Médiathèque baha'ie

La révélation de Baha'u'llah

Volume 3
Akka 1868-1877


Adib Taherzadeh


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Table des matières

1. Arrivée de Baha'u'llah à Acre
2. La cause de Dieu prospérera à travers la persécution
3. Le Prisonnier
4. Les mandataires de Baha'u'llah
5. Lawh-i-Fu'ad
6. Les dirigeants les plus puissants du monde
7. Suriy-i-Haykal
8. Rois et Ecclésiastiques
9. La fierté des martyrs
10. Mort de la Branche-la-plus-pure
11. L'Opprimé du monde

12. Les premiers convertis à l'extérieur de la communauté musulmane
13. Le Kitab-i-Aqdas. - La Loi de Dieu
14. Le Kitab-i-Aqdas. - Un nouvel Ordre mondial
15. Kitab-i-Aqdas - Éducation divine
16. Le Kitab-i-Aqdas - L'adoration et la vie de tous les jours - Le Mashriqu'l-Adhkar
17. Kitab-i-Aqdas - l'Alliance de Baha'u'llah
18. Les derniers jours à l'intérieur de la citadelle
Annexe I. Le transfert des restes mortels du Bab
Annexe II. Mirza Abu'l-Fadl de Gulpaygan
Annexe III. L'enterrement de la Plus-Pure-Branche et de la mère de 'Abdu'l-Baha
Notes et remerciements


Préface

L'arrivée de Baha'u'llah à Acre, marquant l'accomplissement si longtemps attendu des prophéties de l'avènement du Seigneur des armées en Terre sainte, ouvre un nouveau chapitre dans la glorieuse apogée de la révélation de Baha'u'llah. Les évènements importants associés à cette période dépassent ceux du début de son ministère. Les lois définitives de la proclamation de son message, qu'il envoya personnellement aux rois, dirigeants et ecclésiastiques, la révélation des lois de sa "dispensation" considérées comme la trame et la chaîne de son Ordre mondial, l'inversion du cours des évènements de mauvaise fortune et de déformation en ceux de l'honneur et de l'hommage public, la révélation d'innombrables tablettes tirant vers un formidable paroxysme tout ce qui a été révélé par le passé, et la libération de vastes énergies spirituelles destinées à régénérer la société humaine et à créer une nouvelle race d'hommes, tout cela caractérise cette période du ministère de Baha'u'llah à Acre et par la suite à Bahji.

Ce volume, couvrant les premières neuf années du ministère de Baha'u'llah à Acre, est une tentative pour essayer d'avoir un aperçu de cette puissante révélation. Mais combien l'esprit et la vision de l'homme sont chétifs et faibles, et comme ils équipent mal les hommes pour s'aventurer dans l'arène de la révélation divine qui est bien au-dessus de leurs capacités d'entendement. Il est évident que nous sommes incapables de comprendre cet océan profond de la Parole de Dieu en cette époque. Nous pouvons seulement effleurer la surface de cet océan.

Le but de ce volume est de décrire quelques-uns des contenus des tablettes de Baha'u'llah. Pour y arriver, l'auteur a suivi le même schéma que dans les deux volumes précédents. Il a exposé les grandes lignes de certains thèmes d'une tablette et a expliqué certains détails qui sont, pense-t-il, utiles pour la compréhension de certaines vérités de base de la Foi. Le but, cependant, n'a pas été d'écrire un livre d'histoire. C'est seulement pour fournir un arrière-plan à la révélation de la parole de Dieu que l'auteur s'est longuement attardé sur la vie de Baha'u'llah , les circonstances de son emprisonnement dans la prison et par la suite à Acre, et qu'il a aussi résumé succinctement la vie de certains des premiers croyants qui y étaient mêlés.

L'étude des Écrits de Baha'u'llah est une expérience sans fin ; les nombreuses significations contenues dans son verbe et le pouvoir de ses paroles sont inépuisables. Le lecteur, par conséquent, ne pourra découvrir dans ce livre qu'une seule goutte de cet océan, car c'est seulement à travers une étude plus approfondie des Écrits de Baha'u'llah que nous pouvons voir l'immensité de la connaissance de Dieu dont Baha'u'llah nous a doté en ce jour, une connaissance qui continuera à s'élargir et à se dérouler avec le passage du temps.


Notes et remerciements

Les extraits des Écrits du Bab et de Baha'u'llah contenus dans ce livre proviennent des traductions incomparables de Shoghi Effendi, le Gardien de la foi baha'ie, et de celles effectuées sous les auspices de la Maison universelle de justice. Les sources de publication sont citées dans les références et la bibliographie. Il y a de nombreuses autres citations de manuscrits et publications en persan que j'ai traduites à moins que cela ne soit indiqué autrement. La plupart des citations ont dû être éditées avant d'être traduites. Cependant, la plupart des notes de bas de page se rapportant à ces citations sont de moi et sont signalées avec précision là où il pourrait y avoir confusion. Les versets provenant du Coran sont numérotés en accord avec le texte arabe, bien que la numérotation puisse différer de celle qui est donnée dans les traductions anglaises (Note: Pour la version française, ces versets sont extraits de la traduction de D. Masson, La Pléiade,). Les noms persans et arabes sont translittérés en conformité avec le système adopté pour les livres sur la foi baha'ie, mais les citations sont reproduites dans leur forme originelle.

Les premiers disciples de Baha'u'llah cherchaient rarement à être photographiés. Des photos de groupes étaient prises occasionnellement desquelles il a été possible d'obtenir beaucoup de photos individuelles que j'ai incluses, convaincu que leur intérêt historique l'emporte sur le fait que certaines sont estompées et pas centrées. Je suis très profondément redevable au Département de l'audio-visuel du Centre mondial baha'i pour avoir fourni la plupart de ces photos. J'aimerais remercier M. Ruhi Shakibai pour sa talentueuse reproduction des photographies incluses dans ce livre. (Note: Pour cette édition provisoire, les photos ne sont pas reproduites)

Je désire exprimer mes très sincères remerciements à la Maison d'édition baha'ie de Londres, pour sa coopération, ainsi que la Maison d'édition baha'ie de Wilmette, Illinois pour m'avoir autorisé à puiser abondamment dans leurs publications.

Je désire faire part de ma chaleureuse appréciation au Dr May Ballerio dans ses efforts infatigables pour m'aider à activer la préparation du manuscrit et pour sa mise au point efficace, et pour avoir rédigé l'index. (Note: Pour cette édition provisoire, l'index n'est pas reproduit) Mes remerciements vont à Miss Eithne Earley qui a converti mes gribouillages, la plupart d'entre eux illisibles et souvent difficiles à déchiffrer, en manuscrit lisible. Ainsi que Mme Corinne Alexander pour son aide supplémentaire en dactylographie. Je suis aussi reconnaissant à M. Harold Boyce pour avoir lu les épreuves avec tellement de soin.

Bien que je considère ce travail, comme une très insignifiante contribution à la grande richesse de la connaissance baha'ie, néanmoins cela m'a pris très longtemps pour produire ce volume. La raison principale étant le manque de temps de ma part. J'ai dû travailler à la maison, pendant mon temps libre, habituellement tard dans la soirée, et par conséquent la progression a été très lente. Et la même situation s'appliquera aussi probablement pour le volume 4. Néanmoins, pour tout mon travail, je suis profondément reconnaissant à ma femme Lesley pour son soutien constant et son encouragement.

Adib Taherzadeh


ANNEXE I: Le transfert des restes mortels du Bab

Les restes mortels du Bab et de son disciple Mirza Muhammad-Aliy-i-Zunuzi qui fut martyrisé avec lui, furent transportés aux bords des douves à l'extérieur des portes de la cité de Tabriz le soir de leur martyre, le 9 juillet 1850, et dix sentinelles furent postées pour les surveiller.

Son courageux et fidèle disciple Haji Sulayman Khan, le fils d'un officier au service du père de Muhammad Shah, fut cette personne qui joua un rôle prépondérant pour soustraire les restes mortels du Bab et de son compagnon des abords des douves. C'était un homme très influent. Bien que nombre de ses condisciples furent mis à mort, Amir Nizam, le Premier ministre de l'époque fut encouragé à épargner sa vie.

