Archéologie du royaume de dieu
Par Jean-Marc Lepain


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Introduction

L'Occident a cru pendant plusieurs siècles que la philosophie musulmane s'était perdue dans les sables du désert après la mort d'Averroès. Il a fallu tout le talent et l'érudition de Henri Corbin pour faire découvrir au public français, qu'au moment où disparaît la grande civilisation andalouse et où le Maghreb et le Mashriq sombrent dans la torpeur, apparaissait en Perse avec Suhrawardi, une floraison d'Écoles nouvelles qui allaient porter la philosophie universelle à un de ses sommets. Dans son oeuvre magistrale En Islam Iranien, Corbin nous a retracé tout ce parcours depuis les premiers traités suhrawardiens jusqu'à l'École Shaykhie et il a été un des premiers à rendre justice au grand fondateur de cette École, Shaykh Ahmad Ahsa'i. Il est à craindre cependant que notre méconnaissance des civilisations de l'Orient nous pousse à répéter la même injustice que nos pères qui faisaient périr avec Averroès la philosophie musulmane, et que nous continuions à ignorer l'extraordinaire révolution spirituelle dont la Perse fut témoin au XIXe siècle.

Un nombre toujours plus grand d'études publiées aux quatre coins du monde nous ont progressivement montré l'importance historique du mouvement babi, puis baha'i, non seulement pour la Perse, mais d'une manière générale pour l'histoire religieuse de l'humanité. C'est pratiquement un cas unique où des observateurs indépendants on pu observer la naissance d'une religion qui s'est progressivement libérée du milieu culturel où elle était née pour prendre une véritable dimension universelle. Les études historiques consacrées à se phénomène, souvent axées sur l'analyse de la pensée politique et sociale des écrits baha'i, nous ont d'ailleurs masqué pendant longtemps l'importance philosophique de ces textes et leur dimension mystique.

Les historiens n'ont pu ignorer les conséquences importantes qu'eut au Moyen Orient l'émergence d'un courent hétérodoxe à l'Islam, ses répercutions sur la vie des États et sa diffusion bien au-delà des frontières du monde culturel où il était né. Mais il est à craindre qu'une attention insuffisante n'ait été accordée aux bases spirituelles et philosophiques de ce mouvement. Si certaines études ont été consacrées à l'influence des idées baha'ies dans le processus de transformation sociale, nous ne connaissons aucune étude d'ensemble de la mystique, de la métaphysique ou de la philosophie de Baha'u'llah. Quelques articles ont néanmoins permis d'entrevoir toute la richesse que recelait cette oeuvre immense, et pour une bonne partie non publiée (1).


A.1. Caractère philosophique et mystique de l'oeuvre de Baha'u'llah

L'oeuvre de Baha'u'llah représente une des rares tentatives depuis plusieurs siècles de faire sortir la philosophie d'une problématique née de l'affrontement entre Aristote et Platon, entre l'idéalisme platonicien dont on suit la postérité jusqu'à Hegel, et le pragmatisme réaliste d'Aristote qui imprègne la plus grande part de la philosophie du XXe siècle, entre les philosophies de la transcendance et les philosophies de l'immanence. Ce faisant, Baha'u'llah assigne à la philosophie une nouvelle tâche; celle de faire la synthèse entre les différents modes de connaissance de l'homme, entre la connaissance intuitive propre à son intériorité et à sa vie spirituelle, et la connaissance discursive propre à la connaissance empirique et scientifique. Car finalement, le but de la philosophie n'est rien d'autre que de permettre à l'homme de connaître la réalité de l'univers et de se connaître lui-même. En ce sens, le but de la philosophie n'est pas différent de celui de la religion et de la science.
La philosophie permet de rendre la religion intelligible à la science et la science intelligible à la religion, et de créer entre elles un rapport dialectique fécond, capable d'engendrer toujours plus d'intelligibilité, afin que la science ne tombe dans le bourbier du matérialisme, que la spiritualité ne se perde dans les marécages du subjectivisme, et que la tradition religieuse ne se fossilise dans une forme quelconque d'intégrisme aveugle et destructif de l'intériorité de l'homme.

Tenter de retrouver cette philosophie de Baha'u'llah n'est pas une mince affaire, car l'oeuvre de Baha'u'llah est de nature essentiellement mystique. Elle parle au coeur avant de parler à la raison. Elle s'affirme elle-même impénétrable à celui qui ne se sera pas engagé dans la voie de sa transformation intérieure. De plus, cette oeuvre bouleversante fut rédigée en persan et en arabe à une époque où ces langues ne disposaient pas encore de la terminologie moderne dont elles sont aujourd'hui dotées, et elle s'exprime dans un style proche des conventions littéraires du temps et dans un langage marqué par des siècles d'une culture qui aux yeux de bien des occidentaux paraît aujourd'hui désuet.
Le résultat est que le lecteur qui ouvrirait pour la première fois un ouvrage de Baha'u'llah, et ignorant sa méthode toute intuitive et quasi "gnostique" d'exposer les choses, pourrait croire qu'il s'agit encore là d'un de ces livres de spiritualité orientale qui n'apprennent rien de bien nouveau. Le résultat risque d'être pire s'il s'agit d'un spécialiste de la littérature persane ou arabe, car il serait immédiatement tenté d'interpréter ces Écrits dans la ligne de ce qu'il sait du vocabulaire et de la phraséologie des écoles philosophiques musulmanes et ignorer ainsi la problématique nouvelle évoquée par Baha'u'llah. Cependant, nul ne peut rester insensible à la beauté poétique de l'écriture de Baha'u'llah. Cette beauté formelle a toujours accompagné l'expression des grands visionnaires et elle constitue la marque la plus certaine d'un génie qui transcende l'expression des mots. Cette raison serait elle la seule, qu'elle serait suffisante pour que cette oeuvre mérite d'être connue du public français.

Nous pouvons regretter que les orientalistes français n'aient ici pas joué leur rôle et qu'ils aient préféré ignorer cette oeuvre magistrale. En faire l'étude eut nécessité un certain courage, car malheureusement dans tous les pays du Moyen Orient, l'oeuvre de Baha'u'llah demeure interdite de publications et ses adeptes sont encore persécutés. La censure et les mesures répressives dont des régimes autoritaires frappent encore l'oeuvre d'un homme mort il y a un siècle, montrent à quel point celle-ci a conservé toute son actualité.

Il est donc tout à fait regrettable que le public français, en-dehors de quelques ouvrages apologétiques ou polémiques (2), n'ait pas la possibilité d'avoir accès à aucun ouvrage d'ensemble qui lui présente, avec toute la rigueur nécessaire, la vie, l'oeuvre et la pensée de Baha'u'llah. Disons tout de suite que, pour les raisons que nous avons expliquées dans l'avant-propos, ce livre ne se donne pas pour objectif de combler ce vide. On pourra même nous accuser d'avoir entrepris ce travail de présentation par le petit bout de la lorgnette. La question de l'ontologie des mondes divins peut sembler tout à fait mineure par rapport à l'oeuvre de Baha'u'llah. Mais cette question, en apparence mineure, permet de soulever tout un pan de sa métaphysique, tout en laissant de côté des questions qui nécessiteront certainement des années de recherche avant de pouvoir être tranchées.

Cette étude permettra, nous l'espérons, de mettre fin à un certain nombre de préjugés fort répandus chez certains orientalistes ou spécialistes des sciences religieuses qui veulent ranger Baha'u'llah dans la catégorie des "réformateurs sociaux", en laissant entendre que pour le reste, Baha'u'llah n'aurait fait que reprendre un certain nombre de lieux communs de la philosophie et de la mystique. Certains ont cru découvrir un important héritage de Falsafa et de la philosophie hellénisante, d'autres nous renvoient à Ibn 'Arabi, à Suhrawardi et au soufisme. Ceci souligne le flou dans lequel pendant très longtemps nous sommes resté concernant les opinions métaphysiques de Baha'u'llah. Cette situation s'explique par le fait que ce qui a le plus frappé les orientalistes du siècle dernier comme Brown, le baron Rozen, Thomas Cheynes, Ignace Goldtinzer et Vambery, c'était le caractère "progressiste" des idées sociales de Baha'u'llah. Même Hyppolite Dreyfus dans son Essai sur le Baha'isme (1902), insiste sur ce qu'il appelle "la portée sociale". Ceux qui ont voulu aller plus loin ont été frappés par quelques similitudes de langage et se sont contentés de la lecture superficielle de quelques textes.

Des similitudes de langage, il en existe évidemment entre Baha'u'llah et les écoles théologiques, philosophiques et mystiques qui l'ont précédé. Baha'u'llah est né dans un monde qui avait une riche tradition culturelle et spirituelle; il s'est servi de toutes les ressources que lui offrait la culture de son temps. Il est donc normal qu'il ait eu recours au vocabulaire technique de la philosophie et de la mystique. Mais le danger est de croire qu'une fois que nous avons repéré ces termes, nous avons forcément progressé dans notre compréhension. Baha'u'llah a souvent profondément transformé le sens des mots et des expressions qu'il employait. Il a formulé ses idées avec une grande prudence pour ne pas choquer les éléments conservateurs de la société. Ceci explique qu'il ait avancé des idées révolutionnaires tout en empruntant une formulation qui leur donne l'apparence de la tradition et de l'orthodoxie. Sa métaphysique des mondes divins nous en donne le meilleur exemple.

Celui qui aborde pour la première fois dans la langue originale le texte de la Tablette de toutes les nourritures -texte qui servira de point de départ à notre enquête- pourrait penser qu'il se trouve en présence d'un vocabulaire, pour lui très familier. Ce vocabulaire n'est rien d'autre que celui des "cinq présences" qui constitue une théorie bien connue de l'onto-cosmologie musulmane, dont les origines se trouvent chez Ghazali et Al-Makki, mais qui ne connaîtra son achèvement que quelques siècles plus tard. Cette théorie, centrée sur le monde Angélique ou Malakut, eut une grande influence aussi bien sur les Ishraqis et les systèmes philosophiques postérieurs, que sur le soufisme qui en a fait une utilisation abondante. Un chercheur un peu pressé pourrait donc conclure que la métaphysique des mondes divins chez Baha'u'llah se rapporte directement à cette théorie bien connue des "cinq présences", et que à part quelques questions de nuance, son système ne présente rien de bien original par rapport à ce qui a été dit avant lui.
Cette première impression pourrait être renforcée par l'usage très abondant que fait Baha'u'llah de ce vocabulaire très particulier dans de nombreux écrits où nous rencontrons très fréquemment les termes qui désignent ces mondes comme Nasut, Malakut, Jabarut, Lahut et Hahut. Cependant, celui qui prendrait la peine d'étudier plus en profondeur les textes devra faire face à trois problèmes principaux. Le premier est que dans le Tablette de toutes les nourritures, comme dans d'autres textes où nous retrouvons le même vocabulaire, la typologie des mondes divins est utilisée dans un contexte qui n'a aucune implication métaphysique.
Le deuxième problème surgira lorsque le chercheur s'apercevra qu'il existe dans l'oeuvre de Baha'u'llah un foisonnement de mondes différents telque le monde du Visible et de l'Invisible, le monde du Commandement, le monde de l'invention, et il aura le plus grand mal à articuler ces mondes avec la théorie des cinq présences. Enfin, le chercheur rencontrera un certain nombre d'affirmations métaphysiques à la fois incontournables et totalement incompatibles avec les théories précédentes. Une approche plus fine nous montrera que Baha'u'llah s'est servi de cette typologie des mondes divins dans un sens qui est totalement étranger à la métaphysique, et nous montrerons que dans le cas de la Tablette de toutes les nourritures, l'utilisation que fait Baha'u'llah de cette terminologie est purement herméneutique.
Un des aspects fondamentaux de l'enseignement de Baha'u'llah réside dans sa conception de la Parole divine et l'expérience mystique comme une herméneutique du monde. Un de nos efforts consistera précisément à cerner le sens de cette herméneutique. Nous verrons également que l'utilisation que fait Baha'u'llah de cette typologie ne se borne pas seulement à cette utilisation herméneutique. Au cours de notre étude, nous consacrerons deux chapitres au développement de la nomenclature des mondes divins depuis ses origines araméennes jusqu'à son élaboration définitive au XVIIe siècle.
Cette conception théo-cosmologique s'est lentement formée comme par sédimentation et à chaque époque a laissé sa trace aussi bien dans le vocabulaire que dans l'élaboration théorique. Or, ce qui frappe dans l'utilisation de cette typologie par Baha'u'llah, c'est qu'elle ne se rattache à aucune période spécifique. Tantôt Baha'u'llah utilise la bipolarité Nasut-Lahut dans un sens très hallagien, tantôt il semble borner son horizon à la triade Nasut-Malakut-Jabarut de Ghazali, tantôt enfin il semble faire allusion au stade plus évolué de la typologie. Ceci nous amène à mettre en évidence une des caractéristiques des Écrits de Baha'u'llah. Ceux-ci ne se laissent pas enfermer dans un système de langage où les mots auraient une définition préalablement codifiée.
La définition des termes métaphysiques et mystiques utilisés par Baha'u'llah ne se trouve pas dans une norme extérieure à l'oeuvre; elle ne se trouve pas même dans l'oeuvre en tant que corpus, mais est sans cesse redéfinie par rapport à chaque texte. Le sens des textes est rarement univoque. Baha'u'llah a voulu un foisonnement de sens. Car, comme il le dit, non seulement il y a un sens pour chaque chercheur, mais encore il y a un sens pour chaque état spirituel que le chercheur est destiné à traverser. Le sens du texte ne se trouve donc pas dans une vérité normative absolue, mais est relative à la subjectivité de chaque individu.

