La révélation de Baha'u'llah
Volume 3 - Adib Taherzadeh
Akka 1868-1877

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CHAPITRE 1: Arrivée de Baha'u'llah à Acre

Le voyage de Baha'u'llah d'Andrinople à Acre, brièvement décrit dans le dernier chapitre du précédent volume, fut chargé de très grandes privations et de souffrances. Cela souligna à nouveau l'abaissement auquel Baha'u'llah et ses compagnons étaient assujettis, et les indignités qui l'accablaient à cause des actions de ses ennemis. Lorsqu'il arriva dans la prison d'Acre, ces souffrances furent accentuées à un tel point, qu'il nomma cette cité la Plus-Grande-Prison. Se référant dans une de ses tablettes aux premières neuf années de son exil à Acre, la Plume du Très-Haut a noté ces paroles émouvantes:

Sachez qu'à notre arrivée en ce lieu, Nous avons décidé de l'appeler la Plus-Grande-Prison. Bien que, dans une autre contrée (Téhéran), nous ayons été enchaîné et chargé de fers, nous nous sommes pourtant refusé à la désigner par ce nom. Dis: Méditez cela, ô vous qui êtes doués de compréhension !" (n°1 Dieu passe près de nous p.177)

L'une des très fascinantes caractéristiques de la vie de Baha'u'llah est le contraste entre sa gloire et sa majesté qui lui viennent de Dieu, et l'emprisonnement et l'abaissement auxquels il fut soumis par ses ennemis. Nous pouvons observer avec stupéfaction que Baha'u'llah, la Manifestation suprême de Dieu, celui qui tenait les pouvoirs de la terre et du ciel en ses mains, dont le mouvement de la plume pouvait révolutionner la vie des hommes, dont les paroles étaient dotées d'une telle puissance qu'elles pouvaient soumettre ses adversaires ; un tel Être se soumit, avec une résignation totale, à ceux qui s'étaient levés avec toutes leurs forces et autorité pour prendre sa vie et éteindre la lumière de sa Cause. Il ne se servait pas des pouvoirs spirituels que Dieu lui avait accordés pour empêcher les mains des oppresseurs de le persécuter. Il aurait pu, s'il l'avait voulu - comme il l'atteste lui-même dans de nombreuses tablettes - conquérir les coeurs de ses ennemis par la formulation d'une seule parole. Mais cela ne devait pas être. Car Dieu a créé l'homme et lui a donné le libre arbitre de choisir entre le bien et le mal, de suivre la vérité ou de marcher sur le chemin de l'erreur.

Si les Manifestations de Dieu devaient entièrement révéler les signes et marques de leur pouvoir, s'ils devaient écraser et détruire leurs persécuteurs par la force de leur puissance spirituelle, une telle révélation irait à l'encontre du principe de libre arbitre que Dieu a donné à l'homme. Car nul, qu'il soit bon ou mauvais, méritant ou indigne, lorsque confronté avec les nombreuses évidences du pouvoir irrésistible de la Manifestation de Dieu, n'aurait d'autre choix que de reconnaître son autorité et d'accepter l'authenticité de son message. Si cela avait été le cas l'homme serait réduit à l'état d'une marionnette qui perd le contrôle de ses actions, et ceux qui n'ont pas de mérite spirituel deviendraient les égaux de ceux qui en ont.

C'est pourquoi la Manifestation de Dieu cache généralement ses pouvoirs aux yeux des hommes et occasionnellement (et jusqu'à un certain point) les révèle à un petit nombre doté de ces qualités spirituelles (voir vol.2). Par exemple, le Christ permis à certains de ses disciples d'être témoins des signes de sa gloire, mais la grande majorité du peuple de Terre sainte, leurs chefs religieux et leurs dirigeants, n'en furent pas affectés. Il n'usa pas de son ascendance spirituelle pour empêcher sa propre crucifixion.

Les pouvoirs de la Manifestation de Dieu restent cachés derrière le voile du temple humain. Il vit comme les autres personnes et est soumis aux mêmes limitations que cela lui impose. Il doit manger et dormir pour pouvoir survivre. Il ressent la douleur s'il est frappé par les souffrances, parfois il tombe malade et finalement meurt. Certes, il vient comme camouflé par son enveloppe mortelle. Et cela empêche la plupart de ses contemporains de reconnaître son rang. Ses actions sont aussi de grandes barrières et la pierre d'achoppement pour ceux qui viennent en contact avec lui. Son mode de vie est similaire à celui de ses compatriotes. Il parle la même langue, obéit aux mêmes lois, et pratique les mêmes habitudes. Il ne semble pas connaître le futur, doit être informé des nouvelles du jour et même certains de ses enseignements et de ses paroles peuvent jeter le doute dans l'esprit de ceux qui sont aveuglés devant sa gloire. Ces intellectuels et érudits qui sont spirituellement aveugles, et qui pèsent ses paroles avec leurs propres critères, trouveront souvent des fautes dans ce qu'il dit et rejetteront inconditionnellement son message.

Toutes ces caractéristiques humaines que la Manifestation de Dieu démontre, agissent comme un nuage épais cachant aux yeux des hommes les splendeurs de la lumière de sa révélation. Car il ne se révèle pas dans sa gloire pure. Seuls ceux qui possèdent des yeux spirituels peuvent accéder à l'arrière de ce nuage et témoigner de l'éclat du Soleil de vérité. L'homme doit faire un effort pour pouvoir trouver la vérité. Ceci est une loi irrévocable de la création, et à travers elle, le libre arbitre de l'homme est préservé. C'est Dieu qui dote l'homme de ce libre arbitre. Il lui a donné l'autorité pour régner partout dans le monde. L'homme a le pouvoir de vie ou de mort en ses mains. Il peut mener une vie paisible et construire un monde uni, ou il peut allumer le feu de l'inimitié et apporter la destruction et la mort à une grande multitude. Et bien que Dieu ait envoyé ses messagers d'époque en époque pour montrer le chemin à l'espèce humaine, et qu'il ait répandu la lumière sur son chemin, il a pourtant laissé l'homme libre de choisir pour lui-même. Dans chaque dispensation, un nombre considérable de personne ont été conduites à suivre le chemin de vérité de leur propre libre arbitre, tandis que la majorité des peuples ont rejeté l'appel de Dieu et ont suivi leurs propres dictats.

En cet âge, l'humanité s'est égarée loin du chemin de vérité, et l'appel de Baha'u'llah, pour le reconnaître en tant que vice-roi de Dieu sur terre, n'a pas trouvé d'écho. Mais une étude soigneuse de ses Écrits nous mène à croire que sa révélation, étant le couronnement des révélations du passé et une révélation qui a conduit au Jour de Dieu, exercera une influence si puissante sur l'espèce humaine entière que finalement tous les peuples du monde reconnaîtront son rang de leur propre libre-arbitre et embrasseront sa cause de leur propre volonté. Cela à son tour amènera, dans un futur proche, l'apparition d'une nouvelle race d'hommes dont nous sommes incapables, en cette époque, d'imaginer le caractère noble et les vertus spirituelles.

Avec ce principe de base en tête, que les Manifestations de Dieu cachent leur gloire aux yeux des hommes, nous pouvons plus clairement apprécier la façon dont ils sont apparus et ont agi parmi les peuples de la terre. Nous observons qu'ils se sont toujours soumis à leurs ennemis, et pourtant que par le pouvoir de Dieu ils ont réussi à fermement établir les fondations de leur Cause parmi les hommes. Les souffrances qui furent infligées à Baha'u'llah par ses ennemis pendant ses quarante ans de ministère et l'indulgence et la résignation avec lesquelles il les a endurées démontrent bien ce principe. Cela devient plus particulièrement visible à Acre où ceux qui avaient l'autorité lui infligèrent des souffrances plus violentes qu'à n'importe quelle autre période de son ministère.

Quoique Baha'u'llah se soit soumit à un ennemi hostile qui l'emprisonna et le condamna à une réclusion solitaire pour le reste de sa vie, nul ne put lui voler sa majesté et sa gloire. Même ceux qui n'avaient pas les yeux spirituels et étaient aveugles à son autorité divine furent forcément frappés par les manifestations extérieures de son éminente et imposante personnalité.

Il en est de même dans d'autres épisodes de sa vie lorsque des gens se trouvaient face à face avec lui, aucun des fonctionnaires qui accompagnaient Baha'u'llah lors de son voyage vers Acre, ni les autres qui, soit au cours de leurs obligations ou pour d'autres raisons se trouvèrent en sa présence, ne pouvaient manquer de reconnaître sa grandeur. Une de ces personnes était un jeune homme qui s'appelait Constantin, un chrétien, qui se trouva en sa présence sur le bateau à Alexandrie en Égypte. Ce jeune homme est l'un des personnages d'un important incident qui eut lieu durant le voyage de Baha'u'llah à Acre.

- L'incident d'Alexandrie:

Vers la fin de son séjour à Andrinople, Baha'u'llah envoya Nabil-i-A'zam en mission en Égypte. Le consul général iranien du Caire, Mirza Hasan Khan-i-Khu'i, était un ennemi invétéré de la Foi. Dès qu'il apprit la visite de Nabil, il s'adressa aux autorités égyptiennes, porta de fausses accusations contre lui et préconisa son arrestation. En conséquence Nabil fut envoyé dans une prison au Caire et plus tard transféré dans une autre prison à Alexandrie. Parfaitement ignorant du sort de Baha'u'llah et de son exil imminent à Acre, Nabil passait ses journées dans la prison d'Alexandrie, qui était située près de la mer, là où en général accostaient les bateaux.

Comme nous l'avons déjà rapporté dans un volume précédent (voir vol.) un certain médecin chrétien, un Syrien nommé Faris, qui pour des raisons financières avait été mis dans la même prison, fut attiré par Nabil. Tout d'abord le premier essaya de convertir le deuxième au christianisme. Mais au lieu de cela Nabil donna à son compagnon les nouvelles de la venue du Père et l'avènement du Jour de Dieu. Il dévoila à ses yeux la lumière de la Foi nouveau-née et lui transmis la connaissance de sa révélation.

Conséquence du travail d'enseignement de Nabil inspiré par son esprit de détachement de ce monde et aidé par sa connaissance profonde et intime du message de Baha'u'llah, Faris eut rapidement la certitude de la véracité de la Cause. Le feu de la foi commença à brûler violemment dans son coeur, et l'amour pour Baha'u'llah posséda son être tout entier. Il fut rempli de joie et d'extase, la morosité de la vie carcérale disparut et il se trouva pour la première fois au milieu du paradis.

Tandis que Nabil était au Caire, Baha'u'llah lui apparut une nuit en rêve et l'assura qu'après quatre-vingt un jours, les privations de la prison seraient terminées. Ce jour-là tomba un jeudi, le 27 août 1868, et ce fut ce jour-là que s'éclaircit la signification du rêve de Nabil. *

*[nota: d'après les archives de l'Austrian Lloyd, le vapeur devait quitter Gallipoli le 21 août 1868 et devait arriver à Alexandrie le mercredi 26 août, tôt le matin. Baha'u'llah et ses compagnons prirent un autre vapeur de la même compagnie à Alexandrie en route vers Chypre via Haïfa, qui devait prendre la mer le vendredi 28 août]

Vers l'heure du coucher du soleil, il alla sur le toit de la prison et commença à regarder les gens passer. À sa grande surprise, peu de temps après qu'il se soit installé dans un coin du toit, Nabil aperçut Aqa Muhammad Ibrahim-i-Nazir (le traiteur) parmi les passants, escorté par un garde. Aqa Muhammad Ibrahim avait, à Andrinople, la tâche de traiteur auprès de Baha'u'llah et de ses compagnons. Maintenant, il avait débarqué à Alexandrie pour acheter des provisions pour le voyage. Ne sachant rien de l'exil de Baha'u'llah à Acre, Nabil surpris appela Muhammad Ibrahim qui réussit à persuader son gardien à l'autoriser à rendre visite à son ami dans la prison.

Cet incident surprenant provoqua une grande agitation dans le coeur de Nabil, car il se retrouvait si proche de son Bien-aimé et en même temps si loin. Lorsque Faris Effendi en fut informé, il devint lui aussi très excité mais frustré car il ne pouvait pas aller en présence de son Seigneur.

Cette nuit-là, aucun des deux ne put dormir. Ils décidèrent tous deux d'écrire une lettre à Baha'u'llah et le matin suivant Faris Effendi pris des arrangements avec un certain jeune chrétien, Constantin, qui était horloger en ville, afin qu'il portât leurs lettres à Baha'u'llah à bord du bateau. Tous deux allèrent sur le toit de la prison pour voir le bateau, tournèrent leur coeur vers Baha'u'llah et avec beaucoup de dévotion et d'amour communièrent avec son esprit.

Quelque temps après ils eurent le coeur brisé de voir la fumée du bateau s'écarter du quai avant que Constantin n'ait pu monter à bord. Mais incroyablement, le bateau s'arrêta après quelques minutes de navigation et Constantin, qui était dans une barque, put l'atteindre et monter à bord. Il remit l'enveloppe à l'un des serviteurs qui l'apporta à Baha'u'llah. Les nouvelles des allées et venues de Nabil et particulièrement la lettre de Faris, qui fut lue à haute voix par Baha'u'llah à ceux qui s'étaient réunis en sa présence, créèrent une grande agitation à bord du bateau. Baha'u'llah révéla une épître en l'honneur de Nabil dans laquelle il prodigue ses bienfaits et ses bénédictions à Faris, et l'assure qu'il sera prochainement relâché de la prison. Il demanda alors au messager de venir, et avec une affectueuse gentillesse et affection lui donna l'épître. 'Abdu'l-Baha et la Plus-Pure-Branche envoyèrent aussi quelques cadeaux à Nabil.

Cette courte visite fit une impression durable sur Constantin. Ayant été face à face pendant un court instant avec la Manifestation suprême de Dieu, et ayant aperçu pendant un furtif instant sa gloire, il quitta le bateau ébloui et impressionné. Lorsqu'il arriva près de Faris Effendi pour lui remettre le paquet, il était dans un tel état d'agitation qu'on l'entendit crier: "Je le jure, j'ai vu le visage du Père Céleste." Dans un état d'extase et de ravissement Faris étreignit Constantin et baisa ses yeux qui avaient contemplé la personnification du Seigneur.

La tablette de Baha'u'llah était calligraphiée par son secrétaire Mirza Aqa Jan sous la forme "d'écriture de révélation" (voir vol.1). Elle communiquait à Faris un nouvel esprit d'amour et de dévouement ; elle attisait la flamme du feu de la foi qui dans cette lugubre prison avait été allumé dans son coeur par Nabil. Comme promis par Baha'u'llah, Faris sortit de prison trois jours plus tard. Après son élargissement, il se leva pour propager la Foi parmi son peuple. Nabil fut aussi libéré peu de temps après, mais ayant reçu l'ordre de quitter l'Égypte il partit vers la Terre sainte à la recherche de son Seigneur.

Dans plus d'une épître, Baha'u'llah a lui-même décrit l'épisode de Faris à Alexandrie comme un signe du pouvoir de Dieu. Dans une tablette (n°2 tablette non publiée de Baha'u'llah) révélée peu de temps après son arrivée à Acre et adressée à Rad'ar-Ruh *, qui mourut en martyr, Baha'u'llah relate l'histoire de son bannissement d'Andrinople, et l'abondance de la révélation de la parole de Dieu au cours de ce voyage ; il déclare que les brises de la révélation des Paroles révélées durant cette période soufflèrent sur la planète toute entière. Se référant à lui-même comme au Plus-Grand-Océan, il décrit dans un langage majestueux la façon dont il monta à bord du bateau et vogua sur la mer, tandis que chaque goutte de ses eaux s'extasiait et d'elle on pouvait entendre ce que nul n'est capable d'entendre.

*[nota: voir vols. 1 et 2. La date de son martyr n'est pas clairement connue mais c'était probablement vers l'époque où Baha'u'llah arriva à Acre et lui envoya la tablette ci-dessus]

Peut-être que le point culminant de cette tablette concerne l'histoire de Faris. Baha'u'llah relate que tandis que le bateau était ancré à Alexandrie, il reçut des mains d'un messager chrétien une lettre éloquente de laquelle il pouvait humer les fragrances de sainteté. Elle était écrite par quelqu'un qui s'était détaché des liens terrestres et avait embrassé sa cause. Baha'u'llah déclare qu'il aurait désiré que Rad'ar-Ruh ait été présent pour entendre la voix très émouvante de son Seigneur lorsque, à voix haute, il lut à ses compagnons à bord du bateau, la lettre de supplication et de déclaration de foi. Cette lettre, écrite en arabe, montre une foi passionnée pour la cause de Baha'u'llah, une profonde compréhension de sa révélation et une véritable reconnaissance de son rang. Baha'u'llah était tellement heureux d'avoir reçu cette lettre émouvante qu'il voulut la partager avec les croyants. Et donc, sur ses instructions, une partie de la lettre de Faris fut recopiée et envoyée à certaines personnes en Perse pour qu'ils puissent la lire et méditer sur les pouvoirs créatifs de la Parole de Dieu qui est capable de transformer le coeur humain et de le transporter vers le monde de l'esprit.

Voici un résumé d'une partie de la lettre de Faris:

Ô toi la Gloire du Plus-Glorieux et l'Exalté du Plus-Exalté ! J'écris cette lettre et je l'offre à celui qui a été soumis aux mêmes souffrances que Jésus-Christ... Il nous appartient d'offrir des louanges et de rendre grâce à Dieu, le Très-Glorieux, le Très-Miséricordieux. Et maintenant je te supplie de m'accorder ainsi qu'à ma famille une portion de l'océan de tes bienfaits, Ô toi qui es l'Éternel, l'Absolu, la Source de pureté et de sainteté.

Je te supplie, par le mystère de ton Être le plus joyeux, par ton Prophète qui conversa avec toi (Moïse), par ton Fils (Jésus), par ton Ami (Muhammad) et par ton Hérault (Le Bab) qui pour l'amour de toi offrit sa vie en ton sentier, de ne pas me priver ni ma famille, ces pauvres gens, de voir ton visage.

Ô toi qui, pour nous, a enduré les souffrances et les tribulations. Consolide notre foi, choisis- nous pour ton service et accepte-nous comme martyrs en ton sentier afin que notre sang puisse être versé par amour de toi. Nous sommes faibles et ignorants, confère sur nous ta gloire afin que nous ne soyons pas parmi les perdants. Accorde-nous la distinction de l'amour et de la foi, et nettoie nos coeurs de tout ce qui pourrait aller à l'encontre de ton bon plaisir. Aide-nous à nous oublier nous-mêmes afin qu'à ton service, nous ne cherchions aucun repos si ce n'est par ta permission et par ton bon plaisir.

Ô toi qui connais les secrets des coeurs ! navigues-tu sur une arche faite de bois ? Ô combien je languis d'être une partie de ce vaisseau, car il est béni d'être un porteur du Seigneur. Ô mer démontée ! ton agitation est-elle due à ta crainte du Seigneur glorieux ? Ô Alexandrie ! es-tu accablée de douleur parce que celui qui est l'Éternel, le Très-Sage est en train de quitter tes rives ? Ô Cité désolée d'Acre ! tu applaudis dans une fervente joie et tu es dans un état de ravissement et d'extase, car le Seigneur dans sa grande gloire bénira ta terre en y laissant la trace de ses pieds...

Dans la tablette à Rad'ar-Ruh susmentionnée, Baha'u'llah fait une déclaration importante qui confirme une des vérités fondamentales de la cause de Dieu. Se référant à la reconnaissance de son rang par Faris, Baha'u'llah déclare que Dieu transforma son coeur et le recréa, et qu'une telle création est plus grande aux yeux de Dieu que la création de la terre et du ciel. Nous pouvons être sensibles à cette déclaration lorsque nous pensons que l'âme de l'homme est, dans cette création, la réalité la plus précieuse que Dieu ait donné à l'homme. Il y a une mystérieuse force spirituelle d'attraction entre l'âme et le Créateur *.

*[nota: dans ce contexte nous ne nous référons pas au "Créateur" en tant qu'Essence de Dieu mais comme Dieu manifesté à l'homme]

C'est à cette relation d'amour que Baha'u'llah se réfère dans les Paroles Cachées, lorsqu'il dit:

"Ô fils de l'homme ! j'ai aimé ta création, aussi t'ai-je créé. Aime-moi donc afin que je mentionne ton nom et que, de l'esprit de vie, j'emplisse ton âme." (N°3 Paroles Cachées. n°4 arabe)

Mais l'âme s'attache à ce monde et c'est cet attachement qui devient une barrière entre l'âme et son Créateur. Cependant, si les barrières sont ôtées, l'âme s'approche de Dieu, le reconnaît, acquiert l'esprit de foi (voir vol.1) et devient une nouvelle création. Ainsi l'âme réalise le but pour lequel elle a été créée, et cela est l'événement le plus méritoire aux yeux de Dieu et plus important que tout ce qui se trouve dans cette création physique. C'est dans cette relation que nous pouvons le mieux apprécier les exhortations de Baha'u'llah en ce qui concerne l'enseignement de sa foi (voir vol.2) qui a pour conséquence d'amener une âme vers son Dieu. Il n'est donc pas surprenant que Baha'u'llah ait enjoint à chaque croyant la tâche d'enseigner sa Cause et qu'il la considère comme "la plus méritoire de toutes les tâches".

Faris fut probablement le premier chrétien à embrassé la Foi de Baha'u'llah. Grâce au rayonnement de la foi invincible de Nabil, et aidé par sa propre connaissance de la langue arabe et de la Bible, Faris devint un croyant fidèle avec une profonde compréhension du rang de Baha'u'llah. Le fait que Faris et Nabil se soient rencontrés dans la prison d'Alexandrie n'est pas un simple accident. Dieu travaille d'une façon mystérieuse. Lorsqu'il se manifeste à l'homme, il attire vers lui les âmes qui sont détachées de ce monde. Durant les ministères du Bab et de Baha'u'llah, un grand nombre de personnes furent menées, de façon mystérieuse, vers la Source de la révélation de Dieu - par des rêves et des visions, par l'intuition ou même à travers des circonstances miraculeuses. C'était ainsi parce que la Manifestation de Dieu vivait parmi les hommes et ceux qui avaient le coeur pur étaient attirés vers lui.

"Par la justice du seul vrai Dieu ! si une parcelle d'un joyau était perdue et enfouie sous une montagne de pierres et gisait cachée au-delà des mers, la Main d'omnipotence la dévoilerait certainement en ce Jour, pure et libre de scories." (N°4 Avènement p.106)

Faris consacra son temps à l'enseignement de la Cause à son peuple. Lawh-i-Aqdas *, connue en Occident sous le nom de Tablette aux chrétiens, est reconnue comme ayant été révélée en son honneur, mais ceci ne peut pas être prouvé. Jusqu'à ce jour, il n'a pas été possible d'établir pour qui cette tablette a été révélée.

*[nota: la Très Sainte Tablette, publiée dans les Tablettes de Baha'u'llah pp 9-17 ; à ne pas confondre avec le Très Saint Livre]

Après ce contact extraordinaire qui fut fait à Alexandrie entre Baha'u'llah et les deux prisonniers baha'is, le vapeur fit route vers sa destination *, et après trois jours il arriva à Haïfa tôt le matin du lundi 31 août.

*[nota: d'après les registres de navigation, le vapeur Austrian Lloyd devait arriver à Alexandrie le vendredi à 11 heures du matin, à Port Saïd le samedi à 17 heures, à Jaffa le dimanche à 6 heures, à Haïfa le lundi à 8 heures et à midi deux jours plus tard à Chypre]

- La Plus-Grande-Prison

Baha'u'llah et ses compagnons - en tout soixante dix personnes - débarquèrent du bateau et furent amenés à terre dans des voiliers. Toutes leurs affaires furent aussi transbordées. Là, les prisonniers furent comptés et remis aux fonctionnaires du gouvernement *. Quelques heures plus tard ils furent tous amenés à bord d'un voilier qui les conduisit à Acre dans l'après-midi du même jour. Comme il n'y avait pas d'équipement pour débarquer, les hommes durent regagner la rive à pied et il fut ordonné que les femmes soient portées à dos d'homme. Mais sur l'insistance de 'Abdu'l-Baha les femmes furent portées à terre une par une, assises sur une chaise que lui-même s'était procurée.

*[nota: ce fut là que quatre disciples de Baha'u'llah ne reçurent pas l'autorisation de débarquer et furent au lieu de cela conduits à Chypre, et là aussi que l'un d'entre eux, 'Abdu'l-Ghaffar, se jeta dans la mer. Voir vol.2]

Lorsque Baha'u'llah arriva à Acre, la cité était une colonie pénale. Sa population dans les années 1880 était estimée à environ neuf mille personnes. Le Gouvernement turc y avait relégué un grand nombre de criminels, meurtriers, détenus politiques et toutes sortes de faiseurs de trouble de son grand empire. Les habitants que Baha'u'llah a stigmatisés en tant que "génération de vipères", étaient descendus à un niveau très bas. Parmi ces gens, de folles rumeurs et de fausses accusations circulaient concernant Baha'u'llah et ses disciples à leur arrivée. Le groupe des exilés, ces héros ivres de Dieu qui avaient accompagné leur Seigneur dans cette cité des plus désolée, étaient considérés comme des mauvais hommes, des criminels de la pire espèce qui méritaient d'être cruellement traités. Il n'est pas étonnant, par conséquent, qu'un grand nombre des habitants d'Acre s'étaient réunis à l'endroit du débarquement pour les huer ainsi que leur Chef qu'ils nommaient le "Dieu des Persans".

Pourtant, il y avait dans la foule des personnes avec une certaine perception spirituelle. Ceux-là, en regardant la personne de Baha'u'llah, furent frappés par sa majesté et virent une gloire qu'ils n'avaient jamais vue auparavant. Parmi eux se trouvait un certain Khalil Ahmad 'Abdu, un vieillard vénérable qui avait l'habitude de dire aux habitants d'Acre qu'il pouvait voir dans le visage de Baha'u'llah des signes de grandeur, de majesté et de véracité. Il disait souvent que le peuple d'Acre devrait se réjouir et rendre grâce à Dieu pour avoir permis que leur terre natale soit ennoblie par les pas de ce grand Personnage. Il prophétisa que par lui les habitants seraient bénis et prospères, et cela arriva littéralement.

Un autre homme dans la foule qui regardait l'arrivée des exilés était connu sous le nom de 'Abdu'llah Tuzih. Il vit le rayonnement, le pouvoir et la gloire du visage de Baha'u'llah et fut attiré vers lui. Plus tard, il devint croyant et sa fille (qui était née le jour même de l'arrivée de Baha'u'llah à Acre) fut quelques années plus tard unie maritalement à Husayn-i-Ashchi, cuisinier dans la maison de Baha'u'llah et l'un de ses serviteurs dévoués (voir vol.2).

Comme la différence est incroyable entre la vision de ceux qui sont assemblés à la porte de la mer à Acre pour les huer et montrer leur hostilité envers le groupe d'exilés et de leur Chef, et la vision de Baha'u'llah qui quelques années auparavant, dans la tablette de Sayyah (voir vol.2) annonçant son arrivée dans la cité d'Acre, dévoila à ceux qui étaient dotés d'une vue spirituelle un spectacle considérablement différent:

"À notre arrivée, nous fûmes accueilli par des bannières de lumière, puis la voix de l'Esprit s'écria: "Bientôt, tout ce qui demeure sur la terre sera enrôlé sous ces bannières." (N°5 Dieu passe près de nous p.176)

L'attitude de ces spectateurs, aveugles au monde de l'esprit et de la vision de Baha'u'llah qui englobe tout, est caractéristique de l'attitude de l'homme à chaque ère envers la révélation de Dieu. Plus de cent années se sont écoulées depuis que Baha'u'llah prononça ces paroles. La majorité de l'humanité, ses dirigeants et ses hommes sages, n'ont pas jusqu'à présent réussi à reconnaître la vérité. Ils restent ignorants de la venue du Seigneur ou font la sourde oreille à sa voix. Mais ceux qui ont embrassé sa Cause peuvent croire en la vision de leur Seigneur que "bientôt, tout ce qui demeure sur la terre sera enrôlé sous ces bannières".

L'histoire de l'expansion de chaque religion démontre une situation semblable. Lorsque le Christ était sur la croix, il eut la vision de sa Cause s'étendant au bout du monde, tandis que l'humanité, représentée par ses contemporains en Terre sainte, restait insensible à une telle vision. Elle voyait seulement dans le Christ un homme captif et impuissant, en train de mourir sur la croix. Mais elle ne connaissait pas le pouvoir du Saint Esprit, un pouvoir qui attira des millions de personnes sous l'ombre de la foi chrétienne.

Il a été raconté qu'une fois, lorsque Muhammad et ses disciples étaient complètement encerclés et surpassés en nombre par les armées de leurs ennemis, et lorsqu'il n'y eut plus d'espoir de survie parmi ses fidèles, il monta sur un rocher et avec force le frappa de son bâton disant, "J'ai conquis l'Empire romain", et répétant le même mouvement, "j'ai conquis l'Empire perse"... À ce moment-là, même parmi ses fidèles, certains ne possédaient pas la vision pour comprendre ces paroles, mais ils furent rapidement témoins de leur réalisation.

De même, les ennemis de Baha'u'llah, incapables de discerner le pouvoir du Tout-Puissant qui animait sa Cause et la personne de sa propre Manifestation, imaginèrent qu'en le mettant en prison, ils pouvaient réussir à éteindre sa lumière et détruire sa Cause. C'est pour cette raison que les autorités avaient reçu l'ordre de lui imposer ainsi qu'à ses fidèles les restrictions les plus sévères.

Dans le langage magistral si caractéristique de ses écrits divinement guidés, Shoghi Effendi, le Gardien de la foi baha'ie, a brièvement effleuré la signification de l'arrivée de Baha'u'llah à Acre. Il écrit:

L'arrivée de Baha'u'llah à Acre marque le début de la dernière phase de ses quarante années de ministère, la phase finale et, à vrai dire, le summum de l'exil dans lequel s'est déroulé tout ce ministère. Ce bannissement, qui l'avait d'abord amené au voisinage immédiat des citadelles de l'orthodoxie chiite et l'avait mis en contact avec ses représentants les plus réputés, et qui, plus tard, l'avait transporté dans la capitale de l'Empire ottoman, l'amenant à adresser ses déclarations historiques au sultan, à ses ministres et aux chefs ecclésiastiques de l'islam sunnite, ce bannissement le conduisait maintenant à débarquer sur les rivages de la Terre sainte, la terre promise par Dieu à Abraham, consacrée par la révélation de Moïse, honorée par la vie et les oeuvres des patriarches hébreux, des juges, des rois et des prophètes, vénérée comme le berceau du christianisme et le lieu où, selon le témoignage de 'Abdu'l-Baha, Zoroastre s'était "entretenu avec quelques-uns des prophètes d'Israël", la terre liée enfin, pour l'islam, au voyage nocturne de l'Apôtre à travers les sept cieux, jusqu'au trône du Tout-Puissant. Dans cette sainte et attirante contrée, "le nid de tous les prophètes de Dieu", "le vallon de l'inscrutable décret de Dieu, le site à la blancheur de neige, la terre à la splendeur impérissable", l'exilé de Bagdad, de Constantinople et d'Andrinople, était condamné à passer au minimum un tiers de la vie qui lui était accordée, et plus de la moitié du temps imparti à sa mission. "Il est difficile", déclare 'Abdu'l-Baha, "de concevoir comment Baha'u'llah aurait pu être forcé de quitter la Perse et de planter sa tente dans cette Terre sainte sans les persécutions de ses ennemis, sans son bannissement et son exil."

Certes, pareil accomplissement, nous assure Baha'u'llah, avait été effectivement prophétisé "par la langue des prophètes, deux ou trois mille ans auparavant". Dieu, "fidèle à sa promesse", avait "révélé à certains prophètes" "la bonne nouvelle que le Seigneur des armées serait manifesté en Terre sainte". Ésaïe avait annoncé dans son livre à ce sujet: "Monte sur la haute montagne, Sion, pour publier la bonne nouvelle ; élève avec force ta voix, Jérusalem, pour publier la bonne nouvelle. Élève ta voix, ne crains point ; dis aux villes de Juda: Voici votre Dieu ! voici, le Seigneur, l'Éternel vient avec puissance, et de son bras, il commande"... David, dans ses Psaumes, avait prédit: "Portes, élevez vos linteaux ; élevez-vous, portes éternelles ! Que le roi de gloire fasse son entrée ! - Qui est ce roi de gloire ? - L'Éternel des armées, voilà le roi de gloire." "De Sion, beauté parfaite, Dieu resplendit. Il vient, notre Dieu, il ne reste pas en silence". Amos, avait de même annoncé sa venue: "De Sion l'Éternel rugit, de Jérusalem il fait entendre sa voix. Les pâturages des bergers sont dans le deuil, et le sommet du Carmel est desséché."

Acre elle-même, flanquée de la "gloire du Liban" et déployée en panorama, face à la "splendeur du Carmel", au pied des collines qui renferment la demeure de Jésus-Christ lui-même, a été décrite par David comme la "ville forte", appelée par Osée "la porte de l'espérance", évoquée par Ézéchiel comme "la porte qui regarde vers l'Est", la porte par laquelle "la gloire du Dieu d'Israël arriva du côté de l'Orient", faisant entendre sa voix "pareille au bruit des grandes eaux". D'Acre, le prophète arabe fait mention comme d'"une ville de Syrie à laquelle Dieu a témoigné sa miséricorde spéciale", ville située "entre deux montagnes...au milieu d'une prairie", "blanche, d'une blancheur qui plaît à Dieu". "Béni soit l'homme", a-t-il encore déclaré, ainsi que le confirme Baha'u'llah, "qui a visité Acre, et béni soit celui qui a rendu visite au visiteur d'Acre". Et ailleurs, "Celui qui, en ce lieu, prononce l'appel à la prière, sa voix s'élèvera jusqu'au paradis". Et de nouveau: "Les pauvres d'Acre sont les rois du paradis et les princes de ce lieu. Un mois à Acre vaut mieux que mille années ailleurs". De plus, dans une tradition remarquable que contient l'oeuvre de Shaykh Ibnu'l-'Arabi, intitulée Futuhat-i-Makkiyyih - tradition acceptée comme paroles authentiques de Muhammad et citée par Mirza Abu'l Fadl dans son Fara'id - on trouve cette prédiction lourde de sens: "Tous ensemble (les compagnons du Qa'im) seront mis à mort, excepté l'un d'eux qui atteindra la plaine d'Acre, la salle du banquet de Dieu." (N°6 Dieu passe près de nous, p.175-6)

Baha'u'llah et ses compagnons entrèrent dans la cité-prison par le portail de la mer et furent conduits à la prison le long des ruelles étroites et sinueuses d'Acre. Dans la chaleur brûlante de l'été, les privations du long et pénible voyage depuis Andrinople jusqu'à Acre, avec à bord des bateaux des installations primitives encombrées par de nombreuses personnes, avaient exténué tout le monde. Et maintenant, pour ajouter à tout cela, il y avait les conditions épouvantables de leur emprisonnement dans les casernes, particulièrement pendant la première nuit de leur arrivée. Baha'u'llah fut placé dans une pièce sale, complètement vide et dépourvue de tout meuble. Par la suite, il fut mis dans une pièce à l'étage supérieur de la caserne ; cette pièce, qui aujourd'hui est maintenue en bonne condition et visitée par les pèlerins baha'is, était alors impropre à l'habitation. Lui-même a raconté dans une tablette (n°7 citée par Ishraq Khavari, Rahiq-i-Makhtum, vol.2, p.771) que le sol était couvert de terre et le peu de plâtre qui restait au plafond se décollait et tombait par terre.

Les disciples de Baha'u'llah furent regroupés dans une autre pièce dont le sol était couvert de boue. Dix soldats étaient postés au portail pour garder les prisonniers. L'air fétide et la puanteur de la prison, ajoutés à l'air étouffant de l'été, étaient si repoussants que Baha'iyyih Khanum, la fille de Baha'u'llah appelée la Très-Sainte-Feuille, fut incommodée et s'évanouit à son arrivée.

Il n'y avait pas d'eau à boire excepté dans un petit réservoir, mais qui avait déjà servi pour la lessive. L'eau dans ce réservoir était si sale que la simple idée d'en boire rendait les gens malades. La première nuit, l'eau fut coupée pour les prisonniers. Dans cet environnement extrêmement chaud, tous étaient assoiffés et quelques-unes des femmes et les enfants furent saisis par la soif. Les mères avec des nourrissons étaient incapables de les nourrir, et pendant des heures, les enfants pleurèrent de faim et de soif. 'Abdu'l-Baha fit plusieurs appels aux gardiens leur demandant de montrer de la clémence envers les enfants et envoya même un messager au gouverneur d'Acre, mais tout cela ne servit à rien. Finalement le matin, un peu d'eau fut donnée aux prisonniers et trois miches de pain à chacun comme ration quotidienne: le pain était impropre à la consommation mais après quelque temps, ils reçurent la permission de l'emporter au marché et de l'échanger pour deux pains de meilleure qualité.

Peu de temps après l'arrivée des prisonniers, le gouverneur fit l'inspection des casernes. 'Abdu'l-Baha accompagné de quelques croyants, alla le voir. Mais le gouverneur était discourtois et leur parla d'une manière provocante. Il menaça de couper le ravitaillement du pain si l'un des prisonniers venait à manquer à l'appel, puis leur ordonna de retourner dans leur pièce. Husayn-i-Ashchi, l'un des serviteurs de 'Abdu'l-Baha ne put rester silencieux après un tel traitement insultant. Il rétorqua avec rage et hurla au gouverneur quelques remarques insultantes.

Immédiatement, 'Abdu'l-Baha châtia Husayn en le frappant fort au visage devant le gouverneur et lui ordonnant de retourner dans sa pièce. Cette action de 'Abdu'l-Baha non seulement désamorça une situation dangereuse, mais ouvrit aussi les yeux du gouverneur sur l'existence d'un chef véritable parmi les prisonniers, un chef qui agirait avec autorité et justice.

Husayn-i-Ashchi, qui a rapporté cet incident dans ses mémoires et s'est glorifié d'avoir été châtié par le Maître à cette occasion, rappelle que grâce à cette action, l'attitude du gouverneur changea envers 'Abdu'l-Baha. Il se rendit compte que, contrairement à la rumeur sauvage qui circulait à l'époque dans Acre, 'Abdu'l-Baha et sa famille étaient d'origine noble et non pas des criminels ainsi qu'on le lui avait fait croire. Le gouverneur commença donc à agir envers les prisonniers d'une façon plus humaine. Finalement, il accepta de substituer à la ration de pain allouée, une somme d'argent et autorisa un petit groupe des prisonniers, escortés par des gardes, à se rendre chaque jour sur les marchés d'Acre pour acheter leurs provisions.

Trois jours après l'arrivée de Baha'u'llah et de ses compagnons, l'édit du sultan le condamnant à l'emprisonnement à vie fut lu dans la Mosquée. Les prisonniers furent présentés comme des criminels qui avaient corrompu les moeurs des gens. Il y était dit qu'ils devaient être confinés et qu'ils ne pouvaient s'associer à qui que ce soit.

Au cours d'une causerie (n°8 rapporté dans Fadil-i-Mazindarani, Asraru'l-Athar, vol 4 p.349) avec les amis à Haïfa, 'Abdu'l-Baha a décrit comment il avait été sommé par le gouverneur d'Acre pour aller entendre le contenu de l'édit. Lorsqu'il lui fut lu qu'ils devaient rester emprisonnés à vie * 'Abdu'l-Baha répondit en disant que le contenu de l'édit n'avait pas de sens et qu'il était sans fondement. Le gouverneur se fâcha en entendant cette remarque et rétorqua que l'édit provenait du sultan, et il voulut savoir comment il pouvait être décrit comme n'ayant pas de sens. 'Abdu'l-Baha réitéra son commentaire et expliqua que cela n'avait aucun sens de décrire leur emprisonnement comme durant pour toujours, car l'homme vit dans ce monde seulement pour une courte période de temps, et que tôt ou tard les captifs quitteraient la prison morts ou vifs. Le gouverneur et ses officiers furent impressionnés par la vision de 'Abdu'l-Baha et se sentirent plus à l'aise en sa présence.

*[nota: en arabe le terme pour dire prison à vie est très souvent "prisonnier pour toujours"]

Quelque temps plus tard - il est intéressant de le noter - , le Maître apparut comme la personne la plus éminente et la plus aimée à Acre et dans les terres avoisinantes, lorsque pratiquement toutes les personnes d'Acre, de toutes conditions, se tournèrent vers lui pour chercher de l'aide et lorsque le gouverneur et les fonctionnaires de haut rang recherchèrent son avis et s'assirent à ses pieds pour recevoir un éclaircissement. Alors l'édit du sultan ainsi que d'autres documents relatifs à l'emprisonnement de Baha'u'llah et de ses compagnons furent ôtés des archives du gouvernement et offerts à 'Abdu'l-Baha par un fonctionnaire du gouvernement.

Entre temps, la vie tout au début dans la prison d'Acre était extrêmement difficile et tortueuse. Pendant trois mois, les autorités n'autorisèrent pas Baha'u'llah à aller au bain public qui, à cette époque, était le seul lieu où les gens pouvaient prendre un bain. Les gardes avaient reçu des ordres très stricts de ne laisser personne lui rendre visite. Même lorsque le barbier vint s'occuper des cheveux de Baha'u'llah, il était accompagné d'un garde et n'eut pas l'autorisation de lui parler. 'Abdu'l-Baha devait vivre dans une pièce au rez-de-chaussée qui auparavant avait servi de morgue. L'air humide affecta sa santé pour le restant de sa vie. Quant aux prisonniers, les conditions répugnantes dans lesquelles ils vivaient, le manque de nourriture correcte et d'hygiène, et la sévérité des restrictions causèrent beaucoup de dégâts. Peu de temps après leur arrivée dans la caserne, tous sauf deux tombèrent malades. Neuf des dix gardes tombèrent aussi malades. La malaria et la dysenterie ajoutèrent à leurs épreuves. Les deux seules personnes à ne pas être affectées en même temps que les autres, furent 'Abdu'l-Baha et Aqa Riday-i-Qannad (voir vol.1 et 2), quoique par la suite, tous deux tombèrent aussi malades. Le Maître, aidé de ce croyant, s'occupa des besoins des malades et les soigna jour et nuit. Les autorités n'appelèrent pas de médecins pour administrer des médicaments. Avec les quelques provisions à sa disposition, tout ce que 'Abdu'l-Baha pouvait faire était de leur cuisiner chaque jour un simple bouillon et un peu de riz. Mais les conditions hygiéniques étaient épouvantables. La chaleur était forte pendant le jour et il n'y avait pas l'eau nécessaire pour se laver.

Trois personnes moururent dans ces circonstances. La première victime fut un certain Abu'l-Qasim-i-Sultan Abadi. Puis deux frères, Ustad Muhammad-Baqir et Ustad Muhammad-Isma'il, tous deux tailleurs de profession, ils moururent un soir, l'un après l'autre, à quelques heures d'écart. Ils étaient enlacés dans les bras l'un de l'autre couchés sur le sol. Baha'u'llah exprima tout particulièrement sa tristesse lors de cette mort tragique et déclara que jamais auparavant deux frères n'avaient quitté ce monde obscur et n'avaient pénétré dans les royaumes de gloire dans une telle unité. Comme cela est déclaré dans une tablette, (n°9 cité dans Rahiq-i-Makhtum, vol.1, p.367) il les loua, déversa sur eux ses bienfaits et béni leurs parents.

L'enterrement de ces trois personnes posa un problème très difficile au groupe des exilés. Car le gouvernement refusa l'autorisation à toutes personnes parmi les prisonniers de les enterrer, et il ne fournit pas non plus des fonds pour leur sépulture. Les gardes demandèrent le paiement des dépenses nécessaires à l'enterrement avant d'enlever les corps. Et comme ils ne possédaient pas grand-chose qui puisse être vendu, Baha'u'llah, pour trouver l'argent, ordonna que fut vendue la seule chose luxueuse qu'il possédait, un petit tapis de prières dont il se servait. Ce fut fait et le produit de la vente fut donné aux gardes qui mirent l'argent dans leur poche et enterrèrent les morts dans les vêtements qu'ils portaient, sans cercueils et sans ce qui était habituel chez les musulmans, les rites de laver les morts et de les mettre dans un linceul.

Comme ils n'avaient pas l'autorisation de les enterrer à l'intérieur du cimetière musulman, ils les ensevelirent à l'extérieur. Quelques années plus tard, 'Abdu'l-Baha prit des dispositions pour que l'un des croyants construise leurs tombes, qui sont jointes l'une à l'autre.

Après la mort de ces trois hommes, Baha'u'llah révéla une courte prière de guérison tout particulièrement pour les croyants enfermés dans la caserne et leur demanda de la chanter souvent et avec une totale sincérité. Ce que firent les amis et bientôt chacun recouvra la santé.

- La cité désolée:

"Longtemps avant son départ d'Andrinople, Baha'u'llah avait prophétisé les calamités imminentes qui devaient lui arriver lors de son prochain exil à Acre. Dans certaines de ses épîtres révélées à Andrinople, il fait allusion à cette cité, dans d'autres il a donné le nom d'Acre comme étant le lieu de son exil suivant. Par exemple dans Lawh-i-Sultan (voir vol.2), la tablette à Nasiri'd-Din Shah de Perse, il a clairement prophétisé que son exil suivant serait Acre. Concernant cette cité, il écrit dans une tablette: "D'après ce qu'ils disent, c'est la plus désolée des villes du monde, la plus laide d'entre elles par son aspect, la plus détestable à cause de son climat, et la plus souillée avec son eau polluée." (N°10 Dieu passe près de nous, p.177)

Dans une autre Tablette (n°11 tablette de Baha'u'llah non publiée) révélée peu de temps avant son départ d'Andrinople, il prédit une nouvelle vague de calamités qui bientôt fondrait sur lui dans la forteresse d'Acre. Il décrit les conditions de la cité en des termes semblables à ceux de Lawh-i-Sultan, mais déclare que bientôt son climat sera amélioré car son Constructeur y pénétrerait et la parerait de l'ornement de son Plus-Grand-Nom.

L'air fétide d'Acre était souvent résumé par le dicton qui disait qu'un oiseau volant au-dessus de cette cité tomberait raide mort. Mais le climat changea peu de temps après l'arrivée de Baha'u'llah. Pour citer un exemple: Mirza Abu'l Fadl, le célèbre érudit baha'i, a cité, dans son oeuvre célèbre Fara'id, le témoignage de l'un des personnages importants de la culture à Acre. Voici ces paroles:

Dans l'année AH1313 (1895-6) lorsque l'auteur habitait en Syrie, Ya'qub-ibn-Betros du Liban, qui est un docteur érudit en théologie et en linguistique en ces lieux, et bien connu de la communauté chrétienne d'Acre, composa les déclarations suivantes à la louange du Saint Tombeau de Baha'u'llah à Acre et offrit cette oeuvre à sa Sainteté 'Abdu'l-Baha et m'en remit une copie en cadeau.

Posée entre ces deux montagnes, le Liban et Carmel, se trouve Bahji. En ce lieu, est située la dernière demeure de Baha, le Seigneur de bonté et de miséricorde, le Maître choisi, la Lampe de la révélation, Baha, la splendeur et la lumière du Soleil de vérité, le Luminaire de tous les noms. En ce lieu de joie véritable a vécu le Désiré de tous les coeurs qui cherchent sa lumière, la Prunelle des yeux, l'accomplissement et la réalisation de tous les espoirs.

Par sa présence bienfaisante, les eaux qui sortent des puits de ces lieux furent purifiés (c-à-d d'Acre) et l'air et le climat d'Acre et de ses environs furent changés.

Les paroles ci-dessus font référence clairement et sans équivoque à la transformation qui se produisit dans la cité d'Acre suite à la présence de Baha'u'llah. Comme cette terre était bien connue pour ses eaux fétides, pour son mauvais temps, pour l'amertume et la salinité de ses fontaines et ses puits, tellement connue qu'elle en était devenue la cité-prison pour ceux qui avaient offensé le gouvernement ottoman. C'était la colonie pénale de ceux qui étaient condamnés à mort, ses habitants étaient pratiquement tous malades et avaient un aspect cireux à cause de son mauvais temps et du climat. Mais lorsque ce territoire devint le lieu d'exil de Baha'u'llah, ses eaux amères furent changées, son climat inclément transformé. (N°12 Fara'id, p.523-4, traduit par Khazeh Fananapazir en anglais)

Lorsque Baha'u'llah arriva à Acre, il n'y avait pas à l'intérieur des portes de la cité, de source d'eau fraîche qui puisse être bue. Il y avait un puits, situé à quelque dix minutes de marche de la cité, où la plupart des gens venaient puiser l'eau pour l'amener chez eux. Mais son goût était très déplaisant. Baha'u'llah et ses compagnons se servaient de cette eau qui était portée par les croyants à la prison. Il y avait un croyant en particulier, Aqa 'Azim-i-Tafrishi, qui servait Baha'u'llah et ses compagnons comme fournisseur d'eau. C'était une tâche difficile car il devait effectuer d'innombrables allers et retours de la source à Kabri, qui était située dans la même direction que Bahji et à environ une demi-heure de marche d'Acre.

Aqa Azim était un croyant dévoué ; la première fois où il se trouva en présence de Baha'u'llah ce fut à Bagdad et il devint l'objet de ses bienfaits et de ses faveurs. Quelque temps plus tard, il retourna en Perse où il se mit service des amis. Il travailla là-bas comme serviteur dans la maison de Mirza Nasru'llah-i-Tafrishi et lorsque ce dernier se rendit à Andrinople en compagnie de son fils et de son frère Mirza Rida-Quli, Azim se joignit à eux. Mirza Nasru'llah qui était le frère de Badri-Jan, l'une des femmes de Mirza Yahya Azal (voir vol.1 et 2), mourut à Andrinople. Malgré cela, Azim resta à Andrinople au service de Mirza Rida-Quli et de son neveu. La raison principale de ce voyage à Andrinople était que la soeur avait abandonné son mari et avait trouvé refuge dans la maison de Jinab-i-Kalim, le frère fidèle de Baha'u'llah. Dans ces circonstances, les deux frères avaient été appelés à Andrinople pour ramener leur soeur en Perse. Mais peu de temps après la mort de Mirza Nasru'llah, Baha'u'llah et ses compagnons furent exilés à Acre ; Badri-Jan, son frère Rida-Quli et leur neveu ainsi que Aqa Azim furent inclus dans le groupe qui accompagna Baha'u'llah. Comme nous le verrons par la suite, Rida-Quli et sa soeur collaborèrent à Acre avec Siyyid Muhammad-i-Isfahani, l'antéchrist de la révélation de Baha'u'llah, et il les rejeta de la communauté ; par la suite Rida-Quli fut assassiné ainsi que deux autres disciples de Mirza Yahya.

Quant à Aqa Azim, dès qu'il découvrit que son maître était infidèle à Baha'u'llah, il se dissocia de lui et continua à servir Baha'u'llah et ses compagnons avec un grand dévouement et désintéressement. Par sa sincérité, sa fidélité et ses services, il acquit le bon plaisir de son Seigneur qui continua jusqu'à la fin de sa vie à déverser ses bénédictions sur lui.

L'eau d'Acre, dont Azim était le porteur pour Baha'u'llah et ses compagnons, s'améliora considérablement non seulement en qualité, mais devient plus facilement accessible grâce à la restauration d'un aqueduc à l'abandon qui permit la circulation de l'eau fraîche jusque dans la ville. Ceci se réalisa aussi grâce à l'influence de la parole de Baha'u'llah.

Lorsque Baha'u'llah était dans la maison de 'Abbud, il lui prophétisa que Dieu susciterait une personne pour restaurer l'aqueduc, qui était laissé à l'abandon et exprima le souhait que 'Abbud puisse être celui qui mènerait cette tâche à bien. 'Abbud était un marchand chrétien de grande influence à Acre et était hautement respecté par le peuple. On racontait de lui, que lorsqu'il marchait dans les rues de la cité, les gens se levaient respectueusement pour le saluer. Mais 'Abbud ne suivit pas le conseil de Baha'u'llah. Peu de temps après, Ahmad Big Tawfiq, le gouverneur d'Acre, qui s'était rendu compte de la majesté de Baha'u'llah et avait manifesté une admiration ardente pour 'Abdu'l-Baha, et qui souvent s'asseyait à ses pieds attendant de recevoir enseignement et illumination, fut reçu en audience par Baha'u'llah. C'est au cours de cette audience, lorsque le gouverneur offrit de lui rendre quelque service, que Baha'u'llah suggéra la restauration de l'aqueduc pour le bien être des gens d'Acre. À cette suggestion, le gouverneur acquiesça immédiatement et s'occupa de la mettre en oeuvre.

Cependant, la restauration de l'aqueduc n'était pas achevée lorsque Faydi Pasha devint gouverneur d'Acre. Il était une haute personnalité des cercles gouvernementaux d'Istanbul et un homme d'action. Ce fut lui qui acheva le projet bien que ses fonctions furent en fait très courtes. Husayn-i-Ashchi nous a laissé un compte-rendu, résumé plus bas, concernant l'aqueduc.

Lorsque Faydi Pasha arriva à Acre, il remarqua que l'eau des sources de Kabri était maintenant à proximité d'Acre, mais que le travail de rénovation du bâtiment de l'aqueduc était à l'arrêt. Il fit des remontrances aux responsables et ordonna une reprise immédiate des travaux.

