La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE VII : le pèlerinage du Bab à La Mecque et à Médine

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La lettre de Mulla Husayn décida le Bab à entreprendre le pèlerinage qu'il avait l'intention de faire à Hijaz. Confiant sa femme à sa mère et les laissant toutes deux aux soins et sous la protection de son oncle maternel, il rejoignit le groupe de pèlerins du Fars qui se préparaient à quitter Shiraz pour La Mecque et Médine. (7.1) Quddus fut son unique compagnon avec le domestique éthiopien, son serviteur personnel. Il se rendit d'abord à Bushihr, siège du commerce de son oncle où, dans le passé, en étroite association avec celui-ci, il avait mené la vie d'un humble marchand. Ayant terminé les arrangements préliminaires à son long et pénible voyage, il s'embarqua sur un bateau à voiles qui, après deux mois de navigation lente, instable, semée de tempêtes, l'amena sur les rivages de cette terre sacrée. (7.2) La haute mer et l'absence totale de confort ne purent ni interrompre la régularité de ses dévotions, ni troubler la paix de ses méditations et de ses prières. Oublieux de la tempête qui faisait rage autour de lui, et nullement ébranlé par le mal qui s'était emparé de ses compagnons de pèlerinage, il continua à occuper son temps à dicter à Quddus les prières et les Epîtres qu'il se sentait appelé à révéler.

PHOTO: dessin représentant La Mecque

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J'ai entendu Haji Abu'l-Hasan-i-Shirazi, qui voyageait sur le même bateau que le Bab, décrire les circonstances de cette mémorable traversée: "Pendant toute la durée du voyage, soit environ deux mois, affirma-t-il, du jour où nous nous embarquâmes à Bushihr jusqu'à celui où nous débarquâmes à Jaddih, le port du Hijaz, chaque fois que, de nuit ou de jour, j'eus l'occasion de rencontrer soit le Bab, soit Quddus,jeles trouvai invariablement ensemble, absorbés tous deux par leur travail. Le Bab semblait dicter, et Quddus était occupé à prendre note de toutes les paroles qui tombaient de ses lèvres. Même au moment où a panique semblait s'être emparée des passagers de ce voilier ballotté par la tempête, on les voyait poursuivre leurs travaux avec une confiance et un calme imperturbables. Ni la violence des éléments, ni le tumulte des gens qui les entouraient ne pouvaient troubler la sérénité de leur expression, ni les détourner de leur but."

Le Bab lui-même, dans le Bayan persan, (7.3) fait allusion aux épreuves de ce voyage. "Durant des jours, écrit-il, nous avons souffert de la pénurie d'eau. Je devais me contenter de jus de citron doux." Du fait de cette expérience, il supplia le Tout-Puissant de permettre que les voyages transocéaniques puissent être améliorés au plus vite, les épreuves diminuées et les périls totalement éliminés. Et un temps très court, après que cette prière fut offerte, les signes d'une remarquable amélioration dans toutes les formes de transports maritimes se multiplièrent et le golfe Persique, qui ne possédait alors qu'un unique bateau à vapeur, se vante à présent de posséder une flotte de transatlantiques extrêmement confortables qui peuvent, en l'espace de quelques jours, transporter les habitants du Fars au cours de leur pèlerinage annuel au Hijaz.

Les peuples de l'Occident, chez qui les premiers signes de cette grande révolution industrielle s'étaient manifestés, ne connaissent pas, hélas, jusqu'à présent la source de laquelle émane ce puissant courant, cette grande force animatrice, une force qui a révolutionné tous les aspects de leur vie matérielle. Leur propre histoire témoigne du fait que, pendant l'année qui vit cette glorieuse révélation poindre à l'horizon, apparurent soudain les signes d'une révolution économique et industrielle que les gens eux-mêmes jugent sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Préoccupés des détails du fonctionnement et de la mise au point de ce mécanisme nouvellement conçu, ils ont graduellement perdu de vue la source et l'objet de cette formidable force que le Tout-Puissant leur a confiée.

