"N'avons-nous pas tous un seul
père ? N'est-ce pas un seul Dieu qui nous a créés ? Pourquoi donc sommes-nous
infidèles l'un envers l'autre, en profanant l'alliance de nos pères?"
(Malachie 2:10)
I. Remarque préliminaire sur le concept
"paradigme"
Paradigme (1) est compris ici dans le sens que
lui donne le physicien et théoricien américain des sciences Thomas S. Kuhn, dans
son livre paru en 1962 et intitulé The Structure of Scientific Revolution (2)
où les concepts "paradigme" et "changement de paradigme" occupent une place centrale.
Kuhn part de l'idée que la découverte scientifique est toujours délimitée par
un modèle de compréhension valable pour une certaine époque, à savoir précisément
le paradigme auquel sont soumis tous ceux qui participent au processus scientifique,
paradigme qui repose sur des bases scientifiques et préscientifiques qui sont
liées à leur époque historique. Il s'agit des constellations fondamentales que
sont les convictions et les valeurs partagées par une société déterminée, comme
par exemple la conception du monde ptolémaïque de l'Eglise médiévale qui était
le fondement de l'astronomie avant Galilée et qui, après avoir subi sa crise,
a été remplacée pas la conception héliocentrique.
Le concept s'est fait sa place et est aussi utilisé de nos jours en théologie.
Là, le paradigme est la vision fondamentale que l'on a de la religion ou de la
théologie, le modèle d'interprétation, le concept qui sert de cadre à la pensée
religieuse et de base à la compréhension de la diversité des modes d'expression
religieuse.
J'utilise le concept "paradigme de l'unité", pour désigner la nouvelle compréhension
du phénomène "religion", qu'apporte la révélation de Baha'u'llah, la nouvelle
vision du monde des réalisations religieuses, de l'histoire des religions, de
l'histoire du salut, vers laquelle les enseignements essentiels de Baha'u'llah
nous conduisent inévitablement.
II. Le nouveau paradigme: unité
Lorsque nous considérons les religions révélées, nous avons nettement l'impression
que chacune d'entre elles tourne autour d'une pensée centrale à laquelle toutes
les autres sont subordonnées. 'Abdu'l-Baha le confirme: "Dans chaque dispensation,
écrit-il, la lumière de la direction divine a convergé vers un thème central (3)."
C'est ainsi qu'on a, dans les faits, attribué aux religions mondiales des épithètes
distinctives; on a appelé le christianisme la "religion de l'amour", le judaïsme
la "religion de la justice", l'islam la "religion de la soumission inconditionnelle",
le bouddhisme la "religion du détachement", le parsisme (la religion de Zarathoustra)
la "religion de la pureté". Si l'on veut attribuer à la religion fondée par Baha'u'llah
un nom caractérisant son essence, il ne faut pas hésiter à l'appeler la "religion
de l'unité", car l'unité est son thème central, le point de départ de toute réflexion
théologique.
Cette idée se retrouve sur trois plans: celui de l'unité de Dieu, celui de l'unité
des prophètes, des "manifestations", et finalement celui de l'unité de l'humanité.
Shoghi Effendi l'a appelée le "pivot autour duquel gravitent tous les enseignements
de Baha'u'llah" (4). 'Abdu'l-Baha dit aussi:
"En cette merveilleuse révélation, en ce siècle radieux, le fondement de la foi
en Dieu et le caractère distinctif de sa Loi, c'est la conscience de l'unité du
genre humain (5)." Cela vaut pour l'aspect immanent
au monde, le programme qu'implique notre croyance: Baha'u'llah dit lui-même qu'il
est venu "pour vivifier le monde et pour établir l'unité sur la terre" (6).
Le pivot théologique est donc l'enseignement de l'unité des manifestations et,
en corrélation avec celui-ci, l'enseignement de l'unité des religions. Cet enseignement,
la quintessence de l'une des premières oeuvres les plus significatives de Baha'u'llah,
le Kitab-i-Iqan (7), nous donne une perspective
totalement nouvelle du panorama d'un monde multiforme de croyances, qui est l'objet
de cet exposé. C'est dans la conclusion que nous traiterons plus en détails de
ce nouveau concept de l'histoire du salut (Heilsgeschichte) qui nous conduit à
une appréciation nouvelle de la diversité religieuse et à une compréhension nouvelle
du phénomène "religion", au nouveau paradigme qui est empreint de la notion d'"unité".
III. La multiplicité des phénomènes religieux
L'aphorisme selon lequel l'étonnement est le début de la philosophie vaut aussi
pour la science des religions: c'est l'étonnement devant la variété incommensurable
des formes que revêt le monde religieux. L'histoire des religions ressemble à
un immense fleuve très large avec de nombreux affluents. Aussi loin que remonte
notre expérience historique, la religion a toujours existé. A des époques bien
déterminées, apparaissait, du fleuve coulant continûment et lentement, le personnage
d'un prophète qui, par une impulsion créatrice, faisait prendre une autre direction
à ce fleuve de l'histoire religieuse. Cette apparition était toujours liée à une
coupure dans une époque, une scission et une décision amenant l'humanité à se
détourner de la tradition fortement ancrée et à se tourner vers un nouvel avenir.
En conséquence, dans les grandes religions, elle était aussi immanquablement liée
à une nouvelle manière de calculer le temps, un changement d'époque s'exprimant
dans un nouveau calendrier.
Le fait que la religion se manifeste dans une diversité aux multiples facettes,
qu'il existe non pas une seule religion, mais une pluralité de religions, a toujours
contrarié les hommes. Les religions sont très semblables et pourtant tellement
dissemblables; elles ont beaucoup en commun et tant d'aspects les séparent. C'est
en effet irritant. Toutes les grandes religions enseignent qu'il n'existe qu'une
réalité ultime, qu'un seul Dieu. S'il en est ainsi, il ne peut donc y avoir, ainsi
devrait-on penser, qu'une seule vérité, et s'il n'existe qu'une seule vérité,
pourquoi la multiplicité des religions?
Pour le croyant, le fait qu'à côté de sa propre religion, qu'il considère comme
la seule vraie, il en existe d'autres a depuis toujours été un sujet de contrariété;
et pour les sceptiques incroyants, les critiques de la religion, le pluralisme
des religions a toujours été un argument bienvenu: la multiplicité de divers enseignements,
coutumes, rites et commandements, impliquant les revendications de la vérité et
l'exclusivité, semble justement aller à l'encontre de la religion: il ne peut
y en avoir qu'une seule qui est la bonne, mais comment la découvrir?
IV. Le caractère absolu des revendications
religieuses de la vérité
Il est évident que la religion implique toujours une revendication de la vérité:
ce qui n'est pas vrai ne mérite pas d'être cru. Les revendications de vérité des
religions révélées, en particulier en ce qui concerne les religions prophétiques
qui s'inscrivent dans la tradition sémite de l'Asie antérieure, à savoir le judaïsme,
le christianisme et l'islam, religions dont fait partie aussi la religion baha'ie,
sont absolues. Chacune de ces religions considère qu'elle possède un message divin,
que lui a transmis son fondateur et qui est pour elle "le chemin, la vérité et
la vie" (8), le "Sentier droit" (9).
Cette vérité à laquelle on croit tellement est, bien entendu, le critère selon
lequel on juge les autres religions.
L'adage "errare humanum est" vaut pour toute pensée humaine, toute recherche de
la vérité, toute philosophie. Dans Faust, il est écrit que "l'erreur tente l'humain,
haut d'aspirations" (10). La vérité qui vient
de Dieu est, par contre, absolue. On peut l'accepter ou la rejeter, mais une fois
acceptée, elle n'est plus à disposition. Elle est autoritaire, se soustrait à
la critique, ne peut pas être questionnée. On n'a pas le droit de la raccourcir
en la relativisant ni de chercher à l'ébranler. Ceci est parfaitement logique,
c'est en cela justement que se distingue la religion révélée de la philosophie,
qui relève d'une autre catégorie. En philosophie, je peux, du moment que je respecte
les lois de la logique, procéder de manière sélective et éclectique. Avec la révélation,
je n'en ai pas le droit. Dans le Kitab-i-Iqan, Baha'u'llah réprouve l'attitude
de ceux qui ne veulent accepter de la révélation que "ce qui s'accorde avec leurs
penchants et leur goût, tandis qu'ils rejettent entièrement tout ce qui leur est
contraire" (11). Le Coran dit de même: "Croirez-vous
donc à une partie de votre Livre, et en rejetterez-vous une autre? (12)"
Quand Shoghi Effendi dit que la vérité religieuse "n'est pas absolue, mais relative"
(13), il n'y a pas de contradiction, car il
ne se réfère pas à la vérité révélée et à sa revendication de validité par rapport
aux hommes, mais à la relativité historique de la révélation, à sa dépendance
du degré d'évolution, à la compréhension, à la capacité humaine de saisir les
choses, aux conditions particulières dans lesquelles la manifestation a chaque
fois eu lieu. Ce qui est aussi toujours relatif et non absolu c'est notre compréhension
de cette vérité qui se présente à nous en revendiquant sa validité de manière
absolue.