... sous sa conduite énergique et sa supervision personnelle, une tâche qui normalement aurait pris au moins six mois pour être accomplie fut réalisée en 6 jours. L'eau fraîche arriva à Acre et les habitants de la ville se réjouirent. Cent un coups de canon furent tirés pour célébrer l'occasion. (n°13 mémoire non publiée)

- Lawh-i-Salman (Tablette à Salman):

C'est une tablette pleine de signification, révélée en l'honneur de Shaykh Salman dont l'histoire de la vie a déjà été mentionnée dans les deux volumes précédents. C'est lui qui voyagea chaque année entre la Perse et les lieux d'exil de Baha'u'llah, portant ses épîtres aux amis en Perse et lui rapportant leurs lettres et messages. Salman reçut de nombreuses tablettes écrites en son honneur, dont deux connues sous le nom de Lawh-i-Salman I et II. La première tablette est décrite dans le volume 2, chapitre 13. Voici la seconde. Cette tablette fut révélée à Acre durant la première partie de l'emprisonnement de Baha'u'llah dans la caserne, car dans le texte il se réfère aux croyants exilés (voir vol.2) à Mosul de Bagdad. Ceci se passait à l'été de 1868. Baha'u'llah se réfère aussi à cet événement dans sa tablette à Nasiri'd-Din Shah de Perse qui avait été écrite avant son départ d'Andrinople.

Dans cette tablette, Baha'u'llah conseille à Salman d'être résigné face aux décrets de Dieu et d'accepter avec soumission les épreuves et les difficultés dans son sentier. Il y décrit ses propres souffrances, déclare que quoique toutes les portes lui soient fermées et que les ennemis cherchent constamment à éteindre sa lumière, elle luit pourtant aussi brillante que le soleil, répandant sa clarté sur tous ceux qui sont au ciel et sur la terre. Il exhorte Salman à suivre son exemple et de ne jamais se plaindre lorsque dans cette vie, il est affligé par l'abaissement ou la misère, mais plutôt de concentrer son attention sur Dieu et ne rechercher nul autre que lui. Dans une de ses tablettes, Baha'u'llah cite cette célèbre parole qui lui est chère: "Il fait ce qui lui plaît et ordonne ce qu'il veut." Il déclare que quiconque croit totalement en ces paroles restera ferme dans sa Cause et se trouvera possesseur d'une telle confiance et d'une certitude, que rien au monde ne le fera faiblir ou ne le remplira de crainte et de consternation.

Baha'u'llah remémora à Salman que ceux qui recherchent la gloire en ce monde et sont fiers de la position qu'ils occupent, ont gravement péché, car bientôt le messager de mort mettra fin à tous les attachements terrestres.

Dans une tablette à Nabil-i-A'zam, Baha'u'llah révèle ces paroles concernant la nature transitoire de ce monde:

Par la justice de Dieu ! le monde et ses vanités, et sa gloire, et tous les plaisirs qu'il peut offrir sont aux yeux de Dieu d'aussi peu de valeur, que dis-je ! sont aussi méprisables que la poussière et que les cendres. Puisse le coeur des hommes le comprendre ! Ô peuple de Baha, purifiez-vous entièrement des souillures du monde et de tout ce qui lui appartient. Dieu lui-même m'en rend témoignage. Les choses de la terre ne sont pas dignes de vous, abandonnez-les à ceux qui les désirent, et fixez vos yeux sur cette sainte et étincelante vision.

Ce qui vous convient, c'est l'amour de Dieu et de celui qui est la manifestation de son Essence, ainsi que l'observance de tout ce qu'il lui a plu de vous prescrire, puissiez-vous le savoir. (n°14 Florilège d'écrits de Baha'u'llah CXXXIX)

Lorsque la nouvelle du bannissement de Baha'u'llah d'Andrinople atteignit les habitants de Perse, les ennemis ainsi que les adeptes de Azal prirent courage et prophétisèrent la chute de la Cause et de son Auteur. Ils fabriquèrent de fausses histoires et les firent largement circuler autour d'eux de façon à démoraliser les croyants. Parmi celles-ci, ils y avait la rumeur que Baha'u'llah et ses compagnons avaient été noyés en route vers Acre. Beaucoup de croyants furent alarmés et certains firent même des enquêtes sur les circonstances du bannissement de Baha'u'llah se servant du bureau du télégraphe britannique de Julfa, le centre de la communauté chrétienne dans le voisinage de Isfahan.

Ce fut à ce moment que quelques enseignants de la Cause, ceux dont Baha'u'llah faisait allusion comme étant: "les savants de Baha", et qu'il louait comme "les vagues du très puissant océan", "les étoiles du firmament de gloire", et "les étendards du triomphe, flottant entre le ciel et la terre", (n°15 synopsis p.20-21) se levèrent avec détermination pour réfuter ces fausses rumeurs.

Parmi eux il y avait l'érudit Mirza Ahmad-i-Azghandi et Mulla Muhammad-i-Furughi . Nous avons déjà fait référence au premier dans un précédent volume (voir vol.1 et 2) et décrit l'étendue de sa connaissance. Nous avons aussi brièvement mentionné les circonstances qui menèrent le dernier *, un des survivants du Fort Tabarsi, à reconnaître le rang de Baha'u'llah. Baha'u'llah a loué dans plus d'une épître le rang de ces deux hommes de la province de Khorasan, et a déclaré que Dieu les avait spécialement choisis pour annoncer les bonnes nouvelles de sa révélation aux peuples du monde. Ces deux hommes qui enseignaient la Foi et expliquaient l'accomplissement des anciennes prophéties concernant la venue du Promis de l'islam et plus tard de Baha'u'llah, furent d'une grande aide pour les croyants pendant cet incident. Grâce à leur vaste connaissance des prophéties et leur profonde compréhension, ils proclamèrent aux amis le caractère erroné de telles rumeurs comme la noyade de Baha'u'llah en mer. Ils expliquèrent clairement que si de telles choses s'étaient produites, alors tout ce qui avait été révélé par Dieu dans les révélations passées - y compris la révélation du Bab - auraient été sans fondement.

*[nota: n°16 Asraru'l-Athar, voir vol.1]

En effet, l'exil de Baha'u'llah à Acre et l'établissement de son Trône en Terre sainte est l'une des grandes preuves de l'authenticité des révélations du passé, qui dans d'innombrables passages et en termes élogieux prédire la venue du Seigneur sur cette terre.

- Les templiers de Haifa.:

Fait révélateur, de nombreux érudits de la Bible du dix-neuvième siècle avaient conclu que la deuxième venue du Christ était proche et que, d'après nombre d'entre eux, cela se passerait autour de l'année 1844 *. Par conséquent, il n'est pas surprenant qu'un groupe d'Allemands, dénommé Templiers quittèrent leur maison dans leur enthousiasme de rencontrer le Seigneur lorsqu'il viendrait, et s'embarquèrent pour la Terre sainte. D'après les prophéties, ils avaient conclu que le Messie y apparaîtrait, que les gens de toutes races le reconnaîtraient et qu'il établirait son trône spirituel sur cette terre. Ils commencèrent à arriver au pied de la montagne du Carmel l'année de la déclaration de Baha'u'llah dans la lointaine Bagdad (1863), et construisirent une colonie (1868) qui était située à peu près un mile à l'ouest de ce qui était alors le village de Haïfa. Sous le porche, on peut toujours lire l'inscription: "Der Herr ist Nahe" (le Seigneur est proche).

*[nota: année de la Déclaration du Bab, le précurseur de Baha'u'llah]

Comme il est intéressant de voir que quelques années plus tard à Haïfa, lorsque Baha'u'llah planta sa tente à côté de leur porte: Dieu passa près d'eux et ils ne le reconnurent pas. Une tablette fut même révélée par Baha'u'llah en réponse à une lettre de Georg David Hardegg, le chef des Templiers à Haïfa. Cette tablette connue sous le nom de Lawh-i-Hirtik (tablette de Hirtik), est en arabe et semble avoir été révélée dans la maison de 'Udi Khammar.

Cette tablette a une signification spéciale si l'on pense que les Templiers étaient venus en Terre sainte dans l'unique dessein d'être témoin du retour du Christ. Sa lecture nous fait penser que Hardegg, son destinataire, devait être familier avec le langage du mystère que l'on y trouve. Baha'u'llah déclare qu'il avait trouvé dans la lettre de Hardegg des signes qui indiquait sa sincérité, et pria que Dieu l'assiste à comprendre les vérités cachées dans cette tablette, et lui permette d'entendre les mélodies du divin rossignol. Il lui conseilla vivement de méditer sur les paroles de Dieu, son pouvoir ainsi que sa douceur ; lui remémore que c'était le pouvoir de la parole de Dieu qui attira le coeur du premier croyant du Christ, déclare que c'est par leurs vains caprices et leurs vaines imaginations, que la majorité des peuples a été empêchée de reconnaître son Seigneur, affirme qu'en ce jour, la terre et la mer proclament la vérité de Dieu, et lorsque le temps désigné viendrait, le Mont Carmel serait animé par les brises soufflant de la direction de son Seigneur.

Baha'u'llah attire l'attention de Hardegg sur les jours du Christ lorsque le reniaient les prêtres, les savants et les philosophes de l'époque, tandis qu'un pêcheur dépourvu de connaissance et de savoir le reconnut. Il assura Hardegg que s'il méditait sincèrement sur l'histoire du passé tout en gardant Dieu en vue, il verrait la lumière de Dieu se manifester devant ses yeux. Baha'u'llah confirme l'opinion de Hardegg sur l'obscurité qui est tombée sur la terre et explique que l'obscurité est une vaine imagination qui a enveloppé les peuples et les empêche de se tourner vers le Royaume de Dieu qui est manifesté en ce Jour.

Quoique dans cette tablette, Baha'u'llah parle dans l'ensemble de la révélation de Dieu en cet âge, du gazouillement du rossignol, de l'eau de vie qui s'écoule, de l'apparition de la lumière de Dieu et de son Royaume, il ne déclare pas explicitement son propre rang ni ne se réfère en termes clairs à sa propre personne. Certes, il déclare que s'il devait révéler le signe de celui qui est voilé dans le mystère - signifiant lui-même - les coeurs des gens seraient emplis de crainte et de consternation. La raison en est peut-être que Baha'u'llah, qui avait déjà interdit à ses disciples d'enseigner la Foi aux personnes qui vivaient sous le joug de l'Empire ottoman, trouvait peu sage de proclamer son rang d'une manière explicite aux membres de la colonie chrétienne vivant à Haïfa.

De plus, une partie de cette tablette est révélée dans la langue du mystère. Par exemple, Baha'u'llah dans l'enchevêtrement de plusieurs lettres arabes, et faisant allusion à certains mots clés provenant de ses autres tablettes ou de celles du Bab et même de l'islam, construit son propre nom. Il faut être très versés dans les Écrits sacrés de ces religions pour pouvoir maîtriser la signification de ces paroles symboliques dont se sert Baha'u'llah. De plus, en employant la technique de l'usage des valeurs numériques des lettres arabes *, il produit le mot "Consolateur" qui est une référence à son propre rang dans la terminologie du Nouveau Testament. Il est difficile de croire que le destinataire de cette tablette aurait pu comprendre certains des termes symboliques et mystérieux dont Baha'u'llah se servait à dessein. C'est probablement pour cette raison qu'au commencement de cette tablette, il prie que Dieu aide Hardegg à comprendre la signification de ce qui est caché dans ses paroles. Il l'assure que s'il devait méditer sur ce qu'il lui a recommandé et suivre ses conseils, il trouverait la vérité en ce jour.

*[nota: chaque lettre de l'alphabet arabe a une valeur numérique ; par conséquent il est possible d'exprimer un mot par un nombre et vice-versa]

Inutile d'ajouter que ni Hardegg ni aucun membre de la colonie chrétienne ne fut capable de reconnaître la vérité du message de Baha'u'llah. Ceci malgré le fait que dès le commencement, quelques membres de la colonie, y compris Hardegg, avaient été en contact avec les croyants et avec 'Abdu'l-Baha et que plus tard, vers la fin de son ministère, Baha'u'llah lui-même visita Haïfa et qu'il se reposa dans une des maisons appartenant aux Templiers. Qu'ils ne le reconnurent pas pourrait sembler étrange à un observateur peu familier avec l'histoire des religions - une histoire qui se répète chaque fois qu'une nouvelle Manifestation de Dieu est révélée aux hommes. Près de deux mille ans avant que les Templiers allemands vinssent en Terre sainte, les habitants de cette même terre attendaient avec beaucoup de sincérité la venue de leur Messie et pourtant lorsqu'il se manifesta dans la personne du Christ et apparut au milieu d'eux, ils le rejetèrent. Ces paroles de Baha'u'llah s'appliquent véritablement à leur cas:

Considère le passé. Ils sont nombreux ceux qui, de toutes conditions, souhaitaient ardemment l'avènement des Manifestations de Dieu en la personne de ses élus. Ils ont espéré sans cesse sa venue, priant sans répit que le souffle de la miséricorde divine s'élève et que la Beauté promise sorte de sa retraite et soit révélée au monde entier. Et chaque fois que s'ouvrent les portes de la grâce, qu'il pleut des nuages de la bonté divine sur l'humanité et que la lumière de l'invisible brille à l'horizon du pouvoir céleste, tous le renient et se détournent de sa face, la face de Dieu lui-même... (n°17 Florilège d'écrits de Baha'u'llah XIII)


CHAPITRE 2: La cause de Dieu prospérera à travers la persécution

Dans la société humaine, le rejet par les hommes de la Manifestation de Dieu est l'événement le plus odieux et peut lui apporter de grandes tristesses et souffrances. C'est par la perversité et l'aveuglement des hommes qu'à Acre Baha'u'llah subit des épreuves et des tribulations insupportables. Mais toutes les forces de l'opposition qui étaient liguées contre lui ne purent ni le détruire ni détruire sa Cause. Dans de nombreuses tablettes (n°1 non publiées) révélées peu après son arrivée dans la prison d'Acre, Baha'u'llah déclara que la cause de Dieu prospèrerait à travers les persécutions. Il conseillait souvent aux amis de ne pas s'inquiéter ni de s'attrister lorsqu'ils entendraient parler des souffrances de leur Seigneur dans la Plus-Grande-Prison. Il leur conseilla de ne pas s'attarder sur les privations et les souffrances de son emprisonnement, mais plutôt de s'en réjouir, car la Beauté bénie, bien que durement opprimé, était dans la joie et la satisfaction extrêmes. Dans une autre épître, il déclare:

Sache, de plus, qu'en conséquence de ce que les mains des infidèles ont perpétré, nous avons été jeté dans une prison douloureuse et sommes entouré des armées de la tyrannie. Mais l'allégresse goûtée par cet Adolescent est telle qu'aucune joie terrestre ne lui est comparable. Par Dieu ! le mal qu'il a souffert aux mains de l'agresseur ne peut affliger son coeur pas plus que ne l'attriste le triomphe de ceux qui ont rejeté sa vérité.

Dis: La tribulation est un horizon pour ma révélation, le soleil de grâce y resplendit et répand une lumière que ne peuvent obscurcir ni les nuages des chimères des hommes ni les vaines imaginations de l'agresseur. (n°1 Florilège des Écrits de Baha'u'llah XVII)

Un autre thème qui annonçait de manière répétitive dans les tablettes révélées aux premiers temps de son arrivée à Acre, est l'invincibilité de la cause de Dieu et l'impuissance de ses ennemis à la détruire. Dans l'une de ces tablettes (n°3 non publiée) Baha'u'llah assure les croyants que les tribulations, qui lui furent infligées dans le chemin de Dieu, ne le rendront jamais impuissant, et les vents des épreuves ne réussiront jamais à éteindre la lampe de sa Cause, une lampe dont le rayonnement, déclare-t-il, a illuminé le monde. Il affirme qu'aucune mesure de persécution et de souffrances que l'ennemi pourra diriger contre lui, n'est capable de le priver de sa souveraineté et de son pouvoir, et il proclame dans un langage majestueux l'ascendance de sa Cause, une ascendance telle que si tous les peuples du monde, sabres au clair, devaient se lever contre lui et l'assaillir de tous côtés, ils seraient impuissants à la détruire. Au milieu des afflictions les plus atroces, il proclamait qu'il était la Gloire de Dieu révélée pour tous ceux qui sont au ciel et sur la terre.

Dans une autre tablette (n°4 non publiée) révélée dans la même période, Baha'u'llah décrit comment ses ennemis avaient dans la prison d'Acre placé des barrières entre lui et ses compagnons, des barrières aussi faibles que leurs propres vaines imaginations. Car ils pensaient pouvoir cacher la gloire du Soleil derrière leurs nuages d'ego et de passion, ignorant que toutes choses créées ridiculisent leur ignorance et leur aveuglement.

Et enfin, il y a les paroles rassurantes de Baha'u'llah dans la plupart des tablettes prophétisant que avant peu, par le pouvoir de Dieu, les portes de la prison s'ouvriraient, et qu'il en sortirait avec majesté et gloire.

Comme nous le verrons par la suite, ces prophéties - l'invincibilité de sa cause, l'ascendance de sa révélation et sa libération ainsi que celle de ses compagnons de la prison d'Acre - furent toutes accomplies.

- Lawh-i-Ra'is:

Tout au début de son emprisonnement dans la prison et peu de temps après la mort de trois de ses disciples, Baha'u'llah révéla en persan, la grandiose épître au Ra'is adressée à 'Ali Pasha, le grand vizir de Turquie qui était son grand adversaire et la personne qui l'avait fait exiler à Acre. (voir vol.2)

Déjà quelques mois plus tôt, en route vers Gallipoli, Baha'u'llah avait adressé à 'Ali Pasha une tablette en arabe, nommée Suriy-i-Ra'is (voir vol.2). Les deux épîtres communément nommées Suriy-i-Ra'is en arabe- et Lawh-i-Ra'is en persan sont adressées à la même personne. Dans ses écrits, Shoghi Effendi se réfère généralement à ces deux tablettes dans cet ordre, bien qu'occasionnellement il se serve des désignations Surih et Lawh et vive versa) dans laquelle il avait fortement condamné les actions du Grand Vizir comme principal instigateur de son exil à la cité pénitentiaire. Sur la signification de cette tablette, Baha'u'llah déclare:

Depuis la révélation de la Suriy-i-Ra'is jusqu'à aujourd'hui, le monde n'a pas connu de tranquillité, ni le coeur de ses habitants de repos. (n°5 Extraits des Écrits. XVI)

Maintenant dans Lawh-i-Ra'is, la deuxième tablette à 'Ali Pasha, écrite à l'intérieur de la Plus-Grande-Prison, Baha'u'llah le réprimande encore plus pour ces actes de cruauté et de traitement inhumain.

Le ton de cette tablette est à la fois émouvant et tendre. Baha'u'llah y fait référence à 'Ali Pasha, comme à quelqu'un qui se considère comme le plus important d'entre les hommes et Baha'u'llah, la suprême Manifestation de Dieu, comme le dernier de tous les serviteurs. Il assimile 'Ali Pasha à ceux qui dans le passé se sont opposés aux Manifestations et qui à tort les considéraient comme étant la cause de la discorde et de la dissension des anciennes "dispensations". Il le met en garde pour son ignorance et son immaturité, et lui révèle sa véritable position, celle d'une personne gouvernée par les plus abjectes de toutes choses créées - c'est-à-dire l'ego et la passion.

Cette déclaration de Baha'u'llah, dénonçant l'ego et la passion comme étant les pires des caractéristiques humaines, pousse à la réflexion et mérite quelque explication: nous trouvons aussi des déclarations similaires dans d'autres épîtres.

Dans l'homme, il y a deux forces opposées qui s'affrontent, la nature animale et la nature spirituelle. Dans la vie de l'homme, l'ego et la passion peuvent être décrits comme l'expression de la nature animale, cette nature qui a tendance à l'attirer vers les abysses de l'existence matérielle. D'un autre côté, l'âme, qui émane des mondes spirituels de Dieu, si elle est illuminée par la lumière de la foi, devient la force motrice à l'origine de l'élévation de l'homme dans les royaumes de l'esprit. L'une apporte la mort sur cette terre, l'autre lui confère la vie éternelle dans les royaumes de Dieu.

Ces deux forces opposées en l'homme sont semblables à la force de gravité qui attire un oiseau vers le bas et la force de ses ailes l'élevant vers le haut. Tant que l'homme se détournera de la Manifestation de Dieu - qui en ce jour est Baha'u'llah - son âme est dans l'obscurité et dépourvue des pouvoirs nécessaires pour la libérer des chaînes de ce monde mortel. La nature animale est le vainqueur et l'âme une esclave enchaînée à l'ego et à la passion.

Dans une de ses épîtres *, Abdu'l-Baha déclare que le terme "valeureux" peut s'appliquer à une personne qui conquiert son propre soi et ses passions. Car il est plus facile de conquérir des pays entiers que de vaincre son propre ego. Le but de la venue des Manifestations de Dieu est de doter l'âme de l'homme de grandes qualités spirituelles et de lui permettre de vaincre son plus grand ennemi - lui-même.

*[nota: n°6 Ma'idiy-i-Asamani, vol. 5]

Un autre ennemi aussi dangereux que son propre ego et sa passion, est l'association avec les impies qui amenuisera ou détruira sa foi. Voici l'avertissement inquiétant de Baha'u'llah:

"Ô fils de poussière, prends garde ! Ne va pas avec l'impie et ne recherche pas sa société, car une telle fréquentation change le rayonnement du coeur en feu de l'enfer." (N°7 Paroles Cachées, persan)

On ne doit pas se méprendre sur le terme "impie". Une personne impie peut professer une croyance en Dieu, tandis que beaucoup de ceux qui peuvent se considérer comme agnostiques ou athées peuvent en fait ne pas être impies. Une personne impie est une personne qui par son amitié, délibérément ou sans le savoir, empêche un croyant de suivre les préceptes de sa foi et devient une barrière entre lui et Dieu.

Mais retournons à la Lawh-i-Ra'is, dans cette tablette, Baha'u'llah réprimande 'Ali Pasha, pour son inhumanité, pour avoir fait incarcérer un nombre de personnes innocentes, y compris femmes et jeunes enfants et les avoir soumises à la dure vie d'une sinistre prison. Il s'étend sur ses propres souffrances et celles de ses compagnons dans cette forteresse, raconte les traitements inhumains infligés à chacun la première nuit de leur arrivée dans la prison lorsque les gardes refusèrent de leur donner de la nourriture ou de l'eau, causant ainsi des épreuves et plus particulièrement pour les mamans et leurs nourrissons, relate l'histoire tragique de deux de ses disciples qui furent trouvés morts, suite aux conditions répugnantes de la prison, enserrés dans les bras l'un de l'autre, loue l'esprit d'amour et de dévouement qu'avaient exprimé deux de ses disciples lorsqu'ils furent empêchés par les autorités d'accompagner Baha'u'llah *, et 'Abdu'l- Ghaffar, qui de désespoir se jeta dans la mer (voir vol.1) décrit les autres cruautés et privations auxquelles les prisonniers furent soumis sans aucune justification, et affirme qu'aucune mesure de persécution n'affectera jamais les croyants, car tous aspirent à offrir leur vie dans le chemin de leur Seigneur.

*[nota: Hadji Ja'far-i-Tabrizi, qui se coupa la gorge - voir vol.2]

Baha'u'llah informe 'Ali Pasha, que s'il se laissait vivifier par les brises de sainteté qui flottaient de la glorieuse cour de sa présence, il serait tellement transformé qu'il renoncerait au monde et rêverait de vivre dans un des quartiers en ruine de la Plus-Grande-Prison. Il lui narre l'histoire de son enfance, évoquant de manière dramatique l'instabilité et la futilité de cette vie terrestre, lui conseille de ne pas dépendre de sa pompe et de sa gloire car bientôt elles arriveront à leur fin, lui révèle la grandeur de sa révélation, fait remarquer l'impuissance du pacha à éteindre le feu de la cause de Dieu, le dénonce pour les iniquités qu'il a perpétrées, indique qu'à cause de ses cruautés, l'Esprit de Dieu s'est lamenté, les piliers de son Trône ont tremblé et les coeurs de ses bien-aimés ont été bouleversés. Il l'avertit énergiquement du châtiment de Dieu qui l'assaillira de tous côtés et de la confusion qui frappera son peuple et son gouvernement, et affirme que le courroux de Dieu l'a tellement subjugué qu'il ne pourra jamais se repentir de ses méfaits ou s'amender.

Sur ce dernier point, Mirza Aqa Jan, le secrétaire de Baha'u'llah lui demanda ce qui arriverait malgré tout, si 'Ali Pasha changeait d'attitude et se repentait sincèrement. La réponse emphatique de Baha'u'llah fut que tout ce qui avait été déclaré dans le Lawh-i-Ra'is serait inévitablement accompli, et que même si les peuples du monde devaient s'unir pour en changer un mot, ils seraient impuissants à le faire.

- Sur les miracles:

Baha'u'llah dans le Lawh-i-Ra'is explique avoir aussi envoyé de Gallipoli un message verbal au sultan de Turquie par l'entremise d'un officier turc responsable, qui avait promis de le transmettre. Il demandait au sultan de le rencontrer pour quelques minutes face à face afin de pouvoir lui démontrer l'authenticité de sa mission. Baha'u'llah affirma sa volonté de produire quoi que ce soit que le sultan pourrait estimer être un critère afin de démontrer la véracité de sa révélation. Si avec l'aide de Dieu, il réalisait ce critère alors le sultan devait libérer les prisonniers innocents.

Baha'u'llah explique que la seule raison de cette proposition était que parmi les prisonniers il y avait un certain nombre de femmes et d'enfants et qu'ils étaient devenus les victimes de la tyrannie et enduraient de grandes épreuves et souffrances. Il réitéra le principe fondamental qu'il n'est pas approprié que Dieu se justifie devant des hommes. Car tous les peuples du monde ont été créés pour l'adorer et lui obéir. Dans ce cas Baha'u'llah avait, cependant, consenti à autoriser le sultan à rechercher auprès de lui la vérité de sa Cause, afin que les innocents n'aient pas à souffrir. Mais ni le sultan ne répondit à ce défi, ni l'officier ci-dessus mentionné n'envoya de rapport à Baha'u'llah.

Ce n'était pas la première fois que Baha'u'llah offrit d'établir la validité de la Cause à ceux qui détenaient en leurs mains les rênes du pouvoir. Une proposition, contenant un défi similaire, fut faite à Nasiri'd-Din Shah de Perse dans le Lawh-i-Sultan (voir vol.2), une proposition qui fut ignorée aussi bien par lui que par les religieux.

À une autre occasion, à Bagdad, les prêtres chiites de l'islam demandèrent à Baha'u'llah de leur faire un miracle. Il accepta leur demande à la condition qu'ils engagent leur fidélité à sa Cause s'il réalisait le miracle qu'ils avaient demandé. Les prêtres commencèrent à avoir peur et ne poursuivirent pas plus loin leur affaire. Nous avons déjà décrit les circonstances de cet épisode difficile dans un précédent volume (voir vol.1).

Dans des occasions comme celles-ci, Baha'u'llah déclare toujours que c'est à Dieu d'éprouver ses serviteurs et non pas le contraire. Certes l'homme se trouverait dans une triste situation s'il devait envisager d'éprouver la Manifestation de Dieu.

La question des miracles est l'un des sujets les plus mal compris concernant les prophètes et messagers de Dieu. Les disciples de la plupart des religions attribuent des miracles à leurs prophètes. La croyance aux miracles provient de l'étude des Livres saints des anciennes religions et des traditions transmises de génération en génération. Les chefs religieux ont fait tout leur possible pour insister sur les miracles comme l'une des preuves les plus importantes de l'authenticité de leur foi. Par conséquent, les partisans de leur religion considèrent leur propre prophète comme quelqu'un qui avait un halo de lumière autour de la tête et performait des actes supranaturels pour convaincre le peuple de son rang.

L'étude de la vie et des enseignements des prophètes et de leurs Livres saints montre que l'inverse est vrai. Les Manifestations de Dieu n'ont pas établi les miracles comme témoignage de leur véracité. Ils sont les porteurs du message de Dieu et leur mission est d'éduquer les âmes des hommes. Leur parole est créative et peut être considérée comme le plus grand instrument pour la vivification et la régénération de l'humanité.

Le point de vue baha'i concernant les miracles est que les Manifestations de Dieu dérivent leur pouvoir et leur autorité de Dieu Tout-Puissant. Ils sont les personnifications de ses attributs et les manifestations de sa gloire en ce monde. Ils peuvent par conséquent faire ce qui leur plait, même changer les lois de la nature et accomplir des miracles. Car il est évident que Dieu, ayant établi les lois de la nature, est lui-même capable de les changer s'il le désire. Mettre en doute qu'il puisse le faire équivaudrait à lui attribuer de l'impuissance. Les disciples de Baha'u'llah ne renient donc pas la possibilité que les prophètes et messagers de Dieu puissent accomplir des miracles. Cependant de tels miracles, même lorsqu'ils ont été accomplis n'ont de valeur comme preuves que pour les quelques personnes qui en ont été les témoins. Ils ne peuvent pas être considérés comme une preuve concluante pour l'authenticité du message du prophète. Car personne ne peut prouver qu'un certain miracle attribué à un prophète a réellement été réalisé. D'un autre côté, certains des miracles mentionnés dans les Livres saints tels que se lever d'entre les morts, la guérison des lépreux ou la montée aux cieux ont une signification spirituelle. Baha'u'llah a révélé ces significations dans nombres de ses Écrits et spécialement dans le Kitab-i-Iqan.

Il y a une grande différence entre fait et croyance. Il y a des choses dans cette vie dont l'existence est prouvée et personne ne les a jamais reniées. Par exemple, l'existence de la mer sur cette planète est une évidence prouvée et personne n'a jamais nié son existence, même pas ceux qui ne l'ont jamais vu. Mais avoir une croyance, quelque chose avec laquelle un certain nombre de personnes peuvent être en désaccord, est une chose différente. Une telle croyance peut ne pas servir comme évidence factuelle pour la simple raison que son authenticité est contestée, même si en elle-même la croyance peut être véridique. Les miracles en sont des exemples. Par exemple, les disciples du Christ croyaient qu'il avait fait beaucoup de miracles. Mais depuis beaucoup de gens ont démenti cette revendication, on ne peut pas considérer ces miracles comme une réalité factuelle, bien qu'ils puissent très bien avoir été accomplis.

Au début de la foi baha'ie, lorsque la religion était toujours une force vitale dans la société et exerçait une influence sur le coeur des hommes bien plus profonde qu'elle ne l'est de nos jours, les gens demandaient des preuves religieuses lorsqu'ils prenaient part à des discussions avec les baha'is. Une des questions principales était celle des miracles. Beaucoup de personnes y croyaient aveuglément et la tâche de l'enseignant baha'i était d'expliquer la réalité et la vérité de la signification des miracles dans une religion. Mais une simple explication n'est pas toujours couronnée de succès lorsque les croyances sont fanatiques. C'est pour cela que certains des vieux enseignants de la Foi, lorsqu'ils conversent avec des personnes dogmatiques dont les croyances religieuses frisent les vaines imaginations, conduisent leur discussion de telle façon que cela permet tout d'abord de voir la fausseté de leurs idées, et puis de leur présenter le message de Baha'u'llah. Cela a souvent aidé ceux qui étaient sincères et qui avaient le coeur pur à voir la lumière de vérité.

Pour citer un exemple, voici l'essentiel d'un dialogue survenu entre Haji Muhammad Tahir-i-Malmiri *, l'un des premiers croyants, avec l'un des missionnaires chrétiens de Yazd.

*[nota: le père de l'auteur ; pour plus d'information voir vol.1 annexe 11]

Le premier a rapporté les souvenirs de ce dialogue dans ses mémoires. Ce qui suit est une partie de cette intéressante discussion:

Il y a quelques années, un prêtre chrétien... voyageait en Perse faisant son travail de missionnaire. Pendant son séjour à Yazd il avait l'habitude de donner des conférences publiques et s'entretenait avec des personnes qu'il considérait comme des adeptes potentiels. Il connaissait bien le persan et avait une assez bonne connaissance de la vie en Perse, des habitudes et des tendances de pensée. Un matin, avec un couple d'amis, j'allais lui rendre visite à la mission. Il nous reçut très cordialement. Nous échangeâmes des salutations et après nous être adonnés à quelques minutes de conversation ordinaire, le sujet de la religion fut abordé. Autant que je puisse m'en souvenir, ce qui suit est l'essentiel de la conversation que nous avons eue:

Moi: Que savez-vous de la foi baha'ie ?

Lui: Je regrette, je n'en connais absolument rien.

Moi: Que savez-vous de la foi chrétienne ?

Lui: Ma foi, je connais presque tout sur la chrétienté.

Moi: pourriez-vous s'il vous plaît m'expliquer certaines des choses que vous connaissez sur la religion chrétienne ?

Lui: Oh oui, avec grand plaisir. Mais y a-t-il quelque chose en particulier que vous désirez que je vous décrive ?

Moi: J'aimerais que vous puissiez me prouver l'authenticité du message du Christ ; en d'autres termes, comment puis-je être certain que la religion chrétienne est véritable et divine ?

Lui: Mais, vous croyez déjà que le Christ est le Fils de Dieu et que la chrétienté est d'origine divine, n'est-ce pas ?

Moi: Oui en fait, je le crois ; mais cette croyance m'est venu à travers la parole de Muhammad, et comme vous le considérez comme un imposteur, alors on ne peut plus du tout faire confiance à sa parole.

Il se retourna pour prendre une copie du Nouveau Testament qui était posée sur son bureau. Il commença alors à lire des passages concernant des miracles réalisés par le Christ - se lever d'entre les morts, guérir les lépreux, soigner les malades, etc. Puis, après une pause, la conversation fut renouée ainsi:

Moi: je regrette de dire que vos lectures n'ont pas aidé à m'éclairer sur le sujet. J'apprécierais si vous pouviez aimablement me démontrer la vérité de la révélation du Christ au moyen de preuves rationnelles.

Lui: Je suis désolé, nous n'avons rien d'autre que ce qui est écrit dans le Livre.

Moi: Les musulmans attribuent beaucoup de miracles à leur prophète Muhammad.

Lui: Il n'y a pas un brin de vérité dans tout ce qu'ils disent.

Moi: Les juifs renient catégoriquement tous ces miracles que vous attribuez à la personne du Christ, comme vous reniez ce que les musulmans attribuent à Muhammad.

Lui: Vous savez que les Juifs sont nos antagonistes et comme tels vous ne pouvez pas vous attendre à ce qu'ils prononcent des paroles de louanges pour notre Seigneur.

Moi: Les musulmans ont les mêmes arguments. Ils disent qu'étant donné que les chrétiens rejettent l'islam comme une fausse religion, le point de vue qu'ils ont concernant notre prophète est hautement partial et dénaturé.

Lui: Vous devez être certain que les charges qu'ils portent contre nous sont toutes sans fondement.

Moi: Maintenant voyons, si un chercheur sincère désire comprendre la réalité de la mission du Christ, pensez-vous que ces miracles mèneront à la vérité ?

Lui: Oh oui, je pense que ces miracles sont la plus grande preuve de sa mission.

Moi: Mais est-ce que quelqu'un peut considérer ces miracles comme preuve concluante sans en avoir été témoin ?

Lui: Vous devez être certain que tout s'est bien réalisé.

Moi: Pouvons-nous accepter les miracles attribués à Muhammad comme véridiques sans une preuve visuelle ?

Lui: Absolument pas

Moi: Comment se fait-il que dans le cas des miracles que vous attribuez au Christ il n'est point besoin d'évidence tandis que dans le cas de Muhammad cela devrait être appuyé par des preuves visuelles ?

Lui: Parce que nous considérons Muhammad comme l'un des faux prophètes et ses soi-disant actes surnaturels sont pures inventions.

Moi: Les zoroastriens attribuent certains miracles à Zoroastre . Pouvons-nous accepter leurs assertions sans aucune preuve ?

Lui: Non, pour la simple raison que nous ne reconnaissons pas Zoroastre comme messager divin.

Moi: Les baha'is attribuent certains actes surnaturels au Bab, le précurseur de la foi baha'ie, qui est apparu à Chiraz en Perse. Pouvons-nous faire confiance à ce qu'ils disent ?

Lui: Je crois que l'on peut faire confiance aux baha'is, mais ils doivent malgré tout fournir la preuve pour soutenir cette revendication.

Moi: Bon, voyons, comment se fait-il que toutes les croyances autres que la chrétienté devront justifier leurs assertions en donnant des preuves, tandis que vous maintenez que les paroles écrites dans la Bible devraient être acceptées arbitrairement comme étant des preuves concluantes ?

Lui: Comme je l'ai dit, nous n'avons pas de preuves plus grandes que les miracles, cependant, si vous pouvez produire quelque chose de Baha'u'llah supérieur à ces actes du Christ j'en serai enchanté.

Moi: Tant que vous ne réussirez pas à apprécier la réalité du Christ dans sa véritable perspective et persisterez à considérer les miracles comme le test décisif pour un prophète - des miracles que vous n'avez jamais vus, ni pouvez prouver qu'ils ont véritablement eu lieu dans leur sens apparent - , je regrette de dire que vous n'aurez pas la capacité de reconnaître Baha'u'llah.

Lui: Alors quelle est la preuve concluante autre que les miracles ?

Moi: Nous baha'is croyons que la preuve d'un prophète doit être quelque chose tellement convaincant, tellement irrésistible, dont personne dans le monde ne puisse nier ou mettre en doute la validité.

Lui: Pourriez-vous me dire ce qu'est cette preuve ?

Moi: Je ne voulais pas dire ce qu'est cette preuve. Je voulais simplement faire remarquer la qualité essentielle d'une telle preuve. Vous savez déjà que les juifs, les bouddhistes et les zoroastriens nient ces miracles que vous attribuez au Christ, comme vous rejetez ce que les musulmans, bouddhistes et zoroastriens attribuent à leurs prophètes respectifs. Par conséquent, les miracles devraient être complètement rejetés comme preuves concluantes, car ils manquent des qualités essentielles que de telles preuves devraient possédaient.

Lui: En effet, cela paraît juste, et je partage votre avis, mais y aurait-il une preuve que l'on pourrait dire concluante ?

Moi: Maintenant je vais vous dire quelque chose, voyez si cela supporte l'épreuve

Lui: Très bien.

Moi: Je pense que personne au monde ne pourrait nier le fait qu'il y a plus de 1900 ans vivait un homme nommé Jésus qui se leva et se déclara comme étant la personnification de l'Esprit de Dieu.

Lui: Oui

Moi: Bon alors, pensez-vous qu'il y est quelqu'un qui puisse nier le fait suivant ? Même ceux qui ne croient pas en lui admettent qu'il a bien revendiqué avoir été investi d'une telle mission, bien qu'ils puissent dire que sa déclaration était fallacieuse. Y-a-t-il quelqu'un qui pourrait dire qu'il n'y a pas de chrétiens dans le monde, que ces millions de personnes qui font allégeance à la chrétienté ne doivent pas leur foi essentiellement à la Parole du Christ ou que le Christ influença ses adhérents par la connaissance acquise ou par la richesse matérielle ou le pouvoir ?

Lui: Certainement pas.

Moi: Pouvez-vous ou moi ou n'importe quel être humain sur cette planète, guidé par sa propre impulsion, se lever aujourd'hui, et dire les mêmes choses que le Christ a dites et réussir à établir une nouvelle religion sans moyen matériel ?

Lui: C'est formidable. Et que dire pour Muhammad ? * (n°8 mémoires non publiées, traduites par Habib Taherzadeh)

*[nota: voir vol.2 pour le reste du dialogue]

Le plus grand miracle de la Manifestation de Dieu est qu'il change les coeurs des gens et crée une nouvelle civilisation simplement par l'influence de sa parole. Chaque mot qu'il prononce est créatif * et est doté d'une telle puissance que tous les pouvoirs du monde sont incapables de résister aux forces régénératrices qu'il libère. Comme les énergies animatrices du printemps qui sont libérées en abondance et pénètrent au coeur de toutes choses vivantes, la Parole créatrice de la Manifestation de Dieu révolutionne la société humaine et par ses forces irrésistibles brisent les barrières de l'opposition qui sont dressées par les hommes, créant une nouvelle race d'hommes et une nouvelle civilisation.

*[nota: voir plus d'explication sur la parole de Dieu dans les vols 1 et 2]

Il ne peut y avoir de miracle plus grand que cela, un miracle dont peut témoigner tout observateur impartial et dont la gloire ne peut jamais être estompée par le passage du temps. Mais ceux qui n'ont pas de vision spirituelle et suivent leurs propres vaines imaginations se sont opposés à la Manifestation de Dieu et une forme de cette opposition est de demander que des miracles soient réalisés.

Lorsque Baha'u'llah était à Acre, quatre prêtres musulmans du village de Manshad dans la province de Yazd envoyèrent une lettre à Baha'u'llah se présentant comme des partisans de Azal afin de pouvoir l'éprouver. Ils posèrent deux devinettes et promirent d'accepter sa Cause s'il révélait les réponses correctes. Voici une traduction d'une partie de leur lettre:

La première question est de nous informer de la mort d'un certain homme ou d'une femme à Manshad en prédisant l'heure exacte et la date de la mort, la cause de la mort ainsi que le nom de la personne, le nom de sa mère, son adresse, la description de ses parents et de sa famille et en fait chaque détail de la position de cette personne.

La deuxième question est de nous informer de la naissance d'un certain enfant, en prédisant son sexe, le nom de sa mère et du père et l'heure exacte et la date de naissance cette année... (n°9 non publiées)

L'homme avec son esprit mesquin, son étroite vision et d'humeur égotiste, se dresse devant son Seigneur, le met au défi de se conformer à ses vaines envies et met en garde la Manifestation de Dieu que s'il ne produit pas ce qu'il lui demande, il sera rejeté. Comme cela peut paraître terrible à quelqu'un doté d'une mesure de vision spirituelle ! Les questions posées à Baha'u'llah à cette occasion sont aussi comiques que méprisantes. En réponse, une longue épître fut révélée par Baha'u'llah, en partie dans les mots de son secrétaire et en partie dans ses propres paroles *, mettant en garde les auteurs pour leur perversité et leur aveuglement à vouloir éprouver Dieu. Dans la tablette, il annonce l'avènement du jour de Dieu et déclare que l'effusion de sa révélation a enchâssé le monde. Combien grave est alors la détresse de ceux qui cherchent des preuves lorsque les signes de son pouvoir et de sa majesté sont évidents de tous côtés. Ce n'est pas le jour pour poser des questions mais pour entendre l'appel de Dieu et embrasser sa Cause. Il leur remémore, en citant de nombreux passages du Coran, où les incroyants d'une révélation précédente avaient aussi demandé au prophète de l'islam d'accomplir des miracles. Ils lui demandèrent d'envoyer des anges du ciel, de faire jaillir l'eau de la terre, de faire que le ciel s'effondre en morceaux, de produire une maison faite en or, de monter au ciel et de ramener un livre et beaucoup de demandes semblables. L'étude du Coran montre très clairement que la réponse de Muhammad à ces requêtes grotesques était que la preuve principale de sa mission était la révélation de la Parole de Dieu.

*[nota: certaines épîtres de Baha'u'llah sont composées de telle façon qu'une partie de l'épître se trouve écrite dans les mots du secrétaire, mais qui en réalité était écrite par Baha'u'llah pour sembler avoir été composée par les secrétaires. Chaque mot de l'épître est donc bien de Baha'u'llah lui-même. Pour plus d'information voir vol.1]

Baha'u'llah avertit les quatre prêtres de Manshad qu'en éprouvant Dieu leur situation était aussi grave que celle de ceux qui l'avaient renié dans les "dispensations" précédentes. Un aspect intéressant de cet épisode est le suivant: puisque ces hommes s'étaient présentés comme des partisans d'Azal, dans cette tablette, Baha'u'llah s'adressa à eux comme s'ils étaient azalis. Pour soutenir ses arguments, il cita abondamment les Écrits du Bab. Il fit ceci en dépit du fait qu'il savait très bien qui étaient ces quatre personnes. En plus de sa connaissance divine qui englobe toutes choses créées, il savait très bien et ses disciples aussi qu'il n'y avait pas de partisans de Azal à Manshad. Certains croyants vivants à l'époque * à Acre étaient en fait du village de Manshad et connaissaient très bien l'identité de ces hommes !

*[nota: c'était vers 1885]

C'est là, où la Manifestation teste l'homme en faisant semblant d'ignorer la vérité. C'est là où il cache sa gloire et sa connaissance aux yeux des hommes de sorte que le mauvais ne peut gagner l'accès à sa cour de sainteté et devenir l'égal des bons. Et c'est là où l'on n'interfère pas avec le libre arbitre de l'homme à suivre le chemin qui lui convient le mieux et il n'est pas transformé en marionnette manipulée d'en haut. En s'adressant à eux comme s'ils étaient des partisans de Azal, Baha'u'llah éprouve ces quatre hommes. En fait l'un des quatre était connu pour avoir en privé prétendu devant quelques baha'is que dans son coeur il penchait vers la Foi. Cette tablette, cependant, lui fut une épreuve. Il échoua et perdit complètement sa foi.

- Épreuves et tests:

Le test est une partie intégrale de la création. Même dans ce monde physique, il y a des épreuves. Nous remarquons que tant qu'un objet est stationnaire il n'y a pas d'épreuves, mais dès qu'il y a mouvement il y aura résistance ce qui dans la nature est une forme de test. Plus l'on avance vite, plus forte est la résistance. Par exemple, un avion moderne volant plus vite que le son rencontre une telle résistance que son corps devient rouge par sa simple vitesse.

C'est aussi vrai dans un sens spirituel. Dieu éprouve ses serviteurs. Il est dit dans le Coran: (n°11 Coran II, 154-5)

Nous vous éprouvons par un peu de crainte, de faim ; par des pertes légères de biens, d'honneurs ou de récoltes *.

*[nota: le mot arabe pour "récoltes" est thamarat, qui signifie aussi descendants, où les enfants. On pourrait traduire cette phrase ainsi "perte de vie et de descendance"]

Dans de nombreuses épîtres, Baha'u'llah parle des épreuves et spécialement en ce Jour lorsque Dieu, en se révélant lui-même, a même éprouvé les réalités des prophètes et des élus. Voici les paroles de Baha'u'llah:

Par la justice de Dieu ! Voici les jours où Dieu a éprouvé les coeurs de la compagnie entière de ses messagers et prophètes et au-delà ceux qui veillent sur son sanctuaire sacré et inviolable, les habitants du Pavillon céleste et les résidents du Tabernacle de Gloire. (N°12 AJD p.105)

Lorsqu'un individu embrasse la cause de Dieu, il sera éprouvé de différentes façons, souvent sans s'en rendre compte. Chaque fois qu'il réussit à passer un test, il acquerra une plus grande vision spirituelle intérieure et deviendra plus fort dans la foi. Il s'approchera plus de Dieu, sera élevé vers un niveau plus haut de service et ses épreuves, la fois suivante, seront plus difficiles. Mais si par son ego, qui est la forme la plus nuisible d'attachement à ce monde, il échoue, sa foi sera affaiblie et il pourrait complètement la perdre. Il y a eu de nombreux croyants parmi les enseignants remarquables de la cause qui la servirent avec beaucoup de mérite et capacité et la défendirent contre ses adversaires ; pourtant lorsque soufflèrent les vents des épreuves, leur manque de sincérité et leurs ambitions égoïstes devinrent apparents et les privèrent de leur manteau de foi de sorte qu'ils périrent spirituellement.

Mais la nature des épreuves que le croyant doit affronter varie d'âge en âge. Au temps du Bab, Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha les épreuves étaient principalement sous la forme de persécution et de martyre. Les croyants faisaient souvent face à des situations où ils devaient soit renier leur foi en public ou donner leur vie. Mais la main du pouvoir céleste les avait tellement soutenus et fortifiés que la plus grande majorité resta ferme jusqu'à la fin et but héroïquement à la coupe du martyre.

Aujourd'hui, à l'âge de formation, les épreuves des baha'is sont principalement de deux sources. La première se trouve à l'extérieur de la communauté baha'ie ; c'est le challenge de vivre d'une façon baha'ie dans un monde corrompu, dépourvu de spiritualité, et caractérisé par toutes les mauvaises influences d'une civilisation décadente. Dans un tel monde se dirigeant rapidement vers la destruction, les baha'is doivent apprendre à être heureux et confiants, à s'en tenir à la vision d'une société future de Baha'u'llah et à se parer des caractéristiques de la vie baha'ie. Vivre en accord avec les enseignements de Baha'u'llah dans un monde croulant sous le poids du mal est, en ce jour, une terrible épreuve, une épreuve que chaque croyant doit subir.

L'autre source d'épreuves se trouve à l'intérieur de la communauté baha'ie. Ceux qui vécurent et travaillèrent durant l'âge héroïque n'eurent pas à supporter ces épreuves aussi souvent que doivent les subir les générations présentes et futures, car ils avaient été en contact direct avec la Manifestation suprême de Dieu et le Centre de son alliance. enivrées par le vin de leurs paroles, ces âmes s'oublièrent elles-mêmes et par leur amour et l'attrait devinrent les géants spirituels de cette "Dispensation". Il y avait moins de ressentiments ou de malentendus entre les croyants puisqu'il n'y avait alors aucune activité communautaire comme nous les connaissons de nos jours.

Mais dans cet âge de formation, les baha'is travaillent ensemble à l'intérieur de leur communauté. Leur Ordre administratif, grandissant aujourd'hui sous sa forme embryonnaire, fait apparaître de nombreuses épreuves, car il englobe des gens de toutes les couches de la société humaine, riches et pauvres, jeunes et vieux, érudits et illettrés, vétérans et nouvellement enrôlés qui doivent travailler en unité pour le progrès de la Foi. Travailler dans une telle communauté, le noyau même et le schéma de la société mondiale future, n'est pas toujours dépourvu d'épreuves.

Aujourd'hui, donc, les plus grandes épreuves viennent à l'individu par son inaptitude à travailler avec le bon esprit que ce soit à l'intérieur des institutions de l'Ordre administratif ou en relation avec elles. Le problème fondamental pourrait provenir d'une mauvaise compréhension de la nature des institutions de la Foi. L'idée que les institutions religieuses sont construites par les hommes en complément des enseignements donnés par le prophète est une idée qui provient des anciennes traditions religieuses. Lorsqu'une personne étudie les enseignements de Baha'u'llah, une telle idée peut, inconsciemment, agir comme un a priori dans son esprit. En conséquence, elle peut ne pas totalement se rendre compte que, contrairement aux autres religions, l'Auteur de la foi lui-même, a amené à l'existence ces institutions administratives comme faisant partie de la religion de Dieu, et que les principes administratifs de la foi sont comparables à ses principes spirituels.

Un autre facteur partiellement responsable de cette idée fausse, émane du monde extérieur où les institutions d'origine humaine sont devenues dans la société les centres de disputes et de conflits. De telles pensées, qu'elles proviennent des anciennes religions ou des institutions politiques et sociales de ce jour, ont tellement imprégné l'esprit des hommes qu'elles deviennent des obstacles inconscients pour la bonne compréhension de l'ordre administratif baha'i. Il y a un besoin de véritable approfondissement dans les vérités de la Foi avant que les effets de ces notions peu judicieuses ne soient totalement éradiqués.

Les institutions de l'ordre administratif sont des organes inséparables de la foi de Baha'u'llah. Les traits principaux de cet ordre divin ont été donnés par Baha'u'llah lui-même * et par 'Abdu'l-Baha. Ce fut Shoghi Effendi, Gardien de la Foi, qui en érigea les fondations et expliqua ses fonctions.

*[nota: voir chapitre 14]

Dans une description magistrale de la naissance de l'Ordre administratif, Shoghi Effendi a résumé sa genèse en ces mots:

Pour cet immortel, ce vivifiant Esprit du monde, né à Shiraz et ranimé à Tihran, Esprit qui s'était enflammé d'ardeur à Baghdad et à Andrinople, qui avait été communiqué à l'Occident et illuminait maintenant les confins des cinq continents, le moment était maintenant venu de s'incarner dans les institutions destinées à canaliser ses énergies en expansion et à stimuler sa croissance. (N°13 GPN p.314)

Cette grande et pénétrante vision de Shoghi Effendi, l'interprète infaillible de la Parole de Dieu, a montré en termes simples la relation entre la révélation de Baha'u'llah et l'ordre administratif de sa foi. Elle insiste clairement sur le fait que les institutions de la cause ne sont pas des ajouts fabriqués par l'homme, mais plutôt des canaux divins à travers lesquels les énergies libérées par la révélation de Baha'u'llah peuvent s'écouler vers l'humanité.

Le couronnement de l'édifice de l'ordre administratif est la Maison universelle de justice, son institution suprême. Il est essentiel pour un baha'i d'accepter l'autorité de ce corps illustre et de croire que, comme le dit 'Abdu'l-Baha, que c'est une "source de tout bien et qu'il l'a affranchie de toute erreur..." (n°14 Testament de 'Abdu'l-Baha) Ceci est l'une des vérités de la Foi qu'un croyant accepte de tout son coeur lorsqu'il embrasse la cause de Baha'u'llah. Aucun baha'i fidèle ne peut douter de l'autorité ou de l'infaillibilité de ce corps suprême qui est sous la providence divine du Bab et de Baha'u'llah.

Mais des épreuves adviennent souvent lorsque l'on sert dans des institutions locales ou nationales. Pour citer un exemple: les membres sont souvent éprouvés pendant les périodes de consultation, probablement sans s'en rendre compte. Les critères de conduite qui doivent gouverner les motifs et les actions des membres des assemblées pendant la consultation, sont nobles et très élevés. Les paroles suivantes de 'Abdu'l-Baha établissent quelques-uns de ces critères élevés:

"Les principales conditions requises pour ceux qui délibèrent sont la pureté d'intention, le rayonnement de l'esprit, le détachement de tout hormis Dieu, l'attirance vers sa divine Essence l'humilité et la modestie à l'égard de ses bien-aimés, la patience et l'endurance dans les difficultés, et la soumission devant son seuil... La première condition est l'amour absolu et l'harmonie parmi les membres de l'Assemblée. Ils doivent être très proches les uns des autres et doivent témoigner de l'Unité de Dieu, car ils sont les vagues d'une seule mer et les gouttes d'une seule rivière, les étoiles d'un seul ciel, les rayons d'un seul soleil, les arbres d'un seul verger, les fleurs d'un seul jardin..." (n°15 compilation sur la consultation, p.5)

Les critères établis par 'Abdu'l-Baha dans l'épître ci-dessus, sont les conditions requises essentielles pour la consultation baha'ie et elles ne sont pas sujettes à des compromis ou à des changements. Ne pas les appliquer pourrait transformer la réunion d'une assemblée spirituelle en une arène de combats pour ses membres, dont la foi et la fermeté dans l'Alliance seraient rudement mises à l'épreuve pendant la consultation. Les batailles spirituelles du coeur débutent lorsque l'ego entre en scène. Un croyant attirera sur lui souffrance et épreuves dans la mesure où il ignorera les exhortations de 'Abdu'l-Baha et autorisera les intérêts égoïstes ou les pratiques non-baha'ies à influencer sa participation dans la consultation de l'assemblée.