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Ils semblent l'avoir cruellement mal employée et en avoir mal compris la fonction. Destinée à conférer aux habitants de l'Ouest les bénédictions de la paix et du bonheur, elle a été utilisée par eux dans le but de promouvoir les intérêts de la destruction et de la guerre.

A son arrivée à Jaddih, le Bab revêtit l'habit de pèlerin, monta à dos de chameau et partit à destination de La Mecque. Quddus, cependant, malgré le désir maintes fois réitéré par son maître, préféra l'accompagner à pied tout au long du parcours allant de Jaddih à la ville sainte. Tenant à a main la bride du chameau que montait le Bab, il poursuivit sa marche joyeusement et pieusement, pourvoyant aux besoins de son maître, totalement indifférent aux fatigues de sa pénible marche. Toutes les nuits, du soir jusqu'au lever du jour, Quddus, sacrifiant confort et sommeil, avec une vigilance sans relâche montait la garde aux côtés de son maître, prêt à exaucer ses désirs et à assurer les moyens nécessaires à sa protection et sa sécurité.

Un jour alors que le Bab était descendu de sa monture près d'un puits afin d'offrir sa prière du matin, un bédouin nomade, apparut soudain à l'horizon, s'approcha de lui et, saisissant la sacoche posée à ses côtés, à même le sol et qui contenait ses Ecrits et ses papiers, disparut dans le désert inconnu. Le serviteur éthiopien se mit à le poursuivre, mais il en fut empêché par le Bab qui, tout en priant, lui fit signe de la main de renoncer à sa poursuite. "Si je t'avais laissé faire", lui assura-t-il plus tard avec affection, "tu l'aurais certainement rattrapé et puni.. Mais il ne le fallait pas. Les papiers et les Ecrits que contenait ce sac sont destinés à parvenir, par le truchement de cet Arabe, en des lieux que nous n'aurions jamais réussi à atteindre. Ne sois donc pas affligé de ce qu'il a fait car c'était le décret de Dieu, l'Ordonnateur, le Tout-Puissant." Plus d'une fois, par la suite, le Bab chercha, en des occasions similaires, à rassurer ses amis par de telles réflexions. Par des paroles semblables à celles-ci, il transformait l'amertume du regret et du ressentiment en un consentement radieux au dessein de Dieu et en une joyeuse soumission à sa volonté.

Le jour d'`arafat, (7.4) le Bab, recherchant la retraite paisible de sa cellule, consacra tout son temps à la méditation et à l'adoration. Le lendemain, le jour de Nahr, après avoir psalmodié la prière de fête, il partit à Muna où, suivant une ancienne coutume, il acheta dix neuf agneaux de la plus belle race; en sacrifia neuf en son propre nom, sept en celui de Quddus et trois au nom de son serviteur éthiopien.

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Il refusa de manger de la viande provenant de ce sacrifice consacré, préférant la distribuer généreusement aux pauvres et aux nécessiteux du voisinage.

Bien que le mois de dhi'l-hijjih, (7.5) le mois du pèlerinage à La Mecque et à Médine, coïncidât cette année-là avec le premier mois de l'hiver, la chaleur était encore si intense dans cette région que les pèlerins qui faisaient le tour du tombeau sacré furent incapables d'accomplir ce rite avec leurs vêtements habituels. C'est enveloppés d'une ample et légère tunique qu'ils prirent part à la célébration de la fête. Le Bab, cependant refusa, en signe de déférence, de se séparer de son turban et de son manteau.

PHOTO: robe du Bab se portant sous le jubbih

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PHOTO: bonnet autour duquel était enroulé le turban du Bab

Vêtu comme à l'accoutumée, avec la plus grande dignité, un calme parfait, une simplicité et une révérence extrêmes, il fit le tour de la Ka'bih et accomplit tous les rites d'adoration prescrits.