V. La révélation: un événement unique,
définitif et exclusif?(14)
De nos jours, les revendications pour posséder la vérité absolue sont suspectes.
Elles ont souvent été mal utilisées et ont eu des effets désastreux (15).
Dans l'histoire des religions, l'absolu n'a pas seulement été revendiqué pour
la parole révélée, la parole de Dieu, mais il l'a été aussi pour la compréhension
humaine de cette parole, pour l'interprétation théologique, jusqu'à l'établissement
de dogmes. Le fait de rendre absolues ces limites dogmatiques a conduit à en revendiquer
le caractère définitif et exclusif. La religion la plus touchée a été le christianisme
(16) dont les adeptes, pendant des siècles,
ne considèrent les autres religions que comme un tissu d'aberrations, d'erreurs,
de péchés et de malignité; les religions les moins touchées sont l'hindouisme
et le bouddhisme, qui octroient aussi aux autres religions le droit d'être des
voies menant à la réalité ultime.
"Une fois pour toutes" (17) - comme le veut
la formule de l'Eglise - Dieu s'est manifesté, "une fois pour toutes" le salut
est arrivé. A la revendication du caractère définitif du salut s'ajoute celle
de l'exclusivité. La revendication du caractère définitif vise le futur: il n'y
aura plus d'autre salut, Dieu a achevé la révélation. La revendication d'exclusivité,
quant à elle, est l'exclusion des revendications concurrentes concernant le salut:
le salut ne se trouve nulle part ailleurs (du moins pas dans la même plénitude).
1. La doctrine judaïque dit qu'après Moïse, le seul "que l'Eternel connaissait
face à face" (18), avec lequel il parlait
"bouche à bouche" (19), aucun autre prophète
ne naîtra. Sa loi est complète, et de ce fait ne peut ni n'a besoin d'être améliorée.
C'est pourquoi elle est valable tant que le monde existe. C'est pour cette raison
aussi que le neuvième des treize articles de foi du judaïsme cités par Moïse Maimonide
(20) dans son Mishne Torah (21)
est le suivant: "Je crois fermement que cette loi ne sera pas changée et que le
Créateur - loué soit Son Nom - ne donnera pas d'autre loi (22)."
Maimonide renvoie à la Thora, selon laquelle celle-ci est "une loi perpétuelle
parmi vos descendants" (23), à son commandement
explicite "Vous n'y ajouterez rien, et vous n'en retrancherez rien" (24)
et au verset "Il n'est pas dans le ciel" (25).
"Pas dans le ciel" signifie que "cet ordre a déjà été donné sur le Mont Sinaï"
(26), et qu'il n'est donc rien resté de la
Thora dans le ciel pour des révélations futures. Sur le Sinaï, Dieu a donc renoncé
une fois pour toutes à son pouvoir de législateur.
Il n'est pas donc pas surprenant que même le Messie attendu ne doive pas apporter
de nouvelle loi, mais soit soumis à la loi de Moïse. Son devoir sera de conduire
toute l'humanité vers le Sinaï. Le fait de fixer cette idée a conduit à prononcer
un verdict à l'égard des religions sur lesquelles la Thora ne sait rien, mais
surtout à l'égard du christianisme et de l'islam, dans les revendications desquels
on ne pouvait voir que des usurpations humaines (27).
La foi judaïque n'a cependant jamais été jusqu'à prétendre à l'exclusivité du
salut, c'est-à-dire à affirmer que seul l'homme appartenant au judaïsme pourrait
prendre part au salut. Tous les "dévots des peuples" - à savoir ceux qui respectent
les sept lois de Noé (28) - auront leur part
du salut (29). Même la mission messianique
du christianisme et de l'islam a été reconnue. Les deux penseurs les plus remarquables
du judaïsme médiéval, Jehuda Halevi et Maimonide, soulignent que ces religions
"ont la compétence pour préparer la venue du royaume de Dieu" et qu'elles ont
accompli la mission de "faire porter les paroles des Ecrits jusqu'aux confins
du monde" (30).
2. Se basant sur les versets du Nouveau Testament, interprétés dans le sens du
dogme d'une exclusivité à caractère définitif de la vérité, l'Eglise a prononcé,
dès les premiers temps, son jugement de damnation sur tous ceux qui n'en font
pas partie. Extra ecclesiam nulla salus, telle était la formule depuis Cyprien.
Cela signifie aussi qu'après le Christ il n'y a plus de révélation: extra ecclesiam
nullus propheta! La révélation était achevée pour toujours, car en Christ était
arrivée la plénitude du salut. De toutes les religions, c'est l'Eglise qui a revendiqué
de la manière la plus intransigeante un caractère définitif et l'exclusivité,
dans son expression dogmatique poussée à l'extrême. Cela était sans doute dû au
dogme de la Trinité formulé lors du Concile de Nicée, qui a détaché le Christ
de la chaîne des prophètes et des porteurs de salut et en a fait un Dieu (dans
sa deuxième personne). Cet événement, l'incarnation de Dieu sur terre, paraissait
être unique, ne pouvant être répété ni surpassé.
Le jugement de damnation émis à l'encontre de tous les juifs, païens, incroyants
et hérétiques a été défini lors du Concile oecuménique de Florence en 1442. Il
y est dit: "La sainte Eglise romaine ... croit fermement, reconnaît et annonce
que personne en dehors de l'Eglise catholique, ni païen ni juif ni incroyant ou
séparé de l'Eglise, n'aura part à la vie éternelle; au contraire il tombera dans
le feu éternel qui est préparé pour le diable et ses anges, si, avant sa mort,
il ne se rattache pas à elle, l'Eglise catholique" (31).
L'Eglise se considérait particulièrement provoquée par deux religions: par les
juifs, parce qu'ils avaient rejeté et crucifié le Christ, et par l'islam, qui
avait exprimé la revendication sacrilège d'une révélation de Dieu après le Christ.
De ce fait, la polémique chrétienne contre le prophète Muhammad et la religion
qu'il avait fondée a été dès le début des plus insultantes et des plus déchaînées.
Jean Damascènes (32) le désignait comme étant
un "prophète mensonger" (33) et l'islam comme
étant le "précurseur de l'Antéchrist" (34).
Dans La Divine Comédie de Dante, le prophète Muhammad apparaît comme un "seminator
di scandalo e di scisma", raison pour laquelle l'imam 'Ali et lui doivent expier
leurs fautes de manière épouvantable dans le neuvième enfer (35).
Lorsqu'en 1529 les Turcs étaient aux portes de Vienne le texte arabe du Coran
a été publié à Venise, le Pape l'avait fait brûler immédiatement après sa publication.
Dès lors, Venise a porté le nom de "putain des Turcs" (36).
D'autres déclarations très explicites se trouvent dans les préfaces de Theodor
Bibliander à la nouvelle édition, par Pierre le Vénérable, abbé de Cluny (37),
de la publication latine du Coran (38), et
à la première traduction allemande du Coran (39)
par les soins de M. David Friedrich Megerlin. Les deux éditeurs y justifient leurs
publications quelque peu dangereuses. Bibliander considère qu'il est indispensable
de "démasquer les impostures des hérétiques". L'enseignement de "Machumet", "qui
en 900 ans, s'est déjà emparé de la plus grande partie habitée du globe terrestre
et qui fait rage comme un mal cancéreux", ne doit pas être seulement "démenti
et rejeté", mais directement "étranglé et définitivement annihilé". Megerlin se
demande si la traduction allemande du Coran dont il a pris soin ne suscite pas
"du scandale et du désordre", "puisqu'on devrait plutôt brûler et bannir, et même
exterminer, ce livre mensonger représentant la négation du médiateur Jésus et
de la Trinité ainsi que la falsification des Ecrits sacrés". Le traducteur y révèle
que lui-même tient "le Machomed pour le plus grand Antéchrist et le Coran pour
le signe de l'Animal et du faux prophète". Megerlin pense que la traduction du
Coran entier est un bon moyen "de mieux connaître aussi bien l'Antéchrist Machomed
que son livre mensonger le Coran, et de demander à Dieu de mettre bientôt fin
à ce règne violent et à sa religion superstitieuse contenue dans le Coran" (40).
