Voici le Jour promis
Shoghi Effendi


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Chapitres 1 à 4

1. Amis et frères héritiers du Royaume de Baha'u'llah

Une tempête d'une violence sans précédent, d'une trajectoire imprévisible, aux effets immédiats catastrophiques, aux conséquences finales incroyablement glorieuses, balaie aujourd'hui la surface de la terre. Sa force motrice gagne impitoyablement en ampleur et en puissance. Sa force purificatrice cependant, bien que largement insoupçonnée, s'accroît de jour en jour. L'humanité prise aux griffes de sa puissance dévastatrice est frappée par les signes de sa fureur irrésistible. Elle ne peut ni en percevoir l'origine, ni en sonder l'importance, ni en discerner l'issue. Abasourdie, angoissée et impuissante, elle regarde ce grand et puissant vent de Dieu envahir les régions les plus éloignées et les plus belles de la terre, faire trembler ses fondations et basculer son équilibre, séparer ses nations, détruire les foyers de ses habitants, ravager ses cités, mener ses rois à l'exil, détruire ses avenues, déraciner ses institutions, ternir sa lumière et harceler les âmes de ses habitants.

La plume prophétique de Baha'u'llah a proclamé : Le temps de la destruction du monde et de ses peuples est arrivé. Il affirme particulièrement : L'heure de la plus grande convulsion approche. Le jour promis est arrivé, le jour où surgiront au-dessus de vos têtes et sous vos pieds des jugements lancinant disant : "Goûtez ce que vos mains ont accompli !" Bientôt les souffles de son châtiment vous fouetteront et vous serez enseveli sous la poussière de l'enfer. Il dit aussi : Et lorsqu'arrivera l'heure dite apparaîtra soudain ce qui fera trembler les membres de l'humanité. Le jour approche où son feu [de civilisation] dévorera les cités, où la Langue de Grandeur proclamera : "Le Royaume est à Dieu, le Tout-Puissant, le Très-Loué !"Et se référant aux insensés sur la terre, il a écrit : Le jour viendra bientôt où ils appelleront à l'aide et ne recevront pas de réponse. Il a en outre prophétisé : Le jour approche où la colère furieuse du Tout-Puissant s'emparera d'eux. Il est en vérité l'Omnipotent, le Maître de tout, le très Puissant. Il lavera la terre de la souillure de leur corruption et la donnera en héritage à ceux de ses serviteurs qui sont proches de Lui.

Et parlant de "ceux que renient celui qui est la porte sublime de Dieu", le Bab pour sa part affirme dans le Qayyum-i-Asma` : Nous leur avons réservé un douloureux supplice, comme décrété justement par Dieu. Et Dieu est le Fort, le Sage. Et plus loin : O peuples de la terre ! Je jure par notre Seigneur ! Vous agirez comme ont agi les générations précédentes. Prenez donc garde alors de la terrible, de la très cruelle vengeance de Dieu. Car Dieu est en vérité puissant sur toutes choses. Et encore : Par ma gloire ! Je ferai goûter aux infidèles, des mains de mon pouvoir, des châtiments inconnus de tout autre que Moi et Je répandrai sur les fidèles ces brises au parfum de musc que J'ai bercé au coeur même de mon trône.

Chers amis ! Les intenses maneuvres de ce soulèvement titanique ne sont compréhensibles que pour ceux qui ont reconnu les affirmations de Baha'u'llah et du Bab. Leurs disciples savent très bien d'où cela provient et ce à quoi cela mènera finalement. Bien qu'ignorant l'ampleur que ce phénomène atteindra, ils discernent clairement sa genèse, sont conscients de sa direction, reconnaissent sa nécessité, observent avec confiance ses processus mystérieux, prient ardemment pour adoucir sa sévérité, oeuvrent intelligemment à apaiser sa fureur et anticipent avec clairvoyance la fin des craintes et des espoirs qu'il engendrera nécessairement.


2. Ce jugement de Dieu

Ce jugement de Dieu, tel qu'il est vu par ceux qui ont reconnu en Baha'u'llah son porte-parole et son plus grand messager sur terre, est à la fois un désastre justicier et un acte de discipline divine et suprême. C'est aussi bien un châtiment de Dieu qu'un processus de purification pour toute l'humanité. Son feu punit la perversité de la race humaine et soude les parties qui la composent en une seule communauté organique, indivisible, mondiale.

