LA FOI BAHA'IE
L'émergence d'une religion mondiale
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6. Dieu, ses Manifestations et l'humanité
S'appuyant
sur les enseignements baha'is développés dans le chapitre précédent, le présent
chapitre étudiera plus en profondeur ce que Baha'u'llah a enseigné sur les principales
préoccupations qui reposent au coeur de toute religion : quel est le but de l'existence
humaine d'après la foi baha'ie ? Quelle est la véritable nature de l'homme et
quel rôle la religion joue-t-elle dans son développement spirituel ? Qu'est-ce
que le bien et le mal ? Quelles sont nos responsabilités envers Dieu et quel
est le sens spirituel de la vie ? Et enfin, qu'entend-on réellement par manifestation
de Dieu, et comment ce concept baha'i se rattache-t-il à l'idée de révélation
divine qui nous est familière dans les autres grandes religions ?
6.1. La conception baha'ie de la nature humaine
De nombreuses personnes vivent sans jamais réfléchir sur la vie elle-même ou
sur le sens qu'elle a pour elles. Leur vie peut être très active, ils peuvent
être mariés, avoir des enfants, diriger une entreprise, devenir hommes de science
ou bien musiciens sans jamais avoir le moindre degré de compréhension de la
raison pour laquelle ils font ces choses. Leur vie n'a pas pour but de donner
un sens à des événements séparés, et il se peut qu'ils n'aient pas d'idée précise
sur leur propre nature ou identité, sur qui ils sont vraiment.
Baha'u'llah a enseigné que seule la vraie religion peut donner un sens à notre
existence. S'il n'y avait pas de créateur, si l'homme n'était que le simple
produit du hasard d'un système thermodynamique, comme beaucoup l'affirment aujourd'hui
de par le monde, la vie n'aurait pas de sens. Chaque être humain représenterait
l'existence temporaire et matérielle d'un animal conscient qui essaie de se
mouvoir dans sa brève vie avec autant de plaisir et aussi peu de peines et de
souffrances que possible. Ce n'est que par rapport au Créateur et au but que
ce Créateur a fixé pour ses créatures que l'existence humaine a un sens. Baha'u'llah
a décrit comme suit le dessein de Dieu pour l'humanité :
" Le dessein de Dieu en créant l'homme a été, et sera toujours, de le rendre
capable de connaître son créateur et d'accéder à sa présence. Tous les livres
sacrés et toutes les Saintes Écritures divinement révélées et de grande importance
attestent ce but excellent, cet objectif suprême. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
p. 48.]
La vie devrait être considérée comme un processus éternel de joyeuse découverte
et de croissance spirituelle : au cours des premières étapes de sa vie sur terre,
l'individu passe par une période d'entraînement et d'éducation qui, si elle
est réussie, lui fournira les outils de base intellectuels et spirituels nécessaires
pour poursuivre sa croissance. Lorsqu'une personne parvient, à l'âge adulte,
à la maturité physique, elle devient responsable de ses progrès à venir qui
dépendent désormais entièrement de ses propres efforts. Au travers des luttes
quotidiennes de l'existence matérielle, elle approfondit progressivement sa
compréhension des principes spirituels sous-tendant la réalité, et cette compréhension
lui permet d'avoir de meilleurs rapports avec elle-même, avec les autres et
avec Dieu. Après sa mort physique, l'individu continue à croître et à se développer
dans le monde spirituel qui est plus élevé que le monde physique, de même que
le monde physique est plus élevé que celui que nous connaissons dans les entrailles
de notre mère.
Cette dernière affirmation est basée sur le concept baha'i de l'âme et de la
vie après la mort physique. Selon les enseignements baha'is, notre véritable
nature est spirituelle. Par-delà le corps physique, chaque être humain possède
une âme rationnelle, créée par Dieu. Cette âme est une entité immatérielle,
qui ne dépend pas du corps. Mais c'est ce même corps qui lui sert de support
dans le monde physique. L'âme d'un individu naît au moment de la conception
du corps physique et continue d'exister après la mort de celui-ci. L'âme (aussi
appelée esprit) de l'individu est le siège de sa personnalité, de son moi et
de sa conscience.
L'évolution ou développement de l'âme et de ses aptitudes est le but même de
l'existence humaine. Cette évolution tend vers Dieu, et sa force motrice est
la connaissance de Dieu et notre amour pour Lui. Mieux nous connaissons Dieu,
et plus notre amour pour Lui croît; ce qui nous permet alors de communier plus
intimement avec notre créateur. De même, en nous rapprochant de Dieu, notre
caractère s'affine et nos actions reflètent de plus en plus les attributs et
qualités de Dieu.
