Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

4. L'amour et l'amitié
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4.1. Le monde de demain sera-t-il meilleur?

Un orchestre devait donner un grand concert clans une ville. La veille du concert l'un des trombonistes se dit:

"Au fond, si je n'y vais pas et si je me fais remplacer par mon concierge tout ira aussi bien que si j'y jouais ma partition; puisqu'on est trois, un tromboniste de moins ou de plus, ça ne changera pas grand chose".

Notre musicien prête donc son uniforme et son trombone à son concierge lui demandant d'occuper sa place le lendemain à côté des deux autres trombonistes; il lui explique qu'il doit attendre que l'orchestre commence à jouer, puis lorsqu'arrivera le tour du trio des trombonistes, qu'il se lève comme les deux autres, qu'il embouche son trombone, mais qu'il n'y souffle pas.

Le lendemain, le brave concierge occupe la place réservée au tromboniste absent, et il attend impatiemment le moment où il doit tenir son rôle. L'orchestre commence à jouer, l'auditoire est captivé, et bientôt arrive le tour du trio des trombonistes. Tous les trois se lèvent, embouchent leur trombone, mais rien ne sort. Pourquoi? Parce que tous les trois étaient des concierges.

Si j'ai raconté cette histoire, c'était pour signaler que nous vivons dans un monde où chacun se demande pourquoi ça ne va pas, sans jamais examiner si lui-même a joué son rôle, accusant toujours les autres et "restant les bras croisés en attendant que les autres commencent" comme le dit Einstein.

Et pourtant, plus l'humanité évolue, plus le rôle de l'individu devient manifeste et déterminant. C'est cela qui explique la situation paradoxale du monde d'aujourd'hui. En effet, d'un côté, nous voyons que les préjugés du passé, préjugés de nation, de religion, de race, de classe, commencent à disparaître; le monde s'achemine vers une collaboration de plus en plus étroite, et l'aide aux pays en voie de développement s'accroît d'année en année.
On s'efforce, autant que possible, de résoudre les problèmes à l'échelon mondial, et, dans l'impossibilité, au moins à l'échelon continental: l'Europe unie tend à s'élargir de plus en plus. Si nous avons aujourd'hui l'eurovision et l'eurochèque, nous pouvons espérer que nous aurons la mondovision, le mondochèque etc... Pour la formation des jeunes "les jeux sans frontières" sont de plus en plus encouragés. Les femmes obtiennent de plus en plus de droits et bien d'autres signes encourageants indiquent que l'humanité s'achemine vers sa maturité.

Mais d'autre part, et paradoxalement, la situation, dans son ensemble, s'aggrave de jour en jour. La criminalité augmente dans des proportions effrayantes.

Ainsi il parait qu'à New-York la Police manque d'effectifs et un journal humoristique américain écrit: "Nous avons eu jusqu'à présent l'habitude d'appeler la police au secours, mais il est temps maintenant que nous allions au secours de la police".

Le relâchement moral inquiète de plus en plus les penseurs de notre siècle. Le même journal écrivait: "Autrefois la liberté sexuelle était réprouvée, puis on l'a tolérée, avec le temps on l'a autorisée, aujourd'hui on l'encourage. Au train où vont les choses, elle sera peut-être un jour obligatoire".

Sur le plan économique, il suffit de considérer les chiffres représentant l'inflation et le chômage pour arriver à cette conclusion, qu'il n'y a pas un seul domaine qui échappe à la crise sans précédent que traverse aujourd'hui notre planète.

En résumé, d'un côté il y a cette crise générale qui s'aggrave de jour en jour, et de l'autre, l'acheminement indéniable de l'humanité vers sa maturité. Situation paradoxale... Comment l'expliquer? Et bien, le paradoxe n'est qu'apparent. En effet, la cause de cette crise est que, d'un côté, l'humanité s'achemine vers sa maturité et que, de l'autre, l'individu continue de croire que son rôle reste le même que celui qui lui était attribué durant l'enfance humaine. Il oublie, que plus une machine est perfectionnée, plus la défaillance de l'un des éléments qui la composent paralyse son fonctionnement.

Si dans une caravane un chamelier ne fait pas son devoir, la caravane continuera sa route et arrivera à destination. Mais si, dans un vaisseau spatial, l'un des membres de l'équipage ne remplit pas son rôle, et, ce qui est plus grave, si c'est le cas pour la majorité des membres de l'équipage, la catastrophe peut-elle être évitée? Or précisément l'humanité d'aujourd'hui devient de plus en plus comparable à l'équipage d'un vaisseau spatial où chaque membre a un rôle à jouer. Et c'est parce que la majorité des membres de cet "équipage" ne remplit pas son devoir que la situation devient de plus en plus critique.