En ces années fatidiques qui marquent la fin du premier siècle de l'ère de Baha'u'llah et en annoncent un nouveau, l'humanité, comme l'a ordonné Celui qui est le Juge et le Rédempteur de la race humaine, est à la fois appelée à rendre compte de ses actions passées, à se purifir et à se préparer en vue de sa mission future. Elle ne peut ni échapper aux responsabilités du passé, ni se soustraire à celles du futur. Dieu, le Vigilant, le Juste, l'Aimant, l'Ordonnateur plein de sagesse, ne peut permettre dans sa dispensation suprême que les péchés, par omission ou en actions, d'une humanité non régénérée restent impunis et Il ne voudra pas non plus abandonner ses enfants à leur sort et leur refuser cette étape culminante et heureuse dans leur longue, dans leur lente et pénible évolution à travers les âges, ce qui est à la fois leur droit indéniable et leur vraie destinée.

D'une part Baha'u'llah lui-même lance cette inquiétante mise en garde : Secouez-vous, O peuples, dans l'attente des jours de la justice divine car l'heure promise a maintenant sonné. Abandonnez ce que vous possédez et saisissez ce que Dieu a apporté, Lui qui fait courber la nuque des hommes. Soyez certains que si vous ne vous détournez pas de ce que vous avez commis, le châtiment vous assaillira de toutes parts et vous verrez des choses plus cruelles que celles que vous avez vues auparavant. Et aussi : Nous avons déterminé un moment pour vous, O peuples ! Si vous n'arrivez pas, à l'heure convenue, à vous tourner vers Dieu, en vérité, Il vous saisira violemment et fera s'abattre sur vous, de toutes les directions, de grands malheurs. O combien sévère en réalité est le châtiment que votre Seigneur vous affligera ! Et aussi : Dieu assurément maîtrise la vie de ceux qui nous ont opprimé et est tout à fait conscient de leurs actes. Il leur fera très certainement payer leurs péchés. Il est en vérité le plus féroce des vengeurs. Et enfin : O vous peuples du monde ! Sachez en vérité qu'un malheur invisible vous suit et qu'un châtiment douloureux vous attend. Ne croyez pas que ce que vous avez commis ait été effacé de ma vue. Par ma Beauté ! Tous vos actes, ma plume les a gravés en grands lettres sur des tablettes de chrysolite.

D'autre part, Baha'u'llah annonçant l'avenir lumineux réservé à un monde enveloppé maintenant dans l'obscurité affirme avec emphase : La terre entière est à présent en état de gestation. Le jour approche où elle aura produit ses fruits les plus nobles, où les arbres les plus hauts, les fleurs les plus enchanteresses, les grâces les plus divines auront surgi de ses entrailles. Le temps approche où toutes les choses créées auront jeté leur fardeau. Que Dieu soit glorifié, Lui qui a accordé cette grâce qui embrasse toutes choses, visibles et invisibles ! Il a écrit en outre, préfigurant l'âge d'or de l'humanité : Ces grandes oppressions la préparent à l'avènement de la très grande Justice. Cette très grande Justice est en fait la justice sur laquelle seule la très grande Paix peut, et finalement doit, reposer alors qu'à son tour la très grande Paix annoncera cette très grande, cette Civilisation mondiale qui restera pour toujours associée à Celui qui porte le très grand Nom.

Amis aimés ! Presque cent ans se sont écoulés depuis que la révélation de Baha'u'llah s'est levée sur le monde - une révélation dont, comme il l'a lui-même affirmé, la nature n'a jamais été entièrement saisie par aucune des manifestations d'autrefois, si ce n'est jusqu'à un certain point. Dieu a donné un siècle à l'humanité pour reconnaître le fondateur d'une telle révélation, épouser sa Cause, proclamer sa grandeur et établir son ordre. Dans une centaine de volumes qui sont les dépositaires de préceptes inestimables, de lois puissantes, de principes uniques, d'exhortations passionnées, de mises en garde répétées, de prophéties inouïes, d'invocations sublimes et de commentaires importants, le porteur d'un tel message a proclamé, comme aucun prophète avant lui ne l'avait encore fait, la mission que Dieu lui avait confiée.