Cet exclusivisme du salut si péremptoire avait aussi pour adepte le grand mathématicien
et philosophe français des religions, Blaise Pascal (41),
chez qui nous trouvons des pensées d'une profondeur prodigieuse et à côté des
pensées d'une étroitesse d'esprit effrayante: "Dieu par Jésus-Christ (42)
... Dès lors, je refuse toutes les autres religions (43)
... Tout homme peut faire ce qu'a fait Mahomet; car il n'a point fait de miracles,
il n'a point été prédit; nul homme ne peut faire ce qu'a fait Jésus-Christ (44)."
Les Réformateurs aussi partageaient ce point de vue. Martin Luther écrit: "Là
où le Christ ne se trouve pas, il n'y a rien que de l'idolâtrie, des représentations
de Dieu fausses et idolâtres, que cela soit dans la loi de Moïse ou la loi du
Pape ou le Coran du Turc" (45). Dans son écrit
Vom Kriege wider die Türken (1529), nous lisons qu'il a lu "plusieurs extraits
du Coran de Mahomet" desquels il conclut que l'islam est "une foi rapiécée à partir
de la foi des juifs, des chrétiens et des païens". Muhammad serait un "destructeur
de notre Seigneur le Christ"; son "livre corrompu, ignominieux, désespéré, plein
de mensonges, de fables et toutes sortes d'horreurs" montrerait aux chrétiens
"l'immense nécessité de prier et qu'auparavant il fallait battre l'Allah du turc,
c'est-à-dire son dieu, le diable, et repousser son pouvoir et sa divinité" (46).
Calvin ne pensait pas autrement que Luther.
L'exclusivité polémique du concept évangélique de la révélation s'est maintenue
jusqu'à notre époque, même si, comme nous allons encore le voir, des voix bien
différentes se sont fait entendre. En 1936 encore, l'islam était désigné comme
un "monstre particulièrement dangereux échappé de l'enfer" dans le "Evangelisches
Missionsmagazin" (47). Rudolf Stählin maintient
fermement dans le dictionnaire Fischer-Lexikon de 1957 que: "C'est seulement en
Jésus-Christ que Dieu est vraiment manifeste Lui-même" (48).
Selon lui, dans les autres religions ne se manifestent que "la quête de Dieu par
l'homme et la tentative de celui-ci de procurer à sa quête la réalisation de soi"
(49), à savoir l'autorédemption de l'homme.
C'est le théologien suisse Karl Barth qui a formulé à nouveau à notre époque l'exclusivisme
du salut de la manière la plus violente et la plus inexorable. Selon lui, comme
selon toute la théologie dialectique qui a dominé l'après-guerre, les religions
ne sont que "l'oeuvre de l'homme" (50), "un
manque de foi" (51), "une protestation contre
la Révélation" (52), "l'expression concentrée
de l'incrédulité humaine" (53), "une fuite
devant Dieu vers une vénération pleine de foi d'un être également sublime" (54).
Barth parle des "prétendues religions" dans lesquelles il s'agit "d'une fausse
foi en de faux dieux" (55). Il n'hésite pas
à traiter les religions non chrétiennes de "religions du mensonge" (56)
et il ne se lasse pas de relever qu'il n'existe pas de point commun entre le Christ
et Belial, entre la lumière et l'obscurité, entre la vérité et le mensonge, qu'il
n'existe pas d'unité entre l'Evangile et la religion, qu'il n'existe une unité
des religions que dans le sens de la perdition (57).
3. L'islam aussi, qui comprend toute l'histoire du salut qui l'a précédé dans
la mesure où elle est attestée dans le Coran, et qui témoigne également de manifestations
dont les noms ne sont pas donnés (58), a seulement
vu de l'idolâtrie dans les religions de l'Extrême-Orient, le bouddhisme et l'hindouisme,
exception faite d'un personnage comme le Grand Moghol Akbar (59).
L'islam a, de même, prétendu avec une force implacable à une revendication du
caractère définitif de sa manifestation, parce que Muhammad est appelé dans le
Coran le "Sceau des Prophètes" (60). La doctrine
selon laquelle c'est avec Muhammad que se termine la révélation est un dogme de
l'islam orthodoxe auquel se soumettent les musulmans de toutes tendances. Pour
les musulmans aussi, la réalisation du salut total est atteinte avec Muhammad.
Les théologiens, philosophes et historiens du Moyen Age ont justifié cette revendication
du caractère définitif de la révélation en affirmant que l'évolution de la religion
était parvenue à sa fin avec l'islam, que l'islam était la religion définitive
et, comme le démontrait le contenu de ses enseignements, qu'il était également
la religion la plus adéquate, la plus complète (61).
Les penseurs islamiques modernes ne considèrent pas qu'une révélation nouvelle
soit nécessaire, parce que l'homme a atteint sa maturité avec l'islam et que la
direction qui lui est donnée dans le Coran correspond à ce stade (62).
Le porteur du salut de la fin des temps si attendu, que l'on associe au nom de
Mahdi ou Qa'im, n'est pas un prophète ou un messager de Dieu selon l'enseignement
islamique orthodoxe, mais un envoyé qui a pour tâche de rétablir l'islam, de contribuer
à faire respecter la valeur du Coran sur toute la planète, de soumettre le monde
entier à la loi du Coran "et de remplir le monde de justice" (63).
Il n'apportera pas de nouvelle loi divine.
Des parallèles s'imposent avec l'image du Messie qu'ont les juifs. Lorsqu'est
apparu le Bab, ce n'est pas seulement sa revendication d'être cette figure du
salut tant attendue de la fin des temps qui a provoqué un rejet violent, mais
surtout son affirmation selon laquelle il était le "Premier Point", donc une manifestation
de Dieu, apportant une nouvelle loi qui venait abroger la législation coranique,
la Sharicah. C'est cette revendication qui brisait les expectatives eschatologiques
de l'islam qui a suscité la haine effrénée des gardiens orthodoxes du Graal.
VI. L'intolérance pratique, conséquence
de l'intolérance dogmatique(64)
Ce point de vue de l'exclusivité et de la supériorité qui prétend toujours que
la religion que l'on a est de prime abord la meilleure, ce dogmatisme ergoteur
et borné qui se transforme toujours très vite en fanatisme et dont les racines
psychologiques sont à chercher parmi des attitudes erronées telles que l'orgueil,
la fierté, l'élévation de soi et l'envie inavouée, donc parmi des attitudes qui
sont réprouvées dans les religions comme étant des "péchés" et même des "péchés
mortels", cet aveuglement et cet éblouissement face à la foi, au sentiment et
à la réflexion d'autrui, dans la religion de qui on ne parvient à reconnaître
qu'incroyance (65), a toujours été la cause
principale de l'obscurcissement de la foi de Dieu, la cause de souffrances indicibles,
qui ont été infligées aux hommes au nom de la religion: persécutions, oppressions,
exil et meurtres collectifs. Cette représentation déformée de la religion par
les érudits de Dieu a conduit directement à ce que "la réprobation, le mépris,
la discorde et la haine s'élèvent entre les peuples": "Ils enjoignent à leurs
adeptes de croire que leur propre forme de religion est la seule qui plaise à
Dieu, que les fidèles des autres croyances sont condamnés par le Père - qui est
toujours amour - et qu'ils sont privés de Sa clémence et de Sa grâce (66)."
L'abîme de la haine n'est jamais si profond et celle-ci jamais si implacable,
l'envie n'est jamais si misérable et les guerres jamais si impitoyables et si
cruelles que lorsque leurs motifs se nourrissent des couches les plus profondes
de la conscience, de la croyance: "Jamais on ne fait le mal si pleinement et si
gaiement que quand on le fait par conscience", dit Pascal (67).
