainsi Abdu'l-Baha s'évanouit et, fut porté chez lui inconscient.

Le sort de Mirza Mahmud fut tragique. En dépit des nombreuses faveurs que Baha'u'llah lui avait prodiguées et l'unique honneur qui était le sien, de partager la même chaîne que Baha'u'llah, il le trahit quelques années plus tard en rejoignant son demi-frère Mirza Yahya, le briseur de l'Alliance du Bab et l'archi-ennemi de Baha'u'llah.

En même temps qu'il respirait l'air nauséabond du Siyah-Chal, les pieds entravés et la tête courbée par le poids de la lourde chaîne, Baha'u'llah reçut, la première annonce de son rang de suprême Manifestation de Dieu ainsi qu'il l'a attesté dans l'Épître au Fils du Loup. C'était lui dont la venue avait été prédite par les prophètes du passé en termes tels que: "la réincarnation de Krishna", "le cinquième Bouddha", "Shah Bahram", le "Seigneur des armées", le Christ revenu "dans la gloire du Père", et par le Bab comme "Celui que Dieu rendra manifeste". Voici les paroles de Baha'u'llah pour décrire cette première expérience du "Plus-Grand-Esprit" (*) s'éveillant dans son âme:

"Pendant les jours où j'étais confiné dans la prison de Téhéran, quoique le poids irritant des chaînes et l'air empesté m'aient laissé peu de sommeil, il me semblait que, dans ces rares moments d'assoupissement, quelque chose s'écoulait du sommet de ma tête sur ma poitrine, comme un puissant torrent se précipite sur la terre provenant du sommet d'une montagne élevée. Alors, tous mes membres prenaient feu, et à ces moments-là ma langue prononçait des paroles qu'aucun homme ne pourrait supporter d'entendre. (1)"

(*) Nota: Les Manifestations de Dieu se sont servies de différents termes pour décrire le moment où l'Esprit de Dieu pénétrait en eux. Dans la chrétienté, on se sert du terme "Saint Esprit" tandis que Baha'u'llah le désigne comme le "Très-Grand-Esprit", signifiant ainsi la révélation de Dieu dans sa plénitude

Tandis que Baha'u'llah était confiné dans la prison de Téhéran, Nasiri'd-Din Shah ordonna à son Premier ministre, Mirza Aqa Khan, d'envoyer des troupes dans la province de Nur pour arrêter les disciples du Bab qui s'y trouvaient. Le Premier ministre - qui était aussi un natif de Nur et apparenté à Baha'u'llah par le mariage de sa nièce à Mirza Muhammad-Hasan, son demi-frère - essaya vainement de protéger les parents de Baha'u'llah à Nur.

Les propriétés de Baha'u'llah furent confisquées par le Chah et sa maison de Nur fut rasée jusqu'au sol. Le Premier ministre usa même de l'avantage de sa situation et, sans dédommagement, transféra les actes de quelques-unes des propriétés de Baha'u'llah à son nom. La luxueuse maison de Baha'u'llah à Téhéran fut pillée et son mobilier de valeur dérobé. Quelques pièces uniques tombèrent entre les mains du Premier ministre ainsi que beaucoup d'autres de grande valeur. Parmi celles-ci se trouvait une partie d'une épître écrite sur cuir par l'Imam 'Ali, le successeur de Muhammad ; cette oeuvre qui avait plus de mille ans était inestimable. Et aussi un rare manuscrit des poèmes de Hafez transcrit par un célèbre calligraphe [Muhammad Shah était très intéressé à posséder ce manuscrit, mais lorsqu'il apprit que pour chacun des douze mille versets, il devrait payer un souverain en or, il abandonna vite l'idée]

Bien que la plupart des babis fussent l'un après l'autre amenés en prison, puis martyrisés sur la place du marché Sabzih-Maydan qui était adjacent, la vie de Baha'u'llah fut providentiellement épargnée. Il fut relâché après quatre mois, mais reçut l'ordre de quitter la Perse endéans le mois.


2. EXIL DE BAHA'U'LLAH

Lorsque dépouillé de ses possessions, Baha'u'llah sortit de prison, son dos courbé par le poids des entraves, son cou gonflé et blessé et sa santé détériorée, il n'annonça à personne la révélation divine dont il avait fait l'expérience. Il était pourtant impossible à ceux qui étaient proches de lui de ne pas discerner en lui une transformation de l'esprit, une force et un rayonnement jamais remarqués auparavant.

L'extrait qui suit provient de la chronique verbale de la Très-Sainte-Feuille, la fille de Baha'u'llah, racontant ses impressions au moment de la libération de son père du Siyah-Chal:

"Jamal-i-Mubarak (*) a eu en prison, une merveilleuse expérience divine.
Nous vîmes un nouveau rayonnement semblant l'envelopper tel un vêtement brillant, des années plus tard nous apprîmes sa signification. À ce moment-là, nous étions uniquement conscients du phénomène, sans comprendre, ou même sans être mis au courant de l'événement sacré. (1)"
(*) Nota: Littéralement, la Beauté bénie. Se réfère à Baha'u'llah.

Baha'u'llah passa le mois précédent son exil dans la maison de son demi-frère Mirza Rida-Quli, un médecin. Ce dernier n'était pas croyant, bien que sa femme Maryam, une cousine de Baha'u'llah, eût au début de la Foi été convertie par lui et qu'elle était au sein de la famille l'une de ses disciples les plus sincères et les plus fidèles. Maryam et Asiyih Khanum, la femme de Baha'u'llah, le soignèrent avec beaucoup de soin et d'affection jusqu'à ce que sa santé s'améliore et, bien que pas complètement rétabli, il eût repris assez de force pour pouvoir quitter Téhéran pour l'Irak.

Tout au long de son exil, Baha'u'llah se remémora souvent la loyauté et le dévouement de Maryam et répandit sa générosité et ses bénédictions sur elle. Il lui adressa d'Irak, quelques épîtres appelées Alwah-i-Maryam. Elles sont uniques par leur ton et par l'émotion qu'elles dégagent. Dans un langage à la fois émouvant et tendre, il épanche son coeur et raconte les afflictions accumulées sur lui par certains de ses parents et amis infidèles se trouvant dans la communauté.

"Les maux dont j'ai souffert ont effacé de la tablette de la création les torts endurés par mon premier nom (le Bab)… Ô Maryam ! depuis la terre de Ta (Téhéran) après des afflictions sans nombre, nous atteignîmes l'Irak, sur l'ordre du Tyran de la Perse (*), et là, après les entraves de nos ennemis, nous fûmes affligé par la traîtrise de nos amis. Dieu sait ce qui m'est arrivé par la suite !… J'ai supporté ce qu'aucun homme, ni dans le passé ni dans l'avenir, n'a jamais supporté ni ne supportera jamais. (2)"
(*) Nota: Nasiri'd-Din Shah.

Maryam était dévouée à la cause de Baha'u'llah. Elle était impatiente d'être à nouveau en présence de son Seigneur, mais certains membres de la famille qui étaient peu favorables à la Foi l'empêchèrent de quitter la maison, déçue elle mourut de tristesse. Baha'u'llah fut très bienveillant envers Maryam pendant toute sa vie, il l'honora du titre "Feuille pourpre" et, après sa mort, révéla en sa mémoire une prière de souvenance spéciale.

Baha'u'llah quitta Téhéran pour l'Irak le 12 janvier 1853. Parmi ceux qui l'accompagnaient dans son exil, il y avait son fils aîné, 'Abbas âgé de neuf ans, qui plus tard prit le titre de 'Abdu'l-Baha (serviteur de Baha). Ce dernier avait une telle vue spirituelle intérieure que, petit garçon, il reconnut intuitivement le rang de son Père. Baha'u'llah l'estimait tellement qu'à Bagdad, il avait l'habitude de s'adresser à lui, même lorsqu'il était adolescent, en l'appelant le Maître, titre dont Baha'u'llah, lorsqu'il était à Téhéran, se servait aussi pour appeler son propre père. Plus tard, il conféra à 'Abdu'l-Baha des titres aussi exaltés que "La Plus-Grande-Branche", le "Mystère de Dieu", "l'Agneau de la loi de Dieu" et "Celui autour duquel gravitent tous les noms". Il peut être considéré, après la révélation elle-même, comme étant le plus précieux don de Baha'u'llah à l'humanité. Il était destiné à succéder à son Père comme Centre de l'alliance, la cause de Dieu lui étant totalement confiée et il devint, après l'ascension de Baha'u'llah, la source des énergies spirituelles dispensées par Baha'u'llah pour la revivification de l'humanité.

Baha'iyyih Khanum, appelée Varaqiy-i-'Ulya (La Très-Sainte-Feuille) sa fille de 6 ans, était un autre membre de la Sainte Famille qui accompagna Baha'u'llah dans son voyage. Elle occupe une position unique dans la révélation baha'ie, elle est aussi considérée comme la femme la plus remarquable de cet âge. Sa vie fut tellement emplie d'épreuves et de tribulations, que très peu de membres de la Sainte Famille n'endurèrent jamais une adversité comparable avec autant de résignation et de détermination. Aux souffrances qu'elle éprouvait à cause de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha, furent ajoutées la tristesse et l'angoisse qu'elle ressentait pour les atrocités qui leur étaient infligées. Aucun mot ne peut exprimer correctement le degré de dévouement avec lequel cette Feuille exaltée (*) du Paradis d'Abha servit Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha.
(*) Nota: Varaqih (Feuille) une désignation féminine dont se servait Baha'u'llah pour ses parentes les plus proches, bien qu'occasionnellement il ait conféré ce titre à quelqu'un en dehors de sa famille.

La Très-Sainte-Feuille renonça à l'idée de mariage pour pouvoir être libre de servir son Père. Au cours des ans, par la persévérance et la puissance de sa foi, elle arriva à alléger certaines des épreuves auxquelles Baha'u'llah et la Sainte Famille étaient soumis. Durant sa vie, elle refléta les mêmes qualités et attributs qui distinguent son illustre frère 'Abdu'l-Baha, l'Exemple de la foi de Baha'u'llah.

La Très-Sainte-Feuille joua un rôle unique dans le développement de la Foi de son Père. Après l'ascension de 'Abdu'l-Baha, ce fut la Très-Sainte-Feuille qui, à un âge avancé, tint dans ses mains capables les rênes de la Cause de Baha'u'llah pendant une courte période et qui rallia les croyants autour de Shoghi Effendi qui avait été nommé par 'Abdu'l-Baha, Gardien de la cause. Elle mourut en 1932 et est enterrée près du mausolée du Bab sur le Mont Carmel.

Parmi les personnes qui accompagnaient Baha'u'llah, il y avait aussi sa femme Asiyih Khanum, surnommée Navvab et désignée par la plume de Baha'u'llah comme "la Feuille la plus exaltée". Navvab était la fille d'un noble, Mirza Isma'il-i-Vazir. Elle était d'une nature compatissante et affectueuse et était dotée des qualités les plus nobles. Sa fille, la Très-Sainte-Feuille, l'a décrite en ces termes:

"… Dans mes premiers souvenirs, je pense toujours à elle, si royale dans sa dignité et sa beauté, pleine de considération pour chacun, douce, d'une merveilleuse abnégation, toutes ses actions montrant l'affectueuse bonté de son coeur pur ; sa présence même semblait créer une atmosphère d'amour et de bonheur partout où elle allait, enveloppant chaque arrivant dans le parfum d'une tendre courtoisie. (3)"

Sa foi en Baha'u'llah, qu'elle considérait comme son Seigneur, était ferme et inébranlable. Dans le sentier de son amour, elle souffrit avec résignation et patience les agonies et les épreuves de quatre exils successifs. Baha'u'llah, en 1303 AH (vers 1886) dans une de ses tablettes révélées après sa mort, lui accorda l'unique distinction d'être "son épouse éternelle dans tous les royaumes de Dieu".

Deux autres personnes eurent, à cause de leur amour pour lui, le plus grand désir d'accompagner Baha'u'llah en exil. Ce furent, son plus jeune frère, Mirza Musa surnommé par la plume de Baha'u'llah Aqay-i-Kalim et le plus jeune demi-frère qui était encore adolescent Mirza Muhammad-Quli. Les deux frères restèrent avec lui et partagèrent, d'un pays à l'autre, les épreuves d'un bannissement répété.

Aqay-i-Kalim dont le coeur s'éveilla à cette occasion historique lorsque l'envoyé du Bab délivra son message à Baha'u'llah, était le plus loyal de ses frères, un soutien de confiance, ferme dans sa foi et infatigable dans ses efforts pour abriter et protéger Baha'u'llah. Il représentait fréquemment Baha'u'llah auprès des ministres, fonctionnaires du gouvernement, notables et ecclésiastiques, jusqu'à ce que 'Abdu'l-Baha lui-même puisse assumer de telles fonctions. Sa vie de service et de dévouement le porta à un rang élevé parmi les apôtres de Baha'u'llah.

L'autre frère, Mirza Muhammad-Quli, n'avait que sept ans de plus que 'Abdu'l-Baha. Dès son enfance, il avait développé un très fort attachement pour Baha'u'llah, car leur père était mort peu de temps après sa naissance et par conséquent, il fut élevé par Baha'u'llah. Il était d'un tempérament calme et d'une nature affectueuse et, pendant toute sa vie, demeura un serviteur sincère au seuil de son illustre frère. Il reçut l'honneur de monter la tente de Baha'u'llah sur la route de Bagdad à Constantinople, ainsi qu'à d'autres occasions et servait souvent le thé en sa présence.

Quant aux huit autres frères [Nota: L'un d'entre eux était issu d'un précédent mariage de la mère de Baha'u'llah] de Baha'u'llah, seul l'un d'eux, Mirza Muhammad-Hasan, qui était plus âgé que Baha'u'llah qui le tenait en haute estime, demeura un disciple loyal. Les autres, à l'exception de Mirza Yahya, qui devint l'archi-briseur de l'alliance du Bab et grand ennemi de Baha'u'llah, étaient morts soit avant les révélations du Bab et de Baha'u'llah, ou ne furent pas touchés par la lumière de la foi nouveau-née de Dieu.

Le voyage jusqu'à Bagdad, entrepris à travers les montagnes enneigées de la Perse occidentale au milieu d'un rude hiver, infligea de nombreuses épreuves et souffrances aux exilés. Baha'u'llah resta près de dix ans en Irak, passant deux années seul dans le désert du Kurdistan et le reste du temps à Bagdad.

Les ennemis de Baha'u'llah, parmi lesquels se trouvait le consul général à Bagdad et certains religieux réussirent finalement à le faire bannir à nouveau. Suite aux démarches faites par le gouvernement persan auprès du gouvernement ottoman, le sultan émit un décret et Baha'u'llah fut convié à Constantinople. À la veille de son départ d'Irak, en 1863, hors de la cité de Bagdad, Baha'u'llah déclara son rang à ses compagnons, il était "Celui que Dieu rendra manifeste", annoncé par le Bab et attendu par ses disciples.

Après avoir passé cinq mois dans la capitale de l'Empire ottoman, ses ennemis cherchèrent à nouveau à le faire bannir. Ils réussirent et il fut envoyé à Andrinople, une ville qu'il appela "la Prison lointaine". Là, le Soleil de sa révélation s'éleva à son zénith et il proclama son message pour le monde entier. Après avoir enduré dans cette ville cinq années de tribulations, Baha'u'llah fut finalement exilé dans la prison-cité d'Acre en Terre sainte.

Les dernières vingt-quatre années du ministère de Baha'u'llah furent passées en partie à Acre et en partie dans la campagne environnante. Les souffrances qu'il avait endurées pendant les neuf premières années de son incarcération à l'intérieur des murs d'Acre furent si cruelles que, comme le fait remarquer Baha'u'llah dans une de ses épîtres, "à notre arrivée en ce lieu, nous avons décidé de l'appeler "la Plus Grande Prison". Bien que, dans une autre contrée (Téhéran), nous ayons été enchaîné et chargé de fers. Nous nous sommes pourtant refusé à la désigner par ce nom." (4)



3. LE VERBE DE DIEU

Le ministère de Baha'u'llah se caractérise par deux traits principaux qui sont sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Premièrement, les souffrances et les persécutions qui lui furent infligées et deuxièmement la grandeur de sa révélation. Le contraste entre la lumière et l'obscurité, la majesté et la captivité, la gloire et l'abaissement se retrouvent à travers tout son ministère. L'histoire de sa vie peut être décrite comme un livre dont les pages sont assombries par les cruautés qui lui furent infligées des mains d'une génération perverse, mais dont les lettres brillent des splendeurs de la révélation de Dieu, déversant leur éclat sur un monde enveloppé dans l'ignorance et le préjugé.

Les énergies spirituelles latentes à l'intérieur de cette puissante révélation furent libérées par Baha'u'llah durant les quarante années de son ministère. Elles étaient destinées à revitaliser l'espèce humaine tout entière et à créer la civilisation divine annoncée par les précédents messagers comme étant "l'avènement du Royaume de Dieu sur terre". Le véhicule de ces énergies est le Verbe de Dieu qu'il a révélé pour cette époque. Ce Verbe n'est pas le fruit de l'érudition ou de la connaissance, car l'éducation de Baha'u'llah était élémentaire, mais l'émanation du Saint Esprit.


a) Le Verbe de Dieu est indépendant de la connaissance acquise

En Perse au dix-neuvième siècle, la plupart des gens étaient illettrés et sous la domination du clergé auquel ils obéissaient aveuglément. Il y avait deux catégories de gens qui étaient éduqués, les ecclésiastiques et les fonctionnaires du gouvernement ainsi qu'un petit nombre d'autres personnes. Mais seuls les chefs religieux et les ecclésiastiques pouvaient êtres considérés comme étant érudits. Ils passaient des dizaines d'années de leur vie à étudier la théologie, les lois islamiques, la jurisprudence, la philosophie, la médecine, l'astronomie et par-dessus tout la langue arabe et sa littérature. Comme l'arabe est la langue du Coran, les ecclésiastiques attachaient une extrême importance à son étude. Nombreux étaient ceux qui passaient une vie à essayer de maîtriser cette langue pour son immense portée et sa richesse d'expression. Ils ne considéraient aucun traité digne d'être lu à moins qu'il ne soit composé ou écrit en arabe, et aucun sermon du haut d'une chaire n'était émouvant ou éloquent à moins que le mulla [nota: Religieux musulman] dans son prêche n'ait inclus une abondance de mots arabes difficiles et très souvent incompréhensibles. Par ces moyens, ils enthousiasmaient l'imagination de leur auditoire, la plupart du temps illettré, mais fasciné par l'érudition apparente dans le discours du clergé, en dépit du fait qu'il n'en comprenait pas un seul mot. Le point de référence normal pour déterminer le degré d'érudition d'un homme étant sa connaissance de l'arabe et la taille de son turban !

La deuxième catégorie comprenait les fonctionnaires du gouvernement, les employés et quelques marchands qui avaient reçu quelques éléments d'éducation dans leur enfance. Cela consistait à lire et à écrire, à calligraphier et à étudier le Coran ainsi que des oeuvres de quelques célèbres poètes persans. Tout cela étant en général accompli dans l'espace de quelques années, après quoi, comme le voulait la coutume, ils se mariaient, toujours dans leur adolescence.

C'était à cette catégorie qu'appartenait Baha'u'llah. Son père, haut dignitaire à la cour du Chah, était un calligraphe renommé - cet art procurait un grand prestige dans les cercles royaux. Baha'u'llah, enfant, reçut une éducation simple et ce pendant une brève période de temps. Comme son père, il excellait en calligraphie. Quelques spécimens de son écriture parfaite se trouvent dans le bâtiment des archives internationales baha'ies sur le mont Carmel.

Lorsque Baha'u'llah approcha de ses dix-neuf ans, il se maria avec une dame de noble descendance, Asiyih Khanum. Elle lui donna sept enfants dont trois survécurent - 'Abdu'l-Baha, la Très-Sainte-Feuille et Mirza Mihdi, la Branche la plus pure.

À cette époque, les fonctionnaires du gouvernement profitaient de tous les avantages d'un régime totalitaire et ils étaient agressifs et arrogants. Ces hommes pouvaient, par leur présence même, terrifier les gens innocents. C'est pour cette raison que beaucoup de ceux qui rencontrèrent Baha'u'llah dans sa jeunesse étaient surpris de voir que celui dont le père avait une position si élevée à la cour du Chah et qui était lui-même tenu en grande estime par tous les courtisans et spécialement par le Premier ministre, était, au contraire, l'incarnation de l'amour et de la compassion, alors que l'on s'attendait à ce qu'il ait une vie de dominateur et de tyran. Pour les orphelins, il était un tendre père, pour les opprimés un soutien et pour les pauvres et ceux qui étaient dans le besoin un havre et un refuge. Ces qualités célestes qu'il manifestait depuis son enfance faisaient de lui l'objet de l'adoration et de l'amour de tous ceux qui entendaient son nom et venaient au contact de sa vibrante personnalité.

Bien que, dans cette société, les fonctionnaires du gouvernement exerçassent l'autorité, le tout puissant clergé considérait néanmoins ces hommes comme des êtres inférieurs, indignes de pénétrer avec eux dans les royaumes de la connaissance et de l'érudition. Pourtant à différentes occasions, Baha'u'llah avait en présence des ecclésiastiques, exposé avec simplicité et éloquence les traditions abstruses et mystérieuses de l'islam. Ces derniers étaient étonnés par l'ampleur de sa connaissance et la profondeur de ses paroles.

La révélation du Verbe de Dieu n'a jamais été dépendante de la connaissance acquise. Dans la plupart des cas, les Porteurs du message de Dieu étaient dépourvus d'érudition. Moïse et le Christ n'étaient pas des hommes érudits. Muhammad n'avait pas reçu d'instruction, mais lorsque la révélation divine lui vint, il exprima les paroles de Dieu. Parfois, ses paroles étaient immédiatement écrites par l'un de ses disciples et d'autrefois les paroles étaient mémorisées et écrites plus tard. Le Bab et Baha'u'llah avaient reçu une éducation élémentaire, pourtant leur connaissance, qui provenait de Dieu, était innée et englobait toute l'humanité.

Dans l'une de ses épîtres connue sous le nom de Lawh-i-Hikmat (épître de sagesse), qui contient quelques-uns de ses conseils et de ses exhortations les plus précieux concernant la conduite individuelle, Baha'u'llah, exposant certaines croyances de base des philosophes de l'ancienne Grèce, déclara qu'il n'était allé dans aucune école et qu'il n'avait acquis aucune connaissance humaine. Pourtant, la connaissance de tout ce qui est, affirma-t-il, lui avait été donnée par le Tout-Puissant et écrite sur la tablette de son coeur, tandis que sa langue était l'instrument capable de la traduire en paroles.

Dans une autre épître, Baha'u'llah révèle la source de sa connaissance et l'origine divine de sa mission par ces paroles:

"Ô roi, je n'étais qu'un homme comme tant d'autres, endormi sur ma couche, lorsque soudain les brises de Très-Glorieux passèrent sur moi et m'enseignèrent la science de tout ce qui fut. Ceci ne vient pas de moi mais de celui qui est le Tout-Puissant et l'Omniscient... Voici une simple feuille qu'agitent les vents de la volonté de ton Seigneur, le Tout-Puissant, le Loué. (1)"


b) Nature de la révélation de Baha'u'llah

La relation mystique, entre Dieu représentant le Père et son porte-parole élu, le Prophète, représentant la Mère, donne naissance à la révélation divine qui à son tour engendre le Verbe de Dieu. Il n'est pas possible pour un homme de comprendre la nature de cette relation sacrée, une relation par laquelle Dieu est relié à sa Manifestation. Notre connaissance limitée en cette matière découle des paroles de Baha'u'llah et les mots sont des outils inadaptés pour exprimer une réalité spirituelle.

La Parole révélée a un esprit interne et une forme externe. Le tréfonds de l'esprit est sans limites dans ses potentialités. Il appartient au monde du non-créé et est généré par le Saint-Esprit de Dieu. La forme externe de la Parole de Dieu agit comme un canal par lequel s'écoule le flot du Saint-Esprit de Dieu.

Comme une mère qui transmet à son enfant certains traits de son propre caractère, le Porteur du message de Dieu influence la forme extérieure du Verbe de Dieu. Par exemple, Muhammad est né parmi le peuple d'Arabie et parlait la langue arabe. Par conséquent, le Verbe de Dieu rapporté dans le Coran prit une forme qui est fortement liée avec son environnement. Comme Baha'u'llah était persan, le Verbe de Dieu en cet âge est révélé aussi bien en persan qu'en arabe. La personnalité de Baha'u'llah, le style de ses Écrits, la nature de la langue persane, ses idiomes et ses proverbes, les histoires qu'il raconte de la vie de ses contemporains dans ce pays et dans les contrées où il fut exilé, tout cela contribue à la forme du Verbe révélé dans cette révélation.

Bien que Baha'u'llah n'ait suivi aucune des écoles des ecclésiastiques ou des érudits de sa classe sociale, les hommes de lettres attestaient que ses Écrits aussi bien en arabe qu'en persan et d'un point de vue strictement littéraire, sont inégalés par leur beauté, leur richesse et leur éloquence. Bien qu'il n'était pas familier avec la langue arabe, son vaste vocabulaire et la complexité de sa grammaire, qui prenait habituellement une vie entière aux ecclésiastiques pour être maîtrisée, Baha'u'llah a tellement enrichi la littérature arabe par ses Écrits, qu'il a créé, comme le fit Muhammad à son époque, un style qui a depuis inspiré les érudits et les écrivains baha'is. Il en est de même pour ses Écrits en persan.

Non seulement le lecteur sera enchanté et enthousiasmé par la beauté de son style, l'éloquence de ses paroles, le flot et la lucidité de sa composition et la profondeur de ses paroles, mais il trouvera aussi, que Baha'u'llah a donné naissance à une nouvelle terminologie qui contribue, dans une grande mesure, à une compréhension plus large et plus profonde des vérités du monde de l'esprit.

Les Écrits de Baha'u'llah, que l'on appelle habituellement tablettes [nota: Epîtres lorsqu'elles ont un destinataire connu (NDT)], sont révélés soit en persan soit en arabe et souvent dans les deux langues. Il y a de nombreuses tablettes qui sont écrites partiellement en persan et partiellement en arabe. Dans l'une de ses épîtres, il se réfère à l'arabe comme à "la langue de l'éloquence" et au persan comme à "la langue de lumière" et du "doux langage". Ses Écrits en arabe sont emplis de puissance et d'autorité et ses paroles en cette langue apparaissent dans leur majesté et leur éloquence les plus grandes. Ses Écrits en persan sont magnifiques, chaleureux et émouvants. Contrairement à d'autres écrivains qui cherchent à travailler dans un environnement paisible, Baha'u'llah révèle la plupart de ses épîtres en même temps qu'il endurait les afflictions de quatre exils successifs.

Pour pouvoir écrire, tout écrivain doit dépendre de sa propre connaissance et de son érudition. Il devra méditer sur le sujet et entreprendre des recherches. Après beaucoup de travail, il pourra produire un livre dans lequel il y aura toujours une large place pour une amélioration, et non moins fréquemment il ressentira le besoin de réécrire le livre en entier. Ceci n'est pas le cas des Manifestations de Dieu qui ne s'appuient pas sur leurs propres réalisations humaines.

Lorsque la révélation venait à Baha'u'llah, la Parole de Dieu se déversait par sa bouche et était enregistrée par ses secrétaires, ou, occasionnellement, écrite par lui-même. Ses paroles s'écoulaient avec une telle rapidité que, ainsi qu'il le raconte lui-même dans l'une de ses épîtres, ses secrétaires étaient souvent incapables de les transcrire.

Le Coran, le Saint Livre de l'islam, consiste en approximativement six mille trois cents versets. Il fut révélé par Muhammad au cours de vingt-trois années. Dans cette nouvelle révélation, cependant, le torrent de la révélation divine a été accordé à l'humanité avec une telle profusion qu'en l'espace d'une heure, l'équivalent de mille versets était révélé par Baha'u'llah. "Si grande est la grâce accordée en ce jour", déclare Baha'u'llah, "qu'en un jour et une nuit seulement, si l'on pouvait trouver un secrétaire capable de le faire, l'équivalent du Bayan (*) persan était déversé du ciel de la sainteté divine" (2)
(*) Nota: Le Livre-Mère de la révélation babie, révélé par le Bab.

Comme si les portes du ciel étaient grandes ouvertes, le Verbe de Dieu pour cet âge enveloppe l'humanité. Durant ces quarante années du ministère de Baha'u'llah, cette terre fut immergée dans un océan de révélation, qui libéra d'énormes énergies spirituelles dont nul ne peut encore comprendre les potentialités. Les Écrits de Baha'u'llah, qui constitue les Saintes Écritures pour tout le genre humain, sont si vastes dans leur portée, que, ainsi qu'il l'affirme lui-même, cela équivaudrait à non moins de cent volumes si elles étaient entièrement compilées.

La personne qui pendant la plus grande partie du ministère de Baha'u'llah travailla comme secrétaire était Mirza Aqa Jan de Kashan, dénommé Khadimu'llah (Serviteur de Dieu). En plus d'être son secrétaire, Mirza Aqa Jan s'occupait de Baha'u'llah qui souvent l'appelait 'Abd-i-Hadir (serviteur en charge). Il n'appartenait pas à la catégorie des érudits. Il avait une éducation élémentaire et dans sa jeunesse à Kashan, il fabriquait du savon et le vendait pour gagner sa vie. Il arriva en Irak peu de temps après la venue de Baha'u'llah dans ce pays et sa première réunion avec lui eut lieu dans la maison d'un ami à Karbila. C'est là qu'il ressentit un grand pouvoir spirituel émanant de Baha'u'llah, un pouvoir qui transforma tout son être et l'emplit d'un amour dévorant pour son Bien-aimé. Il fut le premier à qui Baha'u'llah annonça son rang, par la suite, il l'honora en lui donnant la responsabilité de le servir comme secrétaire.

En dépit de cette bonté, Mirza Aqa Jan, qui pendant près de quarante ans fut intimement associé à Baha'u'llah et à sa révélation, trahit finalement son Seigneur. Après l'ascension de Baha'u'llah, il se révolta contre 'Abdu'l-Baha, le Centre de son alliance et se joignit aux archi-briseurs de cette alliance. Durant le ministère de Baha'u'llah, cependant, Mirza Aqa Jan le servit avec assiduité en tant que secrétaire et était disponible pour Baha'u'llah à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.

Chaque fois que la révélation venait à Baha'u'llah , que ce fut dans son humble maison de Bagdad ou dans le froid glacial d'Andrinople ; que ce fut voguant sur la mer ou voyageant par terre ; que ce fut dans la cellule prison d'Acre ou dans sa spacieuse demeure de Bahji, Mirza Aqa Jan était invariablement prêt avec des quantités de papier, quelques encriers et un tas de plumes en roseau, pour enregistrer les paroles de Baha'u'llah, au fur et à mesure qu'elles s'écoulaient de sa bouche. En raison de la rapidité avec laquelle ses paroles étaient révélées, les premiers transcrits n'étaient pas très facilement lisibles et devaient être retranscrits. Après avoir approuvé ses tablettes, Baha'u'llah les authentifiait parfois avec l'un de ses sceaux.

En plus d'un sceau qui portait son nom Husayn-'Ali, Baha'u'llah avait une dizaine de sceaux qui furent fabriqués à différentes époques de son ministère. Seul l'un d'eux porte l'inscription "Baha'u'llah". Quelques-uns contiennent des passages le décrivant comme prisonnier et celui que le monde a opprimé. D'autres déclarent dans un langage majestueux et en termes sans ambiguïté, son incomparable autorité, sa majesté transcendante et son rang glorieux comme suprême Manifestation de Dieu et son Vice-roi sur cette terre.

Parmi ceux qui prirent part à la transcription des épîtres, il y avait 'Abdu'l-Baha, qui s'occupa de cette tâche dès sa plus tendre adolescence à Bagdad jusqu'à la fin du ministère de Baha'u'llah. Beaucoup des Tablettes originales de Baha'u'llah sont de la main de 'Abdu'l-Baha .

Une fois que l'épître était écrite, plusieurs copies devaient en être faites pour être distribuées parmi les croyants. Il y avait des moments dans la vie de Baha'u'llah où les flots de révélation divine étaient si abondants que même un nombre de scribes, travaillant jour et nuit pour transcrire ses épîtres, étaient continuellement incapables d'y faire face. Certains ont laissé à la postérité des volumes de compilations écrits de leur propre main.

Très remarqué parmi ceux-ci, se trouvait, Mulla Zaynu'l-'Abidin, surnommé par Baha'u'llah, Zaynu'l-Muqarrabin (l'ornement de ceux qui sont près de Dieu). Il était, avant sa conversion à la foi babie, un mujtahid érudit (docteur de la loi islamique) et un personnage remarquable de sa ville natale de Najaf-Abad. Il devint un ardent babi vers l'époque de l'emprisonnement de Baha'u'llah dans le Siyah Chal et fut farouchement opprimé et persécuté par ces gens mêmes qui avaient été ses admirateurs et disciples. Plus tard, il voyagea vers Bagdad et finalement parvint en présence de Baha'u'llah après son retour des montagnes du Kurdistan. À la suite de cette réunion et après avoir reçu des épîtres de Baha'u'llah, son âme fut transformée et atteignit de telles hauteurs de foi et de dévouement qu'il est dénombré parmi les Apôtres exceptionnels de Baha'u'llah. Après avoir été libéré d'une longue période d'exil et d'emprisonnement à Mosul, Irak, il gagna Acre où il passa le restant de ses jours, essentiellement comme scribe, au service de Baha'u'llah,

Il était méticuleux dans la transcription des Écrits de Baha'u'llah et prenait grands soins de contrôler qu'ils étaient correctement calligraphiés. Toute épître de la main de Zaynu'l-Muqarrabin est considérée comme étant correcte. Il a laissé à la postérité de nombreux volumes, finement rédigés, comprenant la plupart des épîtres importantes de Baha'u'llah. Aujourd'hui les publications en persan et en arabe sont authentifiées d'après les siennes.

Une autre oeuvre associée à son esprit inquisiteur et brillant est le livre intitulé Questions et Réponses de Baha'u'llah. Étant lui-même un mujtahid et par conséquent hautement qualifié dans l'application des lois islamiques, Zaynu'l-Muqarrabin reçut la permission de Baha'u'llah de lui poser toutes les questions qu'il pouvait avoir concernant l'application des lois révélées dans le Kitab-i-Aqdas. Les réponses données par Baha'u'llah apportent de nouvelles explications et une amplification de ses lois et ce livre est considéré comme un supplément au Kitab-i-Aqdas.

L'histoire, aussi courte soit-elle, de la vie de Zaynu'l-Muqarrabin ne serait pas complète si l'on ne rapportait pas son grand sens de l'humour qui remontait le moral des croyants. Parfois, en présence de Baha'u'llah, il faisait des remarques amusantes, plusieurs d'entre elles sont même racontées dans certains récits.

Une autre personne possédant des qualités extraordinaires et qui rendit d'éminents services dans le domaine de la transcription était le célèbre calligraphe Mirza Husayn, surnommé Mishkin-Qalam, il était natif d'Isfahan. Comme Zaynu'l-Muqarrabin il avait le don de l'humour.

Avant d'embrasser la Foi, Mishkin-Qalam était très étroitement associé à la cour de Nasiri'd-Din Shah à Téhéran où il avait une position d'une certaine distinction. Une fois le Chah lui permit de se rendre pour une courte visite chez lui à Isfahan. Ce fut à cette occasion qu'il rencontra un baha'i et par la suite accepta la Foi. Il ne retourna pas à la cour du Chah, mais à la place, voyagea vers Andrinople où il arriva en présence de Baha'u'llah. À partir de ce moment, il dédia entièrement toute sa vie à la Cause. Plus tard, Baha'u'llah l'envoya pour une importante mission à Constantinople afin de répondre à la déclaration inexacte qui avait été faite à l'étranger, dans les cercles royaux par le fameux Siyyid Muhammad-i-Isfahani [nota: Un babi qui était la personnification de la cruauté. Il s'opposa à Baha'u'llah et fut "l'antéchrist de la révélation babie."]. Quelque temps après, à cause des intrigues de Siyyid Muhammad et ses associés, Mishkin-Qalam et quelques autres baha'is furent emprisonnés à Constantinople. Plus tard ils furent envoyés à Gallipoli pour attendre l'arrivée de Baha'u'llah et de ses compagnons en route pour Acre. Ce fut à Gallipoli que le sort de Mishkin-Qalam fut déterminé par les autorités. Lui et trois autres disciples de Baha'u'llah furent envoyés à Chypre en compagnie de Mirza Yahya, le briseur de l'alliance du Bab et l'archi-ennemi de Baha'u'llah .

Mishkin Qalam resta en exil à Chypre pendant à peu près neuf ans, mais l'influence de Baha'u'llah avait tellement imprégné son âme que, malgré sa longue association avec le perfide Yahya, il demeura ferme dans la Cause, invincible dans la foi, loyal et inébranlable envers son Seigneur.

En 1294 AH (1878), dès qu'il fut libéré, il partit pour Acre. Là, il parvint en présence de Baha'u'llah qui l'autorisa à résider dans cette cité. C'était un compagnon, un serviteur dévoué et l'un des Apôtres (*) de Baha'u'llah, un artiste d'un talent remarquable, inégalé comme calligraphe et un génie pour créer des dessins exquis avec des lettres et des mots. Parmi ses oeuvres d'art, certaines ont été faites simplement par l'impression de ses ongles sur une feuille blanche.

(*) Nota: La liste illustrée des dix-neuf Apôtres de Baha'u'llah se trouve dans le Baha'i World vol III pp 80-81.

Mishkin-Qalam passa de nombreuses années de sa vie à transcrire les épîtres de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha. Il y a de nombreux volumes écrits de sa magnifique écriture et son nom est immortalisé par ses signes et symboles et son dessein du "Plus-Grand-Nom".

