Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

9. La mesure de l'amour est l'amour sans mesure
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9.3. Le bien le plus précieux (le temps)

Arrivé dans une ville Alexandre le Grand passe par un cimetière, où il voit sur les pierres tombales que l'âge d'aucun des morts ne dépasse pas une dizaine d'années.

Il en demande l'explication à l'un des sages de la ville.

- Pour nous répondit celui-ci, c'est le temps que l'homme consacre à l'acquisition des qualités morales qui compte, et cela ne dépasse pas une dizaine d'années. Autrement le temps consacré à la poursuite des choses matérielles c'est le temps perdu et qui ne compte pas.

Qu'est-ce que les qualités morales?

Nous allons en citer quelques unes.


1° - L'humilité par opposition à l'orgueil.

Si ce que nous faisons n'est pas inspiré par le sentiment d'humilité, mais par l'orgueil c'est du temps perdu.

En effet que veut dire être orgueilleux? C'est s'efforcer de briller aux yeux des autres par des qualités que l'on n'a pas, ou qu'on ne peut pas avoir.

Un tel effort pour montrer l'existence de l'inexistant, un tel effort pour réaliser ce qui n'est pas réalisable n'est il pas du temps perdu?

Le temps nous est donné pour progresser. Quand on est content de soi-même, quand on est orgueilleux, c'est qu'on ne voit pas ses défauts, ses faiblesses. Et lorsqu'on ne voit pas ses défauts ou ses faiblesses, on ne cherche pas à y remédier, on ne progresse pas. On perd son temps.

Par contre, quand on est humble, c'est-à-dire quand on a le sentiment de ses faiblesses on cherche à y remédier, à acquérir de la force, on s'engage sur la voie du progrès.

C'est lorsque j'ai le sentiment que je ne sais pas, que je cherche à savoir. Et dès que je me contente de mon savoir, comme il n'y a pas de limite dans le savoir, je m'arrête donc, je ne progresse pas.

En résumé pour progresser, donc pour ne pas perdre notre temps, nous devons avoir le sentiment de nos faiblesses, autrement dit, nous devons être humbles. Et ceci est vrai aussi bien en science qu'en religion. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle les Écrits baha'is insistent tant sur l'humilité.


2° - Une autre qualité morale c'est la générosité.

Si ce que nous faisons n'est pas inspiré par l'idée de gagner de l'argent afin de le dépenser pour nous-mêmes et pour nos semblables, mais, par contre, pour accumuler des richesses, ces richesses que nous ne prendrons sûrement pas avec nous - mêmes dans le tombeau, c'est du temps perdu. Et c'est de l'argent perdu aussi. Mais c'est surtout le temps qui compte, car le temps perdu, on ne peut pas le retrouver, alors que l'argent perdu, on peut toujours le retrouver.

Ce qui est triste, c'est qu'il en est qui perdent leur temps pour gagner de l'argent, et puis, perdent cet argent pour tuer le temps.

Un autre cas non moins triste, une attitude non moins injuste c'est lorsqu'on dépense sa santé pour gagner de l'argent, et ensuite, on dépense cet argent pour recouvrer la santé. On agit injustement à l'égard de l'argent et à l'égard de sa santé.

Notons que dans le cas de l'accumulation des richesses c'est une double perte de temps.

En effet, d'abord on perd son temps pour avoir une chose qu'on met de côté, ce dont on ne se sert pas, c'est donc du temps perdu. Et puis n'oublions pas que l'accumulation des richesses conduit inévitablement à l'orgueil. Et l'orgueilleux, comme nous l'avons expliqué, perd son temps, parce que content de lui-même, il ne fait aucun effort pour progresser.

Nous arrivons donc à cette conclusion qu'afin de ne pas perdre son temps en gagnant de l'argent, il faut dépenser cet argent pour le bien de tous, il faut être généreux.

Dieu dit:

"La libéralité et la générosité sont mes attributs. Heureux celui qui se pare de mes attributs"("Les Paroles Cachées" de Baha'u'llah. M.E.B. Bruxelles éd. 1977).

Les baha'is s'entraînent à l'acquisition de cette vertu qu'est la générosité, en contribuant volontairement et régulièrement à leurs fonds local, national ou mondial, la gestion de ces fonds étant confiée aux institutions dirigeantes, dont les administrateurs sont élus parmi les meilleurs serviteurs et la communauté.


3° - Une troisième qualité morale c'est la joie qu'on éprouve au bonheur d'autrui, par opposition au chagrin ressenti dans les mêmes conditions, ce qui est appelé l'envie.

Si le succès et le bonheur de notre prochain nous rendent triste, rien que le fait d'y penser, sans même réagir, c'est du temps perdu, et de la santé aussi.

D'abord pourquoi du temps perdu?

Parce qu'en comparant notre situation à celle de notre prochain, tout en éprouvant du chagrin, même si nous avions la capacité d'arriver à sa situation, nous paralysons cette capacité, nous perdons confiance en nous-mêmes, et, par voie de conséquence, nous perdons notre temps ; car ayant agi de la sorte nous avons dressé un obstacle sur le chemin de notre progrès.