Il mourut cependant lui aussi en martyr deux ans après la mort de son Maître, dans un esprit d'héroïsme débordant de joie et jetant un grand éclat sur la Cause de Dieu naissante. Plusieurs incisions furent faites dans son corps pour y insérer des bougies allumées. Avant son martyre, il fut promené dans les rues de Téhéran, mais lui, chantait les louanges de Dieu tandis que son sang inondait tout son corps et que sa chair grésillait sous la flamme des bougies. (pour des détails de son martyre voir "La Chronique de Nabil", op.cit., p.571-572)

Les paroles suivantes, prononcées avant son martyre et au moment où il fut informé que sa vie pouvait être épargnée s'il renonçait à sa foi, sont révélatrices du courage et du dévouement de quelqu'un qui était parti de Téhéran pour Tabriz dans l'intention de sauver le Bab du danger imminent qui menaçait sa vie. Étant arrivé deux jours trop tard, il prit sur lui d'assumer une tâche plus dangereuse et difficile, celle d'enlever les restes mortels du Bab des mains de l'ennemi:

"Jamais, aussi longtemps que coulera du sang dans mes veines, je n'accepterai d'abjurer ma foi en mon Bien-Aimé ! Ce monde, que le Commandeur des croyants (l'Imam 'Ali) a comparé à une charogne, ne m'éloignera jamais du désir de mon coeur." On lui demanda de déterminer la manière dont il désirait mourir. "Percez des trous dans ma chair, répondit-il aussitôt, et placez dans chaque blessure une chandelle. Allumez neuf chandelles sur tout mon corps et conduisez-moi dans cet état à travers les rues de Tihran. Appelez la foule à témoigner de la gloire de mon martyre, afin que le souvenir de ma mort laisse son empreinte dans leurs coeurs et les aide, au moment où ils se rappelleront l'intensité de mes tribulations, à reconnaître la lumière que j'ai embrassée. Après mon arrivée au pied de la potence, coupez mon corps en deux et suspendez mes membres de chaque côté de la porte de Tihran pour que la foule qui passe sous elle puisse témoigner de l'amour que la foi du Bab a suscité dans le coeur de ses disciples, et puisse regarder les preuves de leur dévotion." (1 Nabil-i-A'zam, La Chronique de Nabil , M.E.B., Bruxelles, 1986, p.572-573)

Il mourut exactement comme il l'avait désiré.

Quelques heures à peine après son arrivée à Tabriz, Haji Sulayman Khan, avec l'aide du maire de la cité (qui était un ami personnel), réussit à planifier sa stratégie pour le sauvetage des restes mortels du Bab. Le maire demanda à l'audacieux Haji Allah-yar, un homme courageux et hardi de rendre ce service à son ami. Au milieu de la nuit, Haji Allah-yar se rendit avec quelques-uns de ses hommes, accompagnés de deux babis de Milan (une ville dans la province d'Azerbaïdjan) à l'endroit où les restes mortels du Bab et de son disciple reposaient. Les soldats qui surveillaient les corps n'osèrent pas défier les hommes du Haji et le matin suivant ils n'eurent que l'alternative d'informer que durant la nuit, des animaux sauvages avaient dévoré les corps.

Les restes sacrés furent enveloppés dans une 'aba * de l'un des croyants et remis à Haji Sulayman Khan qui avec l'aide de Husayn-i-Milani les emporta vers l'usine de soie de Haji Ahmad, l'un des croyants de Milan. Husayn-i-Milani (qui était l'une des deux personnes qui avaient accompagné Haji Allah-yar lors de cette nuit historique), fut par la suite martyrisé à Téhéran le jour même où Haji Sulayman Khan donna sa vie dans le chemin de son Bien-Aimé. Pendant deux jours, les restes mortels demeurèrent dans l'usine de soie. Ils furent enveloppés dans des linceuls et cachés sous des balles de soie. Puis, ils furent placés dans un cercueil spécial et transférés vers un autre endroit sécurisé. Haji Sulayman Khan communiqua l'information à Baha'u'llah et attendit ses instructions.

*[nota: vêtement porté à l'époque par les hommes persans]

Il est important de comprendre que l'arrivée de Haji Sulayman Khan à Tabriz était un acte de la providence directement ordonné par Baha'u'llah lui-même. Dès qu'il avait été informé de l'imminence du martyre du Bab, Baha'u'llah avait ordonné à Haji Sulayman Khan de venir en sa présence et lui avait donné les instructions d'entreprendre immédiatement et en vitesse le voyage pour Tabriz .

Alors, lorsque les dernières nouvelles lui parvinrent, il ordonna à son frère fidèle, Mirza Musa (surnommé Aqay-i-Kalim) d'envoyer à Tabriz une personne de confiance pour ramener le cercueil à Téhéran. Ceci fut fait et les restes sacrés furent emportés via Zanjan - où ils demeurèrent une nuit - jusqu'à Téhéran. Le cercueil arriva juste après le départ de Baha'u'llah pour Karbila. Suivant ses instructions le cercueil contenant les restes du Bab et de son compagnon fut remis à Aqay-i-Kalim qui le plaça dans le tombeau de l'Imam-Zadih Hasan * en lieu sûr. La seule autre personne impliquée dans cette mission était Mirza 'Abdu'l-Karim-i-Qazvini, connu sous le nom de Mirza Ahmad.

*[nota: un tombeau musulman à Téhéran]

De là, ils furent transférés quelque temps après à Téhéran dans la maison de Haji Sulayman Khan ; plus tard, il fut placé dans le tombeau de l'Imam Zadih Ma'sum. Il y fut dissimulé dans le coin septentrional du tombeau et un mur fut construit devant lui. Nul, exceptés ces hommes, ne savait où il se trouvait. Mais Mirza 'Abdu'l-Karim et Haji Sulayman Khan furent tous deux martyrisés à Téhéran en 1852, durant le grand massacre des babis faisant suite à l'attentat à la vie de Nasiri'd-Din Shah. Et donc, Aqay-i-Kalim était la seule personne qui connaissait encore exactement l'endroit où il se trouvait.

Le cercueil sacré demeura caché dans l'Imam-Zadih Ma'sum jusqu'en 1284 A.H. (1867-68). D'Andrinople, Baha'u'llah ordonna à Mirza Aqa de Kashan (surnommé Munib - voir vol.1) de transférer les dépouilles mortelles vers un autre lieu. Aqay-i-Kalim l'informa de l'emplacement exact, mais Munib ne put le trouver. Baha'u'llah adressa alors une épître à Mulla 'Ali-Akbar-i-Shahmirzadi, communément appelé Haji Akhund *, et Jamal-i-Burujirdi ** leur donnant l'ordre d'enlever immédiatement le cercueil. Aqay-i-Kalim transmis à nouveau les détails de l'endroit où il se trouvait.

*[nota: plus tard il fut nommé Main de la Cause de Dieu. Nous parlerons de sa vie dans le prochain volume]
**[nota: ce fut un extraordinaire enseignant de la foi, qui par la suite devint un briseur d'Alliance, voir vol.2]

Le transfert de la dépouille mortelle s'avéra être un acte de la providence dirigé par Baha'u'llah, car peu de temps après, les gardiens du tombeau de l'Imam Zadih Ma'sum entreprirent de grands travaux de reconstruction qui auraient de manière définitive révélé le secret de cette précieuse relique reposant derrière l'un des murs du mausolée. Une telle découverte aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur la protection des restes sacrés.

Haji Akhund et Jamal réussirent à trouver le cercueil et à l'enlever du tombeau de l'Imam Zadih Ma'sum. Ils le transportèrent vers un village à l'extérieur de Téhéran dans lequel se trouve le célèbre tombeau de Shah 'Abdu'l-'Azim. Trouvant les conditions peu satisfaisantes pour déposer le cercueil dans cette région, ils se déplacèrent vers le village de Chashmih-'Ali. En chemin, ils passèrent devant la mosquée de Masha'u'llah, un bâtiment ancien et délabré que les gens n'avaient pas l'habitude de visiter. Ils attendirent là jusqu'à la nuit tombée. Haji Akhund ouvrit le cercueil et dans la semi obscurité contempla la dépouille du Prophète martyr de la Foi. Nul ne pourra jamais dire les sentiments de respect mêlé de crainte, de vénération et de chagrin qui à ce moment durent saisir cette âme et quelle émotion dût faire irruption dans son coeur. Mais connaissant le degré de sa foi et son dévouement à la Cause et la nature vibrante de sa personnalité nous pouvons imaginer l'impact d'un événement si puissant sur une âme. Il a été dit qu'il trouvât une fleur desséchée posée sur le vieux linceul, probablement un symbole d'affectueuse dévotion par Haji Sulayman Khan.