Baha'u'llah a enseigné que cette capacité à réfléchir les attributs de Dieu
est la réalité essentielle de l'âme. C'est la signification de la création de
l'espèce humaine à l'image de Dieu. Les qualités divines ne sont pas externes
à l'âme. Elles sont latentes en elle, de même que la couleur, le parfum et la
vitalité d'une fleur sont latents dans la graine. Tout ce dont ces qualités
ont besoin est de se développer. Selon les paroles de Baha'u'llah :
" Sur l'essentielle réalité de chaque chose créée, Il [Dieu] a répandu
la lumière d'un de ses noms; et, de chacune d'elles, Il a fait le récipiendaire
de la gloire d'un de ses attributs. Mais, sur la réalité de l'homme, Il a concentré
l'éclat de tous ses noms et attributs, et Il en a fait le miroir de Lui-même.
Seul entre toutes choses créées, l'homme a été choisi comme objet d'une si grande
faveur et permanente bonté. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
pp. 44-45.]
Les Écrits baha'is font référence à l'évolution progressive ou développement
de l'âme individuelle en tant que progrès spirituel. Par progrès spirituel on
entend l'acquisition de l'aptitude à agir conformément à la volonté de Dieu
et à exprimer les attributs et l'esprit de Dieu dans nos rapports avec nous-mêmes
et avec les autres êtres humains. Baha'u'llah enseigne que notre seul vrai et
durable bonheur repose dans la recherche de notre développement spirituel.
Baha'u'llah appelle chercheur une personne qui a perçu sa nature spirituelle
et qui s'efforce consciemment de progresser spirituellement. Il décrit ainsi
certaines des qualités du véritable chercheur :
" Ce chercheur doit, à tout instant, mettre en Dieu seul toute sa confiance,
renoncer aux peuples de la terre et se détacher de ce monde de poussière pour
s'attacher uniquement à celui qui est le Seigneur des seigneurs. Qu'il ne s'estime
jamais supérieur à qui que ce soit, qu'il efface de la tablette de son coeur
toute trace d'orgueil et de vanité, qu'il pratique fermement la patience et
la résignation, qu'il observe le silence et s'abstienne de tout vain bavardage.
Car la langue est un feu qui couve, et l'abus de paroles est un poison mortel.
Si le feu matériel consume le corps, le feu de la langue dévore à la fois le
coeur et l'âme. Alors que la force du premier ne dure qu'un moment, les effets
du second persistent durant un siècle.
Celui qui cherche vraiment Dieu doit aussi considérer la médisance comme une
grave erreur et s'en garder à jamais, car elle étouffe le feu du coeur et éteint
la vie de l'âme. Il doit se contenter de peu et s'affranchir de tout désir inconsidéré.
Il doit rechercher l'amitié de ceux qui sont détachés des choses de ce monde,
et considérer qu'éviter les vaniteux et les mondains est un précieux bénéfice.
Qu'à l'aube de chaque jour, il communie avec Dieu et persévère de toute son
âme dans la quête de son Bien-Aimé... Que ce qu'il ne désire pas pour lui-même,
il ne le souhaite point aux autres, et qu'il ne promette jamais ce qu'il ne
peut tenir... Qu'il pardonne au pécheur et ne méprise jamais sa condition misérable,
car nul ne sait comment lui-même finira.
Combien souvent il arrive qu'un pécheur atteignant, à son heure dernière, l'essence
même de la foi, se décide finalement à boire à la coupe de l'immortalité et
prenne son envol vers l'assemblée céleste, alors qu'un dévot croyant, à l'heure
fixée pour l'ascension de son âme, tombe au contraire, à la suite d'un changement
radical, dans les derniers degrés de la géhenne. Notre intention, en révélant
ces importantes et convaincantes paroles, est de persuader celui qui cherche
la vérité qu'il doit tenir pour transitoires, voire pour un pur néant, toutes
choses autres que Dieu, objet de toute adoration.
Ces traits constituent quelques-uns des attributs des âmes élevées et sont la
marque distinctive de ceux dont l'esprit s'est porté aux choses spirituelles...
Lorsque le voyageur détaché, le chercheur sincère a rempli ces conditions essentielles
alors, et seulement alors, peut-on dire de lui qu'il est un vrai chercheur de
la vérité. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
pp. 174-175.]
Baha'u'llah a expliqué que le rôle fondamental et spirituel de la religion est
de nous permettre de parvenir à une véritable compréhension de notre propre
nature, de la volonté et du dessein de Dieu pour nous. Les enseignements spirituels
que Dieu nous a envoyés par l'intermédiaire des manifestations servent à nous
guider dans une meilleure compréhension de la dynamique spirituelle de la vie.
Ces principes nous permettent de comprendre les lois spirituelles de l'existence.