Le dernier jour de son pèlerinage à La Mecque, le Bab rencontra Mirza Muhit-i-Kirmani. Celui-ci se tenait debout en face de la Pierre Noire lorsque le Bab s'approcha de lui et, lui prenant la main, s'adressa à lui en ces termes: "O Muhit! Vous vous considérez comme l'une des figures les plus marquantes de la communauté shaykhie et comme un éminent interprète de ses enseignements. Dans votre coeur, vous prétendez même être l'un des successeurs directs et l'un des héritiers légitimes de ces deux grandes Lumières, ces Etoiles qui ont annoncé l'aube de la direction divine. Regardez, nous sommes tous deux à présent debout à l'intérieur de ce mausolée très sacré. A l'intérieur de son enceinte sanctifiée, celui dont l'esprit demeure en ce lieu peut immédiatement faire connaître la Vérité, la distinguer de l'erreur, et séparer la droiture de l'égarement. En vérité, je le déclare, personne à part moi en ce jour, ni à l'Est ni à l'Ouest, ne peut prétendre être la Porte qui mène les hommes à la connaissance de Dieu. Ma preuve n'est autre que celle par laquelle la vérité du Prophète a été établie. Demandez-moi tout ce qu'il vous plaît; maintenant, à cet instant même, je m'engage à révéler des versets tels qu'ils pourront démontrer la vérité de ma mission. Vous devez choisir entre la soumission sans réserve à ma cause et le rejet total de celle-ci. Vous n'avez pas d'autre alternative. Si vous décidez de répudier mon message, je n'abandonnerai pas votre main avant que vous ayez donné votre parole de déclarer publiquement votre reniement de la vérité que j'ai proclamée. Ainsi, celui qui dit la vérité sera-t-il connu, et celui qui proclame l'erreur sera-t-il condamné à la misère et à la honte éternelles. Alors la voie de la vérité sera révélée et manifestée à tous les hommes".

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PHOTO: vêtement porté par le Bab lorsqu'il tourna autour de la Ka'bih (kabah)

Ce défi péremptoire, lancé de manière si inattendue par le Bab à Mirza Muhit-i-Kirmani, inquiéta profondément celui-ci. Il était écrasé par sa netteté, sa majesté et sa force irrésistibles. En présence de ce jeune homme, lui, malgré son âge, son autorité et son savoir, se sentait comme un faible oiseau, prisonnier des griffes d'un aigle puissant. Confus et envahi par la peur, il répondit: "Mon seigneur, mon maître!

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Depuis le jour où mes yeux vous ont contemplé à Karbila, il me semble que j'ai enfin trouvé et reconnu celui qui avait été l'objet de ma recherche. Je renonce à quiconque a omis de vous reconnaître et méprise celui dans le coeur duquel réside encore le moindre doute quant à votre pureté et à votre sainteté. Je vous prie de ne pas considérer ma faiblesse et vous supplie de me guider dans la perplexité où je rue trouve. Plût à Dieu que je puisse, en ce lieu même, dans l'enceinte de ce tombeau sacré, jurer ma loyauté envers vous et me lever pour faire triompher votre cause. Si je devais ne pas être sincère dans ma déclaration, si je devais, dans mon coeur, désavouer ce que ma bouche proclame, je me sentirais complètement indigne de la grâce du Prophète de Dieu et considérerais mon acte comme un geste manifeste de déloyauté envers 'Ali, son successeur élu."

Le Bab, qui écoutait attentivement ses paroles et qui était bien conscient de sa faiblesse et de la pauvreté de son âme, répondit: "En vérité je le dis, la Vérité est désormais connue et distinguée de l'erreur. Ô tombeau du Prophète de Dieu, et toi, ô Quddus, qui avez cru en moi! Je vous prends tous deux, en cette heure, pour mes témoins. Vous avez vu et entendu ce qui vient de se passer entre moi et lui. Je fais appel à vous deux pour en témoigner, et Dieu en vérité, est, au-delà et au-dessus de vous, mon témoin sûr et ultime. Il est celui qui voit tout, qui sait tout, le Très-Sage. Ô Muhit! Exposez tout ce qui trouble votre esprit et, avec l'aide de Dieu, je délierai ma langue et entreprendrai de résoudre vos problèmes afin que vous puissiez témoigner de l'excellence de mon verbe et réaliser que nul, à part moi, n'est capable de manifester ma sagesse.