L'oeuvre de Baha'u'llah peut être lue à différents niveaux. Celui qui voudra n'y chercher que l'inspiration, y pénétrera sans difficulté pour peu qu'il ne se laisse pas aveugler par la rationalité scolaire. Celui qui voudra par la suite approfondir cette pensée, s'apercevra certainement que celle-ci ne se laisse pas facilement enfermer dans les limites étroites de notre compréhension. A partir de là s'ouvrent deux voies: celle du chercheur mystique qui se laissera guider par son intuition, et celle du chercheur universitaire qui sera rapidement confronté à une multitude de problèmes linguistiques, philologiques, méthodologiques et philosophiques dont nous ne pouvons donner ici qu'une vague idée. Dans tous les cas, nous pensons que le voyage mérite d'être entrepris.


A.2. Baha'u'llah, sa vie et son oeuvre

Baha'u'llah naquit le 12 novembre 1817 à Téhéran (3). Il descendait d'une illustre famille qui faisait remonter son ascendance à une dynastie locale, la dynastie des Ispahbudan, et à travers elle, au prophète Zoroastre. Ses ancêtres avaient longtemps vécus la vie de gentilhomme campagnard dans le district de Nur où il possédait d'importants domaines. L'arrivée au pouvoir de la dynastie Qajar en 1798, et la fondation de Téhéran peu après, allaient changer le cours de leur vie. La nouvelle capitale et la cour royale qui s'y était établie, manquaient de personnes compétentes pour faire fonctionner les rouages de l'État. Cette nouvelle situation allait décider le grand-père de Baha'u'llah à s'installer à Téhéran où il occupa d'importantes fonctions et où il finit par jouir d'une prospère et influente position. Son fils, hérita de son titre de "Grand clerc" (Mirza Buzurg) et acquit la position recherchée de vazir, titre qui désigne non pas un ministre comme on le croit trop souvent, mais le secrétaire particulier et intendant des finances d'un des princes qui se partageaient le gouvernement des provinces du Royaume. Baha'u'llah était donc promis à la vie douillette des courtisans, ayant le choix soit de reprendre la charge quasi héréditaire de son père, soit de vivre dans l'oisiveté grâce aux revenus confortables que lui procuraient les villages que la famille avait acquis dans les environs de la capitale. Cependant, tout autre allait être le destin choisi par celui qui n'était alors connu que sous le nom de Mirza Husayn 'Ali Nuri.

Comme souvent pour ceux qui sont promis à un grand destin spirituel, les signes de son élection se manifestèrent très tôt, à la fois par une intelligence pénétrante, un tempérament porté à la méditation, et une prédisposition à braver les conventions sociales. Baha'u'llah n'était encore qu'un adolescent, que déjà il n'hésitait pas à dénoncer l'injustice sociale, la corruption de certaines personnalités politiques et l'hypocrisie de certains membres du clergé, au point où le premier ministre embarrassé par un personnage si dérangeant, songea à le faire entrer dans son gouvernement pour l'assagir, ce que bien entendu, il refusa.

Quand il eut dix-sept ans, Husayn 'Ali se maria avec Navab, la fille d'un autre vazir, qui allait demeurer sa fidèle compagne jusqu'à la fin de ses jours. A partir de ce moment, il décide de se retirer de la vie publique, évitant de paraître à la cour, afin de mener une vie entièrement consacrée à la méditation et à des actions pieuses et charitables qui déjà furent remarquées du petit peuple et contribuèrent à sa popularité naissante.

Une dizaine d'années s'écoulèrent ainsi, quand le 28 mai 1844, dans la ville de Shiraz survint un événement qui allait bouleverser le cours de l'histoire de la Perse, et dont la portée n'a peut-être pas fini d'être mesurée.

Quelques mois auparavant, était mort à Karbila en Irak, Siyyid Kazim Rashti, le maître de l'École shaykhie fondée quarante ans auparavant par Shaykh Ahmad Ahsa'i. Au moment de mourir, Siyyid Kazim refusa de nommer un successeur. Il affirma sur son lit de mort que l'Imam caché, le Promis attendu par tous les shi'ites, dont l'apparition annonçait la venue des temps eschatologiques, ce Promis tant attendu, était déjà dans ce monde. Il ordonna à ses disciples de se disperser dès qu'il serait mort et de partir dans toutes les directions, pour que, peut-être, Dieu guide ceux dont le coeur serait pur, qu'ils puissent rencontrer celui dont les vrais shi'ites, depuis des générations, avaient en vain prié Dieu de hâter la venue.
C'est ainsi qu'un petit groupe de disciples, conduits par Mulla Husayn Bushru'i, le 23 Mai 1844 était entré dans la ville de Shiraz. C'est là, qu'au premier soir de son séjour, un jeune marchand de vingt-trois ans, répondant au nom de Siyyid 'Ali Muhammad, avait annoncé à Mulla Husayn, qu'il était le Promis attendu: déclarant qu'il était "le Bab", c'est-à-dire "la Porte", et que lui, Mulla Husayn, serait "le Babu'l-Bab", c'est-à-dire "la Porte de la Porte", par laquelle entreraient tous ceux qui croiraient en lui. Il déclara enfin, que sa mission comportait un message universel adressé à toutes les nations fidèles ou infidèles, sans distinction de race ou de croyance, et qu'il consistait à annoncer la venue de quelqu'un de plus grand que lui dont il n'était chargé que de préparer la voie, "Celui que Dieu manifestera" (Man Yuzhiruhu'llah), car selon la tradition de l'Islam shi'ite, après le Qa'im -terme qu'on peut traduire par"Celui qui se lève" ou"le Résurrecteur", doit paraître le Qayyum, "l'Éternel", "l'Ancien des Jours".

Peu de temps après, il annonça à ses premiers disciples son intention d'aller proclamer sa mission au Gardien des lieux saints de la Mecque. Pendant son absence, il demandait à tous d'aller de ville en ville annoncer la manifestation du Promis. Seul, à Mulla Husayn, il confia une mission spéciale. Il lui remit une lettre et lui demanda de se rendre à Téhéran où l'inspiration divine lui indiquerait à qui remettre ce message. C'est ainsi qu'étant arrivé à Téhéran et s'étant fait décliner l'identité de toutes les personnes possédant à un degré remarquable sagesse ou vertus, Mulla Husayn acquit la conviction intime que ce message ne pouvait s'adresser qu'à Baha'u'llah. Il se rendit chez lui et lui remit le texte autographe du Bab en présence de son frère Mirza Musa. Ayant pris connaissance du texte, Baha'u'llah se tourna vers son frère et déclara:

"Musa, qu'en dis-tu? En vérité, je te le dis, celui qui croit au Qur'an, reconnaît son caractère divin, et malgré cela hésite, ne fut-ce qu'un instant, à admettre que ces paroles émouvantes sont dotées du même pouvoir régénérateur, s'est assurément trompé dans son jugement et a dévié loin du sentier de la justice" (4).

À partir de ce moment, et pour les six années qui suivirent jusqu'au martyre du Bab à Tabriz le 9 juillet 1850, la vie de Baha'u'llah se confond avec celle du mouvement babi dont nous ne chercherons pas ici à retracer l'histoire. Au cours de ces six années, Baha'u'llah conservera avec le Bab cette relation privilégiée qui avait été inaugurée de manière si mystérieuse pas la première épître apportée par Mulla Husayn. Peu après son retour de la Mecque, le Bab ne fut plus qu'un prisonnier relégué de prison en prison dans des lieux toujours plus lointains. Ce furent les dix huit premiers disciples appelés les "Lettres du Vivant" qui gérèrent la communauté et Baha'u'llah qui en assura la direction spirituelle, tout en restant dans l'ombre. Son rôle fut particulièrement crucial au moment de la "conférence de Badasht" où, à son initiative, furent convoquées les principales personnalités babies dans l'intention de proclamer l'abolition de la loi islamique et la totale indépendance de la religion babie vis-à-vis de l'Islam.

Le Bab commença par bouleverser toute la théologie musulmane et à réinterpréter le Coran dans un sens totalement différent de la tradition. Il expliqua que la résurrection des morts n'était pas une résurrection de la chair, mais une résurrection spirituelle qui faisait passer le croyant de la mort dans cette vie à une vie éternelle qui était purement celle de l'esprit. Il enseigna que ni le paradis ni l'enfer n'existent, car seuls existent des état spirituels dans lesquels le croyant est plus ou moins éloigné de Dieu. Il expliqua que la fin des temps n'était qu'une figure allégorique pour désigner la fin d'un monde, c'est-à-dire d'un cycle de civilisation.
Muhammad était présenté comme le dernier des "prophètes" à prophétiser (nabi), mais nullement comme le dernier des "Messagers" (rasul), comme l'atteste l'expression "Khatam al-nabiyyin" (le Sceau des prophètes) qui concerne bien les prophètes mineurs, les nabi, et non la manifestation d'une nouvelle loi susceptible d'abroger celle du Coran et la révélation d'un nouveau texte sacré susceptible de se substituer à celui révélé par l'archange Gabriel à Muhammad. Les signes de la fin des temps mentionnés par le Coran étaient interprétés de manière purement symbolique.
Tous ces principes étaient alors d'une audace inouïe. Ils bouleversèrent la société persane plus sûrement que ne le ferait aujourd'hui aucune réforme politique ou économique. Oser toucher, même en se déclarant prophète de Dieu, à ce qui était considéré comme un des principes intangibles de l'Islam, que Dieu lui-même ne pouvait changer, c'était introduire un élément subversif dans la pensée humaine que, selon le clergé persan, aucun pouvoir temporel ou religieux ne saurait tolérer.

L'oeuvre de Baha'u'llah n'est pas, bien sûr, sans parenté avec celle de Bab. L'une est dans le prolongement naturel de l'autre. Ceci ne veut cependant pas dire que Baha'u'llah n'est fait que développer et expliciter le message du Bab. L'oeuvre de Baha'u'llah se distingue de celle du Bab sur au moins deux plans. En premier lieu, l'oeuvre de Baha'u'llah comporte toute une dimension politique et sociale qui, sans être absente chez le Bab, ne revêt pas le même caractère. Toute une partie du message de Baha'u'llah sera centrée sur le processus de développement de la civilisation avec ses cycles organisés selon un modèle organique, l'interprétation en termes historiques de la destinée spirituelle de l'homme, la finalité de l'existence humaine mise dans la perspective du devenir social, l'avènement d'un ordre du monde qui intègre la dimension verticale de la transcendance à la dimension horizontale du développement des civilisations, le rapport entre le procès d'individuation et le procès de spiritualisation, etc.
En second lieu, l'oeuvre de Baha'u'llah n'apparaît pas autant marquée par la culture shi'ite. En "préparant la voie" le Bab a fait une oeuvre de "déconstruction". Il a libéré le musulman des préjugés séculaires qu'avaient cultivés des siècles d'obscurantisme. Les premiers babis étaient encore prisonniers du modèle culturel du shi'isme. Il vivait l'avènement de cette nouvelle Révélation comme une répétition du drame de Karbila où les armées du calife Yazid avait mis à mort l'Imam Husayn et sa famille. Il leur importait moins de saisir la portée universelle de ce nouveau message que de percer à jour le sens de certains versets obscurs du Coran. Leur pensée est encore tournée vers le passé.
Le génie du Bab c'est de l'avoir compris et d'avoir fourni à ses adeptes une clé qui, une fois maîtrisée, donne un sens nouveau à l'histoire, justifie les souffrances endurées, et révèle la valeur essentiellement transcendante de la destinée spirituelle de l'homme. Mais c'est à Baha'u'llah qu'il appartiendra d'éclairer l'avenir.