De plus, les efforts mêmes que nous devons faire pour nous conformer aux enseignements
de la manifestation servent à développer notre potentiel spirituel. En nous
efforçant par exemple de nous débarrasser de nos préjugés et superstitions pour
mettre en pratique les enseignements de Baha'u'llah, il en résulte une connaissance
accrue des autres êtres humains et davantage d'amour, ce qui aide à son tour
l'individu à vivre sa vie plus efficacement.
Baha'u'llah a souligné que, sans la venue des manifestations et leur révélation
des lois et enseignements de Dieu, nous ne pourrions grandir et nous développer
spirituellement. Le sens spirituel de la vie nous demeurerait caché même si
nous nous efforcions sincèrement de le découvrir. C'est pourquoi la religion
révélée est considérée par les baha'is comme la clef nécessaire à une vie spirituelle
réussie.
Parlant des manifestations et de leur influence sur le développement spirituel
de l'humanité, Baha'u'llah nous dit :
" Par les enseignements de l'Étoile du matin de vérité [c'est-à-dire la manifestation],
tout homme progressera et se développera jusqu'à ce qu'il parvienne à ce stade
où il pourra manifester toutes les forces potentielles dont son être intime
et véritable a été doté. C'est à cette fin même que, en tout âge et dans chaque
dispensation, les prophètes de Dieu et ses élus ont paru parmi les hommes et
ont montré un pouvoir tel qu'il ne pouvait venir que de Dieu, et une puissance
telle, que seul l'Éternel pouvait la révéler. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
p. 46.]
Étant donné que la religion a une dimension sociale, les baha'is pensent que
se retirer du monde et de tout contact avec la société et avec les autres êtres
humains n'est pas normalement nécessaire ni n'aide à la croissance spirituelle
(bien qu'un retrait temporaire de temps à autre puisse être légitime et sain).
Parce que nous sommes des êtres sociaux, c'est en vivant avec les autres que
nous progresserons véritablement. En réalité, une association intime avec les
autres dans un esprit d'amour, de service et de coopération est indispensable
au processus de la croissance spirituelle.
Baha'u'llah a rattaché le dessein que Dieu a désiré pour l'humanité aux deux
aspects de la religion, le spirituel et le social :
" Dieu, en envoyant aux hommes ses prophètes, a un double objectif. Il se propose
d'abord de libérer les enfants des hommes des ténèbres de l'ignorance, de les
guider vers la lumière de la vraie compréhension, et d'assurer ensuite la paix
et la tranquillité de l'humanité en lui fournissant tous les moyens par lesquels
celles-ci peuvent être établies. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
p. 54.]
En d'autres termes, le développement social de l'humanité, s'il se fait correctement,
devrait être l'expression collective de son développement spirituel :
" Tous les hommes ont été créés pour travailler à l'établissement d'une civilisation
en constant progrès. Le Tout-Puissant m'en rend témoignage : il est indigne
de l'homme d'agir ainsi que le font les bêtes des champs. Les vertus qui conviennent
à sa dignité sont la tolérance, la miséricorde, la compassion et une tendre
bonté à l'égard de tous les peuples et de toutes les tribus de la terre. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
p. 141.]
En ce qui concerne l'âme ou l'esprit de l'homme et sa relation au corps physique,
Baha'u'llah a expliqué :
" Sache que l'âme humaine est exaltée au-dessus des infirmités du corps et de
l'intelligence, et en est indépendante. Le fait qu'une personne malade donne
des signes de faiblesse est dû aux obstacles que la maladie interpose entre
son âme et son corps, car les indispositions de celui-ci ne sauraient aucunement
affecter celle-là... Elle n'en montrera pas moins, lorsqu'elle quittera le corps,
une puissance et une influence qu'aucune force terrestre ne saurait égaler...
Considère le soleil qu'obscurcissent les nuages. Vois comme sa splendeur paraît
avoir diminué, alors qu'en réalité la source de cette lumière n'a rien perdu
de sa force. L'âme de l'homme devrait être comparée à ce soleil, et toutes choses
sur la terre considérées comme son corps. Tant que ne s'interpose entre eux
aucun obstacle extérieur, le corps reflète dans son intégralité, la lumière
de l'âme dont la puissance le maintient en vie. Mais, aussitôt qu'un voile les
sépare, l'éclat de la lumière semble diminuer... L'âme de l'homme est le soleil
dont son corps est illuminé et duquel il tire sa subsistance, et c'est ainsi
qu'elle devrait être considérée. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah ,
p. 102.]