Mirza Muhit répondit à l'invitation du Bab et lui soumit ses questions. Invoquant la nécessité de son départ immédiat pour Médine, il exprima le souhait de recevoir, avant son départ de cette ville, le texte de la réponse promise. "J'accéderai à votre demande, lui assura le Bab. Sur le chemin de Médine, je révélerai, avec l'aide de Dieu, ma réponse à vos questions. Si je ne vous rencontre pas dans cette ville, ma réponse vous parviendra certainement dès votre arrivée à Karbila. Je m'attends à ce que vous fassiez ce que vous dicteront la justice et l'équité. Si vous agissez bien, cela tournera à votre avantage et si vous agissez mal, ce sera contre vous-même que vous le ferez. Dieu est, en vérité, indépendant de toutes ses créatures." (7.6)

Mirza Muhit, avant de partir, exprima de nouveau sa ferme résolution de tenir sa promesse solennelle. "Je ne partirai jamais de Médine, quoi qu'il m'advienne, assura-t-il au Bab, avant d'avoir accompli le pacte que j'ai conclu avec vous."

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Comme un grain de poussière balayé par le vent, il disparut de la présence du Bab, terrifié, incapable de résister à la majesté écrasante de la révélation proclamée par celui-ci. Il passa quelque temps à Médine et, oublieux de ses engagements et dédaignant les exhortations de sa conscience, partit pour Karbila.

Le Bab, fidèle à sa promesse, révéla, sur le chemin de La Mecque à Médine, sa réponse écrite aux questions qui avaient troublé l'esprit du Mirza Muhit, et l'intitula Sahifiy-i-Baynu'l-Haramayn. (7.7) Mirza Muhit qui la reçut aux premiers jours de son arrivée à Karbila, demeura indifférent au ton de ce message et refusa d'en reconnaître les préceptes qui y étaient inculqués. Son attitude envers la foi fut marquée par une opposition cachée et persistante. Par moment, il se déclarait le disciple et le défenseur de cet adversaire notoire du Bab, Haji Mirza Karim Khan; en d'autres occasions, il revendiquait pour lui-même le rang d'un chef indépendant. Vers la fin de ses jours, alors qu'il résidait en 'Iraq, il exprima, par l'intermédiaire d'un des princes iraniens demeurant à Baghdad, le désir de rencontrer Baha'u'llah, feignant de se soumettre à lui. Il demanda que cette entrevue projetée fût considérée comme strictement confidentielle. "Dites-lui, répondit Baha'u'llah, que pendant les jours de rua retraite dans les montagnes de Sulayminiyyih, j'ai énoncé, dans une ode de ma composition, les conditions essentielles requises de chaque voyageur qui parcourt le sentier de la recherche en quête de la Vérité. Partagez avec lui ce verset de mon ode qui dit: "Si ton but est de chérir ta vie, ne t'approche pas de notre cour, mais si le désir de ton coeur est de te sacrifier, viens et laisse autrui venir avec toi. Car tel est le chemin de la foi si, dans ton coeur, tu cherches la réunion avec Baha; si tu refuses de parcourir ce sentier, pourquoi nous tourmenter? Va-t-en!" S'il le veut, il se hâtera de venir à moi ouvertement et sans réserve; sinon, je refuse de le voir." La réponse sans équivoque de Baha'u'llah déconcerta Mirza Muhit. Incapable de s'opposer aux directives, et ne voulant pas s'y conformer, il partit pour sa résidence à Karbila, le jour même où il reçut ce message. Dès son arrivée, il tomba malade et mourut trois jours plus tard.