Quant à la perte de la santé, il a été démontré scientifiquement que l'envie produit des transformations organiques préjudiciables à notre santé.

On peut même dire que par l'envie, non seulement nous perdons notre temps, notre santé, mais encore notre foi. Car l'envie est un sentiment essentiellement antireligieux, étant donné que le but de la religion c'est de donner de la joie et du bonheur à notre prochain, ce qui est loin d'éprouver du chagrin à la vue du bonheur d'autrui.

Voilà pourquoi Dieu dit("Les Paroles Cachées" de Baha'u'llah - M. E. B. Bruxelles 1977):

"Sache en vérité que le coeur où subsiste la moindre trace d'envie ne pénétrera jamais dans mon empire éternel".

Si on n'a pas d'accès dans l'empire de Dieu c'est qu'on a perdu la foi.


4° - Une quatrième qualité morale c'est la douceur, par opposition à la colère.

Si nous nous abandonnons à la colère nous perdons notre temps car nous perdons de vue la juste solution à adopter devant tout ce qui, à tort ou à raison, nous semble déplaisant.

Ne dit-on pas : La colère est une mauvaise conseillère.

Ou encore : La colère est un grand vent qui étouffe la flamme de l'intelligence.

Ou encore, ce qui n'est pas loin de la vérité: La colère est une courte folie.

En se mettant en colère on perd donc son temps pour perdre la tête. On a tout intérêt à se rappeler cette inscription qu'avait apposée Gandhi sur le mur de sa chambre:

"Quand vous avez raison vous pouvez vous permettre de garder tout votre calme, et quand vous avez tort vous ne pouvez pas vous permettre de le perdre."

Ajoutons à cela les effets néfastes de la colère sur la santé.

Il y a 2000 ans Jésus a dit: "Tout ce que vous mangez dans la colère se transforme en poison dans votre corps". (Évangile. texte araméen)

Baha'u'llah dit:

"L'envie consume le corps et la colère brûle le foie. Evitez-les, comme vous fuyez devant un lion".

Ainsi, le temps, ce bien précieux qui nous est donné, nous le perdons en paralysant notre énergie, notre santé, notre faculté de raisonner et notre dignité, ce qui est non moins grave.

Voilà pourquoi toutes les Écritures nous interdisent la colère.

Que faut-il faire devant une situation qui provoque la colère?

Les baha'is invoquent Dieu. Et ils ont ainsi la solution. C'est une question de foi.

Quant à ceux qui se disent incroyants, qu'ils suivent ce sage conseil de Sénèque:

"Le meilleur remède contre la colère consiste à remettre à plus tard."

Ce qui ne veut pas dire qu'un peu plus tard on se permette de se mettre en colère. Loin de là Sénèque conseille de laisser intervenir ce médecin qui calme la douleur, ce médecin dont le nom est le temps.


5° - Une cinquième qualité morale c'est la retenue judicieuse dans les paroles.

Concernant cette question nous lisons dans les Écrits baha'is:

"Tout ce qu'on sait ne peut être dit ; et tout ce qui peut être dit il n'est pas toujours opportun de le faire ; et tout ce qui pourrait opportunément être dit n'est pas toujours conforme à la capacité des auditeurs".

L'un des facteurs qui intervient dans l'application de cette sagesse est donc le temps. Profitons en pour faire du bien par des silences opportuns, comme le conseille Bouddha.

Ne perdons pas ce bienfaiteur silencieux qui est le temps.


6° - Une sixième qualité morale c'est l'adoration de Dieu par le travail consciencieux.

Je dis bien "l'adoration de Dieu" car selon les enseignements baha'is le travail consciencieux équivaut à l'adoration de Dieu.

Par conséquent faire un travail consciencieux ce n'est pas la poursuite des choses matérielles.

Notons à ce propos qu'on a tort de croire que dans une famille le travail de papa c'est gagner de l'argent pour faire vivre sa femme et ses enfants. Indiscutablement c'est son devoir, mais il a un autre devoir, un autre travail et ce travail il doit le faire à la maison. C'est qu'il s'occupe de l'éducation de ses enfants, c'est qu'il leur donne son temps. C'est qu'il n'agisse pas comme on le fait souvent dans la société moderne d'aujourd'hui.

Installé confortablement devant son poste de T.V. et plongé dans l'admiration du match de football papa se voit "dérangé" par le petit. Pour se débarrasser de lui il lui donne quelques bonbons, mais sans succès. Puis un crayon de couleur, toujours sans succès. "Mais enfin, qu'est-ce que tu veux? lui demande-t-il. "C'est toi que je veux, papa" dit le petit. "Mais je n'ai pas le temps à perdre". Voilà une bien triste réponse que reçoivent les enfants dans beaucoup de familles.


7° - Une septième qualité morale c'est l'esprit de décision, c'est savoir décider et d'agir.