Non seulement l'âme continue de vivre après la mort physique du corps humain,
mais elle est, en fait, immortelle. Baha'u'llah a écrit :
" Sache en vérité que l'âme, après avoir été séparée du corps, continue de progresser
dans un état et dans des conditions que ne sauraient changer ni les révolutions
des âges et des siècles ni les hasards et vicissitudes de ce monde, jusqu'à
ce qu'elle accède à la présence de Dieu. Elle durera aussi longtemps que dureront
le royaume de Dieu, sa souveraineté, son empire et sa puissance. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah 'llah,
p. 103.]
À propos de l'immortalité de l'âme humaine, 'Abdu'l-Baha a expliqué que, dans
la création, chaque chose composée d'éléments est sujette à la décomposition
:
" L'âme n'est pas une combinaison d'éléments, elle n'est pas composée d'une
multitude d'atomes, mais d'une substance une et indivisible, et par conséquent
elle est éternelle. Elle est totalement extérieure à l'ordre de la création
physique; elle est immortelle. "
[Nota:
Les causeries d'Abdu'l-Baha à Paris ,
p. 78.]
Baha'u'llah nous enseigne que les êtres humains n'ont aucune existence avant
leur vie sur terre, pas plus que leur âme ne renaît plusieurs fois dans différents
corps. En fait, il a expliqué que l'évolution de l'âme se fait toujours vers
Dieu et s'éloigne du monde matériel. Un être humain passe neuf mois dans l'utérus
de sa mère pour se préparer à entrer dans ce monde physique. Pendant ces neuf
mois, le foetus acquiert les outils physiques (c'est-à-dire les yeux, les membres,
etc.) nécessaires à son existence en ce monde. De même, ce monde physique est
semblable au monde utérin et nous prépare à entrer dans le monde spirituel.
Le temps que nous passons sur terre est donc une période de préparation au cours
de laquelle nous acquérons les outils spirituels et intellectuels nécessaires
à la vie dans l'autre monde.
Il y a cependant une différence capitale : si le développement physique dans
les entrailles de la mère est involontaire, le développement spirituel et intellectuel
dans ce monde dépendent uniquement de l'effort conscient individuel :
" Le Créateur incomparable a tiré tous les hommes d'une même substance et a
exalté leur réalité au-dessus de toutes ses autres créatures. Succès ou échec,
gain ou perte dépendent, en conséquence, de leurs propres efforts. Plus grands
seront ces efforts, et plus ils progresseront. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 55.]
Les Écrits baha'is parlent souvent de la bonté ou grâce de Dieu envers l'humanité,
mais expliquent qu'une réponse humaine appropriée est toujours nécessaire pour
que la grâce et la miséricorde de Dieu pénètrent l'âme de l'homme et la changent
véritablement :
" Jamais la grâce divine, quelle que soit sa mesure, ne pourra être pleinement
efficace et d'un profit réel et durable si elle n'est complétée par un effort
personnel, soutenu et intelligent. "
[Nota: Shoghi Effendi, cité dans The Concept of Spirituality, de William
Hatcher, p. 9.]
Ainsi, selon la conception baha'ie, le salut n'est pas seulement un don de Dieu
à sens unique, mais plutôt un dialogue, une collaboration initiée par Dieu mais
nécessitant une participation humaine vigoureuse et intelligente.
Notre nature première étant spirituelle, nos potentialités sont principalement
celles de l'âme. En d'autres termes, notre personnalité, nos facultés de base
intellectuelles et spirituelles résident dans l'âme, même si elles s'expriment
par l'intermédiaire du corps pendant la courte durée de sa vie sur terre.
Certaines des facultés que Baha'u'llah a intitulées les facultés de l'âme sont
:
- l'esprit qui représente notre capacité pour une pensée rationnelle et une
recherche intellectuelle;
- la volonté qui représente notre capacité pour des initiatives personnelles;
et
- le coeur, ou capacité pour l'amour conscient, délibéré et désintéressé (parfois
appelé altruisme).
Ces facultés sont propres à l'espèce humaine. L'animal et les autres formes
de vie ne possèdent pas d'âme rationnelle. La vie de l'animal exprime une certaine
forme d'intelligence et de sensibilité, mais n'exprime ni la conscience ni l'"
autoconscience " des humains. Les animaux agissent nécessairement d'une certaine
manière, en fonction des instincts qui font partie de leur structure physique,
mais n'ont pas la capacité de pensée consciente ni de recherche rationnelle
ni la volonté qui caractérisent l'être humain. L'animal n'a pas un sens conscient
du but de son existence.