La pratique des principes spirituels de consultation doit être authentique et véridique. Les sentiments d'amour, d'unité, de patience, d'humilité, de servitude, de dévotion, de courtoisie et d'autres vertus réclamées par 'Abdu'l-Baha, doivent venir du coeur. Sinon, nous aurons échoué devant l'épreuve, et la bataille spirituelle n'aura pas été gagnée.


CHAPITRE 3: Le Prisonnier

L'édit du sultan condamnant Baha'u'llah à l'isolement cellulaire à vie et lui interdisant de rencontrer qui que ce soit, y compris ses compagnons, fut tout au début strictement exécuté. Mais, rapidement les autorités pénitentiaires se rendirent compte de la majesté évidente de Baha'u'llah, de la noblesse de ses règles de vie et du caractère exalté de sa personne. Ils furent aussi profondément impressionnés par le naturel affectueux du Maître, ses qualités et vertus divines ; ils se tournaient, de plus en plus, vers lui pour avis et conseils. Ce qui eut pour résultat de les rendre plus indulgents et d'assouplir quelques-unes des restrictions.

Au fil des jours, des cellules dans différentes parties de la caserne furent assignées aux compagnons de Baha'u'llah. Certains d'entre eux prirent en main les tâches essentielles, comme la cuisine, le nettoyage, le transport d'eau et les courses tandis que d'autres purent passer plus de leur temps libre dans diverses tâches nécessaires. Une fois 'Abdu'l-Baha engagea même un certain égyptien qui s'appelait Haji 'Aliy-i-Misri * pour aller à la prison et enseigner aux prisonniers l'art de faire des tapis simples. Comme les restrictions étaient quelque peu assouplies les compagnons purent communiquer avec Baha'u'llah et même aller en sa présence.

*[nota: suite à son contact avec 'Abdu'l-Baha cet homme fut profondément attiré à la Cause, et son fils qui était un jeune rebelle, fut transformé en une nouvelle personne et devint un ardent croyant]

Une chose importante, qu'il ne faudrait pas oublier, est que jamais Baha'u'llah n'a enfreint les règles qui lui furent imposées, que ce soit à la prison ou dans les années qui suivirent. Ce furent les autorités, quelquefois encouragées par 'Abdu'l-Baha, qui assouplirent les restrictions. L'histoire de son départ de la maison de 'Abbud et lorsqu'il prit résidence à l'extérieur des portes de la cité, comme nous le verrons par la suite, est un exemple clair de sa soumission entière à la volonté de ses ennemis ou à ceux qui étaient chargés par eux de le garder.

Quoique la prison fût un lieu déprimant de vie, bientôt les compagnons de Baha'u'llah, principalement sous la direction et les conseils de 'Abdu'l-Baha, organisèrent leur vie de tous les jours de façon à créer les meilleures conditions possibles pour toute la communauté. Leur plus grande source de joie était la proximité de leur Seigneur, et parfois Baha'u'llah leur rendait visite dans leurs quartiers et ils le recevaient avec les maigres rations ou rafraîchissements qu'ils pouvaient fournir.

- Les croyants en Terre Sainte:

Il y a une tablette (n°1 publié dans Ishr´éaq Khavari, Risaliy-i-Ayyam-i-Tis'ih, p.313) révélée par Baha'u'llah dans la prison le neuvième jour de la Fête de Ridvan *. Elle fut probablement révélée durant Ridvan 1869, la première des deux Fêtes de Ridvan qu'il célébra dans la prison, car il y mentionne les noms de différents croyants qui avaient essayé de pénétrer dans Acre et avaient été arrêtés par les autorités.

*[nota: 21 avril au 2 mai, en commémoration des douze jours que Baha'u'llah passa dans le jardin de Ridvan à Bagdad en 1863 lorsqu'il déclara sa mission à quelques compagnons]

Dans cette tablette, Baha'u'llah décrit comment ce jour-là il avait été invité par l'un des croyants de la prison à honorer sa cellule par sa présence et participer à la célébration de cette grande fête. Ses compagnons ce jour-là furent véritablement enivrés par le vin de sa présence. Le croyant qui avait invité Baha'u'llah lui apporta la meilleure nourriture qu'il pût trouver. Baha'u'llah y fait référence et déclare que d'autres croyants l'avaient aussi invité dans leur cellule pendant la période de Ridvan. Chacun selon ses moyens avait donné de la nourriture et d'autres n'avaient rien d'autre à lui proposer qu'une tasse de thé.

Dans cette tablette Baha'u'llah déverse ses bénédictions sur ses compagnons et prie qu'ils puissent rester fermes dans sa Cause et unis entre eux. Lorsque la tablette fut révélée, deux croyants persans vivaient déjà à Acre même, il y avait ceux qui essayaient d'y pénétrer et ceux qui demeuraient à Haïfa ; dans cette tablette Baha'u'llah fait référence à eux tous. Les deux croyants vivant à Acre étaient Muhammad Ja'far-i-Tabrizi, dénommé Mansur et Mirza Hadi dénommé 'Abdu'l-Ahad. Le dernier avait été le premier à arriver à Acre. Il y avait été envoyé par 'Abdu'l-Baha quelque temps avant que Baha'u'llah soit exilé vers cette cité, établissant ainsi un précieux contact. Personne ne le suspectait d'être baha'i. Aidé par l'agent politique persan de la ville, il avait pu ouvrir un magasin, mais n'essaya pas de contacter Baha'u'llah et ses compagnons dans la prison lorsqu'ils arrivèrent. Cependant, les quelques prisonniers baha'is qui allaient au marché chaque jour pour acheter des provisions le rencontrèrent et savaient qu'il était baha'i. Grâce à lui et par d'autres moyens, les nouvelles du lieu où se trouvait Baha'u'llah parvinrent rapidement aux croyants en Perse et quelques-uns de ses disciples firent le voyage jusqu'à Acre. 'Abdu'l-Ahad aida très discrètement quelques visiteurs qui avaient pu pénétrer dans la cité à s'approcher de la prison. Quelquefois, il dut même cacher les visiteurs dans son arrière-boutique. Les disciples de Baha'u'llah, qui pour la plupart étaient venus à pied de la Perse, pouvaient seulement aller devant la prison et regarder Baha'u'llah faire un signe de sa main bénie. Cela était suffisant pour leur inspirer de la foi et du courage et pour les élever vers de nouvelles hauteurs, prêts et désireux de donner leur vie en son chemin.

Parmi ceux qui vivaient à Haïfa se trouvait Mirza Ibrahim-i-Kashani *, chaudronnier de profession, auquel Baha'u'llah se réfère comme à Khalil dans la tablette de Ridvan mentionnée plus haut. C'était un croyant dévoué, enflammé de l'amour de Baha'u'llah ; il se trouvait parmi les prisonniers baha'is envoyés de Bagdad à Mosul (voir vol.2). Accompagné de quelques parents, il avait pu quitter Mosul, et s'était établi à Haïfa. À cette époque, pénétrer dans Acre était chose très difficile pour les croyants, mais il trouva le moyen d'y entrer fréquemment en prenant avec lui quelques ustensiles en cuivre à vendre. Il devint ainsi un important canal entre les croyants et Baha'u'llah.

*[nota: voir 'Abdu'l-Baha, Memorials]

Un autre croyant mentionné dans la tablette du Ridvan, était un vieil homme, Ustad Isma'il, quelqu'un dans le coeur duquel le feu de l'amour de Baha'u'llah brûlait d'un éclat très vif. C'était un maître d'oeuvre de grande expérience qui avait travaillé en Perse pour les fonctionnaires du gouvernement. Lorsqu'on apprit qu'il était babi, il dut quitter son travail. Il se rendit alors à Bagdad où il reçut l'honneur de terminer le travail de construction de la maison de Baha'u'llah (voir vol.1). Et lorsque les croyants de cette cité furent exilés à Mosul, il s'arrangea pour voyager jusqu'à Acre. Malgré son âge avancé, il marcha tout le chemin jusqu'à ce qu'il arrivât et se tînt devant la Plus-Grande-Prison attendant impatiemment de voir le visage de son Bien-Aimé de l'autre côté du fossé.

Mais hélas, à cause de son âge avancé et la faiblesse de sa vue, il ne put voir la main de Baha'u'llah lui faisant signe de l'une des fenêtres de la prison. Ce fut une scène pitoyable. Il éclata en sanglot ce qui apporta aussi des larmes aux yeux des membres de la Sainte Famille et aux quelques autres qui regardaient la situation désespérée de ce croyant dévoué. Il a été rapporté qu'à cette occasion Baha'u'llah avait dit que bientôt, par le pouvoir de Dieu les restrictions seraient relâchées et que les circonstances rendraient possible aux croyants de venir en sa présence.

Naturellement, il ne fut pas possible, pour les pèlerins baha'is d'aller librement en présence de Baha'u'llah, jusqu'à ce qu'il quitte la prison en 1887. Cependant, durant le temps où il se trouvait à l'intérieur de la prison, il était officiellement impossible à toute personne habitant à l'extérieur de le rencontrer et d'aller en sa présence mais, au fur et à mesure que les restrictions se relâchèrent, souvent les fonctionnaires détournèrent la tête, et aidèrent même parfois les disciples à entrer.

Ustad Isma'il réussit finalement à pénétrer dans la prison où il demeura quelque temps et alla en présence de son Seigneur. Sa demeure, habituelle en Terre sainte, était une cave sur le mont Carmel. Il gagnait sa vie comme colporteur, portant un petit plateau sur lequel il disposait des aiguilles, dés et autres articles insignifiants à vendre. Il vivait dans la pauvreté, mais dans le plus grand bonheur, le coeur empli de la joie d'être près de son Seigneur.

Tandis qu'il flânait avec son pauvre petit plateau, son coeur était en communion avec Baha'u'llah. Parfois il marchait autour de la prison pour se sentir plus proche de son Bien-Aimé. Une fois, Baha'u'llah le regardait par la fenêtre. Il appela son cuisinier Husayn-i-Ashchi, qui était un des neveux de Ustad Isma'il et lui demanda s'il avait vu le plateau que son oncle transportait. Lorsqu'il répondit par la négative, Baha'u'llah d'un ton amusé lui dit que s'il se mettait une paire de lunettes il pourrait le voir de loin portant quelques aiguilles rouillées d'un côté du plateau et quelques dés rouillés de l'autre ! Baha'u'llah lui faisait souvent éloge de son détachement de ce monde et sa reconnaissance envers son Seigneur.

L'un de ceux que Baha'u'llah mentionne dans la tablette du Ridvan est Nabil-i-A'zam, qui voyagea jusqu'à Acre mais fut expulsé de la cité. Après avoir été libéré de la prison d'Alexandrie, Nabil se hâta vers la demeure de son Bien-Aimé. Bien qu'il se déguisât * en homme de Bukhara, il fut reconnu par deux ennemis de Baha'u'llah qui le dénoncèrent aux autorités gouvernementales et il fut donc expulsé. Ces deux hommes étaient Siyyid Muhammad-i-Isfahani, l'antéchrist de la révélation de Baha'u'llah (voir vol.1 et 2), et Aqa Jan dénommé Kaj Kulah (voir vol.2). Bien qu'ils se considérassent comme des partisans de Mirza Yahya, ils avaient été condamnés à l'emprisonnement à Acre et avaient accompagné Baha'u'llah et ses compagnons à la prison. Mais très peu de temps après leur arrivée, ils firent alliance avec les autorités qui les transférèrent dans une pièce donnant sur la porte d'accès à la cité. Là, ils se comportèrent en espion et identifièrent les disciples de Baha'u'llah lorsqu'ils essayaient d'entrer.

*[nota: par crainte d'être reconnu comme disciple de Baha'u'llah, la plupart des baha'is qui essayèrent d'entrer dans Acre les premiers temps du bannissement de Baha'u'llah dans cette cité, adoptèrent ce genre de camouflage]

D'après une lettre écrite d'Acre par Nabil aux baha'is de Darakhsh dans la province de Khurasan, la première fois qu'il essaya d'entrer dans la cité fut vers la fin d'octobre 1868. Il réussit à entrer et y resta pendant trois jours mais n'arriva pas, avant d'être expulsé, à aller jusqu'en présence de Baha'u'llah.

Il se retira dans les caves du mont Carmel et sillonna la campagne pendant près de quatre mois. Mais il ne pouvait supporter la séparation d'avec son Seigneur. L'ardeur de son amour augmentait de jour en jour, jusqu'à ce qu'il ne pût plus rester loin de la cité de son Bien-Aimé.

Vers la mi-février 1869, il essaya une deuxième fois de pénétrer dans la cité. Cette fois il réussit à y rester plus longtemps. Il rencontra Mirza Aqa Jan et quelques autres croyants qui étaient sortis de la prison pour acheter des provisions. Mais dans sa lettre, Nabil mentionne qu'il put finalement réaliser le désir de son coeur et rencontrer Baha'u'llah le 18 Muharram 1286 (1er mai 1869).

- Quelques premiers pèlerins:

Les premiers pèlerins qui réussirent à aller en présence de Baha'u'llah furent Haji Shah-Muhammad-i-Manshadi, dénommé Aminu'l-Bayan (fidèle du Bayan) par Baha'u'llah, et Haji Abu'l-Hasan-i-Ardikani, dénommé Amin-i-Ilahi (fidèle de Dieu) par Baha'u'llah. Les services de ces deux illustres mandataires de Baha'u'llah étaient tels que leur histoire nécessite d'être racontée en détail et vous la trouverez au chapitre 4.

Un autre baha'i éminent qui se rendit à Acre mais fut reconnu et expulsé de cette cité était Mulla Muhammad 'Ali, surnommé Nabil-i-Qa'ini par Baha'u'llah *. Il avait connu Baha'u'llah à Téhéran quelques années avant la déclaration du Bab. Il avait à l'époque reconnu les qualités surhumaines de Baha'u'llah et était devenu l'un de ses grands admirateurs. Lorsque Nabil-i-Akbar retourna d'Irak vers sa ville natale de Qa'in, il commença à enseigner ouvertement au public la Cause du Bab. Dès que Mulla Muhammad-'Ali entendit les nouvelles du Bab et de Baha'u'llah, il devint un ardent croyant, disant qu'il s'était trouvé en présence de Baha'u'llah à Téhéran et que déjà il avait été attiré par lui.

*[nota: à ne pas confondre avec Aqa Muhammad-i-Qa'ini, dénommé Nabil-i-Akhbar, dont la biographie se trouve dans le vol.1. Les deux hommes étaient de Qa'in dans la province du Khurasan]

La seconde fois où il vit le visage de son Seigneur fut dans la prison d'Acre. Tout d'abord il fut conduit hors de la cité. Mais il essaya encore de nombreuses fois et finalement un plan fut élaboré afin qu'il puisse pénétrer dans la prison. Cela réussit et il fut mené en présence de Baha'u'llah. La gloire et la majesté émanant de sa personne éblouirent tellement Nabil-i-Qa'ini que dès que ses yeux se portèrent sur lui, il s'évanouit et tomba par terre.

Ce grand homme qui avait vécu de nombreuses années de sa vie dans le luxe et les honneurs et avait été tenu en haute estime par les gens de sa ville natale vivait maintenant dans une telle pauvreté qu'à l'instar de Ustad Isma'il il dut lui aussi colporter des aiguilles et des dés qu'il vendait aux habitants de Nazareth. Pendant près de deux ans, il gagna sa vie par ce moyen, vendant aux femmes de Nazareth des aiguilles au prix de trois aiguilles pour un oeuf ! Durant ce temps, il réussit à convertir à la foi un certain nombre de chrétiens de la ville.

Nabil-i-Qa'ini était le parfait exemple de la foi et du détachement ; on se souviendra toujours de lui comme celui qui avait reconnu les pouvoirs de Baha'u'llah avant même la déclaration du Bab. Il mourut à Acre.

'Abdu'r-Rahim était natif de Bushru'iyyih, lieu de naissance de Mulla Husayn, le premier à croire dans le Bab. Ce disciple dévoué de Baha'u'llah trouva, d'une façon très spéciale l'accès à la prison, dès les premiers jours de l'incarcération de Baha'u'llah dans la prison. Son nom d'origine était Ja'far, mais lorsqu'il alla en présence de Baha'u'llah il reçut le nom de Rahim (Compatissant). Avant sa conversion à la foi, 'Abdu'r-Rahim était un musulman fanatique. Ayant remarqué la croissance de la foi, il demanda conseil auprès d'un ecclésiastique local sur l'attitude à avoir envers les baha'is. "Les combattre" dit l'ecclésiastique "est aussi méritoire que de prendre part au Jihad (guerre sainte), les tuer est louable aux yeux de Dieu et être tué est un privilège qui donne au musulman la récompense du martyr et l'entrée dans le plus haut paradis."

Ces paroles provoquèrent en 'Abdu'r-Rahim une forte envie de tuer quelques baha'is. Un jour, étant armé, il fit face à un vieux croyant nommé Haji Baba, et lui dit de façon très directe qu'il était venu prendre sa vie parce qu'il s'était écarté du chemin de la vérité et avait embrassé la Foi des baha'is.

Face à la menace de mort, Haji Baba montra un calme imperturbable et prononça de telles paroles et avec une telle tendresse que le coeur de 'Abdu'r-Rahim en fut touché. Rapidement son humeur changea. Au lieu d'être un ennemi avec l'intention de tuer, il voulut maintenant rechercher la vérité.

Haji Baba conduisit 'Abdu'r-Rahim chez la soeur de Mulla Husayn où les amis avaient souvent leurs réunions pour enseigner la Cause. Cette réunion avec 'Abdu'r-Rahim dura un jour et une nuit, et pendant tout le temps il fut très assidûment mêlé à la discussion. À la fin de cette réunion marathon, il reconnut la vérité de la Cause et fut empli d'un tel esprit nouveau de foi et d'enthousiasme qu'il ne pût rester plus longtemps dans sa ville natale. Sachant que la suprême Manifestation de Dieu se trouvait sur cette terre, il ne put résister à l'envie de partir et de le voir face à face. Il partit pour ce long voyage afin de se trouver en sa présence.

Pendant six mois, 'Abdu'r-Rahim voyagea à pied jusqu'à ce qu'il atteigne la demeure de son Bien-Aimé - la ville-prison d'Acre. Il arriva les premiers jours de l'incarcération de Baha'u'llah dans la prison, alors qu'aucun visiteur suspecté d'être baha'i n'avait l'autorisation de s'approcher des abords de la prison. Son arrivée coïncida avec la période où Nabil-i-A'zam essayait en vain d'apercevoir fugitivement son Seigneur. Nabil vidant son coeur sur 'Abdu'r-Rahim se lamenta sur son incapacité à réaliser son but. Mais 'Abdu'r-Rahim en rien découragé continua à essayer de faire le tour de la prison.

Avant d'entreprendre une mission aussi sacrée, il décida qu'il devait d'abord laver ses vêtements qui étaient sales, puisqu'il les avait portés tout au long du voyage. Il les lava dans la mer et attendit jusqu'à ce qu'ils sèchent. Mais, lorsqu'il les remit, les vêtements avaient rétréci et étaient déchirés, il avait l'air très vieux et d'apparence misérable.

Avec le plus total dévouement et le coeur débordant d'amour pour Baha'u'llah, 'Abdu'r-Rahim s'approcha de la prison et commença à en faire le tour. Puis à sa surprise, il remarqua une main qui de la fenêtre de la prison lui faisait signe d'entrer. Il savait que c'était la main de Baha'u'llah le convoquant en sa présence. Il courut vers la porte de la prison qui était gardée par des soldats. Mais les soldats semblaient être immobiles et sans vie ; ils semblaient ne pas le voir. Ils ne bougèrent même pas une paupière lorsqu'il traversa la porte.

Rapidement, 'Abdu'r-Rahim se trouva en présence de son Seigneur, submergé par l'émotion et emporté dans le monde de l'Esprit, communiant avec celui qui était l'objet de son adoration et de son amour. Baha'u'llah lui dit que, grâce aux mains du pouvoir et de la puissance, il avait momentanément fermé les yeux des gardes afin qu'en signe de sa bienveillance, il puisse parvenir en sa présence.

Le nombre de jours que 'Abdu'r-Rahim passa en prison n'est pas connu. Malgré tout, Baha'u'llah révéla pour lui une épître lors de son passage. Dans cette épître, il confirme qu'il avait fermé les yeux des gardes de sorte que 'Abdu'r-Rahim puisse arriver en sa présence et attester de la gloire de sa personnification. Il l'appelle par son nouveau nom Rahim (le compatissant), déverse ses bénédictions sur lui, et lui conseille vivement de raconter l'expérience de son pèlerinage aux amis à son retour chez lui.

Avant son départ, Baha'u'llah confia à 'Abdu'r-Rahim des tablettes à livrer à certains croyants en Perse. En chemin pour s'y rendre, il passa par Bagdad ; un jour des gardes le virent au bazar et devinrent suspicieux. Ils le suivirent avec l'intention de l'arrêter. Dès que 'Abdu'r-Rahim s'en rendit compte, il sortit de sa poche le paquet contenant les tablettes de Baha'u'llah et tout en marchant le jeta dans le magasin le plus proche de lui. Il fit cela si rapidement que les gardes ne le virent pas. Il avait pris cette décision car il savait que si les gardes avaient découvert les tablettes de Baha'u'llah, non seulement ils les auraient détruites ou confisquées, mais sa propre vie aurait aussi été en danger.

En jetant le paquet dans le magasin inconnu, il plaça toute sa confiance en Baha'u'llah, se tourna vers lui et pria ; il le supplia de protéger ces tablettes par son pouvoir qui englobe toutes choses. Ceci fait penser à l'histoire de la mère de Moïse qui plaça son bébé, dans un panier sur le fleuve, confiante que Dieu en prendrait soin et le guiderait vers de bonnes mains.

Les gardes arrêtèrent 'Abdu'r-Rahim et l'amenèrent en détention. Après quelques recherches sur son identité, les autorités furent convaincues qu'il était un homme de Dieu et une personne inoffensive. Ils le libérèrent et lui donnèrent une petite somme d'argent en compensation. En regardant l'argent placé dans le creux de sa main, 'Abdu'r-Rahim ne pouvait s'empêcher dans son coeur de se plaindre à Baha'u'llah disant: "Vous m'avez enlevé les plus précieuses de toutes les choses du monde - les tablettes - et à la place vous m'avez donné quelques sous ! Il retourna alors au bazar avec beaucoup d'appréhension pour voir ce qui était arrivé au paquet.

Tout d'abord il se promena plusieurs fois de haut en bas du bazar et de temps en temps s'arrêta près de l'échoppe, regardant à l'intérieur, mais rien ne se passait. Finalement, vers la fin de la journée, il alla de nouveau près de l'échoppe. Cette fois, il n'y avait pas de clients et il vit que le commerçant le regardait. Il rentra à l'intérieur. À sa grande surprise, le commerçant s'avança vers lui, l'embrassa chaleureusement, et lui souhaita la bienvenue avec la salutation baha'ie "Allah'u'Abha !" et lui tendit le paquet. C'était l'un des quelques baha'is vivant à Bagdad. Les deux hommes s'émerveillèrent du pouvoir de Dieu et considérèrent cet incident comme un miracle. Car, il y avait des centaines de magasins dans le bazar, mais ce jour fatal et au même moment où les gardes s'approchaient de lui, 'Abdu'r-Rahim, un total étranger, passa devant la seule boutique appartenant à un baha'i.

La joie et l'exultation de 'Abdu'r-Rahim en retrouvant les tablettes n'eut pas de limite. Il resta quelques jours chez l'ami baha'i, le commerçant. Grâce à lui, il rencontra quelques croyants à Bagdad puis repartit pour la Perse. Il visita différentes villes et remit les tablettes de Baha'u'llah à leurs propriétaires. À chacun des croyants, il raconta les histoires de son pèlerinage et parla de Baha'u'llah, de son pouvoir, de sa majesté et des confirmations intarissables qu'il lui avait octroyées pendant tout son voyage. Lorsque 'Abdu'r-Rahim arriva dans sa ville natale, il était comme une boule de feu allumée par la main de Baha'u'llah. Le rayonnement de son visage et la force de ses paroles étaient évidents pour tous. Sans la moindre frayeur, il commença, après son retour d'Acre, à enseigner la Foi, mais son action provoqua la colère du clergé et de la population fanatique qui se levèrent contre lui et le chassèrent de sa ville natale de Bushru'iyyih. Il se rendit alors dans une autre ville, Faran *.

*[nota: un nouveau nom donné par Baha'u'llah à la ville de Tun dans le Khurasan]

Quelques années plus tard, Baha'u'llah conféra un grand honneur à Mulla Sadiq-i-Khurasani, surnommé Ismullah'u'l-Asdaq (le nom de Dieu, le Plus Sincère) *, l'un des plus remarquables disciples du Bab et de Baha'u'llah, en l'invitant à aller à Acre pour être en sa présence. Mais comme il était très âgé, Baha'u'llah ordonna que pour son voyage à Acre Ismullah'u'l-Asdaq soit accompagné d'un homme de confiance. Les baha'is de Mashhad n'arrivaient pas à se mettre d'accord entre eux sur le nom de cette personne. Par conséquent, ils tirèrent au sort et le nom de 'Abdu'r-Rahim sortit. Ainsi, il reçut le privilège d'aller une deuxième fois en présence de Baha'u'llah. Et lorsqu'il arriva à Acre, Baha'u'llah confirma que par "un homme de confiance", il voulait vraiment dire 'Abdu'r-Rahim.

*[nota: voir 'Abdu'l-Baha, Mémorial, p.5-8 ; aussi Taherzadeh vol.1, p.92-3]

Dans cette vie, nous observons que chaque individu peut progresser de toute la mesure de sa capacité. Les bienfaits de Dieu atteignent toutes choses créées comme les rayons du soleil atteignent chaque objet. Mais un rocher non poli ne peut pas réfléchir cette lumière comme le ferait un miroir. De même l'homme doit acquérir une plus grande capacité spirituelle en nettoyant son coeur afin de pouvoir recevoir une plus grande portion des bienfaits de Dieu. Dans une tablette à Hadiy-i-Qazvini *; Baha'u'llah révèle ce principe fondamental de la création de Dieu:

*[nota: une des Lettres du Vivant - voir vol.2]

En vertu de sa faveur et de sa générosité, il a confié à toute chose créée un signe de son savoir, puisé à la source sublime, afin qu'aucune d'elles ne soit privée de sa part lorsqu'elles exprimeront ce savoir, chacune selon sa capacité et son rang. Ce signe est le miroir de sa beauté dans le monde de la création. Plus grand sera l'effort pour le purifier, plus ce noble et sublime miroir recevra la capacité de réfléchir fidèlement la gloire des noms et attributs de Dieu, et de révéler les merveilles de ses signes et de sa science. À chacune des choses créées, il sera donné - tant est grand ce pouvoir de réflexion - de révéler le potentiel de son état pré-ordonné, elles reconnaîtront leurs propres capacités et limites, et témoigneront de cette vérité: "En vérité, il est Dieu ; il n'est pas d'autre Dieu que lui." [..]

"Il n'est pas douteux qu'en conséquence des efforts consentis par chaque homme, et en raison de l'exercice de ses facultés spirituelles, ce miroir soit purifié de toutes souillures terrestres et de toute insinuation satanique, au point de pouvoir s'approcher des prairies de la sainteté et d'atteindre les cours de la fraternité éternelle." (Extraits des Écrits CXXIV,2)

Il y a de nombreuses tablettes de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha dans lesquelles ils déclarent que les réussites de l'homme dans la vie dépendent de sa capacité spirituelle et de sa perspicacité. Il a été rapporté que dans l'une de ses causeries à Acre, 'Abdu'l-Baha a dit:

Le pèlerinage devrait être accompli dans un état de totale humilité et dévotion. Sinon, ce n'est pas un véritable pèlerinage, c'est une forme de tourisme...

Beaucoup de gens avaient l'habitude d'aller et venir en présence de Baha'u'llah. Ils voyaient son caractère vertueux, son sourire béni, son attirance magnétique, et ses infinis bienfaits, pourtant ils n'étaient pas touchés par lui. D'autres furent instantanément transformés en se trouvant en sa présence.

Jamal-i-Burujirdi (voir vol.2) alla en la présence de Baha'u'llah à Andrinople. Il y avait avec lui deux hommes de Burujirdi. L'un d'eux se nommait Mirza 'Abdu'r-Rahim *. Il fut tellement influencé par la personne magnétique de Baha'u'llah qu'il en fut complètement transformé. La Beauté Bénie déclara que cet homme en dix minutes avait fait un pas entre ce monde mortel et qu'il l'avait mis dans les royaumes d'éternité.

*[nota: ce n'est pas le même homme dont nous venons de raconter plus haut l'histoire]

Il est par conséquent nécessaire d'acquérir une réceptivité spirituelle. Une oreille sourde n'appréciera pas la mélodie d'une belle chanson, et un nez malade sera insensible au parfum de la rose. Le soleil brille, la brise flotte, et la pluie tombe, mais rien ne pousse là où la terre est un marécage salé, sauf les mauvaises herbes.

Lorsque Baha'u'llah était à Bagdad sur ordre du Gouverneur, quelques-uns des chefs de la tribu de Jaf, qui avaient été ses admirateurs à l'époque de Sulaymaniyyih, s'y étaient rendus. Une fois sur place, ils se rendaient à la maison de Baha'u'llah, demandaient la permission et allaient en sa présence dans la plus totale humilité et courtoisie. Parmi eux il y avait un kurde qui était sincèrement attiré par la Beauté Bénie. Il me dit qu'il désirait rencontrer Shaykh Muhammad (i.e. Baha'u'llah) encore une fois et voir son visage. Je me rendis compte qu'il était ravi par Baha'u'llah. Ne voulant pas le faire attendre, je l'envoyai directement à sa chambre bénie. Baha'u'llah le reçut avec une affectueuse bonté et lui permit de s'asseoir à côté des chefs de la tribu. Cependant, si tous les bienfaits de Dieu descendent sur une personne qui n'a ni la perspicacité ni la capacité, il n'y aura, quoi qu'il arrive, aucun résultat. À l'époque de Bagdad, il y avait un homme qui s'appelait Muhammad-Rida qui avait l'habitude d'aller chaque jour en présence de Baha'u'llah, le matin et le soir... Lorsque les jours de Bagdad arrivèrent à leur fin, il dit fièrement: "Pendant dix ans, j'ai été associé à ces gens et ils n'ont pas pu m'influencer !" *

*[nota: n°3 - 27 octobre 1914, rapporté par Mu'ayyad, Khatirat-i-Habib]

- Citoyens d'Acre:

Shaykh Mahmud-i-Arrabi, natif d'Acre, est un exemple de ceux qui avait la perspicacité spirituelle de reconnaître le rang de Baha'u'llah sans être enseignés ni abordés par les baha'is. Shaykh Mahmud était l'un des chefs religieux d'Acre lorsque Baha'u'llah fut exilé dans cette cité. Il était né d'une famille de dévots musulmans. Lorsqu'il eut une dizaine d'années, un vieux Shaykh, un homme religieux révéré par le père de Mahmud, eut une vision de la venue d'une Personne, le "Promis" d'Acre. Il l'annonça à Mahmud en présence de son père et lui dit que son père et lui-même étaient des personnes âgées et ne vivraient pas pour voir ce jour. Mais il assura Mahmud qu'il serait alors un adulte et lui ordonna de bien faire attention à la venue du Seigneur. Il indiqua même à Mahmud, qu'il parlerait dans la langue persane et résiderait dans la chambre supérieure en haut d'une longue volée d'escaliers.

Quelques années passèrent et le jeune garçon grandit et devint un homme fort, érudit et pieux, très respecté par la communauté et connu sous le nom de Shaykh Mahmud. Mais il pensait rarement à la vision et lorsque Baha'u'llah arriva à Acre, il ne lui vint même pas à l'idée qu'il pouvait être celui prédit par le vieux Shaykh. Au contraire, il était profondément mécontent de l'action du gouvernement d'avoir envoyé Baha'u'llah à Acre, que les autorités avaient décrit comme un mauvais homme et le "Dieu des Persans". Pendant quelque temps, il fut dans un état d'agitation, voulant faire quelque chose pour débarrasser la cité d'un tel personnage. Nous devons nous souvenir que peu de temps après l'emprisonnement de Baha'u'llah dans la prison, les autorités pénitentiaires avaient relâché quelques-unes des restrictions qui tout d'abord avaient été imposées et strictement obéies. Par exemple, elles étaient d'avis de laisser un petit groupe de prisonniers baha'is aller régulièrement en ville pour faire leurs courses. Parfois, 'Abdu'l-Baha sortait avec eux et c'est ainsi que les gens d'Acre entrèrent en contact avec sa personnalité magnétique et commencèrent à devenir moins inflexibles envers la compagnie d'exilés.

Shaykh Mahmud fut très perturbé de voir 'Abdu'l-Baha un jour dans la mosquée. Il a été dit qu'il avait attrapé 'Abdu'l-Baha par la main et s'était exclamé, "Êtes-vous le fils de Dieu ?" Le Maître avec son charme caractéristique fit remarqué que c'était lui qui l'avait dit et non 'Abdu'l-Baha. Il lui rappela alors l'injonction de l'islam telle qu'elle est dite dans l'une des traditions: "Sois charitable envers ton invité même si c'est un infidèle."

L'impact de ces mots et la personnalité affectueuse du Maître affectèrent Shaykh Mahmud et il changea son attitude d'agressivité envers lui. Mais étant un chef religieux, il ne pouvait rester indifférent à la présence du groupe d'exilés qu'il considérait comme impies. Par conséquent, il décida lui-même de mettre fin à tout ça. Un jour, il cacha une arme sous sa cape et se dirigea tout droit vers la prison dans l'intention d'assassiner Baha'u'llah. Il informa les gardes à la porte de la prison, qu'il désirait voir Baha'u'llah. Comme il était à Acre, une personnalité influente, les gardes obtempérèrent à sa demande et allèrent informer Baha'u'llah de l'identité du visiteur. Il fut rapporté que Baha'u'llah avait dit: "Dites-lui de jeter son arme, il pourra alors rentrer" *. Entendant cela, Shaykh Mahmud fut complètement stupéfié, car il était certain que personne n'avait vu l'arme sous sa cape. Il retourna chez lui dans un état de totale confusion, mais son esprit agité ne pouvait pas se reposer. Il resta dans cet état pendant quelque temps jusqu'à ce qu'il décidât à nouveau d'aller dans la prison, mais cette fois-ci sans arme. Étant un homme fort, il savait qu'il pouvait prendre la vie de Baha'u'llah par la simple force de ses mains.

*[nota: ce ne sont pas les paroles exactes de Baha'u'llah, mais elles transmettent le message qu'il aurait donné d'après ce qui a été rapporté]

Il alla donc encore une fois à la porte de la prison et fit la même demande pour rendre visite à Baha'u'llah. Il a été rapporté que lorsque Baha'u'llah fut informé du désir de Shaykh Mahmud de le rencontrer, il aurait dit: "Dites lui d'abord de purifier son coeur et puis il pourra venir" *. Perplexe et confus à ces paroles, Shaykh Mahmud n'arriva pas à se convaincre de rendre visite à Baha'u'llah ce jour là. Plus tard, il eut un rêve dans lequel son père et le vieux Shaykh lui apparurent et lui remémorèrent leur vision concernant la venue du Seigneur. Après ce rêve, Shaykh Mahmud se rendit à nouveau à la prison et alla en présence de 'Abdu'l-Baha. Les paroles du Maître pénétrèrent son coeur et il fut conduit en présence de Baha'u'llah. La majesté et la gloire de son visage éblouirent le Shaykh et il fut témoin de l'accomplissement de la prophétie de la venue du seigneur à Acre. Il se prosterna à ses pieds et devint un ardent croyant.

*[nota: dans les anciens jours, il n'y avait pas de lumière publique et il était par conséquent nécessaire la nuit de porter une lanterne. Les gens importants avaient toujours des serviteurs pour leur rendre ce service]

Après avoir reconnu le rang de Baha'u'llah, il se leva pour le servir ainsi que sa Cause. Il joua un rôle important pour aider les croyants à entrer dans la cité et à les nourrir jusqu'à ce qu'ils puissent aller en présence de Baha'u'llah. À certaines occasions, il ordonna même que les cordages soient abaissés pour que les visiteurs baha'is puissent être hissés sur les murs qui entouraient la cité. Une autre méthode qu'il employait parfois, était de quitter la cité et d'y retourner la nuit accompagné de l'un des croyants qui se faisait passer pour un serviteur, portant une lanterne devant son maître. Après que le croyant soit allé en présence de Baha'u'llah, Shaykh Mahmud lui permettait de sortir de la ville de la même façon qu'il y était entré. Le Maître aimait beaucoup Shaykh Mahmud qui jusqu'à la fin de sa vie servit la Cause avec un grand dévouement. Il fit une compilation des traditions islamiques se rapportant à Acre et à son glorieux futur.

Bien connu parmi ceux que Shaykh Mahmud aidait à entrer à Acre, il y avait Mirza Hasan-i-Mazindarani qui fut amené à la cité par la porte de la mer. Tout d'abord il demeura dans la maison du Shaykh et plus tard trouva le moyen de pénétrer dans la prison où il resta près de six mois avant de retourner en Perse. Mirza Hasan était un cousin de Baha'u'llah et un croyant dévoué. Son père, Mulla Zaynu'l-'Abidin était l'oncle paternel de Baha'u'llah. Il faisait partie des parents de Baha'u'llah qui avait été convertis à la foi babie par Baha'u'llah lui-même, aux premiers temps du ministère du Bab. Il avait reconnu le rang de Baha'u'llah et lui était très dévoué. Ce fut cet oncle qui l'avait accompagné à Amul * et lorsqu'il dut subir la bastonnade, se jeta aux pieds de Baha'u'llah comme un bouclier. Par la suite il fut tellement battu qu'il s'évanouit.

*[nota: voir Nabil-i-A'zam, La chronique de Nabil]

Mirza Hasan que Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha aimaient tellement, fit de nombreux voyages vers Acre et à chaque fois il emportait de nombreuses tablettes pour les croyants vivant dans les villes du nord de la Perse. Nous avons déjà décrit dans un précédent volume, les soixante-dix tablettes qu'il portait lors de son dernier voyage et les circonstances qui menèrent à leur disparition (voir vol.1).

Ahmad-i-Jarrah, officier dans l'armée turque et résident à Acre est une autre personne, qui de façon autonome reconnut le rang de Baha'u'llah. Il fut témoin de la majesté de Baha'u'llah dans la prison, mais c'est seulement quelques années plus tard, lorsque Baha'u'llah (qui habitait alors dans la maison de 'Abbud) fut amené dans la maison du gouverneur et y resta en détention pendant trois jours que son coeur fut touché. Comme nous le verrons plus tard. Ce traitement humiliant résultait du meurtre de trois Azalis à Acre. Ahmad-i-Jarrah était l'un des officiers présents pour l'accusation et ce fut alors que la majesté et la gloire de Baha'u'llah firent une grande impression sur son âme. Les paroles puissantes et imposantes qu'il prononça à cette occasion permirent à Jarrah de se rendre compte que le prisonnier dont il avait la garde n'était pas un homme ordinaire mais un homme doté de l'autorité divine. Après avoir lu quelques Écrits et être devenu complètement conscient du rang de Baha'u'llah, il rejoignit les rangs des croyants.

Amin Effendi, le frère de Jarrah et le chef de la municipalité d'Acre, reconnut aussi la Foi et devint croyant. Un incident intéressant se passa qui confirma leur foi. Un jour, Amin et Ahmad demandèrent la permission d'aller en présence de Baha'u'llah. La permission fut accordée et ils y allèrent. Ils voulaient tout spécialement se plaindre et chercher un avis concernant un certain officier supérieur nommé Aqasi qui était leur ennemi féroce. Avant qu'ils puissent dire un mot, Baha'u'llah se tourna vers eux et dit: "Loué soit Dieu qui vous a sauvé des mauvaises actions de Aqasi ! * Les deux frères furent surpris d'entendre cela. À peine deux jours plus tard, l'officier fut renvoyé sur ordre du sultan. Le troisième frère d'Ahmad se nommait Khalid. C'était un médecin, il alla en présence de Baha'u'llah et fut attiré par lui et sa Cause. Il montra beaucoup d'affection aux croyants et les soignait lorsqu'ils étaient malades.

*[nota: ce ne sont pas les paroles exactes de Baha'u'llah, mais elles transmettent le message qu'il aurait donné d'après ce qui a été rapporté]

Il y eut d'autres habitants d'Acre qui embrassèrent la Cause ou devinrent des admirateurs de Baha'u'llah et des sympathisants. Husayn-i-Ashchi a raconté dans ses mémoires l'histoire de ces hommes. Ce qui suit est un résumé de ses souvenirs:

Après avoir reconnu le rang de Baha'u'llah, Shaykh Mahmud alla voir un certain Salih Effendi avec qui il était très ami. Il lui rappela que lorsqu'ils étaient enfants, ils avaient été tous deux présents lorsque le vieux Shaykh, le chef religieux du père de Shaykh Mahmud, avait prophétisé la venue du Seigneur à Acre, et avait dit qu'ils devaient tous deux le chercher. Shaykh Mahmud transmis à son ami la bonne nouvelle que la prophétie du Shaykh avait été accomplie et qu'il avait été mené vers le Seigneur à Acre et était allé en sa présence. Il invita donc son ami à suivre son exemple.

Mais Salih Effendi, bien qu'il reconnût la validité du rang de Baha'u'llah, n'embrassa pas la Foi car il entretenait une vie qui n'était pas digne du rang exalté de Baha'u'llah, et ses actions n'étaient pas en conformité avec ses enseignements. Mais il exprima toujours son affection pour les croyants et il ne fit jamais de mal à la Foi de quelque façon que ce fut. Quelques années plus tard il tomba malade de tuberculose, qui à cette époque était une maladie incurable, et 'Abdu'l-Baha lui fournit régulièrement de l'aide médicale jusqu'à la fin de sa vie.

Une autre personne de renom était Shaykh 'Aliy-i-Miri, le mufti d'Acre. C'était en quelque sorte un homme fanatique. Mais plus tard, il changea à la suite de sa relation avec 'Abdu'l-Baha. Car il découvrit que sa propre connaissance et son savoir étaient, une goutte, comparés à l'océan de la connaissance innée de 'Abdu'l-Baha. Il montra donc des signes d'humilité et petit à petit devint amical.

Un jour, il transmit à 'Abdu'l-Baha son désir de rencontrer Baha'u'llah car il avait quelques questions et désirait être éclairé. Mais à cette époque, Baha'u'llah n'accordait pas d'entrevue aux gens, principalement parce qu'il ne désirait pas agir contre les ordres du gouvernement.

Cependant, à cause du plaidoyer de 'Abdu'l-Baha, Baha'u'llah lui donna la permission et le mufti d'Acre alla en sa présence dans la prison. On lui montra un siège tandis que 'Abdu'l-Baha se tenait près de la porte. La cuisine dans laquelle je travaillais se trouvait à l'opposé de la chambre de Baha'u'llah. Je pouvais le voir et l'entendre. Le mufti posa quelques questions et la Langue de grandeur commença à parler. À un moment, alors que Baha'u'llah continuait toujours à parler, le mufti voulut dire quelque chose. 'Abdu'l-Baha lui fit un signe énergique et impérieux de la main signifiant qu'il ne devait surtout pas interrompre les paroles de Baha'u'llah. Il obtempéra, mais sa fierté fut blessée.

Lorsque l'entrevue fut terminée, il partit, 'Abdu'l-Baha l'accompagna jusqu'à la porte de la prison, mais il était vexé à cause de l'incident, car il était très respecté par les habitants de la ville et tout en marchant dans le bazar, les gens lui montraient leur respect et lui embrassaient les mains. À ce moment, il n'était pas conscient de la vérité de la Cause et de la grandeur de son Auteur, par conséquent il n'était pas content de la façon dont 'Abdu'l-Baha lui avait imposé le silence. Mais il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour se rendre compte qu'il était comme le néant absolu devant 'Abdu'l-Baha. Le mufti avait l'habitude de rendre visite au Maître et de profiter de sa connaissance et de sa sagesse. Il changea donc d'attitude. Dans les rues et les bazars, chaque fois qu'il accompagnait 'Abdu'l-Baha il marchait toujours quelques pas derrière lui et personne ne le vit jamais marcher devant *. Lorsque Baha'u'llah fut transféré à l'extérieur de la prison, il venait régulièrement dans l'appartement extérieur de la maison - une pièce réservée aux visiteurs - et s'asseyait aux pieds du Maître. Diligemment, il exécutait tous les services qu'il lui demandait.

*[nota: en Orient, c'est considéré comme un manque de respect de marcher devant une personne éminente lorsqu'on l'accompagne]

Au fur et à mesure que le temps passait, le dévouement du mufti d'Acre envers Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha augmentait. Il devint tellement attiré qu'une fois, il laissa entendre à 'Abdu'l-Baha que chaque fois qu'il se levait pour prier, le visage majestueux de Baha'u'llah lui apparaissait. 'Abdu'l-Baha déversait toujours ses faveurs sur le mufti, comme sur d'autres personnes importantes du pays. Il est correct de dire que le temps vint où le gouvernement d'Acre était axé sur la personne de 'Abdu'l-Baha. Chaque fonctionnaire désirait recevoir ses bénédictions et ses faveurs. Et grâce à ses qualités et à son prestige, la condition des croyants passa de l'abaissement aux honneurs.

Une autre personne d'Acre qui devint croyant fut 'Uthman Effendi. Lorsque les exilés vivaient dans la prison, il avait une épicerie en ville. Il avait l'habitude d'approvisionner quotidiennement Baha'u'llah et d'être payé sur une base mensuelle. Il fut attiré vers la Cause par les bonnes actions et les honnêtes relations commerciales des croyants. Il embrassa la Foi et alla en présence de Baha'u'llah qui lui promit qu'il deviendrait un homme riche et influent. Bientôt 'Uthman Effendi acquit des richesses considérables. Il possédait la moitié du village de Kasra qui est l'un des villages druzes. Il devint aussi un homme d'une influence considérable très respecté dans les cercles gouvernementaux d'Acre.



CHAPITRE 4: Les mandataires de Baha'u'llah

Parmi tous ceux qui se trouvèrent en présence de Baha'u'llah, les deux premières personnes à lui rendre visite lorsqu'il était dans la caserne furent Haji Shah-Muhammad-i-Manshadi, surnommé Aminu'l-Bayan (fidèle au Bayan) et Haji Abu'l-Hasan-i-Ardikani surnommé Amin-i-Ilahi (fidèle à Dieu). Le premier fut le premier mandataire * de Baha'u'llah, et le dernier fut nommé au même poste après la mort de Haji Shah-Muhammad en 1298 AH (1881). Les deux hommes étaient originaires de la province de Yazd.

*[nota: personne qui agit de la part de Baha'u'llah sur des sujets ayant traits à l'Huquq'u'llah (le Droit de Dieu), qui est prescrit dans le Kitab-i-Aqdas. Cette ordonnance de Baha'u'llah concerne ceux dont les biens atteignent une certaine valeur. Pour plus d'explication, voir Synopsis]

Haji Shah-Muhammad embrassa la Cause au début de la Foi et devint un ardent croyant. C'est à Bagdad qu'il se trouva en présence de Baha'u'llah pour la première fois. Après quoi, il devint une nouvelle création enflammée de l'amour de Baha'u'llah, un amour qui le soutint pendant toute sa vie et lui permit de rendre de remarquables services à sa cause.

Il possédait dans son village natal de Manshad quelques terres arables, mais elles ne produisaient pas assez pour qu'il puisse en vivre, il s'investit alors dans le bétail. Il achetait du bétail dans la province du Fars et le vendait à Yazd. Mais il abandonna ce travail après avoir embrassé la Foi. Il partagea une partie de ses terres entre ses quatre filles, vendit le reste et fidèle aux injonctions spécifiques du Bab * à ses disciples, d'offrir les cadeaux sans prix qu'ils possédaient à Celui-que-Dieu-rendra-manifeste, présenta le produit de la vente à Baha'u'llah qu'il avait reconnu comme Celui-que-Dieu-rendra-manifeste **.

*[nota: Baha'u'llah abrogea cette injonction et déchargea les croyants de son obligation]
**[nota: pour plus d'information sur Celui-que-Dieu-rendra-manifeste voir vol.1, ch.18]

Cette action soufflée par la pureté du coeur et l'intensité de son dévouement pour la Foi, suscita le bon plaisir de Baha'u'llah qui, en acceptant le cadeau, le lui rendit en lui conférant le titre de "Amin" (Celui qui est de confiance) et le nomma son mandataire. Ainsi, grâce à lui, les croyants eurent la possibilité d'accomplir leur obligation spirituelle du Huquq'u'llah.

De Perse, Haji Shah-Muhammad avait l'habitude de voyager fréquemment pour aller en présence de Baha'u'llah et recevoir ses instructions. Puis, il repartait et à son retour les exécutait.

Les années s'écoulèrent et il trouva en Haji Abu'l-Hasan-i-Ardikani (Amin-i-Ilahi) un co-travailleur zélé et dévoué. Et comme il devenait vieux, il prit donc avec lui Haji Abu'l-Hasan-i-Ardikani comme assistant dans ses voyages.

Ce fut peu de temps après l'arrivée de Baha'u'llah dans la Plus-Grande-Prison, et quand les autorités avaient refusé à Nabil-i-A'zam l'entrée d'Acre, que Haji Shah-Muhammad accompagné de Haji Abu'l-Hasan pénétrèrent dans la cité. En chemin, ils avaient acheté deux chameaux et s'étaient déguisés en arabes essayant de vendre leur marchandise qui était portée par les chameaux. C'était chose habituelle à l'époque. Ils ne furent pas suspectés d'être des disciples de Baha'u'llah et furent admis dans la ville.

Ils réussirent à envoyer un message à Baha'u'llah l'informant de leur arrivée et exprimant leur enthousiasme à aller en sa présence. Baha'u'llah les autorisa à le rencontrer aux bains publics *. Mais on leur conseilla de ne montrer aucun signe de reconnaissance. Le jour venu, les deux hommes entrèrent dans le bâtiment. Mais à peine Haji Abu'l-Hasan vit-il la majestueuse silhouette de Baha'u'llah qu'il fut pris d'une émotion telle que son corps se mit à trembler, il trébucha et tomba par terre. Le sol étant fait de pierres, le coup porta très fort à la tête et il dut être transporté à l'extérieur le sang lui coulant du visage et du corps.

*[nota: comme en ces temps, il n'y avait pas de bains dans les maisons ; presque tout le monde devait aller aux bains publics. Ils étaient semblables à ce qu'en Occident on nomme bains turcs - chaud avec une atmosphère humide. Les gens étaient partiellement recouverts d'une serviette en coton car la nudité était considérée immorale. Ils y passaient souvent de nombreuses heures à se laver et à se relaxer. Certains jours de la semaine étaient alloués aux hommes et d'autres jours aux femmes. Une réunion de personnes en ce lieu créait une certaine atmosphère et il était possible d'y rencontrer ses amis et connaissances]

Les deux Amin restèrent quelque temps à Acre. Haji Shah-Muhammad y était lorsque Aqa Buzurg, nommé Badi, arriva à Acre et comme nous le verrons par la suite, tous deux se rencontrèrent sur le Mont Carmel ainsi que l'avait ordonné Baha'u'llah.

Comme mandataire de Baha'u'llah, Haji Shah-Muhammad rendit de remarquables services à la Foi. Une des missions les plus importantes que lui confia Baha'u'llah fut le transfert du cercueil contenant les restes du Bab lorsque, après avoir été caché pendant de nombreuses années à la multitude des croyants, ses déplacements en Perse devinrent de notoriété publique. Les dangers d'une telle situation étaient apparents, car les ennemis de la Foi, informés de l'endroit où se trouvait le cercueil, auraient pu attaquer et le détruire. Ce déplacement des restes du Bab d'un endroit à l'autre, couvrant une période d'au moins cinquante années lunaires, et finalement les déposer pour reposer sur le mont Carmel est une histoire émouvante et pleine de rebondissements *.

*[nota: voir annexe 1]

En 1298 AH (1881) Haji Shah-Muhammad fut pris et mortellement blessé lors d'un massacre par les kurdes des gens de Miyanduab. Son assistant Haji Abu'l-Hasan, qui comme à son habitude l'accompagnait, reçut une balle dans la jambe mais put s'enfuir. Ce fut après cet événement que Baha'u'llah nomma Haji Abu'l-Hasan mandataire et lui conféra le titre de Amin (le fidèle), à la place de Haji ShahMuhammad, Aminu'l-Bayan.

