Archéologie du royaume de dieu
Par Jean-Marc Lepain


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Chapitre XII. L'évolution du néoplatonisme des origines à Baha'u'llah

Le néoplatonisme est né des besoins spécifiques de l'homme du IIIe siècle, liés à la crise de l'individualisme grec, à la dissolution de la cité dans un empire cosmopolite, et à l'aspiration à une nouvelle religion rationnelle capable de donner un nouveau sens à la vie.

XII.1. Le néoplatonisme de Plotin

Le néoplatonisme a une histoire complexe. Nous ne devons pas oublié qu'au moment où Plotin fonde ce qu'il est convenu d'appeler l'École néoplatonicienne, la doctrine de Platon a déjà plus de six siècles d'existence (1). Celle-ci a suivi au cours des temps une longue évolution qui passe par les Écoles mégarites et cyrénaïtes, la nouvelle Académie d'Arcésilas, pour aboutir au Moyen-Platonisme, qui est une doctrine déjà fortement mêlée de stoïcisme et de pythagorisme, auquel s'ajoutent des influences hétérogènes, peut-être en partie venues d'orient, que Festugère a regroupées sous le nom de "religion cosmique" (2).
Cependant, au IIIe siècle, le Moyen-Platonisme n'a plus aucune vigueur. Il se dissout complètement dans une doctrine éclectique où les éléments stoïciens dominent de plus en plus, comme ils dominent la vie intellectuelle de cette époque. Or, précisément à cette époque, alors que le christianisme est devenu une religion solidement implantée et qu'il commence à toucher les élites intellectuelles, Plotin, né à Lycopolis en Égypte, rencontre à Alexandrie Amonius Saccas qui, probablement né dans une famille chrétienne, avait renoncé au Christianisme pour retrouver ce qu'il considérait comme la pure religion de ses ancêtres et enseigner la philosophie.
Amonius initie Plotin à la doctrine de Platon, et celui-ci va donner sur cette base une lecture complètement nouvelle de la philosophie platonicienne. Cette relecture va prendre rang dans l'histoire de la philosophie sous le nom de "néoplatonisme".

Ce qui caractérise avant tout le néoplatonisme, c'est son extraordinaire cohérence métaphysique et son adaptation aux besoins spirituels de l'homme du IIIe siècle. A la différence du platonisme, le néoplatonisme a une dimension mystique profonde qui demande à l'homme un véritable dépassement de soi-même pour lui permettre de retrouver sa véritable nature. Il demande à l'homme de s'arracher au monde sensible pour rechercher le "dévoilement" des choses supérieures et connaître ainsi l'extase de l'union avec l'Un. En même temps, le néoplatonisme se présente comme une théodicée permettant, par une voie rationnelle, d'appréhender la nature des mondes suprasensibles.
Le néoplatonisme se veut donc une doctrine globale expliquant l'origine du monde et éclairant la destinée de l'homme dans une époque en proie au doute métaphysique où les hommes cultivés, comme nous le montre les Mémoires de Marc Aurèle, tentent de combattre une angoisse existentielle que l'âge classique ne connaissait pas, et fuient la foule pour trouver hors de la cité un nouveau sens à la vie et à la mort.
Plotin va ici apporter de nouvelles réponses qui font à la fois part au mysticisme et à la rationalité. Il y parvient en formulant un système qui se veut parfaitement clos sur lui-même pour donner une réponse globale sur la nature de l'univers et le destin de l'homme grâce à des concepts, pour l'époque totalement nouveaux et révolutionnaires, tels que ceux d'émanation, de procession et d'hypostase.

D'une certaine façon, le néoplatonisme aboutit à un dualisme qui oppose la matière au monde intelligible (nous dirions aujourd'hui spirituel). Le désir de Platon d'éviter à l'Un, principe de toutes choses, tout contact avec le monde sensible exclut tout acte de volonté dans la création et donc tout rapport entre un créateur et sa créature.
L'Un n'intervient pas dans la destinée des hommes; c'est à l'âme humaine qu'il appartient de sortir d'elle-même pour s'élever vers le divin par le seul moyen de ses efforts. La rencontre entre l'un et l'autre se fait dans un acte de "participation" qui est en même temps un acte de connaissance.
Le génie de Plotin n'a pas seulement supposé des éléments hétérogènes comme le faisait le Moyen-platonisme; il les a liés profondément entre eux aux moyens de concepts totalement nouveaux comme l'idée de procession et d'émanation, qui pour l'époque apparaissaient non comme des spéculations philosophiques, mais comme des vérités scientifiques incontestables capables d'engendrer un nouveau paradigme de la science, remplaçant le modèle aristotélicien. Mais Plotin, plus que tout autre a contribué à rapprocher la philosophie païenne du christianisme. Il a considérablement amplifié un phénomène de convergence, qui sans doute existait déjà, et qui résulte de ce Zeitgeist qui a tellement marqué le IIIe siècle (3).


XII.2. La problématique néoplatonicienne

Nous ne cherchons pas à présenter ici l'ensemble de la doctrine de Plotin, et nous nous contenterons simplement d'exposer les quelques points qui peuvent nous servir d'appui pour une comparaison avec la pensée de Baha'u'llah. Mais avant d'entrer dans son système, il nous faut expliquer quelques éléments de sa genèse.

A l'origine du système, se trouve le problème universel qui se pose dans toute pensée religieuse ou philosophie: celui du surgissement de l'existant à partir du non-existant. Ce problème cosmogonique se trouve au coeur de l'oeuvre des présocratiques, qui progressivement amèneront la philosophie à la forme que Platon reçoit en héritage.
Ce problème est posé dans la culture hellénique en termes très originaux puisque les grecs sont venus à la conclusion que l'univers ne pouvait être né que d'une singularité première et essentielle, c'est-à-dire d'un principe unique, point alpha source de toutes choses. C'est cette singularité que Plotin va précisément appeler l'"Un".
Déjà pour les présocratiques, le problème fondamental que posait l'existence de l'univers résidait dans le passage de l'un au multiple; comment un principe unique, que ce soit l'eau, l'air ou le feu avait-il pu engendrer tous les autres éléments? Platon et Aristote reprirent le problème, non sous l'angle physique comme les éléates, mais sous l'angle métaphysique et surtout ontologique.
C'est de cette perspective dont héritera Plotin. Posé en ces termes, le problème change de nature, car il oppose d'un côté ce qui est singulier à l'univers, c'est-à-dire au monde de la multiplicité. Une autre façon traditionnelle de poser le même problème en d'autres termes, consiste à affirmer que la singularité première est établie dans la permanence et l'immuabilité, alors que l'univers physique représente quant à lui le monde du changement, de l'impermanence et de la mutabilité. Cette approche se trouve déjà chez Empédocle avec la question de l'être et du non-être, et chez Héraclite avec celle du mouvement et du changement.