La foi baha'ie enseigne cependant que l'apparence physique de l'espèce humaine
a véritablement évolué progressivement, passant d'un état moins élevé à un état
plus élevé pour atteindre sa forme humaine actuelle. La terre a été la matrice
de la formation de la race humaine, tout comme les entrailles de la mère sont
la matrice de la formation de l'être humain. Suivant les propres mots de 'Abdu'l-Baha
:
" ... l'homme, au début de son existence et dans les entrailles de la terre,
tout comme l'embryon dans les entrailles de sa mère, a grandi progressivement
et s'est développé, est passé d'une forme à une autre, jusqu'à ce qu'il apparaisse
avec sa beauté et sa perfection actuelle, sa force et sa puissance. Il est certain
qu'au début il ne possédait pas cette beauté, cette grâce et cette élégance,
et que ce n'est que par étapes qu'il est parvenu à cette forme, cette beauté
et cette grâce. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
XLIX.]
'Abdu'l-Baha a néanmoins souligné que, au cours de ce long processus de l'évolution
physique, la race humaine avait toujours été une espèce différente de l'espèce
animale:
" ... l'embryon passe par différentes étapes et de nombreux degrés ... jusqu'à
ce qu'apparaissent les signes de la raison et de la maturité. Et, de la même
manière, l'existence de l'homme sur terre, depuis son origine et jusqu'à ce
qu'elle atteigne cet état, cette forme et cette condition, a duré nécessairement
longtemps et est passée par différents degrés... Mais, depuis le début de son
existence, l'homme est une espèce distincte. Ainsi, l'embryon de l'homme dans
l'utérus de sa mère possède au départ une forme étrange; puis son corps passe
d'une forme à une autre, d'un stade à un autre jusqu'à ce qu'il apparaisse dans
toute sa beauté et sa perfection. Mais même lorsqu'il était dans l'utérus de
sa mère et qu'il avait cette forme étrange, si différente de sa forme et de
sa silhouette actuelles, il était l'embryon de l'espèce supérieure, et non de
l'animal; son espèce et son essence ne subissent aucun changement. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
XLIX.]
Aussi, même sous les formes les moins nobles de leur existence physique, lorsqu'ils
ressemblaient d'une certaine manière à l'animal, les humains appartenaient à
une espèce physique différente et supérieure et se distinguaient par l'existence
d'une âme rationnelle immatérielle qui, ainsi qu'expliqué précédemment, est
propre à l'espèce humaine.
Cependant, l'organisme humain est composé d'éléments et fonctionne selon les
mêmes principes physiologiques que ceux de l'animal. Au cours de notre vie sur
terre, nous sommes sujets aux mêmes désirs physiques et aux mêmes souffrances
que l'animal : la faim, les besoins sexuels, la crainte, la douleur, la colère,
la maladie physique ou mentale, etc. Ceci fait naître en nous une tension créatrice
: nos besoins et désirs physiques nous poussent parfois à agir comme des animaux,
tandis que notre nature spirituelle nous entraîne vers des buts très différents.
Baha'u'llah explique que cette lutte pour contrôler nos désirs physiques et
pour les canaliser de manière créative fait nécessairement partie de notre processus
de croissance. C'est en harmonisant nos natures physique et spirituelle que
nous parviendrons à la plénitude.
Si nous ne faisons pas l'effort d'adapter nos ressources physiques à notre nature
spirituelle, nous risquons d'être dominés par nos passions physiques. Nous pouvons
devenir les esclaves de l'un ou l'autre de nos appétits et perdre ainsi une
grande partie de notre capacité à agir en accord avec notre nature spirituelle.
Par exemple une personne, qui se drogue à la morphine ou à l'alcool, n'est pas
vraiment capable de développer ses facultés spirituelles tant qu'elle ne s'est
pas libérée de cette entrave. De même, que se consacrer intensément à des recherches
purement matérielles, risque de nous faire perdre aussi l'énergie et le temps
nécessaire au développement de notre nature spirituelle essentielle.
À la différence d'un certain nombre d'autres doctrines religieuses, la foi baha'ie
n'enseigne pas que les désirs physiques sont néfastes ou mauvais. Chaque chose
dans la création de Dieu est considérée comme essentiellement et fondamentalement
bonne. En fait, l'objectif même du corps humain et de ses facultés physiques
est de servir de véhicule approprié au développement de l'âme. Alors que les
énergies du corps sont progressivement amenées à être consciemment contrôlées
par l'âme, elles deviennent les instruments de l'expression des qualités spirituelles.
Ce ne sont que les passions physiques non contrôlées qui peuvent être source
de mal ou un empêchement au progrès spirituel.
Le besoin sexuel de l'homme par exemple est considéré comme un don de Dieu.
Son expression contrôlée à l'intérieur des liens légitimes du mariage peut être
la forte expression de la qualité spirituelle qu'est l'amour. Cependant ce même
désir sexuel, s'il est mal utilisé, peut conduire à des actions perverses, inutiles,
voire destructrices.