Haji Akhund et Jamal entourèrent les dépouilles d'un autre linceul de soie et refermèrent le cercueil. Ils le placèrent dans une niche dans un mur et le murèrent avec de vieilles briques qui se trouvaient en abondance dans ce bâtiment délabré.

Cette nuit-là, ils retournèrent tous deux vers un village proche. Le matin suivant, ils décidèrent de se rendre à nouveau à l'endroit où ils avaient laissé le cercueil. À leur arrivée sur le lieu, ils découvrirent à leur grande consternation que quelqu'un avait ouvert cette partie du mur et cassé le cercueil. Mais ils furent rapidement soulagés en voyant que les dépouilles n'avaient pas été touchées. C'était probablement l'oeuvre d'hommes qui avaient dû les voir tous deux placer le cercueil dans la vieille mosquée et qui avaient probablement pensé qu'il y avait là un trésor caché et qui le laissèrent lorsqu'ils ne trouvèrent rien de la sorte. Immédiatement, Haji Akhund et Jamal fermèrent le cercueil et l'emportèrent. Tous deux montés sur des ânes ; l'un des hommes prit le cercueil devant lui et ainsi ils procédèrent vers Téhéran.

À cette époque, des gardes étaient placés aux portes des cités et ils avaient l'habitude de fouiller les gens qui entraient. Haji Akhund et Jamal étaient extrêmement inquiets au cas où des fonctionnaires auraient voulu essayer d'ouvrir le cercueil. Mais la Providence joua son rôle dans cet épisode. Au fur et à mesure que les deux hommes s'approchaient des portes de la cité, une violente bourrasque se leva subitement, une forte pluie commença à tomber et le vent en rafales mugit de tous côtés. Une foule de gens traversèrent en courant les portes de la cité afin de trouver un abri et avec eux passèrent Haji Akhund et Jamal.

Ils apportèrent le cercueil sacré chez Mirza Hasan-i-Vazir, un croyant éminent. Haji Akhund loua cette maison et y vécut comme gardien de cette relique sacrée. Pendant près de quatorze mois, le cercueil demeura dans cette maison, mais, après quelque temps, le secret fut éventé. Les croyants avaient pris l'habitude de venir de tous les coins du pays pour visiter la maison et prier au seuil de la pièce dans laquelle il était gardé. Alarmé par les conséquences possibles de cette découverte, Haji Akhund rapporta la chose à Baha'u'llah qui à ce moment-là était emprisonné dans les casernes d'Acre. En recevant la nouvelle, Baha'u'llah ordonna à son mandataire Haji Shah-Muhammad de se rendre immédiatement à Téhéran et de transporter les restes sacrés vers un autre lieu sûr.

Peu de temps après Haji Shah-Muhammad arriva à Téhéran . Il remit à Haji Akhund une épître de Baha'u'llah qui lui était adressée. Dans cette épître, Baha'u'llah avait ordonné à Haji Akhund de remettre le cercueil sacré à Haji Shah-Muhammad. L'accent était mis sur le secret et Baha'u'llah avait enjoint à Haji Akhund de ne pas questionner le porteur de cette relique sacrée quant à l'endroit où elle serait gardée en sécurité. Dès que Haji Akhund eut remis le cercueil au mandataire de Baha'u'llah, il ne se retourna même pas pour voir dans quelle direction il était transporté.

Haji Shah-Muhammad, assisté de l'un des croyants, réussit à enterrer le cercueil sous le sanctuaire intérieur du tombeau de l'Imam Zadih Zayd, où il demeura pendant près de seize ans.

En 1301 A.H. (1845) Baha'u'llah chargea Mirza Assadu'llah-i-Isfahani *, l'un des croyants résidents à Téhéran, de retirer les dépouilles mortelles de l'Imam Zadih Zayn et de les porter dans un autre lieu sûr. Baha'u'llah porta sur une carte l'endroit exact où fut déposé le cercueil et la carte envoyée à Mirza Asadu'llah. Il faut bien comprendre ici que l'acte d'enterrer un cercueil dans un mausolée islamique sans être vu, et plus tard le retirer dans des circonstances similaires, demande une grande sagesse, prudence et courage. Il ne fait aucun doute que tous ceux qui furent chargés par Baha'u'llah de mener cette importante mission étaient assistés par les forces invisibles de la divine Providence.

*[nota: il avait épousé la soeur de Munirih Khanum (la femme de 'Abdu'l-Baha). Dr Farid était leur fils dont la conduite méprisable apporta tant de tristesse au coeur de 'Abdu'l-Baha et finalement fut déclaré briseur d'Alliance. Mirza Asadu'llah lui-même fit défection vers la fin de sa vie]

Mirza Asadu'llah réussit à ôter le cercueil du mausolée. Il l'emporta tout d'abord dans sa maison et l'y garda quelque temps, puis il le transféra dans d'autres localités, y compris chez Husayn-'Aliy-i-Isfahani (surnommé Nur) et Muhammad Karim-i-Attar où il demeura jusqu'en 1316 A.H. (1899).

La façon dont les restes du Bab furent transportés dans ces différentes maisons est intéressante. Elle démontre que ceux qui avaient la charge de les protéger accomplissaient leur tâche avec une grande circonspection et sagesse.

Ce qui suit est la traduction de la chronique parlée de Mirza Husayn 'Aliy-i-Isfahani concernant le transfert chez lui des restes du Bab.

Ce fut vers 1269 (AH solaire) (EC1891) que Mirza Asadu'llah-i-Isfahani accompagné de sa femme vint passer quelque temps avec moi à Téhéran... Quelques jours passèrent et ils me donnèrent à entendre qu'ils étaient en route vers la Terre sainte, et désiraient me confier une caisse contenant quelques objets importants. Ils m'indiquèrent qu'ils viendraient la chercher en retournant chez eux. Mais ils insistèrent pour que je fasse très attention à bien assurer sa protection. Je consentis. Le jour suivant, lui et sa femme apportèrent une caisse en bois et avec beaucoup de respect la placèrent dans une pièce près du vestibule de la maison. Il demanda que la pièce soit fermée et que nul ne puisse y pénétrer pendant un ou deux jours. Nous verrouillâmes la porte et il prit la clé.

Le jour suivant Mirza Asadu'llah et sa femme apportèrent une caisse d'acier vide. Ils allèrent dans la pièce et tirèrent le rideau. Nul ne pouvait voir ce qu'ils y faisaient. Ils restèrent à l'intérieur de la pièce pendant près de quatre heures. Puis ils ouvrirent la porte et m'appelèrent et dirent: 'Ceci est l'objet confié à vos bons soins.'

Je vis la caisse d'acier, qui était neuve, placée au milieu de la pièce, cadenassée et scellée: une forte odeur d'Attar de rose avait empli la pièce. Nous plaçâmes la caisse à l'intérieur d'une alcôve dans la pièce et l'un des jeunes baha'is qui était maçon la ferma avec des briques *.

*[nota: à l'époque c'était une pratique courante chez les croyants de mettre les Écrits sacrés dans des caisses d'acier et de les enterrer sous terre ou de les mettre à l'intérieur d'une cavité dans le mur et ensuite de refermer avec des briques ou tout autre matériau]

La protection et la sécurité de tout objet confié est une tâche difficile, particulièrement si l'on suppose que ceux-ci sont des Tablettes et des Écrits sacrés de la main du Bab ou de Baha'u'llah.

C'est pour cela qu'après le départ de Mirza Asadu'llah, je m'engageai sans réserve dans la protection de cet objet précieux. La nuit, je restai des heures dans cette pièce pour la garder. Pendant quelque temps, j'y dormis même, mais, après un temps, j'abandonnai cette idée.

Deux années passèrent avant que les ennemis de la Foi à Téhéran recommencèrent leurs persécutions contre les baha'is et emprisonnèrent certains croyants... Des rumeurs circulaient disant que les maisons des amis pouvaient être pillées.