On se souvient que Platon avait traité ces problèmes de manière magistrale. Il avait rapproché le changement du mouvement et il avait trouvé la cause de celui-ci dans l'Âme qui en même temps communique l'ordre au cosmos grâce à l'Intelligence qui est en elle (4). L'Âme du monde est la cause du mouvement du monde et l'Intelligence qui est dans l'âme contemple les idées éternelles qui lui communiquent l'ordre cosmique qu'elle transmet au monde par le mouvement.
Le système de Platon est extrêmement complexe, car à côté des Idées, de l'Âme et de l'Intelligence, il fait intervenir de multiples concepts comme le Bien, le Beau, le Même et l'Autre, l'Être ou la Chora. Le Bien, identique au Beau, est le principe qui pénètre tout et qui prévaut sur tout; c'est de lui que dérive l'ordre cosmique, et c'est lui qui prête ses propriétés à l'univers, et en particulier l'Intelligence, l'Être, la vie, l'unicité et l'incorruptibilité.
Le Même et l'Autre forment la substance divisible et indivisible de l'Âme qui assure le lien ontologique entre le monde des Idées et le monde sensible. Le Même est de même substance que les idées; c'est le principe de détermination, alors que l'Autre représente le principe d'indétermination (5).
La Chora quant à elle est une limite à l'ordre qui transpose dans le domaine sensible l'influence de l'Autre et se trouve ainsi être la cause d'apparition du multiple. La chora n'est ni être, ni espace, ni matière. Elle n'a pas de forme, car elle est un intelligible pur, un lieu limite à la jonction du sensible et de l'intelligible qui permet à la Cause finale de communiquer son action et de cette façon d'organiser le Cosmos.
Ainsi, la Chora introduit dans le monde le changement et la mutabilité qui sont à l'origine du multiple, car si d'une part, l'existence des essences relève du Même comme principe d'identité, d'autre part, l'essence apparaît également comme Autre, car c'est par elle qu'apparaît la différenciation.

Nous avons ici simplifié ce qui chez Platon est très complexe au point que sa doctrine apparaît parfois confuse et difficile à cerner. Cet exposé était néanmoins nécessaire pour comprendre à quel point le néoplatonisme peut être différent du platonisme de Platon. C'est important pour comprendre l'originalité de Plotin, mais également parce que sur certains points la pensée de Baha'u'llah apparaît, comme nous le verrons, parfois plus proche de Platon que de Plotin.

Le génie de Plotin va être de simplifier la doctrine de Platon tout en lui donnant une cohérence nouvelle. Cette simplification apparaît nullement comme un appauvrissement, mais au contraire, permet grâce à l'introduction de quelques concepts nouveaux de démultiplier le pouvoir explicatif du système. D'une certaine façon, le système de Plotin, passé au rasoir d'Ockham, apparaît plus esthétique et plus élégant, et de ce fait il entraîne plus facilement l'adhésion et du coeur et de l'esprit.

Platon s'était plus intéressé au principe de l'univers qu'à son origine véritable. L'émergence du Cosmos est un problème que Platon ne résoud qu'au niveau du Mythe en faisant intervenir le Démiurge. Plotin va supprimer l'intervention du Démiurge et situer l'émergence de l'Existence en-dehors du temps dans un domaine des causes abstraites. Il regroupe les entités disparates que sont chez Platon le Beau, le Bien, l'Être et la Vie et les fusionne en un principe unique qu'il appelle l'Un.


XII.3. L'Un principe de toutes choses

L'Un est le principe de toutes choses. Il est éternel, en-dehors du temps, inengendré, immobile, immuable, autosuffisant et totalement clos sur lui-même. Il est au-delà de l'être (6), mais l'être procède de lui. C'est de lui que tous les êtres tiennent ultimement leur existence. Il produit les formes mais il n'est engagé dans nul acte créateur. Il n'a pas de mouvement, ne connaît pas l'altérité, il est antérieur au mouvement et à la pensée (7).

Le problème que pose ensuite Plotin est celui du passage de la transcendance à l'immanence. L'Un est situé dans un tel degré de transcendance qu'on ne peut imaginer qu'il y ait le moindre contact entre lui et le monde. Il faut donc que le monde procède de lui sans remettre en cause cette transcendance. Cela suppose d'une part l'existence d'intermédiaires, et d'autre part que ces intermédiaires procèdent eux-mêmes de l'Un, sans que ne soit impliqué nul acte de volonté de sa part, nul engagement dans une activité créatrice.

La seule activité de l'Un c'est la contemplation de lui-même. Dans cette contemplation il se saisit lui-même et de l'apparition de sa propre image. Dans sa conscience naît les éléments d'une dualité qui va permettre l'apparition d'une seconde hypostase qui est l'Intelligence (8).


XII.4. L'intelligence

C'est l'Intelligence qui est véritablement responsable du passage de l'Un au multiple. En elle se trouve le principe de l'Un; principe qui se réactualise constamment par la contemplation dans laquelle l'Intelligence se trouve engagée. Elle est alors "incapable de contenir la puissance qu'elle reçoit de l'Un, la fragmente et la multiplie afin de pouvoir ainsi la supporter partie par partie." (9).
Ainsi apparaît un principe de différenciation qui fait qu'elle contient tous les intelligibles potentiels, et par voie de conséquence tous les êtres. L'Intelligence plotinienne correspond au monde des Idées platoniciennes de la forme, c'est donc à partir de l'Intelligence que les philosophes musulmans ont construit le Monde imaginal. L'Intelligence est la forme des formes (le datur formarum de la scolastique), de ce fait elle est le modèle du monde sensible.

La caractéristique principale de l'Intelligence est son activité psychique, car c'est de cette activité que naît la multiplicité des intelligibles. L'Intelligence contemple l'Un et se contemple elle-même; cette contemplation en elle-même et sur elle-même se change en acte et ainsi naît l'Âme, la troisième hypostase.


XII.5. L'Âme

Si l'Intelligence possède en elle-même l'archétype du monde et de son ordre, le mode d'être de l'Intelligence, bien que permettant l'apparition d'une dualité avec l'Un et d'une multiplicité des intelligibles, lui interdit cependant tout rapport avec le monde sensible. Le passage de l'intelligible au sensible va se faire par l'intermédiaire de l'Âme. L'Âme se différencie de l'Intelligence par le fait qu'elle n'a pas son caractère immobile. L'Âme est un principe actif et mobile qui est la force organisatrice du monde sensible qu'elle baigne et compénètre.
De l'âme émanent les raisons séminales (logos spermatikoï) du monde qui en sont, en quelque sorte, la fragmentation. Les raisons séminales représentent l'intermédiaire entre l'âme et les êtres vivants qui sont engendrés par l'acte de l'Âme. Elles portent en elles-mêmes toutes les potentialités appelées à se développer dans l'être sensible; elles contiennent son programme de développement et les lois de son évolution; et c'est par leur intermédiaire que s'effectue la liaison entre l'Âme et les êtres du monde sensible. (10)


XII.6. La procession

Le schéma qui va de l'Un à l'Âme et de l'Âme au monde sensible constitue ce que Plotin appelle la procession (kathodos). Le concept de procession remplace dans la pensée plotinienne le concept de création. Pour les grecs, la création ex nihilo est impossible. Plotin rejette également l'idée d'un Dieu démiurge. La création est un acte, alors que la procession explique le monde par un schéma qui établit la liaison ontologique entre les différents modes d'être.
Ce point sera la principale pierre d'achoppement pour l'intégration du néoplatonisme dans le Christianisme et l'Islam. Malgré cette difficulté, il ne faut pas sous-estimer l'importance de l'idée de procession. Le concept va s'imposer en vertu de son pouvoir explicatif puissant en l'absence de toute idée d'évolution. L'idée de procession constitue donc un véritable paradigme qui va déterminer toute la pensée philosophique et scientifique au moins jusqu'au XVIIIe siècle pour l'occident et jusqu'au XXe siècle pour l'Islam.
Bréhier a raison d'écrire que l'idée qu'évoque le terme procession "est comparable, pour sa généralité et son importance historique, à l'idée d'évolution; les hommes de la fin de l'Antiquité et du Moyen-Age pensent les choses sous la catégorie de la procession, comme ceux aux XIXe siècle et du XXe siècle les pensent sous la catégorie d'évolution" (11).