`Abdu'l-Baha dit:

"Pour chaque chose lorsque son temps arrive, sa réalisation, non seulement devient possible mais simple et facile."

Si nous avons le sentiment que ce temps attendu est arrivé, à nous de prendre la décision d'agir et de procéder sans tarder à l'action. Nous n'avons pas le droit de perdre du temps.

Le temps est un dépôt qui nous a été donné, nous n'avons pas le droit de le perdre.

Et le temps c'est le présent. Le présent c'est tout ce dont on dispose. Le passé est à jamais révolu. L'avenir est une notion intellectuelle.

Le célèbre critique anglais Ruskin avait placé sur son bureau un petit bloc en marbre sur lequel il avait fait graver un seul mot. Et ce mot était AUJOURD'HUI.

Aujourd'hui l'humanité traverse une crise, qui, par sa gravité est sans précédent à travers toute l'histoire.

Indiscutablement il y a eu bien d'autres crises, comme celle d'il y a 2500 ans, ou 2000 ans ou 1500 ans. Et chaque fois selon le témoignage des pages de la même histoire, la solution a été apportée par la révélation correspondante: celle de Bouddha il y a 2500 ans pour l'Extrême - Orient, celle de Jésus il y a 2000 ans pour l'Occident, celle de Muhammad il y a 1500 ans pour l'Orient.

Mais ces crises étaient limitées à une région bien déterminée et de plus elles ne présentaient pas la gravité de la crise actuelle. Or aujourd'hui la crise est à l'échelon mondial et présente un caractère vital pour l'humanité.

Il faut donc trouver une solution urgente, une solution sanctionnée par l'expérience universelle. La vérité n'est elle pas ce gui est universellement expérimenté?

Consciemment ou inconsciemment nous cherchons tous cette solution mais ce qui est triste c'est que nous nous disputons sur les mots oubliant la gravité de l'heure.

Marius arrive précipitamment chez le docteur et lui dit:

- Dépêchez-vous, Docteur, ma femme est tombée en sycope.

- Mais voyons, voyons, on ne dit pas sycope, on dit syncope.

- Un cope de plus, un cope de moins, ce n'est pas cela qui sauvera ma femme. Ne perdons pas de temps, Docteur.

Et bien, chers amis, ne perdons pas le temps, cherchons la solution.

N'avons nous pas cette solution dans le même phénomène qui a fait ses preuves à travers toute l'histoire de l'humanité, à savoir la Révélation divine?

Celle d'aujourd'hui n'est elle pas dans la révélation baha'ie qui scientifiquement et historiquement présente les mêmes caractéristiques que les Révélations du passé. N'apporte-t-elle pas, par ses principes et ses lois la solution à tous les maux dont souffre l'humanité?

Si c'est oui, pourquoi alors les gens mettent-ils du temps, comme par le passé, pour appliquer cette solution?

Je dis "comme par le passé", car n'oublions pas que le christianisme a mis trois siècles pour être adopté sur une grande échelle, le judaïsme a mis cinq siècles pour son épanouissement.

En réponse à notre question il faut envisager plusieurs catégories de gens.

La première catégorie des gens (et c'est l'écrasante majorité en Occident) est constituée par ceux qui ont tout sauf le temps pour s'intéresser à la solution de la crise actuelle.

La deuxième catégorie est constituée par les pessimistes qui tout en reconnaissant que le phénomène baha'i est de même nature que le phénomène chrétien, ne l'accepte pas sous prétexte qu'il subira le même sort que le christianisme.

"A quoi bon, disent-ils, l'accepter". Ce qui revient à dire: "A quoi bon manger puisque demain on aura faim". De plus ils oublient que l'homme d'aujourd'hui est adulte par rapport à l'enfant qu'il était hier. Un adulte, une fois qu'il se sert d'un instrument et le trouve bon et utile ne l'abîme pas.

La troisième catégorie de gens est constituée par ceux qui sont encore plus pessimistes. Pour eux l'homme est incorrigible et le monde est condamné à périr. Ce n'est pas la peine de faire quelque chose.

Un tel raisonnement est illogique surtout au stade actuel de l'évolution de l'humanité. Cela reviendrait à supposer qu'un père élève son petit enfant jusqu'à ce qu'il devienne majeur, et une fois qu'il aura atteint l'âge mûr, le père mette fin à ses jours.

Pour un croyant il est certain que Dieu dans sa sagesse infinie n'admette pas l'anéantissement de l'humanité.

Il y a une quatrième catégorie de gens qui tout en acceptant le message baha'i remettent au lendemain leur adhésion. Ils oublient qu'en remettant à plus tard ce qui est facile à faire on le rend difficile, et si la chose est déjà difficile on la rend impossible.

Enfin, il y a une cinquième catégorie de gens. Ce sont ceux qui sont déjà baha'is sans le savoir. Ce sont des lampes allumées mais cachées.

Mais, comme Jésus l'a dit il y a 2000 ans, une lampe allumée reste-t-elle sous le boisseau?

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