Ces nouvelles causèrent une grande anxiété car nous craignions que les ennemis puissent attaquer la maison et emporter la caisse qui nous avait été confiée. Nous eûmes donc une consultation familiale et décidâmes qu'elle devait être cachée dans un lieu encore plus sûr. Nous la transférâmes immédiatement dans une autre pièce... Et au milieu de la nuit, nous fîmes une ouverture dans l'un des murs, nous la plaçâmes au milieu et verticalement et reconstruisîmes le mur devant la caisse et le plâtrâmes. Nous allumâmes même un grand feu à l'intérieur de la chambre pour qu'au matin, le plâtre puisse avoir séché et qu'il ne soit pas différent du reste du mur. Ce jour-là, j'écrivis une lettre à Mirza Asadu'llah-i-Isfahani l'informant des agitations qui avaient lieu à Téhéran et où la foule fanatique et les voyous menaçaient de faire du mal à cette innocente communauté et s'ils en trouvaient le moyen, pouvaient attaquer et piller les maisons des croyants...

Je lui suggérai donc de revenir à Téhéran dès que possible et de reprendre son bien.

Quelque temps passa et une réponse arriva de Mirza Asadu'llah disant qu'il mentionnerait la situation en temps opportun au Maître, et lorsque la permission serait donnée, il reviendrait pour reprendre la caisse. Il arriva à Téhéran près d'un an plus tard et vint chez nous. Nous sortîmes la caisse du mur et la remîmes en ses mains. Après un examen soigneux de la caisse, il l'emporta et la déposa dans la maison d'un autre croyant, Aqa Muhammad-Karim-i-Attar. Près de six mois passèrent lorsque je reçus une lettre de Mirza Asadu'llah me remerciant de tous mes efforts pour protéger la caisse qui m'avait été confiée pendant près de quatre ans. Il continuait disant que l'objet qui avait été gardé dans ma maison était si précieux que même, dans le futur, mes descendants seront fiers qu'il ait été gardé dans cette maison... Puis il me révéla ce que contenait la caisse, les restes sacrés du Bab béni !...

Immédiatement après avoir reçu cette lettre, j'invitai quelques-uns des croyants chez moi et leur lus la lettre. Nous eûmes une réunion si merveilleuse, comme on n'en a rarement vu de semblable... Les amants de ce Bien-Aimé du monde étaient follement heureux. Ils se prosternèrent devant cet endroit sacré et chantèrent de joyeuses mélodies et des prières.
Les restes du Bab furent gardés dans la maison de Aqa Muhammad-Karim-i-Attar jusqu'en AH1316 (EC 1899). Comme ordonné par 'Abdu'l-Baha, Mirza Asadu'llah, avec un nombre d'autres croyants qui ne savaient pas ce que contenait la caisse, transportèrent les restes sacrés en Terre sainte via Bagdad, Damas et Beyrouth. Ils arrivèrent sains et saufs à Acre le 31 janvier 1899.

Pendant dix ans, les restes sacrés furent gardés secrètement en Terre sainte, pendant un temps dans la maison de 'Abdu'l-Baha à Acre et plus tard dans un endroit sur le mont Carmel. Dans l'intervalle 'Abdu'l-Baha, malgré de grandes difficultés et au milieu des troubles créés par ses ennemis et les déformations de la réalité par les briseurs d'Alliance, réussit à construire sur le mont Carmel, six chambres pour le Mausolée du Bab, sur un site choisi par Baha'u'llah lui-même *. 'Abdu'l-Baha demanda aux baha'is de Rangoon de commander la fabrication d'un sarcophage en marbre. Cela fut fait et le sarcophage fut offert en cadeau à 'Abdu'l-Baha. Il fut sculpté dans la masse et gravé sur ses côtés du Plus Grand Nom dans l'écriture de Mishkin-Qalam (voir vol.1) Le sarcophage ainsi qu'un cercueil de bois dur arrivèrent à Haïfa par voie de mer. Comme il n'y avait pas de véhicule pour son transport, la caisse contenant le sarcophage fut placée sur des rouleaux en bois et tirée par des hommes depuis le quai jusqu'en haut de la montagne.

*[nota: nous nous réfèrerons à ceci avec plus de détails dans le prochain volume lorsque nous décrirons la visite de Baha'u'llah sur le mont Carmel]

Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi, décrit l'occasion historique et émouvante lorsque 'Abdu'l-Baha mit en terre les restes sacrés du Bab et de son compagnon dans le tombeau qu'il avait construit sur le mont Carmel.
Finalement, l'année même où son royal adversaire perdit son trône, et au moment de l'ouverture de la première convention baha'ie américaine, convoquée à Chicago dans l'intention de créer une organisation nationale permanente chargée de construire le Mashriqu'l-Adhkar, 'Abdu'l-Baha, en dépit des intrigues incessantes des ennemis de l'intérieur et de l'extérieur mena son entreprise à une heureuse fin. Le 28 du mois de Safar 1327 A.H., jour du premier Naw Ruz (1909) qu'il célébra après sa libération de prison, 'Abdu'l-Baha fit transporter le sarcophage de marbre, avec beaucoup de peine, dans le caveau préparé pour lui. Et, dans la soirée, à la lueur d'une simple lampe, il le plaça à l'intérieur, de ses propres mains - en présence de croyants venus de l'Orient et de l'Occident, et dans des circonstances à la fois solennelles et émouvantes - le cercueil de bois contenant les restes sacrés du Bab et de son compagnon.

Lorsque tout fut terminé et que la dépouille terrestre du prophète martyr de Shiraz fut, finalement, déposée, pour son éternel repos, sans dommage sur les pentes de la sainte montagne de Dieu, 'Abdu'l-Baha qui avait enlevé son turban, retira ses chaussures et, rejetant son manteau, s'inclina bien bas sur le sarcophage encore ouvert. Sa chevelure blanche d'argent ondoyant autour de sa tête, le visage transfiguré et lumineux, il appuya son front sur le bord du cercueil de bois et, sanglotant avec force, il versa tant de larmes que tous ceux qui étaient présents pleurèrent avec lui. Cette nuit-là, il ne put dormir, tant l'émotion le terrassait.

"La plus heureuse nouvelle", écrivit-il plus tard dans une tablette annonçant cette glorieuse victoire à ses fidèles, "c'est que le corps saint et lumineux du Bab..., après avoir été déplacé, pendant soixante ans, d'un endroit à un autre - à cause de l'influence des ennemis et dans la crainte des gens malveillants -, et n'avoir connu ni paix ni repos, ce corps a été, grâce à la miséricorde de la Beauté d'Abba, déposé avec solennité, le jour du Naw-Ruz * dans son cercueil sacré, à l'intérieur du tombeau élevé sur le mont Carmel... Par une étrange coïncidence, en ce même jour du Naw-Ruz, un câblogramme fut reçu de Chicago, annonçant que les croyants de chacun des centres américains avaient élu un délégué et l'avaient envoyé dans cette ville..., et qu'ils avaient définitivement décidé de l'emplacement et de la construction du Mashriqu'l-Adhkar. (n°2 Dieu passe près de nous p.265-6)

*[nota: voir vol.1 pour un autre incident important qui eut lieu ce jour-là]


ANNEXE II: Mirza Abu'l-Fadl de Gulpaygan

La conversion à la foi de Baha'u'llah de Mirza Abu'l-Fadl est décrite au chapitre 5. Il devait devenir le premier d'entre tous les érudits de la Foi.

Les activités d'enseignement de Mirza Abu'l-Fadl commencèrent peu de temps après qu'il ait embrassé la Foi. Pratiquement toute sa vie baha'ie, s'étendant sur une période de près de quarante années, se passa à enseigner la Cause à des membres du public et à approfondir les baha'is sur les vérités de la Foi.

Environ cinq ans après que Mirza Abu'l-Fadl eut rejoint les rangs des croyants, Baha'u'llah dans une épître (n°1 citée dans Kitabu'l-Fara'id, p.424) lui commanda de se lever en son Nom et d'inviter les peuples du monde à aller vers lui de sorte qu'il puisse leur raconter les nouvelles de la "plus grande annonce", qu'il puisse leur montrer la vue de "l'horizon le plus exalté" et puisse leur permettre d'écouter la "Voix de Dieu" en ce jour.

