Abdu'l-Baha
à Londres
Allocutions et notes de conversations
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2. Notes de conversations
2.1. L'ARRIVÉE A LONDRES
Le soir de son arrivée à Londres, le lundi 4 septembre 1911, 'Abdu'l-Baha déclara:
"Le ciel a béni ce jour. Il était dit que Londres serait un lieu de grande proclamation
pour la Foi. J'étais fatigué quand je suis monté à bord du bateau à vapeur,
mais quand j'arrivai à Londres et que je contemplai les visages des amis, la
fatigue me quitta. Votre grand amour me rafraîchit. Je suis très heureux avec
les amis anglais.
Le sentiment qui existait entre l'Est et l'Ouest est en train de changer à la
lumière de l'enseignement de Baha'u'llah. Il était de coutume lorsqu'un occidental
buvait dans la coupe d'un oriental que la coupe soit considérée comme souillée
et soit brisée. Maintenant quand un baha'i occidental dîne avec un baha'i oriental
les couverts et les assiettes utilisés sont conservés et révérés en sa mémoire".
'Abdu'l-Baha donna cet exemple historique d'amour fraternel merveilleux:
"Un jour des soldats vinrent dans la maison d'un baha'i et munis d'un mandat
d'arrêt exigèrent que l'un des invités soit livré pour être exécuté. L'hôte
prit la place de son invité et mourut."
2.2. LONDRES
"L'attraction de votre amour m'a conduit jusqu'à ce pays. Mon espoir est que
la lumière divine puisse briller ici, et que l'Etoile céleste de Baha'u'llah
puisse vous fortifier, afin que vous soyez la cause de l'unicité de l'humanité,
que vous aidiez à faire disparaître l'obscurité créée par la superstition et
les préjugés et que vous unissiez toutes les croyances et toutes les nations.
C'est un siècle éclatant. Les yeux sont maintenant ouverts à la beauté de l'unicité
de l'humanité, de l'amour et de la fraternité. L'obscurité de la répression
disparaîtra et la lumière de l'unité brillera. Nous ne pouvons apporter l'amour
et l'unité simplement en parlant. La connaissance n'est pas suffisante. La richesse,
la science, l'éducation sont de bonnes choses, nous le savons: mais nous devons
aussi travailler et étudier pour porter à maturité le fruit de la connaissance.
La connaissance est le premier pas; la décision le second pas; l'action, c'est-à-dire
l'accomplissement, est le troisième pas. Pour construire un bâtiment on doit
avant toute chose dresser un plan, ensuite on doit avoir les moyens (l'argent)
et enfin on peut construire. Qu'une association pour l'unité se forme c'est
bien, mais les réunions et les discussions ne sont pas suffisantes. En Egypte
ces réunions ont lieu mais il n'y a que des paroles et point de résultat. Ces
réunions à Londres sont bonnes, la connaissance et l'intention sont bonnes,
mais comment peut-il y avoir un résultat sans action? Aujourd'hui, la force
qui conduit à l'unité est l'esprit saint de Baha'u'llah. Il manifesta cet esprit
d'unité. Baha'u'llah permet de rassembler l'Est et l'Ouest. Revenez en arrière,
recherchez dans l'histoire, vous ne trouverez point de précédent."
2.3. LES DIFFÉRENDS
"Dieu a créé le monde d'un seul tenant, les frontières ont été tracées par l'homme.
Dieu n'a pas divisé la terre, mais chaque homme possède sa maison et sa prairie;
les chevaux et les chiens ne divisent pas les champs en plusieurs parties. C'est
pour cela que Baha'u'llah dit: 'Que l'homme ne se fasse pas gloire d'aimer son
pays, mais qu'il se glorifie plutôt d'aimer ses semblables' (16).
Tous sont d'une seule famille, d'une seule race; tous sont des êtres humains.
Les différends concernant le partage de la terre ne devraient pas être cause
de division parmi les hommes.
Une des grandes raisons de division est la couleur. Regardez comme ce préjugé
est puissant en Amérique, par exemple. Voyez comme ils se haïssent! Les animaux
ne se querellent pas à cause de leur couleur! Il est sûr que l'homme qui a un
rang tellement plus élevé dans la création, ne devrait pas s'abaisser en dessous
des animaux. Pensez à ceci. Quelle ignorance! Les colombes blanches ne se querellent
pas avec les colombes bleues à cause de leur couleur, mais les hommes blancs
se battent contre les hommes de couleur. Ce préjugé racial est le pire de tous.
L'Ancien Testament dit que Dieu a créé l'homme à Son image; dans le Coran il
est dit: 'Il n'y a aucune différence dans la création de Dieu!'. Pensez bien,
Dieu les a tous créés; Il prend soin de tous, et tous sont sous sa protection.
La politique de Dieu est meilleure que la nôtre. Nous ne sommes pas aussi sages
que Dieu!"
2.4. LA RELIGION
"Pour la plupart des hommes qui n'ont pas entendu le message de cet enseignement
la religion apparaît comme une forme extérieure, un semblant, un simple sceau
de respectabilité. Certains prêtres exercent ce saint ministère uniquement pour
gagner leur vie. Ils ne croient pas eux-mêmes dans la religion qu'ils font semblant
d'enseigner. Est-ce que ces hommes donneraient leur vie pour leur foi? Demandez
à un tel chrétien de renier le Christ dans le but de sauver sa vie et il le
fera.
Demandez à un baha'i de renier n'importe lequel des grands Prophètes, de renier
sa foi ou de renier Moïse, Muhammad ou le Christ, et il répondra 'plutôt mourir'.
Ainsi un baha'i d'origine musulmane est un meilleur chrétien que bon nombre
de soi-disant chrétiens.
Un baha'i ne renie aucune religion; il accepte la vérité dans chacune, et mourrait
pour la défendre. Il aime tous les hommes comme ses frères, quelles que soient
leur classe, race, nationalité, croyance ou couleur, qu'ils soient bons ou mauvais,
riches ou pauvres, beaux ou laids. Il ne commet aucune violence; s'il est frappé,
il ne rend pas le coup. Il ne parle pas en mal, suivant l'exemple du Seigneur
Baha'u'llah. Pour se garder de toute intempérance il ne boit ni vin ni spiritueux.
Baha'u'llah a dit que ce n'est pas bon pour un homme sain de prendre ce qui
détruira sa santé et son jugement.
La religion de Dieu a deux aspects dans ce monde. L'aspect spirituel (le réel)
et l'aspect formel (l'apparent). Le côté formel change de même que l'homme change
d'âge en âge. Le côté spirituel qui est la vérité, ne change jamais. Les Prophètes
et les Manifestations de Dieu apportent toujours le même enseignement; au début
les hommes s'accrochent à la vérité mais après un certain temps ils la défigurent.
La vérité est dénaturée par les formes extérieures conçues par l'homme et les
lois matérielles. Le voile de la matière et de l'attachement aux biens de ce
monde cache la réalité de la vérité.
Baha'u'llah délivre le même Message aux hommes que celui apporté par Moïse et
Jésus.
A chaque fois que Dieu nous envoie une grande Manifestation, il nous est donné
une nouvelle vie, mais la vérité que chaque Manifestation apporte est la même.
La vérité ne change jamais, mais c'est la vision de l'homme qui change. Elle
est ternie et rendue confuse par la complexité des formes extérieures.
La vérité est facile à comprendre bien que les formes extérieures à travers
lesquelles elle est exprimée désorientent l'intelligence. Au fur et à mesure
que les hommes grandissent ils découvrent la futilité des formes qu'ils ont
inventées et ils les méprisent. Ainsi beaucoup quittent les églises, parce que
souvent ces dernières mettent uniquement l'accent sur la forme extérieure."
2.5. DISCOURS A UNE ASSEMBLÉE DE THÉOSOPHES
Londres, septembre 1911
"Ces jours sont merveilleux! Nous voyons un invité oriental reçu avec amour
et courtoisie en Occident. J'ai été attiré ici, malgré la fatigue, par le magnétisme
de votre amour et de votre sympathie.
Quelques années plus tôt, un Ambassadeur avait été envoyé de Perse à Londres
où il resta cinq ans. (Il s'appelait 'Abdu'l Hasan Khan). Quand il revint en
Perse on lui demanda de raconter comment étaient les Anglais. Il répondit: 'Je
ne connais pas les Anglais, je n'ai rencontré que des gens de la Cour pendant
les années où j'étais à Londres'. Cet homme était un grand homme en Perse, et
qui avait été envoyé par les princes en Angleterre et cependant il ne connaissait
pas les Anglais, bien qu'il avait vécu parmi eux pendant cinq ans. Aujourd'hui,
moi qui fus longtemps prisonnier, je viens en Angleterre pour la première fois,
et bien que ma visite soit si courte, j'ai déjà rencontré beaucoup d'amis bien
chers, et je peux dire que je connais ces gens. Ceux que j'ai rencontrés sont
vraiment des âmes travaillant pour la paix et l'unité. Pensez à la différence
qu'il y a entre l'époque dans laquelle nous vivons maintenant, et celle d'il
y a septante ans! Pensez au progrès! Le progrès vers l'unité et la paix.
C'est la volonté de Dieu que les différends entre les nations disparaissent.
Ceux qui aident la cause de l'unité sont en train de faire le travail de Dieu.
L'unité est le bienfait de Dieu pour ce siècle lumineux. Louange soit à Dieu,
il y a aujourd'hui beaucoup d'associations et de réunions en faveur de l'unité.
L'inimitié n'est plus autant cause de séparation que ce qu'elle était; maintenant
la cause de la désunion est principalement le préjugé. Par exemple, jadis quand
les Européens visitaient l'Orient, ils étaient considérés comme impurs et étaient
haïs. Maintenant c'est différent: quand des gens de l'Ouest rendent visite à
ceux qui à l'Est qui sont des disciples de la nouvelle lumière (17),
ils sont reçus avec amour et courtoisie."
"Le véritable baha'i," déclara 'Abdu'l-Baha qui tenait un petit enfant contre
lui, "aime les enfants car Jésus a dit qu'ils sont du Royaume des cieux. Un
coeur simple et pur est proche de Dieu; un enfant n'a aucune ambition matérielle".
2.6. LES PRÉJUGES
Le Congrès Universel sur les Races fut une bonne chose, car il avait pour objectif
la promotion et le progrès de l'unité parmi les nations et une meilleure compréhension
internationale. L'objectif était bon. Les causes de conflits entre différentes
nations sont toujours dues à l'une des catégories suivantes de préjugés: raciaux,
linguistiques, théologiques, personnels, et des préjugés de coutume et de tradition.
Cela requiert une force active universelle pour surmonter ces différences. Une
petite maladie nécessite un petit remède, mais une maladie qui pénètre entièrement
le corps nécessite un remède très fort. Une petite lampe peut éclairer une chambre,
une plus grande pourrait éclairer une maison, une plus grande encore pourrait
briller sur toute une ville, mais il faut le soleil pour éclairer le monde entier.
Les différences de langues sont cause de désunion entre les nations. Il faut
une langue universelle. La diversité de croyances est aussi une cause de division.
Le véritable fondement de toutes les croyances doit être établi, les différences
externes abolies. Il faut une unicité de foi. Mettre un terme à toutes ces différences
est une tâche très dure. Le monde entier est malade, et nécessite le pouvoir
du grand Guérisseur.