'Abdu'l-Baha a écrit l'eulogie suivante sur Haji Shah-Muhammad:

Amin, Shah-Muhammad, reçut le titre de mandataire et les générosités se déversèrent sur lui. Rempli d'empressement et d'amour, prenant avec lui les tablettes de Baha'u'llah, il se hâta de retourner en Perse où, digne de confiance, il travailla sans arrêt pour la Cause. Ses services furent remarquables et il était une consolation pour les coeurs des croyants. Il était incomparable en termes d'énergie, d'enthousiasme et de zèle, et aucun homme ne pouvait l'égaler dans le service. Pour les gens, il était un refuge, connu par tous pour sa dévotion au Seuil sacré, largement acclamé par les amis. (N°1, Mémorial des fidèles p.53)

Nous avons déjà expliqué que Haji Shah Muhammad et Haji Abu'l-Hasan avaient été les premiers croyants à réussir à pénétrer dans Acre et à arriver dans la grande Prison en la présence de Baha'u'llah. Haji Abu'l-Hasan - ou Haji Amin, comme il est généralement appelé - est l'un des Apôtres de Baha'u'llah dont la vie d'abnégation et de dévouement total à la Cause, a laissé un brillant exemple à suivre par la postérité. Dans sa jeunesse, il était un musulman fervent. Ses parents arrangèrent son mariage avec la fille d'un marchand de sa ville natale de Ardikan, Yazd. Le marchand, qui avait six fils et une fille, insista pour que Haji Amin, vive dans la maison de la mariée afin qu'elle ne soit pas trop éloignée de ses parents au lieu d'habiter dans la maison de son propre père ainsi que le voulait la coutume. Les parents de Haji Amin acceptèrent cette requête et il élut domicile chez son beau-père.

Suite à cela, Haji Amin découvrit bien vite que ses beaux-frères étaient tous babis. Comme lui, sa femme était une musulmane dévouée et n'était pas consciente de la foi de ses frères. Après de longues discussions lors de réunions avec les babis, Haji s'éveilla à la vérité de la Cause du Bab et embrassa la Foi. Il enseigna ensuite sa femme qui devint aussi croyante.

Quelque temps plus tard, il reconnut le rang de Baha'u'llah et ceci apporta une grande transformation dans sa vie, une vie totalement consacrée à Baha'u'llah. La transformation de son esprit était si totale qu'il est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, d'essayer de sonder la profondeur de son dévouement à son Seigneur, ou de donner en paroles une appréciation adéquate de ses services remarquables et désintéressés à la Cause qu'il aimait tant.

Il ne fait pas de doute que de se trouver en présence de Baha'u'llah dans les bains publics et dans des circonstances aussi dramatiques que celles décrites plus haut, a laissé sur son âme une impression inaltérable, et a libéré les forces nécessaires pour le façonnage de l'un des plus grands géants spirituels de cette Foi. Son dévouement à Baha'u'llah ne connaissait pas de limite et à cause de cela il était véritablement détaché de ce monde. La flamme de l'amour pour Baha'u'llah, qui brûlait si intensément dans son coeur, illuminait les âmes des croyants et brûlait les voiles de l'aveuglement couvrant le visage de ses ennemis.

Il voyagea extensivement à travers la Perse, alla dans les maisons de pratiquement tous les baha'is et déversa tellement d'amour et d'encouragement sur eux que tous chérissaient sa compagnie. Dans leur maison, il était chaleureusement accepté comme un véritable père ou frère, c'était véritablement quelqu'un qui s'intéressait sincèrement au bien-être et au développement spirituel de tous. Sachant qu'il était l'ami intime et affectueux de chacun, les parents (qui à cette époque avaient l'habitude d'arranger les mariages) se tournaient souvent vers lui pour leur suggérer un partenaire approprié pour leurs fils ou leurs filles.

Le détachement des choses matérielles et le sacrifice total de soi dans le service à Baha'u'llah étaient parmi les plus grandes qualités de Haji Amin. Depuis le moment où il s'était levé pour servir la Cause comme assistant et confident de Haji Shah-Muhammad, et par la suite en tant que mandataire, Haji Amin donna tout ce qu'il possédait à la Cause. Il ne garda pas un sou pour lui ; il faisait aussi tous les efforts possibles pour faire savoir aux croyants, en parole et en action, que la réalisation la plus méritoire de l'homme dans la vie est d'offrir tout ce qu'il possède - son temps, son travail, sa substance et même sa vie - dans le chemin de Dieu. Les Écrits sacrés confirment pleinement qu'il n'y a pas de concept de vie plus élevé que celui-là.

Dieu a créé dans l'homme, deux forces opposées, l'animale et la spirituelle. La nature animale l'incline vers le monde matériel ; l'ego, la passion et l'attachement aux choses terrestres sont les caractéristiques de la nature animale. Pour contenir ces puissantes forces, l'individu doit développer et consolider ses qualités spirituelles afin qu'elles puissent dominer son inclination animale. Il y a dans l'homme une bataille constante entre ces deux forces. S'il est laissé à la nature, il est inévitable que le côté matériel dominera.

C'est parce que les caractéristiques animales font partie de sa nature qu'elles le mèneront vers le monde matériel s'il ne fait pas le moindre effort. Lorsque ceci arrive, l'homme peut se conduire d'une façon pire que celle de l'animal.

Mais la nature ne contrôle pas le développement des qualités spirituelles. Bien que l'âme aspire aux choses spirituelles, acquérir des qualités spirituelles dépend de l'effort. C'est dans ce domaine que l'homme a reçu le libre arbitre. Ceci est très semblable à l'oiseau qui en vol doit se servir de ses ailes pour contrebalancer la force de gravité. S'il n'y arrive pas, il sera instantanément attiré vers le sol par la force d'attraction.

La soumission de la nature animale par l'ascendance des pouvoirs spirituels latents dans l'homme est l'essence du détachement dont parle Baha'u'llah dans de nombreuses tablettes. Nous avons déjà discuté de ce thème dans de précédents volumes et expliqué que détachement ne signifie pas pauvreté ou vivre la vie d'un mendiant ou d'un ascète. Être détaché de ses propres intérêts personnels ou des affaires du monde est contraire aux enseignements de Baha'u'llah. Il est vrai que quelqu'un pourrait posséder les biens de ce monde et ses richesses et pourtant rester détaché. *

*[nota: pour plus d'explication sur ce point, voir vol.1 et 2 "détachement"]

L'homme sera détaché des biens de ce monde, dans la mesure où il pourra dominer sa nature la plus basse. Non seulement il doit faire tout son possible pour acquérir des qualités spirituelles, mais aussi en maîtrisant tous les nombreux aspects de son moi, il doit se préparer à traverser les douleurs, les souffrances et les épreuves. Ceci est normal, car il y a toujours une réaction lorsqu'une force est supprimée. Les inclinaisons matérielles de l'homme, lorsqu'elles sont modelées par les dictats de son être spirituel, subiront une certaine forme de privation et de sacrifice. Par exemple, on peut sacrifier son confort et ses moyens matériels pour pouvoir aider les pauvres et les nécessiteux. Ce faisant, on est spirituellement récompensé, mais pour cela, on doit abandonner quelque chose d'une valeur matérielle.

Ce sacrifice, s'il est fait dans le chemin de Dieu et pour son amour, est des plus méritoire. Il permet à l'âme de se détacher du monde matériel, et donc la rapproche de Dieu. Ceci est l'un des fruits du sacrifice.

Ce fut la réalisation de ce principe important qui mena Haji Amin à offrir tout ce qu'il possédait à la cause de Dieu. Grâce à l'influence des Paroles de Dieu révélées par Baha'u'llah et l'exemple donné par Haji Amin, les croyants versèrent volontairement leurs avoirs pour la promotion de la Cause. Étant le mandataire de Baha'u'llah, il recevait les contributions des amis. Quoique généralement il exhortât les amis à se sacrifier, il ne sollicitait jamais leur don aux fonds car une telle sollicitation est interdite dans la Foi.

Donner au fonds baha'i est un acte de dévotion à Dieu. Il est volontaire et motivé par le désir de l'individu de sacrifier quelque chose de ce monde matériel et de le dépenser dans le chemin de Dieu.

L'homme naît nu et lorsqu'il est mort, il est aussi nu. Il n'emporte rien avec lui de ce monde, et lorsqu'il meurt, il ne peut rien amener de physique avec lui dans l'autre monde. Mais tout ce qu'il a pu donner sur cette terre à la cause de Dieu, son temps, son travail, ses ressources, ainsi que ses services à ses semblables, cela il peut l'amener avec lui dans les royaumes spirituels. C'est une façon de transformer dans les royaumes spirituels de Dieu quelque chose qui appartient au monde de la matière.

Le motif de la contribution des croyants au Huququ'llah comme au Fonds baha'i, que ce soit à l'époque de Baha'u'llah ou à n'importe quel autre moment, a été et sera toujours fait par amour de Baha'u'llah et de sa Cause. C'est la force de l'amour que l'individu lui porte qui dote l'offrande, aussi petite soit-elle, d'une puissance céleste par laquelle la cause de Dieu peut être promulguée. C'est pour cela que le privilège de donner au fonds baha'i est octroyé exclusivement aux croyants. Car la promotion de la cause de Dieu, que ce soit par l'enseignement ou la contribution aux fonds baha'is, dépend du dévouement que l'on porte à Baha'u'llah et de l'exécution de pures actions par les croyants. Ces deux facteurs apportent la victoire à la Cause.

Au temps de Baha'u'llah, la majorité des croyants en Perse était très pauvre, certains mêmes indigents. Ils pouvaient grâce à des sacrifices, mettre de côté de petites sommes d'argent et lorsque Haji Amin leur rendait visite, ils étaient capables de les offrir pour la cause de Dieu. Qu'il n'y ait pas de malentendu, sous la supervision de Baha'u'llah, les fonds étaient dépensés pour la promotion de la Cause, et parfois, pas grand-chose, pour ses propres dépenses ou celles de ses compagnons. L'histoire de la vie de Baha'u'llah témoigne largement de cet état de chose. Car durant les quarante années de son ministère, il vécut la plupart du temps dans la pauvreté la plus totale. Il y avait des jours où il ne pouvait même pas avoir un simple pain et les vêtements qu'il portait étaient les seuls qu'il possédait. Quoique relativement plus confortables, les derniers jours de sa vie terrestre furent néanmoins grandement influencés par l'austérité qui avait caractérisé sa vie depuis les jours du Siyah-Chal à Téhéran, lorsque toutes ses possessions lui furent confisquées et qu'ils furent, lui et sa famille, privés de tous moyens de subsistance. (voir vol.1)

Le désir des richesses est inexistant chez une Manifestation de Dieu. Il dépend d'un royaume qui est indépendant de toute création. Et il est détaché de toutes choses terrestres. Baha'u'llah a expliqué dans de nombreuses tablettes que ce monde mortel n'est qu'une poignée de poussière et comme pur néant à ses yeux. Par exemple, dans sa deuxième tablette à Napoléon III, Baha'u'llah met en garde le monarque contre son attachement à ce monde et explique combien ce monde est dérisoire. Voici ses paroles, proclamées avec autorité et puissance:

Celui pour lequel fut créé le monde est emprisonné dans la plus désolée des cités (Acre) à cause de ce qu'ont forgé les mains des égarés. De l'horizon de cette ville-prison, il appelle les hommes à l'Aurore de Dieu, le Suprême, le Très-Haut. Te félicites-tu des trésors en ta possession, tout en sachant qu'ils périront ? Te réjouis-tu de régner sur un arpent de terre alors que le monde entier, pour les gens de Baha, n'a pas plus de valeur que la noire prunelle d'une fourmi morte ? Abandonne-le à ceux qui chérissent et tourne-toi vers celui qui est le désir de l'univers. (n°2, Appel du Seigneur des armées)

Et dans son testament, le Kitab-i-'Ahd, il nous a laissé ces paroles exaltées:

Bien qu'il n'existe aucune des vanités du monde dans le royaume de gloire, Nous avons cependant légué à nos héritiers, parmi les trésors de la confiance et de la résignation, un héritage parfait et inestimable. Nous n'avons pas transmis de trésors terrestres ni ajouté les soins qu'ils entraînent. Par Dieu ! Dans les trésors terrestres, la peur se cache et le danger se dissimule. Considérez et rappelez-vous ce que le Très-Miséricordieux a révélé dans le Qur'an: Malheur au calomniateur acerbe qui a amassé une fortune et l'a comptée et recomptée. Fugaces sont les richesses du monde ; tout ce qui périt et change n'est pas et n'a jamais été digne d'attention, si ce n'est dans une mesure reconnue. (N°3, Tablettes de Baha'u'llah)

Il faut faire remarquer que la même attitude de détachement aux choses terrestres a tellement imprégné l'âme de 'Abdu'l-Baha et de Shoghi Effendi, les deux Centres successifs de la cause de Baha'u'llah, que cela était contre leur nature d'avoir des désirs pour les choses de ce monde. Tous deux vécurent des vies austères et suivirent l'exemple de Baha'u'llah. Bien qu'ils reçurent d'importantes contributions des amis, ils n'autorisèrent leurs dépenses que strictement pour la promotion de la cause de Dieu et n'eurent pas le moindre désir à dépenser le fonds pour leurs propres usages personnels. Certes, à l'instar de Baha'u'llah, aucun des deux n'avait de biens personnels qu'ils soient monétaires ou autres.

Quand 'Abdu'l-Baha voyagea en Occident pour propager la cause de Baha'u'llah et diffuser les fragrances divines en Europe et en Amérique, il dut se servir des fonds auxquels les amis persans avaient contribué en payant leur Huququ'llah à Haji Amin. Mais il prit tellement de soin à dépenser le strict minimum pour lui-même que parfois ses compagnons se sentaient inquiets du manque de confort qui en résultait souvent.

Le célèbre chroniqueur des voyages de 'Abdu'l-Baha en Occident, Mirza Mahmud-i-Zarqani, son dévoué secrétaire et compagnon, a rapporté dans ses bulletins (Badayi'u'l-Athar) que lorsque 'Abdu'l-Baha et son groupe parcouraient les États-Unis, le voyage en train était très fatigant - particulièrement pour 'Abdu'l-Baha qui avait près de soixante-dix ans. Pourtant, malgré cela, il refusait fréquemment de payer la petite somme supplémentaire dans le train pour un wagon-lit. Au lieu de cela, il restait assis toute la nuit sur des sièges de bois durs et fermait les yeux pour prendre un peu de repos. Mais, comme cela avait été vu lors de ce voyage, partout où il trouvait des pauvres et des nécessiteux, il ouvrait son porte-monnaie et généreusement plaçait des pièces d'argent et d'or dans leurs mains. Combien sont différentes les manières de Dieu et celles de l'homme !

Ce fut durant cette même époque marquante de voyages que 'Abdu'l-Baha démontra une magnanimité et un détachement caractéristiques des élus de Dieu en déclinant gracieusement toutes les offres de fonds et de cadeaux qui lui furent faites de la part des amis et des étrangers.

Dans ces célèbres journaux, Mirza Mahmud raconte une histoire sur 'Abdu'l-Baha lorsqu'il était à New York peu de temps avant son départ des États-Unis:

...Ce jour-là, quelques amis offrirent quelques fonds à 'Abdu'l-Baha, mais il ne les prit pas malgré leur insistance continuelle. Il dit: "offrez le aux pauvres de ma part. Ce sera comme si je le leur avais donné personnellement. Mais pour moi, le meilleur cadeau est l'unité entre les bien-aimés de Dieu, leur service à la Cause, la diffusion des fragrances divines et leur mise en pratique des enseignements et des exhortations de la Beauté Bénie."

Lors de telles occasions, les croyants devenaient très tristes, car leurs offrandes n'étaient pas acceptées par leur Bien-Aimé. Malgré cela, les croyants de New York, sachant que c'était les derniers jours de son séjour aux États-Unis, rassemblèrent quelques cadeaux pour la Sainte Famille.. *.

*[nota: y compris la femme de 'Abdu'l-Baha, sa soeur, ses filles et autres membres féminins de sa maison]

Certains amis s'étaient même juré de persister dans leur requête jusqu'à ce que 'Abdu'l-Baha accepte leurs cadeaux, et qu'ils s'accrocheraient au pan de son vêtement et ne quitteraient pas sa présence tant qu'il n'aurait pas accepté leurs offrandes. Ils lui présentèrent leurs cadeaux et sincèrement plaidèrent pour qu'il les emportât. Il leur parla alors en ces mots:

"Je vous suis très reconnaissant pour vos services. Vous m'avez servi sincèrement, offert l'hospitalité, rendu des services jour et nuit et persévéré dans la diffusion des divines fragrances. Je n'oublierai jamais vos services dévoués, car votre seule motivation était d'accéder au bon plaisir de Dieu, et ne désirez d'autre rang que celui d'entrer en son Royaume. Maintenant vous avez apporté des cadeaux pour ma famille. Ces cadeaux sont très méritoires, mais encore plus parfaits sont les cadeaux de l'amour de Dieu qui peut être préservé dans le coffre de vos coeurs. Les premiers cadeaux sont transitoires, mais les derniers sont éternels. Ces cadeaux doivent être gardés dans des boîtes et sur des étagères et finalement se détérioreront, mais l'autre restera éternellement dans tous les royaumes de Dieu et sera chéri dans le coeur. Par conséquent, j'emporte avec moi votre amour que je leur transmettrai (à la Sainte Famille) ce qui est le plus grand don de tous. Dans notre maison, il n'y a pas de place pour les bagues en diamant ou autres bijoux. Cette maison est dépourvue des vanités de ce monde.

Maintenant, j'accepte ces cadeaux, mais je vous les confie afin qu'ils soient vendus et le produit envoyé à Chicago pour la construction du Mashriqu'l-Adhkar (Maison d'adoration baha'ie).'

Les amis, les yeux emplis de larmes, étaient déçus. 'Abdu'l-Baha dit: Je veux emporter avec moi un cadeau que je pourrai garder toute l'éternité, les joyaux qui appartiennent au musée du coeur."

Malgré beaucoup de persévérance et de pleurs, le Maître Bien-Aimé n'accepta pas les cadeaux et demanda aux amis de les dépenser pour le Mashriqu'l-Adhkar de Chicago. (N°4 mémoires non publiées)

Retournons à l'histoire de Haji Amin, il vécut une longue vie et fut le mandataire du Huququ'llah durant les ministères de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha et durant une partie de celui de Shoghi Effendi. Durant sa vie longue et turbulente, il fut une source d'inspiration et d'affectueuse providence pour tous les croyants. Il leur rendit souvent visite chez eux et les incitait à être détachés des choses de ce monde et à suivre le chemin de la modestie dans tous les aspects de la vie. Il n'aimait pas le luxe, car il affaiblissait la capacité des amis à contribuer tout ce qu'ils pouvaient à la cause de Dieu. Il était tellement contre le luxe que chaque fois que les amis l'invitaient à dîner, ils savaient que Haji Amin serait très malheureux s'ils le recevaient d'une façon fastueuse avec de nombreux mets à table. Il insistait pour qu'il n'y ait qu'un plat et qu'il consistât en la nourriture la plus simple. Il conseillait souvent à l'hôte d'ajouter de l'eau dans le pot pour sa part de nourriture et cette recette d'ajouter de l'eau en plus est très connue parmi les croyants iraniens et s'appelle "la soupe de Haji Amin".

Il y a de nombreuses histoires roboratives sur la façon dont il mena sa vie et les sacrifices qu'il fit pour servir son Seigneur. Ces histoires, allant d'anecdotes insignifiantes jusqu'aux commentaires hautement intéressants et instructifs qu'il fit, sont divertissantes et populaires mais on ne peut les raconter ici, car pour les apprécier le lecteur doit être familier avec les coutumes et les habitudes à l'époque au Moyen-Orient.

Durant sa longue vie de service, Haji Amin subit de nombreuses persécutions. Parmi celles-ci son premier emprisonnement à Téhéran puis à Qazvin en 1308 AH (1891) avec Mulla 'Ali-Akbar-i-Shahmirzadi, connu sous le nom de Haji Akhund, une des Mains de la cause de Dieu nommée par Baha'u'llah. Ces deux héros de Dieu furent emprisonnés par ordre de Nasiri'd-Din Shah et de son fils Kamran Mirza, le gouverneur de Téhéran. Leur emprisonnement à Qazvin dura à peu près dix-huit mois, après quoi Haji Akhund fut relâché, mais Haji Amin fut transféré à la prison de Téhéran où il resta une année de plus. Durant cette période leurs pieds furent entravés et leur cou attaché avec des chaînes. À Qazvin, un photographe fut spécialement envoyé pour prendre leur photo afin de la montrer au monarque. Cette photo, montrant les deux amis enchaînés assis avec la plus grande résignation et calme, est largement en circulation parmi les croyants. Elle fut placée par 'Abdu'l-Baha dans l'entrée de sa maison face à sa chambre. Il la contempla de nombreuses fois et se réjouit dans son coeur à voir le visage de ces deux personnes qui dans le chemin de Baha'u'llah avaient été enchaînées aux fers, être parmi les croyants la personnification de la fermeté et de la foi.

Ce fut peu de temps après l'emprisonnement de ces deux âmes à Qazvin que Baha'u'llah dans le paragraphe d'ouverture du Lawh-i-Dunya * parle de la prison de Qazvin comme de la "puissante prison" et révèle ces paroles exaltées en leur honneur:

*[nota: cette tablette fut révélée en l'honneur de Mirza Aqay-i-Afnan, dénommé Nur'u'd-Din. Dans le prochain volume, nous ferons référence à lui et à la tablette - Tablette du monde]

Louanges et grâces soient rendues au Seigneur de l'autorité manifeste qui a orné cette puissante prison par la présence de Leurs Excellences 'Ali Akbar et Amin, et l'a éclairée de la lumière de la certitude, de la constance et de l'assurance. Que la gloire de Dieu et la gloire de tous ceux qui sont aux cieux et sur terre soient sur eux.

Lumière et gloire, salut et louange aux Mains de sa cause par qui a resplendi la lumière de la fermeté, par qui a été établie la vérité que l'autorité de choisir appartient à Dieu, le Puissant, le Fort, l'Indépendant, par qui a surgi l'océan de bonté et a été diffusé le parfum des faveurs gracieuses de Dieu, le Seigneur de l'humanité. Nous l'implorons - qu'il soit exalté - de les défendre par la puissance de son armée, de les protéger par le pouvoir de son autorité et de les aider par sa force indomptable qui domine toutes créatures. La souveraineté appartient à Dieu, le Créateur des cieux et le Seigneur du royaume des noms. (N°5, Tablettes de Baha'u'llah)

Il est intéressant de remarquer que des deux personnages mentionnés dans la tablette, seul Mulla 'Ali Akbar avait été nommé Main de la cause de Dieu par Baha'u'llah. Cependant, Shoghi Effendi, Gardien de la Foi, conféra à titre posthume le même rang à Haji Amin. Haji Amin mourut à Téhéran en 1928, laissant derrière lui auprès des croyants un souvenir impérissable. À sa mort, Shoghi Effendi nomma, pour lui succéder comme mandataire du Huququ'llah, Haji Ghulam-Rida (dénommé Amin-i-Amin) qui pendant de nombreuses années avait été l'assistant de Haji Amin,

En appréciation de ses services, 'Abdu'l-Baha nomma l'une des portes du Tombeau du Bab, Haji Amin.



CHAPITRE 5: Lawh-i-Fu'ad

Fu'ad Pasha, ministre des affaires étrangères de l'Empire ottoman, avait été le proche collaborateur du grand vizir 'Ali Pasha pour causer l'exil et l'emprisonnement de Baha'u'llah à Acre. En 1869 Fu'ad Pasha fut démis de son poste et ultérieurement mourut en France, à Nice. Nous avons déjà vu comment et dans quels termes Baha'u'llah s'était adressé au grand vizir dans Suriy-i-Ra'is et Lawh-i-Ra'is. Puis, il révèle Lawh-i-Fu'ad, une autre épître de grande importance, dans laquelle il réprimande sévèrement Fu'ad Pasha, déclare que le fait que Dieu lui ait ôté la vie était son châtiment pour avoir infligé de telles souffrances à sa Suprême Manifestation et décrit en termes acérés l'agonie de son âme dans la vie future face à la colère de Dieu. Dans cette épître, Baha'u'llah prévoit la chute de 'Ali Pasha et du Sultan lui-même dans ces paroles prophétiques:

"Bientôt nous congédierons celui * qui est semblable à lui et nous mettrons la main sur leur chef ** qui gouverne le pays. Je suis en vérité le Puissant, l'Irrésistible" (n°1 cité par Shoghi Effendi dans 'Voici le jour promis", Paris)

*[nota: 'Ali Pasha]
**[nota: Sultan 'Abdu'l-'Aziz]

Peu de temps s'écoula entre le moment de la révélation de cette épître et celui où 'Ali Pasha fut honteusement révoqué de son poste, il décéda en 1871. Un processus de résistance au sultan se déclencha au même moment en Turquie qui aboutit en 1876 à sa déposition et à son emprisonnement par les révolutionnaires ; il fut tué quelques jours plus tard.

Comme nous le verrons, Lawh-i-Fu'ad allait jouer un rôle important dans la conversion à la Foi du plus grand érudit, Mirza Abu'l-Fadl.

- Shaykh Kazim-i-Samandar:

Lawh-i-Fu'ad était adressé à Shaykh Kazim-i-Samandar qui était natif de Qazvin. Ce grand homme, l'un des Apôtres de Baha'u'llah est comme l'a décrit Shoghi Effendi, une flamme de l'amour de Dieu. Son grand-père avait rencontré le Bab lorsqu'il était à Karbila avant sa déclaration, il avait été témoin de ses extraordinaires pouvoirs de supplication au moment de la prière et fut ravi par la grandeur et la majesté de sa personne. Son père, Shaykh Muhammad, dénommé Nabil *, était l'un des fervents disciples du Bab et avait atteint sa présence à Mahku et à Chiriq. Plus tard, il se rendit à Bagdad et fut en la présence de Baha'u'llah. Il souffrit de persécutions. À Qazvin, sa maison était le centre pour les activités des premiers babis.

*[nota: ne pas confondre avec Mulla Muhammad-i-Zarandi, Nabil-i-A'zam ou Mulla Muhammad-i-Qa'ini, Nabil-i-Akbar]

Shaykh Kazim-i-Samandar naquit quelques mois avant la déclaration du Bab, il avait donc grandi dans cette maison et dès son plus jeune âge, il fréquenta les premiers disciples du Bab, parmi eux se trouvaient aussi quelques Lettres-du-Vivant ainsi que l'oncle du Bab. Dès son enfance, Shaykh Kazim avait fait preuve d'un grand enthousiasme pour les affaires babies, et en grandissant il devint un babi savant et dévoué. Plus tard, il reconnut le rang de Baha'u'llah et devint l'un de ses disciples exceptionnels, réussissant à diffuser la lumière de sa Foi à travers la Perse en général et à Qazvin en particulier.

Lorsque les nouvelles de la déclaration du Bab et les prétentions de Mirza Yahya (voir vol.1 et 2) lui parvinrent, il fit une étude exhaustive des Écrits du Bab. Ses conclusions furent claires et nettes, seul Baha'u'llah était le promis du Bayan. En 1283 AH, (1866-67) il écrivit un traité en arabe, dénonçant la rébellion de Mirza Yahya, réfutant ses arguments et démontrant que ses prétentions étaient totalement erronées. Baha'u'llah se réfère à ce traité dans Lawh-i-Siraj (voir vol.1 et 2) et déclare que Dieu avait inspiré Shaykh Kazim dans son traité. Il a été rapporté que Baha'u'llah conféra le titre de Samandar * à Shaykh Kazim après qu'il eût écrit ce traité.

*[nota: un oiseau légendaire sensé vivre dans le feu]

Dans ses tablettes, Baha'u'llah loue souvent ceux qui réfutent les arguments des ennemis de la Foi. Dans l'épître de Salman (voir vol.2 ch.13) il exhorte ses disciples en ces mots:

"Ô Salman, avertis les bien-aimés du seul vrai Dieu de ne pas voir d'un oeil trop critique les dires et les écrits des hommes. Qu'ils les abordent plutôt dans un esprit d'ouverture et de cordiale sympathie. Toutefois, ceux qui ont été amenés à attaquer les enseignements de la cause de Dieu dans leurs écrits incendiaires doivent être traités différemment. Il incombe à chacun de réfuter, selon sa capacité, les arguments de ceux qui attaquent la foi de Dieu. Ainsi en décrète celui qui est le Tout-Puissant, l'Omnipotent. Qui désire servir la cause du seul vrai Dieu doit la soutenir de sa plume et de sa parole, sans recourir à l'épée ni à aucune autre forme de violence. Nous avons déjà révélé cette injonction et nous la confirmons aujourd'hui, si vous êtes de ceux qui comprennent. Par la justice de celui qui crie en ce jour au coeur de toutes choses créées: "Dieu, il n'est pas d'autre Dieu que moi !" tout homme qui se lève pour défendre par ses écrits la cause de Dieu contre ses assaillants, recevra dans le monde à venir un si grand honneur que sa gloire sera enviée par l'Assemblée céleste, si petite soit sa participation. Il n'est pas de plume pour dépeindre l'élévation de son rang, pas de langue pour décrire sa splendeur. Car qui reste inébranlable dans cette sainte et sublime révélation recevra un tel pouvoir qu'il pourra résister à toutes les forces du ciel et de la terre. Dieu lui-même en témoigne." (n°2 Florilège d'écrits de Baha'u'llah, op.cit., CLIV)

Shaykh Kazim-i-Samandar était un enseignant exceptionnel de la Foi. Beaucoup parmi les premiers croyants, en particulier à Qazvin, doivent leur allégeance à la Cause à son travail inlassable de propagation du message de Baha'u'llah. Son enthousiasme et sa foi, son zèle et son dévouement touchaient profondément le coeur de ceux qui l'écoutaient et les rendaient attentifs à l'appel de Dieu en cet âge. Il joua aussi un rôle important dans la défense de la cause de Dieu contre les déclarations mensongères des disciples de Mirza Yahya et de ceux qui bien plus tard, durant le ministère de 'Abdu'l-Baha furent induits en erreur par Mirza Muhammad 'Ali (voir vol.1 et 2), l'archibriseur de l'alliance de Baha'u'llah. Les croyants de Qazvin qui dès les premiers jours de la Foi avaient été affectés par un esprit de division, de controverse et de rupture de l'alliance furent bien aidés par la présence de Shaykh Kazim parmi eux. La communauté fut transformée principalement par sa fermeté et sa persévérance.

Shaykh Kazim avait une attention toute particulière pour l'éducation et l'instruction des enfants. Un certain Mulla 'Ali, dénommé "Mu'allim" (enseignant) qu'il avait converti à la Foi et qui était un homme de savoir, s'installa dans sa maison et offrit de s'occuper de l'éducation des enfants. *

*[nota: à cette époque, les gens aisés avaient souvent chez eux un précepteur qui s'occupait de l'éducation de leurs enfants]

Il fit cette offre après avoir lu l'exhortation de Baha'u'llah dans le Kitab-i-Aqdas:

À chaque père, il a été enjoint d'instruire son fils et sa fille dans l'art de lire et d'écrire, et en tout ce qui est prescrit dans la Sainte Tablette. S'il refuse de faire ce qui lui est commandé, les mandataires devront alors lui prendre ce qui est nécessaire à cette instruction s'il est riche et, s'il ne l'est point, la question reviendra à la maison de justice. En vérité, nous en avons fait un abri pour les pauvres et les indigents. Celui qui élève son fils ou le fils d'un autre, c'est comme s'il avait élevé l'un de mes fils ; sur lui reposent ma gloire, mon affectueuse bonté et ma miséricorde qui ont enveloppé le monde. (N°3, Kitab-i-Aqdas p.38-9)

Ce fut cette dernière phrase qui inspira Mulla 'Ali à offrir ses services comme enseignant des nombreux enfants de Shaykh Kazim. Il accomplit ce travail pendant près de trente-six ans. Dans l'une de ses épîtres (n°4 citée par Samandar, Tarikh-i-Samandar, p.204) Baha'u'llah loue Mulla 'Ali pour avoir mis en application l'une de ses exhortations et se réfère à lui comme étant le premier enseignant à gagner le bon plaisir de Dieu en exécutant ce qui a été révélé dans le Kitab-i-Aqdas. Il lui accorde ses bénédictions, déclare que la simple mention de son nom dans l'épître est pour son âme la plus grande des récompenses, lui promet que son nom sera immortalisé dans toutes les écoles à travers le monde et lui annonce qu'il lui enverra un cadeau en gage de son appréciation pour son travail. Par la suite, Baha'u'llah instruisit son mandataire, Haji Amin, d'offrir de sa part un 'aba (cape) à Mulla 'Ali en précisant que cet 'aba devait être de très bonne qualité.

Shaykh Kazim-i-Samandar alla deux fois en pèlerinage pour se trouver en présence de Baha'u'llah à Acre. Parmi ceux qui l'accompagnèrent lors de son second pèlerinage en 1308 AH (1891) se trouvaient Mulla 'Ali "l'enseignant" et Mirza Tarazu'llah-i-Samandari qui servit la Foi comme enseignant érudit pendant de nombreuses années. Shoghi Effendi conféra par la suite à ce dernier le rang de Main de la cause de Dieu.

- La conversion de Mirza Abu'l Fadl:

En ces temps-là, les sombres prophéties de Lawh-i-Fu'ad annonçant en termes clairs la chute du sultan et celle de 'Ali Pasha, faisaient souvent l'objet de spéculations et de discussions parmi les croyants. Un grand nombre de non-baha'is qui assistaient à des réunions entendirent les paroles de Baha'u'llah contenues dans cette épître et dans des tablettes semblables. Ils notèrent ses avertissements avec crainte et émerveillement et certains en firent même la condition de leur acceptation de la Foi si elles devaient s'accomplir. Parmi eux, se distinguait le célèbre Mirza Abu'l-Fadl, un érudit de grande renommée qui, après avoir étudié la Foi, recherchait une preuve concluante pour lui permettre d'en reconnaître la véracité. Il attendit que ces prophéties se réalisent. Puis, lorsqu'il embrassa la Foi, il en devint l'un des plus grands luminaires et une personne qui avec habileté et dévouement défendit la Foi contre ses adversaires.

Étant donné que Mirza Abu'l-Fadl est l'un des plus grands érudits de la Foi, un défenseur d'une dimension exceptionnelle et dont les contributions à la littérature de la Foi est immense, il est des plus approprié de consacrer quelques pages de ce livre à sa mémoire que nous chérissons.

L'histoire de sa rencontre avec les croyants après avoir été en contact avec la Foi est très intéressante. En 1293 AH (1876) lorsqu'il était au sommet de sa carrière comme directeur du Collège théologique de Téhéran, il fut abordé par l'un de ses étudiants qui lui demanda de l'aider à répondre à certains des arguments avancés par quelques baha'is avec lesquels il était en contact. Cet homme avait l'habitude de poser des questions à Mirza Abu'l-Fadl et de rapporter ses commentaires aux baha'is.

Il y avait à l'époque un croyant dévoué qui se nommait 'Abdu'l-Karim-i-Mahut Furush (marchand) il possédait un magasin dans le bazar ; sa maison était un lieu de rencontre pour les baha'is et pour ceux qui faisaient des recherches sur la Foi. Ces réunions se terminaient souvent aux petites heures du matin. Indépendamment de l'étudiant qui abordait souvent le sujet de la foi baha'ie, Mirza Abu'l-Fadl, je ne sais comment, rencontra 'Abdu'l-Karim et occasionnellement lui rendait visite dans son échoppe. Pendant longtemps, cependant, Mirza Abu'l-Fadl ne se rendit pas compte que 'Abdu'l-Karim était baha'i. Puis advint un petit incident qui le mit directement en contact avec un baha'i.

Un vendredi après-midi, Mirza Abu'l-Fadl accompagné de quelques mullas quitta la ville pour aller visiter un certain tombeau, qui se trouvait à la campagne, à proximité de la capitale. Ils étaient tous à dos d'ânes. Les gens avaient l'habitude à cette époque de quitter la ville le vendredi (qui est un jour férié dans les pays islamiques) pour aller dans des villages voisins que ce soit pour leur plaisir ou pour visiter des lieux saints.

Il se trouva qu'en chemin, l'un des ânes perdit son fer, le groupe dut donc chercher de l'aide chez un maréchal ferrant. Remarquant la longue barbe et le large turban de Mirza Abu'l-Fadl - signes de sa grande science - le forgeron Ustad Husayn-i-Na'l-Band (maréchal ferrant), qui était illettré, fut tenté d'engager la conversation avec l'érudit. Il dit à Mirza que comme il l'avait honoré de sa présence, ce serait un grand privilège pour lui s'il pouvait avoir l'autorisation de lui poser une question qui depuis quelque temps déjà l'avait plongé dans la perplexité.Lorsque la permission fut accordée, il demanda: "Est-il vrai que dans les traditions de l'islam chiite * il est dit que chaque goutte de pluie est accompagnée par un ange du ciel ?" "Ceci est vrai", répondit Mirza Abu'l-Fadl.

*[nota: il faut faire remarquer ici que la majorité des soi-disant traditions de l'islam chiite sont fabriquées par les hommes et consistent en dictons futiles. Cependant, il y a malgré tout quelques paroles authentiques et puissantes données par les saints Imams qui sont en conformité avec la forme et l'esprit du Coran. Et il y a aussi certains critères pour évaluer l'authenticité de telles traditions. Baha'u'llah, par exemple, a cité dans le Kitab-i-Iqan de nombreuses traditions qui sont authentiques]

Après un bref silence, le forgeron supplia d'être autorisé à poser une autre question, ce que Mirza accepta. "Est-il vrai" demanda le forgeron, "que s'il y a un chien dans une maison aucun ange ne la visitera jamais." Sans réfléchir au rapport entre les deux questions, Mirza Abu'l-Fadl répondit par l'affirmative. "Dans ce cas-là", observa le forgeron, "aucune pluie ne devrait tomber sur une maison dans laquelle il y a un chien." Mirza Abu'l-Fadl, le célèbre érudit de l'Islam avait été confondu par un forgeron illettré. Sa rage ne connut pas de limite, et ses compagnons remarquèrent qu'il avait l'air honteux. Ils lui murmurèrent, "ce forgeron est un baha'i !"

Cet incident fit une forte impression sur Mirza Abu'l-Fadl. De son côté, le forgeron rapporta toute l'histoire à 'Abdu'l-Karim et suggéra que comme son orgueil avait été touché, Mirza Abu'l-Fadl serait maintenant prêt à accueillir un enseignant baha'i dans l'espoir de rétablir sa supériorité. Cette estimation s'avéra être correcte. Car, lorsque 'Abdu'l-Karim invita Mirza Abu'l-Fadl à prendre part à une discussion avec un certain ami baha'i, il accepta l'invitation. Il semblerait que même à ce moment Mirza Abu'l-Fadl ne s'était pas encore rendu compte que 'Abdu'l-Karim était baha'i.

La réunion fut organisée chez 'Abdu'l-Karim. Toutefois, l'enseignant baha'i que 'Abdu'l-Karim avait invité, était un homme dépourvu de connaissance. Il n'était pas éduqué. Mais son coeur était connecté à la Source de toute connaissance. Chaque sujet abstrus que Mirza Abu'l-Fadl aborda durant cette discussion et chaque objection qu'il souleva, furent traités en termes simples et de telle sorte qu'il ne pouvait douter de la validité des arguments avancés par l'enseignant baha'i.

Cela peut sembler étrange que des personnes sans instruction puissent devenir les réceptacles de la connaissance de Dieu. En vérité, une des preuves du pouvoir de Dieu dans cette révélation est qu'en plus des nombreuses personnes érudites qui se classent parmi les premiers enseignants de la Foi, il y a ceux qui n'avaient pas eu une bonne instruction et qui dans certains cas étaient parfaitement illettrés, mais qui avaient réussi à guider de nombreuses âmes à la cause de Dieu.

Comme cela a été expliqué dans les volumes précédents (voir vol.1 et 2), la connaissance de Dieu et de ses manifestations, le pouvoir de découvrir les mystères de la vie, de saisir les vérités religieuses, et de comprendre la réalité de l'homme ne dépend pas de notre instruction académique. Cette connaissance est donnée par Dieu à chaque individu. Et c'est le coeur de l'homme qui la reçoit et qui devient la source de l'instruction, du pouvoir et de la compréhension.

Baha'u'llah a clairement expliqué que les conditions requises pour devenir le dépositaire d'une telle connaissance et compréhension est le détachement de ce monde. Dans le paragraphe d'ouverture du Kitab-i-Iqan, il déclare:

Nul ne peut atteindre les rives de l'océan de la vraie compréhension s'il n'est détaché de tout ce qui existe au ciel et sur la terre. Sanctifiez vos âmes, ô peuples de la terre, afin qu'il vous soit possible d'atteindre la place que Dieu vous a destinée et d'entrer dans le tabernacle qui s'est élevé, selon les décrets de la Providence, dans le firmament du Bayan.

"Ces paroles signifient que ceux qui marchent dans le chemin de la foi, ceux qui ont soif du vin de la certitude, doivent se laver de tout ce qui est terrestre, c'est-à-dire détourner leurs oreilles des paroles oiseuses, leurs pensées des vaines imaginations, leurs coeurs des attachements terrestres et leurs yeux de la vue des choses périssables. Ils doivent mettre leur confiance en Dieu et, lui restant fidèle, suivre son sentier. C'est alors qu'ils deviendront dignes des gloires resplendissantes du soleil de la connaissance et du savoir divins et bénéficieront d'une grâce invisible et infinie. Car aussi longtemps que l'homme ne cesse pas de considérer les paroles et les actes des mortels comme la mesure de la vraie compréhension et de la reconnaissance de Dieu et de ses prophètes, il ne peut espérer atteindre à la connaissance du Très-Glorieux ni entrer dans le séjour d'immortalité, ni prendre sa part de la coupe de l'approche et de la faveur." (n°5 Kitab-i-Iqan, op.cit., p.1)

Une véritable compréhension est l'acte de percevoir la signification intérieure et le sens d'une vérité. Le détachement de ce monde est la clef pour vivre une vie en harmonie avec les lois de la création, c'est un thème qui a constamment été répété et sa signification a été élucidée dans les Écrits de Baha'u'llah. Comme nous l'avons déjà expliqué dans de précédents volumes *, le détachement du monde ne signifie pas la mendicité, l'ascétisme, la pauvreté ou le désintérêt dans les affaires du monde. L'amour de soi et de ce que l'on a réalisé est probablement la forme d'attachement la plus redoutable. Dans le passage ci-dessus, Baha'u'llah a catégoriquement fermé la porte à toute alternative par laquelle l'homme pourrait obtenir le grand don de la compréhension, qui n'est pas la même chose que la connaissance scolastique acquise par l'étude.

*[nota: voir vol.1 et vol.2, "le détachement"]

Un grand érudit, un homme de savoir, peut ne pas comprendre ni découvrir les réalités intérieures de la création de Dieu et de sa révélation. Il doit se détacher de ce monde et le plus grand attachement pour un tel homme, est sa connaissance ! (voir vol.2) En vérité, ainsi que Baha'u'llah l'a souvent déclaré dans ses Écrits, la connaissance acquise peut souvent être un voile empêchant le coeur de recevoir la lumière de la providence divine et le don de la véritable compréhension. 'Abdu'l-Karim, qui n'était pas instruit, et les autres personnes non instruites qui furent les premières impliquées à enseigner la Foi de Baha'u'llah à des hommes de savoir éminents tel que Mirza Abu'l-Fadl, étaient dotés de la connaissance de Dieu et possédaient un grand pouvoir de compréhension. Ils les avaient acquis grâce à leur foi en Baha'u'llah et le détachement de leur propre ego et passion.

Dans sa première entrevue avec les croyants, Mirza Abu'l-Fadl fut surpris de constater qu'il était incapable de faire face à un baha'i qui n'était pas érudit et qu'il ne pouvait pas réfuter son argumentation. Il demanda cependant à son hôte 'Abdu'l-Karim, d'organiser une réunion à laquelle prendrait part un baha'i érudit, car il désirait rencontrer une personne de son propre niveau de façon à pouvoir établir une fois pour toute sa propre supériorité et ainsi démontrer le caractère erroné des prétentions du Bab et de Baha'u'llah.

La réunion fut organisée, mais 'Abdu'l-Karim n'invita pas de baha'i érudit comme l'avait demandé Mirza Abu'l-Fadl. Bien que sans instruction, 'Abdu'l-Karim dans sa grande sagesse savait qu'un homme, aussi imbu de sa connaissance, serait aveugle au message de Dieu. Il savait que ce dont Mirza Abu'l-Fadl avait le plus besoin était de quelqu'un qui puisse étaler sa réelle ignorance de la véritable religion. Qui d'autre qu'un simple croyant, dépourvu de connaissance académique mais possédant la foi et la compréhension spirituelle, pouvait aussi bien remplir cette mission.

Lorsque Mirza Abu'l-Fadl arriva pour cette réunion, il se trouva à nouveau confronter à des gens n'ayant aucune instruction. Au cours des discussions, il fut totalement confondu par les preuves simples mais brillantes qui, pour soutenir la Foi et en réponse à ses questions, lui furent soumises. Il s'émerveilla devant ces hommes qui, dépourvus de savoir et de connaissance, possédaient pourtant une telle compréhension merveilleuse des mystères du Coran et des autres Livres sacrés.

Au cours de diverses réunions, les discussions continuèrent entre Mirza Abu'l-Fadl et ses enseignants baha'is incultes. Ainsi que son hôte l'avait anticipé, ces discussions donnaient à réfléchir à Mirza Abu'l-Fadl. Comme son motif principal en allant aux réunions baha'ies, était de laisser voir l'absurdité de leurs prétentions, il fut extrêmement humilié par son incapacité à réfuter les arguments présentés par ces quelques âmes incultes d'entre les croyants et sa fierté fut terriblement blessée par les nombreuses défaites qu'il avait subies lors de ces conversations avec eux. Par la suite, il rencontra des baha'is érudits et conversa avec eux dans de nombreuses réunions trouvant toujours leurs arguments irréfutables. Une fois, il prit part à une discussion avec le célèbre Mulla Muhammad-i- Qa'ini (Nabil-i-Akbar) (voir vol.1). À la fin de cette réunion, il fut rapporté qu'il s'exclama d'un ton surpris: "Par Dieu ! ne pourra-t-on jamais trouver quelqu'un capable de résister à la force des arguments de ce grand homme de savoir."

Dans l'un de ses écrits, Mirza Abu'l-Fadl décrit en ces termes, ses premiers jours au contact de la foi:

En 1293 AH (1876) lorsque l'auteur de ces pages (i.e. Mirza Abu'l-Fadl) habitait Téhéran et qu'il était ferme dans la foi de l'Islam chiite, il se trouva suite à quelques incidents en contact avec le peuple de Baha. La raison principale de ses efforts était de les contraindre à se rendre et à aider à étouffer leur croissance. Pendant près de huit mois, il eut de nombreux débats avec les érudits de cette Foi. À la fin de cette période, il se rendit compte que toutes ses vaines imaginations s'étaient écroulées et avaient disparu. Il s'engagea alors dans le chemin de la recherche de la vérité. Il s'employa à la recherche des preuves de cette Foi, établit, dans un esprit de fraternité, une proche association avec les chefs de toutes les religions, juifs, zoroastriens, chrétiens, sunnites, chiites et azalis, fit des recherches approfondies chez les amis comme chez les ennemis concernant l'histoire des Fondateurs de cette Foi, étudia attentivement les Livres sacrés, médita très soigneusement sur les paroles des gnostiques et des prêtres, et pria au coeur de la nuit et à l'aube dans un état de totale impuissance et d'angoisse suppliant le Tout-Puissant de lui donner l'inspiration divine et de lui accorder un oeil qui voit - jusqu'à ce que finalement, par l'opération de la volonté de Dieu, il acquit une vision pénétrante des religions révélées et son coeur en détresse fut rempli de calme et de certitude. (n°6 D'un traité connu sous le nom de Risaliy-i-Iskandariyyih)

Mais avant d'atteindre le stade final de la certitude et d'embrasser la Foi, Mirza Abu'l-Fadl traversa quantité de luttes intellectuelles. Son esprit était incapable de rejeter la vérité de la Cause, mais son coeur n'était pas touché par la lumière de la foi et de la conviction. Durant cette période de recherche, il lut la plupart des Écrits disponibles du Bab et de Baha'u'llah. L'histoire de la première fois où il lut le Kitab-i-Iqan et ses réactions sont rapportées dans un volume précédent (voir vol.2). Cet incident est non seulement très divertissant mais révèle en même temps la pureté de ses motifs.

Lorsque Mirza Abu'l-Fadl se trouva totalement confondu par les preuves et arguments que ses enseignants baha'is lui avaient présentés, il nourrit l'idée que son coeur ne serait satisfait que lorsque Baha'u'llah aurait accompli un miracle pour lui. Les baha'is lui expliquèrent que les miracles ne pouvaient pas être considérés comme des preuves concluantes de la véracité des messagers de Dieu, car ils ne pouvaient être vus ni universellement et ni à tout moment. Ils étaient uniquement significatifs pour les quelques personnes qui en avaient été témoins. De plus, il n'appartenait pas à l'homme d'éprouver Dieu. Mais Mirza Abu'l-Fadl insista. Il écrivit quelques questions sur un papier, le plaça dans une enveloppe, le scella de son propre sceau et le confia à la garde de 'Abdu'l-Karim. Il plaça alors une feuille de papier blanc dans une autre enveloppe et demanda à 'Abdu'l-Karim de la faire parvenir à Baha'u'llah. Il déclara que si sa question recevait une réponse il n'aurait plus de doute sur la vérité de la Cause.

'Abdu'l-Karim accompagné de Mirza Abu'l-Fadl apporta la feuille blanche et l'enveloppe scellée chez Haji Muhammad Isma'il-i-Dhabih (voir vol.2) afin qu'il puisse la faire suivre à Baha'u'llah. Plus tard, Mirza Abu'l-Fadl raconta à Haji Mirza Haydar-'Ali, l'histoire dont le récit est résumé dans la traduction suivante:

Lorsque nous arrivâmes, nous apprîmes que le Haji n'était pas chez lui, mais sa femme, qui connaissait 'Abdu'l-Karim... (Elle) nous accueillit chaleureusement et insista avec tellement de gentillesse et d'hospitalité que nous allâmes à l'intérieur... Nous entrâmes dans une pièce où il y avait des livres et une valise contenant les saintes tablettes... Elle nous donna la permission, si nous le désirions, d'ouvrir la valise et d'étudier les Écrits saints. Comme 'Abdu'l-Karim ne pouvait pas lire, il me demanda si je pouvais lire pour lui. La courtoisie étant pour moi un trait de caractère, je m'exécutai.

Il y avait une tablette écrite sur papier bleu adressée au sultan 'Abdu'l-'Aziz. *. En lisant, je trouvais l'histoire du "spectacle du Sultan Salim" ** et j'en fus captivé. Je trouvai que les passages étaient de la plus grande éloquence, lucidité et douceur. Plus je la lisais, plus je voulais la lire. De toute ma vie, je n'avais jamais trouvé de telles paroles aussi merveilleuses, qui captivèrent mon esprit et attirèrent mon coeur. Dans mon esprit, je pensai à tout, excepté que ces paroles venaient de Dieu.

*[nota: Haji Mirza Haydar-'Ali semble avoir confondu les thèmes des tablettes. C'étaient Lawh-i-Ra'is et Lawh-i-Fu'ad adressées respectivement à 'Ali Pasha et à Fu'ad Pasha et non pas au sultan, bien qu'il soit fait référence dans ses tablettes au sultan]
**[nota: à Téhéran, Baha'u'llah enfant avait assisté à la fête du mariage de l'un de ses frères où il vit un spectacle de marionnettes dont il parle dans Lawh-i-Ra'is]

Puis j'arrivai à ces paroles exaltées: "Sous peu Nous renverrons celui qui lui ressemble et nous saisirons leur chef *, qui dirige ce pays. En vérité, je suis le Tout-Puissant, l'Irrésistible." **

*[nota: Sultan 'Abdu'l-'Aziz]
**[nota: ceci est un passage de Lawh-i-Fu'ad). D'après ce que narre Haji Mirza Haydar 'Ali, on peut conclure que Mirza Abu'l-Fadl avait tout d'abord lu Lawh-i-Ra'is (révélée à Acre) puis Lawh-i-Fu'ad. Il est raisonnable d'assumer qu'il lut aussi Suriy-i-Ra'is, car celle-ci (qui était adressée à 'Ali Pasha) fut révélée en l'honneur du Dhabih chez qui se trouvait Mirza Abu'l-Fadl]

En lisant cette déclaration je fus stupéfait et plongé dans un état d'étonnement et d'émerveillement. Pendant près d'une demi-heure, je demeurai sans voix. Immergé dans mes pensées, je me demandais si c'était de la grande magie ou de la sorcellerie et très certainement cela me fut une sérieuse épreuve.

Finalement je fus convaincu dans ma réflexion, nous étions bien en train de rentrer dans le "temps de la fin" et le Promis ne viendrait pas tant que l'impiété ne se serait pas propagée. Je maintins que Baha'u'llah avait fait ces déclarations et ces prophéties afin de tromper les petites gens et de garder l'emprise sur ses disciples. Sinon il ne serait pas possible pour un prisonnier, qui plus est par ordre du Roi, de s'adresser à lui dans un langage si puissant et de le dénoncer en des termes si véhéments, particulièrement lorsqu'il se trouvait totalement seul et sans aide, sur une terre étrangère... Ces vaines imaginations et pensées sataniques remplissaient mon esprit et pourtant je louai Dieu et le remerciai de son affectueuse bonté pour n'avoir jamais eu tendance à ne pas aimer Baha'u'llah ou à être discourtois avec lui.

...De toute façon, afin de pouvoir me libérer de 'Abdu'l-Karim, je lui dis... "Posséder le pouvoir de vie sur toutes choses créées est un miracle dont les Prophètes du passé n'ont jamais manifesté de semblable."... Par conséquent, je repris mon enveloppe scellée et ma feuille blanche adressées à Baha'u'llah, les déchirai, et déclarai que pour moi l'accomplissement de ces prophéties constituerait la preuve et un critère de vérité. Je pris aussi l'engagement que personne ne me parlerait plus de la Foi jusqu'à ce que ces prophéties soient accomplies.