Les baptêmes forcés des juifs au Moyen Age, les croisades et les guerres "saintes",
les pogroms organisés contre les juifs, les expulsions et les exterminations des
juifs et des musulmans lors de la Reconquista espagnole, les guerres religieuses
en Europe à la suite de la Réformation jusqu'aux conflits actuels en Irlande du
Nord, au Pendjab et au Liban, où les atrocités les plus avilissantes sont commises
avec les devises de l'islam aux lèvres, et finalement les persécutions sanglantes
des baha'is en Iran orchestrées par un régime clérical obscurantiste qui, dans
son fanatisme, ne recule même pas devant l'utilisation du terrorisme d'Etat, tous
ces actes sont les conséquences des revendications de l'exclusivité et d'une intolérance
que, selon l'historien Toynbee, la majorité des représentants officiels de la
théologie et de l'Eglise chrétienne "considère comme une nécessité, un titre de
gloire de l'enseignement chrétien" (68): tantum
religio potuit suadere malorum! (69)
Selon 'Abdu'l-Baha, "le fanatisme et le zèle religieux irraisonné" sont "les principales
raisons pour lesquelles les adeptes des autres religions ont fui la foi de Dieu
et ne s'y sont pas convertis" (70). Le fanatisme,
perversion de l'une des plus nobles vertus, à savoir la fermeté dans la cause
de Dieu (71), est pire encore que l'hypocrisie
et la déformation la plus grave de la religion. Il est à ce titre stigmatisé de
façon impitoyable dans les Ecrits: "La haine et le fanatisme religieux sont un
feu dévorant dont nul ne saurait étouffer la violence. Seule, la main du pouvoir
divin peut délivrer l'humanité des ravages qu'il exerce (72)."
Ceux qui étaient responsables de cette ergoterie et de ce fanatisme étaient chaque
fois les membres du clergé, les "guides aveugles", comme les appelait le Christ
(73) et à qui il disait "vous fermez aux hommes
le royaume des cieux"; "n'y entrez point" et "n'y laissez point entrer ceux qui
voudraient y entrer" (74), "ceux que Dieu
a égarés au milieu de la science" (75), et
qui "repoussent les croyants du sentier de Dieu" (76),
comme il est mentionné dans le Kitab-i-Iqan. C'est à ceux qui "sont sortis du
chemin, par l'aberration de la science" (77)
et "marchent dans les vallées de l'orgueil et les déserts de la fierté et de l'éloignement
qu'il faut attribuer la cause de ces erreurs" (78):
"De tout temps, les prêtres ont tenu les peuples sous leur joug et les ont détournés
du rivage de la Mer de l'Unité, les uns par amour du pouvoir, les autres par ignorance.
C'est à cause d'eux que tous les Prophètes ont bu le 'Alice du sacrifice et se
sont envolés au plus haut horizon de gloire (79)."
Et cependant il y a des tentatives étonnantes de la part de théologiens de surmonter
l'illusion de l'exclusivité et le dogmatisme et de parvenir à une attitude plus
conciliante et compréhensive. Mais auparavant nous allons nous pencher sur l'attitude
que les religions ont eue envers la tradition qui les a précédées et qu'elles
ont trouvée à leur arrivée.
VII. L'attitude envers la tradition
Les religions ne naissent pas dans un vide religieux et culturel. Ni le judaïsme,
ni le bouddhisme, ni le christianisme, ni l'islam, ni la religion baha'ie ne sont
apparus par une creatio ex nihilo, comme des créations soudaines sortant du néant.
Toutes font partie d'un contexte bien déterminé. Chacune s'inscrit dans une tradition
avec laquelle son fondateur renoue. La religion de Moïse se rattache aux prophètes
Noé et Abraham, Jésus se réfère constamment aux Ecritures, au témoignage des prophètes
juifs, à ce qu'on appelle l'"Ancienne Alliance". Aux IIe et IIIe siècles déjà,
des théologiens chrétiens (80) ont intégré
toute l'histoire du salut qui avait précédé et avait été attestée par la Bible
dans laquelle ils voyaient une praeparatio evangelica. Suivant la doctrine du
lógos spermatikós ils ont même considéré les païens Platon, Aristote et Plotin
comme des "pédagogues" ayant préparé l'avènement du Christ. Et saint Augustin
a écrit: "Car la réalité même qu'on appelle maintenant la religion chrétienne
existait jadis, même chez les anciens; dès les origines, elle n'a pas fait défaut
au genre humain jusqu'à ce que vienne le Christ dans la chair; et c'est alors
que la vraie religion, qui existait déjà a commencé à prendre le nom de chrétienne
(81)."
Tout comme le judaïsme et le christianisme, l'islam a une compréhension typologique
de l'histoire du salut. Celle-ci est considérée comme une révélation continue
de Dieu à travers ses prophètes et ses messagers, d'Adam, Noé et Abraham en passant
par les prophètes juifs et Jésus: "Dites: Nous croyons en Dieu et à ce qui nous
a été envoyé d'en-haut, à Abraham et à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux douze tribus,
aux livres qui ont été donnés à Moïse et à Jésus, aux livres octroyés aux prophètes
par le Seigneur; nous ne faisons point de différence entre eux, et nous sommes
résignés à la volonté de Dieu (82)." Le Coran,
s'adressant aux juifs et aux chrétiens qui sont en désaccord les uns avec les
autres, mais qui se ferment à la nouvelle révélation, dit: "Nous avons assigné
à chacun de vous un code et une règle de conduite. Si Dieu l'avait voulu, il aurait
fait de vous tous un seul peuple; mais il a voulu éprouver votre fidélité à observer
ce qu'il vous a donné. Courez à l'envi les uns des autres vers les bonnes actions;
vous retournerez tous à Dieu; il éclaircira lui-même l'objet de vos différends
(83)." L'énumération de la chaîne des prophètes
précédents qui revient constamment dans le Coran ressemble - la métaphore vient
de la théorie musicale - à un basso ostinato, c'est-à-dire "le retour continuel
d'un thème avec des contrepoints variant sans cesse" (84).
Par ailleurs, l'histoire du salut est bien plus longue que les médiateurs du salut
énumérés dans le Coran ne pourraient le laisser paraître. En effet, dans le même
livre nous apprenons que Dieu a "envoyé des apôtres vers chaque peuple" et a appelé
tous les peuples à suivre le "Sentier droit" (85).
Fondamentalement, il n'existe, selon l'enseignement coranique, qu'une religion
indivisible, l'islam, que Dieu révèle continuellement aux hommes à travers ses
messagers et qu'il renouvelle constamment. C'est pourquoi ce concept n'y est pas
limité à la mission de Muhammad, mais employé de manière si générale que dans le
Coran même Noé (86), Abraham (87),
Jacob (88), Joseph (89),
Moïse (90) et les apôtres de Jésus (91)
apparaissent en tant que "musulmans", c'est-à-dire en tant que vrais croyants
qui se sont soumis à la volonté de Dieu. L'orientaliste Frederick M. Denny a présenté
le paradigme de l'histoire du salut contenu dans le Coran de la façon suivante:
"Ainsi Muhammad établit avec le passé un lien humain horizontal entre son peuple
et Abraham, tout en reliant verticalement ce même peuple, dans le présent, à Dieu.
Ceci est un véritable 'Heilsgeschichte' qui démontre qu'il existe une relation
continue entre Dieu et ses créatures, à travers les générations. Ainsi, Dieu apporte
toujours la même vérité et direction, mais les êtres humains les pervertissent
et s'égarent: 'mais s'ils s'en détournent, ce sont eux qui sont en dissension
(92)" (93).
C'est ainsi, et non comme le comprennent à tort beaucoup de musulmans dans le
sens d'une exclusivité du salut, qu'on doit comprendre aussi le verset facilement
captieux "La religion de Dieu est l'islam" (94).
Dans une telle perspective, la porte s'ouvre largement à la possibilité de considérer
avec amour les autres traditions religieuses qui peuvent être intégrées dans l'histoire
du salut non pas sous les formes concrètes qu'elles ont pu revêtir au cours de
l'histoire, mais du point de vue de leur essence originelle. C'est ainsi que pour
l'islam orthodoxe toute l'histoire prophétique antérieure est la praeparatio,
l'histoire du salut préparant la venue de Muhammad, avec qui elle s'est accomplie
et a atteint sa perfection. Les religions de l'Extrême-Orient n'ont toutefois
pas été intégrées dans l'histoire du salut, et, moins encore, d'autres traditions.
Déjà avec Zarathoustra, qui n'est pas expressément nommé dans le Coran (95),
les théologiens musulmans ont eu la tâche difficile.
Les religions prophétiques ont donc tout à fait considéré l'histoire du salut
des religions qui les ont précédées comme un processus en évolution vers une révélation
toujours plus riche de la vérité, mais seulement chacune d'elles a fait cesser
de manière irrévocable ce processus progressif de la révélation divine avec son
propre fondateur, obstruant ainsi l'horizon de l'avenir. Le fait que la promesse
du "retour du Christ" (96), de la "résurrection"
(97), de "la grande nouvelle" (98)
et du "jour de la décision" (99) soit liée
à une nouvelle descente de l'esprit divin n'est pas pris en considérations et
est déclaré comme impossible.
