La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE IV : voyage de Mulla Husayn à Tihran

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Mulla Husayn, qui avait encore présentes à l'esprit ces nobles paroles, s'embarqua dans sa périlleuse aventure. Partout où il allait, à quelque classe de la société qu'il s'adressât, il délivrait avec intrépidité et sans aucune réserve le message que lui avait confié son maître bien-aimé. En arrivant à Isfahan, il alla s'établir dans le madrisih de Nim-Avard. Autour de lui, se réunirent ceux qui, lors de sa précédente visite, l'avaient connu en tant que messager favori de Siyyid Kazim à l'éminent mujtahid, Haji Siyyid Muhammad Baqir. (4.1) Ce dernier n'étant plus, c'était son fils, qui revenant de Najaf, occupait le siège laissé vacant par son père, dont il avait pris la succession. Haji Muhammad Ibrahim-i-Kalbasi était également tombé gravement malade et était sur le point de quitter ce monde. Les disciples de feu Haji Siyyid Muhammad Baqir, désormais libérés de l'influence modératrice de leur maître regretté et alarmés par les étranges doctrines que proposait Mulla Husayn, dénoncèrent ce dernier avec véhémence devant Haji Siyyid Asadu'llah, fils de feu klâji Siyyid Muhammad Baqir. "Mulla Husayn, se plaignirent-ils, a pu, au cours de sa dernière visite, gagner le soutien de votre illustre père à la cause de Shaykh Ahmad. Personne, parmi les disciples impuissants du siyyid, n'osa s'opposer à lui. Il vient à présent comme le défenseur d'un adversaire encore plus terrible et plaide sa cause avec une véhémence et une vigueur encore accrue, il persiste à déclarer que celui dont il soutient maintenant la cause est le révélateur d'un Livre qui est d'inspiration divine et dont le ton et le langage ressemblent d'une manière frappante à ceux du Qur'an. Devant les habitants de cette ville, il a lancé ces paroles de défi: "Produisez un livre pareil, si vous êtes des hommes de vérité." Le jour où tout Isfahan aura embrassé sa cause est imminent." Haji Siyyid Asadu'llah répondit de manière évasive à leurs doléances. "Que puis-je dire?" fut-il finalement obligé de répondre. "N'admettez vous pas vous-mêmes que Mulla Husayn a, par son éloquence et la force de son argument, réduit au silence un homme aussi éminent que mon illustre père?

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Comment puis-je alors, moi qui lui suis si inférieur quant au mérite et au savoir, me permettre de défier ce qu'il a déjà approuvé? Laissez à chacun le droit d'examiner impartialement ces revendications. S'il se sent satisfait, tant mieux; sinon, laissez-le garder le silence, et ne pas courir le risque de discréditer la bonne renommée de notre foi."

Constatant que leurs efforts n'avaient pas réussi à influencer Haji Siyyid Asadu'llah, ses disciples soumirent l'affaire à Haji Muhammad Ibrahim-i-Kalbasi. "Malheur à nous", protestèrent-ils vivement, "car l'ennemi s'est levé pour détruire la sainte foi de l'islam." Dans un langage exagéré et irRéaliste, ils mirent l'accent sur le caractère provocateur des idées proposées par Mulla Husayn. "Gardez votre calme", répondit Haji Muhammad Ibrahim. "Mulla Husayn n'est pas de ceux qui se laissent duper par qui que ce soit; il ne peut non plus être victime de dangereuses hérésies. Si votre assertion est véridique, si Mulla Husayn a effectivement embrassé une foi nouvelle, votre première obligation est alors, indiscutablement, de vous informer, avec impartialité, du caractère de ses enseignements et de vous abstenir de le dénoncer sans un examen préalable minutieux. Si je recouvre ma santé et ma force, il est dans mes intentions, s'il plaît à Dieu, d'approfondir moi-même le sujet et d'en vérifier l'authenticité."

Cette sévère réprimande de Haji Kalbasi déconcerta fort les disciples de Haji Siyyid Asadu'llah. Dans leur désarroi, ils en appelèrent à Manuchihr Khan, le mu'tamidu'd-dawlih, gouverneur de la ville. Ce chef, sage et avisé, refusa d'intervenir dans ces affaires qui, dit-il, sont exclusivement du domaine de la juridiction des 'ulamas. Il les avertit de s'abstenir de tout méfait et de cesser de troubler la paix et la tranquillité du messager. Ces paroles catégoriques ruinèrent les espoirs des semeurs de discorde. Mulla Husayn fut ainsi délivré des machinations de ses ennemis et, pendant un certain temps, poursuivit librement le cours de ses travaux.