Un des traits principaux de la révélation de Baha'u'llah est l'authenticité de sa parole révélée. À la différence des révélations du passé, où les paroles du Prophète n'étaient pas consignées au moment où elles étaient prononcées, les paroles de Baha'u'llah sont elles, écrites au fur et à mesure où il les dictait. Très souvent, les circonstances dans lesquelles il révélait ses épîtres sont consignées par ses secrétaires ou par d'autres compagnons de confiance ou disciples pèlerins qui à un moment ou à un autre eurent le privilège d'être en sa présence.

Le torrent des forces du Saint-Esprit produisait sur Baha'u'llah, au moment de la révélation, des effets physiques impressionnants. Un être humain ordinaire est captivé lorsqu'il reçoit des nouvelles d'une importance exceptionnelle. Combien d'avantage, alors, doit être affecté le temple humain de la Manifestation de Dieu lorsqu'il devient le canal par lequel l'Esprit-Saint de Dieu s'écoule vers l'humanité.

Nul si ce n'est ses secrétaires était autorisé à être présent au moment de la révélation, mais occasionnellement certains croyants eurent la permission de rester pendant un court instant. Ceux qui reçurent ce privilège furent témoins d'une gloire spéciale et d'un rayonnement qui émanait de lui. Sa transfiguration était si éblouissante que beaucoup se trouvèrent dans l'incapacité de regarder son visage.

L'un d'eux était Hadji Mirza Haydar-'Ali, natif d'Ispahan, qui embrassa la Foi peu de temps après sa naissance. C'est à Andrinople qu'il accéda en la présence de Baha'u'llah pour la première fois. De là, Baha'u'llah l'envoya à Constantinople où il fut un canal de communication entre lui et les croyants de Perse et d'Irak. Plus tard, il fut dépêché en Egypte où il fut arrêté par des ennemis de la Foi et envoyé en prison au Soudan. Les persécutions qu'il souffrit là-bas pendant de nombreuses années servirent uniquement à renforcer sa foi et à intensifier son amour pour Baha'u'llah. Après avoir été libéré, il alla tout droit à Acre où il eut le privilège de pouvoir rester pendant quelques mois en présence de son Seigneur. Puis, selon ses directives, il partit en Perse où pendant de nombreuses années, il servit la Cause, et fut un enseignant extraordinaire. Après l'ascension de Baha'u'llah, Hadji Mirza Haydar-'Ali joua un rôle important dans la promotion et la protection de l'Alliance. La défendant avec compétence contre les attaques de la clique infidèle des briseurs d'Alliance qui étaient déterminés à saper l'édifice de la cause de Dieu et à déraciner ses institutions. Il passa la dernière partie de sa longue vie, pleine d'évènements, au service de 'Abdu'l-Baha en Terre sainte. Il mourut à Haïfa et est enterré au cimetière baha'i sur le Mont Carmel.

Ce fut lors d'une de ses visites à Acre que Hadji Mirza Haydar Ali reçut l'autorisation d'être présent auprès de Baha'u'llah à un moment où il recevait la révélation. De cette occasion mémorable, il a laissé à la postérité le bref récit suivant:

"… Lorsque la permission fut accordée, je pénétrai dans la pièce où le Roi des rois et le Gouverneur de ce monde et du monde futur était majestueusement assis sur sa couche. Les versets de Dieu étaient révélés et les mots s'écoulaient comme une pluie abondante. Je ressentais quelque chose comme si la porte, le mur, le tapis, le plafond, le sol et l'air étaient tous parfumés et illuminés. Ils avaient tous et chacun, été transformés en oreilles et étaient emplis de l'esprit de joie et de ravissement. Chaque objet était revigoré et palpitait de vie… Vers quel monde avais-je été transporté et dans quel état je me trouvais, nul, s'il n'a jamais vécu une telle expérience ne pourra jamais le savoir. (3)"

Il a été dit que l'un des effets sur Baha'u'llah de la révélation des tablettes était de le faire rester un certain temps dans un tel état d'émotion qu'il en était incapable de manger.


c) Pouvoir créatif du Verbe de Dieu

Le Verbe de Dieu est la forme la plus noble de la création de Dieu et il est bien au-dessus de la compréhension de l'homme. Baha'u'llah nous a mis en garde dans une tablette de ne jamais comparer la création du "Verbe" avec la création d'autres choses. Il déclare que chacune des paroles de Dieu est comme un miroir sur lequel sont reflétés les attributs de Dieu et que par le Verbe de Dieu toute la création est venue à l'existence. Dans l'islam, il est dit que Dieu a créé l'univers en prononçant la seule parole "sois", ce qui a amené à l'existence toutes choses créées. La révélation de Baha'u'llah qui est le verbe de Dieu pour cette époque est également créative. Baha'u'llah dans certaines de ses tablettes se réfère à la parole "sois" comme étant la cause de la création. Par exemple, dans la prière de souvenance qui fut compilée après son ascension, il dit: "J'atteste de plus que, par un seul trait de ta plume, ton commandement "sois" a été exécuté, le secret caché de Dieu a été divulgué et toutes choses créées ont été appelées à l'existence et toutes les révélations ont été envoyées." Un autre exemple est ce passage dans la longue prière prescrite révélée par Baha'u'llah: "…Celui qui a été manifesté est le mystère caché, le symbole précieux, par qui les lettres S.O.I.S (sois) ont été jointes et unies." (4) Lorsque les lettres S.O.I.S sont jointes, elles forment le mot "sois" qui appelle la création à l'existence.

Le passage suivant, pris des Écrits de Baha'u'llah se réfère à la créativité de ses paroles:

"Toute parole qui sort de la bouche de Dieu est douée d'une telle puissance qu'elle peut insuffler dans tout être humain une vie nouvelle, si vous êtes de ceux qui comprennent cette vérité. Les merveilleux ouvrages que vous contemplez en ce monde sont dus à sa souveraine et sublime volonté et à l'exécution de son inflexible et prodigieux dessein. De la seule révélation du nom "Modeleur", proclamant devant l'humanité son pouvoir de façonner, une puissance telle se dégage, qu'elle est capable d'engendrer, dans le cours des âges, tous les arts que la main de l'homme peut produire. Voilà une vérité certaine. Ce Nom resplendissant n'est pas plutôt prononcé que les énergies qui l'animent, entrant en action au sein de toutes choses créées, fournissent les moyens et les instruments par lesquels ces arts peuvent être mis au jour et portés à leur perfection. Toutes les merveilleuses acquisitions humaines dont vous êtes témoins sont la conséquence directe de la révélation de ce Nom. Dans les jours à venir, vous verrez des choses dont vous n'aurez jamais jusque-là entendu parler. Ainsi en a-t-il été décrété dans les tablettes de Dieu, et nul ne peut le comprendre sauf ceux dont la vue est pénétrante. De même, à l'instant où sortira de ma bouche le nom exprimant mon attribut, "l'Omniscient", toutes choses créées selon leurs limites et capacités se trouveront investies du pouvoir de développer la connaissance des sciences les plus merveilleuses, et de les manifester dans le cours du temps selon l'ordre de celui qui est le Tout-Puissant, l'Omniscient. Sache à n'en point douter que la révélation de tout autre nom s'accompagne d'une semblable manifestation du pouvoir divin. Toute lettre qui sort de la bouche de Dieu est, en vérité, une lettre-mère, comme chaque parole prononcée par celui qui est la source de la révélation divine est une parole-mère et comme sa tablette est une tablette-mère. Heureux qui saisit cette vérité. (5)"

Dans une autre tablette, parlant de la puissance de ses paroles, Baha'u'llah révèle:

"Chacune des lettres qui tombent de notre bouche est douée d'un pouvoir régénérateur tel qu'il peut amener à l'existence une nouvelle création, une création dont la grandeur est insondable pour tous hormis Dieu." (6)

Les paroles que prononcent les Manifestations de Dieu sont la forme extérieure des forces spirituelles nées de la révélation de Dieu. Le coeur de la réalité latente à l'intérieur du Verbe est sans limites dans ses potentialités. Il appartient au monde de Dieu et n'est pas compris par l'homme dont l'esprit fini est seulement capable de saisir mais à un degré limité, le pouvoir et la créativité du Verbe.

Le Verbe de Dieu peut être comparé aux rayons du soleil qui transporte son énergie. Leur intensité à proximité du soleil est si grande qu'aucune créature vivante ne peur soutenir leur énergie dans l'atmosphère. Pourtant les mêmes rayons, traversant l'espace et passant à travers l'atmosphère et les couches de nuages, jettent une portion limitée de leur énergie sur la surface de la terre. De même, dans ce monde, le Verbe de Dieu révèle une mesure limitée de sa vérité et de sa signification spirituelle à l'esprit de l'homme qui en raison de sa forme finie n'est pas capable de les comprendre dans leur plénitude.

La profonde réalité, le pouvoir, l'efficacité et la créativité du Verbe acquièrent une plus grande signification au fur et à mesure que l'âme après sa séparation du corps, progresse dans les mondes spirituels de Dieu. Bien que les significations et les vérités spirituelles latentes du Verbe de Dieu restent un peu obscures à l'esprit de l'homme, néanmoins les Manifestations qui révèlent ce verbe sont conscientes de leur entière puissance et signification.


d) Le Verbe source de connaissance

En réponse à une requête d'un certain Shaykh Mahmud, ecclésiastique musulman d'Acre, qui plus tard embrassa la Foi (*), Baha'u'llah révéla une épître dans laquelle, commentant la Suriy-i-Va'sh-Shams du Coran, il dévoila de nouvelles perspectives célestes de connaissance concernant le Verbe de Dieu. Chaque mot envoyé du ciel de la révélation divine, déclara-t-il, est empli de rivières de mystères divins et de sagesse s'écoulant doucement. Baha'u'llah donna aussi en détail, en réponse à quelqu'un qui l'interrogeait, différentes significations se rapportant au mot "soleil", ajoutant que ce mot avait tellement d'autres définitions que si dix secrétaires devaient enregistrer ses explications pendant une période de un à deux ans, il n'aurait toujours pas épuisé sa signification.

(*) Nota: Il fit une compilation de toutes les traditions attribuées au Prophète de l'islam concernant la sainteté de la cité d'Acre.

Le verset suivant est extrait de cette épître à Shaykh Mahmud:

"Sache, à n'en point douter que, de même que tu crois que dure éternellement la parole de Dieu - exaltée soit sa gloire -, de même tu dois croire d'une foi aussi ferme que la signification de cette parole ne saurait jamais être épuisée. Seuls ceux qui en sont les interprètes officiels, ceux dont le coeur est dépositaire de ses secrets ont le pouvoir d'en comprendre toute la sagesse. Quiconque lit les Ecritures sacrées et éprouve la tentation de choisir ce qui peut lui servir à récuser l'autorité du Représentant de Dieu parmi les hommes, est en vérité semblable à un mort, bien que, selon les apparences extérieures, il semble marcher, converser avec ses voisins et partager leur nourriture et leur boisson.
Puisse le monde me croire ! Si tout ce qui se trouve enfermé dans le coeur de Baha et tout ce que lui a enseigné le Seigneur, son Dieu, le Seigneur de tous les noms, était dévoilé à l'humanité, il ne se trouverait pas un seul homme qui n'en fût confondu.
Combien grande est la multitude des vérités que le vêtement des mots ne saurait contenir ! Combien nombreuses sont ces vérités qu'aucune expression ne peut rendre de façon adéquate, dont le sens ne pourra jamais être dévoilé, et auxquelles il est impossible de faire l'allusion même la plus lointaine ! Combien de ces vérités doivent rester inexprimées jusqu'à ce que soit venu le temps fixé pour leur révélation ! Ainsi qu'il a été dit: "Tout ce qu'un homme sait ne peut pas toujours être communiqué ; quant à tout ce qui peut être communiqué, il n'est pas toujours opportun de le faire et tout ce qui pourrait être opportunément communiqué ne correspond pas toujours à la réceptivité de ceux qui l'écoutent."
Parmi ces vérités, il en est qui ne peuvent être révélées que dans la mesure où sont capables de les recevoir les dépositaires de la lumière de notre science et ceux qui reçoivent notre grâce cachée. Nous prions Dieu de te fortifier de sa puissance et de te rendre capable de reconnaître celui qui est la source de toute science, afin que tu puisses te détacher de tout savoir humain. "Que servirait en effet à un homme de courir après ce savoir, quand il a déjà trouvé et reconnu celui qui est l'objet de toute connaissance ?" Attache-toi à la Racine du savoir et à celui qui en est la source, afin de te rendre indépendant de tous ceux qui se prétendent versés dans la science humaine, et dont ni revendication ni preuve manifeste, pas plus que le témoignage d'un quelconque livre éclairé ne peuvent soutenir la prétention. (7)"

Non seulement les paroles prononcées par les Manifestations ont une signification intérieure, mais même une seule lettre contient des significations et des mystères divins. Il y a une tradition très connue de l'Islam - attribuée à Ali, le premier Imam et successeur légal de Muhammad - que l'essence de toutes les Écritures des révélations du passé se trouve dans le Coran, que le Coran lui-même est contenu dans le chapitre d'ouverture, que ce chapitre est incorporé dans le premier verset, que le premier verset dans sa totalité est inclus dans la première lettre (B s'écrit en arabe avec un point en dessous de la lettre), et que tout ce qui est dans cette lettre est condensé dans le point qui se trouve en dessous. Ceci indique clairement que le Verbe de Dieu est transcendantal dans sa nature et bien au-delà de la compréhension des hommes.

Le Bab, le précurseur de Baha'u'llah, a révélé des Écrits volumineux sur l'interprétation et les significations intérieures de quelques lettres simples. Par exemple, dans son commentaire sur la Suriy-i-V'al-'Asr, l'un des chapitres du Coran, il ne consacre pas moins de trois mille versets pour expliquer la signification de la première lettre "V" de cette sourate. Baha'u'llah a aussi révélé de merveilleuses tablettes dans lesquelles il s'étend sur l'interprétation de lettres individuelles.


e) La Plume sublime

Parmi les bienfaits inestimables de la révélation de Baha'u'llah se trouve les effusions de sa sublime plume à laquelle on se réfère comme à la Plume du Très Haut, signifiant, entre autres choses, le révélateur du Très-Grand-Esprit. Jamais auparavant dans l'histoire des religions, à l'exception de la révélation babie, trouvons-nous une Manifestation de Dieu qui a laissé à la postérité des tablettes écrites de sa propre main. Mais innombrables sont les tablettes en forme d'exhortations, de prières et de méditations que Baha'u'llah a écrites et qui constituent la partie la plus précieuse des Écrits sacrés baha'is.

Les premiers croyants écrivaient souvent à Baha'u'llah lui posant des questions, recherchant un avis ou envoyant des informations. Plusieurs de ses épîtres sont révélées en réponse à de telles lettres et Siyyid Asadu'llah-i-Qumi a décrit comment Baha'u'llah les révélait. Ce croyant est parvenu en la présence de Baha'u'llah vers 1886 et reçut la permission de résider d'une façon permanente à Acre. Pendant des années, il servit la Cause, il fut l'un de ceux qui accompagnèrent 'Abdu'l-Baha en Europe et en Amérique et lors de ces voyages servait souvent de cuisinier au Maître. Ce qui suit est un extrait de sa chronique orale:

"Je me souviens lorsque au moment de la révélation, Mirza Aqa Jan enregistrait les paroles de Baha'u'llah, le grattement aigu de sa plume s'entendait à une distance d'au moins vingt pas (*). Dans l'histoire de la Foi, il n'y a pas beaucoup de récit concernant la manière dont les tablettes étaient révélées. Pour cette raison… je vais la décrire…
Mirza Aqa Jan avait un grand encrier de la taille d'un petit bol. Il avait aussi dix à douze plumes disponibles et des tas de grandes feuilles de papier. À cette époque, toutes les lettes qui arrivaient pour Baha'u'llah étaient reçues par Mirza Aqa Jan. Il les apportait à Baha'u'llah et, avec sa permission, il les lisait. Après quoi la Beauté Bénie lui disait de prendre sa plume et de noter l'épître qui allait être révélée en réponse…
La rapidité avec laquelle il écrivait la parole révélée était telle que l'encre du premier mot était à peine sèche que déjà la feuille entière était remplie. Il semblait que quelqu'un avait trempé une boucle de cheveux dans l'encre et l'avait appliqué sur toute la page. Aucun des mots n'était écrit clairement et ils étaient illisibles pour tous sauf pour Mirza Aqa Jan. Parfois même, il arrivait que lui non plus ne puisse déchiffrer les mots, il demandait alors l'aide de Baha'u'llah. Lorsque la révélation cessait, conformément aux instructions de Baha'u'llah, Mirza Aqa Jan, de sa meilleure plume, récrivait l'épître et l'envoyait à destination… (8)"

(*) Nota: Les textes en persan ou arabe sont habituellement écrits avec des plumes en roseaux. Ce genre de plume fait souvent un son criard lorsqu'elle bouge d'une certaine façon. Le calligraphe pouvait en partie contrôler le son. Par exemple, il pouvait permettre au son d'accompagner une certaine courbe ou trait. Ce son révélait non seulement jusqu'où une certaine lettre avait été tracée, mais aussi suscitait des sentiments d'excitation chez le calligraphe et chez ceux qui le regardaient. Dans de nombreuses épîtres Baha'u'llah se réfère à la Sublime Plume, signifiant par cela la Manifestation de Dieu et sa révélation. Il s'est aussi référé à la voix aiguë de cette même Plume. Cette expression est symbolique de la proclamation de son message parmi les peuples du monde.

Un compte-rendu semblable a été fait par Mirza Tarazu'llah Samandari, qui à l'âge de seize ans fut en présence de Baha'u'llah durant la dernière année de son ministère. Mirza Tarazu'llah, natif de Qazvin était né dans une famille baha'ie. Son grand père était l'un des disciples du Bab. Son père Shaykh Kazim, surnommé Samandar par Baha'u'llah, était un Apôtre exceptionnel de la Beauté Bénie. Lui-même servit la Foi avec une grande dignité et en 1951 fut nommé Main de la Cause de Dieu par Shoghi Effendi, le Gardien de la Cause.

Durant une entrevue à Téhéran, Mirza Tarazu'llah fit les remarques suivantes:

"À cette époque, ainsi que Baha'u'llah le lui avait ordonné, Mirza Aqa Jan lui lisait d'abord les lettres puis, en réponse, écrivait les épîtres pendant que Baha'u'llah les lui dictait. Les versets de Dieu étaient révélés avec une grande rapidité et sans réflexion ou méditation préliminaire. Les paroles notées étaient très souvent illisibles, en raison de la vitesse avec laquelle elles étaient écrites. Il y en avait même que personne ne pouvait lire ; Mirza Aqa Jan lui-même avait parfois de la difficulté à déchiffrer sa propre écriture et devait chercher l'aide de Baha'u'llah pour clarifier. Le Verbe de Dieu était ainsi révélé. La plus grande preuve de l'authenticité des Manifestations de Dieu est la révélation des paroles de Dieu. Nul autre personne ne peut le faire. Le Verbe sacré révélé du ciel de la volonté du Très-Miséricordieux descend tout d'abord dans le coeur pur et rayonnant de la Manifestation de Dieu et est ensuite prononcé par elle. Dans son épître à Nasiri'd-Din Shah, Baha'u'llah confirme ceci en ces termes: "Ceci ne vient pas de moi, mais de celui qui est le Tout-Puissant, l'Omniscient"… (9) J'ai eu le grand privilège d'être présent à deux occasions lorsque les épîtres étaient révélées… Les saintes paroles s'écoulaient de sa bouche pendant qu'il arpentait la pièce de long en large… Ce n'est pas facile de décrire la manière dont la révélation venait à Baha'u'llah. (10)"

Les premiers croyants recevaient souvent des épîtres de Baha'u'llah révélées en leur honneur. C'était leurs précieux trésors. Mais l'épître la plus précieuse était celle écrite de sa propre main. Ce privilège exceptionnel, cependant, n'était pas souvent accordé, notamment après les jours d'Andrinople où Baha'u'llah avait été empoisonné par son demi-frère Mirza Yahya. Son état, après avoir pris le poison, était si grave que le docteur avait jugé son cas désespéré et c'est uniquement par le pouvoir du Tout-Puissant que sa vie fut épargnée. Par la suite, il lui en resta un tremblement de la main. Il prenait donc rarement la plume pour écrire. Néanmoins, quelques tablettes plus particulières et importantes furent écrites de sa propre main, y compris son Testament et de nombreuses épîtres adressées à 'Abdu'l-Baha. Ces Écrits font ressortir, au premier coup d'oeil, le tremblement de ses mains bénies.

L'un des premiers croyants, Hadji Muhammad-Tahir-i-Malmiri [nota: Le père de l'auteur ; voir annexe II pour un récit de sa vie], un historien et professeur de grande réputation, a laissé pour la postérité, un récit intéressant sur la réception d'une épître écrite de la main même de Baha'u'llah. Hadji Muhammad-Tahir est né dans une famille qui avait embrassé la foi babie à son origine. Jeune homme, il alla à Acre et eut la permission d'être en présence de Baha'u'llah un jour sur deux. Après avoir ainsi passé neuf mois, magnétisé par le pouvoir des paroles de Baha'u'llah, il fut renvoyé dans sa ville natale de Yazd avec des instructions explicites de Baha'u'llah sur la manière dont il devait enseigner la Foi aux gens.

Ainsi, pendant une période de près de quatre-vingts ans, il enseigna la Foi à des centaines de personnes. Son âme était si galvanisée par ce contact avec Baha'u'llah qu'aucune calamité ou tribulations ne put jamais refroidir son zèle et son enthousiasme. Et, jusqu'à la fin de sa vie, à l'âge de cent ans, il endura de nombreuses souffrances et d'amères persécutions dans un esprit de joie et de fermeté. Ce qui suit est une traduction d'un extrait de ses souvenirs de Baha'u'llah (*):

"… Un jour je demandais à Mirza Aqa Jan de mentionner mon humble requête à Baha'u'llah afin qu'il m'écrive de sa propre main une épître, ou même quelques mots, car j'avais entendu dire que l'un des conseils du Bab était que si l'un de ses disciples devait vivre aux jours de "Celui que Dieu rendra manifeste" (Baha'u'llah) il devrait essayer d'obtenir une épître, une ligne ou même un mot écrit de sa main ; Car une telle possession était incommensurablement exaltée au-dessus de toutes choses. Mirza Aqa Jan refusa de transmettre cette requête sous le prétexte que depuis que Baha'u'llah avait été exilé à Acre, il avait rarement pris une plume dans la main. Je fus déçu et triste, mais n'insistai pas. Le jour suivant, lorsque je fus en présence de Baha'u'llah, la première chose qu'il me dit fut la bonne nouvelle qu'il avait écrit une épître de sa propre main, pour moi, et que je la recevrais sous peu. Il ne m'est pas possible de décrire la joie qui m'enveloppa en entendant l'octroie d'une telle faveur si inattendue.
Quelque temps plus tard je remis à Mirza Aqa Jan, pour le transmettre à Baha'u'llah, une liste de noms de quelques baha'is de Yazd, avec l'humble requête qu'il puisse révéler une épître (**) pour chacun d'entre eux. Un jour où j'étais en sa présence, il fit mention de la liste de noms et m'assura qu'une épître avait été révélée pour chaque personne, mais que pour des raisons de sécurité, je ne devais pas les emporter avec moi. Elles seraient expédiées plus tard. Entendant cela, je présumai que l'épître écrite de sa propre main qui m'avait été promise serait aussi expédiée à Yazd avec les autres. Mais je m'étais trompé. J'ai reçu cette épître des années plus tard…
Après quelque temps, ma mère reçut la permission d'aller en Terre sainte et d'être en présence de Baha'u'llah. Elle reçut le grand honneur de pouvoir résider à Acre d'une façon permanente. Elle fut accompagnée dans son voyage, par mon cousin Siyyid Muhammad. Ce dernier resta à Acre une courte période de temps, puis retourna à Yazd. À l'occasion de son départ d'Acre, Baha'u'llah le fit venir en sa présence et entre autres choses, lui demanda de transmettre ses salutations à ce serviteur, avec l'assurance qu'une épître avait été écrite pour moi de sa propre main, et que je la recevrais à Yazd. (11)"

(*) Nota: Les mémoires de Hadji Muhammad Tahir-i-Malmiri, écrites en persan, ne sont pas encore publiées. La copie originale fut offerte à Shoghi Effendi le Gardien de la Foi baha'ie en 1951. Celui-ci y faisait référence comme à un intéressant réservoir d'informations pour les historiens futurs.
(**) Nota: La requête n'impliquait pas que ces épîtres soient écrites de la main de Baha'u'llah.

Des années passèrent et Hadji Muhammad-Tahir rencontra une grande opposition de la part des ecclésiastiques musulmans dans ses activités d'enseignement. Celle-ci aboutit à la publication d'un arrêt de mort provenant du chef religieux de Yazd, Shaykh Muhammad-Hasan-i-Sabzavari, qui fut accusé par Baha'u'llah d'être le "Tyran de la terre de Ya' (Yazd)". Conformément aux ordres de Baha'u'llah de protéger sa vie afin d'être épargné pour pouvoir encore enseigner la Foi, Hadji Muhammad-Tahir décida de quitter temporairement Yazd pour une autre province. Il écrit dans ses mémoires:

"…Des arrangements furent faits afin que je puisse quitter la ville au milieu de la nuit. J'étais sur le point d'enfourcher l'âne qui avait été loué pour moi, lorsqu'une dame baha'ie, Bibi Sahib, une des femmes baha'ies les plus dévouées et les plus sincères de Yazd arriva… Elle me donna alors une épître écrite de la main de Baha'u'llah. Je me renseignai auprès d'elle de l'histoire de cette épître. Il y a "vingt-quatre ans" dit elle, "lorsque Rada'r-Ruh (*) revint de Bagdad (**), il me confia selon les instructions de Baha'u'llah cette épître, me disant que son propriétaire serait trouvé plus tard. Cela fait douze ans que Rada'r-Ruh a été martyrisé et maintenant intuitivement je sens que vous devriez avoir cette épître". Je lui pris l'épître avec une grande joie… Par la suite Abdu'l-Baha… confirma que cette épître était bien celle que Baha'u'llah avait spécialement révélée pour moi. (12)"

(*) Nota: Un religieux notable du village de Manshad, près de Yazd, qui embrassa la foi babie dès le début et alla à Bagdad où il parvint en la présence de Baha'u'llah.
(**) Nota: À cette époque, Hadji Muhammad-Tahir n'était qu'un enfant. Cela signifie que l'épître avait déjà été écrite pour lui à Bagdad bien des années avant qu'il n'en fasse la demande.


f) Authenticité du Verbe de Dieu

Certains des Écrits de Baha'u'llah, révélés en réponse à des personnes sont écrits de telle façon qu'ils semblent avoir été composés par Mirza Aqa Jan. Quelquefois ces Écrits consistent en deux parties différentes, chacune avec son propre style distinctif, l'une paraissant être les mots de Mirza Aqa Jan et l'autre nettement les mots de Baha'u'llah. C'est un fait établi, cependant, que chaque mot de ces épîtres a été dicté par Baha'u'llah, quels que soient le style et le contenu, et que pas un seul mot ne provenait de Mirza Aqa Jan. Baha'u'llah dictait toujours les réponses aux lettres adressées à Mirza Aqa Jan. Dans sa sagesse insondable, cependant, il dictait de telle façon qu'une partie de l'épître semblait avoir été composée par Mirza Aqa Jan et l'autre par lui-même. Certains des croyants étaient sous la fausse impression que Mirza Aqa Jan avait carrément composé ces parties qui semblaient être ses propres mots.

De façon à pouvoir apprécier la confusion qui fut créée parmi les premiers croyants à cet égard, il est nécessaire de se familiariser avec la vie de Mirza Aqa Jan. Cet homme avait servi Baha'u'llah pendant près de quarante ans, non seulement comme secrétaire mais aussi comme compagnon et serviteur. Il était avec Baha'u'llah pendant tout son ministère à l'exception des deux années que Baha'u'llah passa retiré dans le Kurdistan. Durant cette période, il fut pendant un certain temps au service de Mirza Yahya qui l'envoya à Téhéran en mission secrète pour assassiner Nasiri'd-Din Shah. Peu de temps après son arrivée à Téhéran, il put obtenir accès à la cour du Chah déguiser en laboureur, mais, ayant échoué à mener à bien son sinistre objectif, il retourna à Bagdad se rendant pleinement compte de l'étendue de sa folie.

Finalement Baha'u'llah retourna à Bagdad et les manipulations de Mirza Yahya prirent fin. Le feu d'amour et de dévotion qui avait été allumé dans le coeur de Mirza Aqa Jan avant le départ de Baha'u'llah était à nouveau attisé. Avec beaucoup de zèle et d'enthousiasme il commença à servir Baha'u'llah comme secrétaire.

Vers la fin de son service, cependant, Mirza Aqa Jan commença à devenir orgueilleux, et, peu de temps avant la mort de Baha'u'llah, il tomba en disgrâce. Dans de nombreuses occasions, par ses actions et son attitude, il provoqua des sentiments de tristesse et de mécontentement dans le coeur de Baha'u'llah. Dans de tels moments, c'était toujours 'Abdu'l-Baha qui réprimandait Mirza Aqa Jan pour sa conduite.

Peu de temps avant la mort de Baha'u'llah, un certain croyant, Hadji Mirza 'Abdu'llah, beau-père du martyr Varqa [nota: Un Apôtre distingué de Baha'u'llah à qui il sera fait référence dans de prochains volumes], demanda personnellement à Baha'u'llah des renseignements sur ces épîtres qui semblaient avoir été composées par Mirza Aqa Jan. Il voulait savoir qui en était le véritable auteur. Baha'u'llah indiqua que la réponse devait venir de Mirza Aqa Jan lui-même. Abdu'l-Baha dans l'un des discours qu'il fit à Haïfa en 1919, fait référence à cet épisode. Il y mentionne qu'à la question, la réponse de Mirza Aqa Jan ne fut pas très avisée et, pour cette raison, quelques croyants se levèrent contre lui.

Un jour, pendant la maladie qui précéda la mort de Baha'u'llah, Abdu'l-Baha trouva les croyants en train de discuter et de se diviser en deux groupes, l'un mené par Nabil-i-A'zam l'autre par Furughiyyih, une fille de Baha'u'llah et la femme de Hadji Siyyid 'Aliy-i-Afnan. (Tous deux, l'homme et la femme, devinrent par la suite des briseurs d'Alliance). Immédiatement il fit clore leur querelle et les critiqua très sévèrement pour avoir créé une division déplacée à une époque si critique.

C'est alors qu'il apprit que Mirza Aqa Jan avait parlé à Baha'u'llah d'une façon très arrogante, lui causant un extrême mécontentement. Immédiatement, 'Abdu'l-Baha fit venir Mirza Aqa Jan en sa présence et le réprimanda pour sa conduite offensante. Néanmoins, 'Abdu'l-Baha alla trois fois en présence de Baha'u'llah pour intercéder en sa faveur, se prosternant chaque fois aux pieds de Baha'u'llah et implorant le pardon pour Mirza Aqa Jan.

L'ascension de Baha'u'llah eut lieu peu de temps après ces évènements. Sur quoi 'Abdu'l-Baha demanda à Mirza Aqa Jan d'envoyer à Hadji Mirza 'Abdu'llah, la réponse si longtemps attendue. La lettre, effectivement très claire, qu'il écrivit de sa propre main est datée d'un mois après l'ascension de Baha'u'llah. Il y déclare sans équivoque que chaque mot des épîtres qui semblent avoir été composées par lui, avait en fait été dicté par Baha'u'llah. Voici le témoignage de Mirza Aqa Jan:

"Pas un seul mot ne provient de ce serviteur. Chaque mot a été révélé du Royaume de Dieu - mon Seigneur, le vôtre, et le Seigneur de tous ceux qui sont aux cieux et sur la terre. Toujours, après avoir obtenu sa permission, je relisais en sa très sainte et très exaltée présence, les lettres qui étaient adressées à ce serviteur. Il m'ordonnait alors de prendre ma plume et d'écrire la réponse qui du commencement à la fin était révélée par sa bouche bénie. Cette pratique ne se limitait pas seulement à ce serviteur. De nombreuses fois la Langue de grandeur [nota: Baha'u'llah] révélait dans les mots de ses compagnons ou de ces croyants qui venaient de l'étranger ce qui équivaut à un puissant livre pour le monde entier… Je n'étais qu'un serviteur enregistrant ses paroles en sa présence… (13)"


g) Véritable connaissance

Dans la Suriy-i-Haykal (la sourate du temple) révélée à Acre, Baha'u'llah déclare que dans cette révélation les versets de Dieu ont été révélés en neuf styles ou catégories différents. Un érudit baha'i très connu, Jinab-i-Fadil-i-Mazindarani, après une étude minutieuse des Écrits, a énuméré ces styles comme suit (14 ):

1. Épîtres avec le ton du commandement et de l'autorité.

2. Celles avec le ton de la servitude, de l'obéissance et de la supplication.

3. Des Écrits traitant de l'interprétation des anciennes Écritures, croyances religieuses et doctrines du passé.

4. Des Écrits dans lesquels les lois et les ordonnances ont été prescrites pour cette époque et les lois du passé abrogées.

5. Des Écrits mystiques.

6. Des épîtres concernant les affaires de gouvernement et d'ordre mondial, et celles qui sont adressées aux rois.

7. Des tablettes concernant des sujets d'érudition et de connaissance, de philosophie divine, des mystères de la création, de la médecine, de l'alchimie, etc.

8. Des tablettes exhortant les hommes à l'éducation, au bon caractère et aux vertus divines.

9. Des tablettes traitant des enseignements sociaux.

Les écrits de Baha'u'llah sont considérables dans leur variété et sont révélés sous différentes formes et styles, traitant chaque aspect des besoins de l'homme, physiques comme spirituels, et ouvrant à ses yeux un grand panorama de connaissance et de sagesse. Pourtant ses écrits sont simples à comprendre, à condition que le coeur soit pur et sanctifié. La compréhension de la révélation de Baha'u'llah ne nécessite pas un savoir universitaire ; les gens sans culture et les illettrés peuvent reconnaître son origine divine et comprendre ses enseignements.

En fait, quelques-uns des disciples les plus éminents de Baha'u'llah dont les vies répandirent un grand éclat sur les annales de l'Âge héroïque de la Foi et dont les noms sont immortalisés comme étant ceux des géants spirituels de cette révélation, étaient des gens avec peu ou pas d'éducation.

La révélation de Baha'u'llah confère une nouvelle capacité à ceux dont les coeurs sont touchés par sa lumière et leur permet d'acquérir une connaissance qui ne dépend pas du savoir. Cette connaissance s'appelle dans l'islam, "la lumière que Dieu projette dans le coeur de qui il veut". Baha'u'llah la décrit en ces mots:

"C'est cette sorte de savoir qui est et sera toujours digne d'éloges, et non le savoir limité issu de ces esprits obscurs et voilés qui se l'empruntent en cachette les uns aux autres et qui s'en enorgueillissent vainement. (15)"

Une compréhension plus approfondie des vérités de la foi de Baha'u'llah et une vision plus pointue de ses développements mystérieux ne dépendent pas nécessairement du degré de capacité intellectuelle ou de la connaissance académique d'un individu. En vérité, une telle connaissance devient une barrière entre l'homme et Dieu. Dans une de ses tablettes, Baha'u'llah étale un panorama fascinant des mystères divins, racontant dans un merveilleux langage l'apparition devant lui de quelques-uns des attributs de Dieu, chacun relatant en termes évocateurs ses propres traits distinctifs. Cependant, lorsque l'attribut de la connaissance se présenta, il pleura très fort, disant qu'elle était le plus grand des attributs de Dieu et la source de toute connaissance dans le monde de l'humanité. Pourtant, à cause d'elle, l'humanité n'a pas réussi à reconnaître ses Manifestations.

Ceci ne signifie pas cependant, que le savoir et la connaissance doivent être condamnés. Au contraire, Baha'u'llah considère la connaissance comme un grand don de Dieu et ordonne que la science et la religion aillent la main dans la main. Il enjoint à ses disciples d'étudier les arts et les sciences, recommande l'éducation obligatoire et décrit en termes élogieux le rang exalté de ces hommes véritablement érudits dont la connaissance ne conduit pas à la fierté et à la vanité. Leur connaissance et leur savoir sont dignes de louange et méritoires s'ils sont assortis de la connaissance de Dieu. De tels hommes sont exaltés par Baha'u'llah comme les "flots du plus puissant Océan" et les "étoiles du firmament de gloire" pour tous ceux qui habitent sur terre. (16)



4. PREMIÈRES ÉMANATIONS DE LA PLUME SUPRÊME

a) Le Poème de Rashh-i-'Ama


À notre connaissance la première épître écrite par Baha'u'llah était un poème en persan, Rashh-i-'Ama, révélé dans le Siyah-Chal de Téhéran peu de temps après que le Plus-Grand-Esprit soit descendu sur son âme rayonnante. C'est un chant de victoire et de joie. Bien que son langage soit allégorique, son expérience divine est clairement proclamée. Dans chaque ligne, il chante les louanges de Dieu dont il était devenu la personnification, et dans chaque phrase, il révèle les mondes spirituels qui étaient alors manifestés dans son âme.

Bien qu'il ne soit composé que de dix-neuf lignes, ce poème constitue en lui-même un puissant livre. À l'intérieur sont contenus les potentiels, le caractère, le pouvoir et la gloire de quarante années de révélation divine à venir. Il annonce la bonne nouvelle de la libération des énergies spirituelles qui sont décrites par Baha'u'llah, comme le souffle de la brise divine chargée de musc, l'apparition de l'Océan de la cause de Dieu, l'annonce de la Sonnerie de trompette, le déversement des Eaux de vie, le roucoulement du Rossignol du paradis, et l'apparition de la Servante céleste. Dans un langage suprêmement beau et émouvant, il s'attribue ces énergies. Les mots choisis, la beauté, le pouvoir, la profondeur et le mystère de ce poème, et en fait pour d'autres qui furent révélés plus tard, sont tels qu'ils seraient même impossible à traduire.