Le corps étant le véhicule de l'âme rationnelle dans cette vie terrestre, il
est important de l'entretenir et de le soigner. Baha'u'llah a fortement découragé
toute forme d'ascétisme ou d'abnégation extrême de soi. Il a mis l'accent sur
des disciplines saines. Les Écrits baha'is contiennent un certain nombre de
lois pratiques relatives à l'entretien du corps humain : une nourriture correcte,
des bains réguliers et ainsi de suite. Le principe de modération vient souligner
tout cela, comme il vient souligner de nombreux autres aspects des croyances
baha'ies : toute chose qui peut être bénéfique si elle est utilisée avec modération
peut devenir nuisible lorsqu'elle est poussée à l'extrême.
Les Écrits baha'is reconnaissent explicitement que certains facteurs physiques
incontrôlables par l'individu, tels que faiblesses génétiques ou malnutrition
pendant l'enfance, peuvent avoir un effet sur notre développement au cours de
notre vie sur terre. Mais ces influences matérielles ne sont pas permanentes
et n'ont pas le pouvoir en elles-mêmes de nuire à l'âme. Elles peuvent tout
au plus retarder temporairement le processus de croissance spirituelle, quoique
même cet effet-là puisse être ensuite compensé par une accélération du développement.
En fait, les Écrits baha'is expliquent que cette lutte courageuse et déterminée
de l'individu contre ces handicaps physiques, émotionnels et mentaux induit
souvent un important développement de la croissance spirituelle, l'individu
pouvant même en arriver à considérer ces handicaps comme des bénédictions déguisées
qui l'ont finalement aidé à croître spirituellement. Par conséquent, le fait
d'admettre que les conditions physiques peuvent affecter temporairement, mais
de manière significative, le processus de croissance spirituelle est loin de
la croyance propre à de nombreux philosophes matérialistes selon laquelle nous
sommes totalement déterminés par la combinaison de différents facteurs physiques
génétiques et acquis :
" ... le mouvement est indispensable à toute forme d'existence. Toute chose
matérielle progresse jusqu'à un certain point puis commence à décliner. C'est
la loi qui gouverne la création physique tout entière... Mais, en ce qui concerne
l'âme de l'homme, il n'y a aucun déclin. Son seul mouvement s'effectue vers
la perfection; l'âme ne fait que croître et progresser...
Le monde mortel est un monde de contradictions, de contraires; le mouvement
étant obligatoire, toute chose doit soit progresser, soit reculer. Dans le royaume
de l'esprit il n'y a pas de recul possible, tout mouvement doit nécessairement
aller dans le sens de la perfection. "
[Nota:
Les causeries d'Abdu'l-Baha à Paris,
p. 76. Il y a cependant des limites inhérentes au développement spirituel humain,
que ce soit dans ce monde ou dans le suivant. Les Écrits baha'is affirment que
l'homme peut s'approcher de l'état de perfection absolue mais ne peut jamais
l'atteindre. Se référer à ce qui suit, en particulier au passage des Écrits
baha'is cités à la note 32 de ce chapitre.]
Ce thème de la croissance au travers de la lutte et de la souffrance se rencontre
à différents endroits des Écrits baha'is. Bien que la plupart de nos souffrances
soient le résultat d'une vie insouciante, et par conséquent évitables, une certaine
dose de souffrance est nécessaire au processus de croissance. En fait, nous
comprenons et acceptons l'idée que la souffrance et le sacrifice soient des
composantes essentielles au succès matériel ou spirituel. Nous ne devrions par
conséquent pas être surpris du fait que l'effort encore plus important que nécessite
la croissance spirituelle puisse lui aussi requérir ces mêmes éléments :
" Toute chose importante ici-bas requiert l'attention toute particulière de
celui qui la recherche. Quiconque poursuit un but doit surmonter toutes sortes
de difficultés et de tribulations pour atteindre son objectif et parvenir au
succès. Il en est ainsi pour les choses de ce monde. Combien plus vrai en est-il
donc pour tout ce qui concerne l'assemblée céleste. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
L'art divin de vivre,
p. 92.]
Ce qui nous amène au concept baha'i du rapport qui existe entre le bien et le
mal chez l'homme. 'Abdu'l-Baha le décrit ainsi :
" Dans la création, le mal n'existe pas; tout est bon. Des qualités ou des dispositions
innées chez certaines personnes, et apparemment blâmables, ne le sont pas en
réalité. Ainsi, dès le début de sa vie, on peut clairement remarquer chez un
nourrisson des signes d'avidité, de colère et de mauvaise humeur. On pourrait
dire alors que le bien et le mal sont innés à la réalité de l'homme, et que
ceci est contraire à la pure bonté de la nature et de la création. La réponse
à ceci est que l'avidité, qui consiste à vouloir d'avantage, est une qualité
louable à condition qu'elle soit correctement utilisée. Qu'un homme soit avide
d'acquérir les sciences et le savoir ou de devenir clément, généreux et juste,
cela est très louable. S'il exerce sa colère et sa fureur contre des tyrans
sanguinaires semblables à des bêtes féroces, cela aussi est très louable; mais,
s'il n'utilise pas ces qualités dans un but noble, elles sont répréhensibles...