Ces réunions nous enseignent que l'unité est bonne et que la répression (l'esclavage
sous le joug de la tradition et du préjugé) est une cause de désunion. Savoir
cela n'est pas suffisant. Toutes les connaissances sont bonnes, mais elles ne
peuvent porter de fruits sans action. Il est bien de savoir que les richesses
sont bonnes, mais cette connaissance ne rendra pas l'homme riche; il doit travailler,
il doit mettre son savoir en pratique. Nous espérons que les hommes ont appris
et compris que l'unité est bonne, et nous espérons aussi qu'ils ne se contenteront
pas de le savoir. Ne dites pas seulement que l'unité, l'amour et la fraternité
sont bons; vous devez travailler à leur réalisation.
Le Tsar de Russie suggéra d'organiser la Conférence sur la Paix de la Haye (18)
et proposa de réduire l'armement de toutes les nations. A cette Conférence il
fut prouvé que la Paix était bénéfique pour tous les pays, et que la guerre
détruisait le commerce, etc. Les propos du Tsar étaient admirables; pourtant,
après la Conférence, il fut le premier à déclarer la guerre (contre le Japon
(19)).
La connaissance n'est pas suffisante; par amour de Dieu nous espérons la mettre
en pratique. Une force spirituelle universelle est nécessaire pour cela. Les
réunions sont bonnes pour engendrer une force spirituelle. Il est bon de savoir
qu'il est possible d'atteindre un état de perfection; mais marcher de l'avant
sur ce sentier est mieux. Nous savons qu'il est bon d'aider les pauvres et d'être
miséricordieux et que cela plaît à Dieu, mais la connaissance en elle-même ne
nourrit pas l'homme affamé, et le pauvre ne peut être réchauffé par la connaissance
ou les belles paroles lors d'un hiver rigoureux; nous devons apporter une aide
concrète empreinte de tendre bonté."
Et que dire du Congrès sur la Paix?
"Cela ressemble à un groupe d'ivrognes rassemblés pour protester contre la consommation
d'alcool. Ils disent que boire est horrible et ils quittent la salle sur le
champ pour aller boire de nouveau."
2.7. LA THÉOSOPHIE
Quand on demanda à 'Abdu'l-Baha s'il reconnaissait le bien que la société théosophique
avait fait, il répondit:
"Je le reconnais; j'en pense beaucoup de bien. Je sais que leur désir est de
servir l'humanité. J'ai remercié cette noble association au nom de tous les
baha'is et personnellement. J'espère que par l'aide de Dieu ces amis réussiront
à apporter l'amour et l'unité. C'est un grand travail et cela nécessite l'effort
de tous les serviteurs de Dieu."
2.8. LA PAIX
"Durant les six mille dernières années, les nations se sont haïes, il est maintenant
temps d'y mettre fin. La guerre doit cesser. Soyons unis, aimons-nous les uns
les autres et attendons le résultat. Nous savons que les effets de la guerre
sont mauvais. Essayons donc la paix, en guise d'expérience, et si les résultats
de la paix sont mauvais, alors nous pourrons toujours voir s'il est préférable
de revenir au vieil état de guerre! Faisons-en de toute façon l'expérience.
Si nous voyons que l'unité apporte la lumière, nous continuerons. Pendant six
mille ans nous avons marché à gauche du sentier; essayons de marcher à droite
maintenant. Nous avons vécu de nombreux siècles dans l'obscurité, avançons vers
la lumière."
Question - (on fit remarquer que la théosophie enseigne que la vérité est la
même dans toutes les religions) Est-ce que la tâche consistant à unifier toutes
les religions recueille la sympathie de 'Abdu'l-Baha?
Réponse - "Certainement."
Question - 'Abdu'l-Baha peut-il suggérer les grandes lignes qu'il serait bon
de suivre?
Réponse - "La recherche de la vérité. Chercher les réalités dans toutes les
religions. Mettre de côté toutes les superstitions. Beaucoup d'entre nous ne
comprennent pas la réalité de toutes les religions."
2.9. LES MANIFESTATIONS DIVINES
Question - Quel est l'enseignement de 'Abdu'l-Baha concernant les différentes
Manifestations divines?
Réponse - "La réalité de toutes est unique. La vérité est une. Les religions
sont comme les branches d'un seul arbre. Une branche est haute, une autre est
basse et une encore est au centre, cependant toutes tirent leur vie de la même
souche. Une branche porte abondamment des fruits et d'autres sont moins chargées.
Tous les Prophètes sont des lumières, ils diffèrent seulement en degré; ils
brillent comme des corps célestes étincelants, chacun a son lieu déterminé et
son temps d'ascension. Certains sont comme des lampes, d'autres comme la lune,
d'autres encore comme des étoiles éloignées, et quelques-uns sont comme le soleil,
brillant d'une extrémité à l'autre de la terre. Tous ont la même lumière à transmettre,
cependant ils sont différents en degré."
2.10. LE BOUDDHISME
Quelques personnes firent référence à l'enseignement de Bouddha. 'Abdu'l-Baha
dit: "Le véritable enseignement de Bouddha est le même que l'enseignement de
Jésus-Christ. Les enseignements de tous les Prophètes sont identiques dans leur
essence. De nos jours, les hommes ont altéré l'enseignement. Si vous regardez
la pratique actuelle de la religion bouddhiste, vous verrez qu'il reste très
peu de sa vérité d'origine. Beaucoup adorent des idoles bien que leur enseignement
l'interdise.
Bouddha avait des disciples, et il désirait les envoyer à travers le monde pour
enseigner, donc leur leur posa des questions pour voir s'ils étaient préparés
pour tout ce qu'il attendait d'eux. 'Quand vous irez à l'Est et à l'Ouest et
que les gens vous fermeront leur porte et refuseront de parler avec vous, que
ferez-vous?' demanda Bouddha. Les disciples répondirent: 'Nous serons très reconnaissants
qu'ils ne nous fassent pas de mal'. 'Et s'ils vous font du mal et se moquent
de vous, que ferez-vous?' - 'Nous serons très reconnaissants qu'ils ne nous
infligent pas un traitement encore pis'. - 'S'ils vous jettent en prison?' -
'Nous serons reconnaissants qu'ils ne nous tuent pas'. - 'Et s'ils en venaient
à vous tuer?' demanda le maître pour la dernière fois. 'Nous serons encore reconnaissants
car ils auront fait de nous des martyrs. Quel destin plus glorieux y a-t-il
que de mourir pour la gloire de Dieu?' répondirent les disciples. Et Bouddha
dit: 'C'est bien!'.
L'enseignement de Bouddha était comme un jeune et bel enfant, et maintenant
il est devenu comme un homme vieux et décrépit. Comme le vieil homme il ne peut
pas voir, il ne peut pas entendre, il ne peut pas se souvenir. Pourquoi revenir
si loin en arrière? Considérez les lois de l'Ancien Testament: les juifs ne
suivent pas l'exemple de Moïse et n'observent pas ses commandements. Ainsi en
est-il pour beaucoup d'autres religions."
Comment pouvons-nous avoir la capacité de suivre le droit chemin?
"C'est en mettant l'enseignement en pratique que ce pouvoir nous sera donné.
Vous connaissez le chemin à suivre: vous ne pouvez pas vous tromper, car il
y a une grande différence entre Dieu et le mal, entre la lumière et l'obscurité,
la vérité et l'erreur, l'amour et la haine, la générosité et l'avarice, l'éducation
et l'ignorance, la foi en Dieu et la superstition, les lois bonnes et les lois
injustes."
2.11. LA FOI
Comment peut-on développer sa foi?
"Vous devez faire des efforts. Un enfant ne sait rien, c'est en apprenant qu'il
acquiert la connaissance. Recherchez la vérité.
Il y a trois catégories de foi. Premièrement, celle qui découle de la tradition
et de la naissance. Par exemple: un enfant né de parents musulmans est un musulman.
Cette foi traditionnelle est faible. Deuxièmement, celle qui découle de la connaissance,
c'est-à-dire la foi de la compréhension. C'est une bonne foi, mais il y en a
une meilleure, la foi de la pratique: c'est la vraie foi.
Nous entendons parler d'une invention, nous pensons qu'elle est bonne et nous
venons pour la voir. Nous entendons parler de richesse, nous la voyons; nous
travaillons durement pour l'acquérir, cela nous rend riches et ainsi nous aidons
les autres. Nous connaissons la lumière, nous la voyons, nous nous en approchons,
elle nous réchauffe, et nous en réfléchissons les rayons sur les autres; c'est
la vraie foi, et ainsi nous recevons le pouvoir de devenir les enfants éternels
de Dieu."
2.12. LA GUÉRISON
'Abdu'l-Baha dit: "La maladie est de deux sortes: physique ou spirituelle.
Prenez par exemple une coupure à la main; si vous priez pour que la main soit
guérie sans juguler le saignement, vous ne ferez pas grand chose de bon; un
remède matériel est nécessaire.
Quelquefois quand le système nerveux est paralysé par la peur, un remède spirituel
est nécessaire. La folie, incurable par d'autres moyens, peut être soignée grâce
à la prière. Il arrive souvent que le chagrin rende quelqu'un malade, il peut
alors être soigné par des moyens spirituels."
2.13. LES OEUVRES PHILANTHROPIQUES
Quelqu'un demanda si la 'Humanitarian Society' était une bonne chose. "Oui,
toutes les associations, toutes les organisations, travaillant pour l'amélioration
de la condition humaine sont bonnes, très bonnes. Tous ceux qui travaillent
pour leurs frères et soeurs ont la bénédiction de Baha'u'llah. Ils réussiront
certainement."
'Abdu'l-Baha dit: "Cela me rend heureux de voir tous les croyants de Londres.
Vous venez tous de races et de croyances différentes, et vous voici membres
d'une seule famille. L'enseignement de Baha'u'llah vous enjoint à être fraternels
les uns envers les autres."
2.14. LA CONNAISSANCE DE DIEU ET DES MONDES DE L'AU-DELÀ
PAR L'HOMME
"L'Essence de Dieu est incompréhensible pour l'homme, il en est de même des
mondes de l'au-delà et de leur condition. Il est donné à l'homme d'acquérir
la connaissance, d'atteindre à une grande perfection spirituelle, de découvrir
les vérités cachées, et même de manifester les attributs de Dieu; mais pourtant
l'homme ne peut pas comprendre l'Essence de Dieu. Quand le cercle toujours grandissant
de la connaissance humaine rencontre le monde spirituel alors une Manifestation
de Dieu est envoyée pour réfléchir sa Splendeur."
2.15. LES MANIFESTATIONS DIVINES
La Manifestation divine est-elle Dieu?
"Oui, et cependant pas en essence. Une Manifestation divine est comme un miroir
réfléchissant la lumière du soleil. La lumière est la même et pourtant le miroir
n'est pas le soleil. Toutes les Manifestations de Dieu apportent la même lumière;
elles diffèrent seulement en degré, mais pas dans leur réalité intrinsèque.
La vérité est une. La lumière est la même quoique les lampes soient différentes;
nous devons regarder la lumière, pas la lampe. Si nous acceptons la lumière
d'une lampe, nous devons accepter la lumière de toutes les lampes; toutes s'accordent,
parce qu'elles sont toutes la même lumière. L'enseignement est toujours le même,
ce sont seulement les formes extérieures qui changent.
Les Manifestations de Dieu sont comme des corps célestes. Toutes ont leur lieu
déterminé et leur temps d'ascension, mais la lumière qu'elles donnent est la
même. Si quelqu'un souhaite chercher le soleil levant, il ne regarde pas toujours
vers le même point parce que ce point change avec les saisons. Quand quelqu'un
voit le soleil monter plus loin vers le nord il le reconnaît, quoiqu'il se soit
levé en un point différent."