Selon les enseignements baha'is, au stade actuel de l'évolution de l'humanité, l'individu doit, plus que jamais, prendre conscience de ce que, non seulement son destin est entre ses mains, mais qu'il a en plus un rôle à jouer pour orienter le destin de l'humanité. Cette prise de conscience implique la confiance de l'homme en lui-même. Et c'est précisément ce qui manque à l'homme d'aujourd'hui. Le manque de confiance, non seulement paralyse les capacités morales de l'homme, mais également ses capacités physiques.

Un savant anglais a fait cette expérience sur trois soldats. Il s'agissait de serrer avec la main droite la poignée d'un appareil indicateur de force physique. Il a constaté que la puissance moyenne de leur étreinte était de 45 kgs; mais une fois qu'il a mis ces soldats en état d'hypnose, les persuadant de leur faiblesse, la puissance d'étreinte s'est réduite à 15 kgs.

C'est donc le manque de confiance qui a amputé, de ses deux tiers, leur force physique.

Mais ce n'est pas la force physique qui nous intéresse pour le moment. C'est la force morale, cette force qui nous manque avant toute autre chose, et dont l'absence est la cause de notre désespoir.

Une revue chrétienne écrit:

"Le désespoir s'insinue en nous et accable les meilleurs d'entre nous. Toutes nos espérances s'écroulent. Nous sommes engagés dans une voie de destruction, et le péril approche. Il faudrait une force extraordinaire pour nous sortir de cet état de marasme où nous stagnons à présent".

Cette force extraordinaire, selon une expérience longue de 6000 années a toujours été la foi religieuse. Les pages de l'histoire abondent en témoignages illustrant cette vérité; à titre d'exemple, permettez-moi d'en citer un, qui est relativement récent.

Au début de notre siècle vivait à Londres un jeune et élégant Indien. Toujours impeccablement habillé, grand amateur de danse, il jouissait d'un grand succès dans tous les milieux aristocratiques. Et puis, un jour, il s'interrogea sur les valeurs de l'existence, valeurs qu'il ne trouvait pas dans les plaisirs des sens car, se disait-il, les animaux sont sur ce point bien plus heureux que les hommes, étant donné que leurs besoins, comme le logement, le vêtement, la nourriture, sont satisfaits sans grand peine et en tout cas bien plus facilement que les besoins des hommes.

Et ce jeune homme arriva à cette conclusion que la vraie valeur de l'existence est dans le service à rendre à son prochain, à sa famille, à son pays et à l'humanité toute entière; que cette valeur réside dans la défense des droits des opprimés, dans le courage, et en bref, dans toutes ces vertus que l'homme arrive à acquérir grâce à la foi religieuse. La vocation religieuse s'éveilla donc en lui. Confiant en sa force morale, il prit l'engagement de prendre entre ses mains son propre destin et se jura d'apporter sa contribution à l'amélioration du sort de son pays, qui à l'époque se trouvait sous la domination anglaise.

Ce jeune homme à la mode, ce gentleman qui subit une transformation si spontanée c'était Gandhi, le héros de l'indépendance de l'Inde.

Indiscutablement, tout le monde ne peut être Gandhi. Mais n'oublions pas que tout est relatif et que la possibilité de faire l'expérience de cette mutation s'offre à tous sans exiger des capacités exceptionnelles. Ces capacités exceptionnelles sont précisément fonction de la profondeur de cette mutation. L'apôtre Pierre avait une mémoire si faible qu'il partageait le produit de sa pêche en sept parts afin de pouvoir se rappeler, lorsqu'il arrivait à la septième, que c'était le jour du Sabbat. Cet homme grâce à sa foi changea le monde de son époque.

Puisque nous parlons de la foi chrétienne nous sommes en droit de nous demander si cette foi ne suffirait pas pour changer le monde d'aujourd'hui.

Question que se posent également les hindouistes, dont la doctrine de l'amour universel est identique à celle du Christ. A ces questions les baha'is répondent en disant qu'au fond il s'agit toujours de la même foi, mais qui se renouvelle, tout en évoluant, pour satisfaire aux besoins d'une humanité en constante évolution; et chaque fois que cette foi religieuse entre dans un stade nouveau, autrement dit, chaque fois que prend naissance une nouvelle religion, le phénomène s'accompagne d'un certain nombre de signes qui sont ses caractéristiques distinctives. Parmi ces signes nous en citons quelques-uns:

1° - Le fondateur est un Homme qui, bien qu'étant peu instruit, révèle anticipativement des principes et des lois qui régissent l'évolution de l'humanité.