Le concept de procession explique donc non seulement comment les formes dépendent les unes des autres, mais également le sens de la hiérarchie qui en découle et ce qu'on pourrait appeler les lois de "mutation" pour éviter le terme trop moderne d'évolution. La procession contient en elle-même son propre principe de détermination; rien n'est laissé au hasard.


XII.7. L'émanation

La force explicative du concept de procession est démultipliée par le concept complémentaire d'émanation (aporroia).

Si le concept de procession vise à établir la chaîne ontologique qui part de l'Un pour arriver au monde sensible, le concept d'émanation vise à établir les conditions de la procession en expliquant pourquoi l'existence de degrés inférieurs de l'être est nécessaire. L'idée d'émanation doit répondre aux exigences de la transcendance de l'Un que nous avons déjà énumérées: l'émanation ne doit impliquer aucune action, aucune volition de l'Un. La procession doit en même temps découler de la nature de l'Un (12), être spontanée sans affecter la source, sans l'affaiblir ou lui retrancher quoique ce soit.

Le schéma paradigmatique de la procession, Plotin va le trouver dans l'image de la lumière qui émane du soleil (13) qui lui a été suggérée par un passage de Platon ou celui-ci compare le Bien et le Soleil, ou un autre du Phédon qui parle du froid et du chaud (14). Plotin trouve de nombreuses images pour nous expliquer la nature de l'émanation: l'émanation est comme les rayons qui surgissent du centre du cercle pour engendrer celui-ci; elle est comme la lumière qui émane du soleil, la chaleur de la flamme, le froid de la neige ou de la glace, l'odeur du parfum, le ruisseau qui sort de la source, la vie qui jaillit des racines d'un grand arbre.
On voit donc que le concept d'émanation ne vise pas seulement à expliquer la relation ontologique entre les hypostases, mais a une valeur paradigmatique qui paraît être née de l'observation directe des phénomènes de la nature, et se pose donc comme loi universelle.

D'une manière générale, le schéma plotinien de la procession et de l'émanation comporte un certain pessimisme, car les différentes hypostases correspondent à une dégradation de l'être depuis l'Un jusqu'au monde sensible. Ce déploiement est donc également une chute. Entre le déploiement simple et la chute, la pensée de Plotin hésitera toujours, comme avait hésité Platon, car lui-même voyait dans la matière la limite à l'ordre.
Plotin sera influencé par le pessimisme du monde hellénistique, par ses tendances ascétiques et stoïciennes, sa peur du plaisir et de la jouissance. Porphyre écrit à propos de Plotin: "Il semblait avoir honte d'être dans un corps." Ce refus du corps et de la jouissance sera une des principales tendances que le monde hellénistique transmettra au Christianisme et dont on rend injustement celui-ci responsable.
Plotin présente la matière comme un "bourbier" dans lequel l'âme individuelle emprisonnée dans la prison du corps serait irrémédiablement souillée. Mais le problème de la chute est surmonté par le désir de l'ascension. Chaque hypostase aspire, par une sorte de nostalgie, à se perdre dans la contemplation de l'hypostase supérieure.
De ce fait, l'âme individuelle aspire à retourner à l'âme universelle. Pour cela, il lui faut se détacher de la matière en se dépouillant des ses qualités propres pour essayer, dans un effort personnel, de retrouver le souvenir de son être original dont la trace subsiste dans les tréfonds de son être intérieur.
Cette ascension est un retour à soi. Il s'agit, par cette purification spirituelle de retrouver la pureté originelle (archaîa katastasis). Ce processus aboutit à la perte de l'individualité par la suppression de tout ce qui constitue les déterminations de l'âme, pour atteindre ainsi l'état de l'union contemplative qui est, non une symbiose, mais un dévoilement des réalités intelligibles, et à travers elles de l'être véritable.

Nous conclurons cet exposé sur la pensée de Plotin par cette citation de Bréhier qui résume admirablement la position du philosophe:

"Ce qu'il y avait de nouveau (chez Plotin), ce n'était pas la lettre, mais l'esprit; c'était de supprimer des réalités éternelles ces objets fixes, les Idées, ou tout au moins, d'en faire, à l'étonnement de Porphyre, entrant dans l'école, des modes ou manière d'être de l'Intelligence, et non des choses; c'était de faire entrer dans le monde intelligible le sujet individuel lui-même avec la richesse concrète et l'infinité de toutes ses déterminations; c'était, enfin, de considérer les hypostases elles-mêmes, non pas comme des choses, mais comme des attitudes spirituelles." (15)

Plotin a eu de nombreux successeurs parmi les plus importants desquels on peut citer Porphyre, Jamblique, Proclus et Damacius. Mais l'apport novateur de ces philosophes est peu important. Au Ve et VIe siècle, le néoplatonisme va même entrer dans une certaine décadence au fur et à mesure que, sous l'influence de Jamblique, la théurgie va avoir une influence croissante et où les hypostases intermédiaires vont être multipliées par les philosophes. (16).

A partir de ce moment, le néoplatonisme ne subsistera que comme une sorte de doctrine auxiliaire dans le Christianisme et dans l'Islam, et deviendra ainsi la lingua franca du monde méditerrannéen et européen jusqu'au renversement opéré par Saint Thomas d'Aquin au profit de l'Aristotélisme. Averroès essayera de mener une opération similaire pour le monde musulman, sans cependant y parvenir.

Dans le monde oriental chrétien, très tôt les Pères de l'Eglise adopteront le néoplatonisme comme médium pour exprimer et transmettre la doctrine Chrétienne. Clément d'Alexandrie (17) et Denys l'Aréopagite (18). Cette adaptation ne sera pas sans poser de problèmes et suscitera la crise origèniste du IVe siècle, qui sera surmontée grâce aux apports de Grégoire de Nysse, Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze.
A partir de ce moment, on peut considérer que l'Eglise a surmonté les principales incompatibilités entre le néoplatonisme et le message de l'Evangile (19). Il n'en va pas de même de l'Islam qui n'aura pas le même souci de pureté doctrinale. Surtout après Avicenne, les doctrines néoplatoniciennes envahiront la théologie et la métaphysique au point de dénaturer profondément les bases doctrinales du Coran.

Deux oeuvres vont jouer un rôle essentiel. Il s'agit de La pseudo-Théologie d'Aristote et du Livre des Causes.


XII.8. La pseudo-Théologie d'Aristote

On connaît La pseudo-Théologie d'Aristote sous forme de deux versions manuscrites arabes et une version latine traduite à partir de la version arabe. L'oeuvre a été traduite par 'Abd al-Masih al-Himsi et colligée par le philosophe al-Kindi (20). L'histoire du manuscrit est fort complexe, car bien qu'on ait su depuis longtemps qu'il ne s'agissait pas d'une oeuvre d'Aristote, c'est seulement depuis peu qu'on a pu démontrer que le texte est fondé sur une paraphrase des Ennéades IV, V et VI de Plotin.