2.16. NOTES D'UNE CONVERSATION AVEC 'ABDU'L-BAHA
Un homme de couleur, originaire d'Afrique du Sud, qui rendait visite à 'Abdu'l-Baha
dit que même maintenant aucun blanc ne se souciait vraiment des noirs.
'Abdu'l-Baha répondit: "Comparez le temps présent et les sentiments d'aujourd'hui
à l'égard des gens de couleur avec ce qu'il en était il y a deux ou trois cent
ans, et voyez combien cela est mieux à l'heure actuelle. En peu de temps, les
relations entre les gens de couleur et les blancs se développeront davantage,
et peu à peu on ne sentira plus de différence entre eux. Il y a des colombes
blanches et des pigeons pourpres, mais tous deux appartiennent au genre pigeon.
Une fois Baha'u'llah compara les gens de couleur à la pupille noire de l'oeil
entourée de blanc. Dans cette pupille noire dit-il, vous voyez le reflet de
ce qui se trouve devant elle et à travers elle brille la lumière de l'Esprit.
Aux yeux de Dieu la couleur ne fait aucune différence: Il regarde le coeur des
hommes. Ce que Dieu veut des hommes c'est le coeur. Un homme noir avec un bon
caractère est de loin supérieur à un homme blanc qui a un moins bon caractère."
2.17. LES IDEAUX DE L'EST ET DE L'OUEST
L'un des organisateurs du Congrès sur les Races qualifia d'occidentaux les idéaux
de Baha'u'llah en disant qu'ils se différenciaient de ceux des anciens Prophètes
qui étaient empreints d'idées et de civilisation d'Orient. Puis il demanda si
Baha'u'llah avait fait une étude spéciale des écrits de l'Occident, et avait
fondé ses enseignements en accord avec ceux-ci.
'Abdu'l-Baha rit de bon coeur, et dit que les livres de Baha'u'llah, écrits
et publiés soixante ans auparavant, contenaient les idéaux qui étaient maintenant
devenus familiers pour l'Occident, mais qu'à leur époque, ils n'avaient pas
été publiés ou pensés en Occident. Et il poursuivit: "Supposons qu'un penseur
occidental d'avant-garde soit venu rendre visite à Baha'u'llah pour L'enseigner,
serait-il possible que le nom d'un tel grand homme et le fait de sa visite ne
soient ni connus ni répertoriés. Non! En des jours anciens, au temps du Bouddha
et de Zoroastre, les civilisations d'Asie et de l'Est étaient beaucoup plus
développées que celle de l'Ouest et les idées et les pensées des orientaux étaient
beaucoup plus avancées, et plus proches des pensées de Dieu que celles des occidentaux.
Mais depuis ce temps, les superstitions se sont glissées dans la religion et
les idéaux de l'Est, et en raison de nombreuses causes variées, les idéaux et
les caractères des orientaux ont décliné de plus en plus pendant que les occidentaux
continuaient à lutter sans cesse pour marcher vers la lumière. En conséquence,
en ces jours, la civilisation de l'Ouest a beaucoup plus évolué que celle de
l'Est, et les idées et pensées des occidentaux sont beaucoup plus proches de
la pensée de Dieu que celles des orientaux. C'est ainsi que les idéaux de Baha'u'llah
ont été plus rapidement réalisés en Occident".
'Abdu'l-Baha montra de plus comment Baha'u'llah avait exactement décrit dans
l'un de ses livres ce qui depuis a été mis en place sous la forme d'un Conseil
International d'Arbitrage. 'Abdu'l-Baha expliqua que certaines de ses fonctions
décrites par Baha'u'llah n'ont pas encore été réalisées. Il se proposa donc
de nous les décrire afin que lorsqu'elles seraient définies, ce qui doit se
produire dans un futur proche, nous sachions qu'elles avaient été prophétisées
par Baha'u'llah.
"La guerre a été la plus grande calamité qui puisse s'abattre sur les nations,
car les gens occupés habituellement dans l'agriculture, l'artisanat, le commerce
ou dans d'autres métiers manuels, ont été arrachés de leurs diverses occupations
et transformés en soldats. Il en résulta de grands gaspillages et de lourdes
pertes outre la destruction et le carnage de la guerre.
Baha'u'llah a dit que la Cour Internationale serait chargée de régler les conflits
qui s'élèveraient de temps en temps entre les nations, de définir les frontières
exactes des différents pays, et de décider quel nombre de soldats et quelle
quantité d'armes devraient être maintenus par chaque nation en proportion de
sa population, dans le but de préserver l'ordre intérieur. Par exemple, un pays
pourrait avoir dix mille soldats, un autre vingt mille, un autre quinze mille,
et ainsi de suite, en proportion de la grandeur et de la population de chaque
nation. De plus, si un peuple se rebellait contre la décision de la Cour et
la rejetait, la Cour donnerait aux autres le pouvoir de réunir leurs forces
et de faire appliquer sa décision, si nécessaire, par une action conjointe.
Jusqu'à présent, nous n'avons vu se réaliser aucune de ces choses mais nous
le verrons dans le futur."
2.18. LA SCIENCE ET LA FOI
Un homme distingué posa alors une question qu'il considérait de la plus haute
importance pour un mouvement religieux aspirant à être universel: quelle position,
s'il y en a une, Baha'u'llah donnait-il dans ses enseignements aux idées modernes
et aux conceptions de la science. Toute la structure de la civilisation moderne
est fondée sur les résultats et les connaissances obtenus à la suite de laborieuses
et patientes observations de faits recueillis par les hommes de science; dans
certains cas après des centaines d'années de recherches approfondies. Afin de
rendre plus clair le sens de sa pensée, il donna l'exemple de l'éthique et des
enseignements moraux des philosophes chinois: il ne pouvait concevoir rien de
mieux. Cependant, ces enseignements avaient très peu d'effet en dehors de la
Chine, pour la simple raison, jugea-t-il, qu'ils n'étaient pas fondés dans leurs
principes sur les enseignements de la science.
'Abdu'l-Baha répondit qu'une très grande importance était donnée à la science
et à la connaissance dans les Ecrits de Baha'u'llah où il est précisé qu'un
homme qui éduquait les enfants des pauvres qui n'en avaient pas les moyens,
était considéré aux yeux de Dieu comme s'il avait éduqué le Fils de Dieu.
Si une religion rejetait la science et la connaissance, cette religion était
fausse. La science et la religion devaient aller de pair; elles devaient être
en réalité comme les doigts d'une seule main.
Baha'u'llah avait donné également une grande importance dans Ses Ecrits à l'Art,
et à la pratique de professions qualifiées. Il avait affirmé que la pratique
d'un art ou d'un métier dans un véritable esprit de service était identique
à l'adoration de Dieu.
Ensuite, un homme distingué concerné par le travail dans une institution demanda
quels étaient les meilleurs moyens pour élever et éduquer les plus démunis,
ignorants et avilis: est-ce que leur éducation se ferait graduellement par l'illumination
de l'Esprit, ou y avait-il des méthodes spéciales qui pourraient être utilisées
à cette fin?
'Abdu'l-Baha répondit que la meilleure façon était de leur donner des enseignements
spirituels et de les édifier. Il fit remarquer qu'il fallait montrer la plus
grande amabilité et le plus grand amour envers les gens au coeur étroit, rempli
de préjugés, afin d'élargir leur perspective et de leur faire écouter un enseignement
plus tolérant. L'exemple de notre vie portait encore plus que les mots.
2.19. LES RELATIONS AVEC DES PERSONNES DÉCÉDÉES
On posa la question de savoir s'il était possible d'établir une communication
avec les morts, et s'il était sage ou recommandable d'assister à des séances
de tables tournantes ou de s'engager dans le spiritisme, etc.
Le Maître dit qu'il s'agit de choses matérielles, provenant du corps. Ce qui
est nécessaire, c'est de s'élever au-dessus du matériel vers les royaumes du
purement spirituel. Les tables tournantes et autres activités du même type sont
matérielles avec un résultat physique et non spirituel.
Mais il est possible de communiquer avec les morts à travers la condition du
coeur et du caractère.
2.20. LES SUPERSTITIONS SONT-ELLES UTILES?
Une dame voulut savoir si certaines superstitions pouvaient être bonnes pour
les gens ignorants, qui, sans elles, n'auraient peut-être aucune conviction.
'Abdu'l-Baha répondit que les superstitions étaient de deux ordres: celles qui
étaient nuisibles et dangereuses, et celles qui étaient inoffensives et qui
produisaient quelques bons effets.
Par exemple, il y avait de pauvres gens qui croyaient que les malheurs et les
châtiments venaient d'un grand ange qui, une épée à la main, frappait ceux qui
volaient et commettaient des meurtres ou des délits.
Ils pensaient que les éclairs étaient les armes de cet ange et que les gens
qui avaient fait du mal étaient frappés par l'éclair. Cette conviction les freinait
dans leurs mauvaises actions.
Les Chinois avaient pour superstition de brûler certains morceaux de papier
pour éloigner les démons. Parfois, ils brûlaient ces papiers à bord de bateaux
pendant leur voyage, afin d'éloigner les démons, mais en faisant cela ils mettaient
le feu aux bateaux et provoquaient la perte de nombreuses vies. C'était un type
de superstition dangereuse et nuisible.
2.21. LA VIE APRÈS LA MORT
Madame S. posa quelques questions au sujet des conditions de l'existence dans
l'au-delà et de la vie après la mort; elle dit qu'ayant perdu récemment un parent
très proche, elle y avait beaucoup réfléchi. Beaucoup pensaient que la réunion
avec ceux qu'on avait aimés, et qui étaient passés dans l'autre monde, se ferait
au bout d'une longue période. Elle souhaitait savoir si, immédiatement après
la mort, on rejoindrait ceux qui étaient partis avant nous.
'Abdu'l-Baha répondit que cela dépendrait des rangs respectifs de ces personnes.
Si toutes avaient le même degré de développement, elles seraient réunies immédiatement
après la mort. Ensuite cette dame demanda comment cet état de développement
pouvait être acquis? 'Abdu'l-Baha répondit que c'était par un incessant effort,
en s'appliquant à bien faire et à acquérir des qualités spirituelles.
L'intervenante fit remarquer que les opinions différaient concernant les conditions
de la vie future. Quelques-uns pensaient que tous auraient exactement les mêmes
perfections et vertus, que tous seraient égaux et semblables.
'Abdu'l-Baha dit que, comme dans ce monde, il y aurait une variété et des degrés
différents de réalisation.
Une autre question fut posée: 'Comment serait-il possible sans corps ni environnement
matériels de reconnaître différentes entités et caractères, alors que tous seront
dans les mêmes conditions et sur le même plan d'existence?'
'Abdu'l-Baha dit que si plusieurs personnes regardent dans un miroir au même
moment, elles peuvent s'y contempler avec leurs caractéristiques et leurs mouvements,
quoiqu'elles se regardent toutes dans la glace d'un même miroir. Dans votre
esprit vous avez de multiples pensées, mais toutes sont uniques et distinctes.
Vous avez peut-être également des centaines d'amis; mais quand vous vous les
remémorez vous ne les confondez pas les uns avec les autres: chacun est unique
et distinct, ayant sa propre individualité et ses propres caractéristiques.
Répondant à un autre intervenant, il dit que lorsque deux personnes, un époux
et une épouse par exemple, ont été complètement unis dans leur vie, leurs âmes
étant comme une seule âme, alors après le décès de l'un d'eux, cette union du
coeur et de l'âme demeurera sans faille.
2.22. LA RELATION SPIRITUELLE
Dans la soirée du 28 septembre 1911, 'Abdu'l-Baha était en compagnie de nombreux
invités.