La proclamation du Bab eut un immense retentissement dans toute la Perse et même bien au-delà. La foi nouvelle compta bientôt des dizaines, voire des centaines de milliers d'adeptes. Des dépêches diplomatiques estiment qu'un tiers peut-être de la population manifestait un penchant pour la nouvelle doctrine (5). Les progrès rapides de la nouvelle foi frappaient de panique le clergé musulman qui partout élevait une immense clameur, appelait à la guerre sainte et déclarait que verser le sang des impies était un acte pieux. Même le Shah commença à craindre qu'un mouvement si puissant ne finisse par s'en prendre à son trône. Les premiers martyrs tombèrent. Peu à peu s'installa un climat de guerre civile.
Le clergé qui avait toujours contesté le pouvoir royal, et qui prétendait régir la vie de l'Etat en tant que seul interprète de la volonté de l'Imam caché, pour sauver son influence et ses privilèges, scella une alliance contre nature avec le pouvoir politique qu'il avait tant dénigré. Une immense répression s'abattit sur toute la population; répression qui devait faire plus de vingt mille morts en l'espace de quelques années. C'est à ce prix seulement que le progrès du babisme pu être arrêté. Le Bab fut fusillé, les "Lettres du vivant" décimées, l'élite du mouvement pourchassée et livrée aux bourreaux pour périr dans les supplices les plus effrayants et les plus spectaculaires. Toute personne trouvée en possession d'un écrit du Bab était passible d'une sentence de mort immédiatement exécutable.

Vers 1852, Nasiri'd-Din Shah et le clergé shi'ite pouvaient croire qu'ils étaient parvenus à leurs fins. La masse du peuple, dont on avait excité le fanatisme et sollicité les instincts les plus bas, s'était détournée du mouvement, d'autant qu'elle avait compris que les babis n'étaient pas disposés à prendre la tête d'une révolution sociale contre l'ordre féodal. De cette déception devait naître cinquante ans plus tard la Révolution constitutionnelle, qui semble être une version sécularisée des idées du Bab et de Baha'u'llah, mêlées aux théories du Siècle des Lumières et de la démocratie parlementaire. Le babisme n'existait plus que comme un mouvement clandestin dont les adeptes étaient partout pourchassés.

C'est alors que survint un événement dramatique qui allait faire rebondir le cours de l'histoire. En Août 1852, deux babis décidèrent d'assassiner le Shah. L'attentat manqua. Nasiri'd-Din Shah, qui jusqu'à présent avait exercé une certaine modération sur la répression, rendit responsable l'ensemble de la communauté babie de cet acte isolé, et ordonna l'arrestation et la mise à mort dans les pires tortures de tous les babis sur lesquels on pourrait mettre la main. On chercha un responsable derrière le complot.
À cette époque, la plupart des "Lettres du Vivant" étaient déjà tombées victime de la répression. La suspicion se tourna vers Baha'u'llah qui apparaissait maintenant comme la personnalité la plus importante de la nouvelle religion. Baha'u'llah fut arrêté et jeté dans une fosse souterraine qui servait à recueillir les eaux usées, mais qui occasionnellement servait aussi de prison. Une centaine de criminels y étaient déjà détenus. Baha'u'llah fut enfermé là avec quelques autres babis. On lui avait préalablement rivé une chaîne de cinquante kilos autour du cou, et ses pieds étaient pris dans des fers rivés à une poutre à laquelle étaient attachés d'autres prisonniers.
C'est ainsi qu'il passa plusieurs mois dans les conditions les plus effroyables, sans hygiène, manquant d'air et de nourriture. Les chaînes coupèrent si profondément sa chair que toute sa vie il en conserva la trace. Chaque jour la porte s'ouvrait pour annoncer les noms de ceux qui allaient être exécutés. Pourtant, c'est dans cette fosse infecte que Baha'u'llah connut une expérience mystique d'une grande intensité qu'il considéra comme le début de sa mission.

Baha'u'llah était une personnalité éminente issue d'une famille influente disposant de nombreux appuis à la cour; il n'était pas facile de le mettre à mort comme un simple babi. La commission d'enquête ne trouva aucun élément pour accréditer la thèse d'un complot, encore moins pour l'y impliquer directement. Baha'u'llah était devenu un prisonnier encombrant qu'on ne pouvait ni déclarer innocent, ni condamner. Finalement le Shah signa un édit. Baha'u'llah était condamné à être banni du royaume et ses biens étaient confisqués.

Cet hiver 1853 est le début d'une longue vie d'errance, de bannissements et d'emprisonnements successifs. Baha'u'llah passa dix années à Baghdad, qui furent dix années consacrées à la régénérescence spirituelle de la communauté babie. Peu à peu se constitua autour de lui un nouveau noyau de disciples qui vivaient dans une ferveur extraordinaire nourris de son enseignement.

C'est à Baghdad que Baha'u'llah écrivit le Livre de la Certitude qui traite essentiellement de prophétologie, mais aborde également de nombreux aspects de la vie spirituelle, mêlées à des questions métaphysiques (6). C'est également à Baghdad que Baha'u'llah écrivit peut-être son livre le plus populaire, Les Paroles cachées, qui présente sous forme d'aphorisme "l'essence" de "ce qui est descendu du Royaume de la toute puissance sur les prophètes d'autrefois" (7), c'est-à-dire l'essence du message prophétique commun à toutes les religions; les lois immuables à la base du développement spirituel de l'homme. Ce petit opuscule, d'une grande beauté poétique, mériterait à lui seul qu'on lui consacre une étude. Chacun des aphorismes qui le compose commence par des apostrophes telles que "Ô Fils de l'homme!" ou "Ô Fils de l'existence!", ou encore "Ô Fils de poussière!" qui donne à la prose son rythme. Un des thèmes qui parcourt tout l'ouvrage est le mystère de l'amour de Dieu pour l'homme:

"Ô fils de l'existence! Mon amour c'est mon château fort. Quiconque y pénètre n'a rien à craindre, qui s'en détourne s'égare et se perd. Ô Fils du Bayan! Mon château fort c'est toi; pénètres-y donc pour t'y trouver à l'abri. Mon amour est en toi: sache-le pour me trouver tout près de toi." (8)

Au fil des ans, Baha'u'llah acquit une influence considérable. Les babis désorientés depuis la mort du Bab venaient puiser auprès de lui une nouvelle inspiration. Beaucoup n'hésitaient pas à entreprendre à pied un long voyage pour rencontrer celui dont les épîtres, connues sous le nom de "Tablettes" (lawh, pl. alwah), commençaient à circuler dans toute la Perse. Sa réputation de sagesse s'était répandue dans tout Baghdad. Sa maison était fréquentée en permanence par une foule de gens de toutes classes sociales qui venaient à toute heure écouter son enseignement. Le gouverneur de Baghdad et les personnalités les plus influentes de la ville s'honoraient d'être comptées parmis ses amis. Sa renommée allait chaque jour grandissante, ce qui ne manquait pas d'exciter des jalousies, à commencer par celle du clergé shi'ite, qui de concert avec la légation persanne, se mit à envoyer à Téhéran des rapports alarmistes.

Tous les efforts furent fait pour convaincre le Shah que, de Baghdad, Baha'u'llah complotait de nouveau pour fomenter une révolution en Perse et qu'il exerçait une influence nuisible dans tout le royaume. Nasiri'd-Din Shah inquiet entreprit des négociations avec la cour ottomane pour que Baha'u'llah lui fut renvoyé afin d'être neutralisé. L'effet fut exactement à l'inverse de celui recherché. Le Sultan de Turquie 'Abdu'l-'Aziz commença à trouver intéressant un exilé qui inspirait autant d'inquiétude à son rival le Shah de Perse, et il se demanda s'il ne pouvait pas lui trouver un rôle à jouer dans sa politique panislamique visant à le faire reconnaître, au grand dam des shi'ites, comme le calife de tous les musulmans. C'est ainsi que fut publié un firman (décret) demandant à Baha'u'llah de se rendre à la cour d'Istanbul. Le gouverneur de Baghdad qui reçu le premier ce décret en fut si atterré qu'il attendit plusieurs semaines, et des rappels à l'ordre réitérés, avant d'oser en communiquer la teneur à Baha'u'llah. Cette nouvelle plongea en effet la communauté babie dans la consternation et Baha'u'llah lui-même annonça dans ces Tablettes les dangers que ce voyage recelait.

Le départ de Baha'u'llah de Baghdad allait servir de toile de fond à un événement capital. Baha'u'llah quitta la ville au milieu d'une émotion populaire considérable, et se retira dans un jardin situé à une courte distance ou pendant neuf jours il allait recevoir le flot incessant de ses amis et de ses admirateurs venu lui faire leurs adieux. C'est ce moment précis que Baha'u'llah choisit pour annoncer à un petit groupe de disciples qu'il était celui dont le Bab avait prophétisé la venue, le Man-Yuzhiruhu'llah, "Celui que Dieu manifestera". A partir de ce moment, le mouvement babi changea de nature. En l'espace de quelques années la vaste majorité des babis allait devenir des baha'is, et un nouveau mouvement allait être imprimé à la jeune Foi qui allait connaître une expansion sans pareille qui en moins d'un demi siècle allait la porter bien au-delà des frontières de l'Islam et lui faire prendre pied sur les cinq continents.

Le voyage de Baha'u'llah de Baghdad à Istanbul fut accompagné de toute la pompe réservée aux hôtes officiels du monarque, pourtant Baha'u'llah savait qu'un tyran et un prophète ne sont pas fait pour s'entendre. Arrivé à Istanbul, il omit volontairement d'accomplir les visites que prescrivait le protocole et il fit clairement savoir au premier ministre 'Ali Pasha qu'il n'avait nullement l'intention de soutenir la politique du Sultan. 'Ali Pasha avait le plus grand respect envers Baha'u'llah, mais il ne put résister à la campagne menée par les représentant du gouvernement persan qui n'avait qu'une peur, celle que Baha'u'llah puisse obtenir l'allégeance des princes et ministres turcs. Le Sultan 'Abdu'l-'Aziz était embarrassé d'un prisonnier qui ne servait pas sa politique et dont on dénonçait chaque jour les activités comme dangereuses pour la morale, la religion et la stabilité de l'État. Finalement, après s'être assuré qu'il n'existait aucun moyen de le corrompre, le Sultan fit publier un nouveau décret de bannissement. Baha'u'llah était informé qu'il devait quitter immédiatement Istanboul pour se rendre à Andrianople (Édirne) où il devrait demeurer sous bonne garde.

Au coeur d'un hiver particulièrement rigoureux Baha'u'llah du entreprendre à pied le voyage d'Andrinople. Ce voyage pénible fut le début d'une longue suite de tribulations et de souffrances. Cependant, malgré les conditions de vie difficiles et précaires de son état de déporté, Baha'u'llah allait bientôt gagner le coeur de la population de la ville. L'immense distance qui séparait la frontière bulgare de la Perse et de l'Irak ne décourageait pas les pèlerins qui commencèrent à nouveau à accourir en nombre.
Les Épîtres de Baha'u'llah circulaient dans tout l'orient et sa prédication continuait chaque jour à gagner de nouveaux adeptes. Tout cela n'allait pas sans difficulté. Baha'u'llah ne devait pas seulement faire face à l'opposition du clergé musulman et aux dénonciations incessantes de l'ambassadeur persan Mirza Husayn Khan, mais ses ennemis se dissimulaient au sein de sa propre famille. Son propre demi-frère Mirza Yahya, plus connu sous le nom de Azal, consumé de jalousie, était la main qui se trouvait derrière tout les complots. Il tenta d'empoisonner Baha'u'llah, et celui-ci fut pendant quelques jours entre la vie et la mort.
Autour de Azal commencèrent à se regrouper un petit nombre de babis qui n'acceptaient ni les changements, ni l'autorité de Baha'u'llah, et qui menant une vie dissolue n'avaient de cesse de travailler à déconsidérer Baha'u'llah auprès des autorités. Ils envoyaient à Istanbul des rapports alarmistes où ils accusaient Baha'u'llah de comploter avec les tributs bulgares en vue de fomenter un soulèvement contre l'empire ottoman. Ce sont leurs actions qui allaient bientôt déterminer les autorités à transférer Baha'u'llah dans une prison où il serait soumis à un contrôle plus sévère.