À peine le Bab eut-il accompli le dernier des rites en liaison avec son pèlerinage à La Mecque qu'il adressa au sharaf de cette ville sainte une épître dans laquelle il exposait, en termes clairs et sans équivoque, les traits marquants de sa mission et l'appelait à se lever pour embrasser sa cause. Il remit à Quddus cette lettre ainsi que certaines parties choisies de ses autres Ecrits, et lui dit de les présenter au sharaf.

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Ce dernier cependant, trop absorbé par ses propres occupations matérielles pour prêter l'oreille aux paroles que lui adressait le Bab, ne répondit pas à l'appel du message divin. L'on a entendu Haji Niyaz-i-Baghdadi relater ce qui suit: "En l'an 1267 après l'hégire, (7.8) j'entrepris un pèlerinage en cette ville sainte, où j'eus le privilège da rencontrer le sharaf. Au cours de notre conversation, celui-ci me mit: "Je me souviens qu'en l'an 60, pendant la saison du pèlerinage, un-jeune homme vint me rendre visite. Il me présenta un livre cacheté que j'acceptai volontiers mais que je ne pus lire, car j'étais alors trop occupé. Quelques jours plus tard, je rencontrai à nouveau ce même jeune homme, qui me demanda si j'avais une réponse à donner à son offre. Le poids du travail m'avait de nouveau empêché d'examiner le contenu de ce livre. Je ne pus, en conséquence, lui donner une réponse satisfaisante. Lorsque la saison du pèlerinage fut terminée, un jour, alors que je triais mes lettres, mon regard tomba par hasard sur ce livre. Je l'ouvris et trouvai, dans ses pages d'introduction, une homélie touchante et superbement écrite, qui était suivie de versets dont le ton et le langage ressemblaient, de manière frappante, à ceux du Qur'an. Tout ce que je déduisis de la lecture du livre, c'est que, d'entre les habitants de la Perse, un homme de la descendance de Fatimih et de la famille de Hashim avait lancé un nouvel appel et annonçait à tous les hommes l'apparition du Qa'im

promis. J'ignorais toujours, cependant, le nom de l'auteur de ce livre et les circonstances qui avaient marqué cet appel." "Une grande agitation, remarquai-je, s'est en effet emparée de ce pays au cours des

dernières années. Un jeune homme, descendant du Prophète et commerçant de profession, a prétendu que ses paroles étaient la voix de l'inspiration divine. Il a publiquement affirmé qu'en l'espace de quelques jours, pouvaient jaillir de ses lèvres des versets en si grand nombre et d'une excellence telle qu'ils surpasseraient en volume et en beauté, le Qur'an lui-même, oeuvre à la révélation de laquelle

Muhammad avait mis non moins de vingt-trois ans. Une foule de personnes, des grands comme des humbles, des civils comme des ecclésiastiques, d'entre les habitants de la Perse se sont ralliées autour de son étendard et se sont volontairement sacrifiées sur son sentier. Ce jeune homme, durant l'année écoulée, dans les derniers jours du mois de sha'ban, (7.9) endura le martyre à Tabriz, dans la province d'Adhirbayjan. Ceux qui le persécutèrent avaient cherché par ce moyen à éteindre la lumière qu'il avait allumée dans ce pays. Depuis son martyre, cependant, son influence s'est étendue à toutes les classes de la société."

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Le sharaf, qui écoutait attentivement, exprima son indignation devant le comportement de ceux qui avaient persécuté le Bab. "Que la malédiction de Dieu soit sur ces viles personnes, s'exclama-t-il, qui, dans le passé, traitèrent de la même façon nos saints et illustres ancêtres!" Par ces paroles, le sharaf mit fin à notre entretien."