2° - Sa cause triomphe sans recours aux moyens matériels (force militaire, puissance de l'argent, promesse d'avantages matériels etc. ...)

3°- Les gens de toute catégorie (riches et pauvres) renoncent à leur vie plutôt que de rejeter sa cause, devenant ainsi des martyrs pour leur foi.

4°- La nouvelle cause arrive magistralement à unir les peuples. Alors que tous les autres moyens destinés à unir échouent.

Ce ne sont là que quelques signes parmi bien d'autres qui caractérisent chaque stade nouveau de l'évolution religieuse, autrement dit, qui caractérisent une nouvelle religion.

Or la naissance de la foi baha'ie - stade actuel de l'évolution religieuse - est caractérisée par tous ces signes, et c'est la raison pour laquelle les savants matérialistes l'identifient aux "phénomènes chrétien, islamique etc..."

En effet:

1°- Le fondateur de la foi baha'ie, bien que n'ayant pas fréquenté d'école, a révélé, il y a plus de 100 ans, des principes et des lois qui, à l'époque, étaient considérés comme une utopie ou un défi mais qui, aujourd'hui, sont l'esprit même de notre époque.

2°- Bien que ne demandant à ses adeptes que le sacrifice de leurs biens et de leur vie, interdisant le moindre recours à la violence, ne disposant d'aucune ressource financière, et persécuté à outrance par les autorités ecclésiastiques et civiles, elle a triomphé au point qu'actuellement ses institutions sont solidement établies dans presque tous les pays, territoires indépendants et îles.

3°- Le nombre de ses martyrs d'origines religieuses différentes s'élève à plus de 20000.

4°- Elle a uni en son sein des gens de toute race, classe, religion, opinion et nation, réalité attestée par la presse impartiale du monde entier.

Ceci dit, voyons ce que proposent les Écrits baha'is pour changer le monde. Naturellement ils contiennent des lois et des principes complètement nouveaux et qui sont destinés à créer un monde nouveau. Mais ce n'est pas l'exposé de ces lois et principes qui fait l'objet de ma conférence. Laissons cela pour une autre fois et mentionnons ce point capital, sur lequel insistent les Écrits baha'is: c'est qu'il n'y a qu'une seule chose qui peut changer le monde, c'est l'EXEMPLE.

Mais en disant exemple nous n'entendons pas seulement l'exemple sur le plan individuel, mais également sur le plan collectif; et c'est cela qui est nouveau dans la foi baha'ie. En effet l'exemple individuel, nous l'avons eu dans le passé et nous l'avons aujourd'hui, aussi bien parmi les croyants, que parmi ceux qui se disent incroyants. Et malgré cela la situation ne change pas, ce qui prouve que cela ne suffit pas. L'humanité a besoin de l'exemple, du modèle d'une communauté mondiale composée de gens d'origines religieuse, nationale, raciale différentes, mais étroitement unis: un idéal pour l'avenir. Qui dit idéal dit organisation. Car un idéal sans organisation reste un voeu, de même qu'une organisation sans idéal devient une tyrannie.

L'organisation qui a réalisé cet idéal et qui présente au monde un modèle de communauté mondiale unie, c'est l'organisation baha'ie dont je vais maintenant dire un mot.

Selon les enseignements baha'is la foi ne consiste pas seulement à déclarer sa croyance en Dieu et en Son Messager, mais il faut également s'engager à s'intégrer dans la vie communautaire par une participation active aux réunions mensuelles. Grâce à ces réunions, affranchies de tout esprit de classe, on arrive après une année de collaboration, de consultation et d'expériences à discerner ceux qui sont les meilleurs serviteurs de la communauté. Ceux-ci, grâce à des élections par vote secret, pourront ainsi être désignés comme administrateurs de cette communauté. De cette façon les sentiments d'entente et d'unité, que chérit tout membre de la communauté, se trouvent traduits à l'échelon social par la main de ces "serviteurs" devenus "administrateurs" locaux. L'institution groupant ces administrateurs s'appelle Assemblée Spirituelle Locale.

Si nous passons maintenant sur le plan national, nous voyons que ce sont les délégués de chaque communauté qui élisent, parmi les membres de la communauté nationale, les meilleurs "serviteurs" en tant "qu'administrateurs". Une fois de plus, par ce mécanisme, les sentiments d'entente et d'unité qui animent chaque communauté locale se trouvent traduits à l'échelon national et cette fois on obtient un modèle de communauté nationale unie. L'institution groupant ces "administrateurs" nationaux s'appelle Assemblée Spirituelle Nationale. Actuellement ces institutions sont solidement établies et sont reconnues officiellement dans 125 pays.