Peu avant son départ d'Édirne, Baha'u'llah entreprit la rédaction d'une série de lettres adressées aux rois et dirigeants de son époque. Ces lettres, complétées par une série d'admonestations insérées dans plusieurs de ses ouvrages, ont pour but d'annoncer les bouleversements du monde qui vont marquer le siècle à venir et de proclamer les principes sur lesquels une nouvelle civilisation pourra être établie. Baha'u'llah annonce que le présent ordre politique et social sur lequel le monde est fondé est d'ores et déjà condamné et qu'un "ordre nouveau" (nazm-i-badi') est destiné à lui succéder (9).
Cet ordre nouveau, rendu inévitable par des catastrophes éminentes et une série d'épreuves de plus en plus dures pour l'humanité, sera caractérisé par un système de paix collectif entre les nations. Mais cette paix ne sera possible que si l'homme accepte une forme de gouvernement universel et si la justice sociale réduisant l'extrême richesse et l'extrême pauvreté peut être définitivement instaurée et garantie. Cependant, ajoute Baha'u'llah, aucun programme politique ne peut parvenir à un tel but, car les dirigeants n'ont aucun moyen pour transformer efficacement la société. La nouvelle civilisation reposera sur un nouveau système de valeurs dont la nature est spirituelle et le fondement religieux. Seule la religion, par le moyen d'un nouveau message, à le pouvoir de changer le monde, comme l'ont déjà fait le Christianisme et l'Islam. Elle seule peut toucher le coeur des gens, transformer leur vision du monde, leur faire accepter un nouveau système de valeurs dont l'enracinement doit se situer dans la transcendance et la reconnaissance de la nature spirituelle de l'homme.

Cet ensemble de lettres, rédigées pour la plupart entre 1868 et 1871, est assez étonnant par son caractère prophétique (10). Baha'u'llah assure que la monarchie comme forme de gouvernement va disparaître provisoirement et qu'elle réapparaîtra plus tard sous une autre forme. Il y déclare sa faveur pour une démocratie tempérée et, s'adressant à la reine Victoria, il la félicite pour avoir remis le gouvernement entre les mains du Parlement et pour avoir aboli l'esclavage (11). La reine Victoria sera d'ailleurs le seul monarque à faire à Baha'u'llah une réponse amicale.
Baha'u'llah soutient dans ces lettres que la paix universelle ne pourra être instaurée que grâce à un pacte de sécurité collective qui sera fondé sur un plan de désarmement général négocié au cours d'une conférence internationale où seraient représentés tout les gouvernements, ainsi que sur une force internationale de maintient de la paix (12). Il insiste sur l'urgence de ce désarmement en Europe et sur la nécessité de créer une cour internationale de justice à laquelle seraient soumis pour arbitrage tous les différends entre États, et qui seule serait habilitée à autoriser l'usage de la force.
Cependant, souligne Baha'u'llah, un pacte de sécurité collective et un désarmement général ne sont pas suffisants pour assurer les bases du développement social. Il annonce que la nouvelle civilisation qu'il prône ne pourra se développer que si les bases de la société sont profondément bouleversées pour faire disparaître les injustices qui la minent et qu'à la condition que soient créées de nouvelles institutions qui se donneront pour but d'administrer la planète de manière globale. Il recommande la création d'un parlement mondial où sera représenteé non pas les États, mais l'humanité toute entière, et où les députés ne se considéreraient pas comme les représentants de telle ou telle nation, mais comme les représentants de la race humaine tout entière. De ce Parlement émanerait un exécutif mondial chargé de gérer les grands problèmes de dimension internationale. Implicitement, le système politique de Baha'u'llah condamne l'État moderne tel qu'il est en voie de constitution depuis 1848.
Ces États, fondés sur des entités économiques en compétition et visant à l'unité ethnique et linguistique, sont pour lui la source de conflits potentiels majeurs. La sécurité et la prospérité de l'humanité exigent que les État renoncent à la plus grande partie de leur souveraineté au profit d'institutions internationales qui seules ont la capacité d'instaurer un système mondial de coopération et non de compétition, de gérer les ressources planétaires dans l'intérêt de tous de tel sorte qu'aucun peuple ne se trouve démuni, et de résoudre des problèmes qui exigent la mise en commun de moyens considérables.

Parmi les lettres les plus dramatiques se trouvent celles que Baha'u'llah adressa à Napoléon III. Dans la première, il lui demande de mettre en actes ses proclamations libérales. La légende rapporte que Napoléon à la lecture de cette lettre aurait déclaré: "Si lui est Dieu, je suis deux fois Dieu." Baha'u'llah répondit par une deuxième lettre dans laquelle il annonce à Napoléon III qu'en raison de son attitude son empire lui échapperait et tomberait dans la confusion et qu'une révolution est sur le point de se produire à Paris (13). Quelques mois après c'était effectivement la défaite de Sedan et la Commune de Paris. S'adressant à Guillaume II qui était venu en Palestine mais était demeuré sourd à ses appels, il annonce que par deux fois la guerre ensanglantera les rives du Rhin et que Berlin serait ruiné (14).

Écrivant au Pape Pie IX au moment même où se pose la question de la souveraineté de celui-ci sur les États pontificaux et où la politique vaticane s'oppose pour cette raison à l'unification de l'Italie, Baha'u'llah recommande non seulement au Pape d'abandonner ses États, mais lui demande de renoncer à ses palais et à ses richesses pour vivre dans la pauvreté dont le Christ avait donné l'exemple toute sa vie. Il condamne le célibat des prêtres, l'ascétisme et la vie monacale, et demande aux moines et nonnes d'abandonner leur couvent pour se rendre utiles à la société (15).

De telles lettres n'étaient pas faites pour attirer beaucoup de sympathie dans les cours occidentales et sans doute n'étaient elles pas destinées à cela. Elles n'avaient d'autre but que de prendre date avec l'histoire, et il faut dire que l'histoire a donné raison à celui qui les avait écrites. Elles font preuve d'une prodigieuse vision. Plus d'un siècle après, les conférences sur le désarmement font partie de l'actualité. Il existe à la Haye une cour internationale de justice et nombre de traités internationaux comportent des abandons de souveraineté. Les Nations Unies peuvent être vues comme un lointain avatar du Parlement mondial qu'avait envisagé Baha'u'llah.

L'intérêt suscité par ces lettres explique cependant qu'on ait voulu réduire l'enseignement de Baha'u'llah uniquement à cet aspect politique et social. Ce faisant, on commet une grave erreur et on dénature le fond de sa pensée. L'enseignement politique et social de Baha'u'llah est inséparable de son enseignement mystique et spirituel. De cet enseignement mystique et spirituelle découle une métaphysique et une philosophie dont le but est d'abord d'élucider la nature de l'homme, de situer sa finalité dans la création, pour déterminer les règles de son évolution intérieure. C'est seulement une fois qu'on a élucidé ces règles, qu'on peut explorer sont intériorité spirituelle pour déterminer ses potentialités, et qu'on peut chercher les bases de la société qui permettront à ces potentialités de s'épanouir.
Il existe un rapport de dépendance étroit entre l'intériorité qui est l'homme et l'extériorité qui est la société. C'est par son intériorité que l'homme construit la société. C'est en maîtrisant ses pulsions et en mettant fin au chaos intérieur primitif qu'il va infuser plus d'ordre dans la réalité sociale. Mais la conquête de cet ordre intérieur est loin d'être un processus purement discursif et rationnel. Il comporte une dimension mystique qui met l'homme en contact avec des valeurs transcendantes et absolues dont il est destiné à s'imprégner progressivement, mais dont la connaissance objective lui échappe.

Les activités de Azal et de ses partisans donnaient crédits aux dénonciations des ennemis de Baha'u'llah à la cour ottomane et convainquirent le gouvernement turc que Baha'u'llah était un prisonnier qu'il était dangereux de garder à Edirne où personne ne pouvait assurer son silence ni contrôler ses activités épistolaires. On voulait lui trouver une prison à l'écart de tous les grands centres urbains et des routes caravanières où sa voix pourrait être étouffée, et où peut être il mourrait de privation ou de maladie. Ayant examiné toutes les possibilités, le gouvernement ottoman décida de déporter Baha'u'llah dans ce qui paraissait alors la province la plus reculée, la plus arriérée et la moins peuplée de l'empire: la Palestine. Là se trouvait la fameuse forteresse de Saint Jean d'Acre, entourée de trois côtés par la mer, dont même les canons de Napoléon n'étaient parvenus à venir à bout. C'est là qu'on envoyait les pires criminels, car la forteresse était régulièrement ravagée par des épidémies de peste et de choléra, et les prisonniers ne survivaient rarement plus de quelques années à ces conditions d'incarcération. En effet, plusieurs disciples de Baha'u'llah allaient mourir durant les premières semaines de leur détention.

Arrivé en Palestine en Août 1868, Baha'u'llah ne quitterait plus ce pays jusqu'à sa mort en 1892. Pendant les deux premières années, Baha'u'llah fut soumis à un régime de détention particulièrement sévère, mais peu à peu l'attention des geôliers se relâcha, d'autant qu'eux-mêmes succombaient au charme irrésistible de leur prisonnier. Des mouvements de troupes ayant rendu la forteresse nécessaire à leur casernement, Baha'u'llah fut transféré dans une maison particulière destinée à lui servir de prison et où il pu mener une vie un peu plus confortable. Comme à Baghdad et à Édirne sa réputation ne tarda pas à se répandre dans la région et les notabilités commencèrent à venir visiter cet étrange prisonnier auprès duquel on venait chercher réconfort où quêter quelques paroles de sagesse.

C'est là que Baha'u'llah rédigea un de ses livres les plus important le Kitab-i-Aqdas ou Livre très saint dans lequel il voulut formuler les lois essentielles de sa religion (16). De cette période date un grand nombre de "tablettes" et d'écrits appartenant aux genres les plus divers et touchant à des sujets tout aussi variés. Les conditions de détention s'étant progressivement relâchées, Baha'u'llah pu recevoir une foule de visiteurs toujours plus nombreux. L'immense distance et les déserts qui séparent la Perse et l'Irak de la Palestine ne décourageaient pas les pèlerins qui n'hésitaient pas à entreprendre un voyage de plusieurs mois pour rencontrer celui qu'ils appelaient "le Bien-Aimé" ou "la Beauté bénie".
Baha'u'llah était devenu une personnalité si respecté que la question se posait de savoir s'il pouvait encore être considéré comme un prisonnier. Le mufti et le gouverneur de la ville qui comptaient parmi ses amis déclaraient qu'il n'y avait que lui qui se retint prisonnier car s'il eût décidé de quitter les murs de sa prison et sortir de la ville pas une âme n'aurait oser l'arrêter (17). Finalement, en 1877 Baha'u'llah accepta de se rendre aux injonctions de ceux qui lui demandaient de quitter sa prison. En juin de cette année il s'installa dans une maison champêtre à quelques kilomètres au nord de Saint Jean d'Acre. Deux ans plus tard à la faveur de la révolution qui renversa le Sultan 'Abdu'l-'Aziz, il s'installa à Bahji dans une vaste propriété que son propriétaire avait déserté en raison de l'eau insalubre et d'une épidémie de choléra.
C'est là qu'il devait vivre les douze dernières années de sa vie, partageant son temps entre sa correspondance et l'afflux de pèlerins qui venaient écouter son enseignement pendants des semaines avant de repartir vers l'Irak, la Perse, le Turkestan où l'Inde, car pendant ce temps la diffusion de son message spirituel avait fait des progrès considérables et des communautés baha'ies s'étaient installées au Caire, à Khartoum, Ishkabad, et Bombay. Baha'u'llah comptait maintenant des amis aussi distingués que le Professeur Edward Brown d'Oxford (18) ou le comte Léon Tolstoï (19).