De La Mecque le Bab se rendit à Médine. Le premier jour du mois de muharam de l'an 1261 après l'hégire (7.10) le trouva en route vers cette ville sainte. Comme il s'en approchait, il se rappela les événements mouvementés qui avaient immortalisé le nom de celui qui avait vécu et était mort à l'intérieur de ses murs. Ces scènes, qui portaient un éloquent témoignage à la force créatrice de ce génie immortel semblèrent se renouveler, avec une égale splendeur, devant ses yeux. Il se mit à prier en s'approchant de ce saint sépulcre qui renfermait la dépouille mortelle du Prophète de Dieu. Il se souvint aussi, en foulant ce sol sacré, de ce brillant héraut de sa propre dispensation. Il savait que, dans le cimetière de Baqi`, non loin du tombeau de Muhammad, étaient ensevelis les restes de Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i, le précurseur de sa propre révélation qui, après une vie pleine de service, avait décidé de passer le restant de ses jours dans l'enceinte de ce tombeau sacré. Il eut aussi la vision de ces saints hommes, ces pionniers et ces martyrs de la foi, qui étaient glorieusement tombés sur le champ de bataille et qui, de leur propre sang, avaient consacré le triomphe de la cause de Dieu. Leurs restes sacrés semblaient se ranimer au doux passage de ses pieds. Leurs silhouettes semblaient avoir été remuées par le souffle vivifiant de sa présence. Elles le regardaient comme si elles s'étaient levées à son approche, se précipitant vers lui pour lui exprimer leur bienvenue. Elles paraissaient lui adresser ce fervent appel: "Ne retourne pas à ton pays natal, nous t'en supplions, O toi, le Bien-Aimé de nos coeurs! Reste parmi nous car, ici, loin du tumulte de tes ennemis qui te guettent, tu seras sain et sauf. Nous craignons pour toi. Nous redoutons les complots et les machinations de tes ennemis. Nous tremblons à la pensée que leurs âmes pourraient être damnées pour l'éternité à cause de leurs actes." "Ne craignez rien", répondit l'esprit indomptable du Bab: "Je suis venu en ce monde pour porter témoignage de la gloire du sacrifice. Vous êtes conscients de l'intensité de mon désir; vous réalisez le degré de mon renoncement. Non, suppliez le Seigneur notre Dieu de précipiter l'heure de mon martyre et d'accepter mon sacrifice. Réjouissez-vous car Quddus et moi serons tous deux immolés sur l'autel de notre dévotion envers le Roi de gloire.

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Le sang que nous sommes destinés à verser sur son sentier arrosera et vivifiera le jardin de notre immortelle félicité. Les gouttes de ce sang consacré seront la semence de laquelle sortira le puissant Arbre de Dieu, l'Arbre qui réunira, sous son ombre embrassant toutes choses, les peuples et les tribus de la terre. Ne vous attristez donc pas si je quitte ce pays, car je me hâte d'accomplir ma destinée."

PHOTO: dessin représentant Médine

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NOTE DU CHAPITRE 7:

(7.1) D'après le récit de Haji Mu'inu's-Saltanih (p. 72), le Bab partit pour sou pèlerinage à La Mecque et à Médine au mois de shavvâl de l'au 1260 après l'hégire (octobre 1844 après J-C.)

(7.2) Il garda de son voyage la plus mauvaise impression. "Sache que les routes de la mer sont pénibles nous ne les aimons pas pour nos fidèles : voyage sur les routes terrestres," écrit-il dans le Kitab-i-Baynu'l-Haramayn, en s'adressant à son oncle, comme nous allons le voir tout à l'heure. Il reviendra longuement sur ce sujet dans le Bayan. Qu'on ne croie pas ici à un enfantillage: le sentiment qui guide le Bab dans cette horreur de la mer est plus noble et plus élevé. Frappé de l'égoïsme des pèlerins, égoïsme exaspéré pat la gêne et les dangers d'un voyage sur mer, frappé également de l'état de saleté dans lequel sont obligés de vivre les voyageurs sur le pont, il veut éviter aux hommes l'occasion de donner cours à leurs mauvais instincts et de se rudoyer mutuellement.