Je pensai en moi-même que l'incident qui me fit aller chez le Haji était non seulement un acte de la providence pour me débarrasser de tout autre discussion avec les baha'is, mais que cela me donnerait aussi le moyen de guider ces âmes et de les empêcher ainsi d'aller dans la mauvaise direction. Mais les croyants ne coupèrent pas tous les ponts avec moi. Ils venaient de temps en temps me voir et par leurs discours... essayèrent de me libérer des entraves des vaines imaginations. Mais, j'étais comme une araignée. Plus ils coupaient le filet de mes vaines imaginations, plus je continuai à le faire.

Cinq ou six mois passèrent (à partir du jour où il avait lu les tablettes ci-dessus). Pendant cette période, je pensai souvent aux prophéties de Baha'u'llah concernant le sultan. Lorsqu'un jour, passant devant la Masjid-Shah (la mosquée du Shah) de Téhéran, mes yeux tombèrent sur Haji Mirzay-i-Afnan qui était un marchand respectable et l'un des croyants illustres de cette très grande révélation. Il était accompagné de Mirza Haydar-'Aliy-i-Ardistani *, l'un des survivants du fort de Shaykh Tabarsi **.

*[nota: à ne pas confondre avec le célèbre Haji Mirza Haydar-'Aliy-i-Isfahani dont les chroniques sont citées dans ces pages]
**[nota: voir Nabil-i-A'zam, La chronique de Nabil]

Ces deux hommes étaient debout dans la rue et discutaient ensemble. Comme j'essayai de fuir les baha'is et de me tenir à l'écart d'eux, je mis mon 'aba * par-dessus la tête et entreprit de traverser la rue pour m'éloigner de ces deux hommes. Mais ils me virent et m'appelèrent et je fus obligé de répondre à leur appel. Ils dirent, "Maintenant la preuve de la Foi de Dieu a été établie pour vous. La nouvelle de la déposition du sultan 'Abdu'l-Aziz vient d'arriver ici par télégramme." Cette nouvelle me bouleversa. Bien que je me doutasse de leur intention, j'éclatai de rage et leur criai avec colère: "cela ne me concerne pas si le sultan a été déposé. Je ne suis pas un de ses parents." "Mais n'avez-vous pas dit que l'acceptation conditionnelle de votre foi dépendrait de cet événement ?" me rappelèrent-ils. Je piaffais tellement de rage que je partis sans dire adieu. Je ne poursuivis pas dans la direction où je voulais aller ; au lieu de cela, je retournai chez moi.

*[nota: le 'aba était un vêtement que les orientaux portaient à l'époque; il se portait habituellement sur les épaules, mais lorsqu'il faisait froid on le plaçait sur la tête]

Connaissant l'immensité de cette épreuve, j'étais terrassé par l'émotion et les larmes coulaient irrésistiblement de mes yeux, je suppliai Dieu de m'aider afin de ne pas être mal dirigé. Tandis que je me trouvai dans cette condition, 'Abdu'l-Karim et deux autres personnes arrivèrent. Je n'étais pas en état de les recevoir, je quittai donc la maison et n'y retournai que tard dans la nuit. Ces amis savaient que je ne pouvais leur faire face et que j'étais parti en courant. Ils attendirent deux ou trois jours et revinrent. Je m'excusai de ma conduite ce soir-là et leur dit que maintenant nous devions attendre jusqu'à ce que la prophétie "nous saisirons leur chef" soit accomplie. J'expliquai que le terme "saisir" ne signifiait pas mort naturelle, car tout le monde devrait mourir. Cela signifie qu'il devait être tué.

Mon zèle à trouver la vérité avait maintenant atteint son paroxysme. Je rendis visite à tous les hommes érudits en qui j'avais confiance et discutai avec eux des principes de religion, mais je les trouvai impuissants, tandis que les preuves avancées par les baha'is étaient, en mon sens, écrasantes et bien plus supérieures. Je me trouvai maintenant capable de découvrir les mystères et la compréhension de la réalité et les significations des versets du Coran.

Quelques jours passèrent et la nouvelle de l'assassinat du sultan fut transmise par télégramme. Je devins fou et totalement perplexe. J'étais tellement agité que je me donnais des coups. Un moment je me disputais avec Dieu, à un autre je devenais incroyant, puis je me repentais et je l'implorais de m'aider, de me guider et de me protéger. Ce jour et cette nuit, je passai par une rude épreuve et n'arrivai pas à me débarrasser de ces pensées. Je ne pouvais ni manger ni dormir. Je ne pouvais pas manger. Je bus seulement du thé et je fumai et pleurai.

Une nuit, je fus tiré de mon sommeil et commençai à me mettre en garde en ces termes: "Cela fait près d'un an que tu fréquentes les baha'is et que tu argumentes avec eux. Ces hommes sont illettrés et sans instruction, pourtant chaque fois ils ont affirmé leur ascendance sur toi, ils ont fourni les preuves et démontré la validité de leur Cause. Bien que tu te considères comme un érudit et un chercheur de Livres saints, de commentaires et de traditions, tu sais pourtant que ces hommes ont beaucoup plus de ressources que toi. C'est comme s'ils étaient inspirés et aidés par Dieu, et le Saint Esprit parle à travers eux. Tu as aussi été le témoin de leur caractère exalté et de leurs vertus célestes. Alors, pourquoi devrais-tu interpréter leurs paroles comme les souffles du malin chuchoteur ? Te souviens-tu comme tu étais enchanté à la lecture du "spectacle du Sultan Salim' dans Lawh-i-Ra'is ! Comment tu fus attiré par l'éloquence et la sublimité de ces paroles ! Tu devrais maintenant lire et étudier avec l'oeil de la justice et de l'équité, les écrits de celui qui prétend être le révélateur de la Parole de Dieu. Si cette Cause n'est pas véridique, le premier à l'affronter sera Dieu. Par conséquent sa survie est impossible...

Je me levai, fis mes ablutions et dis des prières. Je pris alors l'épître de Baha'u'llah (Lawh-i-Ra'is) que je n'avais jamais été amené à lire bien qu'elle ait été en ma possession depuis très longtemps. Je l'ouvris, me tournai en larmes et avec dévotion vers Dieu, et commençai à lire. Ce fut alors que j'entendis la voix de Dieu... m'appelant à travers le porte-parole de cette Manifestation, "Ne suis-je pas ton Seigneur ?" À cet appel me parvenant par la Beauté du Tout-Puissant, je répondis de tout mon coeur, "Tu l'es, Tu l'es ! * Je crus.

*[nota: dans l'Islam, le croyant se sert de cette expression pour répondre à l'appel de Dieu lorsqu'il se manifeste à lui]

Je passai de l'état de pensées futiles et de vaines imaginations à celui de la certitude... Je devins profondément attiré par la Parole de Dieu et emporté par son pouvoir. Je ressentis un tel amour et tant de dévouement envers la Source de la révélation divine (Baha'u'llah) et éprouvai en moi-même une telle joie et une telle extase que je ne pourrai jamais les décrire. Les mots ne peuvent pas exprimer la hauteur de la spiritualité à laquelle j'avais été transformé... Je savais que si jusqu'à la fin de mes jours, je servais ces âmes qui avaient été la cause de ma providence divine, et que même si je donnais ma vie dans leur chemin, je ne pourrais jamais les remercier assez de m'avoir donné le salut éternel et la vie spirituelle...

Je passai la nuit dans une joie infinie. Avant l'aube, je me hâtai vers la maison de 'Abdu'l-Karim, embrassai le seuil de sa porte, me prosternai à ses pieds et manifestai une telle humilité et une telle abnégation envers lui qu'il en fut très embarrassé. Il me dit que ma conduite n'était pas justifiée et qu'elle était basée sur mes vaines imaginations, car Dieu est celui qui guide les âmes et non pas l'homme. (n°7 de Haji Mirza Haydar 'Ali, biographie non publiée de Mirza Abu'l-Fadl)

Après avoir embrassé la foi de Baha'u'llah, Mirza Abu'l-Fadl devint une création totalement neuve. Il acquit une acuité spirituelle aiguë et une foi rarement vue chez les disciples de Baha'u'llah. La raison en était probablement, en premier lieu, la pureté de son coeur qui l'aida dans sa quête ardue de recherche de la vérité, à lutter à travers les voiles de la fierté, de la superstition et des vaines imaginations puis à les déchirer, jusqu'à ce qu'il ne restât plus qu'un esprit pur attiré par Baha'u'llah comme un morceau de fer serait attiré par un puissant aimant. Cette attirance était si totale que comme le fer lorsqu'il se magnétise, il abandonna totalement sa volonté à celle de Baha'u'llah à la suite de quoi il devint un géant spirituel, paré de telles vertus et de tels talents que très peu d'apôtres de Baha'u'llah, si tant est qu'il en est, l'ont surpassé en qualités et en perfections.

En second lieu, par l'influence de la Foi de Baha'u'llah, sa grande connaissance de la religion, de l'histoire et de la philosophie, acquit une nouvelle dimension, une nouvelle qualité et un nouveau pouvoir. Les forces de la révélation de Baha'u'llah agirent comme des rayons de lumière, et sa connaissance comme l'oeil. La combinaison des deux lui apporta une nouvelle vision. Cette connaissance, guidée maintenant par la lumière de la Foi et associée au détachement de toutes choses créées, lui octroya le don de véritable compréhension d'une telle magnitude qu'il devint la source de la connaissance divine. Il se servit de cette connaissance comme d'un outil pour comprendre la réalité intérieure de la révélation de Baha'u'llah. Par la connaissance de Dieu, le détachement de toutes choses créées et en vivant la vie, il reconnut le rang de Baha'u'llah et la grandeur de sa Cause à un point que probablement très peu de personnes ont atteint.

La reconnaissance de la Manifestation de Dieu (Baha'u'llah, en ce jour) est le premier pas vers le développement spirituel d'une âme. Et comme cette reconnaissance est relative et varie de personne à personne, il est apparent que ceux qui ont réussi à reconnaître la grandeur de la révélation de Baha'u'llah en profondeur et deviennent sincèrement conscients de sa gloire transcendante et de son impressionnante majesté, seront dotés de pouvoirs de compréhension spirituelle bien plus grands. Mirza Abu'l-Fadl réalisa ceci à un niveau suprême et devint l'accomplissement de ces paroles de Baha'u'llah:

Quiconque m'a reconnu se lèvera et me servira avec une telle résolution que les forces de la terre et du ciel seront incapables de faire échouer son dessein. (N°8, Synopsis)

Il est évident d'après ses écrits et sa vie édifiante qu'avec une pénétrante clairvoyance, il avait perçu la signification et la grandeur du Jour de Dieu inauguré par Baha'u'llah.

Feu Ali-Kuli Khan *, qui passa un temps considérable avec Mirza Abu'l-Fadl, a décrit l'ardeur avec laquelle ce dernier priait, et puis commente:
"La raison pour laquelle il priait avec une telle ferveur et de tels pleurs était sa conception de la grandeur de Dieu et de son propre néant ; sa croyance que son existence même, octroyée par la miséricorde divine, était un péché en ce Jour "où rien ne peut être vu excepté les splendeurs de la lumière qui brille du visage de ton Seigneur" (n°9 The Baha'i World, vol. IX, p.858)

*[nota: il rendit de remarquables services à la Foi au début de son établissement en Occident ; parmi ses services il y a de nombreux travaux de traduction]

À travers ces qualités Mirza Abu'l-Fadl devint à un tel point la source de la connaissance divine et la personnification des vertus baha'ies, de l'humilité, de l'abnégation que 'Abdu'l-Baha dans l'une de ses causeries (n°10 cité par Mehrabkhani, Sharh-i-Ahval-i- Mirza Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani, p.342) après le décès de Mirza Abu'l-Fadl le décrit comme "l'exemple suprême à suivre par les baha'is". À une autre occasion, il se réfère à lui comme à "la lampe de sa Cause", la "lumière de la providence divine", "une étoile brillante", "un océan qui se gonfle". Lorsqu'il alla en Amérique, le Maître envoya un télégramme à un ami en Egypte lui demandant de prendre grand soin de Mirza Abu'l-Fadl et disant, "on doit le considérer comme si c'était Moi."

Le même Ali-Kuli Khan le décrit en ces termes: "Si je n'avais jamais vu 'Abdu'l-Baha et Shoghi Effendi, j'aurais considéré Mirza Abu'l-Fadl comme le plus grand être sur lequel mes yeux se soient posés." (n°11 The Baha'i World, vol IX p.856)

Mirza Abu'l-Fadl savait que le rang de Baha'u'llah était si exalté et le sien si indigne, qu'il ne se sentait pas capable de solliciter la permission d'aller en sa présence. Il était l'un des Apôtres de Baha'u'llah qui n'avait jamais posé les yeux sur son Seigneur. Mais il se trouva en présence de 'Abdu'l-Baha pour la première fois en 1894 et jouit du soleil de son amour pendant près de dix mois. À ce moment-là, il montra une telle humilité et abnégation que les croyants qui étaient présents apprirent de lui la véritable signification de la servitude et du néant total. Ali-Kuli Khan a très joliment décrit ceci:

...Oui, pour réellement comprendre sa grandeur, vous auriez dû le voir lorsqu'il était en présence de 'Abdu'l-Baha. Alors son savoir le réduisait au néant et vous faisait penser à un galet sur la plage. (N°12, The Baha'i World, vol IX, p.856)

Concernant le grand privilège de rencontrer 'Abdu'l-Baha, il écrivit ce récit:

Lorsqu'en 1894 l'auteur voyagea en Terre sainte et put visiter, grâce à l'aide des faveurs divines, son Seuil sacré, il fut surpris de voir en lui toutes les vertus et perfections. Celles-ci furent remarquées pendant les dix mois où il demeura abrité par sa proximité. Maintes fois nous fûmes en sa présence lorsque de nombreuses personnalités importantes étaient là, tels que juges, médecins, grands militaires et fonctionnaires de diverses nationalités, religions et langues. Pendant qu'il se trouvait parmi eux de grands paquets de lettres provenant de toutes les parties du monde lui furent apportées. Quoiqu'il fût entouré de difficultés insurmontables, il continua - glorifié soit son Nom et sa Grandeur ! - à répondre aux questions et aux demandes faites par ceux qui étaient présents, tout en écrivant des réponses à chaque lettre. Ces tablettes et réponses étaient écrites sans méditation, pause de la plume, ou brouillon préliminaire et sans l'aide d'un scribe. Toutes les régions sont remplies de ses tablettes et les coeurs sont attirés par leur diffusion. Grâce à lui, la voix de son Seigneur... a atteint les cieux suprêmes. Les âmes sont élevées par les termes de ses épîtres très répandues, qui exhalent les plus pures fragrances de ses paroles, et de leurs versets s'écoulent des fontaines de connaissance et de sagesse. (N°13, Baha'i Proofs, p.244-5)

Ce grand homme, que Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha chérissaient si tendrement, et dont 'Abdu'l-Baha ordonna à ses disciples d'imiter l'exemple de vie, dont l'une des portes du tombeau du Bab porte le nom en souvenir des remarquables services qu'il rendit à la Cause, servit la Foi de Dieu avec distinction principalement parce qu'il était détaché de toutes les choses terrestres et qu'il avait la capacité de devenir le dépositaire des bontés et des confirmations de Baha'u'llah *.

*[nota: pour un récit sur les activités de Mirza Abu'l-Fadl comme enseignant baha'i, voir annexe II]



CHAPITRE 6: Les dirigeants les plus puissants du monde

Malgré la sévérité des restrictions imposées à Baha'u'llah dans les casernes d'Acre, c'est avec joie qu'il fit part à ses disciples de la bonne nouvelle que bientôt, grâce au pouvoir du Tout-Puissant, s'ouvriraient les portes de la prison et que de plus en plus les influences spirituelles de sa révélation, qui englobe toute chose, imprégneraient le monde entier. En étudiant le déroulement des événements depuis le jour où Baha'u'llah déclara son rang dans le jardin de Ridvan en 1863 jusqu'au moment où il fut incarcéré dans la Plus-Grande-Prison, nous remarquons avec crainte et émerveillement les choses capitales qui avaient eu lieu et l'immensité et l'amplitude de sa révélation qui avait si effectivement revitalisé les fortunes de la communauté du Plus-Grand-Nom.

Pendant cette courte période de temps ne couvrant pas tout à fait six ans, Baha'u'llah, la Manifestation suprême de Dieu, avait dévoilé dans ce Jardin à un certain nombre de ses compagnons la gloire de son visage cachée derrière "une myriade de voiles de lumière", lorsque, d'après son propre témoignage, la création tout entière avait été "immergée dans la mer de purification" et que les splendeurs de la lumière de son visage étaient apparues sur le monde. À cet instant, la semence d'un nouvel ordre embrassant et régénérant le monde, divin dans son origine et possédant des capacités incommensurables, avait été plantée dans le sol de la société humaine, elle était destinée à germer une décennie plus tard avec la révélation de Kitab-i-Aqdas lorsque les lois et ordonnances ainsi que les institutions de ce même ordre seraient devenues réalité.

Dans le court laps de temps séparant la déclaration de sa mission et son emprisonnement à Acre, la grande majorité des disciples du Bab avaient embrassé la cause de Baha'u'llah. S'identifiant à son Nom, certains étaient partis comme pèlerins, voyageant sur de longues distances, souvent à pied, afin de pouvoir accéder à sa présence. À la suite de leur entrée en contact avec l'esprit régénérant de sa Personne exaltée, la plupart d'entre eux devinrent une création nouvelle. Ils flamboyaient comme des boules de feu. Puis ils retournèrent chez eux, en Perse, irradièrent la lumière de sa Foi à un nombre incalculable d'âmes ; beaucoup d'entre eux acceptèrent de plein gré la couronne du martyre et sacrifièrent leur vie dans son chemin.

Pendant cette même période à Andrinople, la cause de Dieu avait connu pendant cinq années une vague prodigieuse de révélations divines, se terminant par la proclamation historique de son messager sur cette terre. La Suriy-i-Muluk * avait été révélée dans un langage d'autorité et de pouvoir, et dans la sourate, l'appel au clairon d'un roi puissant avait retenti et sa revendication totalement affirmée. La tablette qu'il décrit comme le "Grondement" de sa proclamation, adressée à Nasiri'd-Din Shah avait été révélée, mais pas encore transmise.

*[nota: voir vol.2, ch 15 - Sourate aux rois]

Sa première épître à Napoléon III avait été envoyée. La Suriy-i-Ra'is dans laquelle le grand vizir 'Ali Pasha avait été sévèrement réprimandé avait été révélée. Cette épître dont Baha'u'llah avait attesté que dès l'instant de sa révélation "et jusqu'au jour présent, ni le monde ne serait plus tranquille, ni les coeurs de son peuple ne seraient plus en repos", et dont les prophéties qu'elle contient ont été notées avec respect et émerveillement.

En outre, le processus de désintégration et la dégradation du vieil ordre s'étaient mis en marche lorsque l'appel du Seigneur des armées aux rois et dirigeants du monde fut rejeté et ignoré. De plus, dans cette courte période de temps, le briseur de l'alliance, Mirza Yahya, avait été stigmatisé par Baha'u'llah comme la "plus grande Idole" et avait été rejeté de la communauté du Plus-Grand-Nom par les mains du pouvoir et de la puissance.

Tels furent les grands événements primordiaux qui avaient marqué les années d'ouverture du ministère de Baha'u'llah depuis la déclaration de sa mission à Bagdad, et maintenant à Acre les effusions de la révélation de Baha'u'llah, bien que confiné dans une cellule et coupé de l'ensemble des croyants, ne cessèrent pas. L'océan de ses paroles continua a déferlé et la Langue de grandeur parla avec autorité et puissance. Derrière les murs de la Plus-Grande-Prison, la plume du Très-Haut dirigea ses avertissements et ses exhortations d'abord à ses persécuteurs immédiats, puis à certains des monarques dominant le monde à cette époque.

Jamais, depuis le commencement du monde, affirme Baha'u'llah, le message n'a été proclamé aussi ouvertement. Chacune d'entre elles, écrit-il, faisant spécialement allusion aux tablettes qu'il adressa aux souverains de la terre - tablettes que 'Abdu'l-Baha célébra comme un "miracle" -, a été désignée par un nom particulier. La première a été appelée le Grondement, la seconde le Souffle, la troisième l'Inévitable, la quatrième la Plaine, la cinquième la Catastrophe, et les autres, le son assourdissant de la Trompette, l'Evénement proche, la grande Terreur, la Trompette, le Clairon et ainsi de suite, de sorte que tous les peuples de la terre peuvent savoir avec certitude, et être témoins, avec leurs yeux de chair et ceux de l'âme que celui qui est le Seigneur des noms a dominé et continuera à dominer, en toutes circonstances, sur tous les humains. (n°1, Dieu passe près de nous, p.203)

- Tablette à Napoléon III:

La première tablette à Napoléon III, envoyée lorsqu'il était à Andrinople, avait été reçue par le monarque avec un manque de courtoisie et de respect (voir vol.2) Il a été rapporté qu'il avait jeté la tablette disant "Si cet homme est Dieu, Je suis deux dieux !" La deuxième tablette à Napoléon III fut révélée (en arabe) et lui fut envoyée en 1869, après que Baha'u'llah eut reçu une communication de l'un des ministres de l'Empereur l'informant que jusqu'à là il n'y avait pas eu de réponse. Cette tablette, contrairement à la précédente qui était écrite sur un ton plutôt modéré, est révélée dans un langage majestueux et sur un ton d'autorité suprême ; elle déclare distinctement que son auteur n'est nul autre que le Roi des rois.

Son paragraphe d'ouverture seul suffit à transmettre au lecteur un aperçu de la majesté des paroles de Baha'u'llah:

Ô roi de Paris, dis aux prêtres de ne plus faire sonner les cloches. Par Dieu, le Vrai, celui qui est le plus grand Nom lance l'appel le plus puissant et les doigts de la volonté de ton Seigneur, le Très-Elevé, le Sublime, le font résonner en son Nom au ciel d'immortalité... Ô Souverain, écoute la voix du feu allumé dans cet arbre verdoyant, sur ce Sinaï élevé en ce lieu sacré et nivéen, par-delà la Cité éternelle: "Certes, il n'est pas d'autre Dieu que moi, le Clément, le Très-Miséricordieux. (n°2, L'appel du Seigneur des armées, p.52-3)

Dans cette tablette Baha'u'llah prophétise la chute de Napoléon, en donne les raisons et déclare que cette catastrophe sera inévitable à moins qu'il ne fasse amende et ne se lève pour servir sa Cause.

Ce passage extrait de la tablette servira à faire connaître au lecteur les paroles convaincantes de Baha'u'llah réprimandant l'un des plus puissants monarques de son temps:

Ô Roi ! Nous avons entendu la réponse que tu adressas au Tsar de Russie concernant ta décision au sujet de la guerre (guerre de Crimée). Certes, ton Seigneur sait, il est informé. Tu dis: "J'étais endormi sur ma couche et fus réveillé par les cris des malheureux qu'on noyait dans la Mer Noire." Voilà ce que nous t'avons entendu dire, et ton Seigneur est vraiment le témoin de mes paroles. Nous affirmons que ce ne sont pas leurs cris qui t'ont réveillé mais l'aiguillon de tes propres passions, car nous t'avons mis à l'épreuve et nous t'avons pris en défaut. Comprends le sens de mes propos et sois perspicace... Si ton discours avait été sincère, tu n'aurais pas rejeté le Livre de Dieu, lorsque le Tout-Puissant, le Très-Sage te l'a envoyé. Ainsi t'avons-nous éprouvé et nous ne t'avons pas trouvé tel que tu te prétendais. Lève-toi et fais amende honorable pour ce qui t'a échappé. Avant peu, le monde, et avec lui tout ce que tu possèdes, périra mais le Royaume appartiendra toujours à Dieu, ton Seigneur, le Seigneur de tes pères. Il ne te convient pas de gérer tes affaires selon les exigences de tes désirs. Redoute les soupirs de cet opprimé et protège le contre les traits des fauteurs d'injustice.

Pour ce que tu as fait et en punition de ce que tu as tramé, ton empire s'échappera de tes mains et ton royaume sera jeté dans le chaos. Tu comprendras alors à quel point tu t'es trompé. Dans ton pays, l'agitation s'emparera du peuple, à moins que tu ne te décides à soutenir cette Cause et à suivre dans ce droit chemin celui qui est l'Esprit de Dieu. Ton faste t'a-t-il enorgueilli ? Par ma vie, il ne durera guère et sera bientôt anéanti, à moins que tu ne t'accroches fermement à cette Corde solide. Nous voyons l'humiliation à tes trousses aussi longtemps que tu seras compté parmi les insouciants...

Abandonne tes palais aux peuples des tombeaux et ton empire à qui le désire. Puis tourne-toi vers le Royaume. C'est cela que Dieu a vraiment choisi pour toi, si tu étais de ceux qui se tournent vers lui... Mais si tu souhaites porter le poids de ta souveraineté, fais le pour venir en aide à la cause de ton Seigneur. Glorifié soit ce rang ! Celui qui y parvient reçoit toutes les faveurs que dispense l'Omniscient, le Très-Sage... Te félicites-tu des trésors en ta possession, tout en sachant qu'ils périront ? Te réjouis-tu de régner sur un arpent de terre alors que le monde entier, pour les gens de Baha, n'a pas plus de valeur que la noire prunelle d'une fourmi morte ? Abandonne-le à ceux qui le chérissent et tourne-toi vers celui qui est le désir de l'Univers. Que sont devenus les orgueilleux et leurs palais ? Contemple leurs tombes et profite de cet exemple, car nous en avons fait une leçon pour ceux qui observent. Si les brises de la révélation te saisissent, tu fuiras le monde pour te diriger vers le Royaume et tu dépenseras tout ce que tu possèdes pour te rapprocher de cette sublime vision. (n°3, L'appel du Seigneur des armées, p.55 à 63)

Il ne fallut que quelque mois pour que les prophéties de Baha'u'llah se réalisent ; l'Empereur rencontra son destin en 1870.

Shoghi Effendi a écrit un bref récit de cela dans "Voici le Jour Promis":

Le sens des paroles si menaçantes et si lourdes de conséquences de Baha'u'llah, en sa seconde tablette fut bientôt révélé. Celui que des ambitions égoïstes avaient poussé à entreprendre cette guerre de Crimée, celui qu'aucune rancune personnelle excitait l'empereur de Russie, celui qui brûlait du désir de déchirer le traité de1815 pour venger le désastre de Moscou, et qui cherchait à parer son trône de l'éclat de la gloire des armes, fut bientôt englouti dans la catastrophe qui, l'ayant précipité dans la poussière, fit tomber la France du rang de puissance dominante qu'elle occupait parmi les Nations à celui de la quatrième des grandes puissances d'Europe.

La bataille de Sedan, en 1870, décida du destin de l'Empereur des Français. La totalité de son armée fut défaite et dut se rendre ; ce qui constitue la plus grande capitulation enregistrée jusque-là dans les temps modernes. Une indemnité écrasante fut exigée. Lui-même fut fait prisonnier. Son fils unique, le Prince impérial, fut tué quelques années plus tard dans la guerre contre les Zoulous. L'empire s'était écroulé sans avoir réalisé son programme. La République fut proclamée. Paris fut ensuite assiégé et contraint de capituler. "L'année terrible", marquée par la guerre civile, s'en suivit et celle-ci dépassa, par la férocité les horreurs de la guerre franco-allemande. Guillaume Ier, roi de Prusse, fut proclamé Empereur allemand dans ce palais même, "monument grandiose de l'orgueilleuse puissance de Louis XIV, puissance en partie fondée sur l'humiliation de l'Allemagne." Déposé à la suite d'un désastre "si effroyable qu'il retentit à travers le monde entier", ce monarque faux et vantard subit enfin, et jusqu'à sa mort, le même exil qu'il avait si impitoyablement ignoré quand il s'agissait de Baha'u'llah. (N°4, Voici le Jour promis, p.47)

La tablette de Baha'u'llah à Napoléon fut emportée de la prison par une personne qui la cacha dans son chapeau de façon à ce qu'elle ne puisse pas être détectée par les gardiens. Elle fut délivrée à l'agent consulaire français à Acre * qui la traduisit en français et l'envoya à l'Empereur. La lecture de la tablette révélée dans un langage si majestueux et éloquent, contenant de tels avertissements menaçant envers l'empereur, affecta profondément le fils de l'agent français qui devint un croyant lorsqu'il vit l'incroyable réalisation des prophéties de Baha'u'llah en un si court laps de temps.

*[nota: Louis Catafago, un arabe-chrétien]

Pour ceux qui ont épousé la cause de Baha'u'llah et reconnu l'origine divine de sa révélation, il ne peut y avoir de comparaison entre ses Paroles - les Paroles de Dieu - et les écrits des hommes. Certes, la différence entre les deux est incommensurable. Non seulement ses paroles sont-elles créatives, non seulement pénètrent-elles profondément dans le coeur des hommes et révolutionnent la société humaine, mais du seul point de vue littéraire, les Écrits de Baha'u'llah ne suivent pas toujours le schéma logique que l'esprit des hommes a conçu. Un écrivain digne de ce nom s'étend fréquemment sur un sujet à la fois et pas à pas développe son thème d'une façon logique. Il n'introduit pas un sujet au beau milieu du texte n'ayant aucun rapport avec son thème. Mais la Parole révélé n'est pas envoyée par Dieu dans le modèle de la pensée et de la logique de l'homme. Elle est exaltée au-dessus des limitations humaines. Elle est comme un océan sans limites, au-delà de la portée de l'homme, un océan dont seules quelques gouttes ressemblant à des mots tombent des vagues houleuses sur les rives de la compréhension humaine. Mais ses effusions ne suivent aucun des modèles que l'esprit de l'homme peut comprendre.

On peut trouver un exemple de cette non-conformité dans la tablette à Napoléon, où Baha'u'llah donne à ses disciples en ces paroles l'un de ses commandements les plus exécutoires:

Dieu prescrit à chacun d'enseigner sa cause. Qui se lève pour accomplir ce devoir doit, avant de proclamer son message, s'orner d'un caractère empreint de droiture et digne de louange pour que ses paroles captivent le coeur de ceux qui entendent son appel. Sans cela, il n'a aucune chance de toucher ses auditeurs. (N°5 Florilège d'Écrits, CLVIII, p.237)

Et il conseille aussi à ses bien-aimés:

Ô peuple de Baha ! Soumettez la citadelle des coeurs par les épées de la sagesse et de la parole. Un voile évident enveloppe ceux qui se disputent, mus par leurs désirs. Dis: L'épée de la sagesse est plus brûlante que la chaleur de l'été et plus aiguisée que des lames d'acier, si vous pouviez le comprendre ! Tirez la en mon nom et par mon pouvoir ; avec elle, conquérez la cité du coeur de ceux qui se sont retranchés dans la forteresse de leurs désirs corrompus. Ainsi vous l'ordonne la Plume du Très Glorieux, tandis qu'elle est menacée par les épées des rebelles. Si vous avez connaissance d'un péché commis par autrui, n'en soufflez mot afin que Dieu cache votre propre péché. En vérité, il est le Discret, le Seigneur de grâce abondante. Ô vous, les riches de la terre ! Si vous rencontrez un pauvre, ne le traitez pas avec dédain. Réfléchissez: de quoi fûtes-vous créés ? Tous, vous l'avez été d'un misérable germe. (N°6, Epître au Fils du Loup p.63)

On trouve un autre exemple lorsque Baha'u'llah choisit d'annoncer, au milieu de sa tablette à Napoléon, que les deux plus grandes Fêtes dans la Foi sont la Fête de Ridvan et la Fête de la déclaration du Bab, et qu'elles sont suivies par deux autres Fêtes, son propre anniversaire et celui du Bab. Dans cette tablette, Baha'u'llah annonce aussi l'élaboration de la loi sur le jeûne et stipule que sa durée sera de dix-neuf jours *. Telle est la divine révélation !

*[nota: la tablette a été intégralement traduite et publiée dans "L'appel du Seigneur des armées", Bruxelles, Maison d'éditions baha'ies, 2004]

- Tablette au Pape Pie IX:

La tablette au Pape Pie IX (en arabe) a été révélée par Baha'u'llah à peu près à la même époque que celle à Napoléon. Dans cette tablette, Baha'u'llah se présente comme le Seigneur des seigneurs et s'adresse au Pape avec l'autorité et la majesté de Dieu, proclamant dans un langage sans équivoque la promesse du retour du Christ dans la gloire du Père, et l'appelant avec la voix de commandement du Tout-Puissant de quitter ses palais et de s'empresser de se présenter devant le trône de son Seigneur.

Voici quelques extraits de cette puissante tablette:

Ô Pape, déchire les voiles: le Seigneur des Seigneurs est venu à l'ombre des nuées, et Dieu, le Tout-Puissant, l'Indépendant, a tenu sa promesse... Oui, il est venu du ciel comme il en vint la première fois. Garde-toi d'argumenter avec lui comme le firent les pharisiens, sans aucun signe ni preuve évidente...

Peux-tu vivre dans des palais, alors que celui qui est le Roi de la révélation habite la plus délabrée des demeures ? Laisse ces imaginations à ceux qui les désirent, et avec joie et ravissement, tourne ton visage vers le Royaume...Lève-toi au milieu des peuples du monde, au nom de ton Seigneur, le Dieu de miséricorde, et prends avec confiance la coupe de vie. Bois-en d'abord puis offres-en à ceux qui, parmi toutes les croyances, se tournent vers elle...

Souviens-toi de celui qui était l'Esprit. Lorsqu'il vint, les plus érudits le condamnèrent en son propre pays alors qu'un simple pêcheur crut en lui. Prenez exemple, hommes au coeur éclairé.

Ô souverain Pontife ! tends l'oreille vers ce que te conseille celui qui ranime des os tombés en poussière, par la voix de celui qui est son plus grand nom. Vends les somptueux vêtements que tu possèdes et dépenses-en le prix dans le chemin de Dieu, celui qui assure le retour des jours et des nuits. Abandonne ton royaume aux rois et, détaché du monde, le visage fixé sur le Royaume, sors de ta demeure pour chanter entre le ciel et la terre les louanges de ton Seigneur. Ainsi te l'ordonne, de la part de ton Seigneur, le Tout-Puissant, l'Omniscient, celui qui est le possesseur des Noms. (N°7, Appel du Seigneur des armées, p.43 à 48)

Il est significatif que peu de temps après la révélation de cette tablette, la souveraineté temporelle du Pape, qui pendant des siècles avait été la plus puissante dans la chrétienté mais qui depuis quelque temps diminuait en pouvoir et en influence, fut, par le pouvoir des paroles du père céleste, dramatiquement anéantie.

Shoghi Effendi dans son évaluation de cet événement a écrit:

En 1870, après que Baha'u'llah eut révélé son Épître à Pie IX, le roi Victor Emmanuel I déclara la guerre aux états pontificaux et ses troupes pénétrèrent dans Rome dont elles s'emparèrent. La veille de la prise de cette ville, le Pape, le visage baigné de larmes, monta sur les genoux, malgré son grand âge, la Scala Santa, pour se rendre au Latran. Le matin suivant, tandis que retentissait la canonnade, il fit hisser le drapeau blanc sur le dôme de St Pierre. Dépouillé de ses États, il refusa de reconnaître cette "création de la révolution", excommunia les usurpateurs, donna à Victor Emmanuel le nom de "roi voleur" et l'accusa de "n'avoir souci d'aucun principe religieux, de mépriser le droit et de fouler aux pieds la loi." Rome, "la Ville Éternelle", sur laquelle reposent vingt cinq siècles de gloire, et sur laquelle les Papes avaient exercé pendant dix siècles un indiscutable pouvoir, devint finalement le siège d'un nouveau royaume, et le témoin de l'humiliation, prévue par Baha'u'llah, que s'était imposée à lui-même le Prisonnier du Vatican.

"Les dernières années du vieux Pape furent remplies d'angoisse", écrit un commentateur de sa vie. "À ses infirmités physiques s'ajouta le chagrin de voir trop souvent au sein même de Rome, la Foi outragée, les ordres religieux spoliés et persécutés, les évêques et prêtres privés du droit d'exercer leurs fonctions."

Tous les efforts faits en vue de remédier à la situation créée en 1870 furent inopérants. L'archevêque de Posen alla solliciter à Versailles l'intervention de Bismarck en faveur de la Papauté et il ne reçut qu'un froid accueil. Plus tard, il se forma en Allemagne un parti catholique destiné à faire pression sur la Chancellerie allemande. Tout fut cependant inutile. Il fallait que ce puissant processus dont on a déjà parlé plus haut, continuât sa marche inexorable. Même maintenant, après un laps de temps de plus d'un demi-siècle, la soi-disant restauration de la puissance temporelle n'a servi qu'à mettre davantage en évidence la faiblesse de ce Prince autrefois si puissant, au nom de qui tremblaient les rois, et à la double souveraineté duquel ils se soumettaient de si bon gré. Cette puissance temporelle, pratiquement réduite à la minuscule cité du Vatican, et qui laissait à la Monarchie séculière la possession incontestée de Rome, fut obtenue comme prix d'une reconnaissance sans réserve qui avait été si longtemps refusée, du Royaume d'Italie. Le Traité du Latran qui prétend avoir résolu, une fois pour toutes, la Question Romaine a, en vérité, assuré au Pouvoir séculier, pour prix de la Cité Enclavée, une liberté d'action qui est grosse d'incertitude et de périls. "Les deux âmes de la Cité Éternelle", écrit un écrivain catholique, "se sont séparées l'une de l'autre, pour entrer en collision plus qu'elles ne l'avaient fait auparavant.".

Le Souverain Pontife pouvait certes évoquer en son esprit le règne du plus puissant de ses prédécesseurs, Innocent III qui, pendant les dix-huit années de son pontificat, avait élevé au trône et déposé des Rois et des Empereurs, dont les interdits avaient privé des Nations de l'exercice du culte chrétien, dont le Légat avait vu le Roi d'Angleterre déposer à ses pieds sa couronne, et à la voix de qui avaient été lancées les quatrième et cinquième Croisades. (N°8 Jour promis p 49-50)

- La Tablette au Tsar Alexandre II:

Une autre tablette révélée à Acre est la tablette au Tsar de Russie, Alexandre II. Elle fut révélée en arabe. Baha'u'llah y proclame son rang, se présente comme étant le Père céleste et lui enjoint de se lever en son Nom, proclamant sa mission et faisant venir les nations à sa Cause. Voici quelques-unes des paroles de Baha'u'llah adressées au Tsar:

Ô Tsar de Russie, prête l'oreille à la voix de Dieu, le Roi, le Très-Saint, et tourne-toi vers le paradis où demeure celui qui, dans l'Assemblée suprême, porte les titres les plus éminents et qui, dans le monde de la création est appelé par le nom de Dieu, le Resplendissant, le Très-Glorieux. Prends garde que tes désirs ne t'empêchent de te tourner vers la face de ton Seigneur, le Compatissant, le Très-Miséricordieux... Crains que ta souveraineté ne te retienne loin de celui qui est le Souverain suprême. En vérité, il est venu avec son Royaume, et tous les atomes proclament: "Voyez ! le Seigneur est apparu dans toute sa majesté". Celui qui est le Père est venu, et le Fils, dans la sainte Vallée, s'écrie: "Me voici ô Seigneur, mon Dieu, me voici !" tandis que le Sinaï gravite autour de la demeure et que le Buisson ardent annonce à haute voix: "Le Très-Généreux est venu sur les nuages ! Béni est celui qui s'approche de lui et malheur à ceux qui se tiennent à l'écart." Lève-toi parmi les hommes au nom de cette cause impérative, et appelle les nations à Dieu, le Grand, le Suprême. (n°9 Appel du Seigneur des armées, p, 64-65.

Décrivant la nature essentielle de sa révélation, Baha'u'llah écrit:

Dis: c'est une nouvelle dont se sont réjouis les coeurs des prophètes et des messagers. C'est celui dont se souvient l'âme de la création et qui est promis dans les Livres de Dieu, le Puissant, le Très-Sage... D'aucuns se sont lamentés d'être séparés de moi, d'autres ont supporté des épreuves dans mon chemin d'autres encore ont fait le sacrifice de leur vie pour l'amour de ma beauté, puissiez-vous le savoir. Dis: Je n'ai certes pas cherché à prôner ma personne, mais plutôt à louer Dieu lui-même, si vous jugiez équitablement. On ne voit en moi rien d'autre que Dieu et sa cause, puissiez-vous le comprendre. Je suis celui qu'Isaïe a célébré, celui dont le nom orne la Torah et l'Évangile... (N°10, Appel du Seigneur des armées, p.66)

Les exhortations de Baha'u'llah ne trouvèrent pas d'écho. Indifférent à la proclamation d'un message si puissant, Alexandre II gouverna son pays jusqu'en 1881 lorsqu'il fut assassiné, et sa dynastie s'éteignit en 1917 avec la montée du bolchevisme.

Il y a un passage dans cette tablette dans lequel Baha'u'llah se réfère à la supplication du Tsar à Dieu, mais n'en révèle pas les détails. Il écrit:

Nous avons entendu ce que tu as demandé à ton Seigneur lorsque tu l'interpellais secrètement. Alors les brises de ma tendre bonté soufflèrent, les vagues de ma miséricorde se soulevèrent, et nous t'avons répondu. Ton Seigneur est certes l'Omniscient, le Très-Sage. (N°11, Nous avons entendu, p.64)

Un certain croyant Aqa Muhammad-Rahim, qui était natif de Isfahan, fut confronté à une question par le consul russe d'Esterabad concernant le passage ci-dessus. Voici son histoire telle que rapportée dans les mémoires de Ustad 'Ali-Akbar-i-Banna de Yazd *.

*[nota: Ustad-Ali-Akbar fut un extraordinaire disciple de Baha'u'llah, il fut martyrisé à Yazd en 1903. Il vécut quelques années à 'Ishqabad et rendit de remarquables services à la Foi. La Tablette de Tajalliyat fut révélée en son honneur. Nous nous réfèrerons à lui plus en détail dans le prochain volume]

Aqa Muhammad-Rahim devint un croyant à une époque de persécutions et de souffrances. Mais il ne fut pas entravé par l'opposition. Il enseigna la Foi ouvertement avec pour résultat que certaines personnes embrassèrent la Cause tandis que d'autres se levèrent en opposition, résolues à lui nuire et tout particulièrement son père qui s'était farouchement dressé contre lui. Finalement il dut renoncer à la richesse et à la prospérité chez lui et, détaché de toutes choses terrestres, il émigra à Sabzivar (Province de Khurasan) où il travailla quelque temps dans les mines de cuivre. Plus tard, à cause des persécutions contre les croyants de Sabzivar il partit pour 'Ishqabad où il résida jusqu'à la fin de sa vie.

Aqa Muhammad-Rahim était un enseignant accompli de la Foi ainsi qu'un écrivain. Il visita Acre deux fois pendant la vie de Baha'u'llah et se trouva en sa présence. Il nous raconta l'histoire suivante:

Avant que je n'aille la première fois en pèlerinage pour être en la sainte présence de Baha'u'llah, le consul russe d'Esterabad avait laissé entendre à un marchand arménien qu'il aimerait rencontrer un baha'i de Sabzivar qui pourrait lui apporter des livres baha'is. Il avait même offert de payer les dépenses que cela impliquait. Le marchand arménien transmis le message à Haji Muhammad-Kazim, un marchand d'Isfahan (baha'i). Le Haji et d'autres croyants se consultèrent et décidèrent que je devais y aller.

Le marchand arménien écrivit pour le consul une lettre d'introduction que je transportai avec moi avec quelques libres baha'is. Je voyageai jusqu'à Esterabad et deux jours plus tard j'allai voir le consul et lui donnai la lettre. Il m'invita à rester chez lui, ce que je fis. Nous avions l'habitude de parler ensemble le soir. Il parlait de certaines parties de l'histoire de la Foi qu'il connaissait et je l'éclairais sur des sujets avec lesquels il n'était pas familier. Une nuit, il me dit: La raison principale pour laquelle je vous ai demandé de venir ici est de vous demander la signification du passage suivant qui se trouve dans la tablette de Baha'u'llah au Tsar: "Nous avons entendu ce que tu as demandé à ton Seigneur lorsque tu l'interpellais secrètement. Alors les brises de ma tendre bonté soufflèrent, les vagues de ma miséricorde se soulevèrent, et nous t'avons répondu. Ton Seigneur est certes l'Omniscient, le Très-Sage."

Qu'a demandé le tsar dans ses prières et qui lui fut accordé ? Je ne connaissais pas la réponse, alors je dis, "Dieu le sait". "C'est évident", dit-il, "mais comment interprétez-vous ce passage ?" Je méditai pour un court laps de temps sur le sujet et arrivai à la conclusion que les rois ne demandent rien à Dieu si ce n'est la victoire dans leurs conquêtes et la défaite pour leurs ennemis... Pour renverser la situation après la défaite de la Russie dans la guerre de Crimée, le Tsar avait prié Dieu de le rendre victorieux dans son combat contre les Ottomans et de lui permettre de conquérir leurs cités. Je transmis toutes ces pensées au consul et lui suggérai d'écrire une lettre au Tsar pour l'informer que ses prières recevraient une réponse et qu'il devrait exécuter ses plans et ses intentions.

Quelques jours plus tard il paya mes dépenses de voyage et je retournai à la maison. Mais dans mon coeur j'étais inquiet de crainte que mon interprétation de la tablette puisse être incorrecte. J'étais inquiet à cause de cela. La crainte et l'espoir demeurèrent dans mon coeur jusqu'à ce que j'allai à Acre et arrive au caravansérail. Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que Mirza Aqa Jan (le secrétaire de Baha'u'llah) vienne me voir. Entre autres il me demanda: "Qu'as-tu dit au consul de Russie ?" Je restai silencieux et devint plein d'appréhension. Une heure plus tard Ghusn-i-Akbar (Mirza Muhammad-Ali, le fils de Baha'u'llah qui devint plus tard l'archibriseur de l'alliance de Baha'u'llah) vint aussi me rendre visite. Il me posa la même question. Cela ajouta à mon anxiété.

Le matin suivant, la Plus-Grande-Branche ('Abdu'l-Baha) vint. Je me sentis obligé de lui raconter toute l'histoire exactement comme elle s'était passée et j'avouai l'erreur que j'avais faite dans ma déclaration. 'Abdu'l-Baha me dit, "Sois heureux et soulagé, car la déclaration que tu as faite est la vérité, car un jour la Beauté bénie fit savoir qu'à ce moment même quelqu'un était en train de lire la tablette au Tsar. Puis Baha'u'llah te mentionna. Il dit: Le consul de Russie a demandé à l'un de nos serviteurs: "Quelle était la prière du roi ?" La réponse qu'il reçut fut correcte." puis il révéla ton nom, disant que cette personne était Aqa Muhammad-Rahim-i-Isfahani" *. Je remerciai Dieu pour cela et fut très heureux de l'entendre.

*[nota: ce ne sont pas les paroles exactes de Baha'u'llah ou de 'Abdu'l-Baha. Ce sont les souvenirs de Aqa Muhammad-Rahim]

Ces pensées de Aqa Muhammad-Rahim transmises au consul de Russie se réfèrent à la guerre de 1877-8 entre la Russie et la Turquie. Le Tsar partit en guerre apparemment pour venger la défaite de son père dans la guerre de Crimée. Tout d'abord ses armées firent des progrès considérables et avancèrent vers Constantinople. Puis leur progression fut arrêtée par les Turcs et de nombreux soldats russes furent tués dans les batailles qui s'ensuivirent. Le Tsar vit la perspective d'une nouvelle défaite, et Aqa Muhammad-Rahim pensa que cela pouvait être le moment où le Tsar s'était tourné vers Dieu en prière implorant son aide. Baha'u'llah déclare dans sa Tablette qu'il avait été répondu à la prière du Tsar.

On doit remarquer ici que dans Suriy-i-Ra'is révélée quelques années auparavant, lorsqu'il était en chemin vers Acre, Baha'u'llah avait prédit les calamités qui devait advenir au gouvernement et au peuple turcs en punition de Dieu pour les cruautés qu'ils lui avaient infligées ainsi qu'à ses disciples. Et plus tard, dans le Kitab-i-Aqdas (Le Très-Saint Livre), il fit une autre dénonciation du régime tyrannique de la Turquie et prophétisa sa chute.

Le meurtre du sultan 'Abdu'l-Aziz en 1876 fut la première punition, suivie par la guerre de 1877-8 qui donna la victoire aux Russes, ce qui mit en marche le processus de désintégration de l'Empire ottoman. Andrinople fut occupée par les Russes et non moins de onze millions de personnes furent libérées des cruautés de ce régime tyrannique.

- Tablette à la reine Victoria:

Une tablette en arabe remplie de conseils et d'exhortations fut adressée par Baha'u'llah à la reine Victoria, dans laquelle il proclame la venue du Seigneur, sa grande gloire et la convie à sa Cause:

Ô reine de Londres, prête l'oreille à la voix de ton Seigneur, le Seigneur de l'humanité, qui appelle de l'arbre divin: En vérité, il n'est pas d'autre Dieu que moi, le Tout-Puissant, le Très-Sage ! Rejette loin de toi tout ce qui est sur la terre et pare la tête de ton royaume de la couronne du souvenir de ton Seigneur, le Très-Glorieux. Il est certes venu en ce monde dans sa gloire suprême, et tout ce qui est mentionné dans l'Évangile est accompli... Mets tes désirs de côté et tourne ton coeur vers ton Seigneur, l'Ancien des jours. Nous faisons mention de toi pour l'amour de Dieu et nous désirons que ton nom soit magnifié pour ta souvenance de Dieu, le créateur du ciel et de la terre ; En vérité, il est témoin de ce que je dis. (N°13 Ibid., p.68)

Dans cette tablette, Baha'u'llah loue la reine pour avoir "interdit le commerce des esclaves" et pour avoir "confié les rênes du gouvernement aux mains des représentants du peuple". Il est à noter ici, que dans le Kitab-i-Aqdas, le Livre de Lois, Baha'u'llah interdit le commerce des esclaves. Il approuve le système de gouvernement dans lequel participent les représentants du peuple. Dans sa tablette à la reine, Baha'u'llah exhorte les membres du Parlement britannique en ces paroles:

Il faut cependant qu'ils soient dignes de la confiance des serviteurs de Dieu et qu'ils se considèrent comme les représentants de tous ceux qui habitent sur terre. Voilà ce que leur conseille dans cette Tablette celui qui est le souverain, le Très-Sage...Béni celui qui entre dans l'Assemblée pour l'amour de Dieu et rend saine justice entre les hommes. En vérité, il est compté parmi les bienheureux... (n°14 ibid., p.69)

Quel grand contraste entre ces enseignements sublimes, qui constituent le caractère distinctif des futures institutions du commonwealth * baha'i, et les systèmes politiques actuels dans lesquels chacun se bat pour lui-même et son pays en excluant les autres !

*[nota: pour une étude sur la fédération mondiale baha'ie, voir "L'ordre mondial de Baha'u'llah", et les autres écrits de Shoghi Effendi]

L'enseignement essentiel de l'unité de l'humanité joue un rôle significatif dans le comportement et la conduite de ses disciples dans leur vie de chaque jour, il est profondément enraciné dans la Foi de Baha'u'llah et il promet que sa réalisation, sur un niveau spirituel, aura lieu en temps et lieu dans l'âge d'or de la Foi. Une telle conception universelle que toute l'humanité est une, créée par amour par le même Dieu, transcende pour un baha'i tous les autres critères.

Baha'u'llah, dans sa tablette à la reine, a établi ce principe fondamental pour les membres d'un Parlement. L'exhortation qu'ils devraient être "dignes de la confiance des serviteurs de Dieu et qu'ils se considèrent comme les représentants de tous ceux qui habitent sur terre" peut être acceptable par certain pour des raisons morales, mais ne peut pas être mis en pratique dans un monde si divisé en lui-même, et sa mise en application peut être considérée comme une impossibilité par ceux qui n'ont pas encore reconnu l'origine divine de la cause de Baha'u'llah. Mais ceux qui ont épousé sa Foi et qui sont déjà témoins de l'esprit d'amour universel pratiqué dans leurs conseils locaux, nationaux et international, n'ont aucun doute que les institutions embryonnaires vont croître et se développer jusqu'à un stade où elles seront adoptées comme systèmes de gouvernement. Les membres de ces conseils partout dans le monde auront acquis une conception universelle qui leur permettra de se conformer aux exhortations de Baha'u'llah révélées dans la tablette ci-dessus. C'est alors que sera établie la Plus-Grande-Paix à laquelle se réfère Baha'u'llah.

- Sur l'unité du monde:

Dans la tablette à la reine, Baha'u'llah conseille aux dirigeants du monde d'établir la paix sur terre. Puis il fait cette déclaration importante:

Maintenant que vous refusez la très grande paix, attachez-vous au moins à promouvoir une moindre paix, afin d'améliorer votre condition et celle de vos sujets. (N°15 Florilège d'écrits, CXIX et l'appel... p.72 v.180)

N'importe quel observateur impartial désireux d'étudier les Écrits de Baha'u'llah arrivera à la conclusion que chacun de ses enseignements ou conseils, révélés il y a plus de cent ans, font aujourd'hui partie de l'esprit de l'époque, particulièrement ceux qui traitent des aspects sociaux de la vie de l'homme sur cette planète. Bien qu'elle ne soit pas informée de la source de ces enseignements, l'humanité est de plus en plus poussée, par des forces au-delà de son contrôle, à les soutenir et à les appliquer,

Un de ces enseignements est la création de la moindre paix qui est une forme de paix politique. Ces termes doivent être conclus entre les nations du monde et son but est d'abolir les guerres mondiales. Les baha'is croient que depuis que Baha'u'llah l'a recommandée, comme pour le reste de ses enseignements, la moindre paix sera inévitablement établie. Les paroles créatives que Dieu a proférées exerceront leur influence de telle façon que l'homme n'aura pas de choix si ce n'est d'établir la moindre paix. Déjà l'homme a construit un tel arsenal d'armes destructives avec lesquelles il pourrait anéantir la race humaine tout entière. Il est fort probable que la moindre paix sera réalisée comme solution finale et comme une mesure désespérée pour sauver l'humanité de la destruction totale.