VIII. Les protagonistes de la tolérance,
du dialogue et de l'unité des religions
L'étroitesse et l'exclusion dogmatiques, l'engouement excessif pour sa propre
religion, pour la figure de son propre fondateur et la damnation de toutes les
autres revendications concurrentes du salut a été jusqu'à nos jours l'attitude
dominante dans le monde. La tolérance et la liberté religieuse n'ont pas été conquises
en Occident par l'Eglise, mais contre sa résistance acharnée. "Pas de liberté
pour l'erreur!" était la devise pour laquelle on luttait avec acharnement encore
lors du deuxième Concile du Vatican. Le fait que la liberté religieuse soit, de
nos jours, ancrée et assurée dans le droit constitutionnel de tous les Etats ayant
une constitution, nous le devons à la philosophie des Lumières. L'Eglise catholique
ne s'est déclarée en faveur de ce droit fondamental que lors du IIe Concile du
Vatican (100).
Et malgré cela, il y a toujours eu au sein de l'Eglise des esprits qui ont brisé
cette vision étroite et partiale et, à l'encontre de l'enseignement officiel,
ont recherché la compréhension et la tolérance. Au XIIe siècle déjà, Pierre le
Vénérable (101), qui avait fait connaissance
des musulmans en Espagne, a dénoncé le caractère exécrable des méfaits commis
à l'égard des musulmans pendant la première croisade et a réclamé que leur religion
soit étudiée à partir de ses sources et qu'on s'efforce de les convertir avec
un amour chrétien (102). La première traduction
du Coran en latin, commandée par ses soins, a été publiée avant la deuxième croisade,
en 1143 (103).
Nicolas de Cues (Cusanus) (104), cardinal
de l'Eglise catholique, qui était fortement influencé par la mystique de Maître
Eckart et aspirait à ce que la réconciliation se fasse partout, exprimait dans
son oeuvre De pace seu concordantia fidei, parue en 1453, la conception, sensationnelle
à son époque, selon laquelle il y aurait à la base de toutes les religions, malgré
toute la diversité de leurs rites, une religion commune (105).
En partant de ce point de vue, il est aussi arrivé à une appréciation plus compréhensive
du prophète Muhammad.
Le théologien évangélique Friedrich Schleiermacher (106)
s'est également arraché du dogmatisme officiel endurci, borné et arrogant. Dans
ses discours (107), il embrassait toute
la variété du monde des religions non chrétiennes et louait la grande unité de
toutes les religions: "Plus vous progressez dans la religion, plus le monde religieux
tout entier doit vous apparaître comme un tout indivisible (108)."
A partir d'un concept général de la religion, il définissait celle-ci comme étant
le "sentiment de la dépendance par excellence", une définition qui se rapproche
beaucoup du sens littéral du substantif islam.
Dans ce contexte, il faut aussi mentionner l'archevêque luthérien suédois Nathan
Söderblom (109), qui était également un
savant remarquable en science des religions et qui a déclaré sur son lit de mort:
"Dieu est vivant, je peux le prouver grâce à l'histoire des religions (110)."
Son oeuvre posthume est intitulée Dieu vivant dans l'Histoire (111).
Citons encore le théologien, très connu par son oeuvre Das Heilige (112),
rééditée maintes fois, Rudolf Otto (113)
qui a fondé en 1921 la "fédération religieuse de l'humanité" devenue, après la
guerre, membre du World Congress of Faith sous le nom de Fédération mondiale des
religions.
Ce qui montre à quel point la notion de l'unité des religions avait déjà marqué
l'esprit de l'époque à la fin du siècle passé, c'est le Parlement universel des
religions convoqué en 1893 lors de l'Exposition universelle à Chicago, pendant
la réunion duquel la religion de Baha'u'llah a été présentée pour la première
fois publiquement en Occident. C'est avec cet événement qu'a commencé l'ère moderne
des relations interreligieuses (114).
Des représentants du protestantisme comme Ernst Troeltsch et Friedrich Heiler
(115), le philosophe des religions Sarvapalli
Radhakrishnan et l'historien britannique Arnold Toynbee étaient également marqués
par cet esprit.
Heiler était un défenseur passionné de l'entente et de la collaboration entre
les religions. Eprouvant une profonde compassion pour l'"humanité déchirée" qui
avait "subi tant de catastrophes ... dont les nombreuses blessures continuaient
à saigner" (116), il avait mis sa vie au
service du dialogue entre les religions. Tout comme Rudolf Otto, il avait fait
la liste des nombreux parallèles entre le christianisme et les autres religions:
"Force est de constater qu'il n'existe dans le christianisme aucune représentation
religieuse, aucun enseignement dogmatique, aucune exigence éthique, aucune institution
ecclésiastique, aucune forme de culte ni d'acte de dévotion qui n'ait une multitude
d'équivalences dans les religions non chrétiennes (117)."
Il n'omet pas du tout les différences évidentes entre les religions, mais remarque
que "quelle que ce soit l'importance de ces différences, elles sont tout de même
dominées par un caractère commun ultime", elles montrent toutes "le chemin menant
l'homme vers Dieu" et "toujours aussi celui qui le conduit à son prochain" (118).
Les baha'is doivent être particulièrement reconnaissants à Friedrich Heiler pour
sa prise de position, lors des persécutions des baha'is en Turquie, dans un écrit
daté du 4 décembre 1961 dans lequel il soulignait avec insistance que la religion
baha'ie n'était pas une secte, en particulier pas une secte de l'islam, mais une
religion universelle "valant tout à fait" (119)
l'hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, l'islam et le christianisme.
Sarvapalli Radhakrishnan, l'un des représentants les plus érudits de la science
des religions, professeur à Oxford, ambassadeur à Moscou et finalement président
de la République de l'Inde, reconnaissait que rien ne contribuait plus à la paix
dans le monde que le fait de surmonter les revendications dogmatiques de l'exclusivité,
la compréhension fraternelle entre les religions et le fait de reconnaître une
unité mystique cachée des religions. Il était convaincu que toutes les religions
sont des voies menant à l'Unique Eternel, qui s'était manifesté aux croyants sous
divers noms et aspects. Derrière les rites, les dogmes et un symbolisme nécessairement
inadéquat, il voyait une religion de l'esprit de laquelle pourrait naître un renouvellement
de la croyance en Dieu (120).
Arnold Toynbee, qui n'était ni théologien ni spécialiste des religions, mais un
historien de tradition chrétienne, considère avec insistance que "toutes les religions
supérieures vivantes devraient mettre la sourdine à leurs rivalités traditionnelles,
et chercher de nouvelles voies de rapprochement mutuel pour affronter ensemble
leur terrible et commun adversaire: l'idolâtrie renaissante de la puissance humaine
collective" (121). Il considère que la base
commune de toutes les religions réside "dans leur attitude devant le mal" (122),
leur "attitude vis-à-vis du problème de la souffrance" (123),
leur conviction "que la vraie fin de l'homme est de se mettre en harmonie" avec
Dieu, "la réalité absolue" (124), et qu'en
comparaison avec cette base commune, ce qui "sépare et oppose" les religions "semble
secondaire" (125). Cela implique "l'abandon
d'une attitude traditionnelle d'hostilité et de rivalité vis-à-vis des peuples
dont les convictions diffèrent des nôtres" (126).
Toynbee, qui pense que "le temple baha'i ... pourrait bien être, d'une certaine
façon, un présage de l'avenir" (127), estime
que "si Dieu aime l'humanité" (128), "il
semblerait tout aussi invraisemblable que Dieu n'ait pas fait d'autres révélations
à d'autres peuples" (129). Il pense que
les chrétiens devraient admettre que les autres religions "proviennent de Dieu"
et que "chacune présente quelque facette de la vérité de Dieu" (130):
"Nous reconnaîtrons néanmoins qu'elles sont, elles aussi, de la lumière et rayonnent
de la source d'où notre propre religion reçoit sa lumière spirituelle (131)."
Toynbee veut souligner "l'idée la plus importante" à savoir, "qu'on peut avoir
des convictions sans tomber dans le fanatisme... qu'on peut croire et agir sans
devenir arrogant, ni égocentrique, ni orgueilleux" (132).
Il cite le mot du préfet de Rome Quintus Aurelius Symmaque, formulé dans une déclaration
à l'évêque saint Ambroise de Milan (133),
lorsqu'il se prononça en faveur de la conservation d'un autel béni par Auguste
dans la salle du Sénat romain: "Il est impossible qu'un si grand mystère ne puisse
être approché que par une seule voie (134)."