Pendant près de cinquante ans et dans les circonstances les plus tragiques, il a envoyé aux empereurs, aux rois, aux princes et aux potentats, aux dirigeants, aux gouvernements, au clergé et aux peuples qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest, qu'ils soient chrétiens, juifs, musulmans ou zoroastriens, ces perles de la connaissance et de la sagesse qui gisent cachées dans l'océan de sa parole incomparable. Renonçant à la célébrité et à la fortune, acceptant l'emprisonnement et l'exil, peu soucieux de l'ostracisme et de la calomnie, soumis à des humiliations physiques et à des privations cruelles, il a accepté, lui, le représentant de Dieu sur terre, d'être banni de lieu en lieu, de pays en pays, jusqu'à ce qu'enfin, dans la très grande prison, il offre son fils martyr en rançon pour la rédemption et l'unification de toute l'humanité. Il a lui-même affirmé : En vérité Nous n'avons pas failli à notre devoir qui était d'exhorter les hommes et de transmettre ce que Dieu, le Tout-Puissant, le Très-Loué, m'avait ordonné de transmettre. M'auraient-ils écouté qu'ils auraient vu en la terre une autre terre ? Et aussi : Reste-t-il une seule excuse pour quelqu'un dans cette révélation ? Non, par Dieu, le Seigneur du trône puissant ! Mes signes ont embrassé la terre, mon pouvoir a enveloppé l'humanité entière et pourtant, les peuples sont plongés dans un étrange sommeil !


3. Quelle réponse à son appel ?

Comment le monde, pourrions-nous nous demander, objet d'une telle sollicitude divine, a-t-il récompensé celui qui a tout sacrifié pour lui ? Comment l'a-t-il accueilli et quelle réponse suscita son appel ? Une clameur, inégalée dans l'histoire de l'Islam Shi'ih, salua dans son pays d'origine la lumière infantile de la Foi, parmi un peuple connu pour son ignorance crasse, son fanatisme féroce, sa cruauté barbare, ses préjugés enracinés et l'emprise absolue exercée sur les masses par une hiérarchie ecclésiastique fermement retranchée. Une persécution suscitant un courage inégalé, comme l'a affirmé une sommité aussi éminente que feu Lord Curzon de Kedleston, par celui qu'évoquent les bûchers de Smithfield avaient allumé, faucha, avec une rapidité tragique, pas moins de vingt mille de ses adeptes héroïques refusant d'échanger leur nouvelle foi contre les honneurs et la sécurité fugaces d'une vie mortelle.

Aux tortures physiques infligées à ces victimes vinrent s'ajouter les accusations tant imméritées de nihilisme, d'occultisme, d'anarchisme, d'éclectisme, d'immoralité, de sectarisme, d'hérésie, de partialité politique - chacune de ces charges étant totalement réfutée par les principes de la Foi elle-même et par la conduite de ses disciples - gonflant ainsi le nombre de ceux qui, inconsciemment ou à dessein, offensaient sa cause.

L'évidente indifférence des hommes éminents et de haut rang; la haine inexorable de la part des dignitaires ecclésiastiques de la Foi dont elle était issue; le sarcasme dédaigneux du peuple où elle prit naissance, le mépris total affiché par la plupart des rois et des dirigeants auxquels son auteur s'était adressés; les condamnations prononcées, les menaces proférées et les bannissements décrétés par ceux sous la domination desquels elle apparut et commença à se répandre; la distorsion apportée à ses principes et à ses lois par les envieux et les malveillants, dans des pays et parmi des peuples bien au-delà de son pays d'origine - tout cela n'est que preuves du traitement infligé par une génération noyée dans l'auto-satisfaction, insoucieuse de son Dieu, et oublieuse des présages, des prophéties, des mises en garde et des avertissements révélés par ses messagers.

Cependant les coups portés si durement aux disciples d'une Foi si précieuse, si glorieuse, si puissante, n'ont pu assouvir l'animosité qui brûlait en ses détracteurs. De même, les fausses déclarations délibérées et malveillantes concernant ses enseignements fondamentaux, ses buts et ses desseins, ses espoirs et ses aspirations, ses institutions et ses activités, ne suffirent pas à arrêter la main de l'oppresseur et du calomniateur cherchant par tous les moyens en leur pouvoir à abolir son nom et à détruire entièrement son système. La main qui s'était abattue sur un si grand nombre de ses adorateurs et de ses innocents et humbles adorateurs se levait à présent pour administrer à ses fondateurs les coups les plus durs et les plus cruels.