La première personne à embrasser la cause du Bab dans cette ville fut un homme, un tamiseur de froment qui, sans réserve, accepta le message dès que l'appel parvint à ses oreilles. Il servit Mulla Husayn avec une dévotion admirable et devint, grâce à son intime association avec ce dernier, un défenseur zélé de la nouvelle révélation. Quelques années plus tard, lorsque les détails poignants du siège du fort de Shaykh Tabarsi lui furent racontés, il ressentit un appel irrésistible à aller partager le sort des héroïques compagnons du Bab qui s'étaient levés pour défendre leur foi.

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Portant son tamis à la main, il se leva immédiatement et partit vers la scène de ce mémorable combat. "Pourquoi partir si précipitamment ?" lui demandèrent ses amis en le voyant courir, dans un état d'agitation intense, à travers les bazars d'Isfahan. "Je me suis levé, répondit-il, pour rejoindre la glorieuse compagnie des défenseurs du fort de Shaykh Tabarsi! Au moyen de ce tamis que j'emporte avec moi, j'ai l'intention de sélectionner les gens dans chaque ville par laquelle je passerai. A celui que je trouverai prêt à épouser la cause que j'ai embrassée, je lui demanderai de se joindre à moi et de se hâter aussitôt vers le champ du martyre." La dévotion de ce jeune homme était telle que le Bab, dans le Bayan persan, se réfère à lui, en ces termes: "Isfahan, cette ville remarquable, est renommée pour la ferveur religieuse de ses habitants shi`ahs, pour le savoir de son clergé et pour le fait que ses habitants, aussi bien les grands que les humbles, attendent avec impatience la venue imminente du Sahibu'z-Zaman. Dans tous les quartiers de cette ville, des institutions religieuses ont été fondées. Et, malgré cela, lorsque le messager de Dieu fut rendu manifeste, ceux qui se prétendaient les dépositaires du savoir et les interprètes des mystères de la foi de Dieu rejetèrent son message. De tous les habitants de ce foyer du savoir, il n'y eut qu'un homme, un tamiseur de froment, pour reconnaître la Vérité et être revêtu de la robe de vertu divine!" (4.2)

Parmi les siyyids d'Isfahan, quelques-uns, comme Muhammad-'Aliy-i-Nahri, dont la fille devint par la suite l'épouse de la plus grande Branche, (4.3) Mirza Hadi, le frère de Mirza Muhammad 'Ali, et Mirza Muhammad-Riday-i-Pa-Qal'iyi, reconnurent la vérité de la cause. Observant les instructions de Siyyid Kazim, Mulla Sadiq-i-Khurasani, connu autrefois sous le nom de Muqaddas et surnommé Ismu'llahu'l-Asdaq par Baha'u'llah, avait, durant les cinq dernières années, résidé à Isfahan et préparé la voie à l'avènement de la nouvelle révélation, il fut aussi l'un des premiers croyants à s'identifier au message proclamé par le Bab. (4.4) Dès qu'il apprit l'arrivée de Mulla Husayn à Isfahan, il se hâta d'aller le rencontrer. Sur sa première entrevue qui eut lieu la nuit chez Mirza Muhammad 'Aliy-i-Nahri, il donna le rapport suivant "Je demandai à Mulla Husayn de divulguer le nom de celui qui se prétendait la Manifestation promise. Il me répondit ainsi: "Se renseigner sur ce nom et divulguer celui-ci sont toutes deux, choses interdites." "Me serait-il alors possible, demandai-je, de chercher indépendamment comme les Lettres du Vivant, la grâce du très Miséricordieux et, par la prière, de découvrir son identité?"