Il dit que toutes les personnes présentes étaient comme des soeurs. Les relations
du corps peuvent cesser; deux soeurs peuvent être inamicales l'une envers l'autre,
mais la relation spirituelle est éternelle, et apporte l'amour réciproque et
le service mutuel.
"Soyez toujours aimables envers chacun et un refuge pour ceux qui sont sans
abri.
Soyez des filles pour ceux qui sont plus âgés que vous.
Soyez des soeurs pour ceux qui ont votre âge.
Soyez des mères pour ceux qui sont plus jeunes que vous.
Soyez des infirmières pour les malades, des trésors pour les pauvres, et donnez
la nourriture céleste aux affamés."
Un docteur persan de Qazvin dit que si l'Est et l'Ouest étaient devenus tellement
unis c'était une grande oeuvre de Dieu et que nous devrions toujours rendre
grâce à Dieu que la Cause baha'ie ait produit une si grande harmonie et une
si grande unité entre nous. Le résultat de cette visite de 'Abdu'l-Baha à l'Ouest
sera très grand.
2.23. UN MARIAGE BAHA'I
Une note bien orientale fut donnée vers la fin de la visite de 'Abdu'l-Baha
à Londres, avec le mariage d'un jeune couple persan qui avait souhaité sa présence
à la cérémonie. La mariée était arrivée de Baghdad accompagnée de son oncle
pour rejoindre ici son fiancé et célébrer le mariage avant le départ de 'Abdu'l-Baha.
Le père et le grand-père de la mariée avaient été des disciples de Baha'u'llah
à l'époque de son bannissement.
Nous hésitons à modifier la description de la cérémonie faite par le marié et
nous la publions donc avec ses propres mots, à la fois simples et beaux. Cela
nous permettra de montrer un aspect non encore abordé ailleurs, et sans lequel
aucun aperçu sur la venue de 'Abdu'l-Baha ne serait complet. Nous voulons parler
de l'attitude de déférence que les orientaux venus voir 'Abdu'l-Baha témoignèrent
à l'égard de leur grand maître. Ils sont invariablement debout la tête inclinée
chaque fois qu'il entre dans une pièce.
Voici ce qu'écrit Mirza Dawud.
Le matin du dimanche 1er octobre de l'an de grâce 1911, équivalant au 9ème Tishi
5972 (Ere hébraïque), Regina Nur Mahal Khanum et Mirza Yuhanna Dawud furent
admis en la sainte présence de 'Abdu'l-Baha - puisse ma vie lui être offerte
en sacrifice!
Après nous avoir reçus, 'Abdu'l-Baha dit: "Vous êtes les bienvenus et cela me
rend heureux de vous voir ici à Londres".
Me regardant, il déclara: "Je n'ai jamais célébré un mariage auparavant, excepté
celui de mes propres filles. Mais comme je vous aime beaucoup, et puisque vous
avez rendu un grand service au Royaume d'Abha, à la fois dans ce pays et dans
d'autres contrées, je célébrerai votre cérémonie de mariage aujourd'hui. C'est
mon espoir que vous continuiez tous deux dans le sentier béni du service".
Alors, pour commencer, 'Abdu'l-Baha fit venir Nur Mahal Khanum à ses côtés et
lui dit: "Aimez-vous Mirza Yuhanna Dawud de tout votre coeur et de toute votre
âme?" Elle répondit 'Oui, je l'aime'.
Puis 'Abdu'l-Baha m'appela près de lui et me posa la même question: "Aimez-vous
Nur Mahal Khanum de tout votre coeur et de toute votre âme?" Je répondis 'Oui,
je l'aime'. Nous retournâmes ensemble à notre place. 'Abdu'l-Baha prit la main
droite de la mariée et la mit dans celle du marié et nous demanda de prononcer
après lui: "Nous faisons tout pour plaire à Dieu (20)".
Nous nous assîmes tous et 'Abdu'l-Baha continua: "Le mariage est une sainte
institution qui est très encouragé dans cette Cause bénie. Maintenant, vous
n'êtes plus deux, mais vous êtes un. Le souhait de Baha'u'llah est que tous
les hommes soient d'un seul esprit et se considèrent d'un seul grand foyer,
afin que l'esprit de l'humanité ne soit pas divisé.
C'est mon souhait et mon espoir que vous soyez bénis durant votre vie. Puisse
Dieu vous aider à rendre de grands services au Royaume d'Abha et puissiez-vous
devenir un moyen pour son avancement.
Puisse la joie croître en vous au cours des années, et puissiez-vous devenir
des arbres florissants portant de délicieux fruits parfumés qui sont des bénédictions
dans le sentier du service."
Quand nous sortîmes, tous les amis réunis, venus de Perse ou de Londres, nous
félicitèrent pour le grand honneur qui nous avait été fait, et nous fûmes invités
à dîner par l'aimable hôtesse.
Peu après, nous nous rassemblâmes avec lui autour de la table. Durant le repas
l'un des amis demanda à 'Abdu'l-Baha s'il appréciait son séjour à Londres, et
ce qu'il pensait des Anglais. Je fis office d'interprète. 'Abdu'l-Baha répondit:
"J'ai beaucoup apprécié Londres et les visages rayonnants des amis ont réjoui
mon coeur. J'ai été attiré ici par leur unité et leur amour. Dans le monde de
l'existence il n'y a pas d'attraction plus puissante que l'attraction de l'amour.
Ces quelques jours passeront, mais les amis de Dieu se souviendront de leur
portée en tout temps et en tout lieu.
Il y a des nations vivantes et des nations mortes. La Syrie perdit sa civilisation
à cause de son esprit léthargique. La nation anglaise est une nation vivante,
et quand en ce printemps spirituel la Vérité divine apparaîtra avec une vitalité
renouvelée, les Anglais seront comme des arbres riches en fruits, et le Saint-Esprit
les rendra capables de fleurir en abondance. Alors non seulement ils progresseront
matériellement mais aussi spirituellement, ce qui est beaucoup plus important
et ce qui leur permettra de servir encore davantage l'humanité".
Quelqu'un demanda pourquoi les enseignements de toutes les religions sont exprimés
pour une grande part sous forme de paraboles et de métaphores et non dans un
langage clair pour les gens.
'Abdu'l-Baha répondit: "Les choses divines sont trop profondes pour être exprimées
par des mots communs. Les enseignements célestes sont exprimés en paraboles
dans le but d'être compris et préservé pour les âges à venir. Quand les esprits
spirituels plongent profondément dans l'océan de leur sens ils en font remonter
à la surface les perles de leur signification intérieure. Il n'y a pas de plus
grand plaisir que d'étudier la Parole de Dieu avec un esprit spirituel.
L'objet de l'enseignement de Dieu à l'homme est que l'homme puisse se connaître
dans le but de comprendre la grandeur de Dieu. La Parole de Dieu a pour but
l'harmonie et la concorde. Si vous allez en Perse où les amis d'Abha sont nombreux,
vous réaliserez tout de suite la force unifiante de l'oeuvre de Dieu. Ils font
de leur mieux pour renforcer ce lien d'amitié. Là-bas, des gens de différentes
nationalités se rassemblent lors de réunions et chantent les tablettes divines
d'un même coeur. On pourrait supposer qu'ils sont tous frères. Nous ne considérons
personne comme un étranger, car Baha'u'llah a dit: 'Vous êtes tous les rayons
d'un seul soleil, les fruits d'un seul arbre, et les feuilles d'une seule branche'
(21). Nous
désirons la vraie fraternité des hommes. Cela sera, et cela a déjà commencé.
Louange soit à Dieu, Celui qui aide, Celui qui pardonne!"
2.24. LA VISITE A BRISTOL (ÉCRIT PAR THOMAS POLE)
'Abdu'l-Baha passa la fin de la semaine, du 23 au 25 septembre, à la Pension
de famille Clifton à Bristol.
Lors du premier après-midi, pendant le trajet en voiture, il exprima un grand
intérêt pour l'Angleterre rurale, s'émerveillant devant les arbres centenaires,
et devant la verdure éclatante des bois et des collines, tellement différente
de l'Est aride. "Bien que ce soit l'automne, on dirait le printemps" dit-il.
Les maisons avec leurs lopins de terre suggérèrent à 'Abdu'l-Baha une citation
des Ecrits de Baha'u'llah dans laquelle il est mentionné que chaque famille
doit avoir sa maison avec un bout de terrain. 'Abdu'l-Baha associa la campagne
à l'âme et la ville au corps de l'homme et il dit: "Le corps sans l'âme ne peut
vivre". Puis il remarqua: "Il est bon de vivre sous le ciel, au soleil et à
l'air frais". Observant une jeune femme qui montait à cheval, cheveux au vent,
et quelques autres qui faisaient de la bicyclette sans être accompagnées, il
dit: "C'est l'âge de la femme. Elle devrait recevoir la même éducation que son
frère et jouir des mêmes privilèges; car toutes les âmes sont égales devant
Dieu. Le sexe, au niveau de ses besoins sur le plan physique, n'a aucun rapport
avec l'esprit. En cet âge de réveil spirituel, le monde est entré dans la voie
du progrès, dans l'arène du développement, où le pouvoir de l'esprit surpasse
celui du corps. Bientôt l'esprit aura emprise sur le monde de l'humanité".
Dans la soirée un message de salutations fut télégraphié aux baha'is de Téhéran
les informant de la présence de 'Abdu'l-Baha à Bristol. Il leur envoya son amour
et souhaita qu'ils sachent qu'il était bien et heureux avec les amis de Clifton.
C'était une réponse à un télégramme précédemment reçu de Téhéran félicitant
les gens de la Pension de famille pour la future visite de 'Abdu'l-Baha.
Plus tard se tint une réception où nonante personnes vinrent à la rencontre
de 'Abdu'l-Baha qui leur parla avec une ferveur impressionnante.
'Abdu'l-Baha dit: "Vous êtes les bienvenus. Je suis venu de loin pour vous voir.
Je loue Dieu qu'après quarante années d'attente il me soit enfin permis de venir
apporter mon message. Voici une assemblée pleine de spiritualité. Ceux qui sont
présents ont tourné leur coeur vers Dieu. Ils cherchent et attendent de bonnes
nouvelles. Nous nous sommes rassemblés ici par le pouvoir de l'Esprit, aussi
nos coeurs exultent-ils dans une action de grâce. 'Envoie-nous Ta lumière et
Ta vérité O Dieu, laisse-les nous guider vers les montagnes saintes!' Puissions-nous
être rafraîchis par les sources saintes qui renouvellent la vie du monde! Tel
le jour qui suit la nuit, et l'aube qui vient après le coucher de soleil, ainsi
Jésus-Christ apparut à l'horizon de ce monde comme un Soleil de vérité; et quand
une nouvelle fois - après avoir oublié les enseignements du Christ et son exemple
d'amour envers toute l'humanité - les hommes furent lassés des choses matérielles,
une étoile céleste brilla à nouveau en Perse, une nouvelle illumination apparut
et maintenant une grande lumière se propage à travers toutes les contrées.
Les hommes gardent leurs biens pour leur propre jouissance et ne partagent pas
suffisamment avec les autres la bonté reçue de Dieu. Le printemps se change
donc en hiver d'égoïsme et d'égotisme. Jésus-Christ dit 'Vous devez renaître'
(22) afin
que la vie divine puisse jaillir à nouveau en vous. Soyez aimables avec tous
ceux qui vous entourent et rendez-vous service mutuellement; aimez être justes
et honnêtes dans toutes vos affaires; priez constamment et vivez votre vie de
telle sorte que le chagrin ne puisse pas vous toucher. Regardez les gens de
votre propre race et ceux des autres races comme des membres d'un seul corps;
des fils d'un même Père; soyez connus par votre comportement pour être réellement
le peuple de Dieu. Ainsi les guerres et les disputes cesseront et dans le monde
se répandra la Plus Grande Paix".