Cette épître et le commandement de Baha'u'llah exercèrent sur Mirza Abu'l-Fadl une influence galvanisante. Quelque temps plus tard, citant cette épître et sachant que les bénédictions de Baha'u'llah l'entoureraient de tous côtés, il écrivit ces paroles stimulantes adressées aux peuples du monde:

Et récemment, ce serviteur qui se considère comme étant le plus insignifiant d'entre les serviteurs du Seigneur de la création, et qui n'a bu qu'une goutte de l'océan de certitude, est prêt, tout en gardant à l'esprit les paroles de bon augure prononcées par le Seigneur des seigneurs citées plus haut *, à informer toute personne de n'importe quelle nationalité au monde de la vérité de cette grande Cause, et de lui en prouver l'authenticité basée sur les preuves claires permettant à la vérité de la religion de ladite personne d'être ainsi établie. Qu'il en soit ainsi pour le peuple de la philosophie et de la logique: le lui prouver par des preuves intellectuelles et rationnelles, et qu'il appartienne au peuple de la controverse et de la polémique de le convaincre et de le réduire au silence par des preuves fournies, irréfutables et fortes. Ceci afin que le droit chemin soit distingué du chemin de l'erreur, la vérité du mensonge et la santé de la maladie. Et, dans ce que nous disons, nous dépendons entièrement de Dieu, exalté soit-il. (n°2 ibid., p.429)

*[nota: référence à l'épître que Baha'u'llah a révélée pour lui]

Ce n'étaient pas de simples mots vides de sens que ce grand homme vertueux écrivit et publia dans le Fara'id, l'une de ses oeuvres extraordinaires. Il était fidèle à chaque chose qu'il disait. Non seulement tenait-il des discours avec d'innombrables âmes de différentes origines et religions, et convertit-il des centaines d'entre elles à la Cause, mais il laissa aussi à la postérité, sur tous les points de vue, les bases des preuves baha'ies, afin que les générations futures puissent les apprendre et approfondir leur connaissance et leur compréhension de la foi de Baha'u'llah.

Mirza Abu'l-Fadl était célèbre pour son savoir. Son nom 'Abu'l-Fadl' qu'il avait adopté lorsqu'il était musulman, signifie le père du savoir. 'Abdu'l-Baha dans une épître s'adresse à lui comme étant le père du savoir, sa mère et son frère. Mais ceux qui le connaissaient ont attesté que sur le plan de sa connaissance et de sa compréhension, il y avait une grande différence entre avant qu'il ne devienne baha'i et après. Lui-même a attesté qu'avant de se trouver au contact de la foi de Baha'u'llah, il était la personnification des vaines imaginations et des futiles chimères et que sa vision en était obscurcie. Hadji Mirza Haydar-'Ali écrit à son sujet:

Son honneur, le bien - aimé Abu'l-Fadl... a orné la cité de Isfahan de sa présence. Comme il était auparavant étudiant à Isfahan, il y est bien connu des érudits et des savants. Ces hommes le rencontrèrent et se rendirent compte qu'il n'était pas la même personne que dans le passé. Ils confessèrent que sa grande connaissance, son savoir et son pouvoir de paroles le place à l'avant-garde de tous. Dans le passé, il était une goutte, il est devenu maintenant une mer houleuse. Il n'était alors qu'un simple atome et il luit maintenant comme une étoile brillante... (n°3 biographie non publiée de Mirza Abu'l-Fadl)

Dès qu'il eut embrassé la foi de Baha'u'llah, Mirza Abu'l-Fadl fut forcé de quitter son poste de professeur dans un collège théologique de Téhéran. La haute estime et le respect dans lesquels jusque-là il avait été tenu par le public ainsi que dans les cercles gouvernementaux et ecclésiastiques firent place à l'humiliation et à la persécution. Il fut emprisonné deux fois, la seconde fois pendant près de vingt-deux mois. Il vivait très modestement et gagnait un petit revenu souvent en travaillant comme scribe *. Son attachement à Baha'u'llah ne connaissait pas de limites. Mais il était aussi détaché du monde qu'il était attaché à son Seigneur, et ceci seul lui conférait tous ses pouvoirs et ses vertus. La prière et la méditation étaient la pierre angulaire de sa vie et par elles, il polissait le miroir de son coeur d'une façon si parfaite qu'il irradiait la lumière de la foi de Baha'u'llah à ceux qui se trouvaient en contact avec lui.

*[nota: à cette époque les gens qui étaient illettrés engageaient les services d'un scribe pour écrire leurs lettres. Mirza Abu'l-Fadl gagnait aussi de petites sommes d'argent en transcrivant les livres saints baha'is qui étaient très demandés par les croyants]

Lorsqu'il vint en Egypte, tout d'abord, il ne révéla pas sa foi. Ceci lui avait été suggéré par 'Abdu'l-Baha. Un grand nombre d'érudits et de professeurs de la célèbre université d'Al-Azhar et d'autres, reconnurent l'étendue et la profondeur de son savoir et furent attirés par lui. Comme ils ne suspectaient pas qu'il était baha'i, il n'y avait pas de préjugés et ils se réunissaient nombreux autour de lui. Leur quête du torrent de connaissance provenant de sa bouche était si sincère qu'ils s'asseyaient envoûtés à ses pieds, et certains étaient enchantés par son explication des vérités du Coran et autres sujets spirituels.

Pour ne citer qu'un exemple de l'hommage que les hommes érudits rendaient à Mirza Abu'l-Fadl, voici le témoignage de 'Abdu'r-Rahman-i-Baraquqi, savant érudit et journaliste de l'époque:

Il y a à peu près huit ans, nous avions entendu dire qu'un homme érudit, se nommant Abu'l-Fadl et venant de Perse, vivait au Caire. Il nous fût dit qu'il était devenu le point d'adoration pour les érudits et un centre de pèlerinage pour ceux qui se languissaient de connaissance et de compréhension. Nous recherchâmes sa demeure et allâmes le voir. Nous y vîmes un homme de carrure svelte et de taille moyenne. Il était âgé, plus de soixante-dix ans, mais du point de vue de sa vitalité, son entrain, son intelligence et l'intensité de sa perspicacité, il était comme un homme de trente ans... Il captivait nos esprits par la magie de son éloquence et la douceur de ses paroles. Nous devînmes rapidement des disciples dévoués de telle manière qu'il n'y avait rien de plus appréciable que de s'asseoir à ses pieds et aucune histoire ne pouvait être plus douce que celles qu'il racontait. Au plus nous nous associâmes à lui et examinâmes sa personne, au plus nous le respections et fûmes conscients de son rang exalté. (n°4 Article dans un magazine nommé Majillatu'l-Bayan, mois de Shavval et Dhiqa 'dih, AH 1313)

Parmi les érudits qui vénéraient Mirza Abu'l-Fadl il y avait ceux qui allèrent jusqu'à croire qu'il était doté des pouvoirs divins qui sont uniquement accordés aux élus de Dieu. Une de ces personnes était un certain Shaykh Badrur'd-Din-i-Ghazzi qui par la suite devint un ardent croyant, comme le devinrent une trentaine d'autres érudits lorsqu'ils apprirent que Mirza Abu'l-Fadl était baha'i.

Shaykh Badrur'Din-i-Ghazzi décrit comment il fut captivé par les discours de Mirza Abu'l-Fadl. Après quelque temps, il arriva à la conclusion que Mirza Abu'l-Fadl était l'un des élus de Dieu, possédait un rang spirituel élevé et qu'il était exalté au-dessus des hommes. Dans une chronique rapportée à de nombreux amis, il dit:

Je lui ai posé une question sur son rang et il m'a dit qu'il n'en avait pas. Un jour, je lui ai clairement dit: "Ô Maître, pourquoi vous cachez-vous de moi ? Si vous êtes un élu de Dieu et que vous ayez un rang, s'il vous plaît, dites-le-moi." Il rit à cette déclaration et reporta à plus tard la réponse à ce mystère. Le temps passa et je dus partir pour la Palestine. Il m'enjoint alors d'aller en la présence de 'Abdu'l-Baha lorsque j'y serais. J'obéis, j'allai en sa présence et découvrit la vérité de la Cause.

Quelques années passèrent et je ne vis plus Mirza Abu'l-Fadl. Lorsque je retournai en Égypte, je l'y rencontrai et lui dis: "Lorsque autrefois je fus en relation avec vous, je vous ai considéré comme une personne unique et sans pareille en ce monde, mais lorsque je suis allé en présence du Maître, j'ai compris que vous n'êtes qu'une goutte par rapport à cet océan houleux." En entendant cela, Mirza Abu'l-Fadl fut empli de joie et dans un état d'extase mis ses bras autour de moi et dit: "Maintenant je sais que vous avez reconnu la vérité." (n°5 Mehrabkhani, Sharh-i-Ahval-i-Mirza Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani, p.16-17)

Un trait frappant de la vie de Mirza Abu'l-Fadl était son absolue soumission à la volonté de son Seigneur. Sa fermeté dans l'Alliance et son obéissance au désir de Baha'u'llah et du Maître ne connaissaient pas de limite. Il aurait préféré mourir que d'envisager même le plus petit manquement aux paroles et enseignements de la Cause. L'histoire suivante racontée par un certain croyant, Husayn-i-Ruhi Effendi, qui connaissait Mirza Abu'l-Fadl, illustre très clairement ce point.