C'est dans cette ode, que Baha'u'llah révèle pour la première fois un des traits unique de sa révélation, l'avènement du "Jour de Dieu", que, en ces débuts de son ministère, il associe clairement avec lui-même. Dans ce poème ; il identifie aussi sa révélation avec le Jour prédit dans l'islam où l'expression bien connue "Je suis Lui" serait accomplie. "Je" signifie la personne de la Manifestation de Dieu, c'est-à-dire Baha'u'llah, et "Lui" est la dénomination de Dieu lui-même. Ceci est une indication de la grandeur de sa révélation. Parlant avec la voix de Dieu, Baha'u'llah proclame, en fait, dans nombres de ses Épîtres, "Je suis Dieu". Cette identité avec Dieu, cependant, est dans le royaume des attributs de Dieu et non de son essence, qui d'après Baha'u'llah est:

"…il est évident que l'Essence inconnaissable, l'Etre divin, est, à un degré incommensurable, exalté au-dessus de tout attribut humain. Il n'a pas à vivre dans un corps, à monter ni à descendre, à entrer ni à sortir; il est plus grand que les qualifications de chacun ne peuvent l'exprimer et plus mystérieux que le coeur humain ne peut le saisir. À jamais il a été et sera invisible dans son identité. À jamais il sera voilé dans son essence éternelle et sera éternellement caché aux yeux des hommes dans sa réalité. (1)."

Une des traditions de l'islam chiite dit que lorsque le Promis apparaîtra, il prononcera un mot qui fera fuir toutes les gens. Baha'u'llah explique dans une Épître que ce mot est le changement de "Il" en "Je". Au lieu de dire "Il est Dieu", la Manifestation de Dieu en ce jour dira "Je suis Dieu", et les gens privés de compréhension et de perspicacité s'écarteront de lui.

La révélation de ce joyeux et merveilleux poème dans le Siyah-Chal, à une époque où il croulait toujours sous tellement de souffrances, est encore une autre preuve de la vitalité et de la vigueur de l'indomptable esprit de Baha'u'llah. C'est aussi remarquable que seule cette Épître, autant que l'on puisse savoir, fut révélée sur la terre de sa naissance - une terre à laquelle il était dévoué et qui est le berceau de sa révélation.


b) La Cité de Téhéran

Pendant ses quarante années d'exil, Baha'u'llah orientait souvent ses pensées vers Téhéran et se rappelait les événements dramatiques associés avec le lieu où sa révélation prit naissance. Nombre de ses Épîtres louent la cité de Téhéran, l'appelant, la "Terre de Ta" et s'y référant comme étant la "mère du monde", l'"aube de la cause de Dieu", la "fontaine de sa révélation", la "cité sainte et brillante", la "demeure de suprême bénédiction", la "terre de resplendissante gloire" et la "source de joie de toute l'humanité"2 .

Dans le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah a écrit ces paroles rassurantes:

"Que rien ne t'attriste, ô terre de Ta [Téhéran], car Dieu t'a choisie pour être la source de joie de toute l'humanité. Si telle est sa volonté, il bénira ton trône en la personne de celui qui gouvernera avec justice et rassemblera le troupeau de Dieu dispersé par les loups. Un tel souverain se tournera dans la joie et l'allégresse vers le peuple de Baha, et il étendra sur lui ses faveurs. En vérité, il est, aux yeux de Dieu, comme un joyau parmi les hommes. Sur lui reposent pour toujours la gloire de Dieu et la gloire de tous ceux qui demeurent dans le royaume de sa révélation.
Que la joie t'inonde car Dieu, en faisant naître en tes murs la manifestation de sa gloire, a fait de toi "l'aube de sa lumière". Sois heureuse de ce nom qui t'a été conféré, un nom, par lequel le soleil de grâce répand sa splendeur, par lequel la terre et le ciel sont illuminés.
Avant longtemps, l'état de tes affaires changera et les rênes du pouvoir passeront aux mains du peuple. En vérité, ton Seigneur est l'Omniscient. Son autorité embrasse toutes choses. Sois assurée de la bienveillante faveur de ton Seigneur. L'oeil de sa tendre bonté est, pour l'éternité, fixé sur toi. Le jour approche où ton agitation se transformera en paix et en tranquillité. Ainsi en est-il décrété dans le Livre merveilleux. (3)"

Le verset, "Sois heureuse de ce nom qui t'a été conféré, - un nom par lequel le soleil de grâce a répandu sa splendeur, par lequel la terre et le ciel furent illuminés", signifie que "Ta" (la première lettre de Téhéran) dont la valeur numérique est neuf, qui est l'équivalent de Baha, le plus grand nom de Dieu, dont la valeur numérique est aussi neuf, et cela est une grande distinction à la vue de Dieu. En effet, Baha'u'llah dans l'une de ses épîtres se réfère à la lettre "Ta" comme à la reine des lettres. Cependant, pour apprécier ceci, quelques notions de base de l'arabe sont nécessaires. C'est une langue au vaste vocabulaire et aux termes expressifs, et comme chaque lettre de son alphabet a une valeur numérique, il est possible d'exprimer des nombres par des mots et vice-versa. La littérature a été enrichie par des érudits et des écrivains se servant de cette technique. Bien que son origine se trouve dans la langue arabe, cet art a aussi été considérablement employé en persan. Il est souvent considéré comme étant bien plus éloquent dans ces deux langues de se servir de mots plutôt que de chiffres. Par exemple, Nabil-i-A'zam, le célèbre chroniqueur et poète, à l'occasion de l'ascension de Baha'u'llah écrivit une émouvante élégie qu'il conclut par un verset signifiant l'année de sa mort: "Le Seigneur a quitté ce monde". En additionnant la valeur numérique de toutes les lettres dans ce verset en arabe, l'on obtient l'année 1309 AH (1892). Cet usage des mots est bien plus expressif que de donner un simple chiffre. Baha'u'llah et le Bab se sont tous deux servis de cet art dans leurs Écrits, non seulement pour élucider de nombreuses prophéties du Coran et des hadiths (*) qui jusqu'à présent étaient restées obscures ou non divulguées, mais aussi pour exprimer le sens plus profond d'un nom, mot ou nombre.

(*) Nota: Hadith ou "traditions" sont les dires de Muhammad ou des Imams (successeurs de Muhammad), rapportées par ceux qui prétendent les avoir eux-mêmes entendues soit directement ou indirectement.

À un disciple qui avait parvint en sa présence à Acre et devait passer par Téhéran à son retour, Baha'u'llah adressa une épître qui révèle combien il chérissait cette ville où il était né. Dans cette épître, il dit:

"d'aussi loin que tu apercevras ma cité natale [Téhéran], arrête toi et dis: Je suis venu à toi depuis la prison, ô Terre de Ta, porteur de nouvelles de Dieu, le Protecteur dans le danger, l'Absolu. Ô mère du monde et fontaine de lumière pour tous ses peuples, voici les tendres miséricordes de ton Seigneur ; je te salue au nom de celui qui est la Vérité éternelle, l'Omniscient. J'atteste que, dans tes murs, celui qui est le Nom caché fut révélé, et que fut découvert le trésor invisible. Par toi, le secret de toutes choses, tant passées qu'à venir, est révélé. (4)"

Dans une autre épître, les paroles suivantes ont été révélées en l'honneur de la ville:

"Souviens-toi, ô Terre de Ta [Téhéran], des jours anciens où ton Seigneur avait fait de toi le siège de son trône et t'avait enveloppée de l'éclat de sa gloire. Combien furent nombreux ces êtres sanctifiés, ces symboles de certitude qui, dans leur grand amour, te sacrifièrent leur vie et tout ce qu'ils possédaient. Joie pour toi, et bonheur pour ceux qui t'habitent ! Car de toi, je l'atteste, - et tout coeur éclairé le sait bien - procède le souffle de vie de celui qui est le Désir du monde. En toi, l'Invisible est révélé, et de toi est tiré au jour ce qui était caché aux yeux des hommes. Parmi la multitude de tes bien-aimés qui versèrent leur sang au-dedans de ton enceinte et dont la poussière repose en ton sol, quel est celui dont nous rappellerons en ce jour le souvenir ? Les doux parfums de Dieu n'ont cessé et ne cesseront jamais d'être répandus sur toi. Notre plume se sent poussée à commémorer ton souvenir et à exalter les victimes de la tyrannie, ces hommes et ces femmes qui dorment sous ton sol.
Parmi eux est notre propre soeur, dont nous rappelons aujourd'hui le souvenir en signe de notre fidélité à sa mémoire, et en gage de la tendresse que nous lui gardons. Que lamentable fut son sort ! Et avec quelle résignation elle retourna à son Dieu ! Nous seul pouvons le savoir, de qui la connaissance embrasse toutes choses. (5)"


c) Les Soeurs de Baha'u'llah

Cette épître se réfère à la véritable soeur de Baha'u'llah, Sarih-Khanum, en l'honneur de qui de nombreuses épîtres furent révélées. Elle était plus âgée que Baha'u'llah, une disciple fidèle et d'une fermeté absolue dans sa cause. Elle mourut en 1296 AH (vers 1879) à Téhéran, et est enterrée non loin de la ville. L'estime dans laquelle Baha'u'llah la tenait, était si grande, qu'il la mentionne dans l'une de ses épîtres disant qu'il y a autant de récompenses à visiter sa tombe qu'à lui rendre visite à lui. Baha'u'llah avait cinq autres soeurs, mais une seule d'entre elles, une demi-soeur, Sakinih Khanum, connue sous le nom de Tallan Khanum [nota: Elle était la fille d'un précédent mariage de la mère de Baha'u'llah] était une véritable croyante fidèle. Elle endura de nombreuses souffrances dans le sentier de Dieu. Baha'u'llah la chérissait avec beaucoup d'amour et d'affection. Elle est enterrée dans le village de Takur dans la province de Nur, et une prière spéciale de souvenance a été révélée par 'Abdu'l-Baha en son honneur.

Des quatre autre soeurs, deux ne furent pas influencées par la Foi, et devinrent des adeptes de Mirza YaHya. L'une en particulier, Shah Sulnan Khanum connue sous le nom de Khanum Buzurg, se leva contre Baha'u'llah et lui causa de nombreuses souffrances et douleurs. Baha'u'llah fait référence à elle dans le passage suivant de l'Épître au fils du Loup:

"Hasan i Mazindarani (*) était porteur de soixante dix épîtres. Après sa mort, elles ne furent point remises à leurs destinataires, mais confiées à l'une des soeurs de cet opprimé qui, sans raison aucune, s'était détournée de moi. Dieu sait ce qu'il advint de ces épîtres (**). Cette soeur n'avait jamais vécu avec nous. Par le Soleil de vérité, je jure qu'après ces événements, elle ne vit jamais Mirza Yahya et resta ignorante de notre cause, car, en ces jours-là, elle nous était hostile… Par la suite, elle prit parti pour Mirza Yahya. Des rapports contradictoires nous parviennent à présent à son sujet et nous ne savons pas vraiment ce qu'elle dit ni ce qu'elle fait. Nous supplions Dieu - béni et glorifié soit il - de faire en sorte qu'elle se tourne vers lui, et de l'aider à se repentir devant le seuil de sa grâce. (6)"

(*) Nota: Hasan-i-Mazindarani était un cousin et un disciple dévoué de Baha'u'llah. Il lui rendit de nombreuses visites à Acre et, à une de ces occasions, rapporta quelques-unes de ses épîtres en Perse où il les donna aux amis.
(**) Nota: Il mourut lors de son dernier voyage avant d'avoir pu achever sa mission, le résultat fut que soixante-dix épîtres se retrouvèrent dans les mains de Shah Sulnan Khanum, la demi-soeur de Baha'u'llah, mentionnée dans le passage ci-dessus. Ces épîtres, autant que nous le sachions, n'ont jamais été retrouvées.


d) Une prière en quittant la Perse

Les premiers flots de la plume de Baha'u'llah, qui avaient débuté à Téhéran avec la révélation de Rashh-i-'Ama, continuèrent au cours de son exil en Irak. Ce qui suit est un extrait de l'une des prières qu'il a révélées tandis qu'il voyageait durant les mois d'hiver froid et rigoureux, à travers la Perse occidentale. Elle dépeint les souffrances et les épreuves qui lui sont arrivées dans les premiers temps de son ministère.

"Mon Dieu, mon Maître, mon Désir !… Tu as créé cet atome de poussière par la maîtrise achevée de ton pouvoir, et tu l'as nourri de tes mains que nul ne peut enchaîner… Tu l'as destiné à des épreuves et à des tribulations qu'aucune langue ne peut décrire, et dont aucune de tes épîtres ne peut rendre compte avec exactitude. La gorge que tu avais accoutumée au contact de la soie, tu l'as en fin de compte enserrée de lourdes chaînes, et le corps que tu avais enveloppé de brocart et de velours, tu l'as soumis, à la fin, à l'opprobre d'un cachot. Ton décret m'a entravé de liens innombrables, jetant autour de mon cou des chaînes que nul ne peut briser. Des années ont passé pendant lesquelles les afflictions, telles des ondées de miséricorde, se sont déversées sur moi… Que de nuits pendant lesquelles le poids des chaînes et des fers ne me permit aucun repos, et que de jours où la paix et la tranquillité me furent refusées, en raison des afflictions que me causaient les mains et les paroles des hommes ! Le pain et l'eau que, dans ta miséricorde qui englobe tout, tu as accordés aux bêtes des champs, furent tous deux refusés pendant quelque temps à ce serviteur, et ce que les hommes se refusaient à infliger à ceux qui se sont séparés de ta cause, ils permirent qu'on me l'infligeât à moi, jusqu'à ce qu'en définitive ton décret soit irrévocablement fixé, et que ton ordre parvienne à ce serviteur de quitter la Perse, accompagné d'hommes débiles et d'enfants en bas âge, à l'époque où le froid est si intense qu'on ne peut même pas parler, et que neige et glace sont en telle abondance qu'il est impossible d'avancer. (7) ""



5. LES PREMIÈRES ÉPITRES EN IRAK

a) Circonstances de leur révélation


Afin de pouvoir apprécier les Écrits de Baha'u'llah qui furent révélés en Irak nous devons tout d'abord connaître les circonstances et les autres évènements associés à sa personne dans ce pays. Le séjour de Baha'u'llah en Irak, qui dura 10 ans, peut être divisé en trois périodes. La première, témoin de l'aube de sa révélation et de la crise à l'intérieur de la communauté babie entraîna la trahison de son demi-frère Mirza Yahya [nota: Il était connu sous le nom de Subh-i-Azal (le matin d'éternité)]. La deuxième fut la période dans laquelle l'orbe de la révélation de Baha'u'llah subit une éclipse momentanée suite à sa retraite volontaire dans les montagnes lointaines du Kurdistan. Et la troisième fut l'ascension graduelle de cette même orbe et le rayonnement de sa lumière, aboutissant à la déclaration de son message dans le Jardin de Ridvan à l'extérieur de Bagdad.

Mirza Yahya devint célèbre, non pas parce qu'il possédait des qualités exceptionnelles, mais plutôt grâce aux liens proches qu'il avait avec Baha'u'llah. Afin de pouvoir détourner l'attention des ennemis de la Foi de la personne de Baha'u'llah, qui apparaissait alors comme le point central au milieu des premiers croyants, le Bab approuva sans réserve la suggestion de nommer le jeune et relativement inconnu Mirza Yahya comme chef de la communauté babie. Cette suggestion venait de Baha'u'llah et seuls deux autres personnes étaient au courant de ce plan, le frère fidèle de Baha'u'llah, Mirza Musa (Aqay-i-Kalim) et un certain Mulla 'Abdu'l-Karim-i-Qazvini à qui peu de temps avant son martyre, le Bab avait confié la tâche de porter son plumier, ses sceaux et ses écrits à Baha'u'llah. Il fut par la suite martyrisé à Téhéran au moment de l'emprisonnement de Baha'u'llah au Siyah-Chal.

Les avantages de cette nomination étaient évidents et comme ce dispositif fonctionna pour quelque temps, ceux qui étaient dotés de compréhension et de sagesse pouvaient voir que Mirza Yahya n'était qu'une personnalité symbolique, et que c'était seule la main subtile de Baha'u'llah qui discrètement, après le martyre du Bab, dirigeait les affaires de la communauté babie.

Lorsque la nouvelle du martyre du Bab arriva à Téhéran, Mirza Yahya, qui avait alors dix-neuf ans, fut si troublé et si effrayé qu'il se déguisa et s'enfuit vers les montagnes de Mazindaran où il chercha refuge. C'est à cause de sa lâche conduite que de nombreux croyants de cette région perdirent leur foi, certains se joignirent même aux ennemis de la Cause. Après avoir erré dans le Nord et l'Ouest de la Perse pendant près de deux années, Mirza Yahya suivit finalement Baha'u'llah en Irak, mais il craignait tellement d'être reconnu qu'il passait la plupart de son temps soit dans une cachette, soit déguisé. Son état de panique était tel qu'à un moment il menaça même d'excommunier tout babi qui en public dirait qu'il était le chef des babis ou qui montrerait un signe de reconnaissance en le voyant dans les rues ou les bazars de Bagdad.

Pourtant ce n'est pas tant son manque de courage ou son infidélité qui nuisit à la Cause, que son opposition à celui qui était la Manifestation suprême de Dieu en ce jour. Mirza Yahya devint jaloux du prestige croissant de Baha'u'llah auprès de ses amis comme de ses ennemis, lorsqu'il voyait le pouvoir et la majesté de sa personne et l'influence qu'il acquérait sur les habitants de toutes classes à Bagdad. Mirza Yahya craignit de perdre sa propre position, qui était déjà ébranlée par la désillusion de beaucoup de disciples éminents du Bab qui avaient reconnu le caractère superficiel de son savoir, et qui étaient démoralisés par sa lâcheté et sa fourberie. Alors, aidé en cela par le célèbre Siyyid Muhammad-i-Isfahani, il commença à semer les graines du doute dans l'esprit de ceux qui étaient attirés par Baha'u'llah et chercha, par des moyens divers, à le discréditer et à déformer ses efforts pour raviver et ressusciter la distinée de la communauté du Bab qui dégénérait rapidement.

Ce fut plus grâce aux machinations de Siyyid Muhammad, l'incarnation de la cruauté et de la corruption, que Mirza Yahya, sans aucune autorité et en opposition directe avec les enseignements explicites du Bab, prétendit être son successeur - un rang jamais envisagé par le Bab dans ses Écrits. Mirza Yahya, en étroite association avec le siyyid, créa beaucoup de dissension et de confusion dans les rangs des croyants. D'une façon subtile, ils lançaient de fausses accusations contre Baha'u'llah qu'ils présentaient comme celui qui détruisait la cause du Bab et ébranlait ses lois.

Le résultat de ces visées mal intentionnées et nuisibles fut que les épreuves et les souffrances de Baha'u'llah furent extrêmes. Un jour, il quitta Bagdad sans en informer même la famille, et se retira dans les régions montagneuses éloignées du Kurdistan où il resta pendant près de deux ans. "L'objet de notre retraite", écrit Baha'u'llah dans le Kitab-i-Iqan, "était d'éviter de devenir un sujet de discorde parmi les fidèles, une source de troubles pour nos compagnons, le moyen de faire du mal à une âme ou la cause de tristesse pour le coeur." (1)

La plupart des paroles de Dieu qui s'écoulaient de la bouche de Baha'u'llah pendant la première année de son séjour en Irak ne furent pas conservées. Par contre, celles qui furent rapportées sous la forme d'épîtres et qui restent à la postérité, révèlent la tristesse et l'angoisse qu'il a ressenties, à cause de l'infidélité démontrée par Mirza Yahya et certains de ses ignobles compagnons.


b) Lawh-i-Kullu't-Ta'am

Peu de temps avant son départ pour le Kurdistan, Baha'u'llah révéla le Lawh-i-Kullu'n-Ta'am (L'épître de toute nourriture). Elle était adressée à Hadji Mirza Kamalu'd-Din de la ville de Naraq dont l'arrière grand père, Hadji Mulla Mihdi avait écrit un récit sur le martyre de l'Imam Husayn et avait dans un langage émouvant chanté ses louanges et pleuré sa mort. C'est le récit de ce livre qui provoqua une émotion intense dans le coeur du Bab et l'émut jusqu'aux larmes lorsqu'il était emprisonné dans le château de Mah-ku.

Hadji Mirza Kamalu'd-Din était un homme cultivé et érudit, il avait été converti à la foi babie par un certain Mulla Ja'far, qui était arrivé en présence du Bab à Kashan. Il voyagea jusqu'à Bagdad pour rencontrer et recevoir les instructions de Mirza Yahya, que le Bab avait désigné. Ne pouvant le retrouver, il écrivit une lettre à Baha'u'llah le priant de demander à Mirza Yahya un commentaire sur le verset suivant du Coran qui le déconcertait: "Toute nourriture fut permise aux enfants d'Israël excepté celle qu'Israël s'interdit à elle-même" (2)

Baha'u'llah fit remettre cette lettre à Mirza Yahya qui y répondit d'une façon si inadéquate et si superficielle, que cela rendit Hadji Mirza Kamalu'd-Din complètement désillusionné et lui fit perdre toute foi en lui. Hadji Mirza Kamalu'd-Din se tourna alors vers Baha'u'llah et lui demanda de l'éclairer sur le sujet. L'épître de Kullu'n-Ta'am fut révélée en arabe en réponse à sa question.

En recevant et lisant cette épître, Hadji Mirza Kamalu'd-Din fut inspiré et revigoré ; son coeur fut empli d'un nouvel esprit et son âme devint illuminée par la lumière du nouveau Jour. Grâce à cette épître, il trouva la Source de toute connaissance et reconnut le rang de Baha'u'llah comme étant "Celui que Dieu rendra manifeste". En atteignant cet état de reconnaissance, il déclara sa croyance et promit loyauté à Baha'u'llah, qui le mit en garde de ne dévoiler à quiconque la vérité qu'il avait trouvée. Il reçut les directives de retourner dans sa ville natale de Naraq et de partager cette épître avec les amis là-bas.

Ce qu'il fit, servant la cause de Baha'u'llah avec dévouement et sacrifice de soi, jusqu'à sa mort à Naraq vers 1881.

Dans cette épître qui fut révélée peu de temps avant sa retraite dans les montagnes de Kurdistan, Baha'u'llah fait allusion à son intention de quitter Bagdad et déplore les afflictions et les souffrances accumulées sur lui par ceux qui prétendaient être les promoteurs de la cause de Dieu.

"Des océans de tristesse, dont nulle âme ne pourrait endurer une goutte, m'ont assailli. Ma douleur est telle, que mon âme s'est presque séparée de mon corps… Prête l'oreille ô Kamal ! à la voix de cette humble fourmi abandonnée qui s'est cachée dans son trou, et dont le voeu est de quitter votre compagnie et de disparaître de votre vue, à cause de ce que les mains des hommes ont forgé. En vérité, Dieu est témoin entre moi et ses serviteurs… Malheur à moi, malheur à moi !… Tout ce que j'ai vu depuis le jour où, pour la première fois, j'ai bu le lait pur du sein de ma mère, jusqu'à l'heure présente, est effacé de ma mémoire en raison de ce qu'ont commis les mains des peuples. (3)"

Comme l'épître de Kullun't-Ta'am n'est pas toute traduite en anglais, il n'est pas possible de transmettre adéquatement sa signification. Le verset du Coran concernant la nourriture et les enfants d'Israël a apparemment été révélé en réponse à une affirmation des Juifs disant que les lois de l'islam sur la prohibition de certaine nourriture, contrairement aux affirmations des musulmans n'était pas conforme aux lois juives. Baha'u'llah explique que ce verset dans les mondes spirituels de Dieu a des explications infinies dont la plupart sont au-delà de la compréhension de l'homme et qu'il pouvait par sa connaissance qui englobe toute chose, continuer à les révéler pendant de nombreuses années. Mais il a élucidé certaines d'entre elles, y compris la signification spirituelle de nourriture, et ce faisant, il a dévoilé dans une mesure infinitésimale, la gloire, le mystère et l'immensité des mondes spirituels de Dieu qui sont sans limites et bien au-delà de la compréhension des hommes.

Dans cette épître, il mentionne quatre de ces mondes. Pour avoir quelque compréhension de leurs mystères, tournons nos pensées vers la création de Dieu sur cette terre, où existent ensemble différents royaumes, chacun remplissant un but spécifique. Considérons l'être humain qui, dans sa vie, fonctionne simultanément sur trois niveaux différents. En relation avec le royaume inférieur, comme le végétal ou l'animal, l'homme est supérieur et dominant. Dans son propre royaume, cependant, l'homme est créé pour vivre en unité avec ses semblables ; tandis qu'en relation avec les Manifestations de Dieu, il est largement inférieur. Dans cet exemple, nous pouvons voir que bien que l'homme reste le même être, il manifeste trois degrés de qualités et d'attributs ; ceux de l'unité, de l'infériorité et de la supériorité.

De même, les mondes spirituels de Dieu mentionnés dans cette épître sont de trois degrés différents. Le monde de Hahut est décrit par Baha'u'llah comme le Ciel de l'unicité, le royaume de l'Être divin, l'Essence impérissable, un royaume si exalté que même les Manifestations de Dieu sont incapables de le comprendre. Baha'u'llah a écrit dans l'une de ses épîtres:

"De temps immémorial, lui, l'Être divin a été voilé dans la sainteté ineffable de son être exalté, et il restera à jamais enveloppé dans l'impénétrable mystère de son essence inconnaissable… Dix mille prophètes, chacun d'eux étant un Moïse, sont foudroyés sur le Sinaï de leur recherche par la voix menaçante de Dieu: "Jamais tu ne me contempleras !" cependant qu'une myriade de messagers, chacun aussi grand que Jésus restent consternés sur leur trône céleste devant l'interdiction: "Mon essence, tu ne l'appréhenderas jamais !" (4)

Le monde suivant est celui de Lahut qui est le plan de la Divinité, la Cour céleste. Dans les Écrits de Baha'u'llah, il semblerait que le royaume de Lahut serait le monde de Dieu en rapport avec ses Manifestations et ses Élus. Immergés dans l'océan de sa présence, ils ne revendiquent aucun rang pour eux-mêmes sur ce plan et sont comme le néant absolu par rapport à lui. Dans ce royaume, nul n'est identifié à Dieu et l'invocation "Lui seul et nul autre que Lui, est Dieu" devient ici manifeste.

Un autre monde spirituel que Baha'u'llah décrit dans cette épître est celui de Jabarut, l'empyrée. Le rang de ceux qui y habitent est étroitement identifié à Dieu, dans la mesure où ils manifestent tous les attributs de Dieu, parle par sa voix et sont unis à lui. Ce monde semblerait être le royaume dans lequel les Élus de Dieu, en relation avec les choses créées, sont investis de son autorité.

Dans les Écrits de Baha'u'llah, il y a de nombreuses déclarations concernant le double rang des Manifestations de Dieu et de ses Élus. En relation à Dieu, ces saintes Âmes semblent être le néant absolu, mais en relation avec le monde de la création, elles sont dotées de tous les attributs de Dieu et sont tout à fait identifiées à lui. Ainsi que Baha'u'llah l'a déclaré dans l'une de ses épîtres:

"Ô mon Dieu, quand je contemple la relation qui me lie à toi, je suis poussé à proclamer à toutes choses créées: "En vérité, je suis Dieu !" et quand je considère ma propre personne, voilà que je la trouve plus grossière que l'argile ! (5)"

Des déclarations identiques ont aussi été faites dans l'islam. La tradition suivante attribuée à Muhammad, le prophète de l'islam, indique clairement la double nature des messagers de Dieu. "Multiples sont nos relations avec Dieu. Parfois, nous sommes lui même et il est nous-même ; et, parfois, il est ce qu'il est et nous sommes ce que nous sommes." (6)

Un autre plan dans les mondes spirituels de Dieu est celui de Malakut, le Royaume de Dieu auquel les prophètes du passé ont souvent fait référence. Dans l'épître de Kullu'n-Ta'am, Baha'u'llah le décrit comme le Ciel de Justice.

En dehors de ces quatre mondes spirituels, Baha'u'llah se réfère aussi dans cette épître au royaume de Nasut - ce royaume mortel- qu'il décrit comme le Ciel de générosité. Dans plusieurs de ses épîtres il a confirmé que le monde humain ainsi que la révélation divine sont venus à l'existence uniquement par la générosité de Dieu et que si pendant un seul instant sa générosité devait être remplacée par sa justice, la création tout entière cesserait d'exister.

Dans cette épître de Kullu'n-Ta'am, Baha'u'llah décrit quelques-unes des significations du mot "nourriture" dont il est fait mention dans le verset du Coran mentionné plus haut. Dans un cas "nourriture" est interprétée comme toute connaissance, dans un autre cas, comme la reconnaissance de la Manifestation de Dieu. Il déclare aussi que le mot "nourriture", par rapport à la révélation islamique peut être compris comme le Gardiennat de la Foi par les Imams qui succédèrent au Prophète. Et par rapport à sa propre révélation non encore dévoilée, il a identifié "nourriture" avec l'océan de connaissance caché à l'intérieur de ses épîtres.

Dans cette épître il donne aussi de nombreuses interprétations des mots "Israël" et des "enfants d'Israël", et se réfère à Quddus, le plus grand parmi les Lettres du Vivant [nota: Les dix-huit disciples qui les premiers acceptèrent le Bab], comme au "Dernier Point", une dénomination qui l'identifie de près avec le Bab, le "Premier Point", et fait allusion à la grandeur de son rang.

Cette épître de Kullu'n-Ta'am, qui ravit l'imagination de Hadji Mirza Kamalu'd-Din et révéla de nombreux mystères, est caractéristique des épîtres qui furent révélées par Baha'u'llah pendant cette période. Le style de ses Écrits, particulièrement ceux qui sont en arabe pendant les premières années de son ministère, ressemble quelque peu à celui du Bab. Comme le soleil de sa révélation s'élevait vers son zénith dans les années suivant cette période, les Écrits de Baha'u'llah se développèrent dans un nouveau style, atteignant son aboutissement dans la révélation du Kitab-i-Aqdas , le Plus Saint Livre, qui avec lucidité et éloquence manifeste le pouvoir, la majesté et la beauté des paroles sans égales de Baha'u'llah.


c) Quelques-unes des épîtres révélées dans le Kurdistan

La retraite de Baha'u'llah dans les montagnes du Kurdistan ouvrit un nouveau chapitre dans l'histoire de sa révélation. Là, il vécut pendant quelque temps dans un isolement total sur une montagne appelée Sar-Galu, loin du monde. Il laissait derrière lui ses bien-aimés et ses admirateurs ainsi que ceux qui l'avaient trahi et qui avaient provoqué, par leurs mauvais desseins, la disparition imminente de la cause du Bab. Il n'avait avec lui qu'un vêtement de rechange fabriqué dans un tissu grossier du genre porté par les pauvres. Sa nourriture était principalement du lait et occasionnellement un peu de riz. Son habitation rudimentaire en pierre. Ses compagnons ainsi qu'il l'atteste lui-même dans une épître adressée à sa cousine Maryam, étaient "les oiseaux du ciel" et les "bêtes des champs". (7) Dans le Kitab-i-Iqan, il parle de ces jours en ces termes:

"Des larmes d'angoisse coulaient de mes yeux, et dans mon coeur torturé surgissait un océan de souffrance atroce. Nombreux furent les jours où je n'avais pas de nourriture pour me soutenir, et nombreuses les nuits où mon corps ne trouva point de repos… Seul, je me recueillais en esprit, oublieux du monde et de tout ce qu'il renferme…" (8)

Solitaire dans ce lieu sauvage, il psalmodiait tout haut de nombreuses prières et odes, il glorifiait les attributs et chantait les louanges de sa propre révélation. Ces effusions auraient pu revivifier les âmes des hommes et illuminer toute l'humanité, mais au lieu de cela elles furent restreintes à cette terre éloignée ; et ces paroles de Dieu furent, hélas, perdues pour toujours.

Il médita aussi sur des sujets comme la cause de Dieu qu'il rendrait manifeste, sur l'opposition féroce que ses ennemis lanceraient, les tribulations qui étaient déjà les siennes et celles qui devaient encore arriver, la perversité et l'infidélité des chefs de la communauté babie qui avaient entaché le bon renom de la cause du Bab et apporté la honte sur elle.

Après que Baha'u'llah eut passé quelque temps dans cette région, un certain Shaykh Isma'il, chef de l'ordre Khalidiyyih, une secte de l'islam sunnite, avait pris contact avec lui et était très attiré par sa personne. Finalement, il réussit à le persuader de quitter sa retraite pour la ville de Sulaymaniyyih. Là, en un court laps de temps, la grandeur de Baha'u'llah devint manifeste non seulement pour les chefs de religion et les hommes de savoir mais aussi pour tous les habitants de la région.

Il était déjà connu comme un homme de qualités et de connaissance extraordinaires, lorsque l'on remarqua pour la première fois son élégante calligraphie, sa formulation magistrale et la beauté de son style que l'on trouvait dans les lettres qu'il écrivait pour répondre aux messages reçus de différents chefs religieux. Il est intéressant à remarquer que quelques-unes de ces lettres écrites par Baha'u'llah à d'éminentes personnalités telles que le Shaykh 'Abdu'r-Rahman, le chef de l'ordre Qadiriyyih, à Mulla Hamid, un religieux célèbre de Sulaymaniyyih, et à quelques autres personnes, ont été léguées à la postérité et témoignent de la tristesse et de l'angoisse de ces jours. Dans une lettre écrite à Shaykh 'Abdu'r-Rahman, il se lamente de la perte de son fidèle serviteur, Abu'l-Qasim-i-Hamadani, qui l'avait accompagné depuis Bagdad et qui avait été attaqué et tué par des brigands.

La popularité de Baha'u'llah s'étendit dans Sulaymaniyyih et dans les villes des alentours. Il devint bientôt le point d'intérêt pour beaucoup de personnes qui étaient assoiffées de vraie connaissance et d'éclaircissement. Sans révéler son identité il allait parmi eux, jour après jour, et répondait avec simplicité et éloquence à leurs questions sur divers sujets sibyllins et sur des aspects confus de leurs enseignements religieux. Rapidement le peuple du Kurdistan comme l'atteste 'Abdu'l-Baha fut magnétisé par son amour. Quelques-uns de ses admirateurs pensaient même que sa condition était celle d'un Prophète.

L'un des évènements les plus extraordinaires qui captiva le coeur des gens lors du séjour de Baha'u'llah à Sulaymaniyyih, fut la révélation en public d'un poème en arabe appelé Qasidiy-i-Varqa'iyyih. Les religieux de Sulaymaniyyih demandèrent à Baha'u'llah d'entreprendre une tâche que personne n'avait encore réalisée: écrire un poème avec les mêmes rimes que celles du Qasidiy-i-Ta'iyyih, une des oeuvres du célèbre poète arabe, Ibn-i-Farid.

Acceptant leur demande, Baha'u'llah, assis parmi eux, ne dicta pas moins de deux mille versets. Étonnés par une telle révélation, ceux qui étaient présents furent envoûtés et éperdus d'admiration devant une telle interprétation. Ils acclamèrent ses versets bien supérieurs dans leur beauté, leur clarté et leur profondeur au poème original de Ibn-i-Farid. Sachant que le sujet du propos était bien au-delà de la compréhension des gens, il choisit cent vingt-sept versets et leur permit de les copier.

Si nous nous souvenons que Baha'u'llah est persan et qu'il n'est jamais allé à l'école où les difficultés de la langue arabe étaient étudiées, ce poème, ne serait-ce que du point de vue littéraire, se distingue comme un grand témoignage de son génie né de l'Esprit divin. Les mots dont il se sert dans ce poème, sont très riches par leurs significations et produisent lorsqu'ils sont accolés les uns aux autres, un orchestre divin de mélodies spirituelles. Se servant de un ou deux mots seulement, Baha'u'llah fait souvent référence à un verset du Coran ou à certaine tradition de l'islam. Ainsi, en une seule ligne, il évoque et lie ensemble une série de passages du Coran, révélant ainsi les mystères de la révélation de Dieu. Chacun de ces versets est comme un océan créé par de nombreux fleuves affluant ensemble et dans leurs profondeurs cachées se trouvent d'innombrables perles de sagesse et de connaissance.

Après son retour à Bagdad, Baha'u'llah écrivit quelques commentaires de ce poème ; il y donne en persan la signification de mots difficiles et interprète aussi certains de ces versets obscurs. Deux ou trois fois, il fait même remarquer qu'il a en apparence dévié des règles grammaticales ce qui est clairement justifié dans ces circonstances.

Le thème du Qasidiy-i-Varqa'iyyih est la louange et la glorification du Plus-Grand-Esprit qui est descendu sur lui sous la forme symbolique de la "Servante céleste". Il y a un dialogue entre lui, le porteur du message de Dieu, et le Saint Esprit personnifié par la Servante céleste, dont il glorifie les attributs et la splendeur. En ce qui le concerne, il s'attarde sur ses souffrances passées, raconte la façon cruelle dont ses ennemis l'avaient enchaîné, parle de son chagrin, de sa solitude et affirme résolument sa détermination à se lever et à faire face avec fermeté et joie, à toutes les calamités qui, dans le chemin de Dieu, lui adviendront dans le futur.

Le poème montre la relation entre la personne de la Manifestation de Dieu et le Saint Esprit qui l'anime et le nourrit. Il met aussi la lumière sur l'immensité des royaumes spirituels de Dieu d'où toutes les révélations ont été envoyées.