Après que 'Abdu'l-Baha se fut retiré, Tamaddun'ul-Mulk et Monsieur W. Tudor
Pole donnèrent de courtes allocutions dans lesquelles ils firent référence au
martyre des croyants en Perse; une mention spéciale fut accordée à l'éminente
poétesse Qurratu'l-'Ayn (23).
Le jour suivant, un dimanche très ensoleillé, 'Abdu'l-Baha sortit avec ses amis.
Il conduisait le groupe pour une marche dans les collines. Ensuite il rassembla
les serviteurs de la maison, parla de la dignité du travail et les remercia
pour leur service, donnant à chacun un cadeau en souvenir de cette visite. Il
fit le tour de la Pension de famille et la bénit comme centre pour les pèlerins
qui viendraient de toutes parts, et dit que ce lieu deviendrait un havre de
tranquillité.
Durant la matinée du troisième jour, un chanoine de l'Église anglicane le rencontra
au petit déjeuner. La conversation s'orienta sur la répugnance des riches à
partager leurs biens, 'Abdu'l-Baha, citant les paroles de Jésus: 'Combien sera
difficile l'entrée dans le Royaume des cieux pour ceux qui ont des richesses'
(24). Il
fit remarquer que c'est seulement quand le vrai chercheur trouve que les attachements
matériels le privent de son héritage spirituel, qu'il entre avec bonheur sur
le chemin de la renonciation. Alors l'homme riche partagera dans la joie ses
biens terrestres avec les nécessiteux. 'Abdu'l-Baha nota le contraste entre
l'hospitalité sans prétention qui s'offrait à lui et les banquets coûteux des
riches, qui trop souvent sont assis à leur fête, oublieux des multitudes d'affamés.
Il enjoignit ceux qui l'écoutaient de répandre la lumière dans leur propre maison
pour enfin illuminer toute la communauté.
'Abdu'l-Baha retourna alors à Londres. Le souhait le plus cher de ceux qui avaient
eu le privilège de le rencontrer était que ses disciples d'autres contrées sachent
combien les habitants de Clifton avaient apprécié sa visite et pris conscience
de son pouvoir spirituel et de son amour.
Thomas Pole
2.25. À BYFLEET
Dans l'après-midi du 9 septembre, quelques travailleuses de l'établissement
Passmore Edwards, qui étaient en vacances avec Mesdemoiselles Schepel et Buckton
à Vanners dans Byfleet, un village à environ trente kilomètres de Londres, eurent
le grand privilège de rencontrer 'Abdu'l-Baha. Elles écrivirent un court récit
de ses propos pour en garder le souvenir. En voici un extrait.
Nous nous rassemblâmes en cercle autour de lui, et il nous fit asseoir à ses
côtés sur les sièges près de la fenêtre. L'une d'entre nous qui était malade
reçut de sa part une marque toute spéciale de gentillesse. Tout en s'asseyant
'Abdu'l-Baha commença par dire: "Etes-vous heureuses?" et nos visages durent
lui montrer que nous l'étions. Il dit alors: "Je vous aime toutes, vous êtes
les enfants du Royaume, et vous êtes acceptées de Dieu. Bien que vous soyez
pauvres ici, vous êtes riches des trésors du Royaume. Je suis le Serviteur des
pauvres. Souvenez-vous de Sa Sainteté Jésus lorsqu'Il disait: 'Bénis sont les
pauvres!' (25).
Même si toutes les reines de la terre étaient rassemblées ici, je ne pourrais
pas être plus heureux!".
'Abdu'l-Baha savait que nous avions un coffret à monnaies pour essayer d'aider
les gens moins fortunés que nous. Il se leva et dit: "Vous m'êtes chères. Je
veux faire quelque chose pour vous! Je ne peux pas cuisiner pour vous (peu avant
il nous avait vues occupées dans la cuisine) mais voici quelque chose pour votre
fonds". Il fit le tour de chacune d'entre nous en nous serrant la main avec
un beau sourire et en nous saluant d'une formule baha'ie: 'Allah'u'Abha!'.
Plus tard il marcha dans le village, et beaucoup d'enfants pauvres vinrent à
lui, ainsi que des mères avec des nourrissons malades et des hommes sans travail.
Il parla à tous, grâce à un interprète. A l'heure du thé d'autres amis nous
rejoignirent. 'Abdu'l-Baha aimait le jardin du cottage à Vanners, le petit verger
et les roses. Il dit: "C'est comme un jardin persan. L'air est très pur".
Au moment de son départ pour Londres, il offrit à chacun une pensée violette
du jardin, et dit à plusieurs reprises en anglais: 'Au revoir'.
Le 28 septembre, 'Abdu'l-Baha se rendit à nouveau à Vanners dans la petite ferme
du vieux manoir royal datant du temps d'Edward II. Il fut conduit en véhicule
motorisé, y passa la nuit et retourna à Londres le lendemain soir.
'Abdu'l-Baha fut très frappé durant le trajet par deux patrouilles de boy scouts
marchant à pas cadencés sur la route. Quand nous lui dîmes que la devise des
scouts est 'Toujours prêts', et qu'une de leurs lois consiste à faire une bonne
action chaque jour et que certains de ces garçons avaient éteint un incendie
et apporté leur aide lors d'un récent accident de chemin de fer, il dit: "Cela
me rend très heureux".
En arrivant à Vanners, il trouva une grande foule bigarrée, rassemblée devant
le portail pour l'accueillir. Il y avait aussi bien des gens complètement pauvres
que des riches arrivés en voiture du fin fond de leur campagne. Un grand nombre
le suivirent et tous se pressèrent tant qu'ils purent dans le jardin pour s'asseoir
par terre autour de lui. Le silence était très impressionnant. La même attention
et le même désir d'entendre se manifestaient chez les gens chaque fois que 'Abdu'l-Baha
apparaissait dans le village.
Après avoir exprimé sa joie d'être avec eux, il commença de parler au petit
groupe en réponse à une question concernant la civilisation développée d'Occident.
2.26. LA CAPTIVITÉ DE L'HOMME
'Abdu'l-Baha dit: "Le luxe entrave la liberté des relations. Celui qui est prisonnier
de ses désirs est toujours malheureux; les enfants du Royaume se sont libérés
des chaînes de leurs désirs. Brisez tous vos fers et recherchez la joie et l'illumination
spirituelles; alors, bien que vous marchiez sur cette terre, vous vous apercevrez
que vous faites partie de l'horizon divin. A l'homme seul est donnée cette faculté.
Quand nous regardons autour de nous, nous voyons toutes les autres créatures
captives de leur environnement.
L'oiseau est prisonnier de l'air et le poisson de la mer. Seul l'homme se tient
à part et dit aux éléments: 'Je ferai de vous mes serviteurs! Je puis vous gouverner!'
Il prend l'électricité, et grâce à son ingéniosité il l'emprisonne et en fait
un merveilleux pouvoir pour éclairer, et un moyen pour communiquer à des distances
de plusieurs milliers de milles anglais. Mais l'homme lui-même peut devenir
un prisonnier des choses qu'il a inventées. Sa véritable seconde naissance arrive
quand il est libéré de toutes les choses matérielles: car seul est libre celui
qui n'est pas captif de ses désirs. Il est devenu, comme Jésus l'a dit, prisonnier
de l'Esprit-Saint".
2.27. LE POUVOIR DE DIEU
Un ami demanda à 'Abdu'l-Baha jusqu'à quel point un individu peut posséder en
lui-même cette conscience du Christ que St. Paul nomme l'espérance de la gloire
(26)?
'Abdu'l-Baha se tourna avec une grande joie dans le regard et dit avec un geste
émouvant: "La bonté et le pouvoir de Dieu sont sans limites pour chaque âme
humaine. Considérez ce qu'était le pouvoir vivifiant du Christ quand Il était
sur terre. Regardez ses disciples! Ils étaient des hommes pauvres et non cultivés.
D'un rustre pêcheur Il fit le grand Pierre, et de la pauvre fille du village
de Magdala il fit quelqu'un de vénéré pour son pouvoir dans le monde entier
aujourd'hui. On se souvient de nombreuses reines qui ont régné grâce aux dates
qui figurent dans l'histoire. Mais Marie Madeleine est plus grande que toutes
ces reines. Elle est celle dont l'amour fortifia les apôtres quand leur foi
chancelait. Ce qu'elle fit pour le monde ne peut être mesuré. Voyez quel pouvoir
divin s'embrasait en elle par le pouvoir de Dieu!"
2.28. LES MESSAGERS INSPIRÉS
Quand on lui demanda s'il serait toujours nécessaire que les Prophètes viennent
d'âge en âge: 'Le monde ne parviendrait-il pas à avoir une pleine connaissance
de Dieu au fil des événements qui marqueraient sa progression?' 'Abdu'l-Baha
répondit: "L'humanité a besoin d'une source d'énergie universelle pour la vivifier.
Le Messager inspiré qui est directement assisté par le pouvoir de Dieu produit
des résultats universels. Baha'u'llah se leva telle une lumière sur la Perse
et maintenant cette lumière se propage dans le monde entier".
'Est-ce la signification de la seconde venue du Christ?' "Le Christ est une
expression de la Réalité divine, de l'Essence unique et de l'Entité céleste,
qui n'a ni commencement ni fin. Chaque cycle comprend une apparition, une révélation,
une manifestation et un déclin".
Ceux qui ont été avec 'Abdu'l-Baha ont noté que souvent après avoir parlé aux
gens avec ardeur, il se tournait tout d'un coup et allait marcher plus loin
pour être seul. En de tels moments personne ne le suivait. Cette fois-ci, quand
il eut fini de parler et qu'il partit par le portail du verger vers le village,
tous furent frappés par son pas libre et merveilleux qui a été décrit par l'un
de nos amis américains comme celui d'un berger ou d'un roi.
Quand il passa, des enfants en haillons se groupèrent par douzaines autour de
lui, les garçons le saluant comme ils l'avaient appris à l'école, et lui montrant
comment instinctivement ils avaient ressenti l'importance de sa présence. Le
plus remarquable fut le silence des hommes même les plus durs quand 'Abdu'l-Baha
parut. Un pauvre clochard s'exclama: 'C'est un homme bon', et ajouta 'Oui, il
a souffert!'
Il témoigna un intérêt particulier pour les enfants malades, estropiés et mal
nourris. Les mères portant leurs plus petits le suivirent, et un ami expliqua
que ce grand visiteur avait traversé les mers depuis la Terre sainte où Jésus
était né.
Pendant toute la journée, des gens de toutes conditions se rassemblèrent devant
le portail dans l'espoir de l'apercevoir, et plus de soixante personnes vinrent
en voiture ou à vélo jusqu'à Vanners pour le voir, nombreux étant ceux qui souhaitaient
le questionner sur un sujet spécial. Parmi eux il y avait des ecclésiastiques
de différentes confessions, le directeur d'une grande école d'enseignement secondaire
de garçons, un membre du Parlement, un docteur, un écrivain politique célèbre,
un recteur d'université, plusieurs journalistes, un poète bien connu et un magistrat
de Londres.