L'influence de cet ouvrage fut immense, car on l'a considéré comme l'épitome du savoir et de la sagesse grecs, et il a servi de base à la philosophie de Farabi, comme à celle d'Avicenne. Certains auteurs ont été conscients des différences existant entre la pensée de la pseudo-Théologie et le reste de l'oeuvre d'Aristote, mais le travail de Farabi va précisément consister à harmoniser les deux philosophies pour en présenter le résultat comme "la véritable philosophie d'Aristote". Autant dire que l'Aristote du monde musulman sera très éloigné de celui que connaît le monde occidental, et sera très platonisant, même chez Averroès, qui pourtant a lui même essayé de faire le chemin inverse pour retrouver l'Aristote authentique.

La Théologie est essentiellement un traité sur l'émanation dont elle expose longuement le principe. Le texte des Ennéades a été retouché sur de nombreux points. Il a été mêlé à des passages de Proclus, ou pour le moins à des éléments proclusiens de doctrine, et réorganisé pour être présenté de manière plus systématique que l'original. Sa doctrine s'écarte parfois substantiellement de celle de Plotin et traduit dans certains passages des influences chrétiennes.

Au sommet de la procession se trouve la Nature divine qui est la Cause première, ou la Cause des causes, absolumment transcendante, sans mouvement et au-dehors de l'Aïon (dahr). Mais la Nature divine est l'Instaurateur (mubdi') du monde par le pouvoir lumineux qui émane d'elle. C'est ce pouvoir lumineux qui engendre l'Intelligence. La Nature divine se sert ensuite de l'Intelligence pour rayonner sur l'Âme, de l'Âme pour rayonner sur la Nature, et de la Nature pour rayonner sur tout être soumis à la génération et à la corruption.

L'Âme est elle-même une image de l'Intelligence, sous la forme du Désir, qui constitue en quelque sorte le mouvement qui l'anime et qui représente sa nature active, car ainsi elle se meut de haut en bas, dirigée par l'Intelligence, et pénètre tous les êtres, dotant chacun d'un esprit propre. Le Désir peut prendre deux orientations: celui de l'universel et c'est alors par ce désir que l'Âme gouverne le monde des formes, ou celui du particulier, et c'est ainsi que l'âme gouverne le monde des êtres particuliers.

En pénétrant les êtres, l'Âme se fractionne et se divise en une âme animale, appétitive, irascible, et cognitive. Cependant, cette divisibilité de l'âme constitue un accident résultant de l'union de l'âme et du corps. Le texte présente l'Âme comme étant à l'origine de la distinction entre le monde sensible et le monde intelligible et attribue cette distinction à Platon.
Ainsi, si l'Âme connaît tout par connaturalité, les âmes particulières peuvent s'élever à la connaissance du monde intelligible en s'unissant à l'Âme universelle. Le monde intelligible est le lieu des formes qui sont les prototypes de tous les êtres sensibles et en même temps un monde de perfection et d'harmonie.
Seule l'Âme possède le mouvement, et cela pour la raison qu'elle est un effet de l'effet. C'est par ce mouvement que naît le monde sensible qui est comme une image de monde intelligible. Mais l'Âme est soumis à une certaine dégénérescence, parce que pour produire les êtres inférieurs elle doit abaisser son regard vers le monde de la Nature, et ainsi, elle descend les degrés de l'être vers l'âme humaine, l'âme animale et l'âme végétale.


XII.9. Le Livre des Causes

Le livre des Causes a connu un parcours assez semblable à celui de la Théologie d'Aristote. Le livre a dû être composé avant le Fihrist de Ibn Nadim, soit avant 987, par un disciple tardif de Proclus et a été ensuite traduit en arabe, peut-être par le grand traducteur Is'haq ibn Hunayn (21).
En fait, le Livre des Causes est une sorte de Compendium tiré des Éléments de Théologie de Proclus mais attribué par la suite à Aristote. La version latine a elle-même été traduite de l'arabe comme l'atteste de nombreux mots laissés dans cette langue. Ce texte aura une grande influence sur Avicenne et deviendra en quelque sorte canonique pour la pensée musulmane.

Le Livre des Causes représente donc la pensée de Proclus qui est distincte de celle de Plotin. Proclus multiplie les hypostases pour éviter toute aporie dans son système, ce qui lui donne un très haut degré de complexité. L'ensemble s'organise autour de la notion d'ordres conçus comme émanant chacun de l'Un par un procédé qui fait que l'Un s'autodétermine en chacun d'eux.
A la triade plotinienne, Proclus substitue une tétrade qui comprend l'Un, l'Existence, l'Intelligence et l'Âme. Par ailleurs, parallèlement à la tétrade fondamentale, il multiplie les triades parallèles pour épuiser toutes les virtualités de l'Être dans un univers hautement hiérarchisé. Bien entendu, la liaison que Proclus établissait entre sa métaphysique et les Dieux païens par le système des Hénades disparaît de la version arabe, ce qui explique de nombreuses distorsions du Livre des Causes par rapport à la véritable doctrine de Proclus.

Le processus de traduction des oeuvres grecques commença au VIIIe siècle et s'amplifia au siècle suivant avec les grands traducteurs al-Bitriq et Hunayn bin-Is'haq. Le premier penseur d'envergure à avoir exploité ces matériaux fut al-Kindi. L'assimilation par Farabi du néoplatonisme et de l'aristotélisme fut mesurée et prudente. Il s'efforce toujours de rester dans le cadre de l'orthodoxie et n'hésite pas lorsqu'il le faut à s'écarter d'Aristote. Farabi sera néanmoins le premier à adapter en arabe une partie du vocabulaire néoplatonicien et de ses concepts.

Notre but n'étant pas ici d'écrire l'histoire de la philosophie musulmane mais seulement de suivre les grandes étapes de l'introduction du néoplatonisme, nous nous bornerons à résumer les positions de Farabi et d'Avicenne sur les points précis qui nous occupent; car on peut considérer qu'avec Avicenne le système est définitivement formé. Les développements qui lui font suite ne sont que des variations mineures.`


XII.10. Al-Kindi

La philosophie d'al-Kindi est d'un accès difficile et encore mal connue (22). Son oeuvre ne nous est parvenue que partiellement, et nous ne disposons pas d'exposé systématique, mais d'une suite de petits traités, parfois contradictoires, qui devaient s'insérer dans un enseignement oral destiné à un petit groupe de disciples déjà bien au fait des grandes lignes de la philosophie du maître.

Pour al-Kindi Dieu est "producteur" (muhdith) du monde. A ce titre, il peut être considéré comme le Principe premier de toutes choses et peut être appelé l'Éternel ou l'Un-vrai. L'Un-vrai est cause de lui-même; là est donc l'Etre nécessaire, non cause au delà de toutes catégories de la pensée puisqu'il est la catégorie première, le premier principe à partir duquel on pense tous les principes. Il est en-dehors du temps, du mouvement et de l'espace.
Malgré sa connaissance du Livre des Causes, al-Kindi ne semble pas avoir été séduit par sa philosophie émanationiste. La raison en est que cette conception émanationiste lui paraissait incompatible avec la conception d'une création ex nihilo telle qu'on la trouve dans le Coran. Pour résoudre ce point difficile il eut recours, comme d'autres penseurs de sa génération, aux traités du théologien chrétien Jean Philopon d'Alexandrie qui avait écrit une réfutation systématique des thèses hellénistiques sur l'éternité du monde (23).