En plus de ce poème, quelques prières et méditations ont été révélées par Baha'u'llah dans le Kurdistan, écrites de sa propre main elles sont préservées pour l'éternité. Parmi ces Écrits, il y a un poème appelé Saqi-Az-Ghayb-i-Baqa. Il est écrit en persan et, à nouveau, comme les autres odes de Baha'u'llah, il est très émouvant et très beau. Il exprime son attente du jour où la gloire de son visage sera dévoilée aux yeux des hommes et les splendeurs de sa révélation répandront sur eux leur lumière. Il affirme que ceux qui désirent atteindre la lumière de sa révélation doivent se détacher de toutes choses terrestres et les avertit qu'ils mériterontd'être en sa présence uniquement lorsqu'ils seront prêts à offrir leur vie dans son sentier.


d) Le Jour de Dieu

Baha'u'llah fait aussi allusion à la grandeur de sa Cause en déclarant que le Sinaï, la scène de la gloire transcendante révélée à Moïse, gravitait maintenant autour de sa révélation et que l'Esprit du Christ aspirait à le rencontrer. Dans beaucoup de ses épîtres nous trouvons des déclarations semblables indiquant que c'est bien le Jour de Dieu lui-même, un Jour que toutes les Manifestations du passé étaient impatientes d'atteindre:

"Le dessein sous-jacent de toute la création est la révélation de ce jour le plus sublime, le plus saint, le jour connu comme le Jour de Dieu sans ses Livres et Écrits - le Jour dont tous les prophètes et les élus et les saints ont désiré être les témoins. (9)"

Et dans un autre passage, il proclame:

"Je vous le dis en vérité ! Nul n'a saisi la racine de cette cause. Il incombe à chacun, en ce jour, de percevoir avec l'oeil de Dieu et d'écouter avec son oreille. Quiconque me perçoit d'un oeil qui soit autre que proprement le mien ne sera jamais capable de me connaître. Nulle parmi les Manifestations de jadis, excepté à un degré prescrit, n'a jamais complètement saisi la nature de cette révélation. (10)"

L'affirmation que la révélation de Baha'u'llah est incommensurablement plus grande que les révélations de jadis, et que les prophètes du passé n'étaient pas entièrement informés de son caractère, semble contredire le fait que toutes les Manifestations de Dieu sont une et la même personne dans la réalité et, comme en témoigne Baha'u'llah:

"… Ils demeurent tous dans le même tabernacle, ils volent dans le même ciel, ils sont assis sur le même trône, prononcent les mêmes paroles et proclament la même foi… (11)"

Une étude attentive des Écrits, cependant, clarifiera la pertinence de ces deux affirmations. Comme le genre humain qui a progressivement évolué de l'état de nourrisson à celui de l'enfance puis d'adolescence, et finalement sera adulte, de même les révélations divines se sont dévoilées d'une manière progressive.

Considérons la croissance d'un être humain du nourrisson à l'adulte. Au fur et à mesure qu'il grandit, ses aptitudes et ses pouvoirs augmentent ; pourtant à chaque étape il demeure la même personne et garde la même identité. Lorsqu'il est dans l'état d'enfance, il manifeste les caractéristiques d'un enfant ; et bien qu'il ait hâte d'atteindre l'âge de maturité, il est incapable à ce moment d'en comprendre le sens. Cependant, quelques années plus tard, son attitude et ses intérêts auront tellement changé et ses talents auront tellement augmenté qu'il lui serait difficile de penser qu'il était cet enfant. Pour lui, l'enfant n'existe plus et tout ce qu'il en reste est un souvenir et peut-être une photographie. Mais en essence, il est la même personne. Ce même principe s'applique durant toute sa vie, c'est-à-dire unité d'identité avec augmentation graduelle de capacité.

De même, les Révélateurs du Verbe de Dieu sont un et les mêmes dans leur essence ; pourtant, en chaque âge, la dernière Manifestation de Dieu manifeste une plus grande mesure de vérité bien qu'il contient en lui-même et dans sa révélation l'essence et la réalité des religions antérieures. Lorsqu'une nouvelle révélation est envoyée par Dieu, la religion précédente perd son esprit. Seule sa forme demeure. Le pouvoir et l'efficacité dont ses enseignements étaient une fois dotés par le Tout-Puissant sont retirés et les lois qui une fois étaient le pilier de ses institutions sociales sont abrogées. Ses disciples, s'ils doivent rester fidèles à leur Prophète, se tourneront vers le nouveau messager de Dieu qui personnifie l'esprit des Manifestations antérieures. S'ils se refusent à cela, non seulement ils adoreront une forme sans esprit et se tourneront vers des horizons assombris mais, en refusant la dernière Manifestation de Dieu, ils nieront l'essence de leur propre Prophète. Dans l'une de ses épîtres, Baha'u'llah confirme cela en ces termes:

"Sois-en assuré au plus profond de toi-même, celui qui se détourne de cette Beauté [nota: Baha'u'llah] se détourne aussi des messagers du passé et fait preuve d'orgueil envers Dieu de toute éternité, en toute éternité. (12)"

Baha'u'llah est apparu au moment historique de la majorité de l'humanité. Tout ce que sa révélation octroie à l'humanité existait potentiellement dans les révélations du passé, mais le révéler alors, eût été prématuré. L'analogie avec l'être humain démontre ce fait, car une enfant a tous les membres, organes et facultés potentielles d'un adulte, mais ne peut s'en servir pleinement avant d'avoir atteint sa maturité.

Grâce à Baha'u'llah, la gloire de la révélation de Dieu à l'humanité a été révélée, une gloire que les Manifestations du passé ont prédite. En vérité, leur but à travers toutes les époques était d'annoncer la venue de Baha'u'llah et de préparer l'humanité pour son avènement. Muhammad a été le dernier à le faire, se référant à lui-même comme au "sceau des prophètes", car sa révélation était la dernière révélation du cycle de religion prophétique. Avec l'apparition du Bab, ce cycle fut fermé et il annonça Baha'u'llah dont la mission n'était pas d'annoncer le Jour de Dieu mais de l'inaugurer en tant que Manifestation suprême de Dieu. Ces paroles glanées dans ses Épîtres illuminent la grandeur de sa révélation:

"Soyez justes, ô peuples du monde ; est-il convenable et bienséant de votre part de discuter l'autorité d'un être dont "celui qui conversa avec Dieu" (Moïse) a brûlé d'être admis en la présence ; un être dont "le bien-aimé de Dieu (Muhammad) a eu soif de contempler la beauté de la face ; un être grâce auquel, par la puissance de son amour, "l'Esprit de Dieu" (Jésus) est monté au ciel ; pour l'amour de qui "le Premier Point" (le Bab) a offert sa vie ? (13)
Saisissez l'occasion, car, en ce jour, un seul instant fugitif surpasse des siècles d'un âge écoulé… Ni le soleil ni la lune n'ont assisté à un jour tel que celui-ci… Il est évident que chaque âge où a vécu une manifestation de Dieu est divinement ordonné et peut, en un sens, être qualifié de jour désigné par Dieu… Cependant, ce jour-ci est unique et doit être distingué de ceux qui l'ont précédé. Le nom de "Sceau des prophètes" en révèle et en démontre pleinement le rang élevé. (14)"


e) Le retour de Baha'u'llah à Bagdad

La renommée de "Darvish Muhammad" [nota: Le nom que porta Baha'u'llah pendant ses deux années d'absence] s'étendait maintenant bien au-delà du Kurdistan. Lorsque la renommée de sa grandeur et de sa connaissance innée parvint à Bagdad, sa famille et ses amis réalisèrent que cela ne pouvait être nul autre que Baha'u'llah lui-même. Cela fut confirmé lorsque les fonctionnaires découvrirent le testament de 'Abdu'l-Qasim-i-Hamadani, le serviteur assassiné de Baha'u'llah, qui léguait tous ses biens à un certain Darvish Muhammad habitant les montagnes du Kurdistan. Entendant cela, sa famille envoya le vénérable Shaykh Sulnan (*) dans le Kurdistan pour retrouver Baha'u'llah. Il partit avec son serviteur et voyagea pendant deux mois avant d'être mené à lui dans le voisinage de Sulaymaniyyih. Après un certain temps, Baha'u'llah répondit favorablement aux supplications insistantes de Shaykh Sulnan qui lui demandait de mettre un terme à ses deux années de retraite. Il retourna à Bagdad, laissant derrière lui une armée d'admirateurs et de partisans qui déploraient amèrement son départ.

(*) Nota: Le beau-père de Mirza Musa , le frère fidèle de Baha'u'llah. (voir les Dawn-Breakers, index, ref. à Sulnan-i-Karbila'i, Shaykh).

Avec l'arrivée de Baha'u'llah à Bagdad en mars 1856, un nouveau jour commença pour le groupe d'exilés en Irak. Durant son absence, il était devenu évident, pour les amis comme pour les ennemis que la communauté babie laissée tellement longtemps sous la direction de personnes infidèles telles que Mirza Yahya et Siyyid Muhammad-i-Isfahani, avait complètement dégénéré. La plupart de ses membres étaient maintenant découragés ; à la différence des premiers héros et martyrs, qui seulement une décennie auparavant avaient démontré avec leur vie la fermeté de leur foi, la force de leur caractère et la profondeur de leur amour, ils étaient maintenant dépourvus de telles vertus et étaient spirituellement morts. De plus, ils étaient divisés. Par exemple, dans la ville de Qazvin, où vivait Tahirih, cette immortelle héroïne de la révélation babie, ils avaient créé quatre sectes chacune portant un nom. Certains suivaient Mirza Yahya, d'autres identifiaient leur foi avec Quddus ou Tahirih et d'autres se considéraient comme les disciples du Bayan, le Livre-Mère de la révélation babie.

C'est aussi pendant cette période que non moins de vingt-cinq personnes s'annoncèrent audacieusement comme étant "Celui que Dieu rendra manifeste" - une désignation par laquelle le Bab s'était référé à Baha'u'llah, le Promis de tous les temps et dont il était le Héraut. Afin de pouvoir soutenir leurs prétentions, certains allèrent même jusqu'à propager leurs propres écrits dans les rangs de la communauté. Cependant, un nombre d'entre eux qui parvinrent en la présence de Baha'u'llah à Bagdad, où ils étaient allés dans le dessein de le convertir, reconnurent son rang, se prosternèrent à ses pieds et implorèrent son pardon pour leur présomption. Certains en vérité s'élevèrent vers de telles hauteurs de servitude et de foi qu'ils se rangent parmi les plus grands de ses disciples.

Une fois encore, Baha'u'llah reprit en mains les rênes de la Cause. Les nuages d'incertitude et de malheur qui étaient suspendus au-dessus des membres de la communauté babie pendant son absence, avaient maintenant disparu. Par ses exhortations et les encouragements qu'il donnait, verbalement comme par écrit, il insuffla une nouvelle vie dans la communauté mourante et, en peu de temps, réussit à transformer quelques-uns de ses membres en géants spirituels de sa révélation.

Baha'u'llah lui-même en témoigne:

"Avec l'aide de Dieu, sa grâce et sa miséricorde divines, nous avons révélé nos versets ainsi qu'une pluie abondante, et nous les avons fait parvenir en différentes parties du monde. Nous avons exhorté tous les hommes, et en particulier ce peuple, par nos sages conseils et nos affectueuses remontrances, en leur interdisant de s'engager dans la sédition, les querelles, les contestations et les conflits. En conséquence de ceci, et par la grâce de Dieu, l'obstination et la folie furent changées en piété et en compréhension, et les armes de guerre furent transformées en instrument de paix. (15)"

Après son retour à Bagdad, les paroles de Baha'u'llah furent révélées à profusion. Elles étaient dites en présence de quelques croyants mais pour la plus grande partie, ne furent pas enregistrées. Nabil-i-A'zam, le chroniqueur immortel de cette révélation, a écrit que Baha'u'llah révéla l'équivalent du Coran en l'espace d'un seul jour et d'une seule nuit, et qu'après son retour du Kurdistan, il continua ainsi pendant deux années entières.

De plus, de nombreuses épîtres furent révélées, soit écrites de la main de Baha'u'llah ou dictées à son secrétaire, Mirza Aqa Jan. Mais une grande quantité de papier sur lequel elles étaient notées fut, sur les ordres de Baha'u'llah, lavé à l'eau pour faire disparaître le texte puis jeté dans le fleuve, il affirma: Il n'existe personne actuellement qui soit digne d'entendre ces mélodies. (16)

Cependant les épîtres qui furent préservées exercèrent une telle influence sur les membres de la communauté babie qu'en une très courte période de temps, ils furent revivifiés, leur vision fut élargie, leur caractère transformé et leur esprit éclairé. Par la révélation de ses épîtres et par son contact personnel avec eux, ces compagnons de Baha'u'llah devinrent une nouvelle création et furent dotés de grands pouvoirs spirituels.



6. LES PAROLES CACHÉES

Parmi les Écrits de Baha'u'llah de cette période, Les Paroles cachées se distinguent comme une charte puissante pour le salut de l'âme humaine. Elles brillent comme un phare lumineux pour les hommes perdus dans le monde de l'obscurité et du matérialisme ; elles donnent la lumière à leurs yeux, leur permettant ainsi de voir le chemin vers leur Seigneur. Elles les mettent aussi en garde contre les nombreuses embûches qui les guettent sur leur chemin et elles tendent une main secourable à chaque virage.

Les Paroles cachées furent révélées par Baha'u'llah vers 1858 sur les rives du Tigre. Dans une de ses épîtres, il déclare que certains de ces passages ont été révélés en une seule fois et consignés dans une tablette. Le reste, révélé à différents moments, y fut ajouté par la suite. Aux premiers temps de la foi, cette compilation était connue sous le nom de "Livre caché de Fanimih".

Fanimih était la fille de Muhammad, la femme la plus sainte et la plus extraordinaire de la "dispensation" islamique. Très jeune, elle fut mariée à 'Ali, le successeur de Muhammad, et lui donna de nombreux enfants, deux d'entre eux, Hasan et Husayn, succédèrent à leur père et devinrent respectivement le deuxième et troisième Imam de la secte chiite de l'islam. Fanimih était une croyante sincère et fidèle et était très dévouée à son père. Sa mort la plongea dans un état de profonde douleur et de chagrin.

D'après les traditions de l'islam chiite, le Saint-Esprit personnifié par l'ange Gabriel descendit sur elle et lui adressa certaines paroles. Celles-ci étaient destinées à 'Ali, son mari, et furent révélées pour apporter dans son deuil la consolation à son âme. Elle mourut peu de temps après l'ascension de son illustre père, le Prophète de l'islam.

Baha'u'llah a identifié les Paroles cachées aux versets qui furent révélés à Fanimih. Il les caractérise comme étant l'essence "… de ce qui est descendu du royaume de gloire, prononcé par la langue du pouvoir et de la puissance et révélé aux prophètes d'autrefois…" (1)

Cette merveilleuse collection de conseils célestes et d'avertissements peut être décrite comme un guide parfait pour l'homme lors de son voyage vers les mondes spirituels de Dieu. L'âme de l'homme n'est pas sujette aux lois de la nature lorsqu'elles opèrent dans ce monde physique. Au contraire, elle est animée, soutenue et gouvernée par l'opération de la grande, de l'éternelle alliance de Dieu avec l'homme. Les Paroles cachées non seulement établissent les dispositions de cette alliance universelle et éternelle qui lie l'homme à son Créateur, mais indique aussi le moyen par lequel il peut lui être fidèle.

Pour comprendre les Paroles cachées, on doit apprécier la double nature de l'homme, c'est-à-dire, l'association en son for intérieur de deux forces opposées, la force spirituelle et la force physique, l'âme et le corps.

L'âme prend son origine dans les mondes spirituels de Dieu. Elle est exaltée au-dessus de la matière et du royaume physique. L'individu vient à l'existence lorsque l'âme, émanant de ces mondes spirituels, devient associée à l'embryon avant la naissance. Mais cette association est bien au-dessus des relations matérielles telles que monter et descendre, entrer et sortir, étant donné que l'âme n'appartient pas au monde de la matière. La relation est comme celle de la lumière envers un miroir. La lumière qui apparaît dans le miroir n'est pas à l'intérieur du miroir. L'éclat vient d'une source externe. De même, l'âme n'est pas à l'intérieur du corps. Elle a une relation spéciale avec le corps et ensemble ils forment l'être humain. Mais cette relation ne dure que le temps de la vie mortelle. Lorsqu'elle cesse, chacun retourne à son origine, le corps au monde de la poussière et l'âme vers les mondes spirituels de Dieu. Ayant émané des royaumes spirituels pour devenir un individu créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et capable d'acquérir des qualités divines et des attributs célestes, l'âme progressera, après sa séparation du corps, pour toute l'éternité.

Mais la condition de l'âme après la mort dépend de la mesure où elle a acquis des vertus divines dans cette vie. Si un enfant naît sans membre, il ne les acquérra jamais après sa naissance et restera handicapé tant qu'il vivra. De même, l'âme, si elle ne se tourne pas vers Dieu dans cette vie pour être illuminée par sa providence bien que progressant, elle restera relativement démunie et dans l'obscurité.

L'âme ne peut amener avec elle dans l'autre monde que les bonnes qualités. Elle ne peut amener les mauvaises. Car le mal n'est que l'absence de bien, comme la pauvreté est l'absence de richesse. Par conséquent, une personne mauvaise est une âme pauvre en qualités divines. Elle amène avec elle seulement une petite quantité de qualités célestes. Mais un homme qui a mené une vie vertueuse dans ce monde en emporte avec lui une quantité bien plus grande. Par la générosité de Dieu, cependant, ces deux âmes progresseront mais chacune à son propre niveau.

Dans la vie future, d'après les Enseignements de Baha'u'llah, il y a différents degrés d'existence et, comme dans cette vie, ceux des niveaux inférieurs, n'auront pas la capacité de comprendre les attributs et les qualités des âmes qui habitent dans les royaumes plus élevés.

La condition la plus haute qui est destinée à l'homme est d'être illuminé par "l'esprit de foi", qui vient par la reconnaissance de la Manifestation de Dieu pour cet âge et par l'obéissance à ses commandements. Atteindre cette condition est la raison même pour laquelle Dieu a créé l'homme.

La vision de l'homme dans la vie mortelle est très restreinte. Comme un prisonnier dans sa cellule qui ne peut pas voir l'immensité, la beauté et l'ordre de cet univers infini qui l'entoure, l'homme est limité dans sa compréhension des mondes spirituels de Dieu. Son érudition et sa connaissance, aussi grandes soient-elles, son intellect, aussi brillant soit-il, ne peuvent assurer sa compréhension des réalités spirituelles. C'est uniquement par la reconnaissance de Baha'u'llah en ce jour et en se tournant vers lui, telle une plante se tournant vers le soleil, que son coeur qui est la source des attributs de Dieu pourra être illuminé. C'est alors que l'homme peut comprendre les significations intérieures des paroles de Baha'u'llah et ainsi être illuminé et attiré vers Dieu.

Se tourner vers Baha'u'llah est la clé de la croissance spirituelle. Dans sa relation avec Baha'u'llah, le croyant assume le rôle femelle, soumettant entièrement sa volonté à la Manifestation de Dieu et ouvrant son coeur aux influences de sa révélation. Alors, comme résultat de sa relation mystique, l'âme de l'homme peut concevoir et éventuellement donner naissance à un enfant qui est "l'esprit de foi". "L'esprit de foi" - le fruit produit par l'âme - est tout particulièrement précieux car il vient à l'existence par l'influence de Baha'u'llah sur le croyant. Il transmet à l'âme une mesure de son propre pouvoir, sa beauté et sa lumière.

Une fois que "l'esprit de foi" est né dans l'âme, il a besoin de nourriture s'il veut grandir et mûrir. À nouveau la révélation de Baha'u'llah et sa parole la pourvoient de cette nourriture. En lisant ses paroles et en les méditant et en s'immergeant dans l'océan de sa révélation, un homme peut développer des qualités spirituelles et sa perception spirituelle grandira de jour en jour. Son esprit deviendra illuminé et même s'il est sans éducation ou illettré, il aura la capacité de comprendre l'esprit interne de la révélation de Baha'u'llah et de dévoiler les mystères qui y sont enchâssés.

Lorsque l'âme atteint à "l'esprit de foi", elle grandit humblement. L'humilité et l'effacement sont les signes d'une croissance spirituelle, tandis que la fierté de soi et de ses propres actions est un ennemi mortel.

À cause de son attachement à ce monde, l'âme n'est pas toujours illuminée par ' l'esprit de foi". Dans une de ses épîtres, Baha'u'llah, s'adressant à ses disciples a comparé l'âme de l'homme à un oiseau:

"Vous êtes dans la situation de l'oiseau qui, du plein essor de ses ailes, joyeusement et avec une entière confiance, plane dans l'immensité des cieux, jusqu'au moment où, sollicité par la faim, il fonce avidement sur l'eau et la boue de la terre, et là, pris dans les rets de ses désirs, se trouve incapable de reprendre son vol vers les royaumes d'où il vient. Impuissant à secouer le fardeau qui pèse sur ses ailes souillées, ce pauvre oiseau, jusque-là hôte du paradis, doit maintenant chercher une demeure dans la poussière. (2)"

Le but principal de Baha'u'llah dans les Paroles cachées est de détacher l'homme de ce monde mortel et de protéger son âme de son plus grand ennemi: elle-même. Les Paroles cachées procurent un moyen par lequel, dans les termes de l'analogie ci-dessus, l'oiseau du coeur de l'homme peut nettoyer ses ailes de la souillure de ce monde et reprendre son vol dans les royaumes de Dieu.

L'attachement à ce monde peut être décrit comme toutes choses qui empêchent l'âme de s'approcher de Dieu. Baha'u'llah a enseigné que ce monde et tout ce qu'il contient a été créé pour que l'homme puisse en profiter. Il a le droit de posséder toutes les bonnes choses qu'ils gagnent et de jouir de tous les plaisirs légitimes que la vie lui donne. Mais à aucun moment il ne doit être attaché à ces facilités. Baha'u'llah enseigne de plus que l'homme doit prendre un grand intérêt dans la vie, travailler pour l'amélioration de ce monde et aider à la construction d'un nouvel ordre mondial pour l'humanité.

Dans une de ses épîtres Baha'u'llah fait les remarques suivantes:

"Qu'un homme désire se parer des ornements de la terre, porter ses habits ou partager les bénéfices qu'elle peut accorder, aucun mal ne pourra lui survenir s'il ne permet pas à quoi que ce soit de s'interposer entre lui et Dieu, car Dieu a ordonné toute bonne chose, qu'elle soit créée aux cieux ou sur la terre, à ceux de ses serviteurs qui croient fidèlement en Lui. Goûtez, ô peuples, aux bonnes choses que Dieu vous a permises et ne vous privez point de ses merveilleux dons. Rendez-lui grâce et louange et soyez de ceux qui sont reconnaissants. (3)"

D'un autre coté, Baha'u'llah a mis en garde le riche en ces termes:

"Ô vous qui tirez vanité des biens périssables !
Sachez en vérité que la richesse est une lourde barrière entre le chercheur et l'objet de son désir, entre l'amant et l'objet de son amour. Seul un petit nombre parmi les riches atteindra la cour de la présence, entrera dans la cité du contentement et de la résignation. Heureux l'homme riche que son opulence n'écarte pas du royaume éternel et ne prive pas de l'empire impérissable. Par le plus grand Nom ! La gloire d'un tel homme illumine les habitants du paradis comme le soleil éclaire les peuples de la terre. (4)"

Bien que la richesse puisse devenir une puissante barrière entre l'homme et Dieu, et que les gens riches sont souvent en grand danger d'attachement, les gens avec des possessions terrestres moindres peuvent aussi devenir attachés aux choses terrestres. L'histoire persane suivante d'un roi et d'un derviche (*) illustre bien ceci. Il était une fois un roi qui avait de nombreuses qualités spirituelles et dont les actions étaient basées sur la justice et l'affectueuse bonté. Il enviait souvent le derviche qui avait renoncé au monde et semblait être libre des besoins de cette vie matérielle, car il errait dans la campagne, dormait n'importe où lorsque la nuit tombait et chantait les louanges de son Seigneur pendant le jour. Sa seule possession était ses vêtements et un panier dans lequel il portait la nourriture donnée par ceux qui lui témoignaient leur sympathie. Le roi était attiré par cette sorte de vie.

(*) Nota: Un musulman, souvent un mystique, qui renonce au monde et communie avec Dieu, subsistant grâce à la charité de ses semblables.

Un jour, il invita un célèbre derviche dans son palais, s'assit à ses pieds et le pria de lui donner des leçons sur le détachement. Le derviche fut enchanté par cette invitation. Il resta quelques jours au palais et chaque fois que le roi était libre, il lui prêchait les vertus d'une vie de mendiant. À la fin, le roi fut converti. Un jour, vêtu du vêtement du pauvre, il quitta son palais en compagnie du derviche. Ils avaient marché ensemble une certaine distance lorsque tout à coup, le derviche se rendit compte qu'il avait oublié au palais son petit panier. Ceci l'incommoda grandement et il en avertit le roi disant qu'il ne pouvait voyager sans son panier, il lui demanda la permission de retourner le chercher. Mais le roi le réprimanda disant que lui-même avait laissé derrière lui ses palais, sa richesse et son pouvoir, tandis que le derviche, qui avait prêché toute sa vie les vertus du détachement, avait enfin été testé et trouvé attaché à ce monde par son petit panier.

La possession de biens terrestres est souvent comprise comme étant la seule forme d'attachement. Mais il n'en est rien. L'homme est fier de ses réalisations, de sa connaissance, de sa position, de sa popularité dans la société et, par-dessus tout, de son amour pour lui-même. Ce sont là quelques-unes des barrières qui se posent entre lui et Dieu. Se débarrasser de ces attachements n'est pas chose facile. Cela peut être un processus douloureux et peut très bien être une bataille spirituelle qui durera tout une vie.

Les Paroles cachées peuvent exercer une puissante influence pour libérer l'homme des chaînes du matérialisme et lui permettre de gagner la bataille contre lui-même. Dans une épître à l'un des enseignants de la Cause - Mirza 'Abbas connu sous le nom de Qàbil, natif de Abadih (*) - 'Abdu'l-Baha lui conseille vivement de lire les versets des Paroles cachées jour et nuit et de supplier Dieu de lui permettre de mener à bien les exhortations de la Beauté Bénie [nota: Baha'u'llah]. Dans la même épître, il explique clairement que les Paroles cachées ne doivent pas simplement être lues. Au contraire, elles ont été données aux croyants par Baha'u'llah pour leur permettre de mettre en pratique ses conseils et ses commandements.

(*) Nota: Une ville historique par son cimetière contenant les têtes de plus de deux cents martyrs. Celles-ci ont été apportées là, via Shiraz, portées piquées à la pointe de baïonnettes, accompagnées principalement par les femmes parentes les plus proches qui étaient forcées de marcher une partie du chemin depuis Nayriz. (près de 310kms).

La vie de service et de dévouement de Qabil indique clairement l'influence puissante et transformatrice sur son âme, dérivant partiellement de sa psalmodie de certains passages des Paroles cachées chaque jour.

C'était un homme zélé et enthousiaste, un poète d'un talent remarquable, un enseignant de grande réputation et par-dessus tout dévoué à Baha'u'llah. Il vécut très vieux, après avoir souffert de nombreuses persécutions et passé une bonne partie de sa vie à voyager et à enseigner. Il avait l'habitude de ne rester chez lui avec sa famille que quelques mois par an ; le reste du temps, il voyageait très loin, sur un âne, chevauchant de village en village et de ville en ville. Son esprit enthousiaste, s'ajoutant à son amour de Baha'u'llah, réjouissait et encourageait les croyants qu'il rencontrait sur son chemin. Ils se réunissaient pour le rencontrer et souvent il leur demandait, lorsque les circonstances le permettaient, de psalmodier ensemble certaines épîtres ou poèmes de Baha'u'llah qui étayaient leurs chants collectifs et leur enseignaient à chanter ensemble certains de ses propres chants magnifiques et émouvants composés en louange et glorification de Baha'u'llah, de 'Abdu'l-Baha ou de Shoghi Effendi [nota: L'aîné des petits-fils de 'Abdu'l-Baha, qu'il nomma pour lui succéder "Gardien de la cause de Dieu"].

À cette époque, jouer des instruments musicaux était désapprouvé par le clergé musulman, et les baha'is faisaient bien attention à ne pas contrarier une population fanatique en en jouant. Mais Qabil avait un certain génie pour taper des mains en accompagnant leurs chants d'amour et de louange. Lorsqu'il y avait plus de liberté, un tambour fait maison était un accompagnement bienvenu pour son chant d'amour à Baha'u'llah. Les croyants, qui étaient souvent opprimés et persécutés, accueillaient toujours avec plaisir ces quelques jours que Qabil passait avec eux, car il créait joie et enthousiasme partout où il allait.

Baha'u'llah se réfère à la révélation des Paroles cachées en ces termes:

"Cachée jusque-là sous le voile de la parole, la merveilleuse Épouse mystique est maintenant, par la grâce de Dieu et sa divine bonté, visible comme la lumière éclatante dégagée par la beauté du Bien-aimé. Ô amis, je témoigne que la grâce est parfaite, l'exposé achevé, la preuve évidente et la cause établie. Voyons maintenant ce que produiront vos efforts dans la voie du détachement. Ainsi, la grâce divine vous est pleinement accordée, comme à ceux qui sont au ciel et sur la terre. Louanges à Dieu, le Seigneur de tous les mondes ! (5)"

Dans ce livre, en l'espace de quelques pages, Baha'u'llah donne à l'humanité une ordonnance qui sauvegarde son bien être et son bonheur. Parlant avec la voix de Dieu, il s'adresse à l'homme et l'exhorte à "posséder un coeur pur, bienveillant et rayonnant". Il met l'accent sur l'importance de nettoyer son coeur, qui est le lieu où point la révélation de Dieu, de l'influence des impies. Il lui recommande de "chasser… l'étranger pour que l'ami puisse rentrer chez lui". Il conseille de ne pas rechercher la compagnie des impies car ceci "changerait la lumière du coeur en feu de l'enfer" ; et l'assure de l'immortalité de l'âme. Il affirme aussi que Dieu a placé en lui "l'essence" de sa "lumière" qui "ne s'éteindra jamais". Il affirme avec confiance que Dieu a "fait de la mort une messagère de joie" pour l'homme ; établit une alliance avec celui qui aime Dieu ; lui enjoint de s'accrocher à la justice, à l'indulgence et à l'amour ; lui rappelle que la "guérison" de tous les maux est "le souvenir" de Dieu ; et décrit les mérites de se tourner vers Dieu à l'aube. Il conseille à l'homme de se détacher de ce monde et de ne pas abandonner "le royaume impérissable de Dieu" pour une "éphémère souveraineté". Il le réprimande pour son insouciance, son indulgence envers lui-même et sa passion. Il lui ordonne d'éviter la convoitise, l'envie, l'orgueil et la suffisance. Il déclare que la langue est faite pour la mention de Dieu, qu'elle ne devrait pas être souillée par le dénigrement et la médisance. Il mentionne que "les hommes, les meilleurs sont ceux qui gagnent leur vie dans leur métier et, pour l'amour de Dieu, dépensent leur argent pour eux-mêmes et pour leurs semblables". Il dénonce "les âmes paresseuses et sans valeur" qui "ne laissent aucun fruit ici-bas" comme étant "les hommes les plus bas". Il parle de la grandeur de sa révélation. Il est très affligé que seules quelques âmes ont été trouvées réceptives à son Appel et que de ce "petit nombre" seule "une infime poignée, ayant un coeur pur et un esprit sanctifié, a été trouvée." Il avertit l'homme de "retirer" sa main de toute "oppression" ; promet de "ne pardonner à l'homme aucune injustice" en ce jour ; annonce "une calamité imprévue" et un "châtiment douloureux" qui poursuit l'homme à cause des actes qu'il a commis ; conseille vivement aux riches de prodiguer leurs richesses aux pauvres ; déclare que "la richesse est une lourde barrière entre le chercheur et son désir, entre l'amoureux et son Bien-Aimé." Il exalte la station de l'homme riche qui est détaché de ses richesses de telle façon que sa "splendeur… illuminera les habitants du ciel comme le soleil éclaire les peuples de la terre". Il conseille vivement à chacun de "s'adonner à des actes purs et saints" ; (6) et décrit, en ces mots, les pouvoirs latents en chaque homme:

"Ô fils de l'esprit !
Je t'ai créé riche, pourquoi t'abaisses-tu à la pauvreté ? Je t'ai fait noble, comment peux-tu t'avilir ? De l'essence du savoir, je t'ai donné la vie, pourquoi cherches-tu la lumière auprès d'un autre ? Dans l'argile de l'amour, je t'ai modelé, comment peux-tu t'occuper d'un autre que moi ? Tourne ton regard vers toi et tu me trouveras en toi, puissant, fort, absolu. (7)"

Il y a quelques passages dans les Paroles cachées qui se réfèrent implicitement à l'alliance de Baha'u'llah - une alliance qui plus tard devint explicite avec la révélation du testament de Baha'u'llah, qu'il appela Kitab-i-'Ahdi (Le Livre de mon alliance).

'Abdu'l-Baha, qui est le Centre de cette même Alliance et l'Interprète nommé des paroles de Baha'u'llah, a expliqué la signification de certains de ces passages. Ce qui suit en est un exemple:

"Ô mes amis !
Avez-vous oublié ce matin vrai et resplendissant où vous étiez réunis en ma présence, dans ces lieux sanctifiés et bénis, à l'ombre de l'arbre de vie planté dans le très-glorieux paradis. Vous écoutiez, subjugués, pendant que je prononçais ces trois paroles des plus sacrées: Ô amis, ne préférez pas votre volonté à la mienne, ne désirez pas ce que je ne désire pas pour vous et ne m'approchez pas d'un coeur sans vie, souillé d'appétits et de désirs terrestres. Si vous sanctifiez vos âmes, vous reverrez alors ce lieu et ses alentours, et la vérité de mes paroles deviendra évidente à chacun de vous. (8)"

Ce "vrai matin resplendissant" déclare 'Abdu'l-Baha, se réfère à la révélation du Bab, "l'arbre de vie" à Baha'u'llah, et "ces lieux sanctifiés et bénis" au coeur de l'homme. Il explique de plus que la réunion à laquelle il est fait référence dans ce verset n'est pas une réunion physique mais spirituelle. L'appel de Dieu fut élevé dans le sanctuaire de leur coeur, mais ils ne répondirent pas et furent déconcertés et troublés.

Dans d'autres épîtres, 'Abdu'l-Baha interprète la signification de la réunion à l'ombre de "l'arbre de vie" comme l'établissement de l'alliance de Baha'u'llah. "Le Seigneur, le Très-Glorifié" d'après les mots de 'Abdu'l-Baha, "a fait, à l'ombre de l'Arbre d'Anissa (l'arbre de vie), une nouvelle alliance et établi un grand Testament…" (9) Que cette Alliance ait été établie au début du ministère de Baha'u'llah est l'un des mystères de la révélation divine. En fait, dans une épître 'Abdu'l-Baha déclare que lorsque l'étoile du matin de la révélation de Baha'u'llah se leva sur l'humanité, le premier rayon qui répandit sa lumière sur ceux qui étaient sous "l'arbre de vie" était celui de l'alliance de Baha'u'llah.

Un autre passage dans les Paroles cachées qui se réfère à l'alliance est le suivant:

"Ô mes amis !
Souvenez-vous du pacte que vous avez conclu avec moi sur le mont Paran, dans le sanctuaire sacré de Zaman. J'ai pris pour témoins l'assemblée céleste (*) et les habitants de la cité éternelle. Pourtant je ne trouve personne aujourd'hui qui soit fidèle à ce pacte. Nul doute que l'orgueil et la révolte ne l'aient effacé des coeurs sans laisser aucune trace. Malgré cette certitude, j'ai pris patience et me suis tu. (10)"

(*) Nota: La réunion des âmes saintes dans l'autre monde.

'Abdu'l-Baha a déclaré que l'alliance sur le mont Paran se réfère à l'alliance de Baha'u'llah qui a été écrite par la Plume exaltée en Terre sainte et qui fut annoncée là-bas après son ascension.

Finalement, les "ailes" et le "peigne" mentionnés dans le verset suivant sont tous deux interprétés par 'Abdu'l-Baha comme étant l'alliance de Baha'u'llah.

"Ô fils de désir,
Combien de temps voleras-tu dans les régions du désir ? Je t'ai donné des ailes pour que tu puisses t'envoler vers les royaumes de la sainteté mystique, et non vers les régions de l'imagination diabolique. Je t'ai donné aussi un peigne pour que tu arranges mes boucles d'ébène, et non pour me lacérer la gorge. (11)"

Dans les Paroles cachées, Baha'u'llah mentionne certaines Épîtres comme "la cinquième Épître du Paradis", et "la Tablette de Rubis" ainsi que quelques lignes qui en sont extraites. (12) 'Abdu'l-Baha a clairement indiqué qu'aucune de ces Épîtres ou lignes n'a été révélée dans ce monde. Elles sont préservées dans le Royaume de Dieu et dans les royaumes célestes.

Il y a un autre passage des Paroles cachées qui est d'une grande signification car il révèle la nature et l'intensité de la révélation de Baha'u'llah et son rang exalté. C'est le suivant:

"Ô fils de justice !
À la nuit, la beauté de l'être immortel se rendit des hauteurs émeraude de la fidélité au Sadratu'l-Muntaha et versa tant de larmes que l'assemblée suprême et les habitants des royaumes célestes gémirent de ses lamentations. Et comme on lui demandait: pourquoi ces pleurs et ces lamentations ? Il répondit: selon l'ordre reçu, j'attendais sur la colline de la loyauté, mais je n'ai pas senti le parfum de la fidélité chez les habitants de la terre. Alors, invité à repartir je regardais, et voilà que des colombes de sainteté étaient meurtries entre les griffes des chiens de la terre. Sur ce, la Vierge céleste, sans voile et resplendissante, se précipita hors de son palais mystique, demanda leurs noms et tous furent donnés sauf un. Sur son insistance, la première lettre en fut prononcée. Aussitôt, les habitants des retraites célestes s'élancèrent hors de leurs demeures de gloire. Et tandis que la seconde lettre était énoncée, tous, sans exception, se prosternèrent dans la poussière. Alors, sortant du saint des saints, une voix se fit entendre: "jusque-là et pas plus loin !" En vérité, nous sommes témoins de ce qu'ils ont fait et de ce qu'ils font encore. (13)"

Dans ce passage, le Sadratu'l-Muntaha signifie littéralement l'arbre au-delà duquel il n'y a as de passage. Les Arabes avaient l'habitude de planter des arbres le long de certaines routes et le dernier arbre indiquant la fin de route était appelé Sadratu'l-Muntaha. Ce terme dont Baha'u'llah se sert dans nombre de ses Écrits est, en un sens, le symbole du rang de la Manifestation de Dieu, un rang qui est au-delà de l'atteinte et de la compréhension des hommes. La "Vierge céleste", dans les Écrits de Baha'u'llah est un terme symbolique et assume différentes significations.