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"La porte de sa grâce, répondit-il, n'est jamais fermée à la face de celui qui cherche à le découvrir." Je pris aussitôt congé de lui et je demandai à son hôte de me permettre d'occuper une chambre privée dans sa maison où je pourrais, seul et tranquille, communier avec Dieu. Au milieu de ma contemplation, je me rappelai soudain la face d'un jeune homme que j'avais souvent observé lors de mon séjour à Karbila, debout dans une attitude de prière, la face baignée de larmes, à l'entrée du tombeau de l'Imam Husayn. Cette image réapparut alors devant mes yeux. Dans ma vision, je semblais contempler ce même visage, ces mêmes traits exprimant une joie telle que je ne pourrais jamais la décrire. Il souriait tout en me regardant. J'allai vers lui, prêt à me jeter à ses pieds. Je m'inclinais vers le sol lorsque, soudain, cette radieuse figure disparut de ma vision. Comblé de joie et de bonheur, je courus au dehors pour rencontrer Mulla Husayn, qui me reçut dans un transport de joie et m'assura que j'avais enfin atteint l'objet de mon désir. Il me pria cependant de réprimer mes sentiments. "Ne révélez votre vision à personne, me recommanda-t-il, le temps n'en est pas encore venu. Vous avez récolté le fruit de votre patiente attente à Isfahan. Vous devez à présent vous rendre à Kirman pour mettre Haji Mirza Karim Khan au courant de ce message. De là, vous devrez partir pour Shiraz et vous efforcer de tirer les habitants de cette ville de leur sommeil de négligence. J'espère vous rejoindre à Shiraz et partager avec vous les bénédictions d'une joyeuse réunion avec notre Bien-Aimé." (4.5)

D'Isfahan, Mulla Husayn se rendit à Kashan. Le premier dans cette ville à s'enrôler dans le groupe des croyants, fut un certain Haji Mirza Jâni surnommé Par-Pa, qui était un marchand renommé. (4.6) Parmi les amis de Mulla Husayn se trouvait un membre du clergé bien connu: Siyyid 'Abdu'l Baqi, habitant Kashan et membre de la communauté shaykhie. Bien qu'intimement lié à Mulla Husayn durant ses séjours à Najaf et à Karbila, le siyyid se sentait incapable de sacrifier son rang et sa position au message que son ami lui avait apporté.

En arrivant à Qum, Mulla Husayn trouva les habitants totalement inaptes à écouter son appel. Les graines qu'il sema parmi eux ne devaient pas lever avant que Baha'u'llah ne fut exilé à Baghdad. C'est alors que Haji Mirza Musa, un natif de Qum, embrassa la foi, se rendit à Baghdad et rencontra Baha'u'llah. Il devait finalement vider la coupe du martyre dans son sentier.

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De Qum, Mulla Husayn se rendit directement à Tihran. Il logea, durant son séjour dans la capitale, dans l'une des chambres qui appartenaient à la madrisih de Mirza Salih, mieux connue sous le nom de madrisih de Pay-i-Minar. Haji Mirza Muhammad-i-Khurasani, le chef de la communauté shaykhie de Tihran, qui faisait fonction de précepteur dans cette institution, fut contacté par Mulla Husayn mais ne répondit pas à l'invitation de celui-ci à accepter le message. "Nous avions chéri l'espoir, dit-il à Mulla Husayn, de vous voir, après le décès de Siyyid Kazim, faire tout votre possible pour promouvoir au mieux les intérêts de la communauté shaykhie et délivrer celle-ci des ténèbres dans lesquelles elle a sombré.

PHOTO: vue 1 de Tihran

PHOTO: vue 2 de Tihran

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Vous semblez cependant avoir trahi sa cause. Vous avez ruiné nos plus chers espoirs. Si vous persistez à répandre ces doctrines subversives, vous finirez par faire disparaître le restant des shaykhis de cette ville." Mulla Husayn lui assura qu'il n'avait pas l'intention de prolonger son séjour à Tihran et que son but n'était nullement d'avilir ou de supprimer les enseignements promus par Shaykh Ahmad et Siyyid Kazim. (4.7)

Durant son séjour à Tihran, Mulla Husayn avait pris l'habitude de quitter sa chambre de bonne heure chaque matin et de n'y revenir qu'une heure après le coucher du soleil. A son retour, seul et paisible, il entrait dans sa chambre, fermant la porte derrière lui il restait dans la solitude de sa cellule jusqu'au lendemain. (4.8) Mirza Musa, Aqay-i-Kalim, le frère de Baha'u'llah, m'a raconté ce qui suit: "J'ai entendu Mulla Muhammad-i-Mu'allim, un habitant de Nur - ville située dans la province de Mazindaran - et fervent admirateur de Shaykh Ahmad ainsi que de Siyyid Kazim, relater l'histoire suivante:

PHOTO: Aqay-i-kalim, frère de Baha'u'llah

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"En ce temps-là, je vivais dans la même école que Haji Mirza Muhammad et l'on me considérait comme l'un de ses disciples favoris. Ma chambre touchait la sienne et nous entretenions des relations très amicales. Le jour où il était occupé à discuter avec Mulla Husayn, je surpris leur conversation du début jusqu'à la fin, et je fus profondément touché par l'ardeur, la facilité de parole et le savoir de ce jeune étranger. Je fus surpris des réponses évasives, de l'arrogance et du comportement dédaigneux de Haji Mirza Muhammad. Ce jour-là, je me sentis fortement attiré par le charme de ce jeune homme et profondément irrité par la conduite indécente de mon maître envers lui. Je dissimulai mes sentiments et prétendis ignorer ses discussions avec Mulla Husayn. Je fus pris par un désir passionné de rencontrer ce dernier et me hasardai à aller lui rendre visite vers minuit. Il ne m'attendait pas, mais je frappai à sa porte et le trouvai éveillé, assis près de sa lampe. Il me reçut affectueusement et me parla avec une courtoisie et une tendresse extrêmes. Je m'allégeai le coeur et, pendant que je lui parlais, des larmes que je ne pouvais retenir, coulaient de mes yeux. "Je puis voir à présent, dit-il, la raison pour laquelle j'ai choisi de demeurer ici. Votre maître a rejeté avec dédain ce message et a méprisé son auteur. Mon espoir est que son élève puisse, contrairement à son maître, reconnaître la vérité. Comment vous appelez-vous et dans quelle ville résidez-vous?" "Je m'appelle Mulla Muhammad, répondis-je, et mon nom de famille est Mu'allim. Ma maison se trouve à Nur dans la province de Mazindaran." "Dites moi, demanda-t-il, y a-t-il de nos jours parmi la famille de feu Mirza Buzurg-i-Nuri, qui était si connu pour son caractère, son charme, ses talents artistiques et intellectuels, quelqu'un qui se soit montré capable de préserver les hautes traditions de cette illustre maison?
- Oui, répondis-je, parmi ses fils encore en vie, l'un s'est distingué par les mêmes traits qui caractérisaient son père. Par sa vie vertueuse, ses grandes connaissances, sa bonté et sa libéralité, il s'est montre le noble descendant d'un noble père.
- Quelles sont ses occupations? me demanda-t-il.
- Il réconforte les inconsolables et nourrit les affamés, répondis-je.
- Que savez-vous de son rang et de sa position?
- Il n'en a pas, dis-je, si ce n'est qu'il secourt les pauvres et les étrangers.
- Comment s'appelle-t-il?
- Husayn 'Ali.
- Dans laquelle des écritures de son père excelle-t-il?
- Son écriture favorite est le shikastih-nasta'liq.
- A quoi occupe-t-il son temps?
- Il se promène à travers bois et se complaît à admirer les beautés de la campagne. (4.9)
- Quel âge a-t-il?
- Vingt-huit ans."

La curiosité avec laquelle Mulla Husayn m'interrogeait et le sentiment de plaisir qu'il ressentait à entendre chaque détail que je lui donnais, me surprit grandement.

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Se tournant vers moi, avec un visage rayonnant de joie et de satisfaction, il s'enquit une fois de plus: "Je présume que vous le rencontrez souvent? - Je me rends fréquemment chez lui, répondis-je. - Voulez-vous, dit-il, lui remettre, en mains propres, un dépôt de ma part?

PHOTO: vue 1 de la maison de Baha'u'llah a Tihran

PHOTO: vue 2 de la maison de Baha'u'llah a Tihran

PHOTO: vue 3 de la maison de Baha'u'llah a Tihran

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Très certainement, répondis-je. Il me donna alors un parchemin enveloppé dans une pièce de toile et me demanda de le lui remettre le lendemain à l'aube. "S'il daignait me répondre, ajouta-t-il, auriez-vous l'amabilité de me faire connaître sa réponse?" Je pris le parchemin et, au lever du jour, me levai pour exaucer son désir.