On se souviendra longtemps de lui alors qu'il était assis près de la fenêtre
en rotonde dans le soleil de l'après-midi; de son bras il entourait les épaules
d'un petit enfant déguenillé mais très heureux, venu pour demander à 'Abdu'l-Baha
six pence à mettre dans sa tirelire pour sa mère infirme. Autour de lui s'étaient
rassemblés dans la pièce des hommes et des femmes qui discutaient de l'éducation,
du socialisme, du premier Reform Bill (27),
et de la relation entre les sous-marins, la télégraphie sans fil et l'ère nouvelle
dans laquelle l'homme était en train d'entrer".
Durant la soirée deux jeunes fiancés du village, qui avaient lu quelques livres
baha'is, demandèrent la permission de venir à lui. Ils entrèrent timidement,
le garçon conduit par la fille. 'Abdu'l-Baha se leva pour les saluer, et les
fit prendre place dans le cercle. Il leur parla avec ardeur du sens sacré du
mariage, de la beauté d'une union véritable, et de l'importance du petit enfant
et de son éducation. Avant leur départ il les bénit et oignit leur tête et leur
front d'un parfum persan.
2.29. L'ÉDUCATION
'Abdu'l-Baha insista grandement sur l'éducation. Il dit: "L'éducation de la
fille est aujourd'hui d'une plus grande importance que l'éducation du garçon,
car elle est la mère de la génération future. C'est le devoir de tous de s'occuper
des enfants. Ceux qui n'ont pas d'enfants devraient, si possible, se rendre
responsables de l'éducation d'un enfant".
La condition des indigents dans les villages et à Londres impressionna fortement
'Abdu'l-Baha. Lors d'une conversation pleine d'ardeur avec le recteur d'une
paroisse, 'Abdu'l-Baha dit: "Je trouve l'Angleterre réveillée; il y a de la
vie spirituelle ici. Mais vos pauvres sont si pauvres! Cela ne devrait point
être. D'un côté vous avez de la richesse et un grand luxe; d'un autre côté des
hommes et des femmes vivent à la limite de la faim et du besoin. Ce grand contraste
dans la vie est l'un des points noirs de la civilisation en cet âge illuminé.
Vous devez prêter une attention plus empressée concernant l'amélioration de
la condition des pauvres. Ne soyez satisfaits que lorsque chaque personne pour
qui vous vous sentez concerné deviendra pour vous comme un membre de votre famille.
Considérez chacun soit comme un père, soit comme un frère, soit comme une soeur,
soit comme une mère, soit comme un enfant. Si vous pouvez parvenir à cela, vos
difficultés s'aplaniront, vous saurez quoi faire. Tel est l'enseignement de
Baha'u'llah".
2.30. LE CHANGEMENT DU COEUR
A une personne qui parlait du désir du peuple de posséder la terre, et du profond
courant de révolte des classes laborieuses, 'Abdu'l-Baha dit: "Se battre, et
employer la force, même pour une juste cause, n'apportera pas de bons résultats.
Les opprimés qui ont le droit de leur côté, ne doivent pas saisir ce droit par
la force; le mal continuerait. Les coeurs doivent être changés. Les riches doivent
souhaiter donner! La vie en l'homme devrait être comme une flamme, réchauffant
tout ce avec quoi elle entre en contact. Les êtres spirituellement réveillés
sont comme des torches brillantes aux yeux de Dieu, ils donnent de la lumière
et du réconfort à leurs semblables".
Quand on lui demanda s'il ne trouvait pas les manières des Anglais grossières
et maladroites, en comparaison de celles d'Orient, 'Abdu'l-Baha dit qu'il n'avait
pas ressenti cela. Quand une nation croît en spiritualité, les manières deviennent
différentes.
2.31. CHRIST ET BAHA'U'LLAH
Un ami demanda en quoi les enseignements de Baha'u'llah contrastaient avec ceux
de Jésus-Christ. "Les enseignements sont les mêmes" déclara 'Abdu'l-Baha. "C'est
le même fondement et le même temple. La vérité est une, et sans division. Les
enseignements de Jésus sont sous une forme condensée. Les hommes ne sont pas
d'accord aujourd'hui sur le sens donné à nombre de Ses paroles. Ses enseignements
sont comme une fleur en bourgeon. Aujourd'hui, le bourgeon se déploie en une
fleur! Baha'u'llah a élargi et accompli les enseignements, et les a appliqués
en les détaillant au monde entier.
Il n'y a pas d'anachorètes ni d'ermites parmi les baha'is. L'homme doit travailler
avec ses semblables. Chacun devrait avoir un commerce, une profession ou pratiquer
un art, qu'il soit riche ou pauvre, et avec cette activité, il doit servir l'humanité.
Ce service est accepté comme la plus haute forme d'adoration".
2.32. L'ART
Une femme peintre demanda: 'Est-ce que l'art est une vocation digne?' 'Abdu'l-Baha
se tournant vers elle avec solennité dit: "L'Art est adoration".
Un acteur s'enquit du théâtre et de son influence. "Le théâtre est de la plus
haute importance" dit 'Abdu'l-Baha. "Il a eu un grand rôle éducatif dans le
passé; il en sera encore ainsi". Il décrivit comment tout jeune garçon il assista
à une représentation du mystère et de la passion de 'Ali et combien cela le
toucha profondément à tel point qu'il sanglota et ne put dormir pendant plusieurs
nuits.
2.33. LES SYMBOLES
Quelqu'un voulut savoir si c'était une bonne coutume de porter un symbole, comme
par exemple une croix. Il dit: "Vous portez la croix pour vous souvenir, elle
concentre vos pensées; elle n'a aucun pouvoir magique. Les baha'is portent souvent
une pierre avec le Plus Grand Nom gravé dessus: il n'y a aucune influence magique
dans cette pierre; c'est un moyen de rappel, et un compagnon. Si vous êtes sur
le point de faire une action égoïste ou précipitée, et si votre regard tombe
sur la bague à votre main, vous vous souviendrez et vous changerez votre intention".
2.34. L'ESPERANTO
Un ami s'informa sur la prophétie de Baha'u'llah dans les Paroles du Paradis
(28), concernant
l'institution d'une langue universelle, et désira savoir si l'espéranto serait
la langue choisie.
"L'amour et l'effort placés dans l'espéranto ne seront pas perdus" répondit-il,
"mais aucune personne ne peut construire seule une langue universelle. Elle
doit être élaborée par un Conseil représentant tous les pays, et doit contenir
des mots de différentes langues. Les règles les plus simples la régiront, et
il n'y aura pas d'exceptions; il n'y aura ni genre, ni lettres muettes ni surcharges.
Tout ce qui sera signifié n'aura qu'un nom. En arabe, il y a des centaines de
noms pour désigner le chameau! Dans les écoles de chaque nation la langue maternelle
sera enseignée ainsi que la langue universelle officielle".
2.35. TOLSTOÏ
Le même intervenant dit: 'J'ai beaucoup lu Tolstoï et je vois un parallèle entre
ses enseignements et les vôtres. Dans l'un de ses livres il parle de l'énigme
de la vie, et décrit comment la vie est gâchée dans notre effort pour en trouver
la clef. Et Tolstoï d'ajouter: Il y a un homme en Perse qui détient le secret.'
"Oui" dit 'Abdu'l-Baha, "J'ai reçu une lettre de Tolstoï dans laquelle il dit
souhaiter écrire un livre sur Baha'u'llah".
2.36. LA GUÉRISON
Un ami intéressé par ce qui touche à la guérison cita les paroles de Baha'u'llah:
'Si quelqu'un est malade, qu'il aille chez le plus grand médecin' (29).
'Abdu'l-Baha dit: "Il n'y a qu'un pouvoir qui guérit, c'est Dieu. L'état ou
la condition qui permettent la guérison c'est la confiance du coeur. Quelques-uns
atteignent cet état au moyen de pilules et de poudres et grâce à des médecins.
D'autres au moyen de l'hygiène, du jeûne, et de la prière; d'autres grâce à
une aptitude particulièrement sensible qui leur permet de percevoir les choses
directement".
A une autre occasion, 'Abdu'l-Baha dit concernant ce même sujet: "Tout ce que
nous voyons dans le monde autour de nous est le travail de l'esprit. C'est l'esprit
dans l'herbe et dans le minéral qui agit sur le corps humain, et change sa condition".
La causerie se prolongea en un discours érudit sur la philosophie d'Aristote.
2.37. LA MORT
Un ami demanda: 'Comment devrait-on attendre la mort?'
'Abdu'l-Baha répondit: "Comment envisage-t-on le but de tout voyage? Avec espoir
et impatience. Il en va de même pour le terme de ce voyage terrestre. Dans l'autre
monde, l'homme se retrouvera libéré des nombreuses infirmités qui aujourd'hui
le font souffrir. Ceux qui ont franchi le cap de la mort ont leur propre monde.
Ce monde n'est pas éloigné du nôtre; l'oeuvre qu'ils accomplissent, l'oeuvre
du Royaume, est aussi notre oeuvre; mais elle est sanctifiée de ce que nous
appelons le temps et l'espace. Notre temps est mesuré en fonction du soleil.
Lorsqu'il n'y a plus de lever du soleil, ni de coucher du soleil, ce type de
temps n'existe plus pour l'homme. Ceux qui sont montés au ciel ont des attributs
différents de ceux qui sont encore sur terre, mais en fait il n'y a pas de réelle
séparation.
Dans la prière, il y a interpénétration d'états, mélange des conditions. Priez
donc pour eux comme ils prient pour vous! Sans que vous le sachiez, si vous
êtes en difficulté et lorsque vous êtes dans une attitude réceptive, ils sont
capables de vous faire des suggestions. Cela se produit quelquefois durant le
sommeil, mais cela n'a rien de prodigieux! Ce qui semble prodigieux a une autre
explication". L'intervenant s'exclama: 'Mais j'ai entendu une voix!' 'Abdu'l-Baha
dit: "Oui, c'est possible; nous entendons clairement des voix durant les rêves.
Ce n'est pas avec l'oreille physique que vous avez entendu; l'esprit de ceux
qui sont partis est libéré des sens de la vie, et n'utilise pas de moyens physiques.
Ce n'est pas possible d'exprimer ces grandes questions dans le langage humain;
le langage des hommes est le langage des enfants, et l'explication que donne
l'homme souvent nous égare".
Quelqu'un demanda comment il se faisait que pendant une prière ou une méditation,
le coeur souvent se tourne vers un ami qui est passé dans l'autre vie et lui
lance instinctivement un appel.
'Abdu'l-Baha répondit: "C'est une loi de la création de Dieu que le faible devrait
s'appuyer sur le fort. Ceux vers qui vous vous tournez peuvent être les médiateurs
du pouvoir de Dieu pour vous, de la même façon que lorsqu'on est sur terre.
Mais c'est le Saint-Esprit seul qui fortifie tous les hommes". Ensuite, un autre
ami se référa à la communion de Jésus avec Moïse et Elie sur le Mont de la Transfiguration,
et 'Abdu'l-Baha dit: "Les fidèles sont toujours soutenus par la présence du
Concours suprême. Dans le Concours suprême, il y a Jésus et Moïse, et Elie,
et Baha'u'llah, et d'autres âmes suprêmes; il y a aussi les martyrs".
Quand on le questionna sur la permanence de la personnalité de l'animal après
la mort, 'Abdu'l-Baha dit: "Même le chien le plus développé n'a pas l'âme immortelle
de l'homme; cependant le chien est parfait à sa propre place. Vous ne vous querellez
pas avec un rosier parce qu'il ne peut pas chanter!"