On sait que l'Apôtre recommande expressément la politesse, la courtoisie la plus raffinée dans les rapports sociaux: "Ne contristez qui que ce soit pour quoi que ce soit". Et il fut, durant ce voyage, à même de constater la méchanceté de l'homme et sa brutalité quand il se trouve en face des circonstances difficiles : "Car la chose la plus triste que je vis dans mon pèlerinage à La Mecque était les constantes disputes des pèlerins entre eux, disputes qui leur enlevaient les bénéfices moraux de leur pèlerinage." (Bayan, 4: 16). Il arriva donc à Mascate où il se reposa quelques jours durant lesquels il chercha à convertir les gens du pays - sans y réussir. Il s'adressa à l'un d'entre eux, un religieux probablement et de rang élevé, dont la conversion eût pu entraîner celle de ses concitoyens; je le suppose du moins, car il ne nous donne à ce sujet aucun détail; il est évident qu'il ne dut pas chercher à convertir le premier venu qui n'aurait eu aucune influence sur les autres habitants de la ville.

Qu'il ait tenté une conversion et qu'il n'y ait pas réussi, la chose est indiscutable, puisqu'il l'affirme lui-même: La mention de Dieu, en vérité, descendit sur la terre de Mascate, et fit parvenir l'ordre de Dieu à l'un des habitants du pays: il se pouvait qu'il comprit nos versets et devint l'un de ceux qui sont guidés. Dis : Il obéit cet homme à ses passions après avoir lu nos versets: et en vérité, cet homme est, selon l'ordre du Livre, au nombre des Transgresseurs. Dis: nous n'avons pas vu à Mascate des gens du Livre qui l'aient aidé, car ils sont des ignorants perdus. Et il en fut de même pour tous ceux qui se trouvaient sur le bateau, si ce n'est l'un d'entre eux qui crut à nos versets et devint de ceux qui craignent Dieu." (A.L.M. Nicolas "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", pp. 207-8.)

(7.3) "C'est ainsi que moi-même, j'ai vu dans le voyage de La Mecque, un personnage qui dépensait des sommes considérables, mais hésitait devant la dépense d'un verre d'eau pour son compagnon de route qui habitait avec lui. Cela se passait sur le bateau, et l'eau y était rare, de telle sorte que moi-même, dans le voyage de Bushihr à Mascate, qui dura douze jours pendant lesquels on ne put faire d'eau, je dus me contenter de citrons doux." ("Le Bayan persan", vol. Il, p. 154.) "Ou ne peut s'imaginer sur mer rien autre chose que la gêne: ou n'y peut avoir tous les objets nécessaires comme pour ou voyage sur terre... Les gens de mer sont bien forcés (d'y vivre) mais, par leurs actions, ils se rapprochent davantage de Dieu, et Dieu récompense les bonnes actions faites tant sur terre que sur mer, mais il double les récompenses de celles accomplies par ou de ses esclaves sur mer du fait que leur travail est plus pénible." (Ibidem pp. 155-6). J'y ai vu (dans la route de La Mecque) des actes plus vils qu'aucun acte aux yeux de Dieu, et qui étaient cause que la bonne action qu'ils faisaient (eu allant au pèlerinage) était vaine. C'étaient des disputes entre pèlerins! Eu tout état de cause, des disputes de ce genre sont interdites... Vraiment la maison de Dieu n'a pas besoin de pareilles gens pour venir tourner autour d'elle!" (Ibidem, p. 155.)

(7.4) Le jour précédant la fête.

(7.5) Décembre 1844 ap. J-C.

(7.6) Versets du Qur'an.

(7.7) "L'Épître entre les deux tombeaux."

(7.8) 1850-51 ap. J-C.

(7.9) Juillet 1850 ap. J-C.

(7.10) Vendredi, le 10 janvier 1845 ap. J-C.


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