Lorsque j'étais à Acre, je me procurai une copie d'une épître de 'Abdu'l-Baha nommée Lawh-i-Dukhan, écrite en l'honneur de Muhammad-Husayn-i-Vakil... Lorsque j'arrivai en Égypte je partageai avec Mirza Abu'l-Fadl le contenu de cette épître qui trouve mauvais de fumer. *

*[nota: cette épître est connue en Occident sous le nom de "Tablette de la Pureté" et est publiée dans les Sélections de 'Abdu'l-Baha. Fumer n'est pas interdit dans la foi baha'ie, mais 'Abdu'l-Baha le déconseille par égard à la santé et à la propreté]

Je n'avais pas encore fini de lui lire cette épître, qu'il prit son étui à cigarettes, le jeta au loin dans la rue en disant que bien qu'il fut un grand fumeur, il avait fumé pour la dernière fois. Il avait l'habitude de rouler ses propres cigarettes à la main, et d'allumer une nouvelle avec l'ancienne, et de fumer sans arrêt du matin au soir. Il me dit: "Ô Ruhi Effendi, cela fait cinquante-cinq ans que je fume et je suis devenu dépendant. Et vous verrez bientôt qu'à cause de l'effet de la nicotine un membre de mon corps sera paralysé."

Cela ne prit pas longtemps pour qu'il se retrouve avec l'un des bras paralysé et qu'il ne puisse plus le bouger. Cela dura deux ans. Les docteurs lui conseillèrent fortement de recommencer à fumer, mais il refusa, disant, "Je préfère mourir que de désobéir à 'Abdu'l-Baha." (n°6 ibidem, p.328-9)

Ce qui suit est un extrait du Lawh-i-Dukhan:

Voyez combien la propreté est agréable aux yeux de Dieu et combien les prophètes le soulignent dans leurs Livres saints ; les Écritures, en effet, interdisent de manger des aliments impurs ou de se servir d'objets sales. Certaines de ces interdictions revêtaient un caractère absolu, applicables à tous, et quiconque transgressait la Loi, était abhorré de Dieu et frappé d'anathèmes par les croyants. Il en était ainsi, par exemple, des choses catégoriquement interdites et dont la perpétration était considérée comme un très grave péché ; certaines de ces actions étaient si répugnantes qu'il est même honteux de les nommer.

Il est cependant d'autres choses interdites qui ne sont pas immédiatement nuisibles et dont les effets nocifs ne s'exercent que progressivement ; le Seigneur répugne également à de tels actes, qui sont condamnables à ses yeux. Or, l'illégalité absolue de ces actes n'a toutefois pas été expressément formulée dans le texte sacré, mais il est nécessaire de les éviter afin de demeurer dans la pureté et la propreté, de préserver sa santé et d'être libéré de toute forme d'accoutumance.

Parmi ces actes figure la consommation du tabac, une pratique sale, nauséabonde et nuisible ; - une habitude pernicieuse, et tous commencent à en percevoir la nocivité. Il a été établi par tous les médecins qualifiés - et des expériences l'ont démontré - que l'un des composants du tabac est un poison mortel et que le fumeur est exposé à de nombreuses maladies diverses. C'est pourquoi l'usage du tabac a été clairement considéré comme une habitude répugnante sur le plan de l'hygiène.

En d'autres termes, fumer du tabac est, aux yeux de Dieu, un acte répugnant, abhorré et, même si la nocivité en est progressive, il est extrêmement néfaste pour la santé de l'homme. C'est aussi une perte de temps et d'argent, qui fait du fumeur la proie d'une habitude malsaine. Tous ceux qui demeurent fermes dans l'Alliance condamnent donc cette habitude à la fois par raisonnement et par expérience ; le fait d'y renoncer apportera paix et sérénité à l'esprit de tous les hommes, leur permettant en outre de garder l'haleine fraîche, les doigts non maculés et les cheveux sans relent nauséabond et répugnant. En recevant cette missive, les amis décideront certainement, par tous les moyens, d'abandonner cette habitude pernicieuse - même si cela doit prendre un certain temps. Tel est mon espoir.

Quant à l'opium, c'est une drogue abominable et maudite. Que Dieu nous protège du châtiment qu'il inflige au fumeur d'opium. Conformément au texte explicite du Livre le plus saint, l'opium est interdit et sa consommation est totalement condamnée. La raison même démontre que fumer de l'opium est un acte d'insanité, et l'expérience atteste que le fumeur d'opium est totalement coupé du royaume des hommes. Que Dieu nous protège tous contre la perpétration d'un acte aussi hideux, qui met en ruine la fondation même de ce qu'est un être humain et condamne le drogué à la dépossession éternelle, car l'opium s'attache à l'âme de sorte que la conscience s'éteint, que l'esprit s'attache et que les perceptions s'émoussent. L'opium transforme l'être vivant en une créature de mort ; il détruit la chaleur naturelle. On ne saurait imaginer malheur plus grand que celui qu'inflige l'opium. Heureux ceux qui jamais n'en profèrent le nom ; alors, songez combien misérable est celui qui en fait usage !

Ainsi, faites un puissant effort afin que la pureté et la sainteté - qui sont, par-dessus tout, chéries par 'Abdu'l-Baha - distinguent le peuple de Baha ; que dans chaque genre de perfection, le peuple de Dieu surpasse tous les autres humains ; que, par leur aspect et dans leur être intime, ils s'avèrent supérieurs à tout le reste ; que, sur le plan de la pureté, du raffinement et de la préservation de la santé, ils soient des pionniers, à l'avant-garde de ceux qui savent et, par leur délivrance de toute forme d'esclavage, par leur connaissance, leur maîtrise de soi, qu'ils soient les premiers parmi les êtres purs, libres et sages. (n°6 Sél.'Abdu'l-Baha N 129)

Et pour finir, les écrits de Mirza Abu'l-Fadl sont les meilleures preuves qu'il était assisté par les pouvoirs et les confirmations de Baha'u'llah. Il n'est pas exagéré de prétendre qu'en dehors des Écrits saints et de ceux de Shoghi Effendi, le Gardien de la Foi, ses écrits sont les plus édifiants, les plus instructifs, les plus stimulants et les plus volumineux dans la littérature de la foi de Baha'u'llah. Il peut être décrit comme le plongeur le plus capable qui a plongé dans l'océan de la Révélation de Baha'u'llah et en a ressorti une quantité infinie de perles de l'eau la plus précieuse - vérités et mystères qui sont cachés dans les profondeurs - et a rempli les pages de ses nombreux livres de leurs vérités. Pratiquement tous les enseignants baha'is de l'Orient se sont servis de ses écrits comme base d'une étude plus approfondie de la religion en général, et les preuves de la foi de Baha'u'llah en particulier. Ses explications et abondantes citations des Saintes Écritures du passé, ainsi que les apologies qu'il a écrites en défense de la Foi ont servi aux érudits et écrivains d'Orient comme d'Occident.

C'est au-delà de la portée de ce livre d'énumérer le large choix de ses écrits et d'écrire leurs éloges. Il suffit de dire que déjà du point de vue littéraire ses écrits ont été acclamés par les critiques de l'époque comme étant superbes, tandis que leur contenu a, d'un côté, inspiré les amis et les personnes impartiales et, de l'autre, confondu et réduit au silence les ennemis. En vérité, l'une de ses grandes contributions à la promotion et à la protection de la foi de Baha'u'llah est son oeuvre immense pour défendre la Cause. Chaque fois que les ennemis s'opposaient ou donnaient une image inexacte de la Foi, sa plume était prête à la défendre avec une vigueur et une assurance qui confondaient les ennemis et fortifiaient les amis. Le livre Fara'id, plus de 800 pages, écrit sans révision ou amélioration de l'esquisse originale, et imprimé tel quel, en est le meilleur exemple.