XII.11. Farabi

Le premier philosophe musulman qui peut être qualifié de néoplatonicien est Farabi. Il avait une ample connaissance de l'ensemble des traductions arabes d'oeuvres grecques et les contradictions entre Platon et Aristote ne lui échappèrent pas. Cependant, il rêva d'une synthèse qui eut englobé les deux philosophies et rédigea à cet effet, une Conciliation des deux sages où les positions platonicienne, aristotélicienne, stoïcienne et néoplatonicienne sont imbriquées au point de constituer effectivement un tout assez cohérent (24). Peut-être Farabi a-t-il réussi à réaliser cette synthèse que le monde antique avait cherché en vain. Néanmoins, ce sont bien les thèses néoplatoniciennes, sans doute parce que plus éclectiques, qui dominent chez lui (25).

Dans son livre principal, Les opinions des habitants de la cité idéale (26), qui s'inspire de La République de Platon, Farabi expose quelques unes des ses conceptions métaphysiques. Il commence par identifier Dieu à l'Être premier dans une tradition nettement proclusienne (27). Or, cet Être premier n'est rien d'autre que l'Un éternel et la Cause première (28), substance indivisible et totalement indéfinissable (29).
Jusque-là, Farabi reste très proche d'al-Kindi, à cette différence que sa description de l'Être premier suit de beaucoup plus près la pseudo-Théologie et le Livre des Causes que le Coran.
L'Un est le Vivant et la Vie (30), il est la Beauté et la Perfection (31), la Vérité et la Réalité (32). Totalement autosuffisant, l'univers émane de lui par une nécessité qui, cependant, n'ajoute rien à sa perfection. Cette émanation est un débordement de l'être qui est surabondant en Dieu.
Cette surabondance est engendrée par la seule activité possible à Dieu, la contemplation de lui-même, qui lui permet de se prendre lui-même comme objet d'intellection et de concevoir une essence sans intermédiaire. Car l'Un est à la fois Intelligence ('aql), Intelligible (ma'qul) et Intelligent ('Aqil) (33).
Par sa substance, il est Intellect en acte (34). Par Intellect en acte il faut comprendre une Intelligence pure qui serait une forme (sura) dépouillée de toute matière, car la matière est un obstacle à l'acte d'intélligé, c'est-à-dire à la contemplation (35), de même que l'Un est un Intelligible par sa substance, car un Intelligible est aussi une substance dépouillée de toute matière (36). Enfin, c'est en contemplant sa propre substance que l'Un devient Intelligent et Intelligence en acte (bi'l-fi'l) (37). De cette activité pensante est ainsi engendrée la première Intelligence séparée.

A partir de ce point, Farabi innove par rapport à Plotin et à Proclus. En apparence, il revient à l'idée première de Platon qui liait le mouvement à une âme et associait ainsi une âme à chaque astre. Farabi fusionne ensemble les attributs de l'Âme et de l'Intelligence qui correspondaient aux dix sphères cosmiques pour constituer les Êtres seconds ou Intelligences séparées.
Chaque Intelligence a deux formes d'activité possibles: la contemplation de l'essence de l'Un, et la contemplation d'elle-même. En entrant dans la contemplation d'elle-même, la première Intelligence séparée engendre le premier ciel, et en contemplant l'Un elle engendre l'Intelligence troisième, qui à son tour engendre la sphère des astres fixes et l'intelligence quatrième, et ainsi de suite jusqu'à la dixième Intelligence qui engendre la Lune (38). Ainsi on trouve dix intelligences séparées, neuf corps célestes et onze cieux.

Le modèle de Farabi a l'avantage de lier ensemble, à travers l'Intelligence, les aspects métaphysiques, cosmologiques et épistémologiques, ce qui aboutit effectivement à un modèle plus global que celui de Plotin.

A la perfection du monde intelligible, Farabi oppose l'imperfection du monde sensible soumis à des mouvements désordonnés de combinaisons et de désagrégations des éléments sous l'influence des corps célestes. Au coeur du désordre de la matière émerge graduellement, sous l'influence des astres et de leur Intelligence, un ordre qui conduit progressivement vers une plus grande perfection qui culmine en l'homme. L'homme, par ses facultés rationnelles, manifeste certaines qualités du monde intelligible. Son âme a la capacité de s'élever jusqu'aux réalités intelligibles et de les connaître; ce qui constitue en fait la finalité de l'existence humaine, car au processus descendant de la procession correspond un processus noétique ascendant.


XII.12. Avicenne

Avicenne (Ibn Sina) a voulu résumer à la fois sa pensée et toute la philosophie de son temps, dont il se considérait lui-même comme l'achèvement, dans son grand ouvrage encyclopédique, le Shifa (Livre de la Guérison) (39). Nous nous bornerons à rappeler ici ses thèses concernant la structure métaphysique du monde (40).

La métaphysique d'Avicenne ressemble beaucoup à celle de Farabi. Lui-même écrit que dans sa jeunesse, il avait lu de nombreuses fois la Théologie d'Aristote, sans jamais réussir à la comprendre, jusqu'au jour où il lut les commentaires de Farabi qui lui apportèrent une véritable révélation. La pensée d'Avicenne va donc s'inscrire dans la droite ligne des philosophies de l'émanation bâties sur des prémices cosmologiques aristotélico-ptolémaïques liés à une ontologie néoplatonicienne (41).

Comme Al-Kindi, Avicenne identifie Dieu à l'Être nécessaire (42) qui n'a pas de cause et qui est Perfection, Bien pur et Intelligence (43). En lui, l'essence et l'existence se confondent (44). La perfection de l'Être nécessaire se manifeste dans le fait qu'il est pur intellect. L'Être nécessaire en se saisissant lui-même dans un acte de connaissance, saisit en même temps tout ce qui émane de lui et donc la procession de tous les êtres.
A la différence de Farabi, c'est donc, chez Avicenne, toute la création qui émane directement de l'Être nécessaire, ce qui restitue une perspective plus compatible avec le Coran. On peut cependant se demander s'il s'agit d'une nécessité du système ou d'un accomodement destiné à satisfaire l'orthodoxie.
Cependant, Avicenne va s'efforcer de rendre compatible les exigences coraniques d'une création directement engendrée par Dieu et en contact avec lui, avec le maintien de la procession d'une série d'hypostases. Comme chez Farabi donc, l'Être nécessaire engendre par émanation une première Intelligence qui est responsable du mouvement de la sphère extrême.
L'Intelligence première en se contemplant elle-même comme nécessaire engendre l'Âme du ciel extrême. En se contemplant elle-même comme contingente, elle engendre le Corps de ce ciel dont l'Âme, par le mouvement de son désir pour l'Intelligence dont elle émane, va devenir le moteur. De la contemplation de l'Intelligence première de l'Être nécessaire, celle-ci engendre l'Intelligence seconde. Ainsi, le processus se reproduit par réitération jusqu'à la dixième Intelligence (45).

Seule l'Intelligence agente (al-'aql al-fa'al) est en contact avec ce monde. C'est elle qui est à l'origine du Monde imaginal en donnant à la matière ses formes. Avicenne sera cependant très critique vis-à-vis de la théorie des idées platoniciennes. Il conçoit les idées platoniciennes comme des universaux ou des genres collectifs subsistant de manière totalement indépendante et représentant les prototypes des êtres individuels et des réalités sensibles.
Avicenne adopte une position assez proche du nominalisme et il affirme que c'est seulement par l'abstraction des particuliers que l'esprit humain reconstitue les genres et les espèces ainsi que toutes les catégories de l'universel. Ces universaux ne peuvent donc exister de manière indépendante des individus qui les composent.
"De plus", commente Majid Fakhry, "lorsque nous attribuons l'unité à l'universel, nous ne voulons pas dire qu'il réside en acte dans tous les êtres particuliers qui y participent, mais plutôt qu'il a la potentialité d'être inhérent aux nombreux substrats disposés à le recevoir; tout en restant numériquement un, il est donc multiple en puissance" (46).