Baha'u'llah ayant pendant plus de quarante années de sa vie vécu dans des conditions d'exil et d'emprisonnement, c'est essentiellement par l'écrit que son enseignement pouvait être diffusé, aussi a-t-il beaucoup écrit et on dit que son oeuvre, dont une partie a été perdu pourrait remplir une centaine de volumes. Baha'u'llah n'a écrit que très peu d'ouvrages au sens propres du terme. On n'en compte que quatre: Le Livre de la Certitude (Kitab-i-Iqan), Le Livre nouveau (Kitab-i-Badi) (20) , Le Livre très saint (Kitab-i-Aqdas) (21) et L'Épître au fils du loup (Risaliy-i-Ibn-i-Dhib) (22).
La plupart de ces écrits prennent la forme de "Tablettes" (alwah) c'est-à-dire de textes entre une et plusieurs dizaines de pages qui pour la plupart prennent la forme de lettres, mais peuvent également être des poèmes, des méditations mystiques, des prières ou des invocations, des admonestations adressées à des personnages célèbres. Il n'est pas facile de pénétrer dans une oeuvre aussi diverse. Les lettres qui en composent la plus vaste partie sont d'un intérêt inégal dans la mesure où, adressées à des récipiendaires différents, elles se répètent forcement.

Baha'u'llah n'a jamais voulu donner une forme didactique à son enseignement. Hormis le Livre de la Certitude, il n'a jamais rédigé l'exposé systématique d'une quelconque question. Pour lui l'essentiel était ailleurs. Ce qui lui importait, c'était de transmettre un esprit, d'élever l'esprit, d'ouvrir les coeurs aux vérités spirituelles, de transformer les êtres. Pour cette raison le langage qu'il emploie est essentiellement mystique. Il s'agit d'un art qui puise à toutes les ressources de la poésie et de la psychologie et qui de plus respecte souvent les conventions littéraires compliquées en usage à cette époque.


A.3. La philosophie de Baha'u'llah

Le bref aperçu que nous venons de donner de la vie de Baha'u'llah nous a permis de toucher quelques uns des thèmes philosophiques majeurs de son oeuvre, et nous espérons qu'il aura convaincu le lecteur de la légitimité de parler d'une véritable philosophie baha'ie. Ses Écrits embrassent la plupart des grandes questions philosophiques : l'organisation politique et sociale, l'éthique et la morale, le statut de la femme, la justice, l'économie politique, l'éducation et la pédagogie, la science, l'épistémologie et la théorie de la connaissance.

Ces thèmes suffisent à caractériser la modernité de la pensée de Baha'u'llah. Cependant, ils ne forment pas une philosophie au sens où nous en avons l'habitude. La philosophie classique nous a habitué à considérer la métaphysique comme le fondement de la philosophie et pour cette raison la métaphysique a été appelée comme "la philosophie première". Au XVIIIe siècle s'est produite une première transformation lorsque les mathématiques et les sciences naturelles ont conquis leur autonomie. Par contre-coup, les métaphysiques n'apparaissent plus comme le principal instrument de l'homme pour connaître et expliquer le réel, et à partir de Locke l'effort de réflexion s'est déplacé progressivement vers la philosophie politique et avec Kant vers la théorie de la connaissance.
A la fin du XIXe siècle s'est produite une révolution similaire et le thème central de la philosophie s'est déplacé vers l'individu et l'exploration de sa subjectivité. Il est intéressant de constater que la philosophie de Baha'u'llah s'inscrit tout à fait dans cette évolution. La métaphysique a perdu le caractère central qu'elle avait dans tous les systèmes classiques et en contrepartie, on trouve un développement de la philosophie politique, mais cette philosophie politique qui relève d'une dimension sociale, est contrebalancée par un souci de l'individu très moderne accompagné d'une prise en compte sans réservede sa subjectivité. Cependant, l'approche de l'individu et de sa subjectivité n'est pas abordée de la même manière que dans la philosophie occidentale. Pour Baha'u'llah, la compréhension de l'individu et de sa subjectivité nécessite un dépassement du champ philosophique pour s'ouvrir au domaine de la transcendance qui dépasse notre connaissance purement rationnelle.
L'homme est un mystère que la raison ne peut totalement connaître et que le langage ne peut rendre de manière adéquate. La connaissance de l'individu et de sa subjectivité appartient donc au domaine du spirituel dont la compréhension est une des tâches premières de la philosophie de Baha'u'llah. Alors que les métaphysiques classiques partent toutes de Dieu pour descendre ensuite les degrés de la hiérarchie de l'Être, depuis le monde des essences jusqu'aux individus, la question qui se trouve au coeur de la philosophie de Baha'u'llah est une interrogation sur la nature de l'homme. C'est parce qu'on définit préalablement la nature de l'homme qu'on peut ensuite remonter les degrés de la hiérarchie de l'Être. Ceci explique que la philosophie des Idées ou des Formes propre au platonisme ou à l'aristotélisme soit remplacée par une philosophie des valeurs. C'est en fonction du sens que l'on donne à la vie humaine que l'on peut définir la finalité de la réalité physique de l'univers.
La question n'est plus d'expliquer comment l'univers existe, tâche clairement assignée par Baha'u'llah à la science, mais pourquoi l'univers existe. C'est seulement à partir de là que l'homme peut se faire une idée de son créateur. Néanmoins, Baha'u'llah reconnaît que le processus est beaucoup plus complexe, car si l'homme ne connaît son créateur que dans la mesure où il se connaît lui-même, il ne peut se connaître lui-même que dans la mesure où il connaît son créateur. Baha'u'llah écrit:

"Le devoir que tu as prescrit à tes serviteurs d'exalter à l'infini ta gloire et ta majesté n'est qu'un gage de ta grâce à leur endroit, un moyen que tu leur donnes de s'élever jusqu'à cet état que tu leur as rendu capable d'atteindre, à savoir la connaissance d'eux-mêmes". (23)

Dans un autre texte, il déclare:

"Si vous pouviez concevoir les merveilles de munificence et de bonté dont j'ai voulu faire vos âmes dépositaires en vérité, vous rompriez avec tout attachement aux choses créées et vous parviendriez ainsi à une connaissance de vous même qui serait la compréhension de mon être propre." (24)

Cependant, cette véritable compréhension de la nature humaine n'est pas atteignable par un processus purement philosophique. Pour Baha'u'llah, l'homme n'est pas une donnée de la nature. L'homme à l'état de nature n'est qu'un animal. Ce qui constitue sa réalité essentielle est quelque chose qui se trouve au-delà de l'état de nature, qui n'est d'abord qu'une potentialité soumise au devenir. L'humanitude (humanitas, ar. insaniyya) n'est pas quelque chose qui est, mais quelque chose à conquérir, une perfection spirituelle qui ne s'acquière que par un processus de transformation intérieure, un horizon qui n'est jamais totalement atteint. Quelque soit le progrès de la civilisation, quelque soit le progrès de la spiritualité et de la morale, l'homme sera toujours en marche vers la conquête de son humanitude, car cette humanitude recèle une perfectibilité dont les potentialités ne pourront jamais être épuisées, parce qu'elles constituent ce que Baha'u'llah appelle "le Dépôt divin". Par le perfectionnement spirituel, c'est Dieu qui s'actualise en l'homme.

Le principe qui résume toute l'anthropologie de Baha'u'llah, et qui constitue la clef de voûte de son enseignement est contenu dans l'affirmation que la nature de l'homme est spirituelle. Le problème philosophique fondamental que pose ce principe consiste donc à comprendre ce que signifie le mot "spirituel". Nous pouvons dire que cette question constitue l'objet de la métaphysique de Baha'u'llah, car le concept de spirituel renvoit à un monde de valeurs transcendantes, valeurs médiatrices entre Dieu et sa création, dont il faut expliquer l'existence.

Nous comprenons donc maintenant pourquoi la métaphysique de Baha'u'llah ne se présente pas selon l'économie à laquelle les systèmes classiques nous avaient habitués. L'Être n'est plus au centre de la métaphysique; il est remplacé par l'esprit et la conscience.


A.4. De l'herméneutique à l'ontologie

Notre étude est divisée en trois parties: la première est appelée herméneutique, la seconde théosophique et la troisième métaphysique. En fait, il ne s'agit pas d'une division stricte. Chacun de ces titres ne fait qu'indiquer la dominante des chapitres qui suivent, mais pour les raisons que nous avons exposées, ces différents aspects sont inextricablement mêlés dans l'oeuvre de Baha'u'llah et ils ne peuvent jamais être totalement séparés. Notre première partie montrera comment Baha'u'llah transforme le système métaphysique des "cinq présences" en un système herméneutique.
Mais le caractère herméneutique de ce système ne peut être clairement perçu que par référence à un système métaphysique dont nous esquisserons quelques-unes des grandes lignes à la fin du chapitre V. Nous aurions pu, à partir de là, directement continuer avec les questions ontologiques et métaphysiques qui sont au centre de notre étude, mais cela nous a paru impossible dans la mesure où, comme nous l'avons souligné, la métaphysique occupe dans la philosophie de Baha'u'llah une place particulièrement atypique. Il nous a paru important de redéfinir préalablement cette philosophie comme une théosophie avec toutes ses implications.

Lorsque nous parlons à propos de la pensée de Baha'u'llah de "théosophie", il faut bien sûr entendre ce mot dans un sens technique. On appelle généralement théosophie un système de pensée où se trouvent réunies trois composantes étroitement liées: une herméneutique, une gnose et une philosophie de la nature. Ceci nous amène à définir le mot "gnose". La gnose dont il est ici question n'a rien à voir avec les mouvements gnostiques des premiers siècles de notre ère. Il s'agit d'une connaissance qui s'acquière non par l'étude, mais par un processus de transformation intérieur de l'homme. Alors que la philosophie est la quête d'un savoir objectif, la théosophie met l'accent sur la subjectivité et le caractère personnel et incommunicable de tout savoir spirituel. Bien entendu, la gnose doit s'accompagner d'une noétique, c'est-à-dire d'une théorie de la connaissance qui définisse non seulement les modalités de la connaissance sensible et de son intelligibilité, mais également les conditions permettant à l'homme d'acquérir une connaissance supra-sensible des mondes spirituels.

La noétique de Baha'u'llah est à la fois une épistémologie et une gnoséologie. Par conséquent, la noétique doit être située à la fois dans le cadre plus vaste d'une anthropologie et dans le cadre plus restreint d'une psychologie dont nous essaierons de cerner les principales conséquences. Cette psychologie nous ramènera aux fondements métaphysiques de l'enseignement de Baha'u'llah, car on ne peut traiter de la connaissance spirituelle sans parler des rapports de l'âme et du corps, et donc sans s'interroger sur le mode ontologique de la réalité essentielle de l'âme.