La moindre paix, un système politique qui bien que largement inférieur à la plus grande paix et très éloignée des bienfaits et des perfections inhérentes à cette dernière, est néanmoins une étape dans la naissance de cette glorieuse destinée de l'humanité prophétisée par Baha'u'llah. En ce qui concerne la plus grande paix, qui peut être considérée comme synonyme de l'établissement du Royaume de Dieu sur terre prophétisé par le Christ, et de la fédération mondiale baha'ie, Shoghi Effendi écrit:

La plus grande paix, ainsi qu'elle a été conçue par Baha'u'llah - une paix qui doit inévitablement suivre, comme sa conséquence pratique, la spiritualisation du monde et la fusion de toutes ses races, croyances, classes et nations - ne peut reposer sur d'autre base ni être préservée par d'autre moyen que les ordonnances divines contenues de manière implicite dans l'ordre mondial associé à son saint nom. (N°16, Le développement de l'ordre mondial, dans l'Ordre mondial de Baha'u'llah, MEB 1993, p.151)

Avec l'établissement de la plus grande paix et la spiritualisation des peuples du monde, l'homme deviendra un être noble paré des vertus et perfections divines. Ceci est l'un des fruits promis dans la révélation de Baha'u'llah. La noblesse de l'homme et son développement spirituel le mèneront dans le futur vers une position telle qu'aucun individu ne pourra apprécier manger sa nourriture ou rester à la maison sachant que quelque part dans le monde, il y a une personne sans nourriture et sans abri. C'est la mission de Baha'u'llah de créer une telle nouvelle race d'hommes (voir vol.2).

Dans sa tablette à la reine, Baha'u'llah conseille de plus les représentants élus du peuple à travers le monde en ces termes:

Ô vous qui, en chaque pays, représentez les peuples ! Réunissez-vous pour vous consulter et souciez-vous seulement de ce qui profite à l'humanité et en améliore les conditions, si vous êtes de ceux qui sont scrupuleux. Considérez le monde comme s'il était un corps humain qui, bien que créé complet et parfait, souffre de désordres et de maladies graves pour beaucoup de raisons. Il n'est pas un jour où il s'améliore ; au contraire, sa maladie croît en sévérité car il est traité par des médecins ignorants qui donnent libre cours à leurs désirs et errent cruellement. Et même si de temps à autre, un organe de ce corps est guéri, les autres n'en restent pas moins affligés.

Nous le trouvons aujourd'hui à la merci de dirigeants si imbus d'orgueil qu'ils ne discernent même pas leurs propres avantages, encore moins une révélation aussi déroutante et aussi provocatrice que celle-ci. Et si l'un d'entre eux s'efforce d'améliorer sa condition, c'est par appât du gain, qu'il l'avoue ou non ; et l'indignité de ses motifs limite sa capacité à guérir ou soigner. (N°17, Florilège, CXX, p.179-80)

Plus de cent ans sont maintenant passés depuis que ces paroles furent prononcées par la Manifestation suprême de Dieu, le véritable Médecin venu guérir les maladies de l'humanité. La situation du monde s'est dangereusement détériorée depuis ces paroles prophétiques émises par Baha'u'llah. C'est uniquement lorsque le genre humain, dans son ensemble, aura reconnu Baha'u'llah comme le Médecin divin et aura épousé sa Foi que ses paroles, adressées à la reine Victoria seront universellement accomplies:

Le remède souverain et l'instrument tout puissant de la guérison du monde entier est l'union de ses peuples en une cause universelle, une foi commune: voilà ce qu'ordonne le Seigneur. Rien ne peut réaliser cela, sauf le pouvoir d'un médecin habile, tout puissant et inspiré. Voilà la seule vérité, tout le reste n'est qu'erreur. (n°18 idem)

Par conséquent, les disciples de Baha'u'llah ne souscrivent pas au point de vue communément tenu partout par les peuples du monde, que les graves problèmes obsédant l'humanité peuvent être résolus en administrant les remèdes usuels que l'esprit de l'homme a conçus. Ils croient consciencieusement que les terribles conditions du monde ne seront pas améliorées par des mesures scientifiques, économiques ou politiques, et qu'aucune des méthodes expédientes qui ont servi au siècle passé, ni celles qui sont poursuivies actuellement ne pourront réussir à guérir le corps malade de l'humanité. Une personne perspicace impartiale peut aussi arriver à la même conclusion. Car il est très clair que malgré tous les efforts fournis par la généralité de l'humanité, ses dirigeants et tous ses sages, pour améliorer la situation du monde et malgré toute leur connaissance et leur réalisation, la détresse de l'humanité s'aggrave de jour en jour.

Déjà en 1931, Shoghi Effendi écrivait:

Vue sous l'angle de la conduite individuelle de l'homme ou sous celui des relations entre les nations et les communautés organisées, l'humanité, hélas, s'est égarée trop loin et a subi un trop grand déclin pour être rachetée par les seuls efforts des meilleurs d'entre ses hommes d'État et ses dirigeants officiels, quelque désintéressés que soient leurs mobiles, quelque concertée que soit leur action, quelque prodigues qu'ils soient de leur zèle et de leur dévouement envers sa cause. Aucun projet que les calculs de la politique la plus altruiste puissent encore imaginer, aucune doctrine que le plus distingué des théoriciens économiques puisse espérer avancer ; aucun principe que le plus ardent des moralistes s'efforcerait d'inculquer ne pourra, en dernier ressort, fournir les bases appropriées sur lesquelles puisse être édifié l'avenir d'un monde éperdu. Aucun appel à la tolérance mutuelle que pourraient lancer des personnes sages et expérimentés - si impérieux et insistant soit-il - ne pourra calmer ses passions ni contribuer à rétablir sa vigueur. Aucun plan général de simple coopération internationale organisée, dans quelque sphère que ce soit de l'activité humaine, si ingénieux qu'il soit dans sa conception, si vaste dans sa portée, ne pourra réussir à extirper la racine du mal qui a si rudement bouleversé l'équilibre de la société contemporaine. Même pas, j'ose l'affirmer, la planification effective des instances nécessaires en vue de l'unification politique et économique du monde - un principe prôné de plus en plus ces derniers temps - ne pourra elle seule procurer l'antidote au poison qui mine sans répit la vitalité des nations et des peuples organisés. Rien d'autre - ne pouvons-nous l'affirmer avec confiance ? - si ce n'est l'adhésion sans réserve au divin programme qu'a énoncé Baha'u'llah avec tant de simplicité et de force il y a soixante ans déjà - , liée à une confiance inébranlable en l'efficacité infaillible de toutes ses dispositions sans exception, ne sera capable, en fin de compte, de résister aux forces de désintégration interne qui, si on les laisse agir, continueront inexorablement à ronger les organes vitaux d'une société désespérée. C'est ce but, celui d'un nouvel ordre mondial - divin dans son origine, universel dans sa portée, équitable dans son principe et provocateur dans son caractère - qu'une humanité harcelée doit s'efforcer d'atteindre.

Prétendre avoir saisi toutes les implications du plan prodigieux de Baha'u'llah pour organiser la solidarité humaine à l'échelle mondiale, ou en avoir mesuré la portée, serait présomptueux, même de la part des adeptes déclarés de sa foi. Tenter d'en imaginer toutes les possibilités, sans évaluer les bienfaits futurs et d'en dépeindre la gloire, serait prématuré, même à un stade aussi avancé de l'évolution de l'humanité. (n°19 Le but d'un nouvel ordre mondial, dans l'Ordre mondial de Baha'u'llah, p.28-29)

L'unité du monde telle qu'envisagée par Baha'u'llah ne consiste pas simplement en un système dans lequel l'humanité jouit d'une unité politique et du partage équitable des ressources du monde entre ses peuples et nations. Elle va bien plus loin que cela. L'unité décrite par Baha'u'llah dans ses écrits est l'unité des coeurs, et celle-ci ne pourra être réalisée que lorsque l'humanité reconnaîtra la Manifestation de Dieu pour notre époque et se tournera vers elle comme le point central, croyant en sa parole que tous ont été créés par le même Dieu, et obéissent à ses commandements d'aimer tous les êtres humains.

- La déclaration suivante de Baha'u'llah est la clé à l'unité du monde:

Nous serions trop heureux d'espérer que le peuple de Baha soit guidé par les paroles bénies: Dis: Toutes choses sont de Dieu. Cette parole exaltée est comme l'eau capable d'éteindre le feu de la haine et de l'inimitié qui couve dans le coeur et la poitrine des hommes. Par cette simple parole, les peuples et les tribus en lutte parviendront à la lumière de la vraie unité. En vérité, il dit la vérité et montre la voie. Il est le Tout-Puissant, le Suprême, le Miséricordieux. (n°20 Kitab-i-'Adh, dans Tablettes de Baha'u'llah, 1994, p.232)

L'histoire a montré que les paroles et les enseignements des Manifestations de Dieu sont créatifs. Ils sont dotés d'une telle puissance qu'ils peuvent pénétrer les coeurs et amener le peuple à leur obéir. Certes, la plus grande mission de chaque Manifestation de Dieu pendant sa propre dispensation a été de libérer dans le monde des forces spirituelles capables de revitaliser tous ceux qui se tournent vers lui. Mais les paroles des hommes, aussi exaltées soient-elles, sont incapables d'influencer les coeurs des peuples et de les faire s'unir.

La venue d'une Manifestation de Dieu est très similaire à l'apparition du printemps dans la nature. Les rayons du soleil et les averses printanières de cette saison donne une nouvelle vie au monde physique. Les fruits apparaissent à l'été résultant des forces régénératrices du printemps. L'hiver suit, et la nature s'endort et refroidit. Lorsque le printemps suivant arrive, le même processus se répète à nouveau.

La venue d'une manifestation de Dieu suit le même schéma. Chaque fois qu'elles apparaissent, elles donnent la vie spirituelle au corps de l'humanité. Mais chacune a une dispensation, une période spécifique pendant laquelle ses enseignements régénèrent l'humanité et lui donne les impulsions qui occasionnent son développement. Puis vient le déclin, menant vers la fin, lorsque les enseignements de cette religion particulière perdent complètement leur influence. C'est après une telle étape que Dieu envoie un nouveau messager à l'humanité pour libérer de nouvelles forces spirituelles pour sa renaissance. Et les enseignements sont conçus en accord avec les conditions du nouvel âge.

Les enseignements de Dieu en ce jour, révélés par Baha'u'llah, tournent autour de l'unité, et c'est vers ce but que s'efforce une humanité désespérée. Mais avec toutes ses ressources et capacités, l'homme est incapable d'établir une paix durable entre les nations et peuples du monde en conflit. Cela malgré le fait que l'humanité a énormément avancé dans de nombreux champs de connaissances et possède dans ses rangs des hommes et des femmes brillants qui ont produit de grandes réalisations sur cette planète dans pratiquement tous les aspects de la vie. Mais il y a une chose qu'ils ont été incapables de réaliser - et c'est d'unir les coeurs des hommes qui sont les ennemis les uns des autres et de faire en sorte qu'ils s'aiment.

Se référant à l'unité établie parmi les tribus en conflit d'Arabie, le Coran indique:

C'est lui qui t'assiste de son secours et par l'intermédiaire des croyants. Il a uni les coeurs par une affection réciproque. Si tu avais dépensé tout ce que la terre contient, tu n'aurais pas uni leurs coeurs par une affection réciproque ; mais Dieu a suscité entre eux cette affection - Il est puissant et juste. (n°21 Coran VIII, 62-63)

Une étude rapide de la nature et de la composition de la communauté mondiale baha'ie peut démontrer l'influence supranaturelle des paroles de Baha'u'llah pour apporter l'unité aux coeurs des millions de peuples de diverses origines, peuples provenant de toutes les couches imaginables de la société, de toutes les parties du monde. L'unité qui lie les membres de cette communauté mondiale, multiraciale, n'est pas inspirée par un désir d'amitié ou autres raisons opportunes. Elle est générée par la connaissance de l'avènement d'une Manifestation de Dieu universelle (voir vol.1) en cet âge, et à la soumission à ses commandements. Lorsque l'individu reconnaît Baha'u'llah comme le porte-parole de Dieu en cet âge, il peut alors facilement accepter ses enseignements et les réaliser, abandonnant toutes les sortes de vieux préjugés qui ont divisé l'humanité, et les remplacer par un amour global pour chaque être humain. Ceci est semblable à l'influence transformante des paroles du Christ qui inspirèrent les chrétiens à tendre l'autre joue au premier temps de la chrétienté.



CHAPITRE 7: Suriy-i-Haykal

L'un des écrits les plus importants de Baha'u'llah est la Suriy-i-Haykal ou Suratu'l-Haykal (sourate du Temple). Baha'u'llah ordonna que la sourate et les tablettes aux rois soient copiées sous forme de pentagramme symbolisant le Temple de l'homme. Les tablettes furent copiées dans l'ordre suivant: la Suriy-i-Haykal elle-même, puis la tablette au Pape Pie IX, la tablette à Napoléon III, la tablette au Tsar Alexandre II, la tablette à la Reine Victoria et la tablette à Nasiri'd-Din-Shah. Associant cela avec la prophétie de Zacharie dans l'Ancien Testament, Baha'u'llah conclut la Suriy-i-Haykal par ces paroles:

Ainsi, des mains du pouvoir et de la puissance, avons-nous construit le Temple, si tu le savais. C'est lui le Temple qui t'est promis dans le Livre. Approches-en. C'est ce qui te sera profitable, si tu pouvais le comprendre. Soyez justes, ô peuples de la terre ! Lequel est préférable, ce Temple ou un temple d'argile ? Tournez-vous vers lui. Ainsi vous l'ordonne Dieu, le Secours, l'Absolu. Suivez ses commandements et louez Dieu, votre Seigneur, pour les dons qu'il vous a fait. Il est la Vérité. Il n'est de Dieu que lui. Il révèle ce qui lui plaît par ses mots "sois et c'est". (n°1 Appel du Seigneur des armées, p.104)

Dans toute la tablette, la plume du Très-Haut s'adresse au Haykal (Temple) et révèle la gloire et la majesté dont il est investi. En réponse à une question, Baha'u'llah déclara (n°2) que le Haykal qui est invoqué dans cette sourate est la Personne de Baha'u'llah, et il en est de même pour la voix qui s'adresse au Haykal. Il est fascinant de savoir que celui qui parle dans cette tablette avec la voix de Dieu est la même personne que celle à qui on parle.

Il est dit dans cette sourate que le Haykal a été fait miroir pour refléter la souveraineté de Dieu et pour manifester sa beauté et sa grandeur à toute l'humanité. Il a reçu le pouvoir de faire tout ce qu'il désirait. Les océans de la connaissance et de la parole ont été placés dans son coeur et il est la Manifestation de Dieu lui-même pour tous ceux qui sont au ciel et sur la terre.

Parlant dans cette sourate de la gloire transcendante avec laquelle le Haykal est investi, Baha'u'llah déclare:

On ne peut voir dans mon temple que le Temple de Dieu, et dans ma beauté, que sa Beauté, et dans mon être, que son Être, et dans mon moi, que son Moi, et dans mon mouvement, que son Mouvement, et dans mon consentement, que son Consentement, et dans ma plume, que sa Plume. Il est le Tout-Puissant, le Très-Loué. Il n'y a en mon âme que la Vérité, et l'on ne peut voir en moi rien d'autre que Dieu. (n°3, Appel du Seigneur, Suriy-i-Haykal, p.19)

Bien apprécier la majesté et le pouvoir de cette oeuvre remarquable de Baha'u'llah sans traduction *, est chose impossible. Il suffit de dire que chaque fois qu'il s'adresse au Haykal il dévoile une nouvelle facette de la révélation de Dieu comme s'il ouvrait une nouvelle porte menant vers quelque mystère enchâssé dans ses Écrits, un mystère jusqu'à présent caché aux yeux des hommes. Si celui qui a le coeur pur a la possibilité d'avoir ne serait-ce qu'une vision fugitive de ce royaume infini de révélation divine qui est au-delà de sa compréhension, une telle vision pourrait doter son âme d'une perspicacité qu'aucune agence humaine ne pourra jamais lui conférer.

*[nota: la traduction en anglais a été publiée en anglais en 2002 et en français en 2004]

Dans l'une de ses tablettes se référant à l'immensité et à la richesse de sa révélation, Baha'u'llah déclare:

... Plongez-vous dans cet océan qui recèle dans ses profondeurs les perles de la sagesse et de la parole (n°4 Florilège XIV, p.21)

Ces paroles de Baha'u'llah deviennent réalités lorsque le croyant, dans un état de détachement de ce monde, médite sur les versets de Suriy-i-Haykal. Car il trouvera beaucoup de ces perles cachées à l'intérieur de ses versets. Le concept du Haykal (Temple), dans la forme du temple humain et représentant la personne de Baha'u'llah, évoque en lui-même de nombreuses pensées et ouvre de nombreuses portes vers une compréhension plus profonde de sa révélation. Alors que le temple humain est fait de chair et d'os, le Haykal est constitué lui, de la Parole de Dieu. Dans cette célèbre sourate, il est décrit d'une façon très nette par Baha'u'llah et il y ajoute encore plus de mystère et de réalisme lorsqu'il s'adresse à des membres ou à des organes de ce Temple ainsi qu'aux lettres (H,Y,K,et L) qui constituent le mot.

Chaque mot et lettre prononcés par la Manifestation de Dieu prennent un sens et une signification au-delà de la compréhension de l'homme. Par exemple, il y a de longues tablettes révélées par le Bab et Baha'u'llah expliquant la signification d'une seule lettre mentionnée dans les Livres saints des religions du passé. Nous avons déjà donné ces exemples dans un volume précédent (voir vol.1).

Dans Suriy-i-Haykal, Baha'u'llah révèle la signification des lettres qui forment le mot Haykal, et les facultés dont chacune est investie par Dieu. Il est difficile de transmettre ceci sans avoir accès aux paroles de Baha'u'llah. Il déclare que le Haykal est la source de la création d'une nouvelle race d'hommes, et qu'à travers chacune de ses lettres, Dieu élèvera des êtres merveilleux dont le nombre est connu de nul autre que lui et dont le visage brillera de l'éclat de leur Seigneur. Ces âmes graviteront autour de la cause de Dieu comme une ombre qui gravite autour du soleil. Elles protègeront la Foi des massacres de ceux qui renient et offriront leur vie de plein gré pour la promotion de sa cause parmi les hommes. Cette tablette est remplie des bonnes nouvelles de l'apparition d'un groupe de croyants dévoués auxquels Baha'u'llah se réfère comme à une nouvelle race d'hommes. Ces paroles sont révélées dans Suriy-i-Haykal:

Le jour est proche où Dieu aura suscité, par un acte de sa volonté, une race d'hommes dont la nature est insaisissable à tous sauf à Dieu, le Tout-Puissant, l'Absolu. (n°5, Appel, p.5)

Baha'u'llah exhorte l'oeil du Haykal à ne pas regarder le monde de la création mais à se concentrer uniquement sur la beauté de son Seigneur. Il promet l'avènement d'un jour lorsque grâce à cet oeil, il créera des gens d'une clairvoyance pénétrante qui verront les signes et les dons de sa révélation à travers une vision qui leur aura été donnée par sa générosité et sa bienveillance.

À l'oreille du Haykal, Baha'u'llah donne le conseil de devenir sourd à la voix des impies et d'écouter les mélodies de sa révélation. À nouveau, il déclare que, par son oreille, il créera une race d'hommes aux oreilles purifiées et dignes d'entendre la Parole de Dieu telle qu'elle est révélée par lui aujourd'hui.

Il s'adresse aussi dans le même esprit à la langue du Haykal - qui a été créée pour mentionner le nom de Dieu et célébrer sa louange. Il donne la bonne nouvelle que, grâce à la création de cette langue, Dieu élèvera des âmes qui conquerront les coeurs des hommes par le pouvoir et l'influence de leur parole.

Baha'u'llah enjoint le Haykal d'étendre ses mains sur tous les habitants de la terre et du ciel, et de tenir dans sa poigne les rênes de la cause de Dieu. Il prophétise que par ses mains, il créera bientôt des mains de pouvoir et de puissance par lesquelles Dieu révélera son omnipotence et sa souveraineté sur tous les peuples du monde. Concernant ses mains, Baha'u'llah révèle dans la sourate:

Sous peu Dieu tirera, du sein du pouvoir, les mains de l'ascendance et de la puissance. Il suscitera un peuple qui se lèvera pour remporter la victoire pour cet Adolescent et purgera l'humanité de la souillure des proscrits et des impies. Ces mains se mobiliseront pour se faire les champions de la Foi de Dieu et, en mon nom, l'Absolu, le Puissant, elles subjugueront les peuples et les tribus de la terre. (n°6 idem p.15-16)

Le coeur du Haykal est la source de la connaissance annonce Baha'u'llah. De cette connaissance, il déclare:

Au coeur du trésor de notre sagesse réside, celé, un savoir dont une seule parole, si nous choisissions de la divulguer à l'humanité, ferait reconnaître par chaque être humain la Manifestation de Dieu et admettre son omniscience, permettrait à chacun de découvrir les secrets de toutes les sciences, et d'atteindre un rang si élevé, qu'il se trouverait totalement indépendant de tout savoir passé et futur. Nous possédons aussi d'autres savoirs, dont nous ne pouvons divulguer une seule lettre, pas plus que nous trouvons l'humanité apte à entendre la plus simple référence à leur signification. Ainsi t'avons-nous informé de la science de Dieu, l'Omniscient, le Très-Sage. (n°7 idem p.28)

Baha'u'llah affirme que grâce aux effusions des connaissances du coeur du Haykal, il suscitera bientôt des savants d'un potentiel exceptionnel qui réaliseront des merveilles technologiques que nul ne peut encore imaginer. Cette prophétie de Baha'u'llah a déjà été accomplie - et ceci n'est que le commencement. La révélation du Bab ouvrit la voie à une nouvelle ère dans les domaines des sciences et technologies, particulièrement dans les communications, afin de préparer le chemin pour la venue de Baha'u'llah. Son Message étant pour l'humanité tout entière, il est logique que le même Dieu qui l'a révélé, crée aussi les moyens pour sa propagation universelle, afin que la nouvelle de la venue de Baha'u'llah puisse atteindre chaque partie du monde.

Les développements technologiques qui ont pris place dans le domaine des communications depuis l'avènement du Bab en sont un témoignage largement suffisant. Au fur et à mesure que grandit la Foi de Baha'u'llah, les moyens de communication vont à la même allure. Au début du ministère de Baha'u'llah, pour enseigner la Foi, ses disciples durent principalement voyager à pied ou à dos d'ânes et de mules, mais il ne fallut pas beaucoup de temps pour que certains commencent à voyager en bateaux à vapeur. De cette façon, ils apportèrent son message en Inde et en d'autres pays.

Peu de temps après l'ascension de Baha'u'llah, le temps était venu pour l'expansion de la Foi à travers le monde, particulièrement en Occident, mais le rythme était toujours lent. Lorsque 'Abdu'l-Baha voyagea en Occident, il voyagea en bateaux à vapeur, en train et en automobile. En ces temps-là, les communautés baha'ies étaient isolées les unes des autres, et le mouvement était lent. Mais aujourd'hui la communauté baha'ie est engagée dans de très grandes activités d'enseignement couvrant le monde entier. Partout où il y a la liberté de religion, elle y apporte le message de Baha'u'llah à la connaissance de ses semblables et par conséquent plus de personnes acceptent la Foi. Des centaines de projets d'enseignement nationaux et internationaux, et des fonctions administratives impliquant des personnes de toutes nations et races, sont réalisés dans les cinq continents du globe. Toutes ces activités sont possibles grâce à l'usage des systèmes de communication merveilleux et rapides qui ont été récemment mis à sa disposition. Les baha'is pensent que ceci n'est pas une coïncidence: que Dieu, à travers le message de Baha'u'llah, qui a appelé à l'unité les peuples du monde, a aussi fourni les moyens par lesquels cette unité peut être établie. En même temps, l'humanité en bénéficie, sans se rendre compte de la raison pour laquelle ces merveilleuses inventions se réalisent.

Ceux qui ne sont pas familiers avec la Foi ou qui n'ont pas reconnu le rang de Baha'u'llah considèreront sans nul doute avec scepticisme le raisonnement que l'avènement du système de communication moderne est dû principalement à l'apparition, dans le monde, d'une religion universelle. Cela semble tiré par les cheveux et inacceptable. Mais en analysant le progrès de leur Foi, les disciples de Baha'u'llah ont vu que chaque fois que la propagation de la Foi ou la construction de son ordre administratif * nécessite de nouveaux moyens matériels, ils leur furent miraculeusement fournis à temps.

*[nota: voir les écrits de Shoghi Effendi pour une appréciation de l'ordre administratif de Baha'u'llah]

Certaines de ces nouvelles inventions qui ont joué un rôle vital dans le développement de la Foi ont été produites juste à temps pour combler un besoin spécifique. Pour ne citer qu'un exemple parmi tant d'autres: Baha'u'llah révéla de nombreux livres, épîtres et tablettes qui, s'ils étaient compilés, produiraient une centaine de volumes. Les écrits de 'Abdu'l-Baha ne sont pas moindres. Les Écrits de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha contiennent, entre autres chose, des enseignements spirituels et sociaux, des lois, des exhortations et des explications sur de nombreux sujets y compris l'homme, le but de sa vie et sa relation avec Dieu. Il faut ajouter à cela les écrits volumineux de Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi. En plus de ses célèbres travaux, il a écrit plus de vingt-six mille lettres, certaines d'une longueur telle qu'elles justifièrent d'être publiées comme livre. Ses écrits contiennent de précieuses directives qu'il a données au monde baha'i en tant qu'interprète autorisé de la Parole de Baha'u'llah. Par conséquent, on peut facilement voir que les écrits saints baha'is ont une portée considérable et contiennent des sujets d'un intérêt vital pour toute l'humanité.

Lorsque la Maison universelle de justice, le corps suprême dirigeant la communauté baha'ie, fut établie en 1963, l'une des nécessités essentielles fut de collationner tous les Écrits des Figures centrales de la Foi et de réaliser une classification détaillée de tous les sujets qu'ils comportent. Ceci était une nécessité vitale pour l'institution suprême de la Foi qui devait avoir accès, sans exception, à tous les sujets abordés dans ces Écrits, afin qu'ils puissent guider la communauté baha'ie en accord avec les enseignements de Baha'u'llah, et aussi légiférer lorsque cela était faisable, sur des sujets qui n'étaient pas explicitement mentionnés dans ces Écrits.

Jusqu'à la formation de la Maison universelle de justice, il avait été impossible, même essayer, de réaliser cette classification détaillée. Une entreprise si colossale, nécessitant une liste détaillée de chaque sujet dans des écrits si extrêmement diversifiés, n'aurait pas été une proposition pratique étant donné la petite taille de la communauté baha'ie et surtout la non-existence à l'époque, de l'aide technologique. L'invention de ces aides, comme les photocopieurs et les processeurs électroniques, et leur usage commercial, eurent lieu presque simultanément avec la naissance du Corps suprême de la Foi de Baha'u'llah. Rapidement cette tâche vitale fut entreprise. Si cela n'avait été pour ce développement opportun, aussi insignifiant que cela puisse paraître aujourd'hui, il est difficile d'imaginer comment la Maison universelle de justice aurait pu assumer effectivement ses fonctions sacrées dans le monde baha'i. Gardons à l'esprit qu'avant de prendre une résolution majeure, le Corps suprême doit se référer aux Écrits de Baha'u'llah, de 'Abdu'l-Baha et de Shoghi Effendi et prendre en considération leurs paroles qui ont rapport au sujet.

Il est évident qu'au fur et à mesure que les croyants assument leur rôle dans la propagation et la consolidation de la cause de Baha'u'llah, Dieu pourvoit les moyens pour son évolution et son établissement final en tant que religion mondiale pour toute l'humanité. Les forces constructives du monde, comme celles qui sont destructives, participent à sa promotion. Le processus de détérioration du vieil ordre est en lui-même une étape positive, ouvrant la voie à la propagation du nouvel ordre.

D'un autre point de vue, à travers le pouvoir transformateur de la révélation de Baha'u'llah, Dieu créé une nouvelle race d'hommes qui se lèveront pour être les défenseurs de sa Cause. Par les sacrifices constants de leur substance et de leurs ressources, ils attirent les forces spirituelles qui, conjointement avec les aides matérielles envoyées par la Providence, font avancer la cause de Dieu.

Baha'u'llah dans Suriy-i-Haykal réprimande le peuple du Bayan * pour leur aveuglement envers sa révélation bien que le Bab les ait éduqués et préparés pour sa venue.

*[nota: les disciples du Bab. Cependant, le terme "peuple du Bayan" s'applique ici aux disciples du Bab qui n'ont pas adopté la cause de Baha'u'llah]

Lorsque dans Suriy-i-Haykal il s'adresse aux babis, il s'identifie lui-même au Bab:

Si le premier Point avait été quelqu'un d'autre que moi comme vous le proclamiez, et s'il était parvenu en ma présence, jamais il ne se serait permis d'être séparé de moi ; nous aurions plutôt éprouvé ensemble un plaisir mutuel en mes Jours. n°8 (appel p.41)

Dans cette sourate, Baha'u'llah disserte sur ses souffrances aux mains des briseurs de l'alliance du Bab, ceux qui ont renié sa confiance et se sont écartés de sa Cause. Il explique comment il avait choisi l'un de ses frères, Mirza Yahya, et il avait répandu sur lui quelques gouttes de l'Océan de sa connaissance, l'avait vêtu de l'ornement d'un nom, et l'avait élevé à un rang tel que tous les croyants se tournaient vers lui avec dévouement et le protégeaient de toutes tribulations *. Pourtant lorsque Mirza Yahya fut témoin de l'ascendant du Porteur du message de Dieu pour cette époque, il se leva contre lui, attenta à sa vie et répudia sa cause. Dans un ton de défi Baha'u'llah déclare que si les disciples de Mirza Yahya ne se tournaient pas vers lui (Baha'u'llah) et ne lui donnaient pas leur soutien, Dieu l'aiderait avec son armée suprême, visible et invisible, et, sans aucun doute, lèverait une nouvelle race d'hommes qui défendraient sa Cause et le rendraient finalement victorieux.

*[nota: voir vol.1 et 2. Le titre de Subh-i-Azal (matin d'éternité) fut conféré à Mirza Yahya. Il fut nommé par le Bab comme chef de la communauté babie]

Dans Suriy-i-Haykal, Baha'u'llah révèle que le pouvoir de Dieu est au-delà de la compréhension de l'homme. Par son pouvoir toutes choses créées sont venues à l'existence. Si c'est son désir, il peut en un instant prendre la vie de toute chose et en un autre instant la doter d'une nouvelle vie. Voici ses propres paroles:

Il est en notre pouvoir, si nous le souhaitons, de permettre à un grain de poussière en suspension dans l'air d'engendrer, plus rapidement qu'en un clin d'oeil, des soleils d'une splendeur infinie, inimaginable, de faire d'une goutte de rosée, des océans vastes et innombrables, d'infuser en chaque lettre une force telle qu'elle pourrait dévoiler toute la connaissance des âges passés et futurs... (N°9 Appel, p.31)

De plus, il explique que les choses créées peuvent être comparées aux feuilles d'un arbre qui tirent leur substance et leur vie de la racine mais qui extérieurement semblent fleurir indépendamment de l'autre.

Dans Suriy-i-Haykal, Baha'u'llah se réfère à la Manifestation de Dieu qui viendra après lui *, tandis qu'il admoneste le peuple pour sa perversité et son aveuglement à sa révélation. Voici ses paroles: "Dans ces mots que j'ai révélés, ce n'est pas de moi-même qu'il s'agit, mais plutôt de celui qui viendra après moi. Dieu, l'Omniscient, en est témoin... N'agissez pas envers lui comme vous l'avez fait pour moi." (N°10 OMB Dispensation).

*[nota: d'après le texte du Kitab-i-Aqdas (le Livre le Plus Saint de Baha'u'llah) la prochaine Manifestation de Dieu n'apparaîtra pas avant un intervalle d'au moins mille ans]

Cela ne fait aucun doute que ce passage se réfère à la manifestation de Dieu qui viendra après Baha'u'llah, puisque Shoghi Effendi l'a confirmé dans ses écrits. (voir Dispensation, OMB, p.113) il y a un passage similaire révélé dans une autre tablette concernant la Manifestation suivante de Dieu:

"Je n'appréhende rien pour ma propre personne, mes craintes concernent celui qui vous sera envoyé après moi - celui qui sera investi d'une grande souveraineté et d'une autorité suprêmement puissante." (N°11, OMB, p.113)

Cependant, le passage suivant des Écrits de Baha'u'llah, qui semble similaire aux passages cités plus haut, s'adresse à la personne de 'Abdu'l-Baha:

"Par Dieu, ô peuples ! des pleurs s'échappent de mes yeux et des yeux de 'Ali (le Bab), au milieu de l'Assemblée céleste, et mon coeur sanglote, et le coeur de Muhammad sanglote dans le très glorieux Tabernacle, et mon âme appelle, et les âmes des prophètes en appellent à ceux qui sont doués d'entendement... ce n'est pas sur moi-même que je m'attriste mais sur celui qui viendra après moi, dans l'ombre de ma cause, avec une souveraineté indubitable et manifeste, car lorsqu'il paraîtra il ne sera pas le bienvenu: On rejettera ses signes, on contestera sa suprématie, on discutera avec lui et l'on trahira sa cause..." (n°12, DPN, p.239)

Dans les Écrits de Baha'u'llah se trouvent des références concernant l'apparition symbolique qu'il a eue de la Servante céleste. (voir vol.1)

Dans la Suriy-i-Haykal, il décrit d'une manière fascinante la proclamation de sa mission par la Servante symbolisant le Plus-Grand-Esprit qui l'anima pendant tout son ministère. Voici comment il révèle la descente de ce mystérieux esprit:

"Alors que j'étais cerné par les tribulations, j'entendis, une voix des plus merveilleuse, des plus douce, appelant au-dessus de ma tête. Tournant mon visage, je vis, suspendue dans les airs devant moi, une vierge, incarnation du souvenir du nom de mon Seigneur. Son âme était si réjouie que son visage resplendissait de l'ornement du bon plaisir de Dieu, et ses joues luisaient de la splendeur du Très-Miséricordieux. Entre le ciel et la terre, elle lançait un appel qui captivait le coeur et l'esprit des hommes. Elle faisait part, tant à mon être intérieur qu'à mon être extérieur, de joyeuses nouvelles qui réjouissaient mon âme et les âmes des serviteurs honorés par Dieu. Pointant son index vers moi, elle s'adressa à tous dans le ciel et sur la terre, disant: Par Dieu ! voici le Bien-aimé des mondes et cependant vous ne comprenez pas. Voici la beauté de Dieu et le pouvoir de sa souveraineté parmi vous, si vous pouviez comprendre. C'est le Mystère de Dieu et son trésor, la Cause de Dieu et sa gloire pour tous ceux qui sont dans les royaumes de la révélation et de la création, si vous êtes de ceux qui perçoivent." (n°13, Appel du seigneur des armées, p.4)

Il est impossible à l'homme de comprendre la nature des manifestations de Dieu et l'esprit qui les motive. De même qu'il est impossible à une créature du royaume animal d'apprécier la nature de l'homme, un être humain n'a pas la capacité de saisir la réalité intérieure des Messagers de Dieu, car ils habitent un royaume spirituel bien au-dessus de la portée des hommes. Dans les dispensations précédentes, l'Esprit Saint se manifestait aux Fondateurs des grandes religions du monde et leur permettait de révéler à l'humanité les enseignements de Dieu. Mais un être humain ne pourra jamais comprendre cela, ni l'expérimenter. Chaque Manifestation de Dieu, afin de divulguer à ses disciples qu'elle est animée par le pouvoir de Dieu, a parlé dans un langage symbolique au sujet du Saint-Esprit qui lui apparut. Dans les Écrits saints des religions précédentes, nous lisons comment Moïse entendit la voix de Dieu dans le Buisson ardent ou comment la colombe descendit sur le Christ ou comment Muhammad reçut sa révélation par l'Ange Gabriel. Tous ceux-là sont des symboles différents de la même entité, le Saint-Esprit, qui agit comme intermédiaire entre Dieu et ses Manifestations. Ce lien est similaire aux rayons du soleil par lequel l'énergie est transmise aux planètes. Baha'u'llah, étant la Manifestation Suprême de Dieu (voir vol.1), dont la venue a été saluée dans les Livres célestes comme l'avènement du Jour de Dieu lui-même *, a déclaré dans certaines de ses tablettes que l'Esprit-Saint fut créé par une seule de ses paroles. Et dans la Suriy-i-Haykal.

Il déclare:

"L'Esprit -Saint lui-même a été engendré par l'action d'une seule lettre révélée par ce très grand Esprit, si vous pouviez être de ceux qui saisissent." (n°14 - Appel)

Dans ses Écrits, Baha'u'llah a indiqué que dans cette "dispensation", la voix de Dieu peut être entendue directement par Baha'u'llah tandis que dans les "dispensations" passées, les prophètes et messagers de Dieu reçurent leur révélation à travers un intermédiaire. Affirmant ceci dans l'une de ses tablettes, (n°15 Avènement) Baha'u'llah déclare que la même voix que Moïse entendit dans le Buisson ardent peut en ce jour être directement entendue par lui.

En lisant de telles déclarations, cependant, quelqu'un pourrait imaginer d'une façon erronée que Baha'u'llah s'identifie à la Divinité. Une telle conclusion est due à notre manque de compréhension du nombre infini des royaumes de Dieu. Nos esprits sont limités, tandis que le monde des Manifestations de Dieu est bien au-delà de notre capacité de compréhension. Baha'u'llah a clairement déclaré que Dieu dans son essence est inconnaissable et inaccessible à tous, y compris ses Manifestations. Dans l'une de ses prières Baha'u'llah décrit sa relation avec Dieu en ces mots: "Ô mon Dieu, quand je contemple la relation qui me lie à toi, je suis poussé à proclamer à toutes choses créées: "En vérité, je suis Dieu !" et quand je considère ma propre personne, voilà que je la trouve plus grossière que l'argile !" (n°16 OMB p.109)

Le rang de Baha'u'llah est celui de Manifestation suprême de Dieu. C'est seulement en lisant ses paroles et en les méditant dans une attitude de prières que nous pouvons acquérir une compréhension limitée des pouvoirs et attributs divins de Baha'u'llah que Shoghi Effendi décrit comme "transcendante dans sa majesté, inspirant la crainte, sereine, d'une gloire inaccessible". (n°17 OMB p.91)

La Suriy-i-Haykal contient beaucoup de thèmes qui représentent un défi. Chaque ligne est chargée d'énorme pouvoir et chaque sujet indique la grandeur de la cause de Baha'u'llah, une telle grandeur que cela stupéfie parfois l'imagination.

Bien que des parties substantielles des tablettes qui ont été ajoutées à la Surih aient été traduites en anglais par Shoghi Effendi et publiées, seuls ont été traduits quelques passages de la Surih elle-même *.

*[nota: la traduction en anglais a été réalisée en 2002 par le Centre mondial et la traduction française sous le titre "Appel du Seigneur des armées a été publiée en 2004]

Nous avons déjà inclus la plupart d'entre eux dans cet exposé et nous citons la conclusion suivante:

En ce jour, les vents fécondants de la grâce de Dieu passent sur toutes choses. Chaque créature est dotée de toutes les potentialités qu'elle peut porter. Et pourtant, les peuples du monde ont renié cette grâce. Chaque arbre est doté des fruits les plus choisis, chaque océan enrichi des gemmes les plus lumineuses. L'être humain lui-même est investi des dons de la compréhension et de la connaissance. L'ensemble de la création est devenu le réceptacle de la révélation du Très-Miséricordieux, et la terre, la dépositaire de choses imperceptibles à tous sauf à Dieu, le Vrai, celui qui connaît les choses invisibles. (n°18 Appel, p.20)



CHAPITRE 8: Rois et Ecclésiastiques

La proclamation du message de Baha'u'llah aux rois et dirigeants du monde a été commencée à Constantinople lorsqu'il publia sa première épître au Sultan 'Abdu'l-Aziz de Turquie.

Elle atteignit son apogée à Andrinople avec la révélation de la Suriy-i-Muluk (Sourate aux rois), une longue épître adressée collectivement aux rois. Elle continua avec les tablettes qui font partie de la Suriy-i-Haykal, et elle fut complétée par la révélation du Kitab-i-Aqdas au cours des premières années de l'emprisonnement de Baha'u'llah à Acre.

- Rois qui furent nommés dans le Kitab-i-Aqdas :

Le Kitab-i-Aqdas, désigné par Baha'u'llah comme la "Balance infaillible", est le Livre-mère de sa dispensation. Nous l'étudierons plus longuement dans les chapitres 13 à 17 de ce volume. Mais il est lourd de sens que dans ce livre Baha'u'llah s'adresse collectivement aux rois, dirigeants et chefs religieux, et individuellement à certains.

Voici quelques passages extraits du Kitab-i-Aqdas dans lesquels les paroles majestueuses de Baha'u'llah sont adressées aux dirigeants du monde, les appelant à sa Cause.

Ô rois de la terre ! Celui qui est le Souverain Seigneur de tous est venu. Le royaume est à Dieu, le Protecteur omnipotent, Celui qui subsiste par Lui-même. N'adorez que Dieu et, d'un coeur radieux, tournez votre visage vers votre Seigneur, le Seigneur de tous les noms. Rien de ce que vous possédez ne pourra jamais se comparer à cette révélation, puissiez-vous le savoir.

Nous vous voyons vous réjouir de ce que vous avez amassé pour d'autres et vous exclure vous-mêmes des mondes que rien, sauf ma Tablette préservée, ne peut dénombrer. Les trésors que vous avez entassés vous ont entraînés fort loin de votre objectif final. Cela ne vous convient pas, puissiez-vous le comprendre. Purifiez vos coeurs de toute souillure terrestre et hâtez-vous d'entrer dans le royaume de votre Seigneur, le créateur de la terre et du ciel, qui a fait trembler le monde et gémir tous les hommes et tous ses peuples, à l'exception de ceux qui ont renoncé à toutes choses et se sont attachés à ce qu'a ordonné la Tablette cachée. [..]

Ô rois de la terre ! En ce lieu, scène d'une splendeur transcendante, a été révélée la plus grande loi. Toute chose cachée fut mise en lumière en vertu de la volonté de l'Ordonnateur suprême, celui qui a annoncé la dernière heure, celui par qui la lune fut fendue et par lequel fut exposé tout irrévocable décret.

Vous n'êtes que des vassaux, ô rois de la terre ! Le Roi des rois est apparu dans la plus merveilleuse parure de gloire, et il vous appelle à Lui, le Secours dans le péril, Celui qui subsiste par Lui-même. Prenez garde que l'orgueil vous empêche de reconnaître la Source de la révélation et que les choses de ce monde vous séparent, comme par un voile, de celui qui est le Créateur du ciel. Levez-vous et servez celui qui est le Désir de toutes les nations, qui vous a créés d'un mot et vous a désignés pour être en tout temps les emblèmes de sa souveraineté.

Par la justice de Dieu ! nous n'avons pas l'intention de mettre la main sur vos royaumes. Nous avons pour mission de prendre et de garder le coeur des hommes. Sur eux sont fixés les regards de Baha. De ceci, le royaume des noms porte témoignage, puissiez-vous le comprendre. Quiconque suit son Seigneur renoncera au monde et à tout ce qu'il contient; bien plus grand encore doit être le détachement de celui qui occupe un rang si majestueux ! Abandonnez vos palais et hâtez-vous d'obtenir l'admission dans son royaume. Ceci, en vérité, vous sera profitable, à la fois dans ce monde et dans l'autre. Le Seigneur du royaume des cieux s'en porte garant, si seulement vous pouviez le savoir. (n°1Kitab-i-Aqdas, Bruxelles, MEB, 1996, p.49-51)

Dans le Kitab-i-Aqdas, Baha'u'llah adressa ces paroles au Kaiser Guillaume 1er, Empereur d'Allemagne:

Dis: Ô roi de Berlin ! Prête l'oreille à la voix qui, de ce temple évident, proclame: "En vérité, il n'y a pas d'autre Dieu que moi, l'Éternel, l'Incomparable, l'Ancien des jours." Prends garde que l'orgueil te prive de reconnaître l'Aube de la révélation divine et que les désirs terrestres te séparent, comme par un voile, du Seigneur du trône du ciel et de la terre. Ainsi te conseille la Plume du Très-Haut. Il est, en vérité, le Très-Indulgent, le Très-Généreux. Te souviens-tu de celui dont la puissance dépassait ta puissance et dont le rang surpassait ton rang ? Où est-il ? Que sont devenus ses biens ? Tiens compte de cet avertissement et ne sois pas de ceux qui sont profondément endormis. C'est lui (Napoléon III) qui rejeta la Tablette de Dieu lorsque nous lui fîmes savoir ce que les armées de la tyrannie nous avaient fait subir. Alors la disgrâce le frappa de toutes parts et il s'écroula dans la poussière, ayant tout perdu. Ô roi, songe à lui et à ceux qui, comme toi, ont conquis des villes et régné sur les hommes. De leurs palais, le Très-Miséricordieux les fit descendre dans leur tombe. Sois averti, sois de ceux qui réfléchissent.

Nous ne vous avons rien demandé. C'est réellement pour l'amour de Dieu que nous vous exhortons, et nous serons patients comme nous l'avons été dans tout ce que nous avons enduré entre vos mains, ô assemblée de rois ! (n°2 Kitab-i-Aqdas p.52-53)

Dans les passages ci-dessus, Baha'u'llah se réfère à Napoléon III comme "celui dont la puissance dépassait ta puissance", et somme l'Empereur de tenir compte de son appel. Mais ce fut un appel qui resta vain.

Le déclin du sort de Guillaume 1er et de son petit-fils Guillaume II fut alors mis en marche, et aboutit à la dissolution de son empire et à l'établissement de la République. Dans un autre passage du même Livre, Baha'u'llah révèle cette prophétie remarquable qui aujourd'hui, après deux guerres mondiales, est visiblement accomplie:

Ô rives du Rhin ! nous vous avons vues couvertes de sang, car les épées du châtiment furent tirées contre vous. Et cela se produira encore. Et nous entendons les lamentations de Berlin, bien qu'en ce jour, sa gloire soit évidente. (N°3 Aqdas, p.54)

Un autre roi auquel dans le Kitab-i-Aqdas il est fait mention sur un ton de réprimande est François-Joseph, empereur d'Autriche et roi de Hongrie, le monarque Habsbourg. Il visita Jérusalem lorsque Baha'u'llah était à Acre. Baha'u'llah l'admoneste en ces termes:

"Ô empereur d'Autriche ! Celui qui est l'Aurore de la lumière de Dieu se trouvait dans la prison d'Acre lorsque tu te mis en route pour visiter la mosquée El-Aqsa (Jérusalem). Tu passas près de lui sans t'informer de celui par qui toute demeure est exaltée et toute porte grandiose est ouverte. En vérité, nous avons fait d'elle un lieu vers lequel le monde devrait se tourner afin de pouvoir se souvenir de moi. Et, pourtant, tu repoussas celui qui est l'objet de ce souvenir quand il parut, avec le royaume de Dieu, ton Seigneur, et le Seigneur des mondes. Nous avons été avec toi à tout instant et nous t'avons vu accroché à la branche mais peu soucieux de la Racine. Ton Seigneur est vraiment témoin de ce que je dis. Nous avons été peiné de te voir tourner autour de notre nom tout en ignorant notre présence, bien que nous fussions devant toi. Ouvre les yeux afin de contempler cette glorieuse vision, de reconnaître celui que tu invoques jour et nuit, et de fixer ton regard sur la lumière qui brille au-dessus de cet horizon resplendissant." (n°4 Aqdas p.52)

Dès la révélation de ces paroles, des tragédies et des désastres successifs impliquant les membres de la famille royale assombrirent beaucoup le règne de l'empereur. Mais ce ne fut là que le prélude à la dissolution finale d'une dynastie qui avait duré près de cinq cents ans, et le démembrement d'un puissant empire.

La Turquie fut un autre royaume que Baha'u'llah condamna plusieurs fois. Comme cela a déjà été indiqué (voir vol.2), Il avait mis en garde et sévèrement condamné ses dirigeants depuis son arrivée à Constantinople.

Voici quelques-unes des paroles prophétiques de Baha'u'llah révélées dans la Suriy-i-Ra'is:

"Ô chef, écoute la voix de Dieu, le Souverain, le Secours, l'Absolu. [..]Tu as commis ce qui fait se lamenter Muhammad, l'Apôtre de Dieu dans le Paradis le plus sublime. Le monde t'a rendu si fier que tu t'es détourné de la face qui illumine l'assemblée céleste. Bientôt tu te trouveras en plein désarroi. [..]Proche est le jour où le Pays du mystère (Andrinople) et ses environs seront transformés. Ils échapperont des mains du roi et seront ébranlés ; la voix des lamentations s'élèvera, les preuves des méfaits seront visibles de toutes parts, la confusion sera partout en raison du sort que les armées de l'oppression ont infligé à ces prisonniers. Le cours des choses sera changé, les conditions deviendront si dramatiques que le sable même des collines désolées gémira, les arbres sur les montagnes sangloteront et le sang jaillira de toutes choses. Tu verras alors le peuple dans une profonde détresse." (n°5 "Appel du Seigneur des armées", Bruxelles, MEB, 2004)

Puis, dans le Kitab-i-Aqdas, après la révélation du Lawh-i-Fu'ad dans lequel il prophétise clairement l'anéantissement du Sultan, Baha'u'llah révèle ces paroles prophétiques:

"Ô lieu (Constantinople) situé sur les rives des deux mers ! Sur toi, en vérité, fut établi le trône de la tyrannie et allumée en ton sein la flamme de la haine, à tel point que l'assemblée céleste et ceux qui gravitent autour du trône suprême ont gémi et se sont lamentés. Nous voyons en toi l'insensé régner sur le sage et l'obscurité se glorifier devant la lumière. Tu es vraiment rempli d'un évident orgueil. Ton apparente splendeur t'aurait-elle rendu vain ? Par celui qui est le Seigneur de l'humanité ! Elle périra bientôt et tes filles, tes veuves, et toutes les familles qui habitent en tes murs se lamenteront. Ainsi t'en informe l'Omniscient, le Très-Sage." (Aqdas, p.54)

La chute du Sultan 'Abdu'l-Aziz, la fin de son règne honteux et celui de ses successeurs, l'anéantissement d'une dynastie qui avait duré pendant six siècles et demi, le démembrement d'un empire qui, fut un temps, s'étendait aussi loin que de la Hongrie en Europe, jusqu'à la mer Caspienne en Asie et à Oran en Afrique, et par-dessus tout l'écroulement du califat, l'institution la plus puissante de l'islam - tout ceci eut lieu dans cette courte période de temps après que le "Prisonnier d'Acre" eut lancé ses mises en garde bien distinctes des terribles calamités vengeresses qui devaient s'abattre sur les dirigeants despotes de la terre de Turquie.

Shoghi Effendi fait des remarques lourdes de sens sur l'extinction de la dynastie ottomane et sur le Califat:

Les ordres que donnèrent ces ennemis, les bannissements qu'ils décrétèrent, les outrages qu'ils infligèrent, les plans qu'ils conçurent, les enquêtes qu'ils menèrent, les menaces qu'ils proférèrent, les atrocités qu'ils étaient prêts à commettre, les intrigues et les bassesses auxquelles eux, leurs ministres, leurs gouverneurs et leurs chefs militaires s'étaient livrés forment un tableau auquel on peut difficilement trouver un équivalent dans l'histoire des religions révélées. Le simple récit des faits les plus saillants de cette sinistre histoire suffirait à remplir un volume. Ils savaient fort bien que le centre spirituel et administratif de la cause qu'ils s'étaient efforcés d'éradiquer était tombé en leur pouvoir, que ses chefs étaient des citoyens turcs et que, quelles que fussent leurs ressources, ils étaient à leur merci. Que durant une période de près de soixante-dix années - alors qu'il était encore dans la plénitude d'une autorité incontestée, alors qu'il était renforcé par les machinations sans fin des autorités civiles et ecclésiastiques d'une nation voisine, alors même qu'il était assuré de l'appui des proches de Baha'u'llah qui s'étaient rebellés contre sa cause et s'en étaient séparés - , ce despotisme ait finalement échoué à extirper une poignée de sujets condamnés, cela doit rester, pour tout observateur incroyant, l'un des épisodes les plus intrigants et les plus mystérieux de l'histoire contemporaine.

En dépit des calculs d'un ennemi à la vue courte, la cause dont Baha'u'llah demeurait le chef visible avait indéniablement triomphé. Aucun esprit impartial, scrutant au-delà des apparences les conditions entourant le prisonnier d'Acre, ne pouvait plus longtemps s'y tromper ou le nier. Bien que la tension, qui avait baissé, se fût accentuée pour un temps après l'ascension de Baha'u'llah et que les périls d'une situation encore instable eussent réapparu, il était devenu de plus en plus évident que les forces insidieuses de décadence qui, depuis de longues années, rongeaient les organes vitaux d'une nation malade, étaient en voie d'atteindre leur paroxysme. Une série de crises internes avaient déjà été déchaînées, dont chacune s'avérait plus dévastatrice que la précédente, et qui devaient finalement amener dans leur sillage un des événements les plus catastrophiques des temps modernes. Le meurtre, en 1876, de cet arrogant despote ; le conflit russo-turc qui suivit peu après ; les guerres de libération qui lui succédèrent ; la montée du mouvement des jeunes Turcs ; la révolution turque de 1908 qui précipita la chute de 'Abdul-Hamid ; les guerres balkaniques avec leurs désastreuses conséquences ; la libération de la Palestine qui enchâsse en son sein les villes d'Acre et de Haïfa, le centre mondial d'une foi émancipée ; le démembrement supplémentaire qui décréta le traité de Versailles ; l'abolition du sultanat et la chute de la maison d'Uthman ; l'annulation de la loi de la Shari'at, et la promulgation d'un code civil universel ; la suppression de divers ordres, croyances, traditions et cérémonies tenus pour indissolublement liés à la structure de la foi musulmane ; tous ces événements se succédèrent avec une facilité et une rapidité qu'aucun homme n'avait osé envisager. Dans tous ces coups dévastateurs, assenés par des amis autant que par des ennemis, par des nations chrétiennes et des croyants musulmans, chaque fidèle de la foi persécutée de Baha'u'llah reconnut les preuves de la main du fondateur défunt de sa religion qui, depuis le royaume invisible, déchaînait sur une nation et une religion rebelles un flot de calamités bien méritées.