Le deuxième Concile du Vatican a fait prendre à l'Eglise catholique une nouvelle
orientation qui a indubitablement marqué son époque. Dans les "Déclarations de
Vatican II sur la liberté religieuse et les religions non-chrétiennes", il est
concédé qu'on "trouve dans les différents peuples une certaine sensibilité à cette
force cachée..., parfois même une reconnaissance de la Divinité Suprême" (135),
que les autres religions, comme par exemple l'hindouisme ou le bouddhisme, "apportent
souvent un rayon de la Vérité qui illumine tous les hommes" (136).
Cependant, il y est également maintenu que "les hommes" ne "doivent trouver la
plénitude de la vie religieuse" (137) qu'en
Jésus-Christ, "qui est 'la voie, la vérité et la vie' (Jn 14:6)" (138).
Les musulmans y sont regardés "avec estime", parce qu'ils "adorent le Dieu Un,
vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissant, créateur du ciel et de
la terre, qui a parlé aux hommes" (139)
et parce qu'ils s'y sont soumis. Le plus significatif de tout est l'exhortation
à la sagesse et à la charité, au dialogue et à la collaboration "avec ceux qui
suivent d'autres religions" (140), l'exhortation
"à oublier le passé et à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi
qu'à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale,
les valeurs morales, la paix et la liberté" (141).
Le fait que l'humanité est en train de se souder en une société mondiale, la mobilité
des hommes grâce à la technique, les grandes migrations provoquées par les guerres
civiles, les persécutions et la misère dans beaucoup de parties du monde ont effacé
de plus en plus les frontières entre les religions et confronté celles-ci à la
nécessité d'entamer un dialogue. Un dialogue implique qu'il faut essayer de "comprendre
une autre tradition selon son libre arbitre et son cadre conceptuel propre. Cela
signifie inéluctablement de mettre consciemment fin aux descriptions fausses et
à l'altération de la position que soutient le partenaire du dialogue". Un tel
dialogue implique aussi qu'on s'abstient de faire une "comparaison contrariante"
entre ses "propres idéaux et les accomplissements pratiques d'autrui" (142).
C'est à partir de la reconnaissance de ces idées que le Conseil oecuménique des
Eglises a voté en 1977 des Directives en faveur du dialogue avec les hommes de
religions et d'idéologies différentes (143),
dans lesquelles il recommande un dialogue basé sur l'"esprit de réconciliation"
au lieu de la confrontation. Selon ces directives, un tel dialogue ne doit pas
être basé sur l'esprit de "triomphalisme" et de "condescendance" (144),
sur un "militantisme chrétien agressif" (145).
Les chrétiens sont invités à ne pas "enfermer Dieu dans les dimensions de notre
compréhension humaine" (146), mais à s'efforcer
d'"être sincères dans l'amour" (147), à
s'appuyer sur "la conception propre" des religions respectives au lieu des "préjugés"
et des "clichés" (148), à "ne pas dénaturer"
les autres religions (149) et à voir dans
le dialogue une voie appropriée à l'accomplissement du commandement: "Tu ne dois
pas faire de faux témoignage contre ton prochain (150)."
Cet appel au dialogue "dans la repentance, l'humilité et la sincérité" (151),
qui rend possible "une rencontre véritable" des hommes de différentes religions
(152), constitue très certainement une nouvelle
page du livre de l'histoire des rapports avec les croyants d'autres religions.
Assurément, on trouve encore occasionnellement une brèche béante entre ces idéaux
et ces buts et la réalité (153).
Le champion le plus remarquable de notre époque du dépassement de l'isolement
et du retranchement dogmatiques est le théologien catholique de renommée internationale
enseignant à l'Université Tübingen, Hans Küng. Bien qu'il soit contesté au sein
de sa propre Eglise - on lui a retiré la missio canonica -, il a mis toute sa
personne au service d'un dialogue interreligieux. Dans un monde soudé, où les
anciennes frontières entre les religions s'effacent de plus en plus et où de nombreux
croyants d'autres religions vivent parmi nous, il prône le dialogue des religions
mondiales. Selon Küng, "pour la première fois dans l'histoire du monde, nous assistons
à la lente émergence d'une conscience oecuménique globale" et "aux débuts d'un
dialogue sérieux... des religions" (154):
"L'oikoumenê ne doit pas se réduire à la communauté des Eglises chrétiennes, elle
doit inclure la communauté des grandes religions - étymologiquement l'oikoumenê
c'est toute la 'terre habitée' (155)."
Küng a reconnu que ce dialogue des religions en cette fin du deuxième millénaire
est, pour la première fois dans l'histoire, une revendication politique mondiale
impérieuse, parce que la paix mondiale en dépend: "Pas de paix entre les peuples
de la terre sans paix entre les religions du monde! (156)"
Il exige des religions et de l'Eglise, comme il dit, "rien d'humainement impossible",
mais seulement de "vivre conformément à leurs propres programmes et orientations
fondamentales de vie, de ne pas seulement diriger leurs appels à la paix vers
l'extérieur, mais aussi vers l'intérieur", d'agir dans le sens "des actes de réconciliation"
en "entreprenant au moins d'éliminer les conflits dont ils sont eux-mêmes la cause
ou qui leur doivent pour une part leur force explosive" (157).
Il se réfère là à leurs revendications à caractère définitif et à l'exclusivité.
Küng ne s'est pas contenté d'appels, mais il s'est véritablement penché de manière
remarquable sur les religions mondiales. En relativisant et en révisant ses propres
positions dogmatiques, il va à la rencontre du monde des croyances étrangères
avec une ouverture d'esprit et une compréhension dont on n'aurait jamais jusqu'à
présent cru capable un théologien chrétien. Pendant le semestre d'été 1982, il
a donné à l'Université de Tübingen, dans le cadre du Studium generale et en collaboration
avec d'autres spécialistes, une série de cours sur l'islam, l'hindouisme, le bouddhisme
et le christianisme, cours dont le contenu a été publié en 1984 dans son oeuvre
Le christianisme et les religions du monde (158).
Les conclusions auxquelles il parvient sont étonnantes: il reconnaît que Muhammad
est un prophète de Dieu et le Coran la parole de Dieu (159).
Il a formulé les convergences entre le christianisme et l'islam sans passer sous
silence les divergences qui demeurent. Son jugement: "En tant que chrétien, je
peux être convaincu que, si j'ai choisi ce Jésus comme le Christ, pour ma vie
et pour ma mort, j'ai aussi choisi celui qui est venu après lui, Muhammad, dans
la mesure où il se réclame du seul et même Dieu et de Jésus (160)."
Küng a aussi été l'initiateur du congrès Pas de paix mondiale sans paix religieuse
organisé en février 1989 par l'Institut Goethe à Paris, au cours duquel des représentants
scientifiques des grandes religions ont discuté des contributions que peuvent
apporter les religions mondiales à la réalisation des droits de l'homme et de
la paix mondiale (161).
Notes
(1) Grec: exemple, modèle.
(2) Edition française: La structure des révolutions scientifiques,
Paris, Flammarion, 1972.
(3) Cité dans Shoghi Effendi: Appel aux Nations, p. 18.
(4) Appel aux Nations, p. 26.
(5) Ibid., p.18.
(6) Law-i-Ra'is, cité d'après Esslemont, Baha'u'llah et l'ère
nouvelle, p. 199.
(7) Le Livre de la Certitude, Paris, 1973.
(8) Jean 14:6.
(9) A-irau'l mustaqim, Coran 1:6; 4:68; 5:16; 37:118; Tablettes
4:8; 5:17; 6:11; 8:3; entre autres .
(10) Prologue dans le Ciel, Le Seigneur.
(11) P. 94.
(12) 2:79.
(13) Die Weltordnung Baha'u'llahs, p. 91.
(14) Voir également Fazel, Seena/Fananapazir, Khazeh, "A Baha'i
Approach to the Claim of Exclusivity and Uniqueness in Christianity", dans: La
Revue des Etudes Baha'ies, tome 3 no 2, p. 15 sqq., Ottawa, 1990, 1991.
(15) Cela vaut aussi surtout dans les cas où on a fait de la
connaissance humaine un absolu et où elle est devenue une idéologie, un succédané
de la religion, comme par exemple dans le cas du national-socialisme et du bolchevisme.
(16) Hans Küng parle de la "manie de définir", qui donnait déjà
le ton dans les débuts du, et qui voulait "dogmatiser", c'est-à dire décréter
sous forme de lois, si possible tous les éléments de la foi, une tendance qui
est étrangère au judaïsme et à l'islam. Küng y voit une spécialité gréco-romaine.