Les deux lettres mentionnées dans le passage ci-dessus, d'après l'interprétation que 'Abdu'l-Baha en donne, sont B et H du mot "Baha" (14). Cela signifie que seulement deux lettres sur trois (B, H et A) ont été révélées dans cette révélation, et que la pleine signification et la puissance de la révélation de Baha'u'llah qui symboliquement sont contenues dans ces trois lettres de son nom, n'ont pas été révélées à l'humanité et que seule une mesure limitée de sa lumière et de sa gloire a été en cet âge déversée sur l'humanité [nota: Le terme "Baha" en arabe se compose de trois lettres. Cette explication ne doit pas être confondue avec une tradition de l'islam qui dit que la connaissance consiste en vingt-sept lettres, dont seules deux ont été révélées par les Prophètes précédant le Bab]. Baha'u'llah témoigne de ceci dans une de ses Épîtres:

"Sachez, en vérité, que le voile qui cache notre face n'a pas été complètement levé. Nous nous sommes révélé dans une mesure correspondant à la capacité des peuples de notre époque. Si l'ancienne Beauté était dévoilée dans la plénitude de sa gloire, les yeux des mortels seraient aveuglés par l'intensité éblouissante de sa révélation. (15)"



7. QUELQUES-UNS DES PREMIERS CROYANTS

Ce fut peu de temps après son retour de Sylaymaniyyih que les Écrits de Baha'u'llah commencèrent à rejoindre les babis en Perse. Cela leur donna un nouvel espoir et une nouvelle vision. Certains furent inspirés par ces Écrits ; d'autres furent si transportés et si galvanisés qu'ils entreprirent de faire à pied, et avec des ressources extrêmement limitées, le long et hasardeux voyage jusqu'à Bagdad dans l'espoir d'atteindre sa présence et de découvrir en sa Personne le mystère à venir de la révélation de Dieu. Et la poignée d'hommes qui était dotée de vision spirituelle grâce à la simple lecture de ces Écrits, reconnut en lui celui désigné par le Bab comme étant "Celui que Dieu rendra manifeste".


a) Mulla Rida de Muhammad-Abad

Un exemple remarquable de la perception d'un homme fut Mulla Muhammad-Rida, natif de Muhammad-Abad, dans la province de Yazd. C'était un religieux connu pour sa piété, son éloquence et son courage. Il avait embrassé la foi babie dès son commencement et il fut à Yazd une grande lumière parmi les disciples du Bab. Ce qui suit est un bref récit de la façon dont il reconnut le rang de Baha'u'llah.

Peu de temps après le retour de Baha'u'llah du Kurdistan, un babi bien connu, surnommé Rada'r-Ruh, célèbre pour sa connaissance et son savoir, partit pour Bagdad et parvint en sa présence. Bien qu'il eût rencontré Baha'u'llah face à face, il faillit, cette fois-là, à reconnaître la pleine gloire de son rang. Lors de son retour vers Yazd, Rada'r-Ruh partagea avec Mulla Rida le Qasidiy-i-Varqa'iyyih révélé par la plume de Baha'u'llah. En lisant cette seule Épître Mulla Rida, grâce à la pureté de son coeur et à la clarté de sa vision, reconnut Baha'u'llah et s'exclama joyeusement: "Je peux voir le Promis du Bayan rendu manifeste et assis sur le trône des mots qui ont été révélés dans cette Épître". (1) Rada'r-Ruh qui avait effectivement accédé à la présence de Baha'u'llah à Bagdad, fut perturbé par l'attitude et les affirmations de Mulla Rida, et fit remarquer que Baha'u'llah lui-même n'avait jamais formulé une telle affirmation. Après quelque temps, cependant, Rada'r-Ruh accepta aussi Baha'u'llah et sa foi, endura de nombreuses persécutions dans son chemin et, finalement, vers l'année 1868 mourut en martyr, dans le village de Mihriz à l'extérieur de Yazd.

L'histoire de la vie de Mulla Rida est fascinante. Le récit qui suit est basé sur une de ses biographies:

Mulla Rida appartenait à une famille bien connue et avait reçu une éducation de religieux musulman. Dès l'instant, où il embrassa la Cause jusqu'au moment même de son décès dans la prison de Téhéran, toute sa vie fut dédiée au travail d'enseignement. Il devrait être considéré comme un grand héros que le Tout-Puissant avait, au premier temps de la Cause, hissé pour proclamer son message et sur lequel il avait conféré le pouvoir d'une langue acérée comme un tranchant d'épée avec laquelle il déchirait les voiles de l'ignorance et de la superstition, et ce faisant s'exposait lui-même à la douleur extrême et à la souffrance. En fait, rarement un jour passait sans qu'il ne reçoive une coupe d'épreuves affligeantes qu'il buvait avec une joie exubérante de satisfaction.
Mulla Rida était un vieil homme de haute stature bien proportionnée ce qui accentuait son port digne. Sa façon de se conduire était gouvernée par un mélange rare de sincérité, d'humour, d'éloquence et de courage exceptionnel et le tout dominé par son amour pour Baha'u'llah. On ne connaît personne qui ait surpassé sa puissance d'endurance inhabituelle. Les amis disent de lui de façon péremptoire que pendant qu'il était retenu à Yazd pour des activités baha'ies, et avant son expulsion de la ville, le Gouverneur avait ordonné que la bastonnade lui soit infligée en public le même jour dans sept carrefours pour dissuader les habitants à se joindre à la nouvelle croyance [nota: bastonnade - la victime est couchée sur le dos tandis que ses pieds, insérés dans un noeud coulant, sont attachés en l'air et la plante battue avec une canne ou un fouet.]. À chaque lieu désigné, Mulla Rida enlevait son aba (manteau), son turban et ses chaussettes, les plaçait sur un mouchoir qu'il avait étendu par terre. Puis, après s'être allongé et avoir mis ses pieds dans le noeud, il couvrait son visage avec le bas de son vêtement et demandait à ses persécuteurs de poursuivre. À aucun moment pendant ces séries de torture, on ne l'entendit murmurer une parole ou faire un signe ou un mouvement qui impliquait un sentiment de douleur. À un certain moment, son calme inhabituel face aux coups de fouet, fit penser aux spectateurs stupéfiés que la victime s'était évanouie. Cependant, lorsque son visage fut découvert, ils le trouvèrent tranquillement en train de se nettoyer les dents !
Comme enseignant, Mulla Rida était hautement qualifié, exceptionnellement bien informé et déterminé. Nul ne pouvait rivaliser avec lui en discours ou dans la connaissance du Coran et dans les lois et traditions islamiques. Lorsqu'il avait été dans la prison de Téhéran, il avait été convoqué de nombreuses fois à des réunions de princes et de notables du royaume pour répondre à des questions concernant la Foi. Et, à chaque fois, il dominait ses adversaires distingués par ses arguments mettant à nu leur ignorance et l'absurdité de leurs idées.
Mulla Rida était un homme de large vision et de grande entreprise, bien que parfois son imagination semblât être à la limite du fantastique. Par exemple, il avait la ferme conviction que l'unité organique de toutes substances serait établie pendant l'ère baha'ie et de plus il a été rapporté qu'il ait dit "si j'étais guidé pour découvrir cette alchimie transmuante, je construirais une ville et j'y bâtirais un Mashriq'ul-Adhkar de cristal [nota: Littéralement, l'Orient de la mention de Dieu: une maison d'adoration baha'ie]. Son hall central serait soutenu par quatre-vingt-quinze piliers et chacune de ses portes de 19 x 9 mètres serait faite d'or massif !"
Très loin d'être prudent et circonspect, Mulla Rida était très intrépide et franc dans ses manières, ses actions et ses dires. Il parlait toujours sous l'impulsion du moment, d'une façon irréfléchie mais efficacement. Ce n'était pas le genre de personne qui "cherchait" des opportunités pour enseigner ; au contraire, il se "forçait" plutôt des ouvertures pour pouvoir parler de la Cause à pratiquement toutes les personnes qu'il rencontrait. La vie de prison, aussi lugubre et morne qu'elle était, ne réussit pas à courber son esprit héroïque ou d'empêcher son aventure audacieuse dans le travail d'enseignement. Au contraire, elle lui apportait de nouvelles opportunités et des pouvoirs spirituels qu'il saisissait et exploitait au maximum, ne tenant pas compte du fait qu'une telle façon indiscrète d'enseigner en public, en présence de prisonniers et d'autorités fanatiques, entraînerait de nouveaux dangers et de nouvelles souffrances non seulement pour lui-même mais aussi pour le reste des amis qui partageaient son terrible sort. "Ses discussions publiques", nous narre Siyyid Asadu'llah-i-Qumi, son compagnon de prison, "devenaient parfois très controversées et les fanatiques excités, qui recherchaient de telles opportunités y prenaient part avec leurs paroles moqueuses et insultantes. Nous avions l'habitude de lui faire remarquer que ces personnes ignorantes qui faisaient des remarques si grossières sur la Cause n'étaient certainement pas de véritables chercheurs de la vérité, mais uniquement des faiseurs de trouble. Mais il soutenait que la Cause est si grande et que par conséquent elle rencontre incontestablement une grande opposition et que ce n'étaient pas ceux qui essayaient de profaner son beau nom par des injures et des vitupérations, qui réussiraient à lui faire le moindre mal. En fait ce qu'ils font, maintenait-il, est de laisser tout le monde se rendre compte à quel point ils sont stupides. Leur acte insensé ressemble à celui de l'homme qui essaye en vain de cracher sur le soleil."
Ce même Siyyid Asadu'llah déclare plus loin que "plusieurs fois nous avons discuté avec Mulla Rida, nous l'avons supplié et conseillé d'être plus modéré et parcimonieux dans ses discours, mais cela ne servit à rien [nota: Quoique Baha'u'llah ait conseillé à ses disciples d'enseigner sa Cause avec sagesse, le caractère de Mulla Rida, son enthousiasme et son dévouement, l'amenèrent probablement à négliger cette injonction]. Puis lorsque la situation s'aggrava et que de nouveaux dangers menacèrent à l'horizon, le sentiment de crainte et d'anxiété dans nos coeurs nous incita à prendre une action qui amena bientôt dans son sillage une cruelle épreuve pour lui et un monde de tristesse pour nous tous. Par précaution contre tout incident, nous allâmes voir le geôlier, Mashhadi'Ali, et nous lui demandâmes de dire à Mulla Rida de ne pas parler en public au sujet de la Cause, en espérant que ses paroles et son autorité l'inciteraient à changer son attitude. Mais hélas, combien alors étions-nous ignorants qu'aucun pouvoir terrestre, qu'aucune quantité de douleur et de souffrance ne pourrait jamais faire courber son esprit intransigeant ou dissuader cet homme de Dieu, âgé, de placer le travail d'enseignement au-dessus de toute sécurité ou autres considérations personnelles. Donc, lorsqu'il refusa de se plier à l'ordre du geôlier, ce dernier devint de plus en plus en colère et ordonna à ses hommes de lui infliger une punition corporelle. Ils amenèrent Mulla Rida dans la cour de la prison et très brutalement flagellèrent son dos nu. Pourtant, malgré son âge avancé et les rigueurs de la vie carcérale, pendant tout son calvaire, il demeura aussi ferme que le roc. Il ne bougea ni n'éleva le moindre cri, et son visage ne porta pas non plus la moindre expression d'agonie. Il semblait qu'il avait momentanément perdu toutes sensations. Tous les amis étaient profondément choqués et secoués à la vue de ses souffrances et tout de suite après la torture, je me dirigeai rapidement vers lui pour offrir ma sympathie et pour nettoyer ses blessures. Mulla Rida très surpris par ma conduite, cria triomphalement: " Ô Siyyid Asadu'llah ! pensez-vous vraiment que j'ai mal ? Au moment de la flagellation, j'étais comme un éléphant ivre et n'ai jamais senti la moindre douleur. J'étais en présence de Baha'u'llah, je lui parlais"".
Parmi les prisonniers non-baha'is qui furent témoins de cette scène atroce, il y avait un homme distingué qui se nommait Ghulam-Rida Khan, dont le coeur fut profondément touché et transformé à la vue de l'endurance surhumaine manifestée par la victime et l'intérêt et la surprise ainsi suscités le conduisirent à faire des recherches. Sa quête de vérité fut bientôt récompensée par la confirmation et finalement il devint un croyant dévoué. Lorsqu'il fut libéré de prison, on lui demanda de quelle manière il était devenu baha'i. "J'ai reçu ma lumière de la flagellation", dit-il, et il ajouta, "si au lieu de cela on m'avait récité des centaines de versets du Coran ou invoqué un millier de raisons pour me convaincre de la vérité de ce Message, rien ne m'aurait influencé comme le calme imperturbable dont fit preuve sous la torture, le vieil et valeureux Mulla Rida."
Une autre histoire racontée par Siyyid Asadu'llah est la suivante. "Il y avait parmi nous un pauvre détenu de confession juive. Un jour, Mulla Rida m'appela et dit: "Vois-tu ce juif, comme il est misérable et seul ? Aucun des musulmans ne lui parle jamais ni ne le fréquente. Ils ne le laissent pas non plus pénétrer dans le bain public parce qu'ils le considèrent comme impur. Et regarde les vêtements sales et en haillons qu'il porte. Alors, ne voudrais-tu pas m'aider à baigner ce pauvre juif à côté de la piscine de la prison ?" Il insista tellement que finalement je consentis à l'assister dans cette tâche dégoûtante. Nous fîmes asseoir le juif à côté de la piscine et ôtâmes les vêtements peu soignés qui recouvraient à peine son corps crasseux. Puis je déversai sans arrêt de l'eau sur lui tandis que Mulla Rida brossait et épongeait son corps souillé. L'ayant totalement lavé, Mulla Rida lui apporta des vêtements propres. Pendant tout ce temps, le juif était éperdu de stupéfaction. "Êtes-vous des anges gardiens ou des êtres humains ?" murmura le juif. "Vous n'êtes certainement pas du peuple des juifs et pourtant si bon, si généreux !" ajouta-t-il. "Ô, homme infortuné !" s'exclama Mulla Rida ; "c'est la parole de notre Père qui m'a soufflé de te laver et de te vêtir. Mais hélas ! tu ne connais pas ton Père, n'est-ce pas ? Et tu n'as pas non plus entendu ses paroles: Fréquentez les peuples de toutes religions dans un esprit d'amour et d'amitié"".
Mulla Rida était un homme qui se comportait bizarrement et d'une manière de pensées inhabituelles selon nos critères. Il atteint un rang dans lequel il voyait dans chaque objet un signe ou un reflet de la gloire de Baha'u'llah, et l'amour qu'il avait pour lui dominait tout son être et il y assujettissait tout autre envie. Mirza Husayn-i-Zanjani, un autre prisonnier baha'i, donne le récit suivant concernant Mulla Rida: "J'ai été son proche compagnon pendant seize mois et je les ai dédiés à son service. Je préparais sa nourriture, lavais ses vêtements et faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour lui rendre la vie confortable. Pourtant il me remerciait rarement ; au lieu de cela, il disait: "je remercie la Beauté Bénie pour le confort et l'aide qu'elle me donne." Chaque fois que je lui apportais de la nourriture, il disait: "Je te rends grâce, ô Baha'u'llah !" Ou lorsqu'il lui arrivait de donner quelque chose en charité ou de rendre un service à quelqu'un, il disait: "Je donne ceci à Baha'u'llah …" Un jour ils amenèrent un prisonnier qui n'avait pas de chemise. Le voyant, Mulla Rida se tourna vers moi et dit: "Ce pauvre jeune homme est un serviteur de Baha'u'llah, bien qu'il ne connaisse pas son Seigneur. Comme il est à moitié nu, nous ferions bien de lui donner la chemise de rechange que nous avons pour nous. Nous n'avons pas besoin d'avoir une chemise de rechange en prison ; c'est une sorte de luxe et franchement nous pouvons nous en passer." Je lui dis "Très bien, mettez sur vous cette chemise de rechange que je viens de laver et donnez à ce garçon celle que vous portez maintenant." En entendant ma suggestion, Mulla Rida perdu son calme et me cria indigné: "Est-ce que vous voulez dire que je dois enfiler la chemise propre et mettre ma chemise usée dans les mains de la Beauté Bénie ? Comment osez-vous faire une suggestion si cruelle ? N'êtes-vous pas baha'i ? Baha'u'llah dit que ce n'est pas de la charité à moins de donner les choses auxquelles vous tenez le plus. Je me demande combien de temps, il vous faudra pour parvenir à comprendre"".
Mirza Husayn déclare de plus: "Au début du règne de Muzaffari'd-Din Shah (1896-1907) en différentes occasions, les amis de Téhéran firent une pétition au Chah et réussirent à obtenir un décret pour notre délivrance. Le jour de notre libération, on nous fît défiler enchaînés le long de la route noire de monde vers la maison du Farrash-Bashi [nota: Chef de la police], où nous avons été amenés en détention, en attendant que les diverses formalités soient accomplies. Pendant toute cette période de temps angoissante nous suppliâmes et conjurâmes Mulla Rida de garder son calme et son silence, de crainte qu'une parole irréfléchie aux autorités ne crée pour nous de nouveaux ennuis et de nouvelles souffrances. Pourtant, en dépit de nos mises en garde constantes et à l'encontre de nos suggestions, il alla dans la pièce à côté pour parler à un groupe d'étudiants en théologie mené par un Siyyid fanatique et arrogant. Nous pouvions entendre leur conversation tandis qu'elle s'amplifiait vers une dispute violente. Mulla Rida assenait fort les armes irréfutables des preuves, accompagnées par un flot de versets du Coran. Le groupe hostile était totalement déconcerté et, comme personne ne pouvait le défier avec des arguments, ils devinrent hystériques et grossiers, donnant des coups à Mulla Rida et l'éjectant de parmi eux. Ce tragique incident, cependant, ne se termina pas là. Il mena vers de tristes conséquences. Le même jour, par des machinations malveillantes du Siyyid, Mulla Rida fut reconduit en prison tandis que nous fûmes tous relâchés.
"Ce dernier événement apporta une immense tristesse et de l'anxiété à nos coeurs, mais ne réussit pas le moins du monde à troubler Mulla Rida. Il resta résolu, heureux, imperturbable et aussi jovial que toujours. Cependant, comme il n'y avait personne pour s'occuper de lui en prison, les dures privations et les épreuves qu'il subissait se firent fortement sentir sur son corps frêle et âgé et elles réussirent à hâter son voyage vers les rivages de l'éternité. Ses jours de souffrances étaient maintenant comptés et à peine dix jours après son ultime emprisonnement, son âme illustre prit son envol vers la demeure du Bien-Aimé."
Les deux magnifiques Épîtres révélées par 'Abdu'l-Baha en mémoire de son souvenir impérissable montrent combien est glorieux son rang comme enseignant ainsi que comme martyr, et quel exemple héroïque il a démontré en servant la Cause de Dieu. (2)

Alors que Mulla Rida reconnut le rang de Baha'u'llah par la simple lecture de l'une de ses Épîtres, il y en avait d'autres qui, bien que sincères dans leur quête de vérité, privés de cette vision et à cause de leur savoir et de leur connaissance, mirent beaucoup plus de temps pour reconnaître l'authenticité du message de Baha'u'llah .


b) Nabil-i-Akbar

Parmi ceux qui voyagèrent vers Bagdad et accédèrent en la présence de Baha'u'llah, il ne fait pas de doute que le plus savant et le plus érudit était Mulla Muhammad-i-Qa'ini, surnommé plus tard par Baha'u'llah, Nabil-i-Akbar [nota: À ne pas confondre avec Nabil-i-A'zam, le célèbre historien baha'i]. Ce grand homme était doté de qualités extraordinaires et de capacités intellectuelles. Certains le considéraient comme un prodige parmi les érudits et les savants. Sa renommée peut être établie par le fait que, après plusieurs années d'étude à la maison, il passa à peu près six ans en Irak pour étudier la théologie et autres sujets divers associés à la jurisprudence islamique. Son professeur était le célèbre Mujtahid de Karbila [nota: Docteur de loi islamique], Shaykh Murtiday-i-Ansari, le chef de la communauté chiite, qui était très bien disposé envers la Foi. C'était un ecclésiaste dont les critères étaient si sévères que, à ce que l'on dit durant toute sa vie, il n'accorda le titre de mujtahid qu'à seulement trois personnes. Une de ces trois personnes était Nabil-i-Akbar. Dans ses écrits Baha'u'llah a prôné Shaykh Murtida et le compte parmi "ces docteurs qui ont effectivement bu à la coupe du renoncement". 'Abdu'l-Baha l'a aussi décrit comme "l'érudit, l'illustre docteur et le noble et réputé savant, le sceau des chercheurs de vérité". (3)

Nabil-i-Akbar était reconnu comme l'un des hommes de savoir les plus extraordinaires de Perse. Sa réputation s'était propagée à travers le pays à un tel point, que lorsqu'il parla incognito à un certain nombre de religieux dans le lointain Kirman, l'auditoire était éperdu d'admiration par son superbe discours et l'on entendit certaines personnes dire que la seule personne dans tous le pays qui pourrait rivaliser avec un tel homme dans le champ du savoir et de la connaissance était le célèbre Mulla Muhammad-i-Qa'ini (c'est-à-dire Nabil-i-Akbar lui-même).

Il embrassa la foi babie vers 1853. Quelque six ans plus tard, à Bagdad, il alla rendre visite à Baha'u'llah. Là, ce dernier, l'accueillit chaleureusement et il lui fut accordé l'honneur de demeurer dans les appartements extérieurs de sa maison, normalement réservés à la réception des visiteurs. Baha'u'llah donna à Mirza Aqa Jan les instructions de lui servir d'hôte. L'extrait suivant, de la chronique parlée de Nabil-i-Akbar relate les évènements de ces quelques jours qu'il passa dans la maison de Baha'u'llah:

Un après-midi, j'étais assis dans la salle, parlant avec Mulla Muhammad-Sadiq-i-Khurasani, surnommé Muqaddas. (4) C'était un homme érudit d'une grande dignité et de haute stature. Tandis que nous parlions ensemble, Baha'u'llah, qui venait juste de rentrer de la ville, arriva dans l'appartement extérieur accompagné du Prince Mulk-Ara dont il tenait la main. Mulla Sadiq qui était l'incarnation de la dignité et de la solennité, se mit immédiatement debout et s'agenouilla aux pieds de Baha'u'llah. Cette action ne plut pas à Baha'u'llah qui, fâché, réprimanda Mulla Sadiq et lui commanda de se lever immédiatement, après quoi il sortit de la pièce suivi du Prince.
Je fus surpris et déconcerté par une telle conduite de la part de Mulla Sadiq car je ne m'attendais pas à ce qu'une personne si importante puisse agir de la sorte. Ayant aussi été témoin de la réaction de Baha'u'llah, j'exprimai mon désaccord sur la conduite de Mulla Sadiq et l'admonestai vivement, disant: "Vous êtes un homme qui occupe une position exaltée dans le royaume de la connaissance et du savoir et, par-dessus tout, vous avez eu l'honneur d'accéder à la présence du Bab lui-même. Votre condition vient après celle des Lettres du Vivant et vous êtes l'un des Témoins (*) de la Révélation du Bab. Il est vrai que Baha'u'llah est un personnage important qui appartient à la noblesse et ses ancêtres ont occupé de hautes positions dans le gouvernement. C'est aussi vrai qu'il a souffert de la persécution et de l'emprisonnement pour avoir embrassé la cause de Dieu, que toutes ses possessions ont été confisquées et que finalement il a été exilé vers cette terre. Pourtant, votre conduite envers lui cette après-midi était comme celle d'un serviteur indigne envers son glorieux Seigneur".
Mulla Sadiq s'abstint de me répondre. Il était dans un état d'intoxication spirituelle, son visage rayonnant de joie. Il me dit simplement, "Je supplie Dieu de déchirer le voile pour toi et de déverser ses bontés sur ta personne par son abondante grâce."
Après cet incident, je décidai en moi-même d'enquêter et commençai à observer très soigneusement la personne de Baha'u'llah et ses actions. Plus j'observais, moins je découvrais de signe qui pourrait indiquer sa prétention à un rang. Au contraire, je n'observai rien de spécial en lui, que ce soit en parole ou en action, si ce n'est l'humilité, l'effacement, la servitude et l'anéantissement total. Comme résultat, je fus conduit à une grossière erreur, croyant que j'étais en tous points supérieur à Baha'u'llah, me préférant à lui.
C'était par vaine imagination que dans les réunions avec les amis, j'occupais toujours la place d'honneur, assumais la fonction d'orateur et ne laissais aucune possibilité à Baha'u'llah de parler ni même à quiconque d'autre. Un après-midi, Baha'u'llah organisa une réunion chez lui et un nombre d'amis s'étaient réunis, comme à l'accoutumée, dans la même grande pièce, une pièce autour de laquelle, d'après la Plume du Très-Haut, gravite en adoration le peuple de Baha. À nouveau, j'occupais la place d'honneur. Baha'u'llah s'assit au milieu des amis et servit le thé de ses propres mains.
Pendant la réunion, une certaine question fut posée. M'étant assuré que personne dans la pièce n'était capable de maîtriser le problème, je commençai à parler. Tous les amis écoutaient attentivement et étaient absolument silencieux, sauf Baha'u'llah qui de temps à autre, bien qu'en étant d'accord avec mon exposé, faisait quelques commentaires sur le sujet. Petit à petit, il prit le contrôle et je devins silencieux. Ses explications étaient si profondes et l'océan de ses paroles déferlait avec une telle force, que mon être tout entier fut saisi de crainte et de peur. Envoûté par ses paroles, j'étais pantois, plongé dans un état de stupéfaction. Après avoir écouté ses paroles pendant quelques minutes - paroles de merveilles et de majesté sans pareille - j'étais pétrifié. Je ne pouvais plus entendre sa voix. C'était uniquement par le mouvement de ses lèvres que je savais qu'il parlait toujours. Je me sentis profondément honteux et gêné d'occuper la place d'honneur à cette réunion. J'attendis impatiemment jusqu'à ce que je pusse voir que ses lèvres ne bougeaient plus pour comprendre qu'il avait fini de parler. Comme un oiseau sans défense qui est délivré des griffes d'un puissant faucon, je me levai et sortis. Une fois dehors, je me tapais trois fois la tête contre le mur, très fort, et me réprimandai pour mon aveuglement spirituel. (5)

(*) Nota: Certains croyants furent nommés "Témoins" du Bayan - le Livre-Mère de la révélation babie - pour témoigner de sa validité et de son authenticité comme Verbe de Dieu, jusqu'à l'apparition de "Celui que Dieu rendra manifeste" (c'est-à-dire Baha'u'llah) où leur fonction de "Témoins" cesserait.

Les yeux de Nabil-i-Akbar étaient enfin ouverts. Il participa à une autre réunion, cette fois-ci à Kazimayn dans la maison d'un certain Haji 'Abdu'l-Majid-i-Shirazi. Baha'u'llah était présent à cette réunion. Il parla des mystères de la création et de ses origines. Ici, un nouveau monde, plein de significations nouvelles apparut à Nabil-i-Akbar qui considérait chaque parole de Baha'u'llah comme une gemme précieuse. Tout ce que Nabil-i-Akbar avait entendu ou étudié pendant sa vie lui apparaissait comme une simple conversation enfantine.

Arrivé là, il décida de demander directement à Baha'u'llah qu'elle était sa condition et lui écrivit une lettre qu'il pria 'Abdu'l-Baha de lui remettre. Le jour suivant il reçut une épître de Baha'u'llah faisant allusion à sa condition élevée. Cela mit un terme à la recherche de Nabil-i-Akbar qui écrivit une seconde lettre à Baha'u'llah, cette fois-ci le reconnaissant humblement comme la Manifestation suprême de Dieu et le suppliant de guider ses pas en son service. Baha'u'llah lui donna les instructions de retourner en Perse et d'y enseigner la Cause là-bas.

Nabil-i-Akbar dédia toute sa vie au service de la Cause, souffrant de nombreuses persécutions des ennemis de la Foi. Il s'éleva à de telles hauteurs de service et de dévouement que très peu parmi les Apôtres de Baha'u'llah ont été capables d'égaler ses exploits.

Il mourut en 1892, peu de temps après l'ascension de Baha'u'llah et fut enterré dans la ville de Bukhara. 'Abdu'l-Baha demanda à ce qu'une délégation de neuf croyants se rende de sa part à son tombeau et que là ils chantent la prière de souvenance qu'il avait écrite spécialement pour lui. Quelques années plus tard il prescrivit au neveu de Nabil-i-Akbar de transférer ses restes de Bukhara à 'Ishqabad - un transfert qui se révéla être providentiel car le cimetière fut démoli peu de temps après par les autorités.

Comme Nabil-i-Akbar vint à Baha'u'llah et vit la lumière de la Révélation divine, de nombreux disciples du Bab firent de même. Certains étaient érudits, d'autres sans éducation. Ils s'assirent tous à ses pieds et reçurent, selon leurs différentes capacités, une mesure de ses averses spirituelles. La plupart des épîtres de Baha'u'llah datant de cette période furent écrites en l'honneur de ces hommes.



8. LES SEPT VALLÉES

Un des Écrits de Baha'u'llah, révélé après son retour de Sulaymaniyyih, est intitulé: les Sept Vallées. Cet ouvrage est un remarquable chef d'oeuvre de composition mystique. Il fut écrit en réponse aux questions d'un soufi [nota: Un membre d'un culte mystique musulman]. Shaykh Muhyi'd-Din, le juge de la ville de Khaniqayn. Sans être babi, il était un admirateur de Baha'u'llah et il lui avait écrit une lettre exprimant certaines pensées et posant des questions en termes mystiques.

Le thème des Sept Vallées est le voyage de l'âme depuis sa demeure en ce monde vers le royaume de l'approche de Dieu. Les sept étapes de ce voyage étaient déjà familières aux soufis, ayant été décrites par Faridu'd-Din-i-Annar, un commentateur exceptionnel du soufisme à son origine. Baha'u'llah précise la définition profonde et la signification de ces sept étapes.

Il y a d'abord "La Vallée de la Recherche", dans laquelle est décrit le chemin que le véritable chercheur doit prendre pour atteindre son but, qui est celui de la reconnaissance de la Manifestation de Dieu pour l'époque dans laquelle il vit. Avant toute chose, il doit "purifier son coeur - source des trésors divins - de tout attachement". Il doit refuser de suivre "les voies de… ses pères et de ses aïeux" et doit "fermer à tous les habitants du monde les portes de l'amitié comme de l'inimitié." (1) Il doit sacrifier "tout ce qu'il a vu, entendu et compris…" (2) Ardeur, zèle et patience sont les qualités qui lui seront nécessaires dans cette étape.

Puis vient "La Vallée de l'Amour". Ici le voyageur est comme un papillon qui vient de trouver une flamme et, dans son impatience de l'atteindre, tourne autour, s'approchant de plus en plus près jusqu'à ce que finalement il soit brûlé sous les feux du sacrifice.

Ceci est une étape dans laquelle le coeur de l'homme est touché par la gloire de la Manifestation de Dieu qu'il a cherchée et trouvée. Ici, le croyant ne comprend ni les raisons ni les preuves. Son coeur est attiré, car il est tombé amoureux de son Bien-Aimé. En vérité, l'histoire de chaque religion est écrite dans le langage de l'amour. Au début de la foi de Baha'u'llah, par exemple, parmi les milliers de personnes qui vinrent en contact avec la Manifestation de Dieu et furent attirées par elle, certaines, connaissaient peu de chose de l'histoire, des enseignements, des preuves ou des lois de sa Cause, mais elles adoraient le Bab et Baha'u'llah . Elles étaient si enivrées par le vin de leurs paroles que, lorsque l'occasion le nécessita, elles donnèrent volontairement leur vie. Leur amour était si intense que certains croyants qui vinrent en la présence de Baha'u'llah, le supplièrent de les accepter comme martyrs. D'autres étaient si attirés par son pouvoir suprême qu'ils ne pouvaient pas supporter la pensée d'être séparé de lui.

Par exemple, lorsque la nouvelle du proche départ de Baha'u'llah pour Constantinople parvint à ses compagnons à Bagdad, ils furent tous envahis par la tristesse et la consternation. La première nuit, aucun d'entre eux ne put manger ou dormir, et beaucoup décidèrent de se supprimer si pendant son voyage, ils étaient privés de sa présence. Sans l'ombre d'un doute, ces compagnons qui étaient les amants de sa beauté auraient mis leur intention à exécution, s'il n'y avait eu les conseils et les exhortations que Baha'u'llah leur adressa, paroles qui les consolèrent et leur permirent de se résigner à la volonté de Dieu.

Aucun récit plus grand ne peut être trouvé pour montrer cet amour dévorant pour Baha'u'llah, que celui de Haji Muhammad-Ja'far-i-Tabrizi. C'était un croyant dévoué qui tout d'abord fut en présence de Baha'u'llah à Bagdad. Il reconnut son rang et consacra sa vie au service de son Seigneur. Lorsque Baha'u'llah établit sa résidence à Andrinople, Haji Ja'far voyagea avec son frère (qui était aussi un croyant) vers cette cité et y résida. Il était tellement captivé par Baha'u'llah que lorsqu'il découvrit que les autorités n'avaient pas inclus son nom parmi ceux qui devaient accompagner Baha'u'llah à Acre, il essaya de se couper la gorge. Des amis arrivèrent juste à temps pour le sauver.

La conséquence fut que les autorités qui tout d'abord étaient catégoriques en n'autorisant pas les disciples de Baha'u'llah à l'accompagner jusqu'à Acre changèrent d'avis et permirent à la plupart de ses compagnons de voyager avec lui. Mais l'état de Haji Ja'far était grave. Sa gorge saignait abondamment et il fut amené à l'hôpital pour y être soigné. Les autorités lui promirent que lorsque ses blessures seraient guéries, il serait autorisé à aller à Acre avec son frère. Deux mois plus tard, ils arrivèrent tous deux et rejoignirent Baha'u'llah dans la plus grande Prison.

La troisième étape du voyage est "La Vallée de la Connaissance". Le mot "connaissance", cependant, peut être trompeur car il ne donne pas toute la définition du mot originel "Ma'rifat" dont se sert Baha'u'llah. Il est difficile de trouver un seul mot en français qui puisse fidèlement transmettre son entière signification, c'est un mélange de véritable compréhension, reconnaissance et discernement.

La connaissance à laquelle l'on se réfère dans cette vallée n'est pas, au départ, basée sur le savoir. La connaissance de Dieu se révèle à l'homme à travers son coeur. La fierté de son savoir et de sa réussite prive souvent le coeur de la lumière de la véritable compréhension. L'âme dans cette vallée reconnaît la vérité et atteint l'étape de la certitude. "Son oeil intérieur s'ouvre et il converse dans l'intimité avec son Bien-Aimé (3)" Il acquiert une nouvelle vision et commence à comprendre les mystères de la révélation et de la création de Dieu. Il ne sera pas découragé lorsqu'il aura à faire face à la douleur et aux calamités. Au contraire, il s'en approchera avec compréhension et résignation, car "il verra la fin dans le commencement (4)" et il découvrira que les souffrances et les tribulations sont souvent la miséricorde et la bénédiction de Dieu. Dans chaque chose, il trouve une sagesse. "Dans cet état, il acquiesce au décret de Dieu et voit la guerre comme si c'était la paix. Il découvre dans la mort les secrets de la vie éternelle… Dans l'océan, il trouve une goutte, et, dans une goutte, il voit les secrets de la mer". (5)

L'étape suivante est "La Vallée de l'Unité" où le voyageur est élevé de la plaine de la limitation jusqu'à celle de l'absolu. Ici, il ne voit plus le monde de la création de façon subjective, restreinte par les limitations de ses propres yeux, mais voit objectivement à travers les yeux de Dieu. Il découvre que chaque chose créée, manifeste, selon sa propre capacité, certains des attributs de Dieu, et que le degré d'une telle manifestation diffère dans chaque royaume de la création.

Comme un homme qui plane dans l'espace et qui, d'un oeil qui englobe tout regarde la terre sous lui, le voyageur, débarrassé de la cage du soi et de la passion et libéré de l'esclavage des limitations, pénètre dans la plaine de l'universalité. Sa vision est élargie au point qu'il n'est plus concerné par lui-même ni attaché à ce monde. Il voit en chaque chose les signes et dons de Dieu. "Il considère toute chose avec l'oeil de l'unité. Il voit les rayons de splendeur du soleil divin briller… sur tout ce qui existe, et les lumières de l'unité se refléter dans toute la création." "Il ne s'attribue aucun nom, aucun titre, aucun rang, trouvant dans sa louange à Dieu son propre éloge". (6)

Ayant atteint cette condition élevée du détachement des choses de ce monde, le voyageur devient indépendant de toutes choses créées et pénètre dans "La Vallée du contentement". Bien qu'extérieurement il puisse être pauvre, intérieurement il est doté de la richesse et du pouvoir du monde de l'esprit.

L'histoire de la Foi rapporte beaucoup d'épisodes émouvants de la vie des premiers croyants, qui avaient des positions élevées et qui jouissaient de richesses et du luxe. En embrassant la Foi, cependant, ils furent dépouillés de leur rang et de leurs possessions terrestres par les ennemis de la Cause. Néanmoins, beaucoup d'entre eux, qui n'avaient pas centré leur affection sur les réalités de ce monde et avaient franchi "la plaine du contentement", demeurèrent sans être affectés par la pauvreté et la disgrâce, la persécution et la souffrance. Les changements et les hasards de ce monde n'avaient pas le pouvoir d'affaiblir leur foi ou de troubler leur sérénité et leur paix de l'esprit.