Comparez les preuves des punitions infligées par Dieu, et qui sont advenues au persécuteur de Jésus-Christ, à ces châtiments historiques qui, dans la première partie du premier siècle de l'ère baha'i e, firent mordre la poussière au principal ennemi de la religion de Baha'u'llah. L'empereur romain n'avait-il pas, dans la seconde moitié du premier siècle de l'ère chrétienne, après un angoissant siège de Jérusalem, dévasté la cité sainte, détruit le temple, profané et dépouillé de ses trésors le saint des saints, transporté ceux-ci à Rome, créé sur le mont Sion une colonie païenne, massacré les juifs, exilé et dispersé les survivants ?

Comparez, en outre, ces paroles dont témoigne l'Évangile, et que le Christ persécuté adresse à Jérusalem, à l'apostrophe à Constantinople révélée de sa prison lointaine par Baha'u'llah, et rapportée dans son très saint Livre:'Ô Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien der fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes ! Et encore, se lamentant sur la ville: Si tu avais su voir à ton heure ce dont dépend ta paix ! Mais cela, maintenant, est caché à tes yeux... Car un temps viendra où tes ennemis creuseront une tranchée autour de toi et te cerneront de toutes parts, et te jetteront bas et tes enfants avec toi, et ils ne te laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas connu le jour de la visite de ton Seigneur. (N°7 OMB développement de la civilisation mondiale p.164-6)

Aux Présidents des républiques d'Amérique, Baha'u'llah adressa ces mots consignés dans le Kitab-i-Aqdas:

Ô vous dirigeants et présidents des républiques d'Amérique ! Écoutez ce que chante la colombe sur la branche d'éternité: "Il n'y a pas d'autre Dieu que moi, l'Immuable, le Clément, le Très-Généreux." Ornez le temple de l'autorité de la parure de la justice et de la crainte de Dieu, et le chevet de ce temple de la couronne du souvenir de votre Seigneur, le Créateur des cieux. C'est ce que vous conseille celui qui est l'Aurore des noms, selon l'ordre donné par l'Omniscient, le Très-Sage. Le Promis est apparu dans ce rang glorieux, ce dont toutes les créatures visibles et invisibles se sont réjouies. Saisissez l'occasion de ce jour de Dieu. En vérité, rencontrer votre Seigneur vaut mieux pour vous que tout ce qu'éclaire le soleil, si seulement vous pouviez le savoir. Ô assemblée de dirigeants ! Prêtez l'oreille à ce qu'a fait entendre la Source de grandeur: "En vérité, il n'y a pas d'autre Dieu que moi, le Seigneur de la parole, l'Omniscient." Des mains de la justice pansez les êtres brisés, et du sceptre des commandements de votre Seigneur, l'Ordonnateur, le Très-Sage, écrasez l'oppresseur qui prospère. (n°8 Aqdas, p.53-54)

Un message en particulier fut transmis dans tous ces Écrits dans un langage explicite, exprimé avec vigueur, éloquence et majesté, et cela était que Dieu s'était manifesté lui-même et que son Vice-régent sur terre convoquait les Rois à Lui. Dans tous ces messages, les avertissements étaient indubitablement clairs et explicites et peuvent être résumés par le passage suivant révélé dans la Suriy-i-Muluk (Sourate des Rois):

Si vous ne prenez garde aux conseils qu'en un clair et incomparable langage nous vous révélons dans cette épître, le châtiment de Dieu fondra sur vous de toutes parts, et la sentence de sa justice sera prononcée contre vous. Vous n'aurez, ce jour-là, aucun pouvoir de lui résister, et vous reconnaîtrez votre propre impuissance. Ayez pitié de vous-mêmes et de vos sujets. (Florilège d'écrits de Baha'u'llah, CXVIII)

Depuis que ces appels historiques furent lancés mais pas entendus, les forces du "châtiment divin" libérées par le pouvoir créatif des paroles de Baha'u'llah ont exercé une pression sur les rois et les institutions de la royauté. L'accomplissement de la prophétie de Baha'u'llah annonçant le déclin des fortunes de la royauté qui avait exercé le pouvoir absolu à travers les âges a été incroyable! "À deux classes parmi les hommes, le pouvoir a été retiré, aux rois et au clergé", n°10 VjP, page 64) a été la déclaration limpide de Baha'u'llah. Si rapide a été la chute des rois que dans l'espace de quelques décennies suivant les avertissements de Baha'u'llah, nombre de rois puissants tombèrent à terre, et la plupart des autres perdirent totalement leur influence. Des révolutions, souvent associées à la violence, eurent lieu dans différentes parties du monde et changèrent dramatiquement le système entier des institutions politique et gouvernementale.

Sur la monarchie

Dans la tablette de Salman dont il est déjà fait allusion dans le chapitre 1, Baha'u'llah fait cette remarque significative concernant la royauté. Il écrit:

Un des signes de la maturité du monde consiste en ce que nul n'acceptera de porter le poids de la royauté. La royauté ne trouvera personne qui soit désireux d'en supporter seul le fardeau. Ce jour est celui où la sagesse se manifestera dans la race humaine. Ce ne sera que pour proclamer la cause de Dieu et répandre partout sa Foi qu'il se trouvera quelqu'un pour accepter de porter ce pesant fardeau. Bienheureux l'homme qui par amour de Dieu et de sa Cause et, dans l'intention de travailler pour lui et de proclamer sa Foi, s'exposera à ce grand danger et acceptera ce labeur et ces peines... (n°11 VJP p.65)

Dans ses Écrits, Baha'u'llah a donné trois signes pour la maturité de l'humanité. L'un est la déclaration ci-dessus concernant le déclin des fortunes des rois. Un autre, auquel nous avons fait référence dans un précédent volume (vol.2 p.132), est la transmutation des éléments, l'accomplissement de l'alchimie. Le troisième, mentionné dans le Kitab-i-Aqdas, est l'adoption d'une langue auxiliaire internationale.

De tout ce qui a été dit, il ne doit cependant pas être déduit que les enseignements baha'is condamnent l'institution de la royauté. Au contraire, dans une de ses épîtres, Baha'u'llah a déclaré:

Bien qu'une forme républicaine de gouvernement soit avantageuse pour tous les peuples du monde, la majesté de la royauté est un des signes de Dieu. Nous ne désirons pas que les pays du monde en restent dépourvus... (n°12 Tablettes p.28)

Dans différentes parties du monde, les enseignements baha'is envisagent le rétablissement dans le futur, de monarchies constitutionnelles fonctionnant correctement.

Dans une autre épître, Baha'u'llah prophétise le futur de ces institutions en ces paroles:

Avant peu, Dieu suscitera sur terre des rois qui seront étendus sur des couches de justice et qui gouverneront les hommes comme ils se gouverneront eux-mêmes. En vérité, ils seront, dans la création tout entière, comptés au nombre de mes créatures les plus précieuses. (N°13 VJP p.68)

Shoghi Effendi a écrit l'explication suivante des enseignements baha'is sur l'institution de la monarchie:

"Que nul cependant ne se trompe ou ne dénature inconsciemment les intentions de Baha'u'llah. Si sévère qu'ait été la condamnation qu'il prononça contre les souverains qui le persécutèrent, et si stricte la censure qu'il exprima collectivement contre ceux qui manquèrent manifestement à leur évident devoir de s'informer sur la vérité de sa Foi et de retenir la main du méchant, ses enseignements cependant ne renferment aucun principe qui puisse, de quelque façon que ce soit, être interprété comme une répudiation, ou seulement une dépréciation même voilée, de l'institution de la royauté. La chute catastrophique et l'extinction des dynasties et empires de ces monarchies dont il avait prophétisé la fin déplorable et les fortunes déclinantes des souverains de sa propre génération - qu'il avait réprouvés d'une manière générale -, constituant l'une et l'autre des étapes passagères de l'évolution de la Foi, ne devraient en aucune manière être confondues avec la situation future de cette institution. En vérité, si nous consultons soigneusement les Écrits de l'Auteur de la foi baha'ie, nous ne pouvons manquer de découvrir des passages innombrables dans lesquels, en des termes dont le sens ne peut échapper à personne, le principe de la royauté est l'objet d'éloges qui exaltent la conduite des rois justes et équitables, qui envisagent l'apparition de monarques gouvernant avec justice, et même professant sa Foi, et inculquent le devoir solennel de se lever pour assurer le triomphe des souverains baha'is. Conclure d'après les paroles citées ci-dessus, adressées par Baha'u'llah aux monarques de la terre, et déduire d'après le récit des lamentables désastres qui s'abattirent sur tant de ces rois, que ses disciples préconisent ou escomptent l'extinction définitive de l'institution de la royauté équivaudrait, en vérité, à une déformation de ses enseignements." (N°14 VJP p.65-66)

Dans le Kitab-i-Aqdas Baha'u'llah prophétise un temps où les rois et dirigeants du monde rejoindront sa cause, et il déverse ses bénédictions sur de tels dirigeants. Voici ces paroles:

"Combien grande est la félicité réservée au roi qui se lèvera pour servir ma cause en mon royaume et se détachera de tout autre que moi ! Un tel roi sera compté parmi les compagnons de cette arche cramoisie, l'arche que Dieu a préparée pour le peuple de Baha. Tous doivent glorifier son nom, vénérer son rang et l'aider à ouvrir les portes des cités avec les clés de mon nom, l'Omnipotent Protecteur de tous les habitants des royaumes visibles et invisibles. Un tel roi est la prunelle même de l'humanité, la lumineuse parure ornant le front de la création, la source de bénédiction pour le monde entier. Ô peuple de Baha, faites l'offrande de vos biens, que dis-je, de vos vies mêmes pour le soutenir." (N°15 Aqdas, p.51-52)

Parlant des futurs monarques qui épouseront sa cause, il semble approprié à ce point, de raconter l'histoire de Haji Shah Khalilu'llah-i-Farani, un croyant de grande réputation qui, en compagnie de son illustre père, Aqa Mir Muhammad Big, se trouva en présence de Baha'u'llah à Acre en 1306 AH (1889 EC). Il était natif de Faran dans la province de Khurasan. Dans ses mémoires, il décrit leur arrivée à Acre et comment ils se trouvèrent en présence de Baha'u'llah:

Enfin nous arrivâmes dans la ville d'Acre et fûmes conduits à la maison des pèlerins baha'is dans le Khan (Khan-i-'Avamid) où demeuraient les pèlerins et quelques baha'is résidents. Nous profitâmes pleinement de la compagnie de ces croyants dévoués et sincères. Dans l'après-midi du jour de notre arrivée, 'Abdu'l-Baha vint nous rendre visite. Il illumina nos yeux par l'effusion des rayons de sa personne. Il nous combla de son affectueuse bonté, s'informa de notre voyage et de la situation des amis dans diverses villes et insuffla en nos coeurs un esprit de joie et de bonheur.

Le jour suivant, nous fûmes requis en la présence de la Beauté bénie. Dieu est témoin de notre état et condition à ce moment-là. Un flot de larmes coula de nos yeux lorsque nous vîmes sa Personne. Par ses gracieuses faveurs, la Langue de grandeur (Baha'u'llah) nous parla et dit "Avez-vous vu comme la Main du pouvoir vous a pris et amené ici ? Car Faran est situé d'un côté du monde et Acre de l'autre..." *. Il prononça des paroles d'une telle affectueuse bonté et nous combla de telles générosités que ma plume est incapable de les mémoriser...Chaque jour nous allâmes en sa présence et fûmes nourris par les eaux de sa grâce. Les yeux de ses généreuses faveurs étaient souvent dirigés vers nous... Un jour, nous fûmes appelés au moment de révélation (voir vol.1) et nous entendîmes les mélodies de sainteté. Bonté Divine ! en un tel moment, non seulement l'âme était grisée, mais il semblait que même la porte, les murs, les arbres et les fruits vibraient d'ivresse. La Beauté Bénie était assise sur le trône des paroles, les versets de Dieu s'écoulaient telle une abondante pluie et l'on pouvait entendre le son de la voix de la Plume du Très-Haut. Chaque jour, nous recevions notre part de générosité de sa présence et nous étions dans la joie la plus totale... Un jour, à la maison des pèlerins, il nous fut dit que sa Personne Bénie allait se rendre à la demeure de Bahji ** nous fûmes requis en sa présence dans la demeure... et un logement nous fut attribué dans le voisinage." (N°16 mémoires non publiées)

*[nota: ce ne sont pas là les paroles exactes de Baha'u'llah]
**[nota: Baha'u'llah s'était établi dans la demeure longtemps avant que ceci ne se passe mais de temps à autre il se rendait à Acre et y demeurait pour quelque temps]

Dans une chronique parlée, Haji Shah Khalilu'llah a raconté à quelques amis, une histoire de Baha'u'llah qui un jour leur avait rendu visite dans leur résidence:

"Un jour Baha'u'llah informa mon père qu'il nous rendrait visite dans l'après-midi. Ce jour-là, il arriva accompagné de quelques disciples. Nous fûmes tous les deux hautement honorés de sa présence et immergés dans l'océan de sa générosité et de ses bienfaits. Quelques moments plus tard, il se leva pour partir. Nous nous dirigeâmes vers la porte pour l'accompagner, il nous fit signe de ne pas l'accompagner plus loin. Je regardai sa gracieuse silhouette de dos et la majesté de sa stature jusqu'à ce qu'il disparût de ma vue. J'étais tellement transporté dans cet état et je me dis: Quel dommage ! si seulement les rois du monde pouvaient le reconnaître et se lever pour le servir, aujourd'hui la Cause et les croyants seraient exaltés.
Le jour suivant lorsque j'arrivais en sa présence, il tourna son visage vers moi et m'adressa avec un charme infini et une bonté affectueuse les paroles suivantes. Il dit: "Si les rois et dirigeants du monde avaient rejoint la Foi en ce jour, vous n'auriez jamais pu trouver une entrée à sa cour exaltée. Vous n'auriez jamais pu avoir l'opportunité d'arriver en notre présence, et vous n'auriez pas pu acquérir le privilège d'entendre les paroles du Seigneur de l'Humanité. Certes le temps viendra où les rois et dirigeants du monde deviendront des croyants, et la cause de Dieu sera glorifiée de l'extérieur. Mais ceci arrivera après que les dociles et les humbles de la terre auront gagné cette grâce inestimable." * (n°17, mémoires non publiées)

*[nota: ceci ne doit pas être pris pour les paroles exactes de Baha'u'llah à cette occasion]

Haji Shah Khalil'u'llah grandit dans une atmosphère baha'i e. Son père était un croyant extraordinaire, très influent parmi le peuple et doté d'une profonde compréhension et de la connaissance de Dieu. Sa demeure était le centre des activités baha'ies à Faran. Haji Shah Khalil'u'llah suivit les traces de son père. Il devint un baha'i éminent dont le dévouement et l'enthousiasme pour la Foi lui valurent l'affection des croyants à travers toute la Perse. Dans sa ville natale, il était comme son père, un citoyen de confiance et bien que l'on sût qu'il était baha'i, il était respecté par un grand nombre de non-baha'is qui se tournaient souvent vers lui pour demander secours et conseil.

Quelques années après l'ascension de Baha'u'llah, il fut en présence de 'Abdu'l-Baha et pendant quelque temps jouit du soleil de son amour à Acre. Durant le ministère de Shoghi Effendi il reçut aussi deux fois le privilège de visiter la Terre sainte, où il eut l'honneur d'être en la présence de Shoghi Effendi presque chaque jour durant son pèlerinage.

Haji Shah Khalil'u'llah était un grand enseignant de la Foi. Par son caractère affectueux, il attira de nombreuses personnes à la cause de Dieu. Ses qualités spirituelles, associées à l'amour brûlant qu'il nourrissait pour Baha'u'llah et sa foi, firent de lui un baha'i extraordinaire qui réchauffait le coeur des croyants partout où il allait.

Chefs religieux auxquels s'adresse le Kitab-i-Aqdas

Le clergé était une autre catégorie de personnes qui exerçaient un énorme pouvoir. Durant toute la période de l'histoire consignée, ces hommes tenaient les rênes du pouvoir en leur main, et guidaient les masses à leur façon. Ceci était peut-être nécessaire car autrefois le plupart des gens étaient illettrés et avaient besoin d'être guidés par quelqu'un. Les chefs religieux se comportaient dans leur communauté, que ce soit en Orient comme en Occident, avec une autorité qui était si profondément enracinée dans le coeur des gens que même les rois étaient obligés de s'y conformer. Pour citer un exemple: en Perse, les rois de la dynastie Qadjar gouvernèrent en dictateurs puissants d'un régime totalitaire. Une fois, l'un des principaux ecclésiastiques avait interdit aux gens de fumer. Quoique ce commandement ne durât pas très longtemps, chacun dut y obéir jusqu'à ce qu'il soit abrogé. Même le roi Qadjar dans son palais, n'osa pas fumer. Tel était l'emprise de la parole du clergé lorsque Baha'u'llah apparut ! D'un trait de sa plume puissante, il abolit l'institution du clergé et annonça qu'il avait saisi leur pouvoir, un pouvoir qu'ils avaient exercé depuis des temps immémoriaux.

Au Shaykh Baqir, un mujtahid persan, que Baha'u'llah stigmatisa du nom de "Loup" à cause des ordres qu'il donna pour faire exécuter deux baha'is illustres, il adressa ces paroles:

Ô insouciant ! Ne compte ni sur ta gloire ni sur ton pouvoir. Tu es semblable au tout dernier rayon du soleil sur la cime des montagnes. Bientôt il disparaîtra comme l'a décrété Dieu, le Possesseur de toutes choses, le Très Haut. Ta gloire et la gloire de tes semblables vous ont été retirées. En vérité, en ordonna ainsi celui auprès de qui repose le Livre-Mère... (n°18, Epître au Fils du Loup)

Dans le Kitab-i-Aqdas Baha'u'llah s'adresse collectivement aux prêtres de toutes les religions ; voici quelques extraits de ses paroles:

Dis: Ô chefs religieux ! Ne pesez pas le Livre de Dieu selon les normes et les connaissances qui ont cours parmi vous, car le Livre est lui-même l'infaillible balance établie parmi les hommes. Cette balance parfaite doit peser ce que possèdent tous les peuples et les gens de la terre, tandis que son poids devrait être vérifié d'après son propre étalon, puissiez-vous le savoir.

L'oeil de ma tendre bonté pleure douloureusement sur vous, car vous n'avez pas su reconnaître celui que vous appeliez de jour comme de nuit, soir et matin. Ô peuple, le visage blanc comme neige et le coeur radieux, avance vers le sanctuaire cramoisi et béni, où le Sadratu'l-Muntaha s'écrie: "En vérité, il n'y a pas d'autre Dieu que moi, l'Omnipotent Protecteur, Celui qui subsiste par Lui-même !"

Ô chefs religieux ! Qui parmi vous peut rivaliser avec moi en perspicacité ou en intuition ? Où est celui qui osera se prétendre mon égal en parole ou en sagesse ? Non, par mon Seigneur, le Très-Miséricordieux ! Tous sur terre passeront, et voici la face de votre Seigneur, le Tout-Puissant, le Bien-aimé.

Ô peuple, nous avons décrété que la fin suprême et dernière de toute étude est la reconnaissance de celui qui est l'objet de tout savoir; et, pourtant, voyez comme vous avez laissé votre science vous dissimuler, comme par un voile, celui qui est l'Aurore de cette lumière, par qui chaque chose cachée fut révélée. Si seulement vous pouviez découvrir la source d'où se répand la splendeur de cette parole, vous rejetteriez les peuples du monde et tout ce qu'ils possèdent, pour vous approcher de ce siège de gloire suprêmement béni.

Dis: Voici en vérité le ciel où le Livre Mère est précieusement gardé, si seulement vous pouviez le comprendre. Il est celui qui a poussé le Rocher à crier et le Buisson ardent à élever la voix sur le mont dominant la Terre sainte, et à proclamer: "Le royaume est à Dieu, le Souverain Seigneur de tous, le Tout-Puissant, Celui qui aime !"

Nous n'avons fréquenté aucune école ni lu aucun de vos travaux. Prêtez l'oreille aux paroles de celui qui ne possède pas une science acquise, par lesquelles il vous appelle à Dieu, l'Éternel. Cela vaut mieux pour vous que de posséder tous les trésors de la terre, puissiez-vous le comprendre. (n°19 Aqdas p.57-59 K. 99-104)

Et encore:

Ô assemblée de religieux ! Lorsque mes versets furent envoyés et que mes signes évidents furent révélés, nous vous trouvâmes derrière les voiles. Quelle étrange chose, en vérité ! Vous vous glorifiez de mon nom et pourtant, vous ne m'avez pas reconnu au moment où votre Seigneur, le Très-Miséricordieux, apparut parmi vous avec preuve et témoignage. Nous avons déchiré les voiles. Gardez-vous d'aveugler les gens par un autre voile. Brisez les chaînes des vaines imaginations au nom du Seigneur de tous les hommes, et ne vous rangez pas parmi les fourbes. Si vous vous tournez vers Dieu et embrassez sa cause, n'y semez pas le désordre et ne mesurez pas le Livre de Dieu à l'aune de vos désirs égoïstes... Si vous aviez cru en Dieu lorsqu'il s'est révélé, le peuple ne se serait pas détourné de lui, et les choses dont vous êtes aujourd'hui témoins ne nous seraient pas arrivées. Craignez Dieu et ne soyez pas insouciants... Voici la cause qui a ébranlé toutes vos superstitions et toutes vos idoles...

Ô assemblée de religieux ! Gardez-vous d'être la cause de conflits dans le pays, comme vous fûtes la cause du reniement de cette foi en ses débuts. Rassemblez le peuple autour de cette parole qui fit que les pierres s'écrient: "Le royaume est à Dieu, l'Orient de tous les signes !"... Déchirez les voiles de telle sorte que les hôtes du royaume en entendront la déchirure. Voilà l'ordre de Dieu, dans les jours passés et pour les jours à venir. Béni est l'homme qui observe ce qui lui a été commandé, et malheur au négligent. (N°20 Aqdas p.79-82 K.165-6-7-9 et 171)

Dans nombre de ses épîtres, Baha'u'llah fait référence aux prêtres. En voici quelques-unes:

Après d'attentives observations, nous avons découvert que nos ennemis sont, pour la plupart, des ministres de la religion.

Dans le peuple, quelques-uns nous ont dit: "Il a répudié les ministres." "Dis: Oui, par mon Seigneur ! je suis en vérité, celui qui a détruit les idoles !"

Nous avons véritablement sonné de la Trompette ; celle-ci est notre Très Sublime Plume, et voilà que les ministres et les savants, les docteurs et les gouvernants se sont évanouis, sauf ceux que Dieu a conservés en gage de sa grâce ; et lui, en vérité, est le Très-Généreux, l'Ancien des jours.

Ô assemblée de théologiens ! chassez loin de vous les folles chimères et imaginations et tournez-vous ensuite vers l'Horizon de la certitude. Je le jure par Dieu ! Rien de ce que vous possédez ne vous profitera, non plus que tous les trésors de la terre, ni le pouvoir que vous avez usurpé. Craignez Dieu et ne soyez pas de ceux qui sont perdus.

Dis: Ô assemblée de théologiens ! dépouillez-vous de tous vos voiles et de ce qui vous enveloppe. Prêtez l'oreille à ce à quoi vous appelle la Très Sublime Plume en ce Jour merveilleux.

Le monde est recouvert de poussière en raison de vos vaines imaginations, et les coeurs de ceux qui jouissent de la proximité de Dieu sont affligés à cause de votre cruauté. Craignez Dieu et soyez de ceux qui jugent avec équité. N°21 VjP pp 76-7)

Shoghi Effendi a écrit d'une façon très détaillée sur ce sujet dans Voici le jour promis. Voici quelques-unes de ses remarques:

... Au déclin des destinées des Rois, détenteurs du pouvoir temporel, il s'opérait un amoindrissement non moins saisissant de l'influence exercée par les chefs spirituels du monde. Les événements colossaux qui avaient annoncé la dissolution de tant de royaumes et d'empires coïncidèrent avec l'émiettement des forteresses apparemment invincibles de l'orthodoxie religieuse. Ce même processus qui, avec une tragique rapidité, scella le destin des rois et empereurs et anéantit leurs dynasties, opéra aussi, vis-à-vis des chefs de la chrétienté et de l'islam, en portant atteinte à leur prestige et en certains cas, en renversant leurs institutions les plus puissantes. "Le pouvoir a été retiré" en vérité, des mains "des rois et du clergé". La gloire de ceux-là a subi des éclipses et le pouvoir de ceux-ci s'est perdu sans espoir de retour.

Ces chefs, qui servaient de guides et qui contrôlaient les hiérarchies ecclésiastiques de leurs religions respectives, reçurent de même les appels, les avertissements et les reproches de Baha'u'llah en des paroles non moins claires que celles qui avaient été adressées aux souverains présidant aux destinées de leurs sujets. Eux aussi, et particulièrement les chefs des ordres ecclésiastiques musulmans, avaient, en accord avec les despotes et les potentats, déclenché leurs offensives et prononcé leurs violents anathèmes contre les Fondateurs de la Foi de Dieu, ses disciples, ses principes et ses institutions. Les membres du clergé de perse n'avaient-ils pas été les premiers à lever contre elle l'étendard de la révolte, à exciter les masses ignorantes et serviles, et à pousser les autorités civiles par leurs cris de réprobation, leurs menaces, leurs mensonges, leurs calomnies et leurs dénonciations, à décréter les bannissements, à arrêter les lois, à lancer des expéditions punitives, et à opérer les exécutions et massacres qui remplissent les pages de son histoire ? Si abominable et si sauvage fut la boucherie faite en une seule journée à l'instigation de ces prêtres religieux, et si typique de "l'insensibilité de la brute et de l'ingéniosité de l'esprit malin", que Renan dans son ouvrage Les Apôtres, déclare que cette journée fut "peut être sans parallèle dans l'histoire du monde".

Ce furent ces chefs religieux qui, par ces actes mêmes, jetèrent les semences de la désintégration de leurs propres institutions qui étaient si puissantes, si célèbres et qui apparaissaient si invulnérables lorsque naquit la Foi. C'est eux qui, en assumant avec tant de légèreté et de folie de si terribles responsabilités, furent principalement comptables du déclenchement de ces influences violentes et bouleversantes qui déchaînèrent des désastres si catastrophiques qu'ils abattirent rois, dynasties et empires, et qu'ils constituent les événements les plus notoires de l'histoire du premier siècle de l'ère baha'i e.

Ce processus de destruction, quelque saisissant qu'il ait été dans ses manifestations initiales, opère encore avec une force non diminuée et, à mesure que l'opposition à la Foi de Dieu, venant de sources variées et se produisant dans des domaines éloignés, acquerra de l'importance, ce processus s'accélérera davantage et révélera des signes plus remarquables encore de son pouvoir dévastateur. (N°22 VJP p.68-9)

Baha'u'llah proclama son message collectivement aux dirigeants du monde et individuellement à quelques monarques. Mais cette proclamation n'était pas uniquement destinée aux rois ou aux chefs religieux. Les peuples du monde devaient aussi l'entendre à travers leurs chefs, car il n'y avait pas d'autres moyens de communication. Les médias d'aujourd'hui n'existaient pas au temps de Baha'u'llah. C'était le dessein de Dieu que les dirigeants du monde entendent l'avènement de sa Manifestation, répondent positivement à son appel, rejoignent sa Cause et communiquent son message à leurs peuples. Mais personne ne répondit. Pourtant Dieu avait bien tenu son rôle dans son alliance avec l'homme en octroyant sa révélation à l'humanité et la lui proclamant. L'homme devait maintenant de sa propre volonté répondre à l'appel de son Créateur.

- Proclamation aux dirigeants juifs:

Une étude des lettres de Baha'u'llah aux dirigeants du monde indique que toutes les nations et religions principales du monde reçurent la possibilité d'entendre parler de sa venue. Une exception concerne probablement le peuple juif qui à l'époque n'avait pas à un statut spécifique. Un an avant son ascension, Baha'u'llah avait fait une remarque concernant sa proclamation aux dirigeants du monde. Il aurait dit qu'à ce moment, il avait totalement proclamé sa mission aux têtes couronnées du monde, mais qu'il désirait transmettre le message de Dieu au Baron Rothschild * qui, à l'époque, pouvait être considéré comme le chef du peuple juif. Cette remarque fut adressée à un croyant d'origine juive, Mirza Azizu'llah-i-Jadhdhab qui pour la troisième fois en AH 1308 (1891 EC) était allé à Acre pour être en présence de Baha'u'llah. Baha'u'llah lui ordonna d'écrire au Baron Rothschild et de lui proclamer la Foi et si possible de lui rendre visite.

*[nota: probablement le baron Nathaniel Mayer, Lord Rothschild of London (1840-1915), qui était alors considéré comme le chef de la Juiverie mondiale ; ou alors le Baron Edmond de Rotschild de Paris (1845-1934), le grand bienfaiteur de milliers de juifs qui s'établissaient alors en Palestine]

L'histoire de la vie de Mirza Azizu'llah et les services qu'il rendit à la Cause de Dieu sont en vérité intéressants et enthousiasmants. Il était d'origine juive. Son père, qui vivait à Mashhad, était un homme érudit et bien versé dans l'Ancien Testament et autres livres religieux. Il avait l'habitude d'enseigner l'Ancien Testament à la jeunesse juive. Le coeur pur et avec une profonde compréhension des sujets religieux, il reconnut la véracité de la foi de l'islam et déclara secrètement sa conversion aux autorités musulmanes. À l'exception de sa femme, aucun autre membre de la communauté juive, ni même ses propres enfants, ne fut informé de sa conversion à l'islam. Cela se passait près de seize ans avant la naissance de la foi babie. En particulier, il avait recommandé à sa famille de guetter la venue du Seigneur des armées, car il avait découvert d'après les Livres saints que son avènement était proche.

Quelques années plus tard, en 1838, un incident tragique dans la ville de Mashhad eut pour résultat le massacre, par des musulmans, de près de trente-cinq juifs. Tous les juifs survivants se réfugièrent dans les maisons du clergé musulman et afin de sauver leur vie, acceptèrent de reconnaître la foi de l'islam. Ils furent officiellement convertis par le clergé, mais, naturellement, ils pratiquaient en secret la foi juive. Quoique leurs vies eussent été sauves, les juifs nouvellement convertis à l'islam continuèrent de vivre dans un quartier séparé de la ville et ne furent pas complètement intégrés à la communauté musulmane. Ils étaient désignés comme "les nouveaux venus" et ils étaient toujours persécutés par les musulmans.

Mirza Azizu'llah vivait dans cette communauté. Enfant, il alla à l'école musulmane, mais la quitta rapidement. À la place, il étudia l'Ancien Testament, devint très approfondi dans la foi juive et la pratiqua en secret. Quoique son éducation fut élémentaire, il devint un marchand prospère et apparut comme un homme de talent et entreprenant.

La première fois qu'il entendit le mot "Baha'u'llah" fut lorsque l'un de ses frères, qui était devenu baha'i, lui raconta l'histoire du martyre de Badi'. Mais Mirza Azizu'llah, étant très loyal dans la foi juive, ne montra aucun intérêt et le frère ne poursuivit pas plus longtemps le sujet.

Quelque temps passa et les deux frères durent entreprendre une série de voyages ensemble pour affaires. Au cours de ces voyages, Mirza Azizu'llah décida de perfectionner sa connaissance élémentaire de la lecture et de l'écriture en persan. Étant un homme talentueux, il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour devenir un lecteur compétent.

Un jour lorsque son frère était sorti, il prit un livre baha'i et commença à lire. Il fut touché par ce qu'il lut, mais rejeta toute idée d'une nouvelle Foi. Puis une nuit, il eut un rêve, qu'il décrivit ainsi dans ses mémoires:

Dans mon rêve, j'entendis l'annonce que le Seigneur des armées, le Promis de tous les temps était apparu et qu'il inspectait la compagnie des prophètes et tous leurs disciples. Je me rendis immédiatement au lieu fixé. Je vis une très grande place où des multitudes de personnes étaient assemblées en rang. Chaque prophète avec ses disciples était assis faisant face à la Qiblih *. Je fus surpris par la lumière extraordinaire et la vision qui se trouvaient devant mes yeux, car je pouvais facilement voir tous les gens alignés dans cette grande place.

*[nota: littéralement: le point d'adoration. Un point vers lequel se tourne les fidèles au moment de la prière]

"En face de la foule et la regardant, un personnage vénérable était assis sur une chaise et parlait. J'étais debout à la fin de la file. Sa Personne bénie avait plus de cinquante ans, il avait une longue barbe noire et portait un taj vert * cousu de fil de soie verte. De sa main bénie, il me fut signe d'aller vers lui. J'agitai les mains pour lui dire, comment pourrais-je avec toute cette foule devant moi ? Il fit un signe à la foule et tous se prosternèrent. Il me demanda alors d'avancer. Je n'étais pas certain, à ce moment, si c'était à moi ou à quelqu'un d'autre qu'il faisait des signes. Alors il répéta son ordre. Cette fois-ci, j'avançais immédiatement, marchant sur le dos des personnes qui étaient prosternées par terre devant moi, jusqu'à ce que je parvienne à l'atteindre. Je me prosternai à ses pieds et je les embrassai. De ses mains, il m'aida alors à me relever et récita le verset du Coran: "Béni soit Dieu, le plus excellent Créateur." (N°23 Coran XXIII.14)

*[nota: couvre-chef semblable à celui que Baha'u'llah portait]

Bien que ce rêve eût fait une grande impression sur Mirza Azizu'llah, il demeura encore ferme dans sa foi juive jusqu'à ce que, quelque temps plus tard, il fût converti à la Foi de Baha'u'llah par Haji Abdu'l-Majid, le père de Badi'. Peu de temps après avoir embrassé la foi, Mirza Azizu'llah et son frère firent le voyage jusqu'à Acre pour aller en présence de Baha'u'llah. Cela se passait en 1876, et ce fut son premier pèlerinage en Terre sainte. Lorsque le moment prévu arriva, Mirza Azizu'llah fut conduit à la chambre de Baha'u'llah à Acre. Dès que ses yeux virent la personne de Baha'u'llah, il fut stupéfait de se trouver en la présence de celui qu'il avait vu quelques années auparavant dans son rêve mémorable, portant les mêmes vêtements et le même couvre-chef vert. Avec toute la dévotion et l'amour de son coeur, Mirza Azizu'llah se prosterna vivement aux pieds de son Seigneur. Baha'u'llah se pencha, l'aida à se remettre sur pied et récita le verset du Coran: "Béni soit Dieu, le plus excellent Créateur !"

Pendant son séjour à Acre, Mirza Azizu'llah se trouva de nombreuses fois en présence de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha. Ce qui le dota d'un nouvel esprit de foi et d'une nouvelle assurance. La première fois qu'il se trouva en présence de Baha'u'llah, il fut témoin de la révélation des tablettes de Baha'u'llah et entendit sa voix lorsqu'il les révélait. Cette expérience le marqua de façon durable. Il avait un seul regret, c'était de ne pas pouvoir lire l'arabe et par conséquent de ne pas pouvoir totalement apprécier les Écrits Saints. Comme il avait quitté l'école très tôt, il n'avait pas eu l'opportunité d'apprendre cette langue. Il en ressentit du remords. Quelqu'un à Acre se porta volontaire pour lui enseigner l'arabe, mais il déclina l'offre car il n'avait ni le temps, ni la patience pour étudier une langue si riche par son vocabulaire et si complexe par sa grammaire.

Le jour suivant lorsqu'il arriva en présence de Baha'u'llah, il s'approcha de lui par le coeur et supplia que par ses faveurs bienveillantes, il puisse lui permettre de comprendre l'arabe sans passer par la méthode habituelle pour apprendre une langue. Son voeu fut exaucé et Mirza Azizu'llah se trouva un jour très enthousiaste lorsqu'il se rendit compte qu'il pouvait lire et comprendre le Coran et les tablettes de Baha'u'llah en arabe.

Beaucoup parmi les premiers croyants étaient sans éducation, mais ils étaient dotés par Baha'u'llah d'une connaissance que ne possèdent pas les hommes de savoir mais dépourvus de foi. Nous avons déjà décrit cette forme de connaissance, une connaissance qui s'écoule du coeur et qui ne dépend pas du savoir.

Concernant la mission spéciale, qui lui fut donnée pendant son dernier pèlerinage à Acre, de proclamer la Foi au Baron de Rothschild, Mirza Azizu'llah a rapporté ce qui suit dans ses mémoires:

"Après avoir quitté la terre Sainte (en 1891) j'arrivais à Istanbul. Je connaissais dans cette ville un certain négociant qui parlait français. Je lui demandai s'il pouvait m'enseigner quelques rudiments de français chaque jour, de façon à ce que lors de mon voyage pour rencontrer Rothschild je puisse converser un petit peu dans cette langue. Pendant ce temps, je rédigeai une lettre à Rothschild qui fut traduite en français. Dans cette communication, je l'informai de la venue de Baha'u'llah et de l'accomplissement des prophéties de l'Ancien Testament concernant l'avènement du Seigneur des armées qui s'était révélé cette fois-ci sur le mont Carmel. J'expliquai que les disciples de Baha'u'llah nous invitaient à embrasser sa cause, fournissant des preuves et démontrant que les prophéties ont été accomplies. Je lui rappelai qu'il était considéré comme le chef du peuple juif. Par conséquent, je lui demandai d'en référer auprès des religieux juifs de Jérusalem afin qu'ils puissent répondre à cette question. J'expliquai de plus que soit on devait invalider les preuves et les prophéties de l'Ancien Testament ou accepter cette cause bénie. Après avoir envoyé cette communication je commençai à apprendre le français. À cette époque, Aqa Siyyid Ahmad-i-Afnan * était à Istanbul. Il fut très curieux de savoir pourquoi à ce moment de ma vie, je désirais apprendre le français, et dans quel but je pensais aller à Paris et à Londres. Mais comme la visite à Rothschild était une affaire confidentielle, je ne lui dis rien..." (n°24 extraits des mémoires de Mirza Azizu'llah-Jadhdhab, cité par Sulaymani, Masabih-i-Hidayat, vol.7)

*[nota: un membre de la famille Afnan qui tenait un commerce à Istanbul]

Malheureusement les mémoires de Mirza Azizu'llah ne sont pas concluantes car il ne mentionne pas s'il réussit ou non à rencontrer le baron.

Une autre mission intéressante que Mirza Azizu'llah entreprit pendant le ministère de 'Abdu'l-Baha fut de rendre visite à Léon Tolstoi, le célèbre philosophe et écrivain russe. Tolstoï était déjà informé de la révélation du Bab et de Baha'u'llah, et était très élogieux sur leurs enseignements. Mirza Azizu'llah réussit à le rencontrer en septembre 1902 et durant son entrevue lui parla longuement de l'histoire et des enseignements de la foi de Baha'u'llah, le Promis de tous les temps. Les discussions détaillées, les questions et réponses, de cette entrevue et la réponse favorable de Tolstoï qui croyait que la Cause de Baha'u'llah s'étendrait à travers le monde, sont toutes consignées dans ses mémoires.



CHAPITRE 9: La fierté des martyrs

- L'envoi de Lawh-i-Sultan:

Une épître d'une grande importance, décrite par Baha'u'llah comme le "grondement" de sa proclamation aux rois et dirigeants du monde, fut révélée à Andrinople et adressée à Nasiri'd-Din Shah de Perse. Mais elle lui fut envoyée d'Acre. Une description du Lawh-i-Sultan a été donnée dans le volume précédent. Son envoi nécessitait un messager personnel car il aurait été impossible que le Shah la reçoive par tout autre moyen.

En Perse, durant le règne de Nasiri'd-Din Shah, le clergé et le gouvernement allaient main dans la main pour persécuter impitoyablement les disciples sans défense de la Foi nouvelle. Quelqu'un ou quelque chose ayant un rapport lointain avec le nom babi ou baha'i pouvait devenir la cible d'agression ou de destruction. Il pouvait y avoir de sévères conséquences pour une personne trouvée en possession d'une lettre qui avait un rapport avec la Foi. Lorsque les voyageurs entraient dans une cité, ils étaient questionnés sur leur identité et pouvaient être fouillés par les fonctionnaires qui vivaient de corruption et d'extorsion ; souvent, ces hommes soutiraient des gens autant d'argent qu'ils pouvaient par le harcèlement, l'emprisonnement et la torture. Chaque fois qu'ils croisaient un baha'i, ils le fouillaient complètement à la recherche de matériel baha'i tel que lettres, livres et tablettes, et s'ils en trouvaient, non seulement les confisquaient-ils mais aussi la vie des baha'is était en grand danger. À cause de ces difficultés, tous les Écrits de Baha'u'llah furent portés en Perse par des croyants individuellement, très souvent par Shaykh Salman. Il faisait preuve, de tant de tact et de sagesse dans ses voyages, qu'aucune des tablettes qu'il transporta, ne tomba jamais aux mains des ennemis *.

*[nota: Honoré par Baha'u'llah du surnom "Messager du Miséricordieux", Shaykh Salman portait ses tablettes aux croyants et lui ramenait leurs lettres. Il rendit ces services pendant plusieurs décennies. Pour l'histoire de sa vie, voir vol.1, vol.2, passim)

Cependant, expédier une épître au Shah de Perse était quelque chose de bien différent. Non seulement il fallait beaucoup de sagesse pour protéger la tablette, mais le messager devait aussi être désireux de donner sa vie. Lorsque Baha'u'llah révéla l'épître, il fit observer que la personne qui allait la porter à Nasiri'd-Din Shah n'était pas encore née. Cette personne devrait être dotée d'une foi suprême et manifester un tel courage et une telle indifférence face à la souffrance et à la torture que cela surprendrait le monde. Baha'u'llah écrivit quelques lignes sur la couverture de l'épître concernant sa livraison:

"Il est Dieu, le Suprême !
Nous demandons à Dieu d'envoyer un de ses serviteurs, de le détacher de toute contingence et d'orner son coeur de force et de calme afin qu'il aide son Seigneur parmi les créatures. Et, lorsqu'il aura pris conscience de ce qui fut révélé pour sa majesté le roi, qu'il se lève et prenne cette épître avec la permission de son Seigneur, le Puissant, le Généreux, puis qu'il aille rapidement jusqu'à la demeure du roi. Lorsqu'il sera arrivé près du palais, qu'il s'installe dans une auberge et qu'il ne parle à personne jusqu'au jour où il se tiendra sur le passage [du roi]. Lorsque paraîtront les messagers royaux, qu'il offre l'épître avec la plus grande humilité et la plus sincère courtoisie, disant: "Elle est envoyée de la part du Prisonnier" Il doit être alors dans un tel état que si le roi décrétait sa mise à mort, il n'en serait pas troublé en lui-même et qu'il se précipiterait vers le lieu du sacrifice en criant: "Ô Seigneur, loué sois-tu car tu m'as permis t'aider ta religion et tu as ordonné pour moi le martyre en ton sentier ! Par ta gloire, je n'échangerais pas cette coupe contre toutes les coupes du monde, car tu n'as rien ordonné d'équivalent à cela, et Kawthar et Salsabil * ne peuvent rivaliser avec !" Mais s'il [le roi] le laisse aller et n'intervient pas contre lui, qu'il dise: "Loué sois-tu ô seigneur des mondes ! Ton bon plaisir et ce que tu m'as destiné en ton sentier me comblent, bien que j'aie désiré que la terre soit teinte de mon sang par amour pour toi. Mais ton désir est ce qui est bien pour moi car tu sais ce qui est en mon âme alors que j'ignore ce qui est dans la tienne. Tu es l'Omniscient, l'Informé." (N°1 traduit et cité par Balyuzi, "Dans la gloire du Père", Bruxelles, MEB, 2005)

*[nota: le nom des deux rivières du paradis]

- L'histoire de Badi':

La personne qui fut recréée et accomplit cette mission sacrée était un jeune homme de dix-sept ans qui s'appelait Aqa Buzurg, surnommé Badi'. Le père de Badi', Haji 'Abdu'l-Majid-i-Nishapuri appelé Aba Badi' (père de Badi') était l'un des croyants remarquables de la foi babie et plus tard, il devint un disciple dévoué de Baha'u'llah. Un récit de sa vie et de son martyre à un âge avancé a été fait dans un volume précédent. (voir vol.2). Bien que Badi' ait grandi dans la maison d'un croyant dévoué, l'esprit de la Foi ne l'avait pas été assez touché pour qu'il croie en la Cause et il restait froid et distant.

Vers la fin de son séjour à Andrinople, Baha'u'llah envoya Nabil-i-A'zam en Perse pour consolider la foi des croyants spécialement à cause de l'opposition de Mirza Yahya à la cause de Dieu. Au cours de ses voyages, Nabil se rendit dans la ville de Nishapur où il fut reçu par Aba Badi', le père de Badi', qui exprima à Nabil la grande déception qu'il avait à l'égard de son fils. Nabil, dans son histoire non publiée, a rapporté que lorsqu'il était à Nishapur, Aba Badi' l'avait invité chez lui et s'était lui-même occupé de le recevoir. Nabil lui demanda "N'avez-vous pas un fils adulte ?" Il lui répliqua qu'il en avait un mais qu'il ne lui obéissait pas *. Nabil appela le fils et il vint dans la pièce. C'était un grand jeune homme sincère, et Nabil demanda qu'il se comporte en hôte.

*[nota: il devait y avoir une raison derrière cette question car Nabil a dû être surpris de voir qu'Aba Badi' s'occupait de lui personnellement. Car à cette époque, en général, les jeunes étaient très respectueux envers leurs parents, et à une occasion comme celle-ci, un jeune fils n'aurait jamais permis que son père serve personnellement l'invité, sans oublier que la coutume n'autorisait pas un membre féminin de la famille à s'occuper des invités de sexe opposé]

Doucement, il fut attiré par des sujets ayant traits à Dieu et par les discussions spirituelles et pleura toute la nuit. Le matin, il prépara le thé et sortit en ville ; après qu'il fut parti, Aba Badi' vint parler à Nabil. Il lui dit, "Je ne l'avais jamais entendu pleurer avant... Je serai prêt à le servir s'il reste ferme dans la Cause !" Aqa Buzurg insista disant qu'il aurait aimé accompagner Nabil à Mashhad mais son père voulait qu'il finisse d'abord ses études, puis étudie le Kitab-i-Iqan et en face une copie * avant de faire un tel voyage.

*[nota: Au début de la Foi, les Écrits sacrés n'étaient pas publiés. Des copies manuscrites étaient faites par les croyants eux-mêmes]

Après que Nabil eut quitté le Khurasan et soit arrivé à Téhéran, Shaykh-i-Fani *, un croyant dévoué, se rendit à Nishapur. Il confia ses projets de voyage à Bagdad, puis à Andrinople, et déclara qu'il avait la permission de Baha'u'llah de prendre une personne avec lui. Aba Badi' donna de l'argent à son fils et une bête de somme pour le transport afin d'accompagner le Shaykh jusqu'à Bagdad où ils pourraient se joindre à Nabil et de là, tous les trois, continuer ensemble jusqu'à ce qu'ils soient en présence de Baha'u'llah. Badi' accompagna le Shaykh jusqu'à Yazd. Là, il le quitta après lui avoir donné toutes ses possessions et voyagea seul, et à pied jusqu'à Bagdad. Badi' avait tellement été touché par l'esprit de dévouement à la foi qu'il avait hâte de poser son propre regard sur le visage de Baha'u'llah et de prendre part à sa gloire.

*[nota: Shaykh Ahmad-i- Nishapuri à ne pas confondre avec Shaykh Muhammad-i-Hisari, aussi surnommé Shaykh-i-Fani]

Pendant que Badi' était à Bagdad, les ennemis de la Cause blessèrent mortellement Aqa 'Abdu'r-Rasul-i-Qumi (voir vol.2) un ardent disciple de Baha'u'llah qui dans cette ville s'était chargé de la lourde tâche de porter l'eau * à la maison de Baha'u'llah. La fourniture d'eau dans cette maison était essentielle car quelques croyants y vivaient. Lorsque Badi' apprit la tragique histoire du martyre de Aqa 'Abdu'r-Rasul, il se porta volontaire pour faire ce travail et commença à porter des outres de peaux emplies d'eau depuis le fleuve jusqu'à la maison de Baha'u'llah et des croyants ; ainsi, il devint, lui aussi, la cible des agressions des ennemis. Souvent alors qu'il portait l'eau, il était attaqué et à chaque fois, frappé par des couteaux ou des dagues. En rien perturbé par la méchanceté de la foule fanatique, cet adolescent, dont la destinée était de devenir une nouvelle création de Dieu en ce jour, et un géant spirituel de cette "dispensation", continua son travail. Pendant ces jours mouvementés, Dieu lui accorda sa protection.

*[nota: à cette époque au Moyen-Orient, il n'y avait pas d'eau courante dans les maisons. L'eau devait être transportée de la source ou de la rivière ; il y avait des porteurs d'eau dans chaque ville. La méthode la plus usuelle était de porter sur le dos de grandes outres de peaux remplies d'eau]

Nous avons déjà décrit la destinée des croyants vivant à Bagdad. Ils furent quatre-vingt-huit en tout à être exilés à Mosul (voir vol.2). Mais Badi' ne se trouvait pas parmi eux. Il était parti à Mosul avant l'arrivée des exilés et ainsi, il put aussi leur servir de porteur d'eau. Quelque temps après, la nouvelle leur parvint de l'exil de Baha'u'llah à Acre. Badi' ne pouvait plus attendre. Il quitta Mosul et marcha tout le chemin jusqu'à Acre.

Il y arriva en 1869, c'est-à-dire quelque temps après l'arrivée dans la cité de Haji Shah-Muhammad-i-Aminu'l-Bayan et Haji Abu'l-Hasan-i-Amin *. Il semblerait que Badi' soit entré dans la ville sans trop de difficultés. L'oeil vigilant de Siyyid-i-Isfahani et de son complice Aqa Jan, qui s'étaient installés au-dessus de la porte de la ville afin de pouvoir rapporter aux autorités l'arrivée de toute personne qu'ils supposaient être baha'ie, ne réussit pas à reconnaître l'adolescent portant son outre d'eau et vêtu d'un long manteau de grossier coton (bure) du genre de ce que portaient les Arabes.

*[nota: les deux mandataires de Baha'u'llah - voir chapitre 4]

Badi' se promena pendant quelque temps dans la cité, ne sachant pas où habitait son Seigneur ni comment y pénétrer. Il alla dans une mosquée et là, il aperçut quelques persans et il comprit que celui qui se tenait devant eux n'était autre que 'Abdu'l-Baha. Il attendit la fin de la prière et s'approcha respectueusement du Maître et lui tendit un petit mot contenant un poème de deux lignes qu'il avait rapidement composé là. Dans ce poème, sans se présenter, il déclara dans un langage émouvant et tendre, sa loyauté envers le Maître et sa foi en Baha'u'llah. 'Abdu'l-Baha accueillit Badi' chaleureusement et réussit à le faire entrer dans la prison *.

*[nota: 'Azizu'llah-i-Jadhdhab un croyant dévoué, a rapporté dans ses mémoires que 'Abdu'l-Baha fit rentrer Badi' portant son outre d'eau dans la prison. Il est possible que 'Abdu'l-Baha ait donné l'instruction à 'Abdu'l-Ahad de l'accompagner dans la prison]

Dans l'une des tablettes (n°2 (Citée dans Faizi, L'aliy-i-Darakhshan, p.396) écrites par Mirza Aqa Jan, il est dit qu'en deux occasions, Badi' se trouva seul devant Baha'u'llah. Pendant ces audiences personne ne savait ce qui se passait si ce n'est que Baha'u'llah leur avait dit que Dieu était sur le point de créer une nouvelle création et que Badi' lui-même en était inconscient. Dans une autre tablette, (n°3 (Athar-i-Qalam-i-A'la, vol.1 p.166) Baha'u'llah déclare qu'il le recréa avec les mains du pouvoir et de la puissance et l'envoya telle une boule de feu. Ce fut au cours de ces deux réunions que Baha'u'llah lui donna le nom de Badi' - le Merveilleux.

Encore dans une autre tablette (n°4 (idem p.169) Baha'u'llah déclare avoir pris une poignée de poussière, l'avoir mélangée avec les eaux de la puissance et du pouvoir et de sa présence, lui avoir insufflé un nouvel esprit, l'avoir agrémentée de l'ornement d'un nom (Badi') dans le royaume de la création et l'avoir dépêchée au roi avec un Livre révélé par Dieu.

Dans une tablette (n°5 idem p.189) au père de Badi', Baha'u'llah raconte dans un langage émouvant les événements passionnants qui eurent lieu lorsque son fils arriva en sa présence. Il indique que lorsqu'il voulut créer une nouvelle création, il convoqua Badi' dans sa chambre et lui dit "un seul mot", un mot qui fit trembler tout son être. Il affirme que Badi' se serait évanoui s'il n'y avait pas eu la protection divine qui lui avait été garantie à ce moment. Puis, d'après la description de Baha'u'llah, la Main de l'Omnipotence commença à le recréer et à lui insuffler l'esprit de puissance et de pouvoir. Si grand était le souffle de cette puissance, ainsi que l'atteste Baha'u'llah, que s'il en avait reçu l'ordre, il aurait pu tout seul conquérir le monde par le pouvoir de Dieu.