En louange à ceux qui se levèrent pour défendre sa Foi, Baha'u'llah déclare:

Tout homme qui se lève pour défendre par ses écrits la cause de Dieu contre ses assaillants, recevra dans le monde à venir un si grand honneur que sa gloire sera enviée par l'Assemblée céleste, si petite soit sa participation. Il n'est pas de plume pour dépeindre l'élévation de son rang, pas de langue pour décrire sa splendeur. Car qui reste inébranlable dans cette sainte et sublime révélation recevra un tel pouvoir qu'il pourra résister à toutes les forces du ciel et de la terre. Dieu lui-même en témoigne. (n°8 Florilège des Écrits de Baha'u'llah 154, 1)


ANNEXE III: L'enterrement de la Plus-Pure-Branche et de la mère de 'Abdu'l-Baha

D'après un article de Madame Ruhiyyih Rabbani (n°1 paru dans The Baha'i World, vol. VIII, p.253-8)

Le jardin est dans l'obscurité. Le crépuscule recouvre le mont Carmel, et au-dessus de la baie d'Acre les voiles de la nuit s'épaississent. En contrebas des marches du portail, un groupe d'hommes attend, debout. Soudain le lieu s'anime, le jardinier court pour illuminer l'entrée et au milieu des rais de lumière blanche une procession apparaît. Un homme de noir vêtu soutient de son épaule le poids d'un cercueil. C'est le Gardien de la Cause, il porte les restes mortels de la Plus-Pure-Branche, le fils bien-aimé de Baha'u'llah. Lentement, lui et les autres porteurs gravissent le chemin étroit et s'approchent en silence de la maison qui est adjacente à l'endroit où repose la Plus-Sainte-Feuille. Devant eux, un serviteur dévoué se précipite avec un tapis et un candélabre empruntés aux Tombeaux sacrés et rapidement prépare la chambre. Le visage doux et fort du Gardien apparaît tandis qu'il franchit la porte, le précieux fardeau toujours sur son épaule. Le cercueil est déposé provisoirement dans une modeste pièce, faisant face à Bahji, la Qiblih de la Foi. À nouveau, menés par le Gardien, ces croyants dévoués retournent au portail et à nouveau remontent le chemin avec un autre fardeau sacré, le corps de l'épouse de Baha'u'llah, la mère du Maître.

Quelle vague de joie semble surgir de ces simples processions ! Une joie indéfinissable, avec une touche de profonde tendresse et de pathétique. Telle une grosse perle blanche, le temple marquant l'emplacement de la tombe de Bahiyyih Khanum luit à la lumière de ses projecteurs, semblant faire apparaître ce côté obscur de la montagne comme étant en feu, éclairant et veillant sur les restes mortels de ces deux personnages qui s'approchent de leur dernier lieu de repos.

Lorsque nous entrons, pour rendre hommage à ces deux personnages bien-aimés, révérés et depuis longtemps disparus, leur présence semble emplir la pièce. Après soixante-dix années d'attente, cette sainte mère repose, enfin réunie à son fils, sur lequel Baha'u'llah a écrit: "Il a été créé par la lumière de Baha". Ils reposent maintenant côte à côte, faisant face à Acre. Les douces vapeurs de l'essence de rose avec laquelle le Gardien les a oints emplissent la pièce. Au-dessus d'eux est accrochée la photo de la Plus-Sainte-Feuille, éclairée par les lumières vacillantes des chandelles en faction, ses yeux magnifiques, si pleins d'amour et de cette pureté qui est la bonté même, regardant sa mère et son frère. Que de raisons pour être joyeux et plein de reconnaissance !

Ce doux adolescent, né dans l'affliction, élevé en exil, mourut en prison, enterré solitaire et à la hâte ! Il repose maintenant ici, après que, de ses mains, le Gardien de la Foi de son père l'ait sorti de terre ; il a été retiré de l'isolation solitaire du cimetière arabe où il avait été enterré, il y a si longtemps, et placé à côté de son illustre soeur et de sa sainte mère, cette mère qui était appelée affectueusement Buyuk Khanum ou "Grande Dame". Mince, imposante, belle à regarder avec sa peau blanche et ses yeux bleus et ses cheveux noirs, celle qui avait été abandonnée par ses amis comme par ses ennemis lorsque Baha'u'llah fut jeté dans la prison de Téhéran, et qui dût acheter de la nourriture pour ses enfants en vendant les boutons d'or de ses robes, celle qui fut forcée de laisser derrière elle ce même fils, alors un petit enfant délicat de quatre ans, lorsqu'elle suivit Baha'u'llah en exil, celle dont les douces mains n'avaient pas l'habitude de travailler et qui saignaient lorsqu'elle lavait les vêtements de sa famille, qui resta patiente, fervente, sereine et dévouée jusqu'à la fin de sa vie et qui fut enterrée près d'Acre dans un cimetière loin de son fils, repose maintenant à tout jamais à côté de lui.

Lorsque nous méditons à côté de ces deux cercueils éloquents, recouverts de tissu, parsemés du jasmin provenant du seuil du Tombeau du Bab, la présence de leur esprit nous enveloppe tellement - ou est-ce peut-être leur mémoire comme lorsque la fragrance embaume l'air au fur et à mesure que flétrissent les fleurs - que même la chambre, où, pour un court instant, ils reposent, est elle-même emplie de la douce paix du tombeau.

Non seulement le Gardien les a inhumés dans les tombes qui leur reviennent, et les a mis là où le monde entier peut voir leur honneur et leur gloire, mais, d'une façon mystérieuse, il nous les a rendus. Il y a si longtemps qu'ils sont morts et à une époque où il y avait tellement de désarroi et d'oppression, et ils furent enterrés, si discrètement, que les lieux étaient décrits, du moins pour nous occidentaux, sur les pages d'histoire de notre Foi. Mais aujourd'hui, leurs lieux est dans nos coeurs. Le voile du temps et de l'obscurité nous séparant a été déchiré, et nous trouvons, pour notre joie et à notre surprise, deux personnages radieux et sacrés s'approchant de nous, entrant dans nos vies, et prêts à nous aider sur ce chemin qui mène vers leur Seigneur et le nôtre, Baha'u'llah...

Baha'u'llah avait demandé à son fils mourant s'il désirait vivre, mais ce dernier répliqua que son seul désir était que soient ouvertes les portes de la prison afin que les croyants puissent rendre visite à leur Seigneur. Baha'u'llah accorda à cet adolescent ce voeu sincère et s'asseya à côté de son plus jeune fils tandis qu'on le préparait pour la tombe et ce fut dans ces circonstances tragiques qu'il révéla ce qui suit: "En ce moment même, mon fils est lavé devant moi après que nous l'ayons sacrifié dans la Plus-Grande-Prison..." "Glorifié sois-tu, Ô Seigneur mon Dieu ! Tu me vois aux mains de mes ennemis et mon fils ensanglanté devant moi !" Des phrases, telles que celles-ci, serraient le coeur de la Beauté bénie tandis qu'il regardait son fils. Puis fracassantes vinrent ces paroles merveilleuses: "Ô Mon Seigneur, je t'ai offert ce que tu m'as donné, pour que tes serviteurs puissent être régénérés et que tous ceux qui habitent la terre soient unis." La formidable signification de ces mots est indéniable ; Baha'u'llah destine à son propre enfant le rôle d'offrande du sang pour que l'unité de tous les hommes qu'il a proclamée puisse être réalisée. Le sacrifice d'Isaac par Abraham est accompli.

Après que la Plus-Pure-Branche ait été enterrée rapidement et en secret, dans la pauvreté, sa douce mère, victime de tant de peines et de privations, fut profondément bouleversée et pleura sans cesse. En apprenant son état, Baha'u'llah vint la voir et l'assura qu'elle n'avait aucune raison de s'attrister car Dieu avait accepté ce fils précieux comme rançon non seulement pour attirer les croyants plus près de leur Seigneur mais aussi pour unifier tous les fils des hommes.

Après avoir entendu ces paroles, cette âme pleine de bonté fut pleinement réconfortée et cessa de porter le deuil de son immense perte.

Et qui était cette mère ? Non pas simplement une femme sainte et fidèle, désireuse de tout sacrifier dans le chemin de Dieu, mais celle dont Ésaïe dans son chapitre 54 dit *: "Car celui qui t'a faite, c'est ton époux: le SEIGNEUR, le tout-puissant, c'est son nom; le Saint d'Israël, c'est celui qui te rachète, il s'appelle le Dieu de toute la terre." "Quand les montagnes feraient un écart et que les collines seraient branlantes, mon amitié loin de toi jamais ne s'écartera et mon alliance de paix jamais ne sera branlante, dit celui qui te manifeste sa tendresse, le SEIGNEUR." **. Et celle pour qui Baha'u'llah a révélé ce qui suit: "Entends-moi à nouveau, Dieu est très content de toi... Il a fait de toi sa compagne dans chacun de ses mondes et il t'a nourrie de sa réunion et de sa présence, tant que dureront son nom et son souvenir et son royaume et son empire."