Le bonheur est l'un des attributs du vrai croyant, mais ceci ne peut être réalisé par une vie fondée sur les délices et les plaisirs de ce monde. Car un tel bonheur est seulement transitoire et peut effectivement être de la tristesse déguisée. Seuls, ceux qui ont pénétré dans la vallée du contentement ont expérimenté la véritable joie, même si leur vie est sujette à l'affliction et à la souffrance. Baha'u'llah déclare que le voyageur dans la vallée du contentement brûle les "voiles du besoin… Du chagrin, il passe à la béatitude, de l'angoisse à la joie. Sa peine, son affliction cèdent au délice et au ravissement". (7)

La vie de 'Abdu'l-Baha, l'Exemple des enseignements de Baha'u'llah, se distingue comme un exemple étincelant de ce qu'est réellement le bonheur. Depuis l'âge de neuf ans, il partagea les souffrances et les persécutions infligées à son Père, passant quarante années à Acre comme prisonnier de deux despotes turcs. Pourtant, pendant ces années sombres, il demeura le plus joyeux des compagnons de Baha'u'llah, et déversa son amour sur tous ceux qu'il rencontrait.

Quelques années après sa libération, il dit:

"La liberté n'est pas une affaire de lieu ou de condition. J'étais heureux en prison, car ces jours s'écoulaient dans le chemin du service.
Pour moi la prison était liberté.
Les difficultés étaient un repos pour moi.
La mort est vie.
Être méprisé est un honneur.
Ainsi étais-je très heureux tout le temps de mon emprisonnement.
Lorsque quelqu'un est délivré de la prison du soi, cela est vraiment la liberté ! Car l'ego est la plus grande prison.
Lorsque cette délivrance a lieu, l'on ne peut jamais être emprisonné. À moins d'accepter les dures vicissitudes, non pas avec une triste résignation mais avec un radieux acquiescement, l'on ne peut atteindre à cette liberté". (8)"

Ayant atteint le contentement, le voyageur arrive dans "La Vallée de l'Émerveillement" et "est… frappé de mutisme devant la beauté du Très-Glorieux…" (9) Comme une personne qui plongeant dans l'océan devient tout à coup consciente de sa grandeur et de sa profondeur abyssale, le voyageur dans cette vallée voit l'immensité de la création et ses variétés infinies. Avec une vision limpide et une vue intérieure claire, il découvre maintenant les mystères intérieurs de la révélation de Dieu et est porté d'un mystère vers mille de plus. "À chaque instant, il découvre un monde merveilleux, une nouvelle création, et d'étonnement en étonnement, il est éperdu de respect devant l'oeuvre du Seigneur de l'unité". (10)

La dernière vallée que le voyageur peut s'efforcer d'atteindre est "la Vallée de la Vraie Pauvreté et de l'Anéantissement Absolu" ; "l'extrême limite pour les chercheurs mystiques, et l'ultime patrie pour les amants" ? (11) "Cette étape", affirme Baha'u'llah et celle où "l'on meurt à soi-même pour vivre en Dieu, où l'on s'appauvrit en soi pour s'enrichir du Désiré. C'est-à-dire qu'on devient pauvre en choses terrestres et riche de ce qui est dans le monde de Dieu. Car lorsque l'ami fidèle et dévoué atteint la présence du Bien-Aimé, la beauté étincelante de l'Aimé et le feu du coeur de l'amant embrasent tous les voiles et les enveloppent. Oui, tout ce qu'il possède, coeur et âme, doit s'enflammer afin qu'il ne reste que l'Ami". (12)


a) Siyyid Isma'il de Zavarih (Dhabih)

Certains croyants qui furent en présence de Baha'u'llah atteignirent cette condition élevée. Ils aperçurent cette lumière intérieure qui était cachée en lui. Ils furent aveuglés et ne purent plus supporter d'être dans l'obscurité de ce monde.

Une de ces personnes fut Siyyid Isma'il de Zavarih surnommé Dhabih (sacrifice) par Baha'u'llah [nota: On ne doit pas le confondre avec Haji Muhammad-Isma'il de Kashan aussi nommé Dhabih, et auquel il sera fait référence dans le prochain volume]. C'était un homme dévoué, hautement estimé pour sa piété et sa rectitude de conduite, son savoir et sa connaissance. Il avait été converti à la Foi aux premiers temps du ministère du Bab, fut en sa présence dans la maison de l'Imam-Jum'ih de Isfahan, et fut présent lorsque le Bab révéla un commentaire sur la sourate de V'al-'Asr. La rapidité avec laquelle le Bab écrivit cette longue épître et le pouvoir de ses paroles lorsqu'il chantait certains de ses passages, en présence de nombreux religieux distingués, s'empara de l'imagination de Dhabih qui devint l'un de ses disciples dévoués. Une décennie plus tard, Dhabih vint à Bagdad et parvint en présence de Baha'u'llah. Dans cette cité, il habita avec un croyant dont la maison était dans le voisinage de la maison de Baha'u'llah. Cet homme, Aqa Muhammad-Rida, avait invité Baha'u'llah chez lui, l'implorant de lui accorder l'inestimable privilège d'être son hôte. Baha'u'llah accepta son invitation et quelques jours plus tard, dans l'après-midi, honora Aqa Muhammad-Rida en allant chez lui.

Dans le Kitab-i-Badi', révélé quelques années plus tard à Andrinople, Baha'u'llah décrit lui-même, sa rencontre avec Dhabih à cette occasion. Comme c'était la coutume à cette heure du jour, leur hôte avait offert plusieurs plats contenant différents fruits et sucreries. Dhabih fut invité par Baha'u'llah à partager la nourriture, mais il supplia très humblement et sincèrement de recevoir à la place, par la bonté de Baha'u'llah, une portion de nourriture spirituelle du trésor invisible de sa connaissance divine. Favorable à sa demande, Baha'u'llah ordonna à Dhabih de s'asseoir devant lui et d'écouter ses paroles - paroles de pouvoir incomparable et de crainte, emplies de signification spirituelle, et que, selon le témoignage de Baha'u'llah, nul n'est capable de décrire.

Ce jour-là, en entendant les paroles de Baha'u'llah, Dhabih fut transformé et les mondes de l'esprit s'ouvrirent devant ses yeux. Après cette rencontre, il resta dans un état d'intoxication spirituelle, intégralement dévoué à Baha'u'llah, son amour pour lui s'intensifiant chaque jour davantage.

Afin de pouvoir rendre hommage à son Seigneur et lui exprimer ses sentiments intérieurs d'humilité et d'effacement de soi, Dhabih prit sur lui la tâche de balayer à l'aube les abords de la maison de Baha'u'llah. À cette époque, une des tâches d'un serviteur, quelle que fut la maison, était de balayer une petite portion du chemin menant à l'entrée. Cependant, en gage d'humilité et de modestie, Dhabih au lieu de prendre un balai déroulait son turban vert, signe de sa noble lignée, et balayait les abords de la maison de Baha'u'llah. Puis, ne désirant pas que d'autres personnes marchent dessus, il mettait dans les plis de sa houppelande la poussière sur laquelle s'étaient posés les pieds de son Bien-Aimé, et, l'emportait vers le fleuve pour la jeter dans ses eaux.

L'histoire de Dhabih est celle d'un amant passionné. L'objet de son adoration était Baha'u'llah , qui avait allumé dans sa poitrine la flamme de l'amour de Dieu. Un feu si intense qu'il commença à consumer tout son être. Finalement, il atteint un stade où il ne voulait plus ni manger ni boire. Pendant quarante jours, il s'abstint de nourriture. Enfin, incapable de contrôler les forces écrasantes de l'amour qui pesaient sur son âme, il vint un jour, à l'heure de l'aube, à la maison de Baha'u'llah et pour la dernière fois balaya ses abords avec son turban. Après avoir accompli cette tâche, il rendit visite à Aqa Muhammad-Rida et là, il rencontra quelques amis pour la dernière fois. Plus tard, il se procura un rasoir, alla vers les rives du Tigre et, tournant son visage vers la maison de Baha'u'llah, s'ôta la vie en se coupant la gorge. Baha'u'llah a magnifié Dhabih comme étant le "Roi et le Bien-aimé des Martyrs". On rapporte ces paroles de Baha'u'llah: "Il n'est pas de sang répandu jusqu'à présent sur la terre qui soit aussi pur que le sang qu'il a versé". (*) (13)

(*) Nota: Dhabih ne doit pas être confondu avec les frères Mirza Muhammad-Hasan et Mirza Muhammad-Husayn, qui furent désignés par Baha'u'llah respectivement, comme le "Roi des Martyrs" et le "Bien-aimé des Martyrs". Dhabih mit fin à sa propre vie car il était enivré par le vin de la présence de Baha'u'llah, qui lui avait permis d'être témoin de la gloire des mondes spirituels de Dieu. Ceci ne doit pas être comparé avec un suicide ordinaire, et cet épisode ne peut être pris comme signifiant que Baha'u'llah tolère que quelqu'un mette fin à sa propre vie. Au contraire, le suicide est fortement condamné dans la Foi de Baha'u'llah et va clairement contre ses enseignements.


b) Les Quatre Vallées

Un autre des Écrits mystiques de Baha'u'llah, révélé à Bagdad s'intitule les Quatre Vallées. C'est aussi une épître dans laquelle Baha'u'llah décrit le trajet du voyageur vers son ultime but. Il a divisé les voyageurs en quatre groupes.

La plus haute condition, la quatrième vallée, est celle de "ceux qui ont atteint la beauté du Bien-aimé…" "Voici le royaume de la pleine lucidité et de l'abnégation totale… L'amour devient ici obstacle et barrière, et tout ce qui n'est pas lui n'est que voile… Les hauts dignitaires de cette demeure manient avec un bonheur extrême l'autorité divine … Des hauteurs des sièges de la justice, ils donnent des ordres…" Ils "habitent les hautes retraites de splendeur au-dessus du trône de l'Ancien des jours, et siègent à l'empyrée du pouvoir dans le pavillon élevé…" (14)

Bien que l'approche de Baha'u'llah dans cette épître soit quelque peu différente des Sept Vallées, fondamentalement elle exprime la même vérité. Les Quatre Vallées ont été écrites pour Shaykh 'Abdu'r-Rahman-i-Karkuki, homme érudit et le chef de l'ordre Qadiriyyih [nota: Secte de l'islam sunnite] qui rencontra Baha'u'llah dans le Kurdistan. C'était un admirateur dévoué de Baha'u'llah, il avait l'habitude de s'asseoir à ses pieds à Sulaymaniyyih et écoutait ses discours. Il correspondit aussi avec Baha'u'llah dans le Kurdistan et, plus tard, à Bagdad.



9. QUELQUES ÉPÎTRES REMARQUABLES

a) Sahifiy-i-Shattiyyih


Parmi les Écrits de Baha'u'llah révélés à Bagdad, se trouve le Sahifiy-i-Shanniyyih (Le livre du fleuve). Cette tablette est principalement écrite en persan. Baha'u'llah y parle du pouvoir irrésistible de la cause de Dieu et de sa souveraineté. Faisant allusion au Tigre qui traverse Bagdad, il compare la marche inéluctable de la Foi au flot de ce fleuve. Comme aucun obstacle, que ce soit un immeuble fortifié ou un puissant mur, ne peut résister aux forces torrentueuses de l'eau, ou retenir sa progression, de même aucun ennemi de la Cause, aussi féroce que soit son attaque ou déterminée son opposition, ne pourra arrêter l'avancement irrésistible de cette foi de Dieu. Malgré toutes les oppositions, elle ira de l'avant, déchirera tous les obstacles et finalement établira son ascendance sur ses adversaires. De même la cause de Dieu dispersera les vieilles institutions qui en leur temps avaient été honorées et n'autorisera aucun homme, ne tenant compte ni de son rang ni de sa position, à se mettre en travers de son chemin.

Une revue rapide de l'histoire de la Foi démontrera le pouvoir irrésistible de la cause de Baha'u'llah. Dès l'instant de son apparition, cette Foi a été opprimée par les autorités religieuses dans le pays de sa naissance. Son jeune héraut, le Bab, qui ouvrit l'aube d'un nouveau Jour et donna la bonne nouvelle de la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste" (Baha'u'llah), fut publiquement martyrisé. Son fondateur, Baha'u'llah, fut emprisonné et exilé dans des pays lointains. Pendant près d'un demi-siècle, lui et sa famille furent assujettis à des cruautés et des privations inhumaines. Non moins de vingt mille de ses héros furent mis à mort dans des circonstances tragiques et les autres disciples furent persécutés toute leur vie.

Pourtant, la Foi de Baha'u'llah, soutenue par les armées invisibles du Royaume, triompha de ses adversaires et se répandit dans chaque partie du monde. Aujourd'hui, sa lumière a été diffusée dans chaque coin de la terre, son message salutaire a atteint pratiquement chaque couche de la société humaine et un nombre toujours croissant de gens y sont réceptifs. Elle a des adhérents parmi toutes les nations du monde, représentant chaque race, couleur et classe de la société, qui sont activement engagés dans la construction de la structure du nouvel ordre mondial de Baha'u'llah pour l'humanité. De telles réussites témoignent amplement de l'accomplissement des paroles de Baha'u'llah révélées dans cette tablette, il y a plus d'un siècle.

Baha'u'llah se sert aussi de l'analogie du fleuve pour démontrer un autre point. Il mentionne que la générosité divine est aussi octroyée abondamment à toute la création, mais que chaque chose créée la reçoit conformément à ses propres capacités.

Baha'u'llah parle aussi dans cette épître des miracles qui sont attribués aux prophètes. Il déclare que nous ne devrions pas nier l'accomplissement de miracles par ces Âmes saintes, mais il insiste sur le fait que les miracles ne sont pas une preuve concluante de l'authenticité de leur message. Le signe le plus grand et le plus évident du rang de Prophète a toujours été la révélation de la Parole de Dieu. Chaque chose créée en ce monde est un miracle en elle-même si nous la voyons avec l'oeil du discernement. Par exemple, le déversement de l'énergie solaire est en effet un miracle, car l'esprit de l'homme n'aurait jamais pu croire en un tel phénomène s'il n'avait pas effectivement vu de ses propres yeux l'éclat du soleil.

Dans les Écrits de Baha'u'llah, il y a de nombreuses références aux miracles. Tous révèlent que la Parole du Prophète est considérée comme la force la plus puissante au monde. La créativité de la Parole est un miracle qui est éternel et ne peut être oblitéré par le passage du temps. D'autres miracles, s'ils sont accomplis, ne peuvent que convaincre ceux qui les ont vus mais ne sont pas reconnus comme preuves concluantes par ceux qui n'ont rien vu.

Les disciples de toutes les religions ont attribué de nombreux miracles à leurs prophètes, des miracles qui sont traditionnellement transmis de génération en génération bien que leur véritable signification intérieure ne soit pas réellement comprise. Sur ces miracles ont été bâtis, depuis des siècles, des doctrines et dogmes en grand nombre, qui sont devenus de puissantes barrières entre Dieu et l'homme.

En Orient, au temps de Baha'u'llah, lorsque la lumière de la religion brûlait encore d'un éclat vif à l'intérieur du coeur des hommes, les disciples de ces religions adhéraient strictement, en fait très souvent fanatiquement, à leurs croyances. Les enseignants baha'is durent les mener de la croyance aveugle aux miracles vers une acceptation rationnelle des qualités divines et des pouvoirs spirituels que possèdent les Manifestations de Dieu. Leur tâche principale fut de démontrer aux disciples de chaque religion la réalité et la vérité de leur propre prophète avant de pouvoir leur expliquer le rang de Baha'u'llah et la validité de sa prétention. À partir du moment où le chercheur pouvait comprendre les attributs spirituels de son propre prophète, il n'avait plus de difficultés à reconnaître Baha'u'llah. Le Christ a confirmé ceci lorsqu'il dit aux Juifs: "Car si vous aviez cru en Moïse, vous auriez cru en moi…" (Jean V, 46).

Au destinataire de cette épître, Baha'u'llah offre un conseil, qui est de "posséder un coeur pur, aimable et rayonnant, afin d'avoir une souveraineté ancienne, impérissable et éternelle" [nota: Baha'u'llah se sert de ces mêmes termes dans les Paroles cachées (en Arabe n°1)]. Il affirme que pour sa croissance spirituelle et pour atteindre à la vie éternelle, il ne pouvait trouver un meilleur conseil que celui-ci.

Cette épître a dû être révélée par Baha'u'llah à une époque où son coeur était empli d'angoisse et de chagrin. Quelques compagnons infidèles, tels que Mirza Yahya et son complice notoire Siyyid Muhammad-i-Isfahani, avaient montré une telle jalousie et une telle méchanceté envers lui que, comme il est dit dans cette épître, il était très réticent à écrire. Craignant la réaction que ses paroles allaient produire et parfaitement conscient de l'animosité et de la jalousie qu'elles allaient provoquer s'il devait aller plus loin dans l'élucidation de ces vérités de l'esprit ou révéler les perles de connaissance cachées dans son propre coeur, il décida d'empêcher sa plume de révéler des mots d'une signification plus profonde et plus sage.


b) Madinatu'r-Rida

Une autre épître, révélée à Bagdad, en arabe avait pour nom Madinatu'r-Rida (La cité de l'acquiescement radieux). Baha'u'llah y décrit les attributs "du contentement et de l'acquiescement radieux" et révèle leurs nombreux aspects. Il explique que ce qui est tout d'abord requis de ceux qui désirent fouler le chemin du contentement, c'est d'être résigné à la volonté de Dieu, d'accepter sereinement quoi que ce soit qu'il leur destine et d'adhérer avec joie à tout ce qui a été révélé par la plume du Bab [nota: Jusqu'à ce que Baha'u'llah ait officiellement déclaré sa mission, les lois et enseignements révélés par le Bab étaient en vigueur et Baha'u'llah , dans son épître, enjoignit aux babis de les suivre].

Un autre aspect est d'être satisfait de soi-même. Baha'u'llah déclare que l'homme n'arrivera jamais à cela tant qu'il commet ne serait-ce qu'un seul péché, aussi insignifiant soit-il. Il lui est, par conséquent, impossible d'être satisfait de lui-même tant qu'il reste attaché à ce monde. Il ne peut pas non plus connaître la satisfaction s'il ne supporte pas les souffrances et les difficultés qui lui sont infligées dans cette vie. Comment peut-il, en effet, prétendre aimer Dieu s'il est malheureux à cause de ce que le Bien-Aimé a ordonné pour lui ? Le véritable état de résignation est d'accepter avec un contentement radieux les épreuves et les tribulations qui sont envoyées par le Tout-Puissant.

Encore un autre aspect du contentement est d'être content des croyants et humble devant eux. Montrer de la fierté devant eux est comme montrer de la fierté devant Dieu ; car l'homme ne peut atteindre le bon plaisir de son Créateur à moins d'obtenir le bon plaisir de ses bien-aimés.

Bien que cette épître fût révélée avant sa déclaration, Baha'u'llah fait allusion à lui-même comme au Rossignol gazouillant ses mélodies et à la Lumière qui brille dans la lampe de sainteté. Faisant allusion à la cause comme à l'Arche de Dieu, il appelle le peuple du Bayan à pénétrer dans cette Arche, les réprimande pour s'être endormis tandis que le Soleil de vérité [nota: Baha'u'llah] brille dans toute la splendeur du midi et leur donne la bonne nouvelle que bientôt la Trompette retentira [nota: Le coup de trompette mentionné dans le Coran signifie la proclamation du message de Baha'u'llah], les portes du Ridvan (*) s'ouvriront et Dieu se manifestera par une nouvelle révélation.

(*) Nota: Littéralement, paradis. Il est aussi intéressant de remarquer ici que Baha'u'llah déclara sa mission en 1863, dans un jardin à l'extérieur de Bagdad qui est connu sous le nom de "Jardin de Ridvan.

De plus, il rappelle aux croyants que ce monde et tout ce qu'il contient est chose vaine et fugace ; il les exhorte à être patients dans la maladie et les épreuves, et donne l'assurance de la récompense de Dieu à ceux qui les endurent patiemment.

Il s'adresse aussi aux peuples du monde, les réprimandant pour avoir rejeter leur Créateur, et pour avoir mis leur confiance en eux-mêmes et en ce monde. Il leur conseille de réfléchir sur la nature transitoire de ce monde, dans lequel la vie humaine n'est que le court périple d'un voyageur et il les invite à retourner vers leur Dieu.


c) Madinatu't-Tawhid

L'épître de Madinatu't-Tawhid (La cité de l'unité) fut révélée par Baha'u'llah pour Shaykh Salman, l'un des ardents et fidèles disciples. Il venait du village de Hindiyan au sud-est de la Perse. À l'origine il s'appelait Shaykh Khanjar, mais Baha'u'llah lui conféra le nom de Salman, en souvenir de Ruz-bih, le disciple persan de Muhammad que le Prophète aimait tellement et dont il avait changé le nom en Salman.

Baha'u'llah passa quarante années de son ministère en exil loin de sa patrie où habitait la grande majorité de ses disciples. Il était donc très important d'établir un moyen de communication pour faire parvenir ses épîtres et ses messages aux amis. Il confiait souvent aux croyants qui venaient en sa présence, la tâche d'emporter quelques-unes de ses épîtres pour les remettre à destination. Mais ce n'était pas là une tâche facile à accomplir, car les ennemis de la Cause étaient vigilants aussi bien en Perse que dans les pays voisins. Ils maintenaient une surveillance méticuleuse non seulement le long des frontières de la Perse mais aussi à l'intérieur du pays lui-même, et confisquaient tout matériel qui avait trait à la Foi.

Shaykh Salman joua un rôle primordial dans la dissémination des Écrits de Baha'u'llah parmi les croyants en Perse ; il devint célèbre parmi les amis et est immortalisé dans les annales de la Foi sous le nom de "Messager du Miséricordieux", titre que lui conféra Baha'u'llah. Il fut le premier messager à arriver en Irak peu de temps après l'arrivée de Baha'u'llah dans ce pays. À partir de ce moment et pour une période de quarante années, jusqu'à la fin du ministère de Baha'u'llah, il porta les épîtres de Baha'u'llah aux croyants en Perse et il lui rapporta leurs lettres et leurs messages. Chaque année, il rendait visite à Baha'u'llah, parcourant des milliers de kilomètres souvent à pied. Durant ces années, il ne restait jamais au même endroit, mais voyageait continuellement d'une ville à l'autre, où il rencontrait les amis, leur donnait des nouvelles de Baha'u'llah et leur transmettait ses épîtres et ses messages. Après l'ascension de Baha'u'llah, il continua ses voyages pendant de nombreuses années au service de 'Abdu'l-Baha. Dans tous ses voyages, il agissait avec une telle prudence et sagesse qu'aucune des épîtres dont il avait eu la garde, ne tomba jamais aux mains des ennemis.

Shaykh Salman avait une grande endurance physique. De nombreuses fois pendant ses voyages, il fut soumis à des persécutions féroces, mais grâce au pouvoir de la foi, il supporta de telles épreuves avec détermination et résignation. Il vécut dans la pauvreté. Sa nourriture quotidienne était simple et consistait souvent en un pain et des oignons crus. Il était illettré, mais la connaissance de Dieu lui avait été accordée par Baha'u'llah. Par cette grâce, il avait acquis une grande compréhension des vérités de la cause de Dieu et une claire vision des mondes de l'esprit.

Les croyants qui désiraient aller en présence de Baha'u'llah, devaient lui demandait l'autorisation, et pour cette question, Baha'u'llah se reposait beaucoup sur le jugement de Shaykh Salman au point qu'à une époque, il lui délégua l'autorité d'accorder de sa part la permission à ceux à qui ce grand privilège était octroyé.

Il y a de nombreuses anecdotes liées à la vie de Shaykh Salman. Sa nature simple et sans façon, sa vision claire, sa sagesse et son tact lorsqu'il était confronté à des situations dangereuses et difficiles, et par-dessus tout, sa foi en Baha'u'llah sont décrits de façon très vivante dans ces narrations. Un incident intéressant rapporté dans les mémoires de Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri démontre le jugement sain et la compréhension de Shaykh Salman.

Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri, dont nous avons parlé dans un chapitre précédent, fut en présence de Baha'u'llah à Acre vers 1878 et il retourna en Perse en compagnie de Shaykh Salman. Ce qui suit est une traduction d'un extrait de ses mémoires décrivant leur voyage commun jusqu'à Chiraz.

Avant notre arrivée à Chiraz, dans le village de Zarqan, Shaykh Salman envoya une lettre à Haji Siyyid Isma'il-i-Azghandi (un baha'i ) lui demandant de venir les rencontrer à l'extérieur de la ville. La raison étant que Shaykh Salman avait un certain nombre d'épîtres et autres reliques baha'ies avec lui et par précaution il voulait que cet homme les ramène à Chiraz, car chaque passager, voyageant en caravane (*) était fouillé par des agents avant d'entrer dans la ville.

(*) Nota: Un certain nombre de chameaux et d'ânes, voyageant ensemble et emportant des passagers d'un endroit à l'autre.

En réponse à cette lettre, Haji Siyyid Isma'il arriva à Zarqan sur son âne et prit les épîtres et les autres articles pour les apporter avec lui à Chiraz. Nous-mêmes le suivîmes en temps voulu et après avoir été fouillé au poste de contrôle nous allâmes directement chez lui à Chiraz. Notre hôte avait l'habitude de passer une partie de son temps avec Mushiru'l-Mulk [nota: Un dignitaire civil de la ville de Chiraz qui avait une position élevée dans les cercles gouvernementaux. En ces temps-là, de telles personnes avaient un immense prestige dans la communauté et était honoré par tous]. Ce dernier avait récemment pris sa retraite du poste qu'il occupait au gouvernement et son neveu lui avait succédé à ce poste élevé. Depuis sa retraite, Mushiru'l-Mulk passait la plus grande partie de son temps dans sa maison de campagne. C'est par son jardinier là-bas … un baha'i, qu'il avait été attiré par la Foi.

Peu de temps après sa conversion, Mushiru'l-Mulk envoya son ami Haji Siyyid Isma'il pour aller en présence de Baha'u'llah et lui offrir de sa part, la somme de mille toumans et un ravissant plumier [nota: Il apparaît que Mashiru'l-Mulk n'était pas ferme dans la Foi et à cause de sa position faisait très attention à ne pas faire savoir publiquement qu'il était baha'i]. Baha'u'llah accepta gracieusement le plumier, mais refusa l'argent qu'il rendit au porteur. Il révéla une épître pour Mushiru'l-Mulk qui fut apportée à Chiraz par Shaykh Salman et elle lui fut remise, par l'intermédiaire de son ami Haji Siyyid Isma'il.

En entendant dire que Shaykh Salman était à Chiraz, Mushiru'l-Mulk fit connaître son désir de le rencontrer et demanda à son ami de lui amener Shaykh Salman le jour suivant. Mais Shaykh Salman ne désirait pas rencontrer Mushiru'l-Mulk ; il déclina l'invitation, donnant comme excuse qu'il n'avait pas le temps car il avait hâte de quitter Chiraz. Mushiru'l-Mulk, cependant, était très désireux d'avoir cette réunion et répondit à ce message en disant: "Puisque Shaykh Salman est si pressé de partir, j'irai donc le voir demain matin chez lui."

Lorsque ce message fut transmis à Shaykh Salman, il se tourna vers moi et dit: "Rassemblons nos affaires et quittons cet endroit". Nous quittâmes la maison de Haji Siyyid Isma'il et allâmes prendre résidence dans un caravansérail en ville.

Haji Siyyid Isma'il ne pouvait pas comprendre la raison qu'avait Shaykh Salman de refuser de rencontrer Mushiru'l-Mulk et le supplia de changer d'avis. Mais il refusa, disant: "Si Mushiru'l-Mulk me rencontre, il perdra sa foi et quittera la Cause". Lorsque, pressé de donner ses raisons, Shaykh Salman répliqua: "Mushiru'l-Mulk a entendu de nombreuses traditions et histoires concernant Salman, le disciple de Muhammad. Par exemple, il a entendu l'histoire invraisemblable que le feu n'avait pas d'effet sur les pieds de Salman, et qu'il avait l'habitude de mettre ses propres pieds au lieu de bois dans la cheminée et ainsi réchauffer les marmites. Il ne fait aucun doute que Mushiru'l-Mulk s'attende à ce que je fasse des choses semblables ou il pense que j'ai un visage aussi rayonnant et magnifique qu'un ange. Lorsqu'il verra mon visage hideux et mon aspect grossier, il quittera la Foi". Par la suite cette histoire fut mentionnée à Baha'u'llah, qui confirma que Shaykh Salman avait raison et que Mushiru'l-Mulk aurait quitté la Foi si cette réunion avait eu lieu. (1)

Shaykh Salman, à travers sa longue association avec les amis et sa connaissance intime de l'esprit de la Foi, avait acquis une vision intérieure peu commune des Écrits de Baha'u'llah. Par exemple, il est rapporté que le même Haji Muhammad-Tahir avait dit que durant leur voyage ensemble, Shaykh Salman avait avec lui de nombreuses épîtres à distribuer aux amis en Perse. Mais aucune de ses épîtres ne portait le nom ou l'adresse de celui à qui elle était destinée. Ceci était probablement pour la protection des amis. Lorsqu'au cours de son voyage, Shaykh Salman arrivait dans un lieu sûr, il sortait ces épîtres et, étant lui-même illettré, demandait à Haji Muhammad-Tahir de les lui lire. D'après leur contenu et le ton des paroles de Baha'u'llah, Shaykh Salman savait à qui les épîtres étaient destinées. Il demandait alors à Haji Muhammad-Tahir d'y inscrire leur nom.

Ceci et bien d'autres exemples dans la vie de Shaykh Salman illustre la pureté de son coeur et la clarté de sa vision. Bien qu'illettré, il avait été doté d'une profonde compréhension des vérités spirituelles et des mystères divins et il s'inscrit comme l'un des géants spirituels de cette Révélation.

Baha'u'llah a révélé de nombreuses épîtres pour Shaykh Salman, qui traitaient souvent de puissants et profonds sujets. L'épître de Madinatu't-Tawhid en est un exemple. Elle est en arabe et son thème est l'unicité de Dieu - un sujet que Shaykh Salman avait demandé à Baha'u'llah d'élucider pour lui. Il affirme que l'unité de Dieu a d'innombrables aspects dont la plupart sont au-delà de la compréhension de l'homme.

À l'exception d'un court passage qui apparaît dans les "Extraits des Écrits de Baha'u'llah" [nota: Florilèges d'Ecrits de Baha'u'llah, XXIV], cette épître n'a pas été traduite en anglais jusqu'à présent. Mais la description de Baha'u'llah d'un Dieu personnel, incomparable, inaccessible, inconnaissable, omnipotent, qui se suffit à lui-même est semblable à celle que l'on trouve dans d'autres épîtres dont certaines sont disponibles en anglais. Par exemple, ce qui suit sont les mots de Baha'u'llah lorsqu'il communie avec Dieu et chante les louanges de l'Être suprême:

" Exalté, immensément exalté es-tu, ô mon Bien-Aimé, au-dessus des rivalités de n'importe laquelle de tes créatures pour te connaître, aussi érudite soit-elle. Exalté, immensément exalté es-tu au-dessus de toute tentative humaine, aussi pénétrante soit-elle, à te décrire ! Car les pensées les plus hautes des hommes, aussi profonde que soit leur contemplation, ne peuvent jamais espérer s'élever au-dessus des limitations imposées à tes créatures, ni s'élever au-delà de l'état du monde contingent, ni briser les limites que tu lui as irrévocablement posées. Comment alors, une chose qui a été créée par ta volonté qui l'emporte sur toute la création, une chose qui fait elle-même partie du monde contingent, peut-elle avoir le pouvoir de s'élever dans la sainte atmosphère de ta connaissance, ou atteindre le siège de ta gloire transcendante ?
Élevé, immensément élevé es-tu au-dessus des tentatives des créatures éphémères pour s'élever vers le trône de ton éternité, ou des pauvres et misérables pour atteindre le sommet de ta gloire qui suffit à tout ! De toute éternité tu t'es toi-même décrit à toi-même, et tu as chanté les louanges, dans ta propre essence, de ton essence à ton essence. Je jure par ta gloire, ô mon Bien-Aimé ! Qui autre que toi peut prétendre te connaître, et qui excepté toi-même peut faire mention de toi dans le style qui convient ? Tu es celui qui de toute éternité demeura dans son royaume, dans la gloire de son unité transcendante, et dans les splendeurs de sa sainte grandeur. Si quelqu'un d'autre que toi était estimé digne d'être mentionné, dans tous les royaumes de ta création, des plus hauts royaumes d'immortalité jusqu'au niveau de ce monde inférieur, comment pourrait-on alors démontrer que tu es établi sur le trône de ton unité, et comment les merveilleuses vertus de ton unicité pourraient-elles être glorifiées ?
Je suis témoin, en cet instant même, de ce que tu as attesté pour ton être propre, avant que tu aies créé les cieux et la terre, que tu es Dieu et qu'il n'y a pas d'autre Dieu que toi. De tout temps tu as pu, à travers les manifestations de ta puissance, révéler les signes de ton pouvoir ; et tu as toujours su, par les Sources de ta connaissance, les mots de ta sagesse. Aucun autre que toi n'a jamais été digne d'être mentionné devant le tabernacle de ton unité et nul si ce n'est toi s'est montré assez estimable pour être loué à l'intérieur de la cour sanctifiée de ton unicité. (2)"

Et encore:

"Loué soit ton nom, ô mon Dieu ! J'atteste qu'aucune pensée t'évoquant, aussi merveilleuse soit-elle, ne pourra jamais s'élever vers le royaume de ta connaissance, et aucune louange te glorifiant, aussi transcendante soit-elle, ne pourra prendre son essor dans l'atmosphère de ta sagesse. De toute éternité tu es établi bien au-dessus de l'atteinte et au-delà de la compréhension de tes serviteurs, et immensément exalté au-dessus des efforts de tes esclaves pour exprimer ton mystère. Quel pouvoir peuvent prétendre avoir les créatures de l'ombre lorsqu'elles sont face à face avec celui qui n'a pas été créé ?
Je porte témoignage que les pensées les plus élevées de tous ceux qui adorent ton unité, et les plus profondes contemplations de tous ceux qui t'ont reconnu, ne sont que le produit de ce qui a été généré par le mouvement de la Plume de ton commandement, et a été engendré par ta volonté. Je jure par ta gloire, ô toi qui es le Bien-aimé de mon âme et la Fontaine de ma vie ! Je suis persuadé de mon impuissance à te décrire et à te louer d'une façon qui convient à la grandeur de ta gloire et à l'excellence de ta Majesté. Conscient de ceci, je t'implore, par ta bonté qui a surpassé toutes choses créées et par ta grâce qui englobe la création tout entière, d'accepter de tes serviteurs ce qu'ils sont capables de montrer dans ton sentier. Aide-les, alors, par ta grâce fortifiante à glorifier ta parole et à claironner ta louange.
Tu as le pouvoir de faire ce qui te plaît. Tu es, en vérité, le Très-Glorieux, le Très-Sage. (3)"

Dans des épîtres et des prières innombrables, Baha'u'llah a proclamé l'existence de Dieu, il a décrit ses nombreux attributs et glorifié son essence. En effet, l'une des plus grandes contributions que Baha'u'llah a apportée à la connaissance religieuse est de révéler, dans la mesure de la compréhension de l'homme en cette époque, la véritable nature de Dieu, de dévoiler certains mystères de sa création, de dissiper de nombreux malentendus et de récuser des théories humaines le concernant.

Dans l'épître de Madinatu't-Tawhid, Baha'u'llah parle de la Manifestation de Dieu. Il explique qu'étant donné que l'homme ne pourra jamais connaître l'essence de Dieu, il a, par sa grâce et sa bonté, envoyé ses messagers et ses élus, et par eux il a manifesté tous ses attributs. Les connaître est connaître Dieu et leur obéir est obéir à Dieu. Le tout premier moyen pour l'homme d'approcher Dieu est de reconnaître sa Manifestation.

Dans l'une de ses épîtres, Baha'u'llah décrit la Manifestation comme étant un miroir reflétant le soleil. Physiquement le miroir est fait de matière mais la lumière qu'il reflète provient du soleil. De même, la Manifestation, bien qu'étant un être humain, manifeste tous les attributs de Dieu à l'homme. Dans les Écrits de Baha'u'llah et du Bab et dans d'autres Livres sacrés, il y a de nombreuses références faites aux noms et attributs de Dieu qui sont manifestés dans cette création.

Il y a une très belle prière dans l'islam chiite, habituellement dite en période de jeûne au mois de Ramadan, qui invoque Dieu à travers ses noms. Il y a dix-neuf invocations dans cette prière et chacune gravite autour de l'un de ses noms, le premier étant Baha (Gloire). Le Bab a pris ces noms dans le même ordre et les a donnés aux dix-neuf mois de son calendrier, chaque mois ayant dix-neuf jours. Ce calendrier est la base du calendrier Badi', qui est celui dont nous nous servons dans cette révélation.
[nota: Baha'u'llah a spécifié que ce calendrier devait commencer dans l'année 1844 de l'ère chrétienne (année de la déclaration du Bab) et il a aussi déterminé la position des jours intercalaires. Baha'u'llah demanda à Nabil-'Azam vers 1871, de transcrire le texte du calendrier Badi' et d'en enseigner les détails aux croyants].

C'est une tradition de l'islam que "le plus grand Nom" se trouve parmi ces dix-neuf noms. Bien des érudits islamiques n'ont pu résoudre ce mystère. Cependant, à la fin du seizième siècle un érudit célèbre prétendit que "le plus grand Nom de Dieu" était Baha et, par conséquent, il adopta lui-même le nom de Shaykh Baha. Il est né au Liban en 953 A.H. et jeune homme, il partit en Perse. C'est là qu'il fut éduqué. Plus tard, il travailla à la cour de Shah 'Abbas où il obtint une renommée inégalée grâce à ses réussites dans les arts, les sciences et la théologie.

Baha'u'llah a confirmé que le "plus grand Nom" est Baha. Les divers dérivés de ce mot en arabe sont aussi considérés comme le "plus grand Nom". Le Bab reconnaissant le rang de Baha'u'llah comme celui de la Manifestation suprême de Dieu, a loué son nom dans ses Écrits et a fait de magnifiques allusions au nom de "Baha". Par exemple, quelque temps avant son martyre, il écrivit sur un rouleau en forme de pentacle, trois cent soixante dérivés du mot "Baha" qu'il envoya à Baha'u'llah, avec certains documents, ses sceaux et d'autres Écrits.