Son aspect grec est celui de "l'intellectualisation de la foi, qui trouve son
expression dans la dogmatisation et qui aboutit souvent à des spéculations abstruses
et à une mystique stérile du concept". Son aspect romain est "ce traditionalisme,
ce juridisme et ce triomphalisme qui transparaissent précisément toujours dans
les définitions" (Le christianisme, p. 167/168). Ce besoin fatal de définir a
été le motif de la dispute dogmatique incessante et des innombrables scissions
au sein de l'Eglise. A elles seules les querelles christologiques ont mené à de
nombreux schismes de l'Eglise (Lexikon für Theologie und Kirche 7:1288). Le Grand
Schisme, la chute de l'Eglise orientale en 1054, a été provoqué principalement
par les subtilités concernant le dogme de la Trinité, en fait par la question
de savoir si le Saint-Esprit provient de Dieu ou, comme le prétend l'Eglise occidentale,
aussi du Fils, si l'Eglise occidentale a eu raison d'introduire le filioque dans
le Symbolum Nicaeense ("a patre filioque procedens"; voir également Lexikon für
Theologie und Kirche 4:126 sqq.; 5:108 sqq.). Contrairement à la tendance du christianisme,
dans l'islam (tout comme dans le judaïsme) les définitions se limitent à la sphère
juridique: on s'y intéresse à l'orthopraxie au lieu de l'orthodoxie.
(17) Gerhard Rosenkranz, Die Baha'i, p. 59.
(18) Deut. 34:10.
(19) Nom. 12:8.
(20) 1135 - 1204.
(21) Répétition de la loi.
(22) Cité d'après M. Friedländer, Die jüdische Religion, p.
111.
(23) Voir Ex. 28:43; Lev. 6:15; 7:34; 10:9, 15; 16:31; 17:7.
(24) Deut. 12:32.
(25) Deut. 30:12.
(26) Talmud, Bawa mezia 59a/59b.
(27) "La mission des prophètes qui viennent après Moïse est
d'exhorter le peuple à obéir à la loi de Moïse, et non de créer une nouvelle religion"
(Maimonide, cité d'après M. Friedländer, Die jüdische Religion, p. 170). Le rabbin
Abraham ben David a rejeté le message divin revendiqué par Jésus et Muhammad: "Jésus
et Muhammad ont reconnu le caractère divin de l'Ancienne Alliance ou de la Thora;
nous n'avons pas besoin de le démontrer. Mais nous ne reconnaissons pas l'autorité
divine dont ils prétendent être investis pour supprimer ou modifier la Thora:
cette autorité doit être prouvée; et comme aucune preuve n'en a été donnée, elle
doit être rejetée" (cité d'après M. Friedländer, op. cit., p. 171).
(28) Celles-ci sont constituées de six interdictions et d'un
commandement. Les interdictions concernent le blasphème et l'idolâtrie, l'inceste,
le meurtre, le vol et la consommation d'un des membres d'un être vivant (Gen.
9 sq.). A ce sujet: Hermann Cohen, Religion der Vernunft, p. 142.
(29) H. Cohen, op. cit., p. 141 sqq., p. 382 sqq.
(30) Cité d'après Leo Baeck, Das Wesen des Judentums, p. 27
sqq.
(31) Denzinger, Enchiridion, no 714.
(32) Décédé vers 750.
(33) Cette insulte a encore été avancée en 1966, donc à l'époque
post-conciliaire, par le théologien catholique A. Spindeler (Katholische Glaubenskorrespondenz,
publiée par l'Ordinariat épiscopal de Hildesheim, Heft 1).
(34) Cité d'après Gerhard Rosenkranz, Der christliche Glaube,
p.151/152.
(35) "Et tous les autres que tu vois ici furent de leur vivant
semeurs de scandale et de schisme" (L'Enfer, chant XXVIII:34-35).
(36) Cité d'après Hans Küng, Le christianisme, p. 42.
(37) Décédé en 1156.
(38) Bâle, 1543.
(39) Francfort, 1772. Les deux préfaces sont publiées par Claus
Schedl dans l'appendice de son oeuvre Muhammad und Jesus.
(40) Cité d'après Schedl, p. 570.
(41) 1623 - 1662.
(42) Pensées 547.
(43) Pensées 737.
(44) Pensées 600.
(45) Vorlesung über den Galaterbrief (1531), Werke, Weimarer
Ausgabe, vol. 40,1, p. 608, (4,8) (Commentaire de l'Epître aux Galates Oeuvres,
vol. 15, 1re partie; vol. 16, 2e partie), Paris, Labor et Fides, 2e éd. corr.,
1969, 1972.
(46) Vom Krieg wider die Türken, Werke, Weimarer Ausgabe 30,2
p. 107-148.
(47) P. 375.
(48) Christliche Religion, p. 231.
(49) Op. cit.
(50) Der Römerbrief, p. 83.
(51) Kirchliche Dogmatik I,2, pp. 357/358.
(52) Il s'agit ici de la révélation chrétienne, I,2, p. 330.
(53) Kirchliche Dogmatik, I,2, p. 330.
(54) Op. cit., IV,2, p. 456.
(55) Op. cit., IV,3,2, p. 1003 sq.
(56) Op. cit., I,2, p. 377.
(57) Op. cit., I,2, p. 356 sq.
(58) Coran 4:162.
(59) 1542-1605. Voir également note 186.stimmt!
(60) 33:40. D'autres versets du Coran semblent également parler
en sa faveur: "Aujourd'hui j'ai mis le sceau à votre religion" (5:5); "Quiconque
désire un autre culte que la résignation à Dieu (Islam), ce culte ne sera point
reçu de lui, et il sera dans l'autre monde du nombre des malheureux" (3:79); "La
religion de Dieu est l'islam" (3:17); "c'est lui qui a envoyé son apôtre avec
la direction et la vraie religion, pour l'élever au-dessus de toutes les autres"
(9:33). Ces passages des Ecrits peuvent néanmoins être facilement compris d'une
autre manière que dans le sens du dogme du caractère définitif de la révélation
(voir à ce sujet: Maudoudi, Comprendre l'islam, p. 79 sq.). Il faut considérer
en premier lieu le fait que le Coran emploie deux concepts: rasul: le messager,
l'envoyé, et nabi: le prophète. Les rasul sont les fondateurs des grandes religions,
les messagers de Dieu que Baha'u'llah appelle les uhur, les manifestations. Les
nabi sont ceux qui prédisent l'avenir. Muhammad était, comme les manifestations
avant lui, à la fois un rasul et un nabi. Dans le verset 33:38 du Coran, les deux
concepts sont employés: "Muhammad ... est l'envoyé de Dieu et le sceau des prophètes"
(Khatamu'n nabiyyin). De ce verset on ne peut pas conclure que la révélation est
scellée, qu'aucun autre messager de Dieu ne va apparaître, mais que le cycle prophétique
(le cycle universel qui a commencé avec Adam; voir chap. XI,9) qui a préparé et
annoncé la venue du "royaume de Dieu sur Terre" est achevé avec la révélation
de Muhammad. De ce fait, le Bab a révélé que: "lorsque Dieu envoya son prophète
Muhammad, il savait qu'il préordonnait ce jour-là la fin du cycle prophétique"
(Sélections 6:11:5). Sur ce sujet voir: Seena Fazel/Khazeh Fananapazir, A Baha'i
Approach to the Claim of Finality in Islam (manuscrit encore inédit). L'idée selon
laquelle la fin, l'"accomplissement" de la religion, dont parle le Coran (5:3)
et exprimée par les mots: "j'ai mis le sceau à votre religion" (5:5), devrait
être comprise dans le sens de l'achèvement de la révélation, n'est ni concluante
ni pertinente. L'"accomplissement" se réfère à la mission de Muhammad. Les autres
versets s'expliquent facilement grâce à la terminologie coranique: l'islam n'est
justement pas seulement la révélation de Muhammad, mais la religion indivisible
de Dieu révélée par les prophètes qui se sont suivis (voir chap. VII). En effet,
la revendication des juifs selon laquelle toute la révélation s'est achevée au
Sinaï est clairement rejetée dans le Coran (5:69).
(61) C'est ce qu'affirme aussi Maudoudi (Comprendre l'islam,
p. 77 sqq.), qui s'efforce au long de cinq pages de son livre de justifier raisonnablement
ce dogme. Son argumentation montre combien faible est le fondement de "la finalité
de l'apostolat".
(62) Voir Fazlur Rahman, Major Themes of the Qur'an, p. 81.