Le Bab - le Point, comme l'a affirmé Baha'u'llah, autour duquel gravitent les réalités des prophètes et des messagers - fut le premier balayé par le cyclone qui emporta ses partisans. Arrestation subite et emprisonnement la toute première année de sa courte et spectaculaire carrière; affront public délibérément infligé en présence des dignitaires ecclésiastiques de Shiraz; incarcération sévère et prolongée dans la triste forteresse des montagnes d'Adhirbayjan; dédaigneuse indifférence et lâche jalousie respectivement de la part du Magistrat suprême du royaume et du premier ministre de son gouvernement; l'interrogatoire grotesque soigneusement mis en scène en présence de l'héritier du trône et des distingués ecclésiastiques de Tabriz; la déshonorante vexation de la bastonnade dans la maison des prières, des mains du Shaykhu'l-Islam de cette ville; et pour finir, la suspension dans la cour des casernes de Tabriz et tir d'une rafale de plus de sept cents balles sur sa jeune poitrine, sous les yeux d'une foule insensible de quelque dix mille hommes, avec en plus l'exposition honteuse de son corps mutilé sur le bord de la douve en-dehors des portes de la ville - voilà les étapes successives du tragique et tumultueux ministère de celui dont le temps a marqué la fin des temps et dont la révélation a rempli la promesse de toutes les révélations.

Je jure par Dieu ! écrit le Bab lui-même dans sa tablette à Muhammad Shah Si tu savais tout ce qui m'est arrivé, en l'espace de ces quatre années, aux mains de ton peuple et de ton armée, tu retiendrais ton souffle par crainte de Dieu.... Hélas, hélas, pour les choses qui m'ont touché ! ... Je jure par le très grand Seigneur ! Si l'on t'avait dit le lieu où je vivais, tu aurais été le premier à avoir pitié de moi. Au coeur de la montagne, il y a une forteresse [Maku]... dont les seuls habitants sont deux gardes et quatre chiens. Imagine alors ma situation ... Sur cette montagne, je suis resté seul, et j'en suis arrivé à un tel point qu'aucun de ceux partis avant moi n'a souffert ce que j'ai souffert, qu'aucun pécheur n'a enduré ce que j'ai enduré !

Il a révélé dans le Bayan, parlant avec la voix de Dieu, O mes créatures, comme vous êtes voilées,... vous qui, sans aucun droit, l'avez relégué sur une montagne [Maku] dont aucun des habitants ne vaut la peine d'être mentionné... Avec lui c'est-à-dire avec moi, il n'y a personne à part celui qui est une des Lettres de la Vie de mon Livre. En sa présence c'est-à-dire en ma présence, il n'y a même pas une lumière allumée la nuit ! Et pourtant, d'innombrables lumières brillent dans les lieux [de culte] qui, à des degrés divers, se tendent vers lui ! Tout ce qui est sur terre a été créé pour lui et tous participent avec joie à ses bienfaits, et pourtant, ils sont tellement voilés de lui que même une lampe, ils la lui refusent !

Et qu'en est-il de Baha'u'llah dont le germe de la révélation, comme l'affirmait le Bab, est empreint d'une puissance supérieure aux forces combinées de la religion(dispensation) Babi ? Ne fut-il pas l'objet - lui pour qui le Bab avait connu la souffrance et la mort dans des circonstances si tragiques et miraculeuses - d'une conspiration systématique et concertée pendant près d'une moitié de siècle et sous la domination de deux plus grandes puissances de l'Est, une conspiration qui, dans ses effets et dans sa durée, fut rarement égalée par aucune autre religion précédente ?

Lui-même, dans sa douleur, s'est écrié : Les cruautés infligées par mes oppresseurs m'ont fait courber le dos et ont blanchi mes cheveux. Si tu te présentais devant mon trône, tu ne pourrais pas reconnaître la Beauté éternelle car la fraîcheur de sa face s'est altérée et son éclat s'est fané en raison de l'oppression des infidèles. Je jure par Dieu ! Son coeur, son âme et ses organes vitaux sont dissous ! Il déclare également : Si tu entendais avec mes oreilles, tu entendrais combien 'Ali (le Bab) se lamente sur mon sort en présence du glorieux compagnon, et combien Muhammad pleure sur moi dans l'horizon le plus haut, et combien l'esprit [Jésus] se frappe la tête dans le ciel de mon décret, à cause de ce qui est arrivé à cet Opprimé aux mains de tous les pécheurs impies.