Nous considérons la critique comme fondamentale. Tous les penseurs post-avicenniens essaieront d'y répondre. La construction du Monde imaginal et du Malakut chez les philosophes ishraqis s'efforcera d'en tenir compte sur bien des points. Les néo-avicenniens modernes, particulièrement ceux de l'École d'Henri Corbin, feraient bien de méditer ces positions d'Avicenne lorsqu'ils attaquent le nominalisme ou quand ils rendent celui-ci responsable du déclin de la théosophie comme le fait Faivre. Toute théosophie n'est pas forcément platonicienne.

Néanmoins, Avicenne maintient la conception aristotélicienne de la forme, et il fait cette concession au platonisme que la forme doit préexister à la matière et que son origine doit donc se trouver dans l'Intelligence agente (47).

Avec Avicenne, on peut considérer que cette partie de la métaphysique musulmane est parvenue à son achèvement. Son économie générale ne sera jamais remise en cause avant la fin du XIXe siècle. Certes, de nombreux philosophes essaieront de construire leur propre système, mais ce faisant, ils resteront toujours dépendants de lui. Leur relation à Avicenne ressemble à celle de Proclus, Sirianius, ou Simplicius à Plotin. Même si les Ishraqiyyun ont introduit de nombreux raffinements, la métaphysique d'Avicenne, éventuellement mêlée à quelques éléments empruntés à Ibn 'Arabi, est celle qui domine totalement à l'époque de Baha'u'llah. On ne peut pas comprendre l'originalité de son message si on ne se remémore pas sans cesse ce fait.

Nous ne reviendrons pas ici sur la métaphysique ishraqie ou shaykhie, considérant que nous avons suffisamment traité cette question dans le chapitre consacré aux Mondes divins dans la tradition islamique. En Perse, les idées d'Avicenne resteront toujours très vivantes jusqu'au XIXe siècle, ce qui n'est pas le cas dans le monde arabe. Cependant, ces idées seront influencées par la théologie illuminative de Suhrawardi, et notamment son angéologie et subiront une inflection propre au shi'isme. De ce fait, l'aspect cosmologique deviendra moins important, et les discussions se concentreront sur les questions ontologiques et notamment sur le statut et la fonction du Monde imaginal.

Ayant ainsi défini le cadre néoplatonicien de la philosophie musulmane, ceci va nous permettre de faire une comparaison rigoureuse avec la pensée de Baha'u'llah, de déterminer les points de contact, de cerner les axes de divergences et de saisir la force et l'originalité de cette pensée au-delà d'un langage qui peut parfois paraître conventionnel et qui souvent cache de grandes audaces. Un tel tableau, pour être complet aurait dû comporter une comparaison semblable avec la pensée soufie, notamment celle d'Ibn 'Arabi, et les auteurs du monisme existentiel.
Pour des raisons pratiques, nous avons cependant préféré limiter provisoirement notre étude. Mais le lecteur peut être assuré que le résultat serait assez semblable, et qu'on trouverait dans les Ecrits de Baha'u'llah une multitude d'emprunts de vocabulaire et d'images, de thèmes communs, mais finalement de sérieuses divergences sur le fond. Dans l'oeuvre de Baha'u'llah, où la forme joue un rôle si important, il est toujours nécessaire de resituer un texte dans son contexte plus général et de ne pas se contenter d'une lecture superficielle, car on peut être sûr que chaque mot a son poids.


XII.13. Baha'u'llah et la philosophie hellénisante

Le chapitre suivant sera consacré à une comparaison de l'enseignement de Baha'u'llah avec la doctrine du néoplatonisme qui fera ressortir qu'en dépit de certaines apparences la philosophie de Baha'u'llah n'a rien de néoplatonicien. Ceci nous amène à étendre notre enquête à un cadre plus large qui est celui de la philosophie hellénisante (Falsafa) en général.

Ghazali dans "Annihilation des philosophes" (Tahafut al-Falasifa) avait recensé vingt thèses de la Falsafa qu'il jugeait incompatibles avec l'orthodoxie musulmane. Malgré tous les démentis d'Averroès, Ghazali avait certainement raison de souligner que la philosophie hellénisante était dans sa forme grecque inassimilable par l'Islam, et que tous les efforts d'adaptation qu'on ferait n'auraient pour conséquence que de dénaturer l'un ou l'autre. Selon Ghazali, le Falsafa aboutissait à trois thèses frappées d'impiété (kufr). La première portait sur l'éternité du monde, la seconde sur la négation de la résurrection et la troisième sur la connaissance limitée que Dieu avait des particuliers.

La première constatation que l'on peut faire est que si les philosophes avaient été confrontés non au Coran, mais à l'oeuvre de Baha'u'llah, la plupart des objections de Ghazali n'auraient pas lieu d'être. En annulant le dogme de la création ex nihilo et celui de la résurrection, Baha'u'llah a dépassé tous les obstacles s'opposant à une synthèse harmonieuse entre la philosophie et la pensée religieuse. De même, sa théologie et sa psychologie résolvent les contradictions dans lesquelles Farabi et Avicenne étaient tombés pour essayer d'expliquer comment un Dieu qui n'aurait une connaissance que des universaux pouvait rester un Dieu omniscient.
Baha'u'llah résoud le problème cette fois en tournant le dos à la philosophie de la nécessité dans laquelle s'était enfermée la Falsafa pour affirmer la totale transcendance de Dieu, dans un sens très cartésien, et sa totale indépendance vis-à-vis du monde des contingences. Remarquons d'ailleurs que cette attitude était la seule qui puisse libérer l'investigation scientifique des contraintes du dogmatisme théologique.

D'une manière générale, on pourrait donc conclure à une certaine parenté entre l'approche philosophique de la Falsafa et la pensée de Baha'u'llah. Si cette parenté existe, elle doit être recherchée non dans les thèses de la Falsafa, mais plutôt dans son esprit qui est peut-être l'esprit des premiers philosophes grecs; car sur le reste Baha'u'llah s'écarte de ce qui faisait le fondement de son enseignement. Car il y a incompatibilité entre l'enseignement de Baha'u'llah et de la Falsafa sur au moins deux points fondamentaux, celui de la cosmologie et celui de l'ontologie.

Sur le plan de la cosmologie, Baha'u'llah défait l'oeuvre de Farabi et d'Avicenne. Il rejette le système de Ptolémée sur lequel il était fondé, et tout le système de la procession des intelligences et des âmes motrices des cieux. Ce faisant, il sépare à nouveau ontologie, cosmologie et psychologie qui avaient été abusivement associées et unifiées. Ce rejet catégorique de l'onto-cosmologie avicennienne qui imprégnait toute la pensée musulmane et persane jusqu'à son époque, est un acte de grand courage mais qui met bas tout l'édifice de la physique et de la métaphysique musulmane.
C'est une révolution dont nous avons aujourd'hui peine à apprécier l'ampleur. Ce n'est pas seulement le système d'Avicenne qui est en cause, mais également celui d'Ibn 'Arabi et de Suhrawardi. En ce sens, Baha'u'llah a anticipé la révolution scientifique occidentale qui, introduite en Perse quelques décennies plus tard, allait ruiner les bases cosmologiques de la théologie.