Rahman voit bien sûr que l'homme moderne est affligé d'une "confusion morale"
et que sa conscience morale ne suit pas son progrès scientifique. Comme l'homme
a aussi besoin de la direction divine, il ne peut trouver cette direction que
directement dans des livres divins, mais surtout dans le Coran, et sans être transmise
par des autorités humaines. Rahman considère que le caractère définitif de la
mission de Muhammad est confirmée aussi par l'histoire, parce que, selon ce qu'il
croit, aucune autre religion mondiale n'est née depuis l'islam: "Ce n'est pas
qu'il n'y ait pas eu de prétendant, mais il n'y a pas eu de prétendant qui ait
eu du succès" (p. 81).
(63) Shorter Encyclopaedia of Islam (1961), "al-mahdi", p. 312.
(64) Voir: Seena Fazel/Khazeh Fananapazir, "A Baha'i Approach
to the Claim of Exclusivity and Uniqueness in Christianity", dans: Revue des Etudes
Baha'ies, vol. 3 cahier 2, p. 15 sqq.
(65) Voir Gerhard Schweizer, Ungläubig sind die anderen. Weltreligionen
zwischen Toleranz und Fanatismus, Stuttgart, 1990.
(66) Causeries, p. 62.
(67) Pensées 895.
(68) Cité d'après Fr. Heiler, "Die Religionsgeschichte als Wegbereiterin
für die Zusammenarbeit der Religionen", 44.
(69) Lucrèce (97-55 avant J.-C.), De la nature I, 101 (Tant
la religion put conseiller de crimes [voir. à ce sujet Emmanuel Kant, La religion
dans les limites de la simple raison, no 195-197]).
(70) Le Secret de la Civilisation Divine, p. 76.
(71) Extraits 134:1; 161:1; 66:11; Les Paroles Cachées, arab.
48.
(72) Extraits 132:2.
(73) Mat. 23:16, 19, 24.
(74) Mat. 23:13-14.
(75) Coran 45:22.
(76) Coran 3:99.
(77) Kitab-i-Iqan, p. 118.
(78) Ibid., p. 10; voir aussi pp. 11, 17-20, 46, 94-95.
(79) Ibid., p. 10.
(80) Justin, Clément d'Alexandrie, Origène.
(81) Révisions I:13,3.
(82) Coran 2:130.
(83) 5:52-53.
(84) Hugo Riemann, Musiklexikon, mot clé "Ostinato".
(85) 36:62.
(86) 10:73.
(87) 3:60.
(88) 2:126-127.
(89) 12:102.
(90) 10:84; 7:122.
(91) 5:111.
(92) Coran 2:131.
(93) "Ethics and the Qur'an: Community and World View", dans:
Hovannisian, p. 110.
(94) Coran 3:17.
(95) Dans une lettre, qui n'a pas encore été traduite du persan,
cAbdu'l-Baha, en réponse à la question de savoir pourquoi Zarathoustra n'est pas
nommé dans le Coran, renvoie aux versets 25:40 et 50:12 qui disent: "... les habitants
de Rass" et il explique que "Ras" est l'Aras (Araxes) et que ces passages se réfèrent
à Zarathoustra (voir Marzieh Gail, Six Lessons on Islam, ch. III).
(96) Mat., 24 ff, ou II Pierre, 3:10, 13; Rév. 16:15; 3:3.
(97) Yaum al-qiyamah; voir Coran 2:79,107,169; 3:71; 16:95;
22:17; 29:12,24; 32:25; 39:67; 45:25; 75:6 entre autres.
(98) an-naba' al -cazim (Coran 78:2).
(99) Yaum al-fal, Coran 78:17; 37:21; 44:40; 77:13 (fal signifie
aussi séparation, isolement et comptes).
(100) Déclarations de Vatican II sur la liberté religieuse
et les religions non chrétiennes.
(101) Voir note 37.stimmt!
(102) Rosenkranz, Der christliche Glaube, p. 151.
(103) Dans sa lettre à Bernard de Clairvaux, avec laquelle
il envoie la nouvelle traduction du Coran, il désigne l'islam, par conviction
ou par prudence, comme une "méchante hérésie fatale de Machumet", une "erreur
dépassant toutes les erreurs", le "rebut de toutes les hérésies dans lequel se
rejoignent tous les restes de toutes les sectes diaboliques qui sont apparues
depuis la venue du Rédempteur" et il déplore que "presque la moitié du globe terrestre
soit infestée par cette peste mortelle" (cité d'après Claus Schedl, Muhammad und
Jesus, qui a traduit et publié la lettre dans l'appendice de son livre [p. 567]).
(104) 1401-1464.
(105) La Paix de la Foi (Extraits), dans: Oeuvres choisies
de Nicolas de Cues, Paris, Aubier, 1942, chap. 1 (p. 418).
(106) 1768 -1834.
(107) Discours sur la Religion. A ceux de ses contempteurs
qui sont des Esprits cultivés, 1789.
(108) 41e discours (188), p. 241.
(109) 1866-1931 .
(110) Cité d'après Friedrich Heiler, "Einheit und Zusammenarbeit
der Religionen", p. 3.
(111) Paris, Librairie Fischbacher, 1937.
(112) Edition française: Le Sacré. L'élément non-rationnel
dans l'idée du divin et sa relation avec le rationnel, Paris, Payot, sans date.
(113) 1869-1937.
(114) Voir Willard Oxtoby, Offenes Christentum, p. 77 sq.,
édition anglaise: The meaning of other faiths. With a preface by Hans Küng, Philadelphia:
Westminster Press, 1983.
(115) 1892-1967.
(116) "Die Religionsgeschichte als Wegbereiterin für die Zusammenarbeit
der Religionen", p. 71.
(117) Op. cit., p. 48.
(118) Op. cit., p. 51 sq.
(119) Voir Udo Schaefer, The Baha'i Faith: Sect or Religion?
Une publication de l'Association des Etudes Baha'ies, Ottawa, Canada, 1988.
(120) Voir S. Radhakrishnan, Recovery of Faith, Londres, 1956.
(121) Le Christianisme et les Religions du Monde, p. 99.
(122) Op. cit., p. 31/32.
(123) Op. cit., p. 35.
(124) Op. cit., p. 96.
(125) Op. cit., p. 96.
(126) Op. cit., p. 97.
(127) Op. cit., p. 122.
(128) Op. cit., p. 112.
(129) Op. cit., p. 112.
(130) Op. cit., p. 116/117.
(131) Op. cit., p. 117.
(132) Op. cit., p. 130.
(133) Décédé en 397.
(134) Toynbee, op. cit., p. 131.
(135) Déclaration "Nostra Aetate" (cité d'après Liberté et
Respect), no 2, p. 85.
(136) Op. cit., p. 86.
(137) Déclaration "Nostra Aetate" (cité d'après Liberté et
Respect), no 2, p. 86/87.
(138) Déclaration "Nostra Aetate" (cité d'après Liberté et
Respect), no 2, p. 86/87.
(139) Op. cit., no 3 p. 87.
(140) Op. cit., no 2, p. 87.
(141) Op. cit., no 3, p. 88.
(142) Oxtoby, Offenes Christentum, p. 85/86.
(143) Publiées en allemand par l'Evangelische Zentralstelle
für Weltanschauungsfragen (Arbeitstexte no 19, VI/79).<<<
(144) Partie I:14.
(145) Partie II:18.
(146) Partie I:15.
(147) Partie II:19; voir Eph. 4:15.
(148) Partie III:4.
(149) Partie II:17.
(150) Partie II:17; voir Deut. 5:20.
(151) Partie II:21.
(152) Partie II:22.
(153) Une édition ecclésiastique qui, en 1981 encore, a publié
et promulgué une oeuvre lamentablement tendancieuse émanant de la plume d'un renégat
comme étant "un ouvrage de référence ouvrant des perspectives à long terme", dans
laquelle le baha'isme est présenté comme dans un miroir déformant, n'était certes
pas tout à fait à la hauteur de cette évolution (Francesco Ficicchia, Der Baha'ismus.
Weltreligion der Zukunft? Geschichte, Lehre und Organisation in kritischer Anfrage,
Stuttgart, 1981).
(154) Le christianisme, p. 8.
(155) Op. cit., p. 8.
(156) Op. cit., p. 607.
(157) Op. cit., p. 605.
(158) Paris: Seuil, 1986.
(159) Op. cit., p. 47 sqq., p. 57.
(160) Op. cit., p. 186.
(161) Süddeutsche Zeitung du 14 février 1989.
Association d'Etudes Baha'ies - Europe francophone (A.E.B.E.F.)
Traduit de l'allemand par Susanne Hof
ISBN: 2-940067-01-5