Ailleurs il a écrit : Devant moi se dresse le serpent de la colère, les mâchoires grandes ouvertes, prêtes à m'engloutir, et derrière moi s'avance majestueusement le lion du courroux, prêt à me déchiqueter, et au-dessus de moi, O mon Bien-Aimé, il y a les nuages de ton décret, déversant sur moi des averses d'épreuves alors qu'en-dessous de moi se dressent les lances du malheur, prêtes à blesser mes membres et mon corps. Il affirme plus loin : Si l'on te racontait ce qu'a connu la Beauté éternelle, tu t'enfuirais dans le désert et pleurerais à chaudes larmes. Dans ta douleur, tu te martèlerais la tête, tu crierais comme mordu par une vipère ... Par la justice de Dieu ! Chaque matin quand je me levais, je découvrais les légions de malheurs innombrables massés derrière ma porte, et chaque soir, lorsque je me couchais, voilà ! mon coeur se tordait d'angoisse à cause de ce qu'il avait souffert par la cruauté diabolique de ses ennemis. A chaque morceau de pain rompu, la Beauté éternelle doit subir l'assaut d'une nouvelle épreuve et à chaque goutte bue, se mélange l'amertume de la plus triste des souffrances. Chacun de ses pas est précédé d'une armée de malheurs invisibles alors que suivent dans son sillage des légions de douleurs angoissées.

N'est-ce pas lui qui, dès l'âge de vingt-sept ans, se leva spontanément pour soutenir la cause naissante du Bab, en tant que simple disciple ? N'est-ce pas lui qui, en assumant la direction actuelle d'une secte interdite et harcelée, s'exposa lui-même et exposa les siens, ses possessions, son rang et sa réputation à de graves dangers, à des attaques sanglantes, à un pillage général et à des injures furieuses de la part du gouvernement et du peuple ? N'est-ce pas lui - le Porteur d'une révélation dont chaque prophète a annoncé la venue, de qui s'est langui l'âme de tous les messagers divins, et en qui Dieu a éprouvé le coeur de tous ses messagers et de tous ses prophètes - , n'est-ce pas le porteur d'une telle révélation qui fut, à l'instigation des ecclésiastiques Shi'ih et sur l'ordre du Shah lui-même, forcé pendant non moins de quatre mois de respirer, dans l'obscurité totale, en compagnie des criminels les plus vils et meurtri par des chaînes, l'air pestilentiel du cachot sous-terrain infesté de vermine de Tihran - un lieu qui, comme il l'a ensuite déclaré, se transforma mystérieusement en l'endroit même où Dieu lui annonça qu'il serait prophète ?

Dans son "Epître au Fils du Loup" il écrivit : Nous fûmes incarcérés pendant quatre mois dans un lieu infecte dépassant toute comparaison. Une fosse sombre et étroite eut été préférable au cachot où furent enfermés cet Opprimé et d'autres victimes.... Le cachot était plongé dans une épaisse obscurité, et nous étions quelque cent cinquante prisonniers : voleurs, assassins et bandits. Bien que bondé, il n'avait pas d'autre issue que le passage par lequel nous étions entrés. Aucune plume ne peut dépeindre ce lieu, aucune langue ne peut décrire son odeur nauséabonde. La plupart de ces hommes n'avaient ni vêtements à se mettre, ni couche pour s'allonger. Dieu seul sait ce que nous avons connu dans cet endroit fétide et obscur !

Le Dr. J.E. Esslemont écrit : "Abdu'l-Baha raconte comment un jour il put entrer dans la cour de la prison pour voir son père bien-aimé lorsqu'il sortait pour son exercice quotidien. Baha'u'llah avait terriblement changé, il était tellement malade qu'il pouvait à peine marcher. Les cheveux et la barbe hirsutes, le cou blessé et gonflé par la pression exercée par un gros collier d'acier, le corps plié sous le poids de ses chaînes." "Pendant trois jours et trois nuits" rapporte Nabil dans sa chronique "on ne donna rien à manger et à boire à Baha'u'llah. Il lui était impossible de se reposer ou de dormir. L'endroit était infesté de vermine, et la puanteur de cette obscure demeure suffisait à broyer le moral de ceux qui étaient condamnés à souffrir ses horreurs." "Ses souffrances furent si grandes que son corps garda les marques de cette cruauté tous les jours de sa vie."