La troisième partie intitulée "métaphysique" est strictement consacrée au problème métaphysique des mondes divins et des entités qui le peuplent. Nous avons cependant voulu situer cette problématique métaphysique dans un cadre assez large qui est celui de la philosophie émanatiste de Baha'u'llah, et nous avons cherché à définir celle-ci tant par rapport au néoplatonisme de Plotin que par rapport à la version islamisée de la Falsafa et plus particulièrement celle d'Avicenne. Il existe en effet un préjugé très enraciné chez les spécialistes des sciences religieuses qui attribuent à Baha'u'llah des idées néoplatoniciennes et qui font de sa métaphysique un dérivé de celle de Farabi, d'Avicenne, de Suhrawardi et Shaykh Ahmad Ahsa'i. Nous reconnaissons avoir partagé ce préjugé pendant très longtemps. Cependant, on ne peut accueillir sérieusement une telle opinion sans la soumettre préalablement à la critique philosophique et scientifique. C'est ce que nous avons fait, et le résultat n'a pas été concluant.
En effet, pour caractériser un système philosophique par rapport à une école de pensée, il ne suffit pas de reconnaître un ou deux éléments à l'allure vaguement identique; pas plus qu'on ne peut se baser sur quelques similitudes de vocabulaire. Il faut montrer que l'économie du système est organisée selon le même modèle, ou pour le moins que les économies des différents systèmes comparées restent compatibles. Il existe effectivement des points de contact entre la pensée de Baha'u'llah et les systèmes néoplatoniciens, mais nous espérons qu'un des apports principaux de notre étude aura été de démontrer qu'en aucun cas ces points de contact ne permettent de ranger l'enseignement de Baha'u'llah dans la postérité de Farabi et d'Avicenne. On peut même dire que l'enseignement de Baha'u'llah se présente comme une réfutation implicite, mais néanmoins systématique d'Avicenne. Pour lui, toute la philosophie hellénisante repose sur un malentendu qui consiste à assimiler Dieu à l'être nécessaire, comme le font d'emblée Al-Kindi et Farabi.
Pour Baha'u'llah, Dieu doit demeurer distinct de l'Être. De plus, poser un Être nécessaire aboutit à une philosophie de la nécessité qui nie à la fois la liberté de l'homme et la liberté de Dieu. La nécessité (wajib) n'est pas pour lui le concept antinomique de la contingence (mumkinat). Tout le monde de l'Être, dont il proclame l'unicité (25), appartient à la contingence, car c'est le propre de l'Être que d'être contingent. Seule la sphère du Hahut, c'est-à-dire de l'essence divine, échappe à la contingence et s'affirme comme un absolu transcendant, source de toute réalité, mais inaccessible à la connaissance humaine.
Nous butons ici sur les limites du vocabulaire occidental pour traduire le vocabulaire philosophique arabe. En effet, nous parlons ici de "l'essence divine", ce qui pourrait laisser entendre que Baha'u'llah situe la divinité dans un monde des essences qui serait la contrepartie du monde sensible. Or, ce que par commodité on appelle "l'essence divine" (dhat) n'a rien à voir avec le monde des "réalités essentielles" (haqa'iq). C'est le monde de l'"En-soi", un En-soi au-delà de l'Être et de l'Existence, à jamais impénétrable à l'esprit humain; un En-soi qui apparaît cependant à l'homme non pas en tant que Lui-même, mais par ses manifestations. C'est sans doute pour échapper au vocabulaire de la philosophie des essences que Baha'u'llah utilise souvent le terme de "ipséité" ou "identité" (huwiyya), ou qu'il parle de la "Nature" de Dieu (kaynuna), plutôt que de son être.

Ceci nous amène à un point délicat de notre étude qui est celui de l'ontologie. Nous avons sous-titré notre étude "Ontologie des mondes divins". Nous aurions dû en fait l'appeler "Ontologie et herméneutique des mondes divins", car la question qu'il convient de poser est "Qu'est-ce qu'un "monde"?". Nous montrerons que pour Baha'u'llah, les mondes divins ne constituent pas une cosmologie, ni même une onto-cosmologie comme l'onto-cosmologie avicenienne. Les mondes divins sont en réalité des catégories onto-herméneutiques. Un "monde" est d'abord une catégorie d'intelligibilité. Chaque monde représente un mode de l'Être; l'Être se caractérisant par un nombre de modalités infinies, mais ces modalités existentielles ne sont pas entièrement séparables des modalités opératoires de l'esprit humain.
Dans sa réalité essentielle et absolue le monde de l'Être est un, mais dans sa réalité épistémologique et phénoménologique, telle qu'elle se présente à l'esprit de l'homme, la réalité apparaît selon des modalités infinies, qui sont conditionnées par le situs ontologique de l'homme, le lieu ontologique à partir duquel le paysage de l'Être se révèle provisoirement à lui. C'est ce qui fait dire à Baha'u'llah dans Les Sept Vallées que les différences que le voyageur perçoit entre les différents mondes de Dieu tient à la condition et à l'état spirituel du chercheur et non à la réalité indépendante de ces mondes (26).

Les mondes divins sont donc structurés par la conscience humaine. C'est en cela que la pensée de Baha'u'llah rejoint les préoccupations phénoménologiques de notre époque et que sa métaphysique implique une herméneutique qui permet de s'interroger et de cerner les rapports de la conscience avec la réalité objective et subjective du monde.

Pour Baha'u'llah, il y a deux façons complémentaires d'appréhender le monde: l'une rationnelle et scientifique qui se fait à partir de notre extériorité, et l'autre intuitive et mystique qui se fait à partir de notre intériorité. Mais, pour aborder cette seconde voie, l'homme doit d'abord explorer et apprendre à connaître son intériorité. Cependant, en ce qui concerne Dieu et les mondes spirituels en général, seule existe la voie de l'intériorité. C'est pourquoi Baha'u'llah, après la connaissance de soi, assigne comme finalité à l'existence humaine de "connaître et aimer Dieu". Il nous précise que non seulement c'est la finalité de toute existence humaine mais que c'est également la finalité de toute la création, car il est impossible de concevoir une création divine sans une conscience qui connaisse son créateur. C'est ce que nous avons appelé "le principe anthropique" de Baha'u'llah.
Ce principe bouleverse toute la philosophie et a des implications multiples et fondamentales qui sont loin d'être explorées. C'est ce principe qui explique que la réalité de l'univers paraisse structurée en fonction d'une loi d'intelligibilité que l'univers partage avec l'esprit humain. C'est ce principe qui implique également la nécessité d'un lien noétique et épistémologique entre la créature et le créateur qui est à la source de l'herméneutique baha'ie. De là découle également que l'Être ne puisse être au centre de la métaphysique, et même de l'ontologie, de Baha'u'llah.

Nous avons longtemps hésité pour savoir si nous devions inclure dans notre étude un ou plusieurs chapitres sur l'ontologie de Baha'u'llah ou si nous devions nous contenter d'aborder le problème uniquement sous l'incidence de la question des mondes divins, et c'est finalement la deuxième solution que nous avons retenue. Certains pourront être choqués que nous abordions une question qui finalement est révélatrice de tout un système métaphysique sans avoir préalablement défini le concept premier de toute philosophie depuis Platon et Aristote. Il est sûr qu'un tel travail préalable nous aurait permis d'atteindre un plus haut niveau de précision sur certaines questions. Mais un certain nombre de scrupules nous ont arrêtés.
Le premier c'est que Baha'u'llah ne définit pas explicitement une ontologie, bien que dans de très nombreux textes il semble poser les limites de son cadre général. Ainsi, il n'est pas du tout certain que les données ontologiques de Baha'u'llah puissent recevoir une interprétation unique et, de plus, il paraissait tout à fait possible de construire non pas un mais plusieurs systèmes ontologiques à l'intérieur du cadre général qu'il a lui-même tracé, et nous pensons que cela a été ainsi voulu. Aborder de front le problème ontologique nous aurait amené sur un terrain très spéculatif qui sort tout à fait du cadre et de l'esprit de notre étude.

Nous avons voulu d'abord commenter les textes de Baha'u'llah et offrir une interprétation aussi fidèle que possible de sa pensée. Bien entendu, toute interprétation implique des hypothèses et des choix, mais il ne nous paraissait pas que ce serait trahir l'esprit de notre recherche que de construire des hypothèses du second degré qui elles-mêmes s'appuieraient sur les hypothèses du premier degré. Cependant, pour être tout à fait honnête, il nous faut avouer que certains de nos choix et de nos hypothèses du premier degré ont certainement été influencées par notre conception de l'ontologie de Baha'u'llah et nous nous sommes ainsi forgé un certain nombre de principes dont nous donnons ici l'essentiel.

L'Être ne peut être une explication de l'existence des étants (mawjud), parce que l'Être semble dans la philosophie baha'ie n'avoir qu'une existence purement conceptuel. L'Être est ce qui est en acte dans tous les individus, mais l'Être n'est pas dissociable des individus, comme la forme n'est pas dissociable de la matière. L'Être ne saurait donc être considéré comme l'origine des choses. L'origine des choses découle directement de Dieu, mais son principe doit être recherché dans le "Premier émané" (al-sadir al-awwal) qui est le Verbe divin (kalama).
Or, le Verbe divin est aussi l'Esprit (ruh); de là découle que tout ce qui existe a un esprit et que l'Esprit doit être regardé comme le principe premier de la création. C'est la façon dont l'Esprit s'actualise et se diversifie dans les choses qui détermine les modalités de l'Être. Le monde matériel n'est qu'une modalité de l'Être parmi un nombre infini d'autres qui constituent ce qu'on appelle "les mondes spirituels".
Les mondes spirituels sont peuplés par des entités qui sont des essences avec cette réserve très importante que les essences ne sont pas réductibles ni à l'Être ni à l'Existence, c'est pourquoi, plutôt que d'essence, il vaut mieux parler de "réalité" ou de "réalités essentielles" (haqa'iq). L'homme ne peut, à ce stade de son développement spirituel, comprendre la véritable nature des réalités essentielles. Ces réalités essentielles ne constituent pas de substances spirituelles car leur mode d'existence est totalement impénétrable. De ce fait, la métaphysique de Baha'u'llah n'entre pas dans le cadre d'une philosophie des essences.

Telles sont quelques-unes des grandes lignes de l'ontologie de Baha'u'llah telle que nous avons essayé de la reconstituer. Ces quelques principes sont loin de constituer un système et de multiples questions restent ouvertes. Nous pensons que c'était le volonté même de Baha'u'llah de les laisser ouvertes et ainsi de permettre aux écoles de fleurir. Dans la mesure où le concept d'Être n'est plus central à sa métaphysique, le lecteur constatera qu'il était tout à fait possible de traiter de l'ontologie des mondes divins, car ici le mot ontologie revêt une signification tout à fait particulière. Il ne s'agit plus d'une ontologie de l'Être, mais d'une ontologie de l'Esprit.

La perspective que nous avons choisie pour notre étude ne nous permettait pas de développer une interprétation générale de la métaphysique de Baha'u'llah. Nous nous sommes limités à quatre thèmes d'inégale importance. Le premier thème est un essai de définition. Il concerne ce que nous avons appelé "la métaphysique émanatiste de Baha'u'llah et sa liaison avec "la théologie spéculaire", c'est-à-dire la conception d'une création miroir des Noms et des Attributs de Dieu. Notre second thème tournera autour de l'étude du concept de "Manifestation divine" qui nous paraît être l'élément le plus fondamental de toute la philosophie de Baha'u'llah et la clef de tous les autres développements métaphysiques.
C'est l'introduction de ce concept de Manifestation divine qui fait que l'enseignement de Baha'u'llah apparaît en rupture avec tous les systèmes de pensée de l'Islam. Le monde de la manifestation est un monde central autour duquel s'organisent tous les autres modalités ontologiques. Ceci nous amènera à nous interroger sur les sphères ontologiques qui séparent l'homme de ce monde et plus particulièrement à étudier la nature des "réalités essentielles" (haqa'iq) qui peuplent les mondes spirituels et le statut du Monde imaginal qui devient ainsi un monde intermédiaire entre la pensée de l'homme, sa raison imaginale, et les réalités tant intellectuelles qu'intelligibles qui structurent le réel.


A.5. La question herméneutique

Nous avons jusqu'ici beaucoup parlé d'herméneutique sans en avoir expressément précisé le sens. Un effort de théorisation s'impose ici pour définir l'herméneutique baha'ie, car la question se présente comme un jeu de miroirs: d'une part nous sommes convaincus que l'oeuvre de Baha'u'llah est une herméneutique, et d'autre part cette oeuvre, pour être comprise, exige elle-même un effort d'herméneutique.

L'usage du terme herméneutique s'est considérablement diversifié au cours de ce dernier siècle sous l'influence des travaux de Husserl (27), Heiddeger (28), Gadamer (29) et Ricoeur (30). Ainsi se sont constituées non pas une mais plusieurs philosophies de l'herméneutique par rapport auxquelles il n'est pas toujours aisé de se situer. Ces travaux sont néanmoins d'un grand intérêt et ils nous ont considérablement aidé à comprendre le caractère herméneutique de l'oeuvre de Baha'u'llah.