Baha'u'llah déclara que lorsque cette nouvelle création vint à l'existence, il sourit en sa présence et manifesta une telle ténacité que l'Assemblée céleste * fut profondément émue et régénérée, et on entendit la voix de Dieu criant très fort: "Sanctifié et glorifié soit Baha pour avoir façonné une nouvelle et merveilleuse créature." Baha'u'llah atteste qu'il dévoila à ses yeux le "royaume de révélation", à la suite de quoi, son être tout entier fut empli d'une extase qui le débarrassa de tout attachement à ce monde et le fit se lever pour aider son Seigneur et apporter la victoire à sa Cause.

*[nota: la compagnie des âmes des prophètes et des élus dans l'autre monde]

Il y a dans les Écrits de nombreuses références au Royaume de révélation dont Baha'u'llah parle dans la tablette ci-dessus. Ce Royaume, parfois traduit comme "le Royaume de la Cause", est bien au-delà de la compréhension de l'homme. Nous avons brièvement parlé de ceci dans un précédent volume (voir vol.2). C'est le royaume duquel toute Révélation a été envoyée. Le royaume de la création dont l'homme fait partie est aussi venu à l'existence grâce à la participation du Royaume de révélation. Dans les Écrits, il est souvent fait référence aux deux royaumes ensemble. L'homme habitant dans le royaume de la création a le devoir de servir le Royaume de révélation, car un royaume inférieur sert toujours un royaume supérieur. La cause de Baha'u'llah a été donnée à l'humanité par la contribution du Royaume de révélation. Par conséquent, la véritable fonction d'un croyant est de servir la cause de Baha'u'llah, et des milliers ont déjà sacrifié leur vie à cette fin.

Que Baha'u'llah ait permis à Badi', lorsqu'il était en sa présence, de voir le Royaume de révélation est une faveur unique que nous ne pouvons comprendre. La seule chose que nous puissions en déduire en observant cet illustre adolescent, est qu'il était définitivement une autre personne en quittant Baha'u'llah quel que soit ce qui lui était arrivé en sa présence. Avant, il n'était "qu'une poignée de poussière", mais après ces deux audiences avec Baha'u'llah, il devint une nouvelle création dans laquelle "l'esprit de puissance et de pouvoir" avait été insufflé. Et ce n'est pas pour rien que cet adolescent de dix-sept ans est cité comme l'un des dix-neuf Apôtres de Baha'u'llah. Nous n'essayons pas de comparer le rang de ces Apôtres car aucun homme n'a la capacité de juger le rang que Dieu a destiné pour ses élus dans les mondes spirituels ; néanmoins, nous observons qu'il est le second de la liste, le premier étant Mirza Musa, Aqay-i-Kalim (voir vol.1 et 2) le frère le plus fidèle de Baha'u'llah.

Que Badi' ait été transporté dans un monde de joie et d'extase éternelle par suite de sa réunion avec Baha'u'llah n'est pas une expérience unique en soi. Chacun de ses disciples au coeur pur fut profondément ému et grisé lorsqu'ils le rencontrèrent ; ils furent comme un morceau de fer qui se magnétise au contact d'un aimant. Mais le cas de Badi' est spécial. Haji Mirza Haydar-'Ali, dont la biographie et le récit des services qu'il rendit ont été contés dans de précédents volumes (voir vols 1 et 2) et dont on parle souvent comme de "l'Ange du mont Carmel" - une dénomination par laquelle 'Abdu'l-Baha l'avait appelé - , a expliqué certaines de ses expériences en présence de Baha'u'llah à Acre et fit un commentaire sur Badi'. Haji Mirza Haydar-'Ali décrit l'effet qu'il ressentit à être en présence de Baha'u'llah lorsqu'il chanta une tablette qu'il avait révélée pour lui. Voici la traduction de quelques passages:

Cette tablette... fut chantée par la Beauté du Très-Généreux (Baha'u'llah) Quel effet cela a-t-il eu sur moi ! Vers quel monde suis-je monté ! Dans quel paradis ai-je pénétré !

"Qu'ai-je vu ! De quelle façon ai-je entendu cette voix et cette mélodie !... Ceci je ne peux le dire. Je suis entré dans ce Paradis qu'aucun oeil n'a jamais vu, aucune oreille entendu et aucun coeur ressenti. Je vis le Royaume de grandeur et de majesté, et ressentis la puissance, le pouvoir transcendant, la gloire et la souveraineté de l'éternel, l'impérissable, l'incomparable Dieu. Mais, en parler, écrire, en donner une image ou une ressemblance, l'exalter ou le sanctifier, y faire allusion ou le glorifier ou le louer ou le décrire et le raconter, tout ceci est impossible à cet humble serviteur ou à n'importe qui au monde. Nous avons seulement l'accès aux mots et aux termes, tandis que cette expérience et cette condition sont exaltées au-dessus de toute chose. Elles ne peuvent être traduites en mots ou décrites en paroles. Personne ne peut interpréter les sentiments qu'éprouve sa propre conscience... Mais cette condition ne subsiste qu'un court moment. C'est une expérience fugace. Sa manifestation dans l'être humain est due à une générosité particulière de Dieu. Sa durée, qui varie d'un clin d'oeil à une période plus longue, dépend de la capacité de la personne à devenir le réceptacle de sa générosité. Les actions et les faits de cette personne démontrent son existence. Mais on n'a jamais entendu dire que cette condition avait chez une personne une durée de trois ou quatre mois, si ce n'est pour Badi'..." (n°6 Bihjatu's-Sudur)

Lorsque Badi' apprit que Baha'u'llah recherchait quelqu'un pour remettre une épître particulière à Nasiri'd-Din Shah, il supplia d'avoir la permission de rendre ce service, sachant très bien qu'il devait y laisser la vie. Baha'u'llah l'accepta pour cette importante mission, lui donna les instructions de se rendre à Haïfa où il recevrait l'épître et lui donna l'ordre de ne fréquenter aucun croyant, que ce soit en route ou à Téhéran. L'épître au chah de Perse ne fut pas remise à Badi' à Acre. Baha'u'llah confia à Haji Shah-Muhammad-i-Amin * une petite boîte et une tablette à remettre en main propre à Badi'.

*[nota: le premier Mandataire de Baha'u'llah]

Ce qui suit est l'histoire telle qu'elle est racontée par Haji Shah Muhammad à Haji Mirza Haydar-'Ali, et rapportée par ce dernier.

"Je reçus une petite boîte... et les instructions de la remettre en main propre à Badi' à Haïfa ainsi qu'une petite somme d'argent. Je ne savais absolument rien du contenu de la boîte. Je le rencontrai à Haïfa et lui transmis la bonne nouvelle qu'il avait été honoré d'une mission de confiance... Nous quittâmes la ville et marchâmes vers le mont Carmel où je lui donnai la boîte. Il la prit dans ses mains, et l'embrassa et s'agenouilla le front sur la terre. Je lui remis aussi une enveloppe scellée (une épître de Baha'u'llah pour Badi' lui-même). Il fit vingt ou trente pas, s'assit face à la Cour sacrée (Acre), lut l'épître et à nouveau se prosterna sur le sol. Son visage était illuminé par l'éclat de l'extase et les nouvelles de joie. Je lui demandai si je pouvais aussi lire l'épître. Il répondit: "Il n'y a pas de temps". Je savais que tout était confidentiel. Mais ce que c'était, je n'en avais aucune idée. Je ne pouvais imaginer une telle mission.
Je mentionnai que nous ferions mieux d'aller en ville (Haïfa) pour que, comme ordonné par Baha'u'llah, je puisse lui donner quelque argent. Il dit, "Je n'irai pas en ville ; allez et apportez-le moi ici." J'y allais et lorsque je revins, je ne pus le trouver malgré toutes mes recherches. Il était parti... Nous n'avions pas de nouvelles de lui jusqu'à ce que nous entendions parler de son martyre à Téhéran. Alors je sus que la boîte avait contenu l'épître de Baha'u'llah au Shah et l'enveloppe scellée contenait une épître qui communiquait la bonne nouvelle du martyre de celui qui était l'essence de la ténacité et de la force." (N°7 idem p.244)

Le même chroniqueur a écrit le récit suivant, fourni par un certain croyant, Haji 'Ali, qui rencontra Badi' en route vers la Perse et voyagea quelque temps avec lui:

C'était une personne heureuse, souriante, patiente, reconnaissante, douce et humble. Tout ce que nous savions sur lui était qu'il était allé en présence de Baha'u'llah et qu'il retournait maintenant chez lui dans le Khurasan. On le voyait souvent s'avancer d'une centaine de pas sur la route, dans n'importe quelle direction, puis tourner son visage vers Acre, et dire en se prosternant au sol: "Ô Dieu ! ne retire pas par ta justice ce que tu m'as confié par ta générosité et donne-moi la force de le protéger." (n°8 idem p.245)

L'épître (n°9 citée par Malik Khosrovi, Tarikh-i-Shuhaday-i-Amr, vol. 3, p.368) que Baha'u'llah envoya à Badi' lui-même, lorsqu'il était à Haïfa, est très émouvante et merveilleuse. Dans l'épître, il l'appelle par son nouveau nom, Badi', l'exhorte à revêtir la nouvelle et magnifique toge du souvenir de Dieu et de se couronner de la couronne de son amour. Il lui rappelle que la vie terrestre arrivera en définitive à sa fin, et l'encourage à sacrifier son cadre mortel dans le chemin du Bien-Aimé, de sorte qu'il puisse atteindre à la vie éternelle et à la gloire impérissable.

Badi' voyagea à pied jusqu'à Téhéran. À son arrivée à l'été 1869, il découvrit que le roi partait pour une expédition à la campagne. Il se rendit dans la région et s'assit loin sur un rocher, mais face à la tente royale. Il y resta assis trois jours et trois nuits, dans un état de jeûne et de prière, attendant que l'escorte royale passe. Quelles pensées lui ont traversé l'esprit tandis qu'il communiait avec son Seigneur, et quels sentiments d'émotion ont dû remplir son être, assis si près de réaliser la mission sacrée qui lui avait été confiée, nul ne peut le dire. Une chose dont nous pouvons être certains est qu'il possédait un suprême pouvoir et une suprême joie et qu'il était confiant en la victoire.

Le quatrième jour, le chah regardant à travers ses jumelles vit un homme vêtu de blanc assis en face de lui, immobile sur un rocher dans une attitude respectueuse. Il devina qu'il avait quelque chose à lui demander: rendre la justice ou chercher de l'aide pour ses difficultés. Il envoya ses hommes pour savoir qui il était et ce qu'il voulait. Badi' leur dit qu'il avait une lettre d'un personnage très important pour le chah et qu'il devait la lui donner personnellement en main propre. Les officiers le fouillèrent et le conduisirent au roi. Cela paraît très surprenant que ces officiers, ivres de fierté, impitoyables et cruels à tous points de vue, ne lui aient pas arraché la lettre en le laissant là. La seule explication est qu'ils avaient dû ressentir le pouvoir extraordinaire dont Baha'u'llah avait investi son messager. Sinon, c'était très inhabituel de permettre à un citoyen ordinaire de venir rencontrer le souverain face à face.

Seuls, ceux qui sont très versés dans l'histoire de la Perse du dix-neuvième siècle peuvent apprécier les dangers immenses qui attendaient une personne ordinaire comme Badi', désireuse de rencontrer un fonctionnaire du Palais, à plus forte raison le roi. Un despote tel que Nasiri'd-Din Shah gouvernait son pays avec une main de fer. Les fonctionnaires du gouvernement montraient leur autorité par la tyrannie. Ils avaient l'habitude d'être impitoyables avec tous ceux qui osaient dire un mot, ou lever un doigt contre eux ou contre le régime établi. La simple vue d'un soldat portant l'uniforme militaire, ou celui d'un fonctionnaire du gouvernement de bas rang, suffisait à effaroucher les gens. Lorsque ces hommes passaient par les rues la plupart des gens leur témoignaient un grand respect ; quelquefois ils leur graissaient la patte et les timides s'éloignaient souvent en courant.

Rencontrer le roi était encore plus effrayant ! Lorsque la section avant de l'escorte royale arrivait dans une rue, le cri du héraut qui annonçait au public l'approche de l'entourage du roi, frappait de terreur le coeur des citoyens. C'était une phrase qui leur était familière lorsqu'il criait: "Tout le monde est mort", "Tout le monde est aveugle". La signification de ses instructions était que, quand le roi et ses hommes passaient, chacun devait rester immobile comme un mort et tous les yeux devaient se baisser comme aveugles.

Connaissant les circonstances qui prévalaient à cette époque, nous pouvons apprécier le courage et la ténacité de Badi' et l'esprit d'ascendant et d'audace surhumaine que cet adolescent de dix-sept ans manifestait ainsi, tout en se tenant debout devant le roi aussi droit qu'une flèche. Calmement et avec courtoisie, il lui tendit l'épître et d'une voix forte cria le célèbre verset du Coran: "Je t'apporte une nouvelle certaine des Saba". *

*[nota: Coran xxvii, 22. Ce verset diffère légèrement de ce que Badi' énonça en présence du Chah. Le verset se réfère à des paroles qui furent adressées à Salomon par son messager, Hoopoe, un oiseau mystique, lorsqu'il lui apporta des nouvelles de Saba]

Badi' fut arrêté. Le chah, qui avait dû se souvenir de l'attentat perpétré sur sa vie deux décennies plus tôt, fut interloqué par le courage et l'intrépidité du messager de Baha'u'llah. Il envoya le message à Mulla 'Aliy-i-Kani, un religieux musulman célèbre, pour fournir une réponse, puis il ordonna à ses hommes d'obtenir de Badi', tout d'abord par la persuasion et les promesses, et puis par la torture s'il refusait de coopérer, les noms d'autres baha'is. L'officier responsable se nommait Kazim Khan-i-Qarachih-Daghi. Lorsqu'il échoua à persuader Badi' de lui révéler les noms des autres baha'is, il ordonna qu'on lui arrache ses vêtements et le fit marquer plusieurs fois au fer rouge. Badi' endura ces tortures pendant trois jours consécutifs avec une détermination qui surprit les fonctionnaires qui le regardaient. Il le voyait très joyeux pendant qu'il était sous la torture. Il leur semblait qu'il ne ressentait pas la douleur ; souvent il semblait être en train de rire. Cela en dépit du fait que parfois la fumée et l'odeur dégagées par la chair en train de brûler étaient si fortes que quelques fonctionnaires ne purent le supporter et quittèrent la tente. Le chah, qui normalement regardait les photos des prisonniers, ordonna qu'une photo de Badi' soit prise, tout particulièrement lorsqu'il eut entendu les histoires de sa détermination sous la torture. Cette photo montre au premier plan le brasero de feu contenant les barres de fer, et l'expression du visage de Badi' donne le meilleur témoignage de l'esprit de ténacité et de résignation, de calme et de certitude qui était le sien.

Comme les trois jours successifs de torture au fer rouge ne concédaient aucune information sur l'identité d'autres croyants, l'officier en chef, Kazim Khan, menaça Badi' de mort s'il ne coopérait pas. Badi' sourit à cette menace et, comme il ne révéla aucun nom, ils le frappèrent sur la tête avec la crosse d'un fusil jusqu'à ce qu'elle fût réduite en purée. Son corps fut jeté dans un fossé et de la terre et des pierres entassées dessus. Cela se passait en juillet 1869.

En 1913, lorsque 'Abdu'l-Baha visita Paris, un officier persan de haut rang - un maréchal - (Sipah-Salar-i-A'zam) nommé Muhammad-Vali Khan, s'y trouvait aussi pour suivre un traitement médical. Mme Dreyfus-Barney, une croyante américaine dévouée, rencontra cet homme. Mme Barney s'était trouvée en Terre sainte, quelques années auparavant, en présence de 'Abdu'l-Baha et lui avait posé de nombreuses questions. Les réponses de 'Abdu'l-Baha furent écrites et par la suite compilées et publiées sous le titre de Les leçons de Saint Jean d'Acre.

À Paris, Mme Dreyfus-Barney, qui avait rencontré l'officier nommé ci-dessus, lui remit une copie de ce livre. Lorsque Muhammad-Vali Khan lut le récit fait par 'Abdu'l-Baha concernant l'épître aux rois de Baha'u'llah dans laquelle il mentionne Nasiri'd-Din Shah, il prit sa plume et écrivit dans la marge des informations de première main qu'il avait personnellement entendu de Kazim Khan, l'officier mentionné déjà décrit, qui était en charge des tortures et qui finalement martyrisa Badi'. Voici une traduction de ses notes:

6 Rabi'u'l-Avval 1331 - 26 février 1913
Paris, Hôtel d'Albe, Avenue des Champs Elysées
Cette année-là, lorsque cette lettre (l'épître de Baha'u'llah) fut envoyée, le messager alla rencontrer le chah dans la station estivale de Lar, et voici le récit complet de ce qu'il advint.

Feu Nasiri'd-Din Shah aimait beaucoup les stations estivales de Lar, Nur * et de Kujur. Il ordonna à mon père, Sa'idu'd-Dawlih le Sardar (Sirdar), et à moi-même (alors un adolescent avec le rang de Sarhang (colonel) d'aller à Kujur et de trouver des provisions et des victuailles pour le camp royal **.

*[nota: la maison ancestrale de Baha'u'llah se trouve dans le district de Nur qui signifie lumière]
**[nota: lorsque Nasiri'd-Din Shah partait l'été pour une expédition de chasse ou de tourisme, il prenait avec lui un très large entourage qui comprenait ses ministres, des milliers de soldats avec leurs officiers, serviteurs et bourreaux]

"Je vais", dit-il, "à la station estivale de Lar et de là j'irai à la station de Baladih de Nur et puis à Kujur." Ces stations sont voisines les unes des autres et contiguës. Mon père et moi étions dans les environs de Manjil-i-Kujur lorsque la nouvelle nous parvint que le chah était arrivé à Lar, et que là-bas il avait fait tuer quelqu'un par pendaison. Puis, on dit que cet homme, (qui fut mis à mort) était un messager des babis. À cette époque le mot "baha'i" n'était pas connu et nous ne l'avions jamais entendu. Tout le monde se réjouissait de la mise à mort du messager. Puis le chah vint à Baladih de Nur. Mon père et moi allâmes l'accueillir. La tente du chah avait été dressée près du village de Baladih, là où coule un large fleuve, mais le chah n'était pas encore arrivé. Kazim Khan-i-Turk, le Farrash-Bashi du chah avait mené l'équipage avancé *.

*[nota: c'est le même Kazim Khan-i-Qarachih-Daghi dont le père, Isma'il Khan était le beau-fils de Fath-'Ali Shah et qui était présent à la conférence de Tabriz lorsque le Bab proclama officiellement sa mission prophétique au groupe de religieux et à Nasiri'd-Din Mirza, l'héritier du trône]

Nous voulions passer. Mon père qui avait le rang de Mir-Panj (général) et n'avait pas encore reçu le titre de Sa'idu'd-Dawlih, connaissait ce Kazim Khan. Il me dit: "Allons rendre visite à ce Farrash-Bashi. Nous chevauchâmes jusqu'au pavillon et là, nous mîmes pied-à-terre. Kazim Khan était assis dans sa tente avec beaucoup de pompe. Nous pénétrâmes dans la tente. Il reçut mon père très respectueusement et me témoigna une grande amabilité. Nous nous assîmes et le thé fut servi. La conversation était sur le voyage. Puis mon père dit, "Votre honneur le Farrash-Bashi, qui était ce babi et comment a-t-il était mis à mort ?" Il répondit, 'ô Mir-Panj ! laissez-moi vous conter une histoire. Cet homme était une étrange créature. À Safid-Ab-i-Lar, le chah se mit en selle pour aller chasser. Il se trouva que je n'étais pas à cheval. Soudain, je vis deux cavaliers galopant vers moi. Le chah m'avait envoyé chercher. Je me mis en selle immédiatement et lorsque je parvins près du chah, il me dit qu'un babi avait apporté une lettre. "J'ai ordonné son arrestation", dit le Shah, "et il est maintenant à la garde du Kishikchi-Bashi (Chef des sentinelles). Allez le chercher et amenez-le au Farrash-Khanih. Traitez le gentiment pour commencer, mais, si vous ne réussissez pas, servez-vous de tous les moyens possibles pour qu'il avoue et révèle qui sont ses amis et où ils peuvent être trouvés - jusqu'à ce que je revienne de la chasse." Je suis donc allé le chercher chez le Kishikchi-Bashi et le ramenai avec moi, mains et bras liés. Mais, laissez- moi vous dire quelque chose sur la sagacité et la vivacité du chah. Dans cette plaine, cet homme n'était pas à cheval et dès qu'il leva son papier pour dire qu'il avait une lettre à délivrer, le chah devina qu'il devait être babi et ordonna son arrestation et que lui soit enlevé toutes les lettres qu'il pouvait avoir. Il fut alors placé en détention, mais n'avait toujours pas donné sa lettre, elle se trouvait dans sa poche. Je pris ce messager chez moi. Tout d'abord je lui parlai avec gentillesse et doucement: "Faites moi un compte-rendu de tout ceci. Qui vous a donné cette lettre ? D'où est-ce que vous l'apportez ? Combien de temps cela fait-il ? Qui sont vos camarades ?" Il répondit: "Cette lettre m'a été donnée à Acre par Hadrat-i-Baha'u'llah (Sa Sainteté Baha'u'llah). Il m'a dit: "Vous devrez aller en Iran. Mais votre vie sera en danger. Si vous acceptez, allez-y, autrement j'enverrai un autre messager." J'ai accepté la tâche. Cela fait maintenant trois mois que je suis parti. J'ai attendu une opportunité pour remettre cette lettre entre les mains du chah et la porter à son attention. Et grâce soit rendue à Dieu, aujourd'hui j'ai pu rendre mon service. Si vous voulez des baha'is, ils sont nombreux en Iran, et si vous voulez mes camarades, je suis tout seul et n'en ai pas." Je le pressai de me donner les noms de ses camarades et les noms des baha'is en Iran et particulièrement de ceux de Téhéran. Il persista avec sa négation: "Je n'ai pas de compagnon et je ne connais pas les baha'is d'Iran." Je lui jurai: "Si vous me donnez ces noms j'obtiendrai du chah votre libération et vous sauverai de la mort." Sa réponse fut: "J'aspire à être mis à mort. Pensez-vous me faire peur ?" Je fis donc venir le bastonneur *, et les farrashes (six à la fois) commencèrent à le battre.

*[nota: la victime est allongée sur le dos, tandis que ses pieds, introduits dans un noeud coulant, sont soulevés et les plantes battues avec une canne ou un fouet]

Peu importait le nombre de coups qu'il recevait, il ne criait jamais, ni n'implorait. Lorsque je vis comment cela se passait, je fis arrêter la bastonnade et le fis asseoir à côté de moi, et de nouveau lui dis: "Donne-moi le nom de tes compagnons." Il ne me répondit pas du tout et commença à sourire. Il semblait que le fait d'avoir été battu ne lui ait absolument pas fait mal. Cela me mit de mauvaise humeur. J'ordonnai qu'on m'apporta des fers et allumai un brasero *.

*[nota: à cette époque, marquer les gens aux fers rouges était une forme de torture courante. Les tiges de fer étaient placées sur un brasero rempli de charbons ardents. Lorsque les fers devenaient rouges, ils étaient placés sur le corps dénudé de la personne et laissés dans cette position jusqu'à ce qu'ils refroidissent]

Pendant qu'ils préparaient le brasero, je lui dis: "Allez, dis-moi la vérité, sinon je te fais brûler", et en disant cela, je me rendis compte que son rire augmentait. Alors, je lui fis encore subir la bastonnade. Les farrashes étaient très fatigués de l'avoir battu. Moi-même j'étais épuisé. Je le fis alors détacher et amener au fond d'une autre tente, et dit aux farrashes qu'ils devraient arriver à lui tirer des aveux avec les fers rougis. Ils posèrent de nombreuses fois les fers rougis sur son dos et sur sa poitrine. Je pouvais entendre le grésillement de la chair brûlée et la sentir aussi. Aussi fort que nous ayons essayé, nous n'avons rien pu lui soutirer. Après le coucher du soleil, le chah retourna de la chasse et me fit venir. J'allai vers lui et je lui racontai tout ce qui s'était passé. Le chah insista pour que je le fasse avouer et puis que je le fasse mettre à mort. Je retournai donc et à nouveau le fis marquer aux fers. Il riait sous l'impact du fer rouge et n'implora jamais. J'avais même consenti à ce que cet homme dise que ce qu'il avait apporté était une pétition et de ne pas faire mention de la lettre. Il ne consentit même pas à ça. Alors je perdis patience et ordonnai qu'une planche soit apportée. Un farrash, qui brandissait une masse qui servait à enfoncer des piquets de fer, mit la tête de cet homme sur la planche, et resta à côté de lui, la masse au-dessus de sa tête. Je lui dis: "Si tu divulgues les noms de tes compagnons tu seras relâché, sinon je donnerai l'ordre de faire tomber cette masse sur ta tête." Il commença à rire et remercia pour avoir atteint son but. J'étais encore prêt à consentir qu'il dise qu'il avait apporté une pétition et non une lettre. Il ne voulut même pas dire ça. Et tous ces fers rougis appliqués sur sa peau ne lui causaient pas la moindre douleur. Donc, à la fin, je fis un signe au farrash qui abattit la masse sur la tête de cet homme. Son crâne fut défoncé et le cerveau gicla par les narines.

Puis je sortis et allai tout raconter au chah.

Ce Kazim-Khan-i-Farrash-Bashi était surpris par la conduite et l'endurance de cet homme, surpris que le passage à tabac et l'application des fers rougis à blanc sur son corps n'avait aucun effet sur lui, et ne lui avait causé aucune souffrance... Le chah envoya cette lettre à Téhéran pour que Mulla 'Aliy-i-Kani et d'autres mullas puissent la lire et y répondre. Mais ils dirent qu'il n'y avait rien à répondre ; et Haji Mulla 'Ali écrivit à Mustawfiyu'l-Mamalik (qui à cette époque était le Premier ministre) d'informer le chah que "Si, à Dieu ne plaise, vous aviez un doute quelconque concernant l'islam et si votre croyance n'était pas assez forte, je devrais prendre des mesures afin de dissiper vos doutes. Sinon il n'y a pas de réponse à de telles lettres. La réponse était exactement ce que vous avez fait à son messager. Vous devez maintenant écrire au sultan ottoman en lui disant d'être très strict avec lui et d'empêcher toutes communications." À cette époque le sultan 'Abdu'l-'Aziz était en vie. Cela se passait pendant son règne.

27 Rabi'u'l-Avval 1331, 2 mars 1913
Écrit à l'Hôtel d'Albe à Paris
Cette nuit, je n'ai pas pu dormir. Mme Dreyfus m'a fait envoyer ce livre, je ne l'avais pas encore lu. C'est tôt le matin. J'ai ouvert le livre et je l'ai lu jusqu'à ce que je trouve le thème des lettres aux Rois et à Nasiri'd-Din Shah. Comme j'avais été présent lors de ce voyage et que j'avais entendu ce récit personnellement de Kazim-Khan-i-Farrash-Bashi, je le consignai par écrit.

Un an et demi plus tard, en route pour Karbila, ce Kazim Khan devint fou. Le chah le fit enchaîné et il mourut misérablement. L'année où je me suis rendu à Tabriz, comme gouverneur général de l'Adharbayjan, je rencontrais l'un de ses petits-fils, suppliant: "Prenez garde, Ô peuple de discernement et de compréhension."
Muhammad-Vali, Sipahdar-i-A'zam

Il a été rapporté que le chah avait été très mécontent par l'attitude des religieux d'avoir refusé de relever le défi et d'écrire une réponse à Baha'u'llah, mais il ne put rien faire pour changer leur décision.

- La détermination des Martyrs:

Que Badi' ait enduré des tortures si insoutenables avec joie, et qu'il n'ait pas semblé en ressentir de douleur pendant ces sessions de torture, n'est pas un événement unique dans l'histoire de la Foi. Nombreux ont été les martyrs durant les "dispensations" du Bab et de Baha'u'llah, qui naturellement donnèrent leur vie et démontrèrent au public, en termes on ne peut plus clairs, qu'ils avaient hâte d'acquérir la couronne du martyre dans le chemin de leur Seigneur. Ils montrèrent un héroïsme et un sacrifice de soi sans précédent dans les annales de l'humanité. Il y en a beaucoup qui subirent des tortures atroces et ne semblaient pas en ressentir la douleur. Un exemple remarquable est celui de Mulla Muhammad-Riday-i-Muhammad-Abadi connu aussi sous le nom de Shaykh Riday-i-Yazdi.

L'histoire de Mulla Rida en prison est contée dans un volume précédent *. Le geôlier et ses hommes flagellèrent très sauvagement son dos nu pendant un temps considérable. Et pourtant, il ne poussa pas le moindre cri et son visage ne montra pas la moindre expression de douleur atroce. À la fin de cette épreuve, il confia à son compagnon baha'i prisonnier qu'il n'avait jamais ressenti la moindre douleur et que pendant qu'il était battu, il était en présence de Baha'u'llah, communiant avec lui.

*[nota: voir vol.1, pour une histoire semblable lorsque Mulla Rida subit la bastonnade]

Mulla Rida et Badi' ne furent pas les deux seuls qui montrèrent cette détermination extraordinaire. L'histoire de la Foi est pleine d'histoires semblables. Le pouvoir de la foi est tel que, comme le disait le Christ, il peut faire bouger les montagnes. Dans les Écrits de Baha'u'llah nous trouvons des déclarations semblables affirmant que lorsque l'homme acquiert la foi, il peut accomplir de grands travaux qui seront en accord avec la mesure de sa foi.

Essayons de découvrir, par l'étude des Écrits ainsi que par l'histoire de la Cause, la raison de cette extraordinaire détermination démontrée par de nombreux martyrs de la Foi. L'histoire confirme que chaque fois qu'un croyant a été conduit sur le lieu de son martyre par ses futurs exécuteurs ou qu'il a été sauvagement torturé avant d'être mis à mort, il a dû faire face à un choix, celui de donner sa vie dans le chemin de Dieu ou de renier sa foi avec pour résultat sa libération.

Si à cet instant de décision, il n'est pas capable de rompre avec les affaires du monde, ses délices et ses plaisirs, ou avec les joies ou le bien-être de sa vie chez lui où il pourrait continuer à vivre avec ses bien-aimés, alors une telle personne reste complètement attachée à ce monde et par conséquent rompt ses liens avec Baha'u'llah. C'est à cet instant, sous la menace de la mort que l'individu se trouve privé du pouvoir régénérateur de Baha'u'llah, et à la suite de quoi il devient tellement rempli de crainte qu'il reniera sa foi afin de sauver sa propre vie. Malgré qu'il ait été compté comme l'un des croyants avant d'être confronté à ces tests et épreuves si violents ; pourtant comme il n'a pas pu se détacher des affections terrestres, il succombe sous la pression des épreuves, et comme un homme qui se trouvait au sommet d'une montagne élevée, il tombe dans l'abîme.

Nous avons déjà parlé avec quantité de détails sur l'idée que la seule barrière qui sépare l'homme de la Manifestation de Dieu est l'attachement à ce monde. C'est cette barrière qui arrête le flot de pouvoir divin vers l'homme et prive l'individu du manteau du courage et de la foi.

D'un autre côté si le croyant, à l'heure de sa plus grande épreuve, décide de ne pas échanger le précieux don de sa foi pour cette vie transitoire, une telle personne atteindra le sommet du détachement. Ceci est la limite absolue, car il ne peut y avoir plus grand détachement que de donner sa vie. À l'instant où la décision est prise, par le fait d'être devenu totalement détaché de ce monde, le croyant se trouve rempli de tels pouvoirs célestes qu'il en devient un géant spirituel. Les confirmations de Baha'u'llah descendront instantanément sur lui et l'entoureront et le fortifieront.

Bien qu'il demeure toujours parmi les hommes, en réalité il est transporté dans un autre monde. La peur disparaîtra de son être. Et à la place, son visage rayonnera d'une telle joie et d'une telle force, que cela déconcertera les spectateurs qui le voient donner sa vie.

Baha'u'llah confirme dans nombre de ses Tablettes que de grands pouvoirs descendront sur une âme qui devient détachée des choses de ce monde. Pour citer un exemple, dans une de ses tablettes, (n°11 Ma'idiy-i-Asamani, vol.4 p.175-6) il déclare que si un croyant devient détaché de tout sauf Dieu, il pourra avoir la capacité d'influencer les réalités de toutes choses créées, et de faire tout ce qu'il désire. Une telle personne ne verra rien d'autre que le visage de son Bien-Aimé et ne craindra personne même si tous les peuples du monde se levaient contre lui.

Ces quelques personnes, telles que Badi' ou Mulla Rida qui sont montés sur le pinacle de la foi possédaient des pouvoirs surhumains y compris une détermination surhumaine. Ils étaient tellement attirés vers Baha'u'llah qu'être physiquement séparés de lui, ne brisait pas le lien de la véritable communion avec lui. Qu'ils se considéraient comme étant en présence de Baha'u'llah n'était pas une simple expression de mots ou une illusion. Pour eux, cela a dû être une expérience réelle. Badi', par exemple, au moment de son martyre, ou durant ces innombrables heures de tortures, était si étroitement lié à Baha'u'llah et se voyait si véritablement en présence de son Bien-Aimé qu'il n'était affecté par aucune souffrance.

Il n'est pas possible pour quelqu'un qui n'a pas atteint les plus hauts sommets de la foi d'apprécier cet état de chose. Mais des milliers d'hommes et de femmes qui allèrent sur le champ du martyre et donnèrent joyeusement leur vie dans le chemin de Dieu ont dû expérimenté la présence de Baha'u'llah d'une façon très nette et avec des sentiments si sincères que donner leur vie devint une joie au lieu d'une torture. Pour citer un exemple, voici une histoire que Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri, (n°12 histoire non publiée) a raconté sur Mirza Aqay-i-Halabi Saz qui était un croyant dévoué et qui avait eu le privilège d'aller en présence de Baha'u'llah. Il était étameur et avait une petite échoppe dans l'un des bazars de Yazd. En 1891, sept baha'is furent mis à mort sur l'ordre de Mahmud Mirza, le Jalalu'd-Dawlih, le gouverneur de Yazd. Ils sont connus comme les sept martyrs de Yazd. Baha'u'llah écrivit l'histoire de leur martyre au journal The Times de Londres *. Les sept personnes furent enchaînées ensemble et conduites vers le bazar au milieu de scènes de liesse et à chaque carrefour principal, l'un d'entre eux était exécuté d'une façon des plus barbares. Les autres croyants qui étaient des commerçants ou des marchands reçurent l'ordre de rester dans leurs locaux et furent forcés à se joindre aux autres commerçants et à décorer leurs magasins pour célébrer l'événement.

*[nota: un récit de ceci se trouvera dans le prochain volume]

Haji Mirza était assis dans son magasin, le coeur empli de tristesse à cause de la tournure tragique des événements. Puis vint le moment de tension, lorsque ceux des sept suppliciés restants passèrent devant son magasin, enchaînés ensemble. Le carrefour suivant où l'un d'entre eux devait être décapité, n'était pas éloigné et on pouvait facilement l'apercevoir. Haji Muhammad-Tahir-i-Malmiri a raconté que Haji Mirza avait l'habitude de conter aux croyants de Yazd l'expérience inhabituelle qui fut la sienne ce jour-là. Il vit à sa grande surprise que Baha'u'llah lui-même passait devant son magasin, une centaine de pas derrière les futurs martyrs et marchait rapidement afin de pouvoir les rejoindre. Immédiatement Haji Mirza sortit de son magasin pour suivre Baha'u'llah, qui de sa main lui fit signe de retourner dans son magasin. De retour, Haji Mirza regarda à l'extérieur et vit qu'à l'instant même où Baha'u'llah atteignit le groupe qui se trouvait au carrefour, le bourreau ôta les chaînes d'un des hommes et l'exécuta.

Évidemment, Haji Mirza savait que Baha'u'llah était à Acre et non pas à Yazd, mais il ne doutait absolument pas avoir vu Baha'u'llah dans le bazar. Par cette surprenante vision, il se rendit compte, que les martyrs n'étaient pas seuls au moment de leur martyre, qu'ils possédaient un courage sans pareil et que leur héroïsme ne leur était pas entièrement dû, que par son pouvoir infaillible, Baha'u'llah leur donnait la force et que ceux qui atteignirent le pinacle de la foi et de l'assurance avaient très certainement ressenti la présence de Baha'u'llah à leur côté. Il est intéressant de noter que quelques années plus tard, Haji Mirza fut lui-même martyrisé à Yazd *.

*[nota: pour l'histoire de sa vie, voir vol.2]

Bien qu'on ne puisse en aucune façon prouver ce dont Haji Mirza fut témoin dans le bazar, ce n'était pas pure imagination. La Révélation de Baha'u'llah n'est pas un culte fait ou imaginé par l'homme. Tout culte que l'esprit de l'homme a créé ne peut, en vertu de ses limitations, qu'être exprimé dans les limites de sa propre expérience. À l'inverse, la révélation de Baha'u'llah émane de Dieu, elle a dans la société humaine, libéré des pouvoirs matériels comme spirituels inimaginables et comme les autres religions, elle a fait ressortir des mystères que les êtres humains ne peuvent en aucune façon comprendre. L'histoire de la Foi montre des épisodes semblables à ceux qui ont été expérimentés par Haji Mirza.

Pour citer un exemple: lorsque le Bab était emprisonné dans le château de Mah-Ku, le directeur du château qui se nommait 'Ali-Khan, s'acquittait de ses fonctions avec la plus grande rigueur et refusait d'autoriser les disciples du Bab à accéder en sa présence. Shaykh Hasan-i-Zunuzi, l'un des ardents disciples du Bab, se rendit à Mah-Ku mais l'accès lui fut interdit. Nabil-i-A'zam a raconté l'histoire suivante telle que Siyyid Husayn-i-Yazdi, le secrétaire du Bab l'avait lui-même relatée:

Pendant les deux premières semaines, relata encore Siyyid Husayn, personne ne fut autorisé à rendre visite au Bab. Seuls mon frère et moi pouvions aller auprès de lui. En compagnie de l'un des gardes, Siyyid Hasan descendait chaque jour dans la ville pour acheter ce dont nous avions besoin pour la journée.

Shaykh Hasani-Zunuzi, qui était arrivé à Mah-Ku, passait les nuits dans un masjid situé au-delà de la porte de la ville. Il servait d'intermédiaire entre ceux des disciples du Bab qui, occasionnellement visitaient Mah-Ku et Siyyid Hasan, mon frère qui, à son tour, soumettait les demandes des fidèles à leur maître et mettait Shaykh Hasan au courant de sa réponse.

Un jour, le Bab chargea mon frère d'informer Shaykh Hasan que lui, le Bab, demandait à 'Ali Khan de changer d'attitude envers les croyants qui visitaient Mah-Ku et de relâcher sa sévérité. "Dites-lui, ajouta-t-il, que je chargerai demain le gardien de l'amener ici." Je fus très surpris d'entendre un tel message. Comment l'autoritaire et obstiné 'Ali Khan pouvait-il, me dis-je, être amené à relâcher la sévérité de sa discipline? Le lendemain de bonne heure, alors que la porte de la forteresse était encore fermée, nous eûmes la surprise d'entendre frapper à la porte; nous savions très bien que l'ordre avait été donné de ne laisser entrer personne avant le lever du soleil. Nous reconnûmes la voix de 'Ali Khan qui semblait faire des remontrances aux gardes ; l'un de ceux-ci entra peu après et me déclara que le gardien de la forteresse insistait pour être reçu par le Bab. Je fis part de son message au Bab, qui me donna l'ordre de l'introduire auprès de lui. En traversant le seuil de son antichambre, je vis 'Ali-Khan debout sur le seuil dans une attitude de soumission totale, son visage trahissant un sentiment d'humilité et d'émerveillement inhabituels. Son orgueil et son sentiment de supériorité semblaient l'avoir totalement abandonné. Il répondit de manière humble et très courtoise à mon salut et me pria de lui permettre d'aller auprès du Bab. Je le conduisis à la chambre qu'occupait mon maître. Ses membres tremblaient au moment où il me suivit. Une agitation intérieure qu'il ne pouvait dissimuler se lisait sur son visage. Le Bab se leva de son siège et lui souhaita la bienvenue. S'inclinant avec respect, 'Ali Khan s'approcha de lui et se jeta à ses pieds. "Libérez-moi, demanda-t-il, de ma perplexité. Je vous supplie, par le Prophète de Dieu, votre illustre ancêtre, de dissiper mes doutes, car leur poids m'a presque brisé le coeur. J'allais à cheval par des endroits inhabités et m'approchais de la porte de la ville lorsque soudain, à l'aube, je vous vis debout au bord de la rivière, occupé à faire votre prière. Les bras ouverts et les yeux levés, vous invoquiez le nom de Dieu. Je restai debout et vous observai. J'attendais la fin de votre prière pour m'approcher de vous et vous réprimander pour avoir osé quitter la forteresse sans mon autorisation.

Dans votre communion avec Dieu, vous étiez si absorbé dans l'adoration que vous étiez totalement oublieux de vous-même. Je m'approchai tranquillement de vous mais, dans votre état d'extase, vous ne vous aperçûtes même pas de ma présence. Je fus pris soudain d'une grande peur et reculai devant l'idée de vous tirer de votre extase. Je décidai de vous quitter et d'aller vers les gardes afin de les blâmer pour leur conduite négligente. Je découvris peu après, à mon grand étonnement, que les portes extérieure et intérieure étaient toutes deux fermées. On les ouvrit à ma demande, on m'introduisit auprès de vous et, tout ébahi, je vous vois à présent assis devant moi. Je me sens totalement perdu. Je me demande si ma raison ne m'a pas abandonné." Le Bab répondit: "Ce dont vous avez été témoin est authentique et indéniable. Vous avez sous-estimé cette révélation et dédaigné avec mépris son auteur. Dieu, le Très-Miséricordieux, ne voulant pas vous affliger de son châtiment, a bien voulu vous révéler la vérité. Par sa divine intervention, il a instillé dans votre coeur l'amour de son élu et vous a fait reconnaître le pouvoir irrésistible de sa foi."

Cette merveilleuse expérience transforma le coeur de 'Ali Khan. Ces paroles avaient calmé son agitation et vaincu son animosité acharnée. Par tous les moyens en son pouvoir, il décida de se racheter de ses actions passées. "Un pauvre homme, un shaykh", dit-il avec empressement au Bab, "désire ardemment venir auprès de vous. Il vit dans une mosquée située au-delà de la porte de Mah-Ku. Je vous prie de me permettre de l'amener ici afin qu'il puisse vous rencontrer. J'espère par cet acte voir mes mauvaises actions pardonnées et pouvoir effacer les souillures de mon comportement cruel envers vos amis." Sa demande fut acceptée, après quoi il alla directement chez Shaykh Hasan-i-Zunuzi et le conduisit auprès de son maître. (N°13, La chronique de Nabil, p.231-233)

- Le rang de Badi':

Retournons à l'histoire de Badi'. Après son martyre, la plume de Baha'u'llah se lamenta de ses souffrances, loua son acte de sacrifice de soi, d'héroïsme et se référa à lui en tant que "Fierté des Martyrs" (Fakhru'sh-Shuhada). Dans pratiquement toutes les tablettes révélées dans un laps de trois ans, il se référa à Badi' en termes élogieux, rappelant son martyre et sa foi indomptable. Et il désigna ces tablettes du nom de "Sel de mes Tablettes".

Dans ces tablettes, Baha'u'llah glorifie non seulement le rang de Badi', mais il attache aussi une grande importance à la proclamation de son message au chah de Perse. Dans une de ces tablettes, (N°14 Athar-i-Qalam-i-A'la, vol.1, p.208) il déclare, faisant référence à Badi', qu'il avait offert la vie de l'un de ses serviteurs après l'avoir créé à nouveau avec les mains de puissance et de pouvoir, et qu'il l'avait envoyé tout droit dans la gueule d'un serpent, pour que les peuples du monde puissent être assurés que Dieu, le Tout-Puissant, transcende toute sa création et règne sur elle. Baha'u'llah déclare de plus, qu'il a envoyé Badi' avec un Livre dans lequel il a proclamé sa Cause et proclame d'une façon concluante ses preuves à toute l'humanité: il affirme qu'il avait ôté de chez Badi' toute trace de peur, l'avait revêtu des ornements de la foi et du pouvoir, enflammé son âme en prononçant un mot et l'avait envoyé telle une boule de feu pour proclamer sa Cause.

Des déclarations comme celles-ci se trouvent dans de nombreuses tablettes qui ont coulé de la plume de Baha'u'llah durant ces trois années.

La proclamation de la cause de Baha'u'llah au chah de Perse avait une signification particulière. Cette tablette fondamentale *, remise entre les mains du souverain lui-même, devait introduire chez les habitants de Perse la foi de Baha'u'llah dans sa véritable perspective. Le peuple de ce pays en connaissait beaucoup sur la foi babie et la majorité des gens y était hostile. Pendant plus de deux décennies, le peuple de Perse avait été témoin de mémorables actes d'héroïsme accomplis par un petit groupe de héros ivre de Dieu dont le dévouement et l'abnégation avaient allumé une immense conflagration à travers le pays.

*[nota: les thèmes principaux de la "Lawh-i-Sultan" (Épître au chah) sont brièvement décrits dans le vol.2]

Le message du Bab, les récits de son martyre et le pouvoir transformateur de sa Cause avaient déjà atteint chaque coin de ce pays et de là sa réverbération avait trouvé écho dans le monde occidental. Mais le peuple de Perse ne faisait pas de différence entre la révélation de Baha'u'llah et celle du Bab. La plupart des gens considéraient la foi baha'ie comme étant la même que la foi babie et n'appréciaient pas la grande différence des enseignements entre les deux.

Comme cela est attesté par Baha'u'llah dans une tablette, (N°15 Ma'idiy-i-Asamani, vol.1) tant que cette épître fondamentale n'avait pas été délivré au roi, la nature de la cause de Dieu - ou les prétentions de son Fondateur ou ses principes et ses enseignements - n'avait pas été clairement énoncée à ceux qui tenaient en leurs mains les rênes du pouvoir. Il mentionne dans la même tablette qu'avant que Badi' n'ait délivré cette épître puissante au Roi, le témoignage de Dieu n'avait pas été accompli et les preuves concluantes de sa Foi n'avaient pas été données. Mais après la proclamation de son message, il ne restait plus d'excuse à quiconque pour se lever contre sa Cause. Et, comme le peuple de Perse ne répondit pas à l'appel de Dieu clairement lancé dans ce message, les souffrances et les tribulations qui avaient déjà été prophétisées par la plume de Baha'u'llah tombaient sur eux comme châtiment de Dieu.

- Châtiment divin:

Une fois, il se présenta sous forme de famine qui peu après le martyre du Badi' prit dans ce pays la vie d'un grand nombre de personnes. L'effet de la famine fut si dévastateur que Haji Mulla 'Ali-Akbar-i-Shamirzadii appelé Haji Akhund *, écrivit une lettre à Baha'u'llah, l'implorant de pardonner au peuple de Perse et demandant le soulagement des souffrances. Dans une épître qu'il lui adressa, (N°16, Cité par Faizi, L'Aliy-i-Darakhshan, p.411-12) Baha'u'llah affirme que la famine était la punition pour le martyre de Badi', et déclare qu'avant cela il avait prophétisé dans ses tablettes des afflictions et des tribulations imminentes, et déclare que si ce n'était pas pour l'amour des croyants, la nation tout entière aurait été frappée par Dieu. Puis, il répond favorablement à l'intercession de Haji Akhund et l'assure que sous peu la situation changerait et que Dieu les soulagerait.

*[nota: une des quatre Mains de la cause de Dieu que Baha'u'llah nomma quelques années avant la fin de sa vie. Nous écrirons sur ceci dans le prochain volume]

Dans une tablette mentionnée plus haut (n°17 Ma'idiy-i-Asamani, vol. 4 , p.34), Baha'u'llah déclare qu'après la proclamation de son message au chah de Perse, et à travers lui, au public, plus personne n'avait d'excuse. Il fait alors un commentaire intéressant sur la punition inévitable de Dieu et déclare que les croyants devraient méditer sur le fait de savoir pourquoi la colère de Dieu, qui affligea si rapidement les gens, avait permis au chah lui-même, une période de répit.

Ceci est un point qui a intrigué de nombreux croyants au sujet de Nasiri'd-Din Shah stigmatisé par Baha'u'llah comme le "Prince des oppresseurs", celui qui avait infligé tant de persécutions aux disciples du Bab et de Baha'u'llah. Pourtant malgré tous ses actes cruels, il régna pendant cinquante ans, tandis que la chute de Napoléon fut précipitée peu de temps après que Baha'u'llah eut envoyé son avertissement.

Baha'u'llah a expliqué ce point de différentes façons. Dans une de ses Tablettes, (n°18 Ishraqat, une compilation, p.247) il décrit la perversité des religieux de Perse et leurs attaques continues depuis leurs chaires sur la cause de Dieu et déclare que si ce n'était pas par la miséricorde de Dieu qui pénètre toutes choses créées, la compagnie entière des ennemis de la cause de Dieu aurait péri. Il y avait deux raisons pour lesquelles ils étaient épargnés. L'une était le pardon de Dieu, et l'autre, les mauvaises actions de certaines personnes qui avouaient leur allégeance à sa Foi.

Pour pouvoir apprécier la deuxième raison, regardons la relation entre les croyants et Baha'u'llah. L'Auteur de la Foi considère les croyants comme les bien-aimés de Dieu. Pour le public non-baha'i aussi, les croyants, que ce soit individuellement ou collectivement, sont tellement reliés à Baha'u'llah que leur conduite, quelle soit bonne ou mauvaise, lui est attribuée. Par conséquent, chaque mauvaise action d'un disciple de Baha'u'llah peut être considérée par le public comme venant de lui. D'après ce que dit Baha'u'llah, l'application de la justice de Dieu est entravée lorsque quelqu'un qui mérite une punition a été gravement opprimé par ceux qui professent allégeance à sa Cause et sont associés avec son Nom. Car comment Dieu pourrait-il punir une personne qui se lèverait contre sa Foi, lorsque certains de ses "bien-aimés" l'ont maltraité ?

Haji Mirza Habib'u'llah-i-Afnan, qui en compagnie de son illustre père, Mirza Aqa, surnommé Nur'u'd-Din (lumière de la foi) * alla en présence de Baha'u'llah à Haïfa et à Acre en 1891, a noté ce qui suit dans ses mémoires:

*[nota: c'était l'un des distingués membres de la famille du Bab. Il était le seul fils de la soeur de la femme du Bab, un disciple dévoué de Baha'u'llah et une personne dont il estimait beaucoup les services à la Cause. Nous ferons un bref récit de sa vie dans le prochain volume]

Feu Haji Abu'l-Hasan-i-Shirazi... était présent. Il soumit cette question à Baha'u'llah de savoir pourquoi le règne de Yazd * se termina trois ans après le martyre de l'Imam Husayn, tandis que cela fait près de cinquante ans maintenant depuis le martyre du Bab, et Nasiri'd-Din Shah règne toujours avec un pouvoir toujours aussi fort. Jour et nuit, il fait de son mieux pour s'opposer à la Cause, et pourtant Dieu ne s'est pas emparé de lui bien au contraire, il a reçu une très longue période de répit. La réponse de Baha'u'llah fut que ce délai était causé par l'attaque par certains croyants ignorants qui dans les premiers jours de la Foi ont essayé d'attenter à la vie du chah. Baha'u'llah leur assura que son tour viendrait aussi **.

*[nota: Yazid I, l'un des califes omeyyades de l'islam, responsable de la mort de l'Imam Husayn]
*[nota: n°19 mémoires non publiée]

Dans la tablette mentionnée plus haut, (N°20 Athar-i-Qalam-i-A'la, vol.1 p.189-91) à Haji 'Abdu'l-Majid, le père de Badi', Baha'u'llah déclare que le Temple de la cause de Dieu fut ornée par Badi' et que son rang était si exalté qu'aucune plume ne pouvait le décrire. Par lui, affirme Baha'u'llah, les piliers de la tyrannie furent secoués et le visage de la victoire se dévoila. Il avait atteint de telles hauteurs dans les mondes d'en haut qu'il ne pouvait en être fait mention.

Dans cette tablette, Baha'u'llah réitère l'un des enseignements fondamentaux de Dieu. Il déclare qu'il a prescrit à chaque fils * de servir son père et que ceci est un commandement dans le Livre de Dieu. Il enjoint à Haji 'Abdu'l-Majid non seulement de pardonner à son fils de ne pas l'avoir servi durant sa vie, mais aussi d'être content de lui.

*[nota: il est évident que cela s'applique aussi à une fille]

Haji 'Abdu'l-Majid devint l'un des pères les plus fiers lorsqu'il entendit la nouvelle de Badi' et l'histoire de son martyre. En 1876 il fit le voyage jusqu'à Acre où il alla en présence de Baha'u'llah. Voici ses propres paroles:

Un jour j'eus l'honneur d'être en présence de la Beauté bénie lorsqu'il parlait de Badi' qui était allé en sa présence, avait porté sa Tablette bénie à Téhéran (pour Nasiri'd-Din Shah) et gagné la couronne du martyre. Tandis qu'il parlait, mes larmes coulaient abondamment et ma barbe s'en trouva mouillée. Baha'u'llah se tourna vers moi et dit: 'Aba Badi' ! Une personne qui a déjà passé les trois quarts de sa vie devrait offrir le reste dans le chemin de Dieu... Je demandai: "Serait-il possible que ma barbe qui est maintenant trempée par mes larmes, puisse un jour être teintée par le rouge de mon sang ?" La Beauté bénie répondit: "Si Dieu veut..." (N°21 Cité par Muhammad'-'Aliy-i-Faizi, L'Aliy-i-Darakhshan *.

*[nota: ces mots attribués à Baha'u'llah ne sont pas nécessairement ses paroles exactes]

Et ainsi fut fait: le père de Badi' devint aussi un martyr. Son histoire est contée dans un précédent volume (voir vol.2).


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