Et les épreuves qu'il dut subir avant et juste après ce tragique épisode ? Et son emprisonnement dans la maison d'un des kad-khudas de Tihran ? Et la violence sauvage avec laquelle il fut assailli par le peuple en colère près du village de Niala ? Et son incarcération par les émissaires de l'armée du Shah à Mazindaran, et la bastonnade qu'il reçut sur l'ordre et en présence des siyyids et des mujtahids assemblés à qui il avait été livré par les autorités civiles d'Amul ? Et les huées moqueuses et injurieuses d'une foule de brutes qui le poursuivirent ensuite ? Et l'accusation monstrueuse portée contre lui par la maison impériale, par la court et par le peuple lors de la tentative d'assassinat du Shah Nasiri'd-Din ? Et l'humiliation infamante, les injures et les railleries dont il fut victime lorsqu'il fut arrêté par les officiers responsables du gouvernement, amené de Niyavaran, à pied et enchaîné, la tête et les pieds nus, et exposé aux rayons féroces du soleil de midi à la Siyah-Chal de Tihran ? Et l'avidité avec laquelle les fonctionnaires corrompus ont mis à sac sa maison, emporté tout ce qu'il possédait et disposé de sa fortune ? Et le cruel édit qui l'arracha aux quelques disciples du Bab, perdus, chassés et sans berger, qui le sépara de ses parents et de ses amis, et qui le bannit en 'Iraq, en plein hiver, dépouillé et sali ?

Aussi grandes furent ces épreuves qui se succédèrent les unes après les autres, à un rythme effréné, à la suite des attaques préméditées et des machinations systématiques de la court, du clergé, du gouvernement et du peuple, elles n'en furent pas moins que le prélude à une captivité longue et poignante que cet édit avait officiellement fait commencer. Ce long bannissement de plus de quarante ans, qui l'a porté successivement en 'Iraq, dans le Sulaymaniyyih, à Constantinople, à Andrinople et enfin à la colonie pénitencière d''Akka, prit finalement fin à sa mort, à plus de soixante-dix ans, mettant un terme à une captivité qui, par son rang, par sa durée et par la diversité et la sévérité de ses tourments, est sans précédent dans l'histoire des religions (dispensations) précédentes.

Nul besoin de s'étendre sur les épisodes particuliers qui jettent une lueur blafarde sur les annales émouvantes de ces années. Nul besoin d'insister sur la personnalité et les actions des hommes, des dirigeants et des ecclésiastiques qui ont participé et contribué à accroître la violence des scènes de ce drame le plus grand jamais vu dans l'histoire spirituelle du monde.


4. Eléments de ce drame émouvant

Il suffira d'évoquer quelques faits saillants de ce drame bouleversant pour rappeler au lecteur de ces pages, déjà au courant de l'histoire de la Foi, les vicissitudes qu'elle a connues et que le monde a considérées avec une indifférence glaciale. La retraite forcée et soudaine de Baha'u'llah dans les montagnes de Sulaymaniyyih et les tristes conséquences de ce repli total qui a duré deux ans; les intrigues incessantes menées par les interprètes de l'Islam Shi'ih à Najaf et à Karbila, travaillant en étroite et constante collaboration avec leurs homologues en Perse; l'intensification des mesures de répression décrétées par le Sultan 'Abdu'l-'Aziz qui ont forcé certains membres en vue de la communauté exilée à l'apostasie; l'exécution d'un bannissement supplémentaire encore, sur ordre du même Sultan, cette fois dans la lointaine et la plus désolée des cités, causant un désespoir tel qu'il mena deux des exilés à tenter de se suicider; la surveillance sans relâche à laquelle ils furent soumis à leur arrivée à 'Akka de la part de fonctionnaires hostiles, et l'emprisonnement intolérable pendant deux ans dans la caserne de cette ville; l'interrogatoire que le pasha turc fit ensuite subir à son prisonnier au quartier général du gouvernement; sa réclusion pendant non moins de huit années dans une humble demeure dans l'atmosphère souillée de cette ville, sa seule distraction se résumant à faire les cents pas dans l'espace étroit de sa chambre - tout cela ainsi que d'autres tribulations montrent d'une part la nature des épreuves et des humiliations qu'il dut subir et d'autre part lèvent un doigt accusateur vers ces puissants de la terre qui l'ont soit si durement maltraité, ou qui lui ont délibérément refusé leur aide.