2.38. UN VRAI BAHA'I
Une personne qui étudiait les méthodes contemporaines de critique historique
demanda à 'Abdu'l-Baha s'il ferait bien de rester dans l'Église qu'il fréquenta
toute sa vie, et dont le langage était plein de sens pour lui. 'Abdu'l-Baha
répondit: "Vous ne devez pas vous en désintéresser. Sachez ceci; le Royaume
de Dieu n'est dans aucune association; des chercheurs vont à travers de nombreuses
associations comme un voyageur traverse de nombreuses villes jusqu'à ce qu'il
atteigne sa destination. Si vous appartenez déjà à une association n'abandonnez
pas vos frères. Vous pouvez être un baha'i-chrétien, un baha'i franc-maçon,
un baha'i-juif, un baha'i-musulman (30).
Le nombre neuf contient huit, et sept, et tous les autres nombres, et ne renie
aucun des autres. Ne peinez et ne refusez personne en disant: 'Il n'est pas
baha'i'. Il sera connu par ses actes. Il n'y a aucun secret parmi les baha'is,
un baha'i ne cache rien".
2.39. PROPAGER L'ENSEIGNEMENT
Un ami américain l'interrogea: 'Quelle est la meilleure façon de propager l'enseignement?'
il répondit: "Par les actes. Cette manière est ouverte à tous, et les actes
sont compris de tous. Joignez-vous à ceux qui travaillent pour les pauvres,
les faibles et les infortunés; ceci est grandement recommandé. Enseigner par
des mots requiert l'adresse d'un sage médecin. Il n'offre pas d'aide à ceux
qui ne veulent pas de traitement. Ne portez pas aide à ceux qui n'ont pas besoin
de votre aide. Le travail d'enseignement n'est pas pour tous".
L'histoire suivante montre combien l'attention de 'Abdu'l-Baha se porte sur
de petits détails où d'autres sont impliqués. Apprenant que quelques-uns de
ses amis étaient venus de Londres, et avaient projeté de s'arrêter pour la nuit
dans le village afin d'être près de lui, 'Abdu'l-Baha en fit immédiatement ses
invités à l'auberge, et se souciant de leur confort, alla personnellement inspecter
les chambres, car les nuits devenaient froides.
2.40. À BROOKLANDS
Le matin du second jour, une voisine fit mettre sa voiture à la disposition
de 'Abdu'l-Baha en lui demandant s'il ne lui plairait pas d'emmener ses invités
au terrain d'aviation de Brooklands. Malgré le grand vent, un aviateur s'était
mis sur la piste dès qu'il avait appris le nom du visiteur pour qui il devait
voler. 'Abdu'l-Baha laissa ses amis et marcha jusqu'au milieu du terrain, où
il se tint seul debout regardant le biplan faire de larges cercles au-dessus
de lui.
Un hindou qui apprenait à voler à l'école rejoignit les amis de 'Abdu'l-Baha
et demanda: 'Qui est l'homme en habit oriental?'
Quand on le lui dit, il s'exclama: 'Oh, je le connais très bien à travers ses
enseignements que j'ai étudiés' et immédiatement il alla à la rencontre de 'Abdu'l-Baha.
Ils parlèrent ensemble en arabe un certain temps, le jeune homme montrant une
grande joie d'être en sa présence. Il dit par la suite qu'il avait attendu ce
moment pendant de nombreuses années.
Pendant qu'ils prenaient le thé au-dehors, 'Abdu'l-Baha et le jeune hindou,
assis à l'extrémité des longs bancs qui avaient été installés, se parlèrent
très simplement.
'Abdu'l-Baha remarqua deux des aviateurs qui faisaient de la lutte au sol, et
quand ils s'arrêtèrent, il alla vers eux tapant des mains et criant en anglais:
"Bravo! Bravo! c'est un bon exercice".
De retour en Egypte, 'Abdu'l-Baha a envoyé un télégramme plein d'amabilité présentant
ses compliments aux gens de Byfleet, leur disant qu'il ne les oublierait jamais.
2.41. LES JOURNÉES À LONDRES
Pendant le séjour de 'Abdu'l-Baha à Cadogan Gardens (31)
les gens arrivaient tous les jours, à n'importe quelle heure de la journée du
matin très tôt à la nuit tombante, espérant avoir le privilège de le voir et
de l'entendre parler. Nombreuses furent les réunions autour de la table de cette
maison hospitalière et des centaines de personnes y furent conviées. Beaucoup
vinrent sans invitation et personne ne fut éconduit. Parmi les visiteurs il
y eut des membres du clergé de diverses confessions, des membres du Parlement,
des magistrats et des hommes de lettres.
Les visiteurs n'étaient pas seulement des Anglais; de nombreux Persans avaient
fait le voyage depuis Téhéran et d'autres villes d'Orient afin de rencontrer
librement celui dont ils avaient été si longtemps privés à cause de sa captivité.
Le rédacteur en chef d'un journal imprimé au Japon, modifia son itinéraire de
retour pour Tokyo dans le but de pouvoir passer la nuit près de 'Abdu'l-Baha,
et un médecin zoroastrien de Bombay lui rendit visite tardivement la veille
de son retour pour l'Inde.
2.42. LE TRAVAIL DES FEMMES
L'intérêt de 'Abdu'l-Baha pour le travail et le progrès des femmes est bien
connu, et parmi les notables de la haute société qui vinrent le voir, on peut
mentionner Madame Annie Besant, présidente de la société théosophique, les organisatrices
de plusieurs corps de suffragettes (32),
des femmes actives dans le domaine des droits des citoyens et dans le domaine
philanthropique, les directrices de plusieurs collèges de filles et des femmes
ayant leur doctorat.
Ceux qui eurent le privilège d'être présents se souviendront longtemps de cette
conversation pleine d'esprit à l'occasion de la visite d'une ardente suffragette.
La pièce était remplie d'hommes et de femmes, de nombreux Persans étant assis
sur le sol dans leur attitude familière pleine de respect.
Après avoir examiné de manière comparative la position générale des femmes de
l'Est et de l'Ouest, et décrit comment sous de nombreux aspects les femmes de
l'Est ont un avantage sur leurs soeurs de l'Ouest, 'Abdu'l-Baha se tourna vers
la visiteuse et dit: "Donnez-moi vos raisons pour croire qu'aujourd'hui la femme
devrait avoir le droit de voter?"
Réponse: 'Je crois que l'humanité est une humanité divine et qu'elle doit s'élever
de plus en plus haut; mais elle ne peut prendre son essor avec une seule aile'.
A cette réponse, 'Abdu'l-Baha exprima son plaisir, et, souriant, répliqua: "Mais
que ferez-vous si une aile est plus forte que l'autre?" Réponse: 'Alors nous
devons fortifier l'aile la plus faible, sinon le vol sera toujours gêné'.
'Abdu'l-Baha sourit et demanda: "Que direz-vous si je vous prouve que la femme
est l'aile la plus forte?"
La réponse vint d'une veine tout aussi éclatante: 'Vous gagnerez mon éternelle
gratitude!' ce qui amusa toute la compagnie.
'Abdu'l-Baha continua plus sérieusement: "La femme est en effet de la plus grande
importance pour la race humaine. Elle porte le plus lourd fardeau et fournit
le plus grand travail. Regardez les mondes végétal et animal. Le palmier qui
porte le fruit est l'arbre le plus prisé par ceux qui font la culture des dattes.
L'Arabe sait que pour un long voyage la jument est plus endurante. Pour sa plus
grande force et férocité, le chasseur craint plus la lionne que le lion.
Il a été prouvé que la simple taille du cerveau n'est pas une mesure de la supériorité.
La femme a un plus grand courage moral que l'homme; elle a aussi des dons spéciaux
qui la rendent capable de gouverner dans des moments de danger et de crise.
Si nécessaire elle peut devenir un guerrier".
2.43. ZENOBIE
'Abdu'l-Baha demanda aux gens qui l'entouraient s'ils se souvenaient de l'histoire
de Zenobie et de la chute de Palmyre (33).
Il continua alors comme suit, faisant des gestes de la main avec la simplicité
et la gravité qui lui étaient propres:
"Il y avait alors un gouverneur dans l'ancienne Syrie, qui avait une épouse
belle et intelligente. Elle avait de telles capacités qu'au décès du gouverneur
elle fut placée aux rênes du pouvoir. Le pays prospérait sous sa tutelle, et
les hommes reconnurent qu'elle était meilleure souveraine que son mari. Après
un temps, les légions de Rome envahirent le pays, mais elle les repoussa à plusieurs
reprises, les jetant dans une grande confusion. Laissant tomber ses beaux cheveux,
elle chevauchait à la tête de l'armée, vêtue d'un manteau écarlate, portant
une couronne d'or, et maniant une épée à double tranchant. L'Empereur romain
retira alors ses armées de cinq autres provinces dans le but de la soumettre.
Après un long et brave combat Zenobie se replia dans la ville de Palmyre qu'elle
renforça de prodigieuses fortifications, et là elle endura un siège de quatre
mois, l'Empereur étant incapable de l'en déloger. La nourriture qu'elle avait
stockée à l'intérieur des murs fut finalement épuisée, la misère et les plaies
de son peuple affamé la forcèrent à se rendre.
L'Empereur était plein d'admiration pour cette grande femme, en raison de son
courage et son endurance, et il lui demanda de devenir son épouse. Mais elle
refusa, disant qu'elle ne consentirait jamais à prendre pour époux l'ennemi
de son peuple. L'Empereur devint alors enragé et fut décidé à l'humilier. Il
la prit avec lui dans ses vaisseaux pour son retour à Rome. Un grand défilé
fut préparé pour son entrée triomphale et les rues étaient pleines de gens.
Les éléphants défilèrent en premier, suivis des chameaux. Après les chameaux
ce fut le tour des tigres et des léopards. Après les léopards vinrent les singes,
et en dernière position, après les singes, marchait Zenobie avec une chaîne
d'or autour du cou. Elle se tenait toujours tête haute, ferme dans sa détermination.
Rien ne pouvait briser son esprit! Elle refusa de devenir Impératrice: elle
fut donc jetée dans un cachot et par la suite elle mourut".
'Abdu'l-Baha s'interrompit. Le silence régna dans la pièce pendant un long moment
avant qu'il ne soit rompu.
Une autre fois 'Abdu'l-Baha dit à un groupe d'amis autour de lui: "Prises dans
leur ensemble, les femmes ont aujourd'hui un plus fort sens de la religion que
les hommes. L'intuition des femmes est plus juste; elle est plus réceptive et
son intelligence est plus vive. Le jour arrive où la femme démontrera sa supériorité
sur l'homme.
La femme a partout été l'objet d'éloges pour sa fidélité. Après les souffrances
du Seigneur Christ, ses disciples pleurèrent, et donnèrent libre cours à leur
peine. Ils pensaient que leurs espoirs avaient volé en éclats, et que la Cause
était complètement perdue, jusqu'à ce que Marie Madeleine vint à eux pour les
fortifier disant: 'Etes-vous en deuil pour le corps de Notre Seigneur ou pour
son esprit? Si vous êtes en deuil pour son esprit, vous êtes dans l'erreur car
Jésus vit! Son esprit ne nous quittera jamais!' Ainsi grâce à sa sagesse et
son encouragement la Cause du Christ se maintint pour toujours. Son intuition
la rendit capable de saisir ce fait spirituel" (34).
'Abdu'l-Baha ajouta alors: "Mais aux yeux de Dieu le sexe ne fait nulle différence.
Le plus grand est celui ou celle qui est le plus proche de Dieu".
Un matin 'Abdu'l-Baha, en entrant dans la pièce regarda autour de lui et dit:
"C'est comme un miracle d'être ensemble ici. Il n'y a point de lien racial,
politique ou patriotique. Nous sommes reliés par les paroles de Baha'u'llah,
et toutes les races de la terre seront réunies de la même manière. De cela,
soyez assurés!"