"Comme j'approchais de la maison de Baha'u'llah, je reconnus son frère Mirza Musa qui se tenait à la porte et à qui je fis savoir l'objet de ma visite. Il entra dans la maison et réapparut peu après portant un message de bienvenue. On m'introduisit auprès de Baha'u'llah ; je présentai 1e rouleau à Mirza Musa, qui 1e déposa devant Baha'u'llah. Celui-ci nous pria de nous asseoir. Dépliant le rouleau, il jeta un coup d'oeil sur son contenu et commença à nous lire à haute voix certains de ses passages. Je restai assis, ravi par le son de sa voix douce et mélodieuse. Il avait lu une page du rouleau lorsque, se tournant vers son frère, il dit: "Musa, qu'en dis-tu? En vérité je le dis, celui qui croit au Qur'an, reconnaît son caractère divin, et malgré cela hésite, ne fût-ce qu'un instant, à admettre que ces paroles émouvantes sont dotées du même pouvoir régénérateur, s'est assurément trompé dans son jugement et a dévié loin du sentier de justice." Puis il se tut. En me congédiant, il me chargea de rapporter à Mulla Husayn, comme cadeau de sa part, un pain de sucre russe et un paquet de thé, (4.10) et il me pria de lui transmettre l'expression de son amour et de sa reconnaissance.

"Je me levai et, rempli de joie, me hâtai de retourner auprès de Mulla Husayn pour lui remettre le cadeau et le message de Baha'u'llah. Avec quelle joie et quelle exultation les reçut-il de ma main! Les paroles me manquent pour décrire l'intensité de son émotion. Il se mit debout, reçut, tête baissée, le cadeau et l'embrassa avec ferveur. Il me prit alors dans ses bras, me baisa les yeux et dit: "Ami chèrement aimé! Je prie pour que, de même que vous m avez réjoui le coeur, de même

Dieu vous fasse don d'une éternelle félicité et vous inonde le coeur d'un bonheur impérissable." Je fus stupéfié par la conduite de Mulla Husayn. Quelle pouvait être, pensai-je en moi même, la nature du lien qui unissait ces deux âmes? Qu'est-ce qui pouvait avoir suscité en leurs coeurs une aussi ardente amitié? Pourquoi Mulla Husayn, aux yeux de qui la pompe et l'apparat de la royauté n'étaient que pure futilité, devait-il manifester un tel bonheur à la vue d'un cadeau aussi insignifiant de la part de Baha'u'llah? Cette pensée m'intriguait et je ne pouvais en découvrir le mystère.

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"Quelques jours plus tard, Mulla Husayn partit pour le Khurasan. Au moment de notre séparation, il dit: "Ne soufflez mot à personne de ce que vous avez entendu et vu. Faites que ceci reste un secret caché en votre sein. Ne divulguez pas son nom, car ceux qui envient sa position se lèveraient alors pour lui nuire. Dans vos moments de méditation, priez le Tout-Puissant de le protéger afin que, par lui, il puisse exalter les opprimés, enrichir les pauvres et racheter les pécheurs. Le secret des choses reste caché à nos yeux. Il est de notre devoir de lancer l'appel du nouveau jour et de proclamer ce divin message à tous les hommes. Bien des âmes dans cette ville verseront leur sang sur ce sentier. Ce sang irriguera l'Arbre de Dieu, lui permettra de fleurir et d'abriter sous son ombre l'humanité tout entière."

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NOTE DU CHAPITRE 4:

(4.1) "On se pressait en foule pour entendre le prédicateur. Il occupait, tour à tour, toutes les chaires d'Isfahan où il faisait en liberté ce qui avait été interdit à Shiraz. Il ne craignait pas de dire publiquement et d'annoncer que Mirza 'Ali Muhammad était le douzième Imam, l'Imam Mahdi; il montrait et lisait les livres de son maître; il en faisait remarquer l'éloquence et la profondeur, faisait ressortir l'extrême jeunesse du Voyant, en racontait des miracles. (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 130.)

(4.2) "Vois la terre de Sad (Isfahan) qui est, dans ce monde apparent la plus grande des terres. A chaque coin de ses écoles se trouvent des esclaves nombreux revêtus du nom de savants et de lutteurs. Au moment où a lieu l'élection des créatures, un tamiseur de blé revêt cette robe de primauté (sur les autres). C'est ici qu'éclate le secret de la parole des Imams au sujet de la Manifestation: Les plus basses des créatures deviendront les plus hautes, et les plus hautes deviendront les plus viles." ("le Bayan persan", vol. IV, p. 133.)