Il n'est pas étonnant que ces paroles aient été révélées par la plume de celui qui supporta cette douleur avec une patience si sublime : Celui qui est le Seigneur du visible et de l'invisible est maintenant manifeste pour tous les hommes. Son être béni a subi de tels maux que même si toutes les mers, visibles et invisibles, se transformaient en encre, même si tout ce qui est dans le royaume se transformait en plumes et tous ceux qui sont dans les cieux et sur la terre en scribes, ils seraient incapables d'en faire le rapport. Et aussi : J'ai passé le plus clair des jours de ma vie comme un esclave, assis sous un glaive pendu à un fil, ne sachant pas s'il allait tomber sur lui bientôt ou plus tard. Tout ce que cette génération a su nous offrir affirme-t-il ne furent que blessures de ses flèches, la seule coupe qu'elle aie porté à nos lèvres fut celle de son venin. Nous avons encore au cou les cicatrices des chaînes et notre corps porte la marque d'une cruauté obstiné.

O rois,
a-t-il écrit au sommet de sa mission, s'adressant aux rois de la chrétienté, vingt années se sont écoulées pendant lesquelles nous avons chaque jour goûté au supplice d'une nouvelle épreuve. Aucun de ceux qui étaient avant nous n'avait enduré les choses que nous avons endurées. Si seulement vous pouviez le percevoir ! Ceux qui se levèrent contre nous nous ont mis à mort, ont répandu notre sang, ont pillé notre propriété et violé notre honneur. Bien que conscients de la plupart de nos malheurs, vous n'avez pas cependant arrêté la main de l'agresseur. Car n'est-il pas de votre devoir évident de freiner la tyrannie de l'oppresseur et de traiter équitablement vos sujets pour que vous puissiez ainsi démontrer votre sens aigu de la justice à toute l'humanité ?

On peut vraiment se demander quel dirigeant, de l'Est ou de l'Ouest, s'est empressé, depuis l'apparition d'une révélation aussi transcendante, d'élever la voix soit pour la louer, soit pour combattre ceux qui la persécutaient ? Qui, pendant cette si longue captivité, a voulu se lever et endiguer le déferlement de telles tribulations ? Quel souverain, à l'exception d'une seule femme resplendissant d'une gloire solitaire, s'est senti obligé, dans quelque mesure que ce soit, de répondre à l'appel poignant de Baha'u'llah ? Qui parmi les grands de cette terre fut tenté d'octroyer à cette foi de Dieu naissante le bénéfice de sa reconnaissance ou de son appui ? Parmi la multitude de croyances, de sectes, de races, de partis et de classes, parmi les écoles humanistes très diversifiées, qui a cru nécessaire de diriger son regard vers la lumière naissante de la Foi, de contempler son système se dépliant, de méditer sur ses processus cachés, d'apprécier son message important, de reconnaître son pouvoir régénérant, d'embrasser son dogme salutaire ou de proclamer ses vérités éternelles ? Qui parmi les sages du monde et les hommes que l'on dit avisés et éclairés peut en toute honnêteté affirmer,après près d'un siècle, avoir approché son thème de façon désintéressée, avoir examiné avec impartialité ses revendications, avoir pris suffisamment la peine de fouiller sa littérature, avoir recherché assidûment à séparer les faits de la fiction, ou avoir accordé à sa cause le traitement qu'elle mérite ? Où sont les remarquables représentants, des arts ou des sciences, exception faite de quelques cas isolés, qui ont levé un doigt ou murmuré une éloge pour défendre ou louer une Foi qui a apporté au monde un bienfait tellement inestimable, qui a si longtemps et si durement souffert, et qui recèle en son sein (dans sa coquille) une promesse si séduisante pour un monde si lamentablement meurtri, si manifestement perdu ?