Dans l'épître de Madinatu't-Tawhid Baha'u'llah explique que Dieu, malgré le nombre de ses attributs, est sanctifié dans son propre royaume au-dessus de tous les attributs et exalté au-dessus de tous les noms. Lui appliquer un attribut serait en fait équivalent à lui mettre une limitation. Dans le royaume de Dieu, il ne peut y avoir de pluralité. Son essence et ses attributs sont une seule et même chose, et sont indivisibles. C'est dans les royaumes des Manifestations que la pluralité des attributs apparaît. Là nous voyons de nombreux attributs tels que, amour, connaissance, pouvoir et souveraineté révélés par ces Âmes saintes.

Dans cette épître Baha'u'llah affirme que Dieu, par sa grâce, envoie ses Manifestations au monde de l'humanité pour qu'elles révèlent ses enseignements et exhortent les hommes à suivre le droit chemin. Mais l'homme dans cette vie a reçu la liberté de choix. Il peut suivre le chemin de vérité ou demeurer dans le paysage désolé de l'égoïsme et de la passion. Quel que soit le chemin qu'il choisit, Dieu l'assistera par sa justice. Car cela serait injuste si le Tout-Puissant forçait ses serviteurs à changer de route. Cette déclaration jette une lumière sur la relation de deux attributs de Dieu, sa grâce et sa justice.

Expliquant l'Unité de Dieu, Baha'u'llah déclare dans cette épître qu'il n'y a qu'un Dieu dont les adorateurs peuvent provenir de divers milieux et peuvent l'adorer de différentes façons. Quoi qu'il en soit, leurs mots, s'ils sont purs, monteront vers son seuil exalté et seront acceptables à sa vue.

Parlant des Manifestations de Dieu, Baha'u'llah affirme qu'étant donné qu'ils révèlent les mêmes attributs, il ne peut y avoir de différences entre eux. Voici les paroles de Baha'u'llah révélées dans l'épître de Madinatu't-Tawhid:

"Ô croyants en l'unité de Dieu, gardez-vous de distinguer entre les Manifestations de sa cause, de faire à leur sujet quelque discrimination qui aille à l'encontre des signes dont s'est accompagnée leur révélation et l'ont proclamée. Voilà le sens réel de l'unité divine, si vous êtes de ceux qui peuvent comprendre cette vérité et y croire. De plus, soyez assurés que non seulement les oeuvres et les actes de toutes ces Manifestations de Dieu, mais aussi tout ce qui les concerne et tout ce qu'elles pourront manifester à l'avenir, tout est d'ordre divin et reflète la volonté et le dessein de Dieu. En effet, il refuse de croire en Dieu, répudie ses signes et trahit la cause de ses messagers, celui qui fait la plus légère différence entre leurs personnes, leurs paroles, leurs messages, leurs actes et leurs façons d'agir. (4)"

De plus, Baha'u'llah explique dans cette épître que bien qu'il n'y ait pas de différence essentielle entre les Manifestations, pourtant, elles diffèrent par l'intensité de leurs révélations et à cause de ceci certaines sont exaltées au-dessus des autres. Il parle de la grandeur du rang du Bab et se réfère à lui comme au Point autour duquel gravitent les âmes de tous les Messagers de Dieu. Bien que Baha'u'llah n'ait pas encore déclaré sa mission, il fait allusion à sa propre révélation comme à l'avènement du Jour de Dieu lorsque les portes du paradis seront ouvertes à toute l'humanité, un Jour qui ne sera pas suivi de nuit, un Jour dans lequel l'homme pourra voir la face de Dieu lui-même.
[nota: Dans le Coran et dans les hadith, il y a de nombreuses références au Jour où l'homme pourra être mis en présence de Dieu. Comme Dieu est inaccessible, Baha'u'llah a clairement proclamé que l'objet de ces prophéties n'était autre que lui-même]


d) Suriy-i-Qadir

Un autre Écrit de Baha'u'llah révélé à Bagdad est le Suriy-i-Qadir (La sourate du Tout-Puissant). Baha'u'llah y révèle les potentialités de ce seul attribut divin, déclarant que par la révélation de cette épître, l'Étoile du nom de Dieu "Le Puissant", a déversé sa splendeur sur toute la création. Il appelle les peuples de la terre à diriger leur coeur vers ses rayons resplendissants, à être illuminés par eux et de témoigner en eux-mêmes de la manifestation de ce nom, le Puissant, l'Omnipotent.

Celui dont le coeur est illuminé par cet éclat, déclare sans équivoque Baha'u'llah, sera rempli du pouvoir d'accomplir tout ce qu'il désire. Si tout le monde devait se lever contre lui, par le pouvoir de Dieu, il pourra seul résister à son attaque et établir son ascendance. Mais celui qui se prive de cette source de pouvoir ne pourra jamais comprendre l'omnipotence de Dieu.

Les histoires d'héroïsme manifesté par les disciples et les compagnons de Baha'u'llah remplissent les pages de l'histoire de la Foi. Bien qu'en apparence faibles et sans défense, ils reçurent un tel pouvoir divin que leur courage et leur esprit extraordinaire les firent ressembler à des géants et ils purent vaincre des obstacles insurmontables. En vérité, ils accomplirent les miracles dont parle le Christ: "…Car, en vérité je vous le déclare, si un jour vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette montagne: Passe d'ici là-bas, et elle y passera. Rien ne vous sera impossible." (Matthieu XVII 20)

Mais Baha'u'llah met en garde ceux qui atteignent cet attribut et accèdent au sommet de l'autorité et du pouvoir de se préserver contre la fierté et la vanité. Il fait allusion à Mirza Yahya, qui s'enorgueillit de sa position élevée montra de l'arrogance envers son Seigneur et répudia la cause de Dieu.

Cette épître, déclare Baha'u'llah, a libéré un pouvoir dans le monde que chaque être peut manifester selon sa capacité. "C'est un nouveau cycle du pouvoir humain" sont les mots que 'Abdu'l-Baha choisit pour s'adresser à son premier auditoire du monde occidental, au City Temple, à Londres en 1911.

"Tous les horizons du monde sont lumineux, et le monde deviendra en vérité un jardin et un paradis. Voici l'heure de l'unité des fils des hommes et du rassemblement de toutes les races et de toutes les classes. (5)"

L'histoire de l'humanité démontre que pendant des milliers d'années, la progression de l'homme dans tous les domaines a été lente et peu spectaculaire. Mais depuis la venue du Bab et de Baha'u'llah, le rythme du progrès s'est accéléré d'une manière surprenante. Aujourd'hui, l'homme possède de tels pouvoirs qu'il peut voyager dans l'espace et pourra bientôt atteindre d'autres planètes. D'un autre côté, de telles réalisations, si elles ne sont pas couplées avec le progrès spirituel, entraîneront dans leur sillage la destruction de l'homme sur cette terre.

La révélation de Baha'u'llah est destinée à créer un équilibre entre le spirituel et le matériel de façon à faire agir ce pouvoir à travers les canaux requis et à inaugurer l'âge le plus merveilleux de l'histoire humaine. Baha'u'llah a pris d'amples dispositions dans ses enseignements pour l'établissement d'une civilisation divine. Il a déterminé les traits essentiels d'un nouvel ordre mondial pour l'humanité, et les baha'is, à travers le monde, sont activement engagés dans la construction de ses institutions embryonnaires. Ils sont convaincus que le royaume de Dieu promis par les prophètes du passé, pourra être établi sur terre uniquement par ce système divinement ordonné et englobant le monde.

La libération du pouvoir dans le monde de l'humanité par Baha'u'llah est un processus continuel. Nul ne peut encore voir ses nobles fruits, ni visualiser la gloire et la merveille de l'âge d'or de sa foi qui est destinée à émerger après l'établissement de son ordre mondial.

Baha'u'llah a attesté de la naissance de ce jour par ces paroles:

"Les sommets que, par la très miséricordieuse faveur de Dieu, l'homme mortel peut atteindre en ce jour demeurent encore cachés à la vue. Le monde de l'existence n'a jamais eu, ni ne possède encore la faculté de recevoir une telle révélation. Le jour approche, cependant, où les potentialités d'une si grande faveur seront, en vertu de son commandement, manifestées aux hommes. (6)"

Et encore:

"La terre entière est à présent au stade de la gestation. Le jour approche où elle aura produit ses fruits les plus nobles, où jailliront d'elle les arbres aux plus hautes cimes, les fleurs les plus enchanteresses, les plus célestes bénédictions. Immensément exaltée est la brise qui émane de la robe de ton Seigneur, le Glorifié ! Car voici qu'elle a exhalé son parfum et renouvelé toutes choses ! Heureux celui qui comprend ! (7)"

Et, finalement, dans la Suratu'l-Haykal (la sourate du Temple), une de ses épîtres les plus puissantes, révélée à Acre ; il proclame:

"En ce jour, les vents fécondants de la grâce de Dieu passent sur toutes choses. Chaque créature est dotée de toutes les potentialités qu'elle peut porter. Et pourtant, les peuples du monde ont renié cette grâce. Chaque arbre est doté des fruits les plus choisis, chaque océan enrichi des gemmes les plus lumineuses. L'être humain lui-même est investi des dons de la compréhension et de la connaissance. L'ensemble de la création est devenu le réceptacle de la révélation du Très-Miséricordieux, et la terre, la dépositaire de choses imperceptibles à tous sauf à Dieu, le Vrai, celui qui connaît les choses invisibles. Le temps approche où chaque chose créée aura rejeté son fardeau. Glorifié soit Dieu qui a accordé cette grâce qui embrasse toutes choses, visibles ou invisibles ! (8)"

La révélation de la Suriy-i-Qadir, par laquelle Baha'u'llah a insufflé l'esprit de puissance et de pouvoir sur le monde, est un exemple de la créativité de ses paroles. Sous l'effet de ses paroles, il a, de la même façon, permis à d'autres attributs d'être manifestés aux hommes. Baha'u'llah atteste dans l'une de ses épîtres:

Sache à n'en point douter que la révélation de tout autre nom s'accompagne d'une semblable manifestation du pouvoir divin. Toute lettre qui sort de la bouche de Dieu est, en vérité, une lettre-mère, comme chaque parole prononcée par celui qui est la source de la révélation divine est une parole-mère et comme sa tablette est une tablette-mère. Heureux qui saisit cette vérité. (9)


e) Hurufat-i-'Allin

Hurufat-i-'Allin (Les lettres exaltées) [nota: Appelée aussi Musibat-i-Hurufat-i-'Aliyat] est une épître en huit parties révélées par Baha'u'llah et dédiée à la mémoire de Mirza Muhammad-i-Vazir, un cousin qui mourut dans la province de Nur. Il l'envoya à l'heure de solitude et de tristesse à Maryam, la soeur de Mirza Muhammad, et Havva, sa femme, pour les réconforter et les consoler. Maryam et Havva étaient aussi des cousines de Baha'u'llah.

Nous avons déjà parlé de Maryam dans un précédent chapitre. Elle était dévouée à Baha'u'llah et à sa Foi et il lui était très attaché. Mirza Muhammad-i-Vazir était aussi croyant, et avait la réputation d'être le tout premier parmi les membres de la famille de Baha'u'llah à avoir été converti par lui à la foi babie dans la province de Nur en 1844.

Hurufat-i-Allin fut tout d'abord révélée en arabe. Mais à la requête de quelques amis Baha'u'llah la traduisit lui-même en persan, dans un style particulièrement beau. L'épître parle de la mort et de la vie dans l'au-delà et elle est souvent chantée lorsque l'on commémore la mort d'un croyant.

Baha'u'llah y dépeint la création en termes vivants, mais se réfère principalement à la vie individuelle du croyant. Par exemple, il décrit sa venue à l'existence et rappelle les différentes étapes de sa création: tout d'abord, sa semence qui existe en potentialité chez ses ancêtres, puis son transfert de l'un à l'autre et enfin son apparition comme embryon dans le sein de sa mère.

Cette épître énonce les bontés de Dieu qui ont été déversées sur l'âme du croyant à l'instant de la création. Comment, avec les mains invisibles de l'amour et de la sollicitude, il l'a doté d'une âme éternelle et impérissable. Il a gravé en lui sa propre image, l'a fait naître en ce monde. Il l'a façonné en une création noble, lui a permis de grandir à l'ombre de sa providence ; il lui a prodigué ses dons et bontés, lui a ouvert les yeux afin qu'il puisse voir la grandeur, la beauté et l'immensité de sa création et lui a permis de reconnaître sa Manifestation et ainsi gagner la vie éternelle.

Baha'u'llah déclare que le croyant, qui a obtenu l'esprit de foi, atteint l'étape de la certitude, endure des souffrances et des persécutions dans le chemin de Dieu, renonce au monde, lui devient totalement dévoué et manifeste le pouvoir, la gloire et toutes les autres vertus avec lesquelles son âme a été investie.

Ayant glorifié, en détail et avec beaucoup d'éloquence, la condition de l'âme et décrit son immortalité, Baha'u'llah dirige alors son attention vers la mort physique et s'attarde sur les afflictions qui adviennent au temple humain. À ce stade, le véhicule d'une entité aussi précieuse que l'âme devient inutile, il est abandonné et enterré sous la poussière. L'être qui, une fois, palpitait de vie, dont les pensées, les mots et les actions affectaient les autres, dont les sentiments d'amour, de compassion et de générosité transmettaient la joie à ses semblables, a quitté ce monde. Les mains et les pieds qui pendant de nombreuses années s'étaient mus au service de Dieu sont maintenant immobiles. Les yeux qui virent sa gloire sont maintenant clos. Les oreilles qui entendirent les mélodies du Royaume sont obturées. L'union parfaite qui pendant une vie avait joint l'âme et le corps est maintenant consommée, tandis que l'une gravit vers des hauteurs plus élevées, l'autre est abaissé et condamné à périr.

Dans cette épître Baha'u'llah se réfère à la mort comme à une affliction pour le corps et confirme que comme les mondes spirituels de Dieu sont cachés aux yeux humains, il est difficile pour ceux qui sont endeuillés par la mort de leur bien-aimé de ne pas sentir dans leur coeur la douleur de la séparation. Par conséquent, il leur conseille de fixer leur attention sur les royaumes spirituels de Dieu et l'immortalité de l'âme.

Ailleurs dans ses Écrits, Baha'u'llah a fait référence aux habitudes et aux coutumes des différents peuples lorsqu'ils pleurent leur disparus. Certains célèbrent l'occasion en jouant de la musique et s'amusent, tandis que d'autres pleurent sans cesse criant et se frappant la tête. Baha'u'llah désapprouve ces deux extrêmes. Au lieu de cela, il enjoignit à ses disciples de prendre le chemin de la modération. Il leur demande, lorsque leur coeur est empli de tristesse par un deuil, de méditer sur leur propre sort, de prendre garde qu'un jour eux aussi devront partir de la même manière, et donc de se préparer pour la vie future. Dans le Kitab-i-Aqdas, il donne en ces termes, le conseil suivant à ses disciples:

Ne vous lamentez pas dans vos heures d'épreuves. Ne vous en réjouissez pas non plus; cherchez le juste-milieu, qui est de se souvenir de moi en période d'afflictions et de réflexion, sur ce qui peut vous arriver dans l'avenir. Ainsi vous en avertit celui qui est l'Omniscient, Celui qui sait. (10)

La dernière partie de cette épître fut plus particulièrement révélée pour Maryam et Havva. Dans cette épître, Baha'u'llah déverse son amour et sa sympathie sur ces deux femmes et les console avec tendresse et affection.


f) Lawh-i-Huriyyih

Une magnifique épître en arabe appelée Lawh-i-Huriyyih (Épître de la servante) fut révélée à Bagdad. Sa lecture émeut les coeurs et suscite dans l'âme des sensations d'émotion et d'émerveillement. Car Baha'u'llah fait dans cette épître un magnifique portrait de la révélation divine. Il a vêtu, avec l'habit des mots, une noble expérience spirituelle qui est à la fois inexprimable, mystérieuse et très émouvante. De sa plume, il a dépeint, comme dans un drame sublime, une vision des attributs divins. Les deux personnages de ce drame sont Baha'u'llah, la Manifestation suprême de Dieu, et une Servante céleste, symbole de quelques-uns des glorieux attributs de Dieu jusqu'à présent cachés à l'humanité.

Le dialogue entre les deux figures est fascinant. Il révèle, d'un côté, le rang unique de Baha'u'llah et, de l'autre, les afflictions qui lui sont advenues par les méfaits d'une génération perverse.

Ce n'est pas une tâche aisée que de décrire cette épître, si l'on pense qu'elle a été révélée par Baha'u'llah dans un langage allusif qui n'a pas été traduit en anglais.


g) Lawh-i-Ayiy-i-Nur

Une autre épître dont la signification n'est pas facile à traduire est la Lawh-i-Ayiy-i-Nur (épître du verset de lumière), appelée aussi Tafsir-i-Hurufat-i-Muqnnta'ih (explication des lettres isolées). Elle fut révélée en arabe, en l'honneur de Mirza Aqay-i-Rikab-Saz, natif de Chiraz qui donna sa vie dans le chemin de Baha'u'llah et qui est l'un des martyrs de la Foi.

Il demanda à Baha'u'llah de lui expliquer un certain verset du Coran et de clarifier la signification et le sens profond des lettres isolées qui apparaissent au commencement de certains chapitres de ce livre - lettres qui ont étonné plus d'un religieux et étudiant du Coran.

Nous devons quand même nous souvenir que le cinquième Imam de l'islam chiite (Imam Muhammad-Baqir) avait déjà donné une interprétation de ces lettres. Par exemple, il a indiqué que la date de l'apparition du Qa'im [nota: Littéralement, celui qui se lève: le Promis de l'islam] serait égal à la valeur numérique de certaines lettres isolées spécifiques du Coran, c'est-à-dire, 1260 AH (1844), qui est l'année au cours de laquelle le Bab déclara sa mission, en tant que Promis de l'islam.

Dans cette longue épître, Baha'u'llah traite les deux questions posées par Mirza Aqa. Dans son élucidation de la signification des lettres isolées, il jette une lumière plus profonde sur le sujet et révèle certaines vérités cachées enchâssées dans ces lettres. Ses explications sont si profondes qu'elles dépassent l'imagination.

Bien que Baha'u'llah ait exposé quelques-uns des mystères qui sont contenus dans les lettres isolées du Coran, il n'est pourtant pas possible de les transmettre à ceux qui ne sont pas bien versés dans l'islam et dans la langue arabe.

L'islam a apporté une grande contribution à la connaissance religieuse et a fourni une fondation solide pour la compréhension des vérités spirituelles. Le Coran est le dépositaire du Verbe de Dieu révélé à Muhammad. Mais croire au Coran et en avoir une connaissance n'aide pas nécessairement l'individu à comprendre pleinement l'esprit de l'islam. En voici la raison: la révélation divine a cessé avec la mort de Muhammad, mais pendant plus de deux cents ans, Dieu a guidé la communauté musulmane par les saints Imams. Ceux qui se tournèrent vers eux reçurent l'esprit de foi et furent remplis de la connaissance de Dieu, et ceux, qui rejetèrent leur autorité et ne s'appuyèrent que sur leur propre compréhension du Coran furent privés des significations profondes de ce Livre.

Le premier Imam qui fut nommé par Muhammad pour lui succéder fut 'Ali, son cousin et gendre, et le premier à être son disciple. Il devait être considéré comme le Gardien de la foi de l'islam et son chef spirituel. Cette nomination, cependant, n'était pas écrite, et il n'en est pas fait mention dans le Coran. Elle fut faite verbalement à un grand nombre de ses disciples assemblés dans un lieu appelé Mer de Khumm, avec pour résultat les divisions qui se sont produites dans la communauté musulmane immédiatement après la mort du prophète, et un bouleversement qui devait avoir de terribles conséquences s'empara des disciples de l'islam.

Comme la nomination de 'Ali n'était pas considérée par la majorité des disciples de Muhammad comme étant concluante ou décisive, ils ne tinrent pas compte des désirs de leur prophète et agirent à l'encontre de ses conseils. Le plus grand adversaire de cette nomination fut 'Umar qui devint le deuxième calife de l'islam. Il fit campagne contre 'Ali, usurpa son droit à la succession et à la place rassembla les gens autour du vieux et vénérable Abu-Bakr qui fut reconnu comme premier calife.

'Umar rejeta 'Ali et sa position d'interprète du Coran en disant: "le Livre de Dieu nous suffit". 'Abdu'l-Baha a expliqué que ces quelques mots, personnifiant les forces de négation, étaient si puissants qu'ils devinrent le facteur premier à hâter toute la discorde et le sang versé au cours de la "dispensation" islamique. Ils furent la cause du martyre de l'Imam 'Ali et de son illustre fils l'Imam Husayn. Ils donnèrent lieu à des souffrances indicibles et à la mort pour d'innombrables âmes dévouées à l'intérieur du troupeau islamique. L'effet de ces paroles, d'après le témoignage de 'Abdu'l-Baha était d'une portée si considérable qu'un millier d'années plus tard il provoqua le martyre du Bab et toutes les souffrances de Baha'u'llah.
[nota: Ces déclarations furent faites par Abdu'l-Baha dans une épître appelée Lawh-i-Hizar-Bayti (épître de mille versets) l'une de ses épîtres les plus importantes concernant l'Alliance]

Lorsque l'homme s'oppose au plan de Dieu, le cours de l'histoire change. Qui sait quelles autres bénédictions auraient été prodiguées à l'humanité en général et à l'islam en particulier, si les disciples de Muhammad étaient restés fidèles à 'Ali. Car c'était lui qui était doté de la direction divine et par son commandement accepté sans aucune opposition, l'islam aurait pu exercer une influence bien plus grande sur tous les peuples du monde.

Le résultat de l'attitude rebelle de l'homme fut la division de l'islam en deux sectes principales. Les sunnites qui constituent la majorité des disciples des califes et qui construisirent le pouvoir temporel de l'islam. Les chiites, disciples de 'Ali et onze autres Imams (*), ses descendants, qui se concentrèrent sur des acquis spirituels, et qui sont considérés par le Bab et Baha'u'llah comme les disciples de la véritable secte de l'islam.

(*) Nota: Une importante secte de l'islam chiite croit que le Qa'im (le Promis de l'islam) sera le retour du douzième Imam (Voir La chronique de Nabil, introduction LI-LIII).

Les Imams, loués par Baha'u'llah comme étant "ces intarissables lumières de direction divine", étaient les successeurs légaux de Muhammad. Grâce à leur éclaircissement et leur interprétation du Coran, ils ont répandu un grand éclat sur l'islam, enrichi sa littérature et révélé de nombreux mystères énigmatiques de ses Écritures.


h) Lawh-i-Fitnih

La Lawh-i-Fitnih (l'épître des épreuves) est une autre des épîtres en arabe de Baha'u'llah révélées à Bagdad, en l'honneur de la Princesse Shams-i-Jihan [nota: Certains érudits baha'is ont déclaré que cette épître fut révélée à Andrinople ; il se peut qu'ils aient raison]. Elle était la petite fille de Fath-'Ali Shah et était connue sous le sobriquet de Fitnih. Son intérêt envers la Foi commença lorsqu'elle rencontra Tahirih et en devint une très proche amie [nota: Tahirih - une des "Lettres du Vivant", la grande héroïne et la femme la plus extraordinaire parmi les apôtres du Bab].

Shams-i-Jihan alla à Bagdad, fut en présence de Baha'u'llah, reconnut son rang et devint une croyante dévouée. La Plume du Très-Haut [nota: Un nom par lequel Baha'u'llah se réfère à lui-même comme étant le révélateur du Verbe de Dieu] révéla pour elle diverses épîtres et lui conféra le titre de Varaqatu'r-Ridvan (la feuille du paradis).

Le sujet de la Lawh-i-Fitnih, ainsi que l'indique son titre, concerne les tribulations et les épreuves qui sont associées au Jour de Dieu. Baha'u'llah y fait allusion à sa propre révélation et déclare que par son avènement la création tout entière sera éprouvée, aucune âme n'en sera exemptée. Tous ceux qui sont la personnification de la piété et de la sagesse, de la connaissance et de la vertu, et même des réalités des prophètes et messagers de Dieu, seront éprouvés.

Dans nombre de ses épîtres Baha'u'llah met en garde ses disciples concernant les épreuves et les tribulations qui leur adviendront lorsqu'ils entreront dans la Foi. En chaque âge, le coeur de l'homme a dû faire ses preuves lors de la venue de la Manifestation de Dieu. C'est la loi de Dieu, éternelle dans le passé et éternelle dans le futur. Cependant, aujourd'hui est le Jour de Dieu lui-même et Baha'u'llah a libéré pour l'humanité de prodigieuses énergies spirituelles. Par conséquent, les épreuves qui accompagnent une révélation si puissante sont aussi énormes.

La cause de Dieu est exaltée au-dessus du monde de l'humanité. Pour pouvoir l'épouser, l'homme doit acquérir des qualités divines. Ici, le soi et les ambitions terrestres deviennent de grandes barrières. L'épreuve de l'homme, par conséquent, est de soumettre son être propre. Sans cela, il ne peut pas reconnaître le Prophète. Car la Manifestation de Dieu a deux natures, la divine et l'humaine. La première est toujours cachée par la deuxième. Seuls ceux qui ont une vision spirituelle peuvent pénétrer à travers le voile des limitations humaines et voir la réalité de la Manifestation. Ceux qui sont spirituellement aveugles sont testés par la personnalité du Prophète. Ils peuvent uniquement voir les qualités humaines et souvent cherchent à trouver des fautes à ces Âmes saintes.

Après avoir reconnu la Manifestation, le croyant sera testé par Dieu de nombreuses façons. Chaque fois qu'il réussit à passer une épreuve il acquérra une plus grande vision spirituelle et deviendra plus fort dans la foi. Plus il s'approchera de la personne de la Manifestation, plus difficiles seront les tests. C'est alors que toutes traces d'ambition ou d'ego pourraient compromettre sa vie spirituelle.

Il y a une tradition dans l'islam qui expose les difficultés et les périls rencontrés par l'homme dans son voyage vers Dieu. Elle décrit comment tous les hommes périront et mourront excepté les croyants ; tous les croyants périront et mourront excepté ceux qui sont testés ; tous ceux qui seront testés périront et mourront sauf ceux qui sont sincères et ceux qui sont sincères seront en grand danger.

L'histoire de la Foi démontre ceci très suffisamment. Il y avait certains disciples de Baha'u'llah dont la foi et le dévouement les avaient portés à de grandes hauteurs. Ils étaient très proches de sa personne et étaient devenus célèbres parmi les croyants. Pourtant, lorsque souffla le vent des épreuves, la flamme de la foi fut éteinte dans leur coeur à cause de leur fierté et de leur ambition. Avec pour résultat qu'ils tombèrent en disgrâce et moururent spirituellement. Parmi ceux-ci se trouvait Mirza Yahya, révolté contre Baha'u'llah, et après son ascension, trois de ses propres fils et deux filles, ainsi que différents parents et un nombre d'enseignants exceptionnels de la Cause, qui avaient eux aussi assidûment servi la Foi, mais qui brisèrent son alliance, s'opposèrent à son Centre nommé, 'Abdu'l-Baha et se levèrent ensemble pour anéantir sa Cause.

Certaines personnes sont étonnées par les traîtrises et l'opposition qui eut lieu à l'intérieur de la communauté, particulièrement par ceux qui furent les plus proches de Baha'u'llah. Mais la raison pour laquelle ils se détournèrent de lui, est qu'ils manquaient de la foi suffisante et des qualités de l'esprit, conditions préalables nécessaires pour la reconnaissance de la Manifestation de Dieu et la soumission à ses commandements.

Par analogie, l'on peut comparer ces gens à ceux qui, sans la connaissance des mathématiques, vont écouter un éminent chercheur expliquer ses théories en termes mathématiques compliqués. Il est évident qu'ils ne peuvent pas le comprendre ni apprécier son brillant travail. Ils ne peuvent le voir que comme un homme ordinaire dont les paroles leur sont incompréhensibles. Ils commencent donc à juger le chercheur d'après leur propre niveau et par conséquent ils demeureront insensibles à ses pouvoirs intellectuels. Plus ils lui seront proches, mieux ils verront sa nature personnelle qui agit comme un voile et leur cache sa grandeur. Seuls ceux qui comprennent les mathématiques peuvent apprécier le réel génie du chercheur. Dans leur opinion, sa connaissance scientifique l'emporte sur ses qualités humaines et ainsi ils ne concentrent pas leur attention sur son apparence.

La plupart de ceux qui se sont opposés à Baha'u'llah ou qui ont brisé son alliance après avoir embrassé sa Foi étaient des hommes ambitieux manquant de qualités spirituelles, dont les buts primordiaux étaient de rehausser leur prestige et de gagner la renommée à l'intérieur de la communauté baha'ie.

Une de ces personnes était Mirza Muhammad-'Ali, le fils de Baha'u'llah. Il était fier et avait soif de commandement et de pouvoir. Nombre des disciples de Baha'u'llah qui avaient des yeux spirituels étaient capables de détecter en lui un air de supériorité et d'auto glorification. Ils ressentaient son manque de sincérité même avant qu'il ait violé l'alliance de Baha'u'llah.

Par exemple, Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri a décrit dans ses mémoires son arrivée à Acre vers 1878 et sa première rencontre avec Mirza Muhammad-'Ali:

"Lorsque nous [nota: Hadji Muhammad-Tahir et deux compagnons pèlerins] arrivâmes à Haïfa… nous fûmes conduits à la maison de Aqa Muhammad-Ibrahim-i-Kashani. Il avait reçu les instructions de Baha'u'llah d'établir sa résidence à Haïfa, de s'occuper de la distribution des lettres et de donner assistance et hospitalité aux pèlerins baha'is. Lorsque Baha'u'llah fut informé que nous étions tous trois arrivés, Il conseilla d'aller à Acre habiter avec mon frère Hadji 'Ali [nota: Voir the Baha'i World, vol. IX pp 624-5, l'article sur Hadji 'Ali Yazdi]. Nous fûmes conduits de Haïfa à Acre dans l'attelage de 'Abdu'l-Baha. On me mena à la résidence de Hadji 'Ali qui était située dans le Khan-i-Suq-i-Abiyad (Marché blanc), près de la résidence de Mirza Musa, le frère de Baha'u'llah, et de celle de différents autres baha'is tel que Nabil-i-A'zam… Ce jour-là, j'étais très heureux. La joie et l'extase remplissaient mon âme. Le jour suivant, Mirza Muhammad-'Ali accompagné de ses deux frères, Mirza Diya'u'llah et Mirza Badi'u'llah, allèrent dans le logement de Nabil-i-A'zam pour me rencontrer. Avec enthousiasme, mon frère et moi nous y rendîmes pour les retrouver. Mais à peine avais-je rencontré Mirza Muhammad-'Ali et Mirza Badi'u'llah que je fus déprimé et toute la joie de mon coeur fut transformée en tristesse et chagrin. J'étais désemparé…et amèrement déçu. Je me demandai ce qui s'était si soudainement passé qui faisait que malgré toute l'impatience et l'émotion qui avaient empli mon être en arrivant à Acre, j'étais devenu si totalement déprimé et découragé. À ce moment-là, j'étais convaincu que Dieu m'avait rejeté…
J'étais plongé dans un tel état de détresse et d'angoisse que je voulais immédiatement quitter la réunion, mais n'osais pas le faire. Dans mon coeur, je communiais avec Dieu… attendant avec anxiété le départ des visiteurs afin de pouvoir sortir et essayer de trouver une solution à ma triste condition. Je remarquai toutefois, alors que mon frère et Nabil-i-A'zam s'appréciaient mutuellement parlant joyeusement avec les fils de Baha'u'llah, j'étais moi pendant toute la rencontre dans un état de désarroi mental et d'agonie… Après environ une heure, lorsque les visiteurs prirent congé, mon frère les remercia très chaleureusement et qui plus est joyeusement.
Le soir il m'informa que nous devions aller rejoindre le Maître dans sa pièce de réception. Bien que déprimé et accablé de douleur suite à ma réunion avec Mirza Muhammad-'Ali, j'allai avec lui. Dès que je parvins en présence de la Plus-Grande-Branche [nota: Abdu'l-Baha, appelé le Maître], une nouvelle vie fut insufflée en moi. Tout mon être fut empli d'une telle joie et d'une telle félicité que toutes les agonies et les troubles du passé disparurent en un instant.
Quelques jours plus tard mon frère m'invita à aller avec lui pour à nouveau rencontrer Mirza Muhammad-'Ali, mais malgré une grande persuasion de sa part, je m'y refusai… Pendant la période où je suis resté à Acre, Mirza Muhammad-'Ali vint plusieurs fois à la résidence de Nabil-i-A'zam, mais je trouvai toujours une excuse pour ne pas y aller. (11)"

Après l'ascension de son Père, Mirza Muhammad-'Ali s'opposa à 'Abdu'l-Baha, le Centre nommé de l'alliance et déclencha une crise à l'intérieur de la communauté non moins grave que celle qui secoua la Cause sur ses fondations avec la rébellion de Mirza Yahya. Même au temps de Baha'u'llah, Mirza Muhammad-'Ali s'était conduit de nombreuses fois de façon telle à lui occasionner, beaucoup de douleur et d'angoisse. Il fut une fois envoyé en Inde par son Père pour faire publier une compilation de certaines épîtres et à cette occasion, ainsi que le déclare Shoghi Effendi dans Dieu passe près de nous, il "avait falsifié le texte des saintes Écritures confiées à ses soins…" Il réussit aussi "par une falsification extrêmement simple et adroite d'un mot qui revenait dans quelques-uns des passages accusateurs adressés par la Plume suprême (Baha'u'llah) à Mirza Yahya, ainsi que par d'autres stratagèmes par exemple en tronquant et interpolant les textes… à les rendre positivement applicables" à 'Abdu'l-Baha. Il alla même jusqu'à avancer "ouvertement et avec effronterie… dans une déclaration écrite et signée de sa main et portant son sceau, la revendication même", qu'après l'ascension de Baha'u'llah il imputa à 'Abdu'l-Baha, "d'instaurer une révélation nouvelle et de partager avec lui (Baha'u'llah) le plus grande infaillibilité, prérogative exclusive des détenteurs de la fonction prophétique". (12) Une action si impie suscita la colère de Baha'u'llah. Dans une épître, il avertit que si Mirza Muhammad-'Ali déviait ne serait-ce qu'un instant de la cause de Dieu, il deviendrait comme une branche morte. Il insista dans la même épître sur le fait que nul ne pourra jamais être partenaire avec la Manifestation de Dieu et revendiquer l'infaillibilité pour lui-même.

L'un des traits remarquable de la cause de Dieu est qu'elle ne fait pas place aux personnalités égotistes. Son mot de passe est servitude, une servitude qui est réelle et complète et qui se manifeste par l'humilité et l'effacement de soi.

Dans ses enseignements, Baha'u'llah a très clairement expliqué que dans ce monde de l'existence, il n'y a que trois rangs. Premièrement le rang de Dieu qui est au-delà de notre compréhension ; puis le rang de la Manifestation de Dieu qui est exalté au-dessus du monde de l'humanité, et finalement le rang de l'homme qui est celui de la servitude. Dans le service de la cause de Dieu, la plus grande protection de l'individu est la patience et l'humilité. C'est le don le plus acceptable que l'homme puisse offrir à Dieu. Car, en vertu de sa souveraineté et de sa domination, l'humilité n'est pas l'un des attributs de Dieu.

'Abdu'l-Baha, le véritable Exemple des Enseignements de Baha'u'llah, a établi le schéma de la servitude que tous doivent suivre. Il est descendu dans le plan le plus bas de la servitude qui est le rang le plus élevé que l'homme puisse atteindre.

L'état de Baha'u'llah est celui de la souveraineté et de la suzeraineté. L'état de son fils, 'Abdu'l-Baha, est celui de la servitude. Lorsque de l'eau s'écoule du sommet d'une montagne et tombe dans la vallée, elle crée de l'énergie. De même, le flot des forces spirituelles de Baha'u'llah vers 'Abdu'l-Baha a produit une grande puissance qui est libérée pour l'humanité. Lorsque Baha'u'llah apparut, il n'y avait personne digne ou capable de recevoir sa révélation. 'Abdu'l-Baha au nom de l'humanité devint le récipient parfait et bien qu'il ne soit pas une Manifestation de Dieu, il fut investi par Baha'u'llah d'une autorité divine et de pouvoir.

Dans son Testament, écrit de sa propre main, Baha'u'llah a nommé 'Abdu'l-Baha comme étant celui vers qui tous les croyants doivent se tourner après son ascension. Dans ce document capital Baha'u'llah écrit:

"Il incombe aux Aghsans (*), aux Afnans (**) et à ma parenté, à tous et chacun de fixer leurs regards sur la Plus-Grande-Branche. Considérez ce que nous avons révélé dans notre Très-Saint-Livre: "Quand l'océan de ma présence aura reflué et que le livre de ma révélation sera achevé tournez-vous vers celui que Dieu a désigné et qui est issu de l'Antique Racine". Ce verset ne concerne nul autre que la Plus-Grande-Branche ('Abdu'l-Baha). Nous vous révélons ainsi bénévolement notre puissante volonté et nous sommes le Miséricordieux, l'Omnipotent. (13)"
(*) Nota: descendants mâles de Baha'u'llah.
(**) Nota: "Rameaux", un terme dont se sert Baha'u'llah pour désigner les hommes de la famille du Bab et des deux frères de sa femme.