C'est le même processus qui continue sur le plan mondial; en effet, les membres de ces Assemblées Spirituelles Nationales élisent parmi les résidents baha'is de tous les pays les meilleurs "serviteurs" en tant "qu'administrateurs", et ceux-ci à leur tour traduisent à l'échelon mondial les sentiments d'entente et d'unité animant les différentes communautés nationales. On se trouve ainsi en présence d'une communauté mondiale composée de gens d'origines religieuse et nationale différentes solidement organisée et étroitement unie. L'institution groupant ces administrateurs mondiaux existe actuellement et fonctionne sous le nom de Maison Universelle de justice. On pourrait comparer cette institution à un gouvernement embryonnaire coordonnant les activités de milliers de communautés baha'ies à travers le monde.

C'est ce modèle de communauté harmonieusement unie. fonctionnant à l'échelon local, national et mondial que les baha'is présentent au monde, en tant qu'exemple, sur le plan collectif. Ce qui n'empêche pas que, sur le plan individuel, chaque baha'i s'efforce humblement de fournir l'exemple d'un citoyen du monde au service de l'humanité.

Mais j'entends déjà une première objection:

"Qui dit que cette organisation baha'ie continuera à fonctionner harmonieusement quand l'étendue de ses activités sera bien plus grande que celle qu'elle a aujourd'hui. Un exemple va nous donner la réponse.

Quand on a inventé le train, il était difficile de croire que cette énorme masse puisse avancer sur les rails. Mais on a fait l'expérience à petite échelle, et ayant réussi on en a déduit que, le principe directeur restant le même, l'expérience devait réussir à plus grande échelle, et c'est ce qui s'est justifié dans la pratique.

Il en est de même en ce qui concerne l'expérience baha'ie dont le succès dans l'avenir est garanti sur la base de l'expérience actuelle.

Une deuxième objection qu'on nous fait souvent c'est qu'il faudra beaucoup de temps pour que l'humanité adopte et applique le plan baha'i et que ce processus sera très lent.

A cette objection les baha'is répondent clairement qu'on ne peut pas changer le monde par un coup de baguette magique, que seul Dieu avec Son Plan est en mesure de changer le monde, que tout ce qui vient de Dieu exige beaucoup de temps pour produire son fruit, et que ce processus est toujours lent. juste un exemple. Si nous vivons c'est grâce au soleil, toute notre énergie vient du soleil. Ce sont les rayons du soleil qui une fois assimilés par notre organisme se transforment en énergie. Mais le processus de cette assimilation est très lent . on n'assimile pas les rayons du soleil directement. Un rayon du soleil venant de si loin se pose sur une feuille de canne à sucre. Mystérieusement la plante transforme ce rayon du soleil en sucre. En consommant la canne à sucre on absorbe donc un peu de soleil.

Ce soleil assimilé par les muscles devient énergie. Tout cela ne se fait pas instantanément comme c'est le cas pour un morceau de sucre dont l'ingestion ne produit qu'un effet éphémère: non, car il faut d'abord attendre au moins un an pour que la plante arrive au stade de la maturation où elle pourra enfin transformer le rayon de soleil en sucre. Cela, c'est l'oeuvre de Dieu.

Il en est de même en ce qui concerne la transformation du monde. Là encore c'est le Plan de Dieu qui intervient et le processus est lent. Il faut avoir beaucoup de patience. La patience vient à bout de tout.

Puisqu'on parle de patience, permettez-moi de finir mon exposé par une anecdote qui montre comment la patience garantit le triomphe.

Cette anecdote, on la racontait pendant la dernière guerre.

Réunis au bord d'un étang Churchill, Hitler et Mussolini décident de régler leur différend en faisant un pari afin de savoir qui va gagner la guerre. Le premier qui attrapera l'un des poissons de l'étang, sans employer les moyens utilisés pour la pêche, aura gagné la guerre - propose Churchill. Hitler sort un pistolet et tire plusieurs balles sans atteindre aucun poisson, Mussolini se débarrasse de son uniforme et se jette dans l'étang. Il essaie d'attraper un poisson, mais celui-ci lui glisse dans les mains. Epuisé il revient sur la berge. Churchill prend un verre, le plonge dans l'étang, jette l'eau qu'il contient par dessus son épaule, Puis il recommence son expérience et la continue avec persévérance.

"Que faites-vous?" - lui demandent Hitler et Mussolini "Patience" - dit Churchill. "Je viderai tout l'étang et j'attraperai tous les poissons. Çà sera long mais nous gagnerons la guerre".

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