A la marée montante de procès qui ont terrassé le Bab, aux malheurs sans fin qui se sont abattus sur Baha'u'llah, aux mises en garde prononcées par le héraut et par l'auteur de la révélation baha'ie, il faut ajouter les souffrances qui, pendant plus de soixante-dix ans, ont été infligées à 'Abdu'l-Baha, ainsi que ses suppliques et ses prières, prononcées au soir de sa vie, au sujet des dangers menaçant de plus en plus l'humanité entière. Né l'année même de la naissance de la révélation babi; baptisé avec les premiers feux de la persécution qui faisaient rage autour de cette Cause naissante; témoin à l'âge de huit ans des violents soulèvements qui bercèrent la Foi que son père avait épousée; partageant avec lui la honte, les dangers et les rigueurs dus aux bannissements successifs de sa région natale vers des pays bien au-delà de ses frontières; arrêté et forcé de subir, dans une sombre cellule l'humiliation de l'incarcération juste après son arrivée à 'Akka; objet d'enquêtes répétées et cible d'attaques incessantes sous le règne despotique du Sultan 'Abdu'l-Hamid, et ensuite sous l'impitoyable dictature militaire du suspicieux et implacable Jamal Pasha - celui qui fut le centre et la cheville ouvrière de l'incomparable alliance de Baha'u'llah, l'exemple parfait de ses enseignements, dut aussi goûter, aux mains des potentats, des ecclésiastiques, des gouvernements et des peuples, à la coupe du malheur que le Bab et Baha'u'llah ainsi que tant de leurs disciples avaient bu jusqu'à la lie.

Ceux qui oeuvrent à répandre la Foi de son père dans le monde occidental connaissent bien les mises en garde que sa plume et sa voix ont lancées dans d'innombrables tablettes et discours durant une incarcération qui dura presqu'une vie et au cours de ses voyages prolongés sur les continents européen et américain. Combien de fois et avec quelle ardeur ne demanda-t-il pas à ceux qui possèdent l'autorité et au grand public d'examiner sans passion les préceptes énoncés par son père ? Avec quelle précision et quelle emphase il expliqua le système de la Foi qu'il exposait, il élucida ses vérités fondamentales, il mit l'accent sur ses éléments distinctifs et proclama le caractère rédempteur de ses principes ! Avec quelle insistance il annonça les désordres imminents, les soulèvements à venir, l'embrasement universel qui, à la fin de sa vie, ne faisait que préfigurer l'importance de sa force et la signification de son impact sur la société humaine !

Partageant les affligeantes accusations et les frustrations passagères dont furent victimes le Bab et Baha'u'llah; récoltant sa vie durant des résultats tout à fait disproportionnés face aux efforts sublimes, incessants et acharnés qu'il fournit; vivant les premières perturbations de la catastrophe mondiale réservée à une humanité incrédule; courbé sous le poids des ans, les yeux obscurcis par la tempête grossissante que soulevait l'accueil réservé à la Cause de son père par une génération incrédule, et le coeur saignant à la vue de la destinée immédiate des enfants rebelles de Dieu - il sombra finalement sous le poids des malheurs et ceux qui les avaient infligés à lui-même et à ceux partis avant lui en furent rapidement et sévèrement jugés.

Hâte O mon Dieu ! s'écria-t-il à une époque où l'adversité l'avait cruellement assailli, le moment de mon ascension vers Toi, de mon arrivée devant Toi, de mon entrée en ta présence, afin que je sois délivré des ténèbres de la cruauté qu'ils m'infligent, que je pénètre dans l'atmosphère lumineuse de ta proximité, O mon Seigneur, le Tout-Glorieux, et me repose à l'ombre de ta très grande miséricorde. Ya Baha'u'l-Abha [O toi la gloire des gloires]! écrit-il dans une tablette révélée la dernière semaine de sa vie, J'ai renoncé au monde et à ses habitants, j'ai le coeur brisé et je suis cruellement affligé à cause de l'infidèle. Dans la cage de ce monde, je bas des ailes tel un oiseau effrayé et j'aspire chaque jour à prendre mon envol vers ton royaume. Ya Baha'u'l-Abha ! Fais-moi boire la coupe du sacrifice et libère-moi. Délivre-moi de ces peines et de ces épreuves, de ces afflictions et de ces malheurs.

Chers amis ! Hélas, mille fois hélas, qu'une révélation si incomparablement grande, si infiniment précieuse, si fortement puissante, si manifestement innocente, fut traitée de façon si infamante par une génération si aveugle et si perverse ! O mes serviteurs ! affirme Baha'u'llah lui-même, le seul vrai Dieu est mon témoin ! Ce très grand, cet insondable et houleux océan est proche, étonnement proche de vous. Voyez, il est plus proche de vous que votre propre sang (?) ! En un clin d'oeil vous pouvez, si vous le désirez, atteindre et partager cette faveur éternelle, cette grâce donnée par Dieu, ce don incorruptible, cette très puissante et indiciblement glorieuse grâce.


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