Il en est de même pour toutes les qualités naturelles de l'homme, qui constituent
le capital de la vie; si elles sont développées et utilisées incorrectement,
elles deviennent condamnables. Il est par conséquent clair que la création est
purement bonne. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
p. 221.]
La foi baha'ie n'accepte donc pas le concept de péché originel ou d'une quelconque
doctrine qui considère que les gens sont foncièrement mauvais et possèdent intrinsèquement
de mauvais éléments dans leur nature. Toutes les forces et les facultés qui
nous sont inhérentes nous ont été données par Dieu et sont, par conséquent,
potentiellement bénéfiques à notre développement spirituel. De la même manière
les enseignements baha'is nient l'existence de Satan, être diabolique ou force
du mal. Le mal, explique-t-on, est l'absence du bien; l'obscurité est l'absence
de lumière, le froid l'absence de chaleur.
[Nota: Baha'u'llah a expliqué que les références faites à Satan dans les
Écrits des précédentes religions étaient symboliques et ne devaient pas être
prises à la lettre. Satan est la personnification de notre nature inférieure
qui peut nous détruire si nous ne l'harmonisons pas avec notre nature spirituelle.
Il existe en fait un problème philosophique bien connu concernant la bonté de
Dieu, sa toute-puissance et l'existence possible d'un Satan. Ce problème est
traité dans le détail à la fois dans les Écrits de Baha'u'llah et dans ceux
de 'Abdu'l-Baha .De la même manière, le ciel et l'enfer, nous dit Baha'u'llah,
ne sont pas des lieux réels. Ils symbolisent plutôt des états psychologiques
et spirituels de rapprochement ou d'éloignement de Dieu. Le ciel est la conséquence
naturelle du progrès spirituel, tandis que l'enfer représente l'échec face à
la progression spirituelle.]
De même que le soleil est l'unique source de toute vie dans le système solaire,
de même il n'existe fondamentalement qu'une seule force ou pouvoir dans l'univers,
cette force que nous appelons Dieu.
Cependant si une personne, par son libre arbitre accordé par Dieu, décide de
se détourner de cette force ou ne fournit pas l'effort nécessaire pour développer
ses capacités spirituelles, elle ne pourra aller que dans le sens de l'imperfection.
À la fois en elle-même et dans la société, il existera ce que l'on peut appeler
des points obscurs. Ces points obscurs sont les imperfections, et 'Abdu'l-Baha
a dit que le mal est l'imperfection.
Si un tigre tue et mange un autre animal, ce n'est pas le mal, car c'est l'expression
de l'instinct naturel du tigre pour sa survie. Mais si une personne tue et mange
un autre être humain, cet acte, bien qu'identique, peut être considéré comme
mauvais, car elle est capable d'agir autrement. Un tel acte n'est pas l'expression
de sa véritable nature.
En tant que créatures relativement peu développées, nous possédons certains
besoins intrinsèques qui ont besoin d'être satisfaits. Ces besoins sont en partie
physiques et tangibles et en partie spirituels et intangibles. C'est Dieu qui
nous a créés ainsi et nous a placés dans cette situation. Et, parce qu'Il nous
aime véritablement, Il a pourvu à la satisfaction légitime de tous nos besoins.
Mais si, par simple ignorance ou de propos délibéré, nous essayons de satisfaire
certains de nos besoins de manière illégitime ou malsaine, nous risquons alors
d'altérer notre véritable nature et de nous créer de nouveaux appétits incapables
d'être véritablement satisfaits :
" ... il y a deux sortes d'aptitudes : l'aptitude naturelle et l'aptitude acquise.
La première, qui est la création de Dieu, est purement bonne - dans la création
de Dieu, le mal n'existe pas; mais l'aptitude acquise est devenue la cause de
l'apparition du mal. Par exemple, Dieu a créé les hommes de telle façon et leur
a donné une constitution et des capacités telles que le miel et le sucre leur
profitent, alors que le poison les rend malades et les détruit. Cette nature
et cette constitution sont innées, et Dieu les a accordées pareillement à toute
l'humanité. Mais, petit à petit, l'homme commence à s'habituer au poison en
en prenant chaque jour d'infimes quantités qu'il augmente progressivement, jusqu'au
jour où il en est arrivé à tel point qu'il ne peut vivre sans son gramme d'opium
quotidien. Ses capacités naturelles sont ainsi complètement perverties. Voyez
comme les aptitudes et capacités naturelles peuvent être modifiées au point
d'être tout à fait dénaturées par une accoutumance et des habitudes différentes.