On appelle "herméneutique" la théorie de l'interprétation ou la réflexion théorique sur l'activité interprétative (31). Le terme vient du grec hermeneuein qui signifie "exprimer", "énoncer", "interpréter" et "traduire" ou "servir d'interprète". D'une manière générale, l'herméneutique caractérise la discipline, les problèmes et les méthodes qui ont trait à l'interprétation et à la critique des textes. Mais rapidement l'herméneutique a dépassé la simple critique et le commentaire exégétique pour constituer une véritable théorie de l'inspiration, qu'elle fut profane ou mystique (32).
Car le propre de l'herméneutique c'est d'être d'abord une science du sacré, dont la laïcisation ne fut que très progressive. L'herméneutique, dès l'Antiquité s'est démarquée du simple commentaire littéraire de par sa source religieuse. Déjà dans Le Politique de Platon (33), la fonction qui est assignée à l'herméneutique est religieuse et sacrale. Ce caractère religieux et sacral ne fera que se renforcer lorsque le Christianisme adoptera les techniques herméneutiques pour son exégèse.
La détermination des règles herméneutiques entraînera au IIIe siècle des débats passionnés entre l'Ecole d'Alexandrie et l'Ecole d'Antioche. A partir de ce moment la courbe de vie de l'herméneutique sacrée va épousée celle du Christianisme. Elle connaît un premier apogée avec les Pères de l'Eglise et un second au Moyen-Age avant de commencer à décliner. A partir du travail de quelques pionniers au XVIIe et XVIIIe siècle (Dannhauer, Meier, Chladenius), la question herméneutique va véritablement réapparaître dans le champ philosophique au XIXe siècle grâce à l'oeuvre de Schleiermacher. Un nouveau pas sera franchi vers une universalisation de l'herméneutique avec Dilthey qui cherche dans l'herméneutique une méthodologie et une épistémologie des sciences humaines.
A partir de ce moment, l'herméneutique va progressivement envahir tout le champ de la philosophie. Avec le développement de la linguistique et des sciences cognitives, et surtout avec l'irruption de la psychologie et de toutes les techniques d'exploration du psychisme humain, la question du sens devient une question fondamentale. On passe ainsi de l'herméneutique des textes à l'herméneutique des sciences. L'herméneutique finit par apparaître comme l'ensemble des règles constitutives de tout savoir humain, et ceci est un des sens que nous retiendrons. Cependant l'herméneutique se distingue de l'épistémologie. Alors que celle-ci s'intéresse aux mécanismes heuristiques et aux règles par lesquelles la science vise à reproduire une image fidèle de la réalité, l'herméneutique ne s'intéresse pas directement à cette réalité mais au processus de la compréhension humaine dans la production du sens et sa transmission. Tout savoir implique donc bien la mise en oeuvre d'une herméneutique.

Si maintenant nous confrontons ce que la philosophie moderne nous a appris sur le problème herméneutique avec les textes de Baha'u'llah, il n'y a pas de doute que toute l'oeuvre de Baha'u'llah constitue une herméneutique, pas seulement au sens de l'herméneutique sacrée, mais en tant qu'herméneutique philosophique universelle.

On peut distinguer chez Baha'u'llah trois formes d'herméneutique: une herméneutique sacrée (ta'wil), une herméneutique psychologique ('irfan), et une herméneutique phénoménologique ou sémiotique.

Au cours de notre étude, à l'expression "herméneutique sacrée", calquée sur le latin hermeneutica sacra, nous avons préféré l'expression "herméneutique spirituelle" forgée par Henri Corbin pour traduire l'arabe ta'wil. Nous consacrerons au chapitre VIII un long développement à l'usage du ta'wil comme herméneutique spirituelle. Le ta'wil se distingue de l'hermeneutica sacra chrétienne par une liberté interprétative beaucoup plus grande. Le mot signifie "reconduire à sa source", car l'herméneutique spirituelle est fondée sur l'idée que si le Coran est descendu sur terre par l'arc du prophétisme (nubuwa), une véritable compréhension exige qu'il soit reconduit à sa source par l'arc du ta'wil, c'est-à-dire ramené à son inspiration première au ciel de la révélation.
Cet art herméneutique consiste à considérer chaque terme coranique comme l'expression métaphorique d'une vérité spirituelle plus profonde. En ce sens le ta'wil n'est pas sans rapport avec la typologie développée par Origène et les méthodes exégétiques de certains Pères de l'Eglise. Mais alors que le Christianisme fut très conscient que l'interprétation anagogique pouvait conduire à une dissolution du dogme et de l'orthodoxie, et ressentit très tôt le besoin d'en codifier et d'en réglementer l'usage, cet effort de codification n'eut pas lieu dans l'Islam et entraîna une profusion des herméneutiques et finalement une dissolution de sens. Une partie de notre travail consistera à voir comment Baha'u'llah réagit contre cette dissolution de sens en délimitant le champ du ta'wil, tout en se livrant lui-même à un travail herméneutique dont les méthodes restent encore à étudier.

En se livrant à l'herméneutique spirituelle de l'Evangile et du Coran, Baha'u'llah suggère l'herméneutique de sa propre oeuvre. Il nous fournit donc une théorie de l'inspiration prophétique.

La finalité du discours prophétique n'est pas d'énoncer un code de loi, une morale et une philosophie, mais de mettre l'homme en rapport avec le monde des valeurs transcendantes qui constituent les lois du monde spirituel. La révélation prophétique vise donc à communiquer ce qui constitue la réalité la plus fondamentale de l'univers. Pour communiquer cette réalité fondamentale, le langage est insuffisant. Il ne peut procéder que par "allusions" (ishara) et constitue un "langage crypté" (ramz) qui vise à communiquer les "secrets" (asrar) qui constituent la réalité des choses dans le monde invisible où se trouvent écrites les lois spirituelles.
Dans le langage naturel, le symbole allégorique renvoie à un "crypte" qu'il est nécessaire de décoder pour parvenir à la réalité objective qu'il symbolise et qui appartient au monde de l'expérience. Dans le langage de la révélation, la réalité visée n'appartient pas au monde de l'expérience objectivable, c'est la réalité visée qui doit être décryptée et non le symbole qui est un schème intermédiaire entre le monde spirituel et le monde de l'expérience dont est issu notre univers symbolique.

Cette herméneutique sacrée nous amène au seuil de l'herméneutique psychologique dont elle provient directement. Le langage de la révélation, pour révéler le monde des valeurs, doit préalablement mettre l'homme en contact avec son intériorité. Ce langage prend appui sur les grands mythèmes de notre inconscient, et c'est en ce sens que l'herméneutique sacrée est liée à la pensée mythique qui tire sa source de l'intériorité de l'homme. La Parole révélée trouve son origine dans le monde des valeurs transcendantes qui est un au-delà ineffable ; c'est pour cette raison qu'elle n'a d'autre recours que le langage symbolique.
L'herméneutique psychologique établit le lien entre ce symbolisme et le monde intérieur de l'homme. En même temps, elle fixe les règles de ce savoir. L'expression "herméneutique psychologique" peut traduire le mot arabe 'irfan" que dans notre étude nous avons rendu par "vraie compréhension"; mais elle va au-delà, car elle unifie tous les champs du savoir empirique et spirituel.
En ce sens, les trois types de connaissance de la gnoséologie de Baha'u'llah que sont le "vrai savoir" (ma'rifat), la "vraie compréhension" ('irfan) et la sagesse (hikmat) constituent une herméneutique psychologique que nous avons également appelée "gnose", d'une manière que certains jugerons peut-être un peu aventureuse, mais qui correspond bien à la définition technique de ce terme; c'est-à-dire un savoir qui ne s'acquière que par la transformation intérieure de l'homme. Il y a cependant un point particulièrement important qui justifie que l'expression herméneutique psychologique est plus adaptée que le mot gnose, c'est le caractère personnel et subjectif de la connaissance mystique chez Baha'u'llah. Cette gnose ne vise pas comme la gnose classique un savoir absolu, éternel et immuable. Au contraire, la gnose de Baha'u'llah s'affirme comme une expérience relative et personnelle. Le monde des valeurs ne peut être perçu qu'en fonction du rang spirituel (maqam) de chaque individu.

En amont de l'herméneutique spirituelle, nous trouvons une troisième herméneutique que l'on pourrait tout aussi bien appeler sémiotique, phénoménologique ou philosophique. Toutes ces formes d'herméneutique reposent sur l'idée que la création est un signe (ayyat) de Dieu. L'univers apparaît au mystique comme un univers de signes hiérarchisés de manière ontologique. Tout étant issu de l'Esprit, l'Esprit parle dans chaque chose. La création est donc un univers de signe où chaque "monde" porte l'image ou la "trace" (athar) du monde qui lui est directement supérieur. Le monde naturel nous parle par des signes naturels comme le monde spirituel nous parle par des signes spirituels. Le matériel manifeste donc le spirituel. Dans l'apparence des choses est caché un ordre qui constitue la trame invisible de la réalité. Mais l'expérience de cet ordre invisible n'est possible qu'à partir d'une expérience gnostique, qui unifie les différents modes de connaissance de l'homme.

Finalement, il existe une réelle unité de l'herméneutique baha'ie. Il s'agit de mettre en relation les signes qui sont en l'homme, les signes qui sont dans le monde sensible, les signes qui dans le monde spirituel et les signes qui sont dans la révélation. C'est tout le problème que pose l'ontologie des mondes divins. Chaque "monde" renvoit à un univers de signes qui constituent une onto-herméneutique.

L'herméneutique baha'ie doit concilier deux exigences antinomiques. D'une part, Baha'u'llah explique que l'univers est structuré selon la même loi d'intelligibilité que l'esprit humain, d'autre part le développement spirituel limité de l'homme dans ce monde fixe une limite à sa capacité de le comprendre. L'univers spirituel ne lui échappe pas totalement, mais la représentation qu'il peut s'en faire ne peut être que métaphorique. Ceci explique le caractère relatif de tout discours métaphorique. Nous verrons au chapitre V qu'il existe dans les Écrits de Baha'u'llah un foisonnement de mondes différents, tel que "le monde du visible et de l'invisible", "le monde de l'invention", "le monde du décret", "le monde du commandement" etc...
Ces "mondes" ne correspondent pas à des réalités indépendantes à l'esprit humain. Il n'y a aucune implication réaliste dans cette description qui ne constitue qu'une approche relative de la réalité. Il nous faut là éviter un malentendu très grave. Cette typologie des mondes correspond avant tout à une réalité de l'esprit humain qui en raison de son exigence d'intelligibilité peut considérer que cette description lui donne une réponse à ses interrogations provisoirement satisfaisante. Cette typologie des mondes est une herméneutique et n'a rien à voir avec une quelconque cosmogonie.

Les trois formes d'herméneutique que nous venons de décrire, spirituelle, psychologique et sémiotique ou phénoménologique, forment un système où chacune d'entre elles est étroitement liée aux autres dans un ordre logique. A coté de ces trois formes fondamentales d'herméneutique, il existe une quatrième forme que nous avons appelé "herméneutique axiologique" et qui correspond à ce que les baha'is appellent le concept de "révélation progressive", c'est-à-dire la découverte progressive et relative par le moyen de la Révélation du monde des valeurs transcendantes que les baha'is appellent habituellement "lois divines" ou "lois spirituelles". Cette herméneutique axiologique forme le fondement de la philosophie de l'histoire de Baha'u'llah dont nous n'aurons pas à traiter. Nous nous contenterons de l'évoquer brièvement au chapitre XIV consacré au monde de la Manifestation.


A.6. Problèmes et méthodes

Notre travail a été un travail de défrichage. Il n'existait pratiquement aucune étude antérieure sur laquelle nous pouvions nous appuyer. Nous espérons qu'il constitue un pas vers une analyse complète de la métaphysique de Baha'u'llah. Mais en attendant, nous sommes pleinement conscient que ce travail de défrichage comporte beaucoup d'approximations et de lacunes. Au cours de nos recherches nous avons découvert beaucoup de "pistes" nouvelles. Il ne pouvait être question de les suivre toutes. Nous venons de dire quelques mots de l'ontologie et de l'herméneutique, mais toute l'ontologie et l'herméneutique baha'ie restent encore à élaborer.