2.44. LE VRAI BAHA'I
'Je n'ai jamais entendu parler de Baha'u'llah', dit un jeune homme. 'Je n'ai
que récemment lu sur ce mouvement, mais je reconnais la mission de 'Abdu'l-Baha
et je désire être un disciple. J'ai toujours cru que la fraternité humaine était
l'ultime solution de toutes nos difficultés nationales et internationales'.
"Cela ne fait aucune différence que vous ayez ou non entendu parler de Baha'u'llah",
répondit 'Abdu'l-Baha, "l'homme qui vit la vie en accord avec les enseignements
de Baha'u'llah est déjà un baha'i. D'un autre côté un homme peut se dire baha'i
pendant cinquante ans, s'il ne vit pas la vie baha'ie il n'est pas un baha'i.
Un homme laid peut se dire beau, mais il ne trompe personne, et un homme noir
peut se dire blanc, là encore il ne trompe personne: même pas lui-même!"
2.45. LA VENUE DE LA PAIX
'Par quel processus' continua le jeune homme, 'la paix sera-t-elle établie sur
terre? Viendra-t-elle tout de suite après une proclamation universelle de la
vérité?'
"Non, cela viendra graduellement" dit 'Abdu'l-Baha. "Une plante qui croît trop
rapidement ne dure qu'un temps court. Vous êtes ma famille", et il regarda tout
autour avec un sourire, "mes nouveaux enfants! Si une famille vit à l'unisson,
de bons résultats s'observent. Elargissez le cercle; quand une ville vit dans
une harmonie parfaite il s'en suivra de grandes réalisations, et un continent
qui est pleinement uni unira de la même façon tous les autres continents. Alors
viendra le temps des plus grands résultats, car tous les habitants de la terre
appartiennent à une seule patrie".
2.46. LE COEUR PUR
Quand on lui demanda une définition d'un coeur pur, 'Abdu'l-Baha dit: "Le coeur
pur est celui qui est entièrement coupé du moi. Etre altruiste c'est être pur".
2.47. LA VRAIE SPIRITUALITÉ
Un autre matin, 'Abdu'l-Baha commença tout de suite à parler tandis qu'il rejoignait
le groupe de chercheurs. Il dit: "Louange soit à Dieu, ce siècle est un siècle
glorieux; puisse l'amour augmenter chaque jour; puisse-t-il faire jaillir l'étincelle
du feu pour allumer la chandelle dans l'obscurité, comme un don et une miséricorde
de Dieu.
Sachez, ô vous êtres doués de pénétration, que la vraie spiritualité est comme
un lac d'eau claire qui reflète la Divinité. Telle était la spiritualité de
Jésus-Christ. Il y en a une d'un autre genre qui est comme un mirage, qui semble
être spirituelle mais qui ne l'est pas. Ce qui est vraiment spirituel doit éclairer
le sentier qui conduit à Dieu, et doit se traduire en actes. Nous ne pouvons
pas croire qu'on se dise spirituel quand il n'y a pas de résultat. L'esprit
est vérité, et quand l'esprit en chacun de nous cherche à se joindre à la grande
vérité, il doit à son tour donner la vie. Les juifs au temps du Christ étaient
morts, n'ayant pas de vie véritable, et Jésus fit vraiment jaillir un nouveau
souffle dans leur corps. Regardez ce qui a été accompli depuis!".
2.48. LA CONNAISSANCE DOIT SE CONCRÉTISER PAR L'ACTION
Un représentant d'une association très connue fit référence aux réunions qu'ils
avaient dans le but de rechercher la réalité de la vérité, et 'Abdu'l-Baha dit:
"Je connais votre travail. J'en pense beaucoup de bien. Je sais que votre désir
est de servir l'humanité, et de réunir l'humanité sous la bannière de l'unicité;
mais ses membres doivent prendre garde que cela ne devienne qu'une discussion.
Regardez tout autour de vous. Combien de comités ont été formés, et ont eu une
vie éphémère! Les comités et les associations ne peuvent pas créer ni donner
la vie.
Les gens se réunissent et parlent, mais c'est le Verbe de Dieu qui, seul, agit
avec puissance. Réfléchissez un instant: feriez-vous du commerce ensemble si
vous n'aviez ni revenus ni bénéfices qui en découlent! Regardez les disciples
du Christ. Leur pouvoir était dû à leur ardeur et à leurs actes. Tout effort
doit avoir son résultat, sinon cela n'est pas un vrai effort. Vous devez devenir
ces mèches qui éclairent le monde de l'humanité. Là sont les preuve et signe
infaillibles. Tout progrès dépend de deux choses, la connaissance et la pratique.
Premièrement acquérez la connaissance, et, quand vous êtes convaincus, mettez-la
en pratique.
Un jour un homme érudit qui avait voyagé pour me rencontrer et recevoir ma bénédiction,
disait qu'il connaissait et comprenait les enseignements baha'is. Quand je lui
dis qu'il pouvait recevoir les bénédictions du Saint-Esprit à n'importe quel
moment s'il se mettait dans une attitude réceptive pour les accepter, il dit
qu'il était toujours dans une attitude réceptive.
'Que feriez-vous', lui demandai-je, 'si je me tournais soudainement et je vous
frappais?' Il s'emporta aussitôt avec indignation et sortit de la pièce à grands
pas en colère.
Au bout d'un moment je vins à lui et lui prit le bras, en lui disant: 'Mais
vous devez rendre le bien pour le mal. Que je vous aie honoré ou méprisé, vous
devriez suivre les enseignements; maintenant vous les avez simplement lus. Souvenez-vous
des paroles de Jésus qui dit: 'Le premier sera le dernier, et le dernier le
premier' (35).
L'homme se tourna, serra ma main et partit, et depuis j'ai eu écho de nombreuses
bonnes actions qu'il a faites".
Lorsqu'on désigna 'Abdu'l-Baha du nom de Prophète, il répondit: "Mon nom est
'Abdu'l-Baha, le serviteur de Dieu" [littéralement, l'esclave de la Gloire.]
(36)
2.49. LA VISITE AU LORD MAIRE
A la demande expresse du Lord Maire, 'Abdu'l-Baha lui rendit visite un matin
à la Mansion House (37).
La discussion s'orienta principalement sur les conditions sociales des grandes
villes, et 'Abdu'l-Baha dit que Londres était la ville la plus organisée qu'il
eut jamais vue.
Il ajouta: "Chaque homme marchant dans la rue est libre comme s'il était dans
son propre royaume. Il y a une grande lumière spirituelle dans Londres. L'effort
fait pour la justice est réel et dans ce pays la loi est la même pour le pauvre
comme pour le riche". Il prit grand intérêt à entendre parler du soin pris pour
les prisonniers quand ils quittent la prison, et parla de l'heureux pays dont
les magistrats sont comme des pères pour le peuple.
Avant de quitter Londres, 'Abdu'l-Baha se rendit à un hôpital du quartier Est
pour y voir un jeune écrivain très malade, qui y était alité et qui avait une
grande envie de le rencontrer.
2.50. QUELQUES CARACTÉRISTIQUES PERSONNELLES
Il y a un aspect du caractère de 'Abdu'l-Baha sur lequel on n'a pas insisté,
et sans lequel aucune idée de lui ne peut-être complète. L'impressionnante dignité
qui se dégage de sa présence et de sa prestance est teintée d'un humour délicat
et plein de tact, qui est tout aussi naturel que contagieux et délicieux.
Lors de son dernier après-midi à Londres, un journaliste vint s'enquérir de
ses projets futurs, et le trouva entouré de plusieurs amis venus lui dire au
revoir. En réponse à sa question, 'Abdu'l-Baha lui fit part dans un anglais
parfait de son intention de visiter Paris et ensuite de se rendre à Alexandrie;
le représentant de la presse manifesta une certaine surprise à sa prononciation
anglaise sans faute. Sur ce, 'Abdu'l-Baha commença à marcher à grands pas libres
dans la pièce pleine de senteurs de fleurs, son habit oriental contrastant étrangement
avec son environnement moderne; et, au grand amusement de l'assemblée, il prononça
une série de mots anglais élaborés, puis finit par dire en riant "Des mots anglais
très difficiles je parle!" Un peu plus tard, avec la rapide transition de quelqu'un
qui sait être à la fois gai et grave, il se montra terriblement sérieux.
Il avait laissé des ordres pour que personne ne soit renvoyé, mais quelqu'un
qui avait essayé vainement par deux fois de l'atteindre et en avait été empêché
par inadvertance, lui écrivit une lettre déchirante montrant qu'il s'était senti
repoussé. L'interprète persan traduisit la lettre. 'Abdu'l-Baha mit soudain
son manteau, et, se dirigeant vers la porte, dit avec une expression de tristesse
indescriptible: "Un de mes amis a été blessé, et j'en suis très peiné. Je sors
tout seul" et il descendit les marches. Chacun put apprécier combien le titre
de "Maître" lui seyait bien.
Un autre aspect de son caractère qu'aucun de ceux qui l'ont vu ne pourra oublier
était son attitude envers les enfants qui lui étaient présentés. Il donna nombre
de ses causeries assis, entourant l'un d'eux de son bras.
Il admonestait invariablement les parents ainsi: "Donnez à cet enfant une bonne
éducation; efforcez-vous de lui donner le meilleur de ce que vous pouvez vous
permettre, afin qu'il soit capable de bénéficier des privilèges de cet âge glorieux.
Faites tout ce que vous pouvez pour encourager le spirituel en lui".
Quiconque recherchait la présence de 'Abdu'l-Baha était frappé de la sympathie
paternelle qu'il incarnait.
Parlant de son amour et de celui des autres à son égard, 'Abdu'l-Baha répondait:
"Je sais que vous m'aimez, je peux voir cela. Je prierai pour vous afin que
vous soyez fermes, que vous serviez la Cause, et que vous deveniez un vrai serviteur
de Baha'u'llah. Bien que je m'en aille, je serai toujours présent parmi vous".
Ces paroles furent dites avec la plus grande sympathie et une compréhension
bienveillante des difficultés; pendant cette petite causerie 'Abdu'l-Baha prit
les mains de son interlocuteur pour les caresser, et à la fin prit sa tête et
avec une délicate attention l'attira à lui et baisa le front du jeune homme
qui eut l'impression d'avoir trouvé un père et un ami.
2.51. L'ADIEU
Pour la dernière matinée du séjour de 'Abdu'l-Baha à Londres beaucoup d'amis
se rassemblèrent à Cadogan Gardens (38)
et à la gare pour lui dire au revoir. Un médecin zoroastrien organisa chez lui
une cérémonie émouvante et intéressante et envoya à quelques Parsis (39)
de Bombay un télégramme soigneusement rédigé comme suit: "La torche de la vérité
flambe à nouveau à l'Est et à l'Ouest grâce à 'Abdu'l-Baha". Instruit par ses
frères, ce disciple d'une des plus anciennes religions dans le monde avait apporté
avec lui une huile sacrée d'un parfum rare, avec laquelle il oignit la tête
et la poitrine de 'Abdu'l-Baha, et toucha ensuite les mains de tous ceux présents.
Puis il posa autour du cou et des épaules de 'Abdu'l-Baha une guirlande exquise
de bourgeons de roses et de lilas.
La dernière vision que les amis eurent à la gare Victoria fut celle d'un visage
et d'une silhouette vénérables à la fenêtre, qui lançait au-dehors un dernier
regard plein de bienveillance et de tendresse à ceux qu'il quittait.