(4.3) Allusion au mariage d' 'Abdu'l-Baha avec Munirih Khanum.

(4.4) Gobineau (p. 129) mentionne Mulla Muhammad-Taqiy-i-Harati, jurisconsulte bien connu, comme étant l'un des premiers convertis à la foi.

(4.5) "Le séjour de Bushru'i à Isfahan fut un triomphe pour le Bab. Les conversions qu'il opéra furent nombreuses et brillantes, mais lui attirèrent - juste retour des choses d'ici-bas, - la haine féroce du clergé officiel, - devant laquelle il dut s'incliner et quitter la ville. En effet, la conversion de Mulla Muhammad-Taqiy-i-Harati, jurisconsulte de premier ordre, mit le comble à leur fureur, d'autant que ce dernier, plein de zèle, montait chaque jour au mambar d'où il parlait aux hommes, sans détours, de la grandeur du Bab auquel il attribuait le rang de Na'ib-i khass du 12e Imam." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ah Muhammad dit le Bab", p. 255.)

(4.6) D'après le - 'Kashfu'l Ghita' " (pp. 42-5), Haji Mirza Jani était connu auprès des habitants de Kashan sous le nom de Haji Mirza Janiy-i-Buzurg, ceci afin de le distinguer de son homonyme, qui était aussi marchand à Kashan et connu sous le nom de Haji Mirza Janiy-i-Turk, ou Kuchiq. Le premier avait trois frères; l'aîné se nommait Haji Muhammad-Isma'il-i-Dhabih, le puiné Haji Mirza Ahmad, et le cadet Haji 'Ali-Akbar.

(4.7) "Il passa quelques jours dans cette capitale, mais il ne s'y produisit pas en public, et se contenta d'avoir avec les personnes qui vinrent le visiter des entretiens qui pouvaient passer pour confidentiels. Il ne laissa pas que de recevoir ainsi beaucoup de monde et d'amener à ses opinions un assez grand nombre de curieux. Chacun voulait le voir ou l'avoir vu, et le roi Muhammad Shah et son ministre, Haji Mirza Aqasi, en vrais Persans qu'ils étaient, ne manquèrent pas de le faire venir. Il leur exposa ses doctrines et leur remit les livres du maître." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 131.)

(4.8) D'après Samandar (manuscrit, p. 2), Mulla Husayn, lors de son voyage de Shiraz à Tihran en l'an 1260 portait sur lui une Tablette révélée par le Bab à l'intention de Muhammad Shah.

(4.9) "A une certaine occasion", écrit Dr. JE. Esslemont, " Abdu'l-Bahd, le fils aîné de Baha'u'llah, me raconta les détails suivants concernant l'enfance de son père: "Enfant, il était déjà extrêmement bon et généreux. Il aimait la vie en plein air et passait la plus grande partie de son temps dans les jardins et les champs. Il avait un extraordinaire pouvoir d'attraction que tous ressentaient. Les gens se pressaient toujours nombreux autour de lui. Les ministres et les personnalités de la cour l'entouraient, et même les enfants lui étaient dévoués. Dès qu'il eut atteint l'âge de treize ou quatorze ans, on vanta partout son savoir. Il savait converser sur n'importe quel sujet et résoudre tous les problèmes qui lui étaient soumis. Dans les grandes assemblées, il discutait avec les ùlamas et il avait l'art d'éclaircir des points religieux inextricables. Tous l'écoutaient avec le plus grand intérêt. Baha'u'llah était âgé de vingt-deux ans quand son père mourut et le gouvernement souhaitait le voir succéder à son père dans les fonctions de ministre, ainsi que le voulait la coutume iranienne; mais Baha'u'llah déclina l'offre. Alors le Premier ministre dit: "Qu'il garde sa liberté. Cette position est indigne de lui. Je ne puis le comprendre mais je suis convaincu qu'il est destiné à quelque haute mission. Ses pensées sont différentes des nôtres. Laissons-le seul." ("Baha'u'llah et l'Ère nouvelle", pp. 29-30.)

(4.10) Le thé et cette variété de sucre étant extrêmement tares en Perse à cette époque, tous deux étaient utilisés comme cadeaux parmi les classes supérieures de la population.


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