Nous avons voulu approcher l'oeuvre de Baha'u'llah en philosophe. En cela nous avons considérer que les textes avaient un double message. Il y a un message qui réside dans l'intentionnalité première du texte et qui constitue son sens principal. Mais le sens principal peut cacher beaucoup de sens secondaires. En d'autres termes, il existe tout un ensemble de questions sur lesquelles les textes de Baha'u'llah ne parlent que si on les interroge. Le tout est donc de poser les bonnes questions. Nombreux sont ceux des commentateurs arabes et persans de Baha'u'llah qui n'ont pu le faire en raison de leur trop grande dépendance à l'égard de la culture islamique dont il nr parvenaient à se dégager. On retrouve le même manque de recul chez les premiers apologètes chrétiens du IIe siècle ou même chez certains Pères de l'Église encore trop marqués par leur cuture grecque ou judaïsante pour comprendre toute la portée du message évangélique. Les premiers commentateurs baha'is ont recherché un catalogue de principes. Nous avons cherché quant à nous un système, c'est-à-dire que nous avons voulu prendre la mesure architecturale de l'ensemble et montré comment il fonctionne comme un tout organique en respectant un principe d'auto-cohérence.

Pour parvenir à reconstituer ce système, l'approche comparatiste nous a paru la plus simple et la plus efficace. En sélectionnant un certain nombre de grandes philosophies comme celle de Platon, d'Aristote, de Plotin, de Saint Augustin, de Farabi, d'Avicenne etc., nous avons essayer de déterminer quelles réponses Baha'u'llah apportait à leurs grandes préoccupations. Nous sommes partis des grandes questions fondamentales du type "Qu'est-ce que l'être?" pour ensuite aborder des questions subsidiaires comme, par exemple, celles qui touchent au débat entre réalisme et nominalisme. Cette méthode a eu un double avantage: Elle montre immédiatement l'originalité de la pensée de Baha'u'llah et elle fait apparaître les grandes lignes de son système. Elle peut avoir un double inconvénient: celui d'abord d'occulter des questions qui peuvent relever de préoccupations totalement originales et en second lieu de tirer la philosophie de Baha'u'llah vers la présentation habituelle des philosophies classiques.

Les philosophies classiques partent généralement de l'ontologie pour construire leur métaphysique, alors que la métaphysique de Baha'u'llah semble plutôt se construire à partir de l'anthropologie.

Cette démarche explique la très grande utilisation que nous avons fait de certains Pères de l'Eglise comme Clément d'Alexandrie, Origène, Basile de Césaré et Grégoire de Nazianze, parce qu'ils nous paraissaient partir d'une problématique extrêmement voisine. Au-delà, la comparaison avec le système de al-Kindi, Farabi, Avicenne, Ibn 'Arabi, Suhrawardi et Mulla Sadra s'imposait d'elle-même. C'est un travail que nous avons conduit avec beaucoup de minutie mais dont nous ne pouvions livrer ici que les grandes lignes. Certains lecteurs trouveront peut-être plus étrange les références que nous avons fait à certains philosophes du Moyen-Age et notamment à St. Thomas d'Aquin, Dun Scot et Guillaume d'Ockham. La raison en est que tout trois ont réagit, comme Baha'u'llah à la philosophie d'Avicenne.
De plus, tous ont cherché à palier aux difficultés nées du platonisme et de son adaptation aux religions révélées. Enfin, jusqu'à Guillaume d'Ockham, la philosophie européenne et la philosophie musulmane ont parlé le même langage; l'Islam ayant transmis à l'occident la connaissance des grands auteurs grecs le plus souvent par des traductions faites en latin à partir de l'arabe. Il nous semble qu'un grand projet de la philosophie baha'ie d'aujourd'hui doit être de restaurer cette ancienne unité. Le moment où nous assistons en Europe à une renaissance de l'intérêt pour les questions métaphysiques nous semble particulièrement opportun. Ceci signifie nullement une restauration de la scolastique qui est morte pour des raisons évidentes. Mais l'ignorance dans laquelle se trouve la philosophie occidentale de ses sources médiévales et patristiques confine à l'amnésie.

Une autre de nos préoccupations a été de traiter la pensée de Baha'u'llah comme une pensée vivante. Pour qu'elle demeure vivante, il faut donc continuer de l'interroger sur l'avenir. Il ne suffit pas de savoir comment Baha'u'llah se situe par rapport à Avicenne. Il est encore plus intéressant de l'interroger par rapport à une problématique moderne telle que les sciences cognitives, l'épistémologie, les grands courants de la linguistique, de la sémiotique et de l'herméneutique, de la phénoménologie de Husserl, de l'existentialisme et de la postérité heiddegérienne, de l'empirisme logique et du néo-réalisme. Bien sûr, il ne pouvait être question d'aborder de front ces problèmes. Mais cette problématique moderne n'a cessé d'être présente à notre esprit, et le lecteur en trouvera occasionnellement la trace, tout comme d'autres préoccupations touchant notamment à certains développements de la physique moderne.

Pour mener à bien cette tâche, il ne nous était pas possible de nous appuyer sur les traductions des textes de Baha'u'llah que l'on trouve en librairie, parce que ces traductions, toujours d'une très haute qualité quand elles ont été faites par Shoghi Effendi, ne se prêtent pas à un travail critique. Il était nécessaire de retourner au texte original en arabe et en persan car ces langues usent d'une terminologie philosophique intraduisible. Pour surmonter ces problèmes interprétatifs, nous avons dû élaborer un certain nombre de règles.
Les traductions françaises, à part celles de Dreyfus, ayant été faites à partir de celles en anglais, nous avons toujours cité les textes dans leur version française courante. Lorsque des différences ou des nuances de traductions existaient entre l'anglais et le français nous les avons fait apparaître. Lorsque l'écart entre la traduction anglaise et le texte original était trop grand nous y avons suppléé par une deuxième traduction littérale qui est signalée comme telle et imprimée entre parenthèse mais sans italicisation. Mais le plus souvent, nous nous sommes contentés d'insérer dans la traduction le terme arabe ou persan en fournissant le commentaire approprié. Le lecteur peu rompu aux habitudes des orientalistes ne doit pas se laisser impressionné par ce jargon. Il s'apercevra qu'en maîtrisant au plus une dizaine de termes techniques arabes il peut comprendre l'essentiel de la métaphysique de Baha'u'llah. Les termes techniques arabes ou persans qui figurent entre parenthèses ne sont pas là par simple souci d'érudition. Ils soulignent que la traduction française utilisée pose problème et renvoit à un concept spécifique dont l'explication a déjà été donnée.

Lorsque nous avons fait appel à des textes non traduits nous n'avons fourni aucune traduction, qui aurait donné lieu peut-être à polémique, mais nous nous sommes contentés d'une paraphrase qui figure sans guillemets, mais avec les références du texte original en bas de page.

L'usage que nous avons fait des textes étant essentiellement philosophique, dans nos paraphrases et nos commentaires nous n'avons pas hésité à utiliser des termes philosophiques pour traduire certaines expressions habituellement rendues de façon littérale dans les traductions. Par exemple, Shoghi Effendi traduit le mot wahm par "imagination", ce qui est tout à fait littéral. En certaines occasions, il nous a paru préférable de parler de "subjectivité", qui est un terme renvoyant à un contenu philosophique précis. Il en va de même pour tajrid parfois rendu par "dépouillement" et tafrid pour "individualisation". De même, le mot 'aql est habituellement traduit par "raison" et par "intellect". Nous l'avons rendu en certaines occasions par "imagination active", car il correspond évidemment à la faculté imaginative permettant dans la philosophie médiévale de réaliser des abstractions.
Nous avons traduit ta'wil par "herméneutique spirituelle" pour suivre l'usage des orientalistes et partout où cela était possible, nous avons rétabli le vocabulaire en usage en France pour faciliter une meilleure compréhension de tous ceux qui sont habitués à cette terminologie. Bien évidemment nous considérons toutes ces traductions comme temporaires et répondant à des exigences techniques momentanées. Il serait dangereux de les sortir de leur contexte. En aucun cas, elles sont destinées à se substituer aux traductions plus littérales qui ont eu l'avantage d'être entendues du plus grand nombre.

La translittération retenue est celle en usage dans les traductions baha'ies qui ne se distinguent des translitérations habituelles que par la forme des accents pour ce qui est de l'arabe, ce qui pour le persan ne tient compte que la seule graphie en maintenant le système de vocalisation propre à l'alphabet arabe. Pour des raisons tenant aux moyens d'impression, nous avons omis tous les signes diacritiques que les spécialistes n'auront aucun mal à rétablir.



Notes

(1) cf. par exemple l'article de A. Bausani dans l'Encyclopédie de l'Islam, voir également dans la bibliographie générale les articles de M. Momen, J. R. Cole et S. Lambden.

(2) cf. par exemple H. Dreyfus, Essai sur le Baha'isme, Ch. Hakim, Les Baha'is ou victoire sur la violence, Ch. Canuyer, Les Baha'is. Seul l'enquète de deux journalistes français C. Gouvion et Ph. Jouvion, Les Jardiniers de Dieu; A la recontre de cinq millions de Baha'is parrait une enquête relativement libre de tout préjugé. Pour des références plus détaillées voir la bibliographie générale.

(3) Pour la vie de Baha'u'llah on peut se référer à l'ouvrage de base de Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous, ainsi qu'aux deux biographies de Hassan Balyuzi, Baha'u'llah, the Word made Flesh, et Baha'u'llah the king of Glory, qui sont très sérieusement documentées.

(4) Nabil-i-Zarandi, La Chronique de Nabil, p. 101. Nabil-i-Zarandi qui fut le chroniqueur de Baha'u'llah se base sur les souvenir de Mirza Musa, le frère de Baha'u'llah pour nous rapporter ces propos.

(5) cf. Moojan Momen

(6) Baha'u'llah, Le Livre de la Certitude, trad. H. Dreyfus, 4e éd., Paris, 1973.

(7) Les Paroles cachées, éd. 1970, p. 3.

(8) Ibid., p. 5.

(9) E.E.B., CXLIII, p. 291.

(10) cf. La Proclamation de Baha'u'llah, Bruxelles, 1967.

(11) ibid., pp. 31-32.

(12) ibid., p. 109.

(13) ibid., pp. 17-22.

(14) ibid., pp. 79-81.

(15) ibid., p. 91

(16) cf. Baha'u'llah, The Most Holy Book, Haïfa, 1992.

(17) Shoghi Effendi, Dieu passe près de nous.

(18) cf. E. G. Browne, Five Years among the Persians, et H. Balyuzi, Edward Grandville Browne and the Baha'i Faith, Oxford, .

(19) cf. Luigi Stendardo, Tolstoï and the Baha'i Faith, Oxford, 1985.

(20) Kitab-i-badi', Brno, 1992. Il n'existe aucune traduction en langue occidentale de ce livre récemment publié en République Tchéque d'après le facsimilé d'un manuscrit datant de l'époque de Baha'u'llah.

(21) The Kitab-i-Aqdas, Haïfa, 1993.

(22) L'Epitre au fils du loup, trad. H. Dreyfus, Paris, 1913.

(23) E.E.B., I, p. 6.

(24) E.E.B., CLIII, p. 304.

(25) cf. 'Abdu'l-Baha, Makatib, tome I, p. 341.

(26) Baha'u'llah, les Sept vallées, Bruxelles, 1970, p. 27, "...tout ce qui différencie les mondes que le voyageur traverse, tient au voyageur lui-même...". Baha'u'llah compare le chercheur a la lumière qui est blanche mais qui en se réfectant sur divers objets (les mondes) fait apparaitre des couleurs qui dans la réalité ne sont pas des attributs réels des objets mais sont des propriétés de la lumière.

(27) cf. E. Husserl, Idée directrice pour une phénoménologie, trad. P. Ricoeur, Paris, 1950. C'est toute l'oeuvre de Husserl qui est indirectement une introduction à l'herméneutique.

(28) cf. M. Heiddeger, Etre et temps, trad. E. Martineau, Paris, 1985, et Acheminement vers la Parole, Paris, 1976.

(29) cf. H.G. Gadamer, Vérité et méthode, trad. partielle de E. Sacre, Paris, 1959, et L'Art de comprendre, Ecrit I: Herméneutique et tradition philosophique, Paris, 1982; Ecrit II: Herméneutique et champ de l'expérience humaine, Paris, 1991.

(30) cf. P. Ricoeur, Le conflit des interprétations, Essai d'herméneutique, Paris, 1969, et Du texte à l'action, Essai d'herméneutique II, Paris, Seuil, 1986.

(31) Jean Grondin, L'universalité de l'herméneutique, Paris ; 1993, p. 2.

(32) Bernard Dupuy, article "Herméneutique" in Encyclopedia Universalis.

(33) Platon, Le Politique, 260 d 11

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