Les conséquences de cet abandon sont immenses. Elles impliquent la disparition de l'angéologie avicennienne et suhrwardienne dont nous avons déjà eu l'occasion de nous expliquer. Elle implique également la disparition de la prophétologie telle que l'avaient conçue les philosophes. Souvenons-nous que Avicenne et Suhrawardi avaient identifié Gabriel, l'ange de la révélation, à l'Intellect agent. C'est donc toute la relation du prophète au divin, son mode de connaissance de la révélation qui est à repenser.

Sur le plan de l'ontologie, Baha'u'llah rejette l'ontologie éclectique forgée à partir de Platon et d'Aristote par Farabi et Avicenne. Deux aspects de cette ontologie sont visés. Le premier porte sur la suprématie de l'Être dans l'ensemble du système et son rapport avec la philosophie des essences. Le second concerne le dualisme aristotélicien de la forme et de la matière qui est totalement abandonné.

Baha'u'llah semble considérer implicitement que le dérapage de l'ontologie traditionnelle s'est fait dès les premières tentatives de synthèse d'al-Kindi, lorsque celui-ci a assimilé Dieu à l'Être nécessaire, entraînant un dualisme entre l'Être nécessaire et l'Être possible, dont Farabi allait tirer ces êtres seconds que sont les Intelligences séparées. Il y a là un problème qu'avait déjà aperçu Plotin, qui s'était refusé à assimiler l'Être à l'Un et qui considérait que l'Être doit procéder de l'Un et non être confondu en lui. Pour Baha'u'llah également, l'Être est une notion strictement contingente qui interdit de le confondre avec Dieu.
Cela ruine, bien entendu, toutes les spéculations d'Avicenne et de Saint Thomas d'Aquin sur la distinction entre l'Être et l'Essence chez les créatures contingentes et leur coïncidence en Dieu. L'ontologie de Baha'u'llah n'est ni une philosophie de l'essence, ni une philosophie de l'existence; c'est une philosophie de la réalité (haqiqat), où la réalité est considérée comme une nature spirituelle sans substance admettant diverses modalités d'être.

Baha'u'llah abandonne également la distinction aristotélicienne de la forme et de la matière. Avicenne avait posé que la forme peut exister indépendamment de la matière en constituant une substance à part. Ainsi les Intelligences séparées étaient de pures formes. Saint Thomas d'Aquin avait adopté ce point de vue pour faire de l'âme humaine la forme du corps. Pour Baha'u'llah, les réalités spirituelles (haqa'iq) ne sont pas des réalités substantielles. Elles ne peuvent donc avoir de forme. De là s'écroule tout un nouveau pan de la physique et de la métaphysique musulmane, car de cette dualité forme-matière, doublée à la dualité être-essence, on faisait découler tout un ensemble de principes et de conséquences sur la nature des réalités intelligibles et sensibles.
Pour Aristote, était intelligible tout ce qui est au-delà de la matière, ce qui aboutit à confondre toutes les modalités d'être, car si par exemple la pensée est un intelligible, la pensée est pourtant d'une autre nature que l'âme. De plus, Avicenne faisait de la matière le principe d'individuation de l'être. Ce problème de l'individuation, qui a tant troublé la philosophie médiévale, était rendu inévitable si on admettait que le genre et l'espèce précédaient dans l'ordre d'existence l'individu, ce qui paraissait nécessaire si on voulait faire préexister la forme aristotélicienne ou l'idée platonicienne.
Dans l'ontologie de Baha'u'llah, ces questions n'ont plus grand sens puisque disparaissent les genres et les espèces en tant qu'universaux. Baha'u'llah n'est pas loin de la métaphysique de Duns Scot et des thèses nominalistes de Guillaume d'Ockham. Il serait cependant absurde d'en faire un nominaliste dans la mesure où son ontologie est basée sur une conception de l'essence et de l'existence qui est tout autre.
Il y a là néanmoins un domaine totalement inexploré qui devra être un jour sérieusement étudié et qui promet d'être philosophiquement très fructueux, car nous sommes convaincus qu'une renaissance de la philosophie moderne passe par une reformulation complète de l'ontologie en-dehors des catégories aristotéliciennes ou platoniciennes.

On pourrait sans doute énumérer bien d'autres points sur lesquels l'enseignement de Baha'u'llah diverge de la Falsafa, mais ces autres points nous paraissent totalement secondaires par rapport aux deux questions fondamentales de la cosmologie et de l'ontologie que nous venons ici d'évoquer.
Ce faisant, non seulement Baha'u'llah a abrogé l'abîme de quelques siècles qui semblait séparer la philosophie orientale de la philosophie occidentale. Il a ramené la philosophie dans le domaine des idées afin de laisser le champ libre à la science pour expliquer l'univers sensible en-dehors de toute métaphysique, et il a ouvert à l'investigation philosophique des voies dont la philosophie du XXe siècle a eu l'intuition, notamment sur l'intelligibilité relative et progressive de la réalité et sur le rapport entre langage, réalité et intériorité psychologiques et d'autres encore. Ces voies sont encore loin d'être explorées.



Notes

(1) Platon naquit c. 427 et mouru c. 347 av. J-C. Plotin nait en 205 A.D. et meurt en 270 A.D.

(2) cf. Festugière, La Révélation d'Hermès Trismégiste, en particulier le tome II "Le Dieu cosmique", et le tome III "La doctrine de l'Ame, le Dieu inconnu et la gnose".

(3) A propos du concept de Zeitgeist dans l'Antiquité tardive, cf. notre étude "Les paradigmes cachés de l'Histoire" in Actes de l'Association Européenne Francophone pour les Etudes Baha'is, 1987.

(4) Platon, Timée 30b5.

(5) Il existe une certaine similitude entre le Même et l'Autre chez Platon et les deux grandes forces, active (fa'il) et réceptive (munfa'il) dont parle Baha'u'llah dans la Tablette de la Sagesse (Lawh-i-Hikmat) en disant que c'est par l'énergie dégagée par leur mélange, nous dirions de leur union, que l'univers est venu à l'existence. De semblables similitudes s'expliquent par la théorie de "l'imagination active" ('aql) comme propriété de l'âme.

(6) Ennéades, V. 1, 10.

(7) Ibid. VI. 9, 6.

(8) Certains appellent l'Intelligence "l'Intellect". Nous préférons suivre ici l'usage de Bréhier pour les mêmes raisons que celui-ci a expliqué dans son livre sur Plotin et sa philosophie.

(9) Énnéades, VI, 7, 15.

(10) Le concept de "Raison séminale" subira une évolution dans la philosophie chrétienne sous l'influence de St. Augustin. Roger Bacon, au XVIIe siècle définissait les raisons séminales de la manière suivante : "La raison séminale est l'essence incomplète de la matière en tant qu'elle tend à son achèvement, ainsi la graine tend à devenir un arbre". (Communia naturalium, éd. Robert Steele, Oxford, Liber primus, p. 84". Pour St. Augustin, les raisons séminales ou vertus séminales, sont des germes que Dieu a déposés dans la matière et qui sont à l'origine des formes substantielles qui constituent le principe d'individuation, qui fait que l'individu émerge de la matière indéterminée.

(11) E. Bréhier, La Philosophie de Plotin, p. 35.