*[nota: l'autorité pour cette déclaration vient des paroles de 'Abdu'l-Baha lui-même dans "Tablets of 'Abdu'l-Baha"]
**[nota: TOB, Esaïe, 54.5 et 54.10]

Fugaces et inestimables sont les jours où cette mère et son fils furent allongés côte à côte dans cette petite pièce ! Avoir le privilège de s'approcher - dans cette étrange et pitoyable proximité que l'on ressent, d'un cercueil où reposent tous les restes mortels de ceux qui nous sont chers après que l'âme s'est envolée, un témoignage et un rappel de notre mortalité et immortalité communes - est quelque chose que l'on ne pourra jamais oublier. Des milliers de personnes liront ces prières et tablettes de Baha'u'llah et de 'Abdu'l-Baha les immortalisant pour toujours. Elles supplieront ces esprits radieux d'intercéder pour eux. Elles chercheront humblement à suivre leurs nobles traces. Mais cela ne sera jamais, du moins à ce qu'il me semble, aussi doux et touchant que de les voir allongés côte à côte sous l'oeil vigilant de Bahiyyih Khanum.

Pendant que l'on excavait la dure roche de la montagne pour préparer leur tombe, le Gardien apprit que les briseurs d'Alliance avaient élevé une protestation contre le droit des baha'is à retirer de leurs anciennes tombes la mère et le frère de 'Abdu'l-Baha afin de les mettre dans de nouvelles. En fait, ils avaient même eu la témérité de présenter au gouvernement leur soi-disant revendication en tant que parents des défunts. Cependant, dès que les autorités civiles eurent éclairci le véritable récit des faits - c'est-à-dire que ces mêmes parents avaient été les grands ennemis du Maître et de sa famille, qu'ils avaient laissé la véritable Cause de Baha'u'llah pour suivre leurs propres idées, et avaient été dénoncés par 'Abdu'l-Baha dans son Testament - ils approuvèrent le plan du Gardien et fournirent immédiatement les papiers nécessaires à l'exhumation des corps. Deux jours plus tard, sans prendre le risque d'attendre plus longtemps, Shoghi Effendi transporta lui-même la Plus-Pure-Branche et sa mère sur le mont Carmel où ils furent enterrés à nouveau près du tombeau de Bahiyyih Khanum, veillés par le dévouement affectueux des croyants, et protégés contre tous dangers d'affront ou dommage, auxquels ils pourraient s'attendre.

La dernière pierre est posée sur les deux caveaux, les sols sont pavés de marbre, les plaques portant leur nom et marquant l'emplacement de leur tête sont fixées, la terre est tassée, le chemin menant à leur dernier lieu de repos est tracé, mais l'orage et la pluie balayent sans cesse la crête de la montagne retardant les arrangements finaux jusqu'à ce que se lève, à la veille de Noël, un jour clair et radieux, comme un signe disant: voici le moment fixé. Au crépuscule, nous nous réunissons dans cette humble maison, deux fois bénie. Au commandement de son Gardien, nous entendons s'élever en prière la voix de l'un des croyants les plus âgés et les plus dévoués du Proche-Orient. Il prie d'une voix tremblante et faible et pourtant emplie d'une foi et d'un amour poignant, difficile à décrire, mais que l'on ne pourra jamais oublier. Tandis que les voix se suivent, l'une d'entre elles étant celle du Gardien lui-même, il semblait que l'on pouvait entendre le refrain de ces prières chanté, dans une allégresse triomphale, par une assemblée céleste invisible.

Et maintenant, ils sont à nouveau transportés sur l'épaule du Gardien, pour être exposés publiquement dans la tombe sacrée du Bab. Côte à côte, plus grands que les plus grands de ce monde, ils reposent à côté de ce seuil sacré, faisant face à Bahji, des chandelles sont allumées à la tête de leur cercueil et des fleurs déposées devant leurs pieds. C'est la veille de la naissance du Christ. Elle qui fut annoncée dans Esaïe et lui qui était le fils de celui dont Jésus a dit: "Lorsque viendra l'Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière" (TOB, Jean 16:13), passent ici en toute quiétude leur dernière nuit avant que la terre les cache à jamais aux yeux des hommes

Le crépuscule suivant, nous nous réunîmes à nouveau dans ce saint Tombeau. Le Gardien chanta la prière de souvenance, tout d'abord dans le tombeau du Bab, puis dans le tombeau du Maître. Les amis qui avaient eu le privilège de pouvoir faire le pèlerinage à Haïfa pour cette occasion sacrée pénétrèrent une deuxième fois dans le Tombeau du Bab avec le Gardien.

Lentement, portés en hauteur par les mains des fidèles, menés par Shoghi Effendi, qui ne quittait jamais son précieux fardeau, tout d'abord la mère de 'Abdu'l-Baha puis la Plus-Pure-Branche furent sortis de ce Lieu saint. Ils firent une fois le tour des Tombeaux, le cercueil du bien-aimé Mihdi soutenu par le Gardien, suivi de celui de la mère du Maître, passèrent lentement devant nous. Cette procession pleine de solennité défila autour du Tombeau, s'avança à travers le jardin éclairé, descendit le chemin blanc et traversa la route éclairée par la lune. Bien au-dessus de nos têtes, les cercueils allaient leur chemin, semblant flotter. Ils montèrent les marches et à nouveau s'engagèrent dans le portail menant vers la dernière demeure de Bahiyyih Khanum. Ils passèrent devant nous, leurs silhouettes se découpant sur la voûte céleste, sur leurs visages des nuages capricieux semblaient folâtrer avec la pleine lune. Ils s'approchèrent de nous, le visage du Gardien proche de cette inestimable charge qu'il soutient. Ils passèrent pour se diriger vers les caveaux prêts à les recevoir.

Et maintenant, ils déposent la Plus-Pure-Branche enfin au repos. Shoghi Effendi pénètre lui-même dans le caveau recouvert de tapis et doucement laisse glisser le cercueil dans son emplacement réservé. Il le recouvre lui-même de fleurs, sa main est la dernière à le caresser. Avec les mêmes gestes, le Gardien dépose la mère du Maître dans le caveau voisin. Ils reposent et ne sont espacés que de six mètres. À la lumière brillante des lampes, les visages silencieux des croyants forment un cercle en attente. Les maçons sont appelés pour sceller les tombes. Respectueusement et adroitement, ils accomplissent leur tâche. Les fleurs s'amoncellent sur les caveaux et le Gardien répand sur elles une fiole d'essence de rose. La brise s'empare de ce parfum envoûtant et en baigne nos visages. À ce moment-là, la voix de Shoghi Effendi s'élève chantant ces tablettes révélées de Baha'u'llah qu'il a destinées à être lues devant leurs tombeaux.

Je suis sûr que ceci est un rêve ! Ce ne peut être moi, debout ici, regardant ces nouvelles tombes, déposées dans le sein de l'ancien Carmel ! À mes pieds s'étire un horizon infini. De l'autre côté de la baie, luit la blancheur d'Acre. Cette ancienne ville prison où ces deux personnes furent pendant si longtemps captives, près de l'endroit où elles furent enterrées pendant quelque temps. Devant moi s'étalent les étendues de mer et de plaine, affleurant là où la lune argente de ses reflets les bords des montagnes de la Terre sainte, la terre des prophètes, la terre des bien-aimés de Dieu, la terre choisie pour être en ce jour des plus glorieuse, le siège de l'Arche de Dieu. Pour toujours et de plus en plus, les activités régénérantes de leur Foi se rassembleront autour de la dernière demeure de la mère, de la soeur et du frère de 'Abdu'l-Baha. Proches d'eux, concentrées autour de leurs tombeaux de grandes institutions s'élèveront pour fortifier l'âme et le corps de l'humanité. Et pour toujours la mémoire et l'exemple de ces trois saintes personnes resteront entremêlées avec ces institutions. Leur chemin est devenu notre chemin et ils nous mèneront de l'avant, à la tête des rangs des disciples de Baha'u'llah.

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