Dans d'autres épîtres Baha'u'llah a rendu un hommage vibrant à la Très-Grande-Branche et a glorifié son rang. Par exemple dans la Suriy-i-Ghusn (l'épître de la branche) Baha'u'llah a révélé les paroles suivantes:

"Du Sadratu'l-Muntaha [nota: Un titre de Baha'u'llah] est issu cet être sacré et glorieux, cette branche de sainteté ; heureux celui qui a cherché son refuge et qui est demeuré sous son ombre. En vérité, la branche de la loi de Dieu a jailli de cette Racine [nota: Baha'u'llah] que Dieu a fermement plantée dans le sol de sa volonté et dont la Branche a été élevée si haut qu'elle embrasse toute la création. Magnifié soit-il donc pour cette oeuvre sublime et bénie, pour cette oeuvre puissante et exaltée !… Une parole est sortie, en signe de notre grâce, de la plus grande épître ; une parole que Dieu a ornée de la parure de sa propre personne, et qu'il a rendue souveraine sur la terre et sur tout ce qu'elle renferme, et dont il a fait un signe de sa puissance et de sa grandeur parmi les peuples… Rendez grâce à Dieu, ô peuples, pour son apparition ; car, en vérité, il est pour vous la plus haute faveur, le don le plus parfait et, par lui, chaque os qui tombe en poussière est ranimé. Quiconque se tourne vers lui s'est tourné vers Dieu, et quiconque se détourne de lui s'est détourné de ma beauté, a rejeté ma preuve et a péché contre moi. Il est le dépôt de Dieu au milieu de vous, son gage parmi vous, il est sa manifestation pour vous et son apparition parmi ses serviteurs élus… Nous l'avons envoyé ici-bas sous la forme d'un temple humain. Béni et sanctifié soit Dieu, qui crée toutes choses selon son gré par son inviolable, son infaillible décret. Ceux qui se privent de l'ombre de la Branche sont perdus dans le désert de l'erreur, consumés par l'ardeur des désirs terrestres, et ils comment parmi ceux qui, assurément, périront. (14)"

Dans Lawh-i-Fitnih, Baha'u'llah déclare que les épreuves et les difficultés qui accompagnent sa révélation sont si violentes qu'un grand nombre de personnes qui croient en Dieu et qui sont bien informées des mystères de sa Cause seront démunies et laissées dans l'obscurité. Faisant allusion aux chefs religieux, il prédit que ces étoiles du ciel de la connaissance tomberont. Il affirme qu'à travers ses tests tout ce qui est caché dans le coeur des hommes sera révélé, que l'humanité sera séparée, certains seront élevés vers les hauteurs de la fidélité, d'autres rejetés dans la poussière. Il mentionne que les vents de cette puissante épreuve de Dieu ont déjà commencé à souffler et que toute la force de leur impact sera ressentie dans l'année Shidad (tension) [nota: La valeur numérique de Shidad est 309, signifiant 1309AH (1892) année de l'ascension de Baha'u'llah]. Ceci est une référence à la rébellion de Mirza Yahya à Andrinople qui secoua la Foi sur ses fondations et fit temporairement une brèche dans les rangs de ses disciples. C'est aussi une allusion à l'ascension de Baha'u'llah qui amena dans son sillage la rébellion de Mirza Muhammad-'Ali et la rupture de l'alliance de Baha'u'llah.

Une étude attentive des vies et des enseignements des Fondateurs des grandes religions démontrera que l'une des fonctions de la Manifestation de Dieu a toujours été d'expliquer la signification et le but de sa révélation et de résoudre tous les problèmes difficiles qui rendent perplexe l'esprit de ses disciples. Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha étaient toujours prêts à répondre aux questions posées par les croyants. Celles-ci allaient de sujets majeurs jusqu'à différents petits détails mineurs traitant de chaque aspect de la révélation de Baha'u'llah. En fait, de grandes parties des Écrits de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha ont été écrits en réponse à ces questions. Ils interprètent les Écritures du passé, expliquent de nombreux passages et déclarations obscurs, élucident des mystères divins, exposent les enseignements de Dieu pour cette époque, décrivent les traits d'un Nouvel ordre mondial et donnent les détails pour l'application des lois et des ordonnances de Baha'u'llah.

Ils restèrent cependant silencieux sur le sujet de la succession et seulement à la fin de leurs vies ont-ils révélé l'identité de leurs successeurs. Il y a de nombreuses sagesses en cela. Une telle action peut être comparée à celle d'un professeur qui est toujours prêt à répondre aux questions et à aider ses élèves à résoudre leurs problèmes. Il reste par contre silencieux en une seule occasion et s'abstient de les aider, et c'est le jour de l'examen. Ce jour-là les élèves devront seuls trouver les réponses. C'est leur épreuve et c'est aussi le jour de la séparation. Ceux qui passeront sont élevés à une classe plus haute mais pas ceux qui échouent.

L'histoire de la Foi démontre que l'Alliance a toujours été un terrain de tests pour les croyants. Le Bab donna la bonne nouvelle de l'apparition de "Celui que Dieu rendra manifeste" mais ne révéla pas explicitement l'identité de Baha'u'llah. Baha'u'llah établit une puissante alliance en nommant 'Abdu'l-Baha comme le Centre de cette même alliance, mais tint secrète cette nomination jusqu'à ce qu'il remette à 'Abdu'l-Baha le Kitab-i-'Ahdi (le Livre de mon alliance) peu de temps avant son ascension. Ce document dans le sens de l'analogie ci-dessus devient la feuille d'examen pour l'ensemble des disciples de Baha'u'llah. Certains passèrent l'épreuve d'autres échouèrent. De même, le Testament de 'Abdu'l-Baha dans lequel Shoghi Effendi fut nommé Gardien de la Foi resta secret. C'est après son ascension que ce document fut lu. À nouveau, cela engendra des épreuves pour les croyants. Certains qui avaient des idées ambitieuses et un désir pour le commandement s'opposèrent à Shoghi Effendi comme Gardien de la Foi. Ces hommes essayèrent de toutes leurs forces de créer des divisions dans la Cause. Mais l'un des traits distinctifs de la Foi est que, malgré la rupture de l'alliance par des disciples extraordinaires de Baha'u'llah et leurs efforts pour créer un schisme dans la Foi avec tous les moyens à leur disposition, ils échouèrent totalement à le réaliser. L'alliance de Baha'u'llah triompha et ceux qui lui firent opposition périrent et furent réduits à néant.


i) Suriy-i-Nush

La Suriy-i-Nush en arabe fut révélée à Bagdad en l'honneur de Siyyid Ja'far-i-Yazdi [nota: L'arrière arrière grand père de l'auteur], religieux célèbre et homme hautement estimé par les habitants de Yazd. Ce fut à l'occasion de la visite de Vahid (*) dans cette ville, avec pour but d'enseigner la Cause, qu'il embrassa la foi babie. Peu de temps après une vague de persécutions obligea Vahid et Siyyid Ja'far, ainsi que d'autres croyants, à quitter Yazd et à aller à Nayriz dans la province du Fars.
(*) Nota: Un religieux hors du commun qui devint disciple du Bab. Son premier contact avec la foi eut lieu lorsqu'il rencontra le Bab comme envoyé de Muhammad-Shah dans le but d'enquêter sur son message. Le résultat fut que Vahid devint un ardent croyant. Voir annexe III.

Ayant bénéficié d'un grand prestige comme religieux et étant doté d'une extraordinaire éloquence, Siyyid Ja'far, sous la direction de Vahid, commença à enseigner publiquement la Cause à Nayriz. Très rapidement une grande foule rejoignit la Foi. À nouveau, cela provoqua une forte opposition des autorités gouvernementale et ecclésiastique. Une grande révolte s'ensuivit qui eut pour conséquence le martyre de beaucoup d'entre eux, y compris de Vahid lui-même.

Le principal instigateur de ces terribles incidents, Zaynu'l-'Abidin Khan, le gouverneur de Nayriz, captura quelques survivants qu'il proposa de torturer à mort pour diverses raisons spécifiques. Parmi eux se trouve Siyyid Ja'far qui, à cause de sa connaissance et de son éloquence, était considéré par le Gouverneur comme l'un de ceux qui avait la plus grande responsabilité pour avoir converti des gens à la nouvelle Foi. Nabil, le célèbre chroniqueur baha'i a rapporté l'histoire suivante sur l'arrestation de Siyyid Ja'far:

"Parmi les victimes (les survivants du soulèvement de Nayriz) il y eu un certain Siyyid Ja'far-i-Yazdi qui avait exercé auparavant une immense influence et avait été tenu en grande estime par le peuple. Le respect que l'on avait pour lui était si grand que Zaynu'l-'Abidin Khan lui donnait la priorité sur lui-même et le traitait avec une déférence et une courtoisie extrêmes. Cependant, il donna l'ordre de piétiner et de jeter au feu son turban. Dépourvu de l'emblème de sa descendance, le pauvre homme fut exposé aux yeux du public qui marchait devant lui et l'accablait d'injures et de ridicule. (15)"

Le soulèvement de Nayriz qui dura de nombreux mois apporta un dénuement généralisé et la famine dans son sillage. Les troupes qui étaient engagées dans ce conflit avaient trop profité des maigres ressources de la communauté locale et finalement, après leur départ, la nourriture devint presque introuvable et de nombreux miséreux moururent de faim. Pendant ce temps, le Gouverneur avait amassé une énorme quantité de blé qu'il vendait au public à un prix exhorbitant. Quand, cependant, la situation devint désespérée, il consentit à distribuer le blé au peuple pour une somme symbolique.

Lorsque les rations étaient distribuées, on amenait de la prison Siyyid Ja'far et on le plaçait à l'entrée de la grange. Les ordres du Gouverneur étaient que tous ceux qui désiraient obtenir du blé devaient d'abord cracher au visage de Siyyid Ja'far. Le non-respect de cet ordre les priverait de leur ration.

L'extrait suivant de la biographie de Siyyid Ja'far révèle une partie de cette épreuve et les autres indignités qui furent accumulées sur lui et sur son compagnon prisonnier, Haji Muhammad-Taqi, personnage éminent de Nayriz et ardent disciple du Bab.

"Des heures entières, ce champion de la cause de Dieu (Siyyid Ja'far), cet homme de savoir qui fut si respecté, se tenait debout devant la porte de la grange pendant que les hommes et les femmes en passant la porte, crachaient sur son visage béni et le regardaient avec une haine profonde et préconçue.
Devant cette terrible humiliation, les sentiments de Aqa Siyyid Ja'far n'étaient pas ceux du dégoût, de l'intolérance ou de l'indignation. Au contraire, il restait calme et résigné tout au long de son épreuve et manifestait un esprit de joie suprême, d'amour et de gratitude envers ceux qui l'offensaient.
Il a été rapporté de source bien informée, qu'une fois, il remarqua différentes personnes qui hésitaient à venir de l'avant pour recueillir leur part. Apparemment l'horrible action de lui cracher au visage les retenait. Avec un visage resplendissant de joie céleste, il leur fit signe et dit: "Vous feriez mieux de venir et prendre votre part avant que cela soit trop tard ; cela n'a pas d'importance si vous me crachez à la figure ; je l'essuierai avec un mouchoir…"
Un tel geste, si rare, si semblable à l'attitude du Christ, constitue une preuve étincelante du pouvoir de transformation qui est latent dans les paroles des Manifestations de Dieu.
Très probablement, lorsqu'il se tint devant la porte de la grange ce jour-là, ses pensées allaient vers ces jours prestigieux à Yazd, où, chaque vendredi à la fin de son sermon, debout sur les marches de la chaire, il recevait l'hommage et l'ovation tumultueuse du vaste auditoire. Et maintenant, comme le contraste était choquant ! Bien qu'il fut l'objet du plus ignoble outrage, il était extrêmement heureux, car son Seigneur bien-aimé avait révélé à ses yeux la glorieuse perspective d'une nouvelle vie et lui avait donné la couronne de gloire éternelle. Il n'est pas étonnant alors, que ces violentes persécutions ne puissent assombrir l'éclat de sa joie céleste…
Ce monstrueux traitement infligé à Aqa Siyyid Ja'far n'était pour lui qu'un prélude à une période d'atroces tortures ainsi que pour son illustre compagnon. Entre autres choses, l'impitoyable gouverneur ordonna que la bastonnade soit infligée en public à Aqa Siyyid Ja'far. Chaque jour, il était conduit de la prison à la porte d'un citoyen aisé où cette scène déchirante avait lieu. Là, il était battu jusqu'à ce que, comme c'était l'habitude, les occupants de la maison ainsi que les passants obtenaient la libération temporaire de la victime en offrant en rançon de l'argent à ses bourreaux. Le jour suivant, la scène était déplacée vers un autre point de la rue. Quelque temps après, résultat de cette torture journalière, les jambes et les pieds de Aqa Siyyid Ja'far devinrent si horriblement endoloris et gonflés qu'ils pouvaient à peine soutenir son corps.
Le sort de son compagnon, Haji Muhammad-Taqi était même plus cruel et épouvantable. Chaque jour, il était conduit à la maison du gouverneur où, dépouillé de ses vêtements, il était jeté dans la piscine. Quelques hommes, placés autour et armés de longs bâtons, lui administraient des coups violents. L'ordre permanent était que le châtiment devait continuer jusqu'à ce que l'eau devienne rouge de son sang.
Cependant, la Main puissante qui avait élevé et nourri ces êtres merveilleux allait maintenant retarder la marée de souffrances qui était près de les engloutir. Ils étaient destinés à vivre et à recevoir le plus grand privilège de tous, celui d'avoir les yeux illuminés à la vue du visage céleste de Baha'u'llah.
Ce fut la femme du gouverneur qui, suite à un rêve, fut poussée à obtenir leur liberté. Elle demanda sincèrement à son mari de relâcher ces malheureuses victimes, mais son intercession ne servit à rien. De plus, elle fut réprimandée pour avoir été trop tendre et sentimentale. En rien découragée par l'attitude impitoyable de son mari, elle décida d'oeuvrer secrètement pour arriver à ses fins.
Avec le soutien et la bonne volonté de quelques personnes de confiance à sa disposition, elle établit un plan et avec la plus grande prudence fit les préparatifs nécessaires. Puis, un soir tard, la porte de la prison s'ouvrit et les deux pitoyables silhouettes de Haji Muhammad-Taqi et de Aqa Siyyid Ja'far apparurent, et conduites, soutenues, vers des ânes ; ils furent confiées à un muletier avec l'ordre précis de les mener à toute vitesse à Harat - petite ville au-delà de la juridiction du gouverneur de Nayriz.
Lorsque ces deux âmes opprimées atteignirent finalement Harat elles étaient complètement brisées. La vue de leur épouvantable condition produisit un grand chagrin et suscita la sympathie du chef du village qui les reçut et les traita avec le plus grande gentillesse.
Ils restèrent quelques mois à Harat afin de récupérer leur force et de guérir leurs terribles blessures. Après quoi ils partirent pour Yazd. Lorsque les amis entendirent parler de l'exil de Baha'u'llah en Iraq, Haji Muhammad-Taqi partit à pied pour un voyage de près de 1.500 kilomètres vers Bagdad, où il parvint en la présence de Baha'u'llah et reçut ses abondantes bénédictions. L'importante Surih de Sabr [nota: Cette épître est aussi appelée Lawh-i-Ayyub] fut révélée en l'honneur de sa mémoire impérissable.
Par la suite, Aqa Siyyid Ja'far suivit l'exemple de son vieux compagnon. Ces pieds qui pendant des mois avaient subi des tortures si abominables ne faillirent pas et le portèrent tout le long du chemin jusqu'à la demeure de son Seigneur où les Mains de gloire déversèrent sur lui leurs bienfaits célestes… (16)"

Bien que la Suriy-i-Nush ait été révélée avant sa déclaration, Baha'u'llah n'a laissé aucun doute en ce qui concerne son propre rang. Car à travers toute cette épître, il s'identifie à Dieu et parle en tant que son porte-parole. Il décrit les venues des prophètes depuis Adam jusqu'au Bab, proclame leur origine divine, dépeint leur vie, le caractère et la mission de chacun, démontre qu'en chaque époque, ils furent dénoncés et que les religieux et leurs chefs s'opposèrent farouchement à eux. Il décrit leurs souffrances et leurs persécutions des mains du peuple et parle de leur ultime victoire sur leurs adversaires.

Préfigurant sa propre déclaration, Baha'u'llah dans cette épître conseille aux érudits de la communauté babie de ne pas se reposer sur leur savoir. Il les pousse à purifier leurs coeurs de crainte que, lorsque l'heure prévue arrivera et que la beauté du Promis sera dévoilée, ils ne puissent le reconnaître et embrasser sa cause.

C'est dans cette épître que Baha'u'llah fait référence à l'un de ses plus farouches ennemis, Shaykh 'Abdu'l-Husayn-i-Tihrani, un mujtahid roué et malhonnête qui avait été envoyé en Irak par ordre du Chah pour effectuer la réparation des sites sacrés musulmans à Karbila. Cet homme était célèbre dans les cercles royaux pour sa malveillance et ce poste avait été inventé pour le faire partir de Téhéran.

Peu de temps après son arrivée en Irak, Shaykh 'Abdu'l-Husayn fut alarmé par le prestige grandissant et l'ascendance de Baha'u'llah. Les débordements de sa plume divine qui avait incité de nombreuses personnes à sacrifier leur vie en son chemin, l'amour extraordinaire et le dévouement que ses compagnons avaient pour lui, la façon dont ils exprimaient, en public comme en privé, leur loyauté et leur profond respect, la haute estime dans laquelle les habitants de Bagdad le tenaient - tout cela suscita l'animosité du Shaykh et alluma la flamme de la jalousie et de la haine dans son coeur. Avec toutes les forces maléfiques qu'il put rassembler, il se leva pour faire opposition à Baha'u'llah et à ses compagnons.

Le fier et odieux Mirza Buzurg Khan,consul-général de Perse à Bagdad, peu de temps après son arrivée dans cette ville en 1276 AH (1860), s'allia au Shaykh pour déraciner la Cause et détruire son Auteur.

La première étape fut de discréditer Baha'u'llah en propageant de fausses accusations contre lui, et en demandant aux autorités de Bagdad son extradition d'Irak. Mais lorsque le Shaykh se rendit compte de la futilité de ces efforts, il s'efforça de susciter contre lui l'animosité du public. Ce qui suit sont les paroles de Shoghi Effendi décrivant quelques-unes des activités de Mirza Buzurg Khan:

"Mirza Buzurg Khan, de son côté, usa de son influence pour éveiller l'animosité des éléments les plus bas de la population contre l'adversaire commun, les incitant à affronter Baha'u'llah en public, dans l'espoir de provoquer quelque acte inconsidéré de représailles susceptible de servir de prétexte à de fausses accusations et d'obtenir par ce moyen, l'ordre désiré pour l'extradition de Baha'u'llah. Cette tentative, elle aussi, se révéla stérile étant donné que la présence de Baha'u'llah qui, malgré les avertissements et les prières de ses amis, continuait à circuler sans escorte, de nuit comme de jour, à travers les rues de la ville, suffisait à plonger ses agresseurs en puissance dans la consternation et la honte. Averti de leur dessein, il s'approchait d'eux en les raillant de leurs intentions, plaisantait avec eux et les laissait emplis de confusion, et bien décidés à abandonner tous les projets qu'ils avaient dans la tête, quels qu'ils soient. Le consul général était même allé jusqu'à louer un bandit, un Turc nommé Rida pour la somme de cent tumans ; il lui avait procuré un cheval et deux pistolets et, l'assurant de sa propre protection, lui avait donné l'ordre de chercher et de tuer Baha'u'llah. Rida, apprenant un jour que sa victime présumée se trouvait aux bains publics, déjoua la vigilance des babis qui l'escortaient et entra dans l'établissement avec un pistolet caché sous son manteau, pour s'apercevoir seulement qu'une fois arrivé à l'intérieur, et face à face avec Baha'u'llah, il n'avait pas le courage nécessaire pour accomplir sa tâche. Plusieurs années après, il raconta qu'une autre fois, il était allongé, attendant Baha'u'llah, le pistolet à la main, comme celui-ci s'approchait, il fut saisi d'une telle crainte que le pistolet tomba de sa main, sur quoi Baha'u'llah ordonna à Aqay-i-Kalim qui l'accompagnait de lui rendre son arme, puis de le remettre sur le chemin de son domicile. (17)"

Mais tous ces plans échouèrent misérablement et Shaykh 'Abdu'l-Husayn commença à expédier des séries de lettres alarmantes à la cour du Chah à Téhéran parlant du pouvoir grandissant de Baha'u'llah. Finalement, il parvint à obtenir les pleins pouvoirs du Chah pour prendre les mesures nécessaires contre les babis avec l'assistance des religieux persans résidants en Irak.

Immédiatement après avoir reçu ce mandat, le Shaykh invita tous les rangs du clergé à une conférence chez lui. Là, il condamna avec vigueur les activités de Baha'u'llah, l'accusa de détruire la foi de l'islam et demanda que la guerre sainte soit proclamée contre les babis d'Irak. L'ensemble des religieux approuva. Cependant, Shaykh Murtiday-i-Ansari, le chef mujtahid de la communauté chiite, un homme de justice et de piété auquel nous avons fait référence dans un précédent chapitre, refusa de sanctionner leur plan maléfique, se leva et brusquement quitta la réunion.

Quelque temps auparavant, Baha'u'llah avait invité Shaykh 'Abdu'l-Husayn à le rencontrer face à face de façon à pouvoir établir la véracité de sa cause. Mais, le Shaykh, qui avait d'abord accepté l'invitation, craignit d'affronter cette épreuve et ne se rendit pas à l'endroit prévu. Cette fois-ci cependant, la conférence des religieux avait décidé d'envoyer le dévot et noble Haji Mulla Hasan-i-'Ammu comme émissaire à Baha'u'llah pour lui poser certaines questions destinées à établir la vérité de sa Mission. Haji Mulla Hasan demanda au Prince Zaynu'l-Abidin Khan, le Fakhru'd-Dawlih, un ami et admirateur de Baha'u'llah qui souvent lui rendait visite, d'organiser une entrevue avec lui. Lorsque le jour attendu arriva, le prince l'amena personnellement à la maison de Baha'u'llah.

[nota: Lorsque Hadji Mulla Hasan arriva dans le salon de réception de Baha'u'llah, à sa grande surprise il trouva le célèbre mujtahid Mulla Muhammad-i-Qa'ini, surnommé Nabil-i-Akbar, (un des apôtres de Baha'u'llah ) qui était assis dans un profond respect et avec humilité. Doucement, il demanda à Nabil-i-Akbar: "Que faites-vous ici, monsieur ?" La réponse fusa, "Je suis ici pour la même raison que vous."]

À peine Haji Mulla Hasan s'était-il présenté à Baha'u'llah qu'il découvrit l'océan de ses paroles s'élevant devant lui et se vit lui-même comme une simple goutte comparé à l'ampleur de la connaissance de Baha'u'llah. Ayant reçu la réponse à ses questions avec génie et simplicité, il s'aventura alors à informer Baha'u'llah que les religieux considéraient l'accomplissement d'un miracle comme une preuve finale et concluante de l'authenticité de sa mission. Voici la réponse de Baha'u'llah:

"Bien que vous n'ayez nul droit de demander cela, car c'est à Dieu d'éprouver ses créatures et non aux créatures d'éprouver Dieu, j'admets et accepte encore cette demande… Que les 'ulama [nota: Religieux et érudits de l'islam] se réunissent et choisissent un miracle d'un commun accord, puis qu'ils certifient par écrit qu'après l'accomplissement de ce miracle, ils ne nourriront plus aucun doute à mon égard, et que tous reconnaîtront et attesteront la vérité de ma cause. Qu'ils scellent ce papier et me l'apportent. Tel doit être le critère accepté: Si le miracle est accompli, nul doute ne subsistera pour eux ; sinon, nous serons convaincu d'imposture. (18)"

Haji Mulla Hasan trouva cette réponse très satisfaisante. Il se leva, embrassa très respectueusement le genou de Baha'u'llah et promit de transmettre ses paroles aux religieux. Mais l'assemblée des religieux décida de ne pas répondre au défi de Baha'u'llah et ne continua pas l'affaire. Haji Mulla Hasan fit transmettre cette décision à Baha'u'llah par le prince Zaynu'l-'Abidin Khan. Entendant cette nouvelle, il est rapporté que Baha'u'llah a dit:

"Dans ce message entièrement satisfaisant que nous avons envoyé et qui répondait à tout, nous avons expliqué et justifié les miracles de tous les prophètes, d'autant plus que nous avions laissé le choix aux 'ulama eux-mêmes, en prenant l'engagement de faire apparaître ce qu'ils décideraient. (19)"

Shaykh 'Abdu'l-Hasan, qui avait si ignominieusement échoué à accomplir son dessein, décida de mettre encore plus de pression sur le gouvernement persan. Aidé de son complice en machinations Mirza Buzurg Khan, il expédia une série de faux rapports, grossièrement exagérés aux autorités de Téhéran, les pressant d'entreprendre les démarches pour faire partir Baha'u'llah d'Irak.

Il n'est pas étonnant que le Shaykh qui avait si inexorablement cherché à éteindre la lumière de la Cause et à détruire son chef, fut stigmatisé par Baha'u'llah dans Suriy-i-Nush en tant que "scélérat", "intrigant", "perfide", celui qui "a brandi le glaive de son moi à la face de Dieu", "dans l'âme de qui le diable a chuchoté" et "celui dont Satan fuit l'impiété", le "dépravé", "d'où naissent et à qui retourneront toutes les infidélités, les cruautés et les crimes". (20)

Dans un passage de la Suriy-i-Muluk (la sourate aux rois), s'adressant à l'ambassadeur de Perse à Constantinople, Baha'u'llah fait allusion à Mirza Buzurg Khan, le consul-général de Perse à Bagdad:

"Nous habitions ce pays depuis onze ans quand arriva, pour représenter ton gouvernement, ce ministre que notre plume se refuse à nommer, qui s'adonnait au vin et à la débauche, suivait ses passions, commettait des iniquités, et qui, corrompu, corrompit l'Irak. De cela porteront témoignage la plupart des habitants de Bagdad, si tu es de ceux qui cherchent à connaître la vérité et si tu t'en enquiers auprès d'eux. Au mépris de toute justice, il s'emparait du bien de son prochain, violait tous les commandements de Dieu et commettait ce que Dieu réprouve. Finalement, obéissant à ses penchants, il se leva contre nous et s'engagea dans les voies de l'iniquité. Dans une lettre qu'il t'adressa, il lança ses accusations et, bien qu'il n'apportât pas la moindre preuve contre nous, tu le crus sur parole et tu abondas dans son sens. Tu ne demandas aucune explication, tu ne procédas à aucune enquête, tu ne recherchas aucune preuve ni aucun témoignage dignes de foi qui eussent pu t'aider à distinguer l'erreur de la vérité et à juger avec discernement. Afin de découvrir quelle sorte d'homme il est, renseigne-toi personnellement, tant auprès des ministres qui se trouvaient alors en Irak que du gouverneur de la ville [nota: Bagdad] et de son haut conseiller, afin que la vérité te soit connue et que tu sois bien informé sur notre cas. (21)"


j) Shikkar-Shikan-Shavand

Cette épître émouvante, célèbre pour sa beauté et la lucidité de sa composition, inspire le croyant avec foi et certitude. Baha'u'llah y confirme que de grands dangers s'annoncent, qu'un ennemi acharné est sur le point de lancer une terrible attaque contre lui et que dans l'opinion des gens l'action adéquate serait de partir et de se retirer dans un lieu sûr. Néanmoins, proclama-t-il sans équivoque, les Élus de Dieu ne craignent ni les calamités et ni les tribulations. Ayant renoncé au monde et placé leur confiance et leur foi en Dieu, ils bravent tous les dangers et accueillent les souffrances dans son chemin.

De même, aucune calamité ne peut étouffer son ardeur dans le chemin de Dieu. Jamais il ne s'enfuira devant ses ennemis et il ne leur résistera pas non plus. Car ils sont impuissants à détruire la fondation de la cause de Dieu. S'ils devaient l'enterrer sous terre, la main du Pouvoir divin le relèverait à nouveau, resplendissant et victorieux. Malgré toute l'opposition qu'il reçut à Bagdad, il est assis sur le trône de gloire, serein, majestueux et aussi manifeste que le soleil. Pour ceux qui ont des yeux spirituels, sa présence même, et en public à une époque où les ennemis avaient l'intention de prendre sa vie, n'est qu'une évidence de son autorité divine.

Dans cette épître Baha'u'llah demande à Siyyid Husayn de méditer sur les souffrances qui furent infligées à Muhammad, le Prophète de Dieu. Il fut si cruellement persécuté que le Saint Esprit lui apparut et lui dit:

"Quelque pénible que te soit leur haine, trouveras-tu un chemin pour descendre au centre de la terre, ou une échelle pour monter aux cieux. (22)"

Ce verset implique que le Prophète n'avait d'autre solution que d'endurer les épreuves et les tribulations dans le chemin de Dieu. Baha'u'llah conseille vivement à Siyyid Husayn d'examiner ce verset et d'autres versets similaires du Coran pour pouvoir y découvrir leurs mystères et comprendre qu'en chaque âge, les Manifestations de Dieu ont souffert des mains des impies.

Dans l'épître de Shikkar-Shikan Baha'u'llah fait allusion à Shaykh 'Abdu'l-Husayn, condamne ses actions et affirme avec assurance qu'il échouera misérablement dans ses mauvaises actions destinées à lui faire du mal.

Baha'u'llah déclare dans de nombreuses épîtres que la souffrance et les tribulations dans le chemin de Dieu mèneront finalement la Cause à la victoire. Il accueille l'adversité afin que l'humanité soit libre et unie. Aussi proclame-t-il dans l'une de ses épîtres:

"Celui qui est la Beauté ancienne s'est laissé charger de chaînes pour que l'humanité soit libérée de son esclavage, et il a accepté d'être emprisonné dans cette puissante forteresse pour que le monde entier parvienne à la vraie liberté. Il a bu jusqu'à la lie le calice du chagrin afin que tous les peuples de la terre atteignent à la joie éternelle et soient remplis d'allégresse ; ceci est dû à la miséricorde de votre Seigneur, le Compatissant, le Très-Miséricordieux. Nous avons, ô croyants en l'unité de Dieu, accepté d'être abaissé pour que vous soyez exaltés, et nous avons souffert une multitude d'afflictions pour que vous deveniez florissants et prospères. Or, voyez comment ceux qui s'érigent en partenaires de Dieu ont forcé d'habiter la plus désolée des cités celui-là même qui est venu reconstruire le monde. (23)"

Dans Les paroles cachées Baha'u'llah dit:

"Une calamité de moi est une faveur ; en apparence c'est feu et vengeance, en réalité c'est lumière et clémence. (24)"

Parlant de l'impuissance de l'homme à éteindre la cause de Dieu, il révèle:

"À mesure que mes épreuves se multipliaient, mon amour pour Dieu et pour sa cause grandissait ; aussi, tout ce que m'infligeaient les rebelles ne pouvait me détourner de mon but. Qu'ils m'enfouissent dans les profondeurs de la terre, ils me trouveront voguant au dessus des nuages, invoquant Dieu, le Seigneur fort et puissant ! J'ai offert ma vie dans le chemin de Dieu et aspire aux épreuves associées à mon amour pour lui et à son bon plaisir. En témoignent les maux qui m'affligent à présent, et qu'aucun autre mortel n'a jamais subis. (25)"

Et à nouveau:

"Par Dieu ! Les difficultés n'ont pu me faire perdre courage et le reniement des religieux n'a pu m'affaiblir. J'ai parlé et parle toujours devant tous: "La porte de la grâce est ouverte et celui qui est l'Aurore de justice est apparu avec des signes clairs et des preuves évidentes envoyés par Dieu, le Seigneur de force et de puissance ." (26)

Après la révélation de l'épître de Shikkar-Shikan, Baha'u'llah donna les instructions pour que des copies soient envoyées à différents fonctionnaires, publics et ecclésiastiques. Tous ceux qui la reçurent furent stupéfaits par la foi et le courage de Baha'u'llah. Siyyid Husayn, pour qui Baha'u'llah avait révélé cette épître provocatrice, était natif de Qum. Il devint babi au début de la Foi et rejoignit les défenseurs du fort de Shaykh Tabarsi, où plus de trois cents babis sous le commandement de Quddus étaient assiégés par l'armée du Chah. Pendant plusieurs mois, ils endurèrent la famine et les violentes attaques. Les actes d'héroïsme et de sacrifice de soi manifestés par ces hommes de Dieu sont sans précédent dans l'histoire des religions.

Et pourtant Siyyid Husayn n'était pas un héros. Vers la fin, lorsque les tests et les épreuves étaient à leur maximum, il trahit ses amis. Ceci se passa après que Quddus ait averti ses compagnons que des jours d'intense souffrance et d'affliction accablante étaient proches. La nuit même où cet avertissement avait été donné, le Siyyid envoya un message au commandement de l'armée qui battait en retraite, l'informa de la mort de Mulla Husayn que l'ennemi redouté tellement, révéla quelques faits concernant le petit nombre des défenseurs du fort et lui conseilla vivement de lancer une ultime attaque, l'assurant de la victoire.

Enhardie par ces révélations, l'armée lança plusieurs attaques. Mais chaque fois ils furent honteusement battus. À la fin, trouvant la situation insupportable, et inquiet à l'idée de perdre la vie, Siyyid Husayn déserta le fort et alla tout droit vers le camp ennemi. Là, il renia sa foi et obtint sa liberté.

Le secrétaire de Baha'u'llah [nota: Mirza Aqa Jan], dans une épître apparemment écrite à Andrinople, a condamné Siyyid Husayn pour son infidélité et sa traîtrise. Il y déclare que sa façon scandaleuse de traiter Quddus était si abominable qu'il a même honte de la mentionner. Ceci se réfère au jour où Quddus fut conduit sur le lieu de son martyre, enchaîné, entouré par une foule hurlante, et assailli de tous côtés. Pendant ces circonstances si tragiques et afin de bien montrer son retrait de la Foi, Siyyid Husayn s'avança et frappa Quddus au visage.

Malgré son infidélité et sa traîtrise, le siyyid, peu de temps après son acte honteux, réussit à nouveau à rentrer dans le troupeau. En fait, en 1852, lorsque Baha'u'llah fut amené au Siyah-Chal, il y fut aussi emprisonné en tant que babi (*). Plus tard il alla à Bagdad où il rejoignit la Communauté. Il ne fut jamais fidèle à la cause de Dieu. Lorsque Baha'u'llah était à Constantinople il montra ouvertement son opposition et devint un disciple de Mirza Yahya.

(*)Certaines personnes sont arrivées à la conclusion que Siyyid Husayn n'était pas un babi sincère, mais qu'il avait accepté la Foi comme couverture convenant à ses activités et qu'il avait été envoyé à Shaykh Tabarsi et au Siyyah-Chal comme espion.


k) Javahiru'l-Asrar

Javahiru'l-Asrar (L'essence des Mystères) a été révélée par Baha'u'llah en arabe et à Bagdad en l'honneur de Siyyid Yusuf-i-Sidihih, un résident de Karbala, qui avait préparé quelques questions concernant le promis de l'Islam, prétendant que quiconque pouvait y répondre serait le possesseur de la Vérité. Dès que ses questions parvinrent à Baha'u'llah, il révéla cette épître et l'envoya le même jour à Siyyid Yusuf.

La Javahiru'l-Asrar a dû être révélée lorsque les ennemis de Baha'u'llah complotaient activement contre lui. Car il y parle brièvement des souffrances qui lui étaient infligées et mentionne les machinations de ceux qui étaient résolus à Le faire exiler ou à l'assassiner. Nous pouvons trouver un autre indice concernant la période de sa révélation dans le Kitab-i-Iqan. Baha'u'llah fait allusion à l'épître de Javahiru'l-Asrar lorsque il dit:

"Dans les autres Évangiles de saint Luc, saint Marc et saint Jean, les mêmes paroles se retrouvent. Comme nous en avons longuement parlé dans nos tablettes révélées en arabe, nous nous nous contenterons de cette citation. (27)"

Cette remarquable épître traite de nombreux sujets, dévoilent de nombreux mystères, révèle les significations de différents passages des Saints Livres des religions du passé et donne certains des plus nobles conseils pour la progression spirituelle de l'homme. Il y a des passages où elle ressemble - bien que pas sur un plan mystique - à certains traits des Sept Vallées.

Une similarité semblable se trouve dans l'explication de Baha'u'llah des sept étapes du voyage de l'homme vers son ultime but. Ces étapes qu'il nomme "cités" de "la recherche", de "l'amour", "de l'unité",de "l'émerveillement", de "l'anéantissement absolu", de "l'immortalité", suivi "d'une cité" connue seule de Dieu et de ses Manifestations, si exaltée que l'homme ne peut pas comprendre sa nature, pour laquelle il ne peut y avoir de nom ni de définition. De la "cité de l'unité" Baha'u'llah déclare que l'homme y verra à l'intérieur les signes de Dieu, deviendra humble, ne se plaçant jamais au-dessus des autres, et se considérant en tous temps comme étant en présence de son Seigneur. Dans "la cité de l'immortalité", il se trouvera indépendant de toutes choses excepté de Dieu, et ayant accès aux trésors inépuisables de Dieu bien que vivant dans la pauvreté. Sur ce plan, tous les attributs de Dieu seront manifestés en lui et sa vie deviendra céleste.

Baha'u'llah atteste que les préalables nécessaires pour l'homme dans ces voyages sont l'humilité et l'effacement de soi devant les croyants. Toute trace de fierté ou du moi empêchera le voyageur de pénétrer dans n'importe laquelle de ces "cités" et le fera retourner à la première étape. L'importance de cette épître devient apparente lorsque nous notons que ses thèmes sont similaires à ceux du Kitab-i-Iqan. Bien que moindres dans leur portée, ses sujets sont ceux que Baha'u'llah a le plus développés dans ce livre. Par exemple, il énumère dans ces épîtres quelques-unes des raisons qui ont empêché les disciples de toutes les religions de reconnaître la Manifestation de Dieu suivante. Il stipule certaines des qualités que le chercheur doit posséder afin de pouvoir trouver la vérité. Il affirme que Dieu est inconnaissable dans son Essence ; soutien l'unité de tous ses Messagers ; explique la signification de termes tels que Jour du Jugement, résurrection, vie, mort, et des terminologies semblables mentionnées dans les Saints Livres du passé. Il interprète certaines prophéties de l'Ancien et du Nouveau Testament et élucide des passages du Qur'an et des traditions de l'islam qui anticipe la venue du Qa'im (*) et de l'avènement du Jour de Dieu, identifié par Baha'u'llah avec la venue de "Celui que Dieu rendra manifeste".
(*) Nota: Le Promis de l'Islam dont l'avènement a été accompli par le Bab.

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