(12) Ennéades, VI. 8, 7, 50 et VI. 8, 8, 15.

(13) Ibid. V. 1, 6.

(14) Platon, Phédon, III. trad. E. Chambry, éd. Garnier Flamarion, 1965, pp. 163-164.

(15) Bréhier, op. cit., p. 182.

(16) Il est interessant de constater qu'à l'exception d'Appolonius de Tyane, à la fois mythe et lieu commun de la culture islamique, Baha'u'llah se refuse à prendre en considération les philosophes postérieurs à Plotin, comme si après lui rien ne valait la peine d'être mentionné.

(17) cf. Le platonisme des Pères de L'Eglise.

(18) cf. René Rocque, L'Univers dyonisien, Structures hiérarchiques du monde selon le Pseudo-Denys, Paris, 1983.

(19) cf. Endre von Ivanka, Plato Christianus; la réception critique du platonisme chez les Pères de l'Eglise, trad. E. Kessler, Paris, 1990.

(20) cf. A. Badawi, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, 1987, pp. 100-101. Voir également Badawi, Plotinus apud Arabes, p. 1-164; et Kraus, Plotin chez les arabes, Bull. de l'Institut d'Egypte, 23 (1941).

(21) cf. Badawi, op. cit., pp. 60-73.

(22) L'oeuvre d'al-Kindi a été publiée au Caire sous le titre Rasa'il al-Kindi al Falsafa (2 vol., 2e éd. 1978). Sa métaphysique a été traduite en anglais par A. I. Ivy et publiée avec un intéressant commentaire sous le titre Al-Kindî's Metaphysics, (Albany, 1974).

(23) cf. "John Philoponus as a source of mediaval islamic proofs of creation", in Journ. of Am. Oriental Sociologie, vol. 89, 1969, pp. 357-391.

(24) cf. Al-Farabi, Deux traités philosophiques: L'harmonie entre les opinions des deux sages, le divin Platon et Aristote, et le De la Religion, introduction, traduction et note par Dominique Mallet, Damas, 1989.

(25) Pour un exposé plus complet de la philosophie de Farabi on peut consulter Ibrahim Madkour, La place d'al-Farabi dans la philosophie musulmane, Paris, 1934.

(26) cf. Al-Farabi, Traité des opinions des habitants de la cité idéale, introduction, traduction et note par Tahani Sabri, Paris, 1990. Nous nous référerons à cette traduction par l'abréviation "Cité". Il existe plusieurs éditions du texte arabe. L'édition à laquelle nous nous sommes référés est celle du Dr. A. Nasir Nadir, Kitab Arai Ahl al-Madinat al-Fadila, Beirut, 1973. Nous citerons cette édition sous l'abréviation "Madina".

(27) L'expression utilisée est al-Awwal, c'est-à-dire "le Premier", et plus rarement al-Wahid. cf. Cité p. 43, et Madina p. 38. Pour garder un vocabulaire cohérent, et mieux mettre en évidence la continuité de pensée depuis Plotin jusqu'à Avicenne, nous préférons traduire al-Awwal par "l'Un".

(28) Cité, pp. 43-44.

(29) Cité, p. 49 et Madina, p. 44.

(30) Al-Hayy et al-Hayawa, Cité, p. 52 et Madina, p. 48.

(31) Cité, p. 53 et Madina, p. 50.

(32) Al-Haqq et al-Haqiqa. Farabi définit la réalité (haqiqa) comme l'existence de ce qui est propre à une chose. Dieu est donc réalité puisqu'il est l'Être premier et que chez lui l'Être se confond avec l'essence. Il ne faut pas confondre cette définition de la haqiqa avec celle qu'utilise Baha'u'llah. La définition de Farabi est à la fois ontologique et logique puisque la réalité est ramenée à l'Être et non à l'essence. Dans le cadre de la métaphysique de Baha'u'llah la haqiqa est une réalité de nature spirituelle et non substantielle.

(33) Cité p. 50 et Madina, p. 48.

(34) Madina, p. 46: "Fa-innahu bi-jawharihi 'aqlun bi'l-fi'l...".

(35) Nous avons ici traduit le verbe 'aqala par "contempler" au lieu de "intelliger" comme le fait Tahani Sabri, et ceci afin de maintenir une unité de vocabulaire tout au long de ce chapitre. L'acte d'intelliger au sens de Farabi et d'Avicenne n'est cependant pas tout à fait équivalent à la contemplation plotinienne.

(36) Cité, p. 50, et Madina, p. 47: "Wa huwa idan ma'qulun bi jawharihi...".

(37) Madina, p. 47: "Bal huwa bi-nafsihi ya'qilu dhatahu, fa yasiru bima ya'qilu min dhatihi 'aqilan wa 'aqlan bi'l-fi'l". Ce passage est dans son ensemble assez peut claire dans sa construction et dans ses implications bien que le souci de symétrie soit évident et l'enchaînement logique. Farabi ajoute à la suite cette dernière proposition: "mais également comme son essence l'intellige, il devient Intelligible en acte". Nous avons ici l'embryon du système avicennien.

(38) Cité, Ch. X, p. 61 et Madina p. 62.

(39) Nous nous référons à la traduction de Georges Anawati La métaphysique du Shifâ, 2 vol. , Paris, tome I, 1978 et tome II, 1985. Nous nous référerons également au Danish-Namih qui est un résumé en persan du Shifa et qui a été traduite sous le titre Le livre de la science par Mohammed Achena et Henri Massé (2e éd., Paris, 1986). Nous citerons la traduction d'Anawati sous l'abréviation "Shifa".

(40) Nous employons ici le mot métaphysique, conformément à l'usage occidental, dans un sens très différent du sens avicennien. Pour Avicenne, la métaphysique (ilahiyyat) traite uniquement des entités séparées de la matière. Son sujet est l'existance en tant que tel (Shifa, tome I, p. 93).

(41) Les ouvrages sur la métaphysique d'Avicenne sont innombrables. Nous nous bornerons à citer ici: Djemil Saliba, Études sur la métaphysique d'Avicenne, Paris, 1926; Parviz Morewedge, The metaphysica of Avicenna, London, 1973, Louis Gardet, La pensée religieuse d'Avicenne, Paris 1951; et l'ouvrage en arabe de Shaykh Al-Ard, Al-Mudkhul ila Falsafati Ibn Sina, Le Caire.

(42) Shifa, tome I, p. 113.

(43) Cf. Shifa, Livre VIII, Ch. VI.

(44) Shifa, Livre VIII, Ch. IV, tome II. p. 80. Avicenne écrit: "L'Être nécessaire est le premier", "Il n'y a pas de distinction en lui entre la quiddité (mahiyya) et l'existence car il n'a pas de quiddité autre que son être en soi (anniyya)". Cf. Livre des Sciences, p. 198.

(45) Shifa Livre Ix, Ch. II, tome II, p. 126 pour le processus d'émanation et p. 135 pour l'engendrement des sphères célestes.

(46) cf. Majid Fakhry, Histoire de la philosophie islamique, trad. Marwan Nasr, Paris, 1989, p. 174.

(47) Shifa, Livre II, Ch. V, tome I, p. 80. Pour Avicenne la matière reste toutefois le principe d'individuation (Shifa, Livre Ix, Ch. IV, tome II, p. 139). Cf. Osmane Chahine, Ontologie et Théologie chez Avicenne, Paris, 1961, pp. 61-65.

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