On ne reproche pas aux corrompus leur nature et leurs aptitudes innées mais
plutôt leur nature et leurs aptitudes acquises. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
pp. 220-221.]
Baha'u'llah a dit que l'orgueil, ou égocentrisme, était l'une des plus grandes
entraves au progrès spirituel. L'orgueil est la conscience exagérée que l'on
a de sa propre importance dans l'univers et conduit à un comportement de supériorité
vis-à-vis des autres. Une personne orgueilleuse a le sentiment qu'elle doit
exercer un contrôle absolu sur sa vie et sur les événements qui l'entourent
et cherche à diriger et dominer les autres parce qu'un tel pouvoir l'aide à
maintenir cette illusion de supériorité. Aussi l'orgueil est-il une entrave
au progrès spirituel, parce qu'il impose à l'individu orgueilleux une quête
sans fin pour parvenir à la réalisation de ses propres concepts, vainement conçus
et illusoires.
En d'autres termes, la clef menant à la compréhension de la morale et de l'éthique
baha'ies se trouve dans la notion baha'ie du progrès spirituel : tout ce qui
mène au progrès spirituel est bon et tout ce qui tend à y mettre un frein est
nuisible. D'un point de vue baha'i, apprendre à distinguer ce qui est bon de
ce qui est mal (ou ce qui est vrai de ce qui est faux) signifie donc parvenir
à un degré de connaissance de soi qui nous permette de distinguer ce qui peut
aider à notre croissance spirituelle de ce qui la freine.
[Nota: Baha'u'llah a dit à ce propos : ... l'homme devrait connaître sa propre
réalité et faire la différence entre ce qui lui permet de s'élever et ce qui
le rabaisse, ce qui l'honore et ce qui le couvre de honte. (Baha'u'llah, Baha'i
World Faith, p. 167.) . Et cette connaissance ne peut être acquise qu'au travers
des enseignements des manifestations.]
Baha'u'llah a souligné à plusieurs reprises que seule la religion révélée peut
nous sauver de nos imperfections. C'est parce que Dieu nous a envoyé ses manifestations
pour nous montrer le chemin du développement spirituel et pour toucher nos coeurs
avec l'esprit de l'amour de Dieu, que nous sommes capables de réaliser notre
vrai potentiel et de faire l'effort nécessaire pour être unis à Dieu. Là est
le salut qu'apporte la religion. Il ne nous lave pas de la souillure de quelque
péché originel ni ne nous protège de quelque force maléfique externe ou du mal.
Il nous délivre plutôt de la captivité de notre propre nature inférieure - une
captivité qui engendre le désespoir individuel et fait peser une menace de destruction
sociale - et nous indique le chemin d'un bonheur profond et satisfaisant.
En fait, la raison essentielle d'un tel manque de bonheur et des terribles conflits
et crises sociales dans le monde aujourd'hui est que l'humanité s'est détournée
de la vraie religion et des principes spirituels. Le seul salut, quelle que
soit l'époque, pensent les baha'is, est de se tourner vers Dieu, d'accepter
sa manifestation pour ce jour et de suivre ses enseignements. Baha'u'llah a
souligné que si nous réfléchissons profondément aux conditions de notre existence,
nous ne pouvons que réaliser et admettre qu'en termes absolus, nous ne possédons
rien. Tout ce que nous sommes ou avons - notre corps physique et notre âme rationnelle
- tout provient de notre créateur. Dieu nous ayant spontanément tant donné,
nous Lui sommes à notre tour redevables. Baha'u'llah a déclaré que nous avons
deux devoirs principaux envers Dieu :
" Le premier devoir que Dieu a prescrit à ses serviteurs est de reconnaître
celui qui est l'Aurore de sa révélation, la Fontaine de ses lois, et qui représente
la Divinité, à la fois dans le royaume de sa cause et dans le monde de la création
[c'est-à-dire la manifestation]... À tous ceux qui atteignent ce rang
le plus sublime, cette cime de gloire transcendante, il convient d'observer
chaque ordonnance de celui qui est le Désir du monde. Ces devoirs jumeaux sont
inséparables. L'un sans l'autre est inacceptable. "
[Nota: Baha'u'llah,
Le Kitab-i-Aqdas,
p. 21, § 1.]
Dans un autre passage, Baha'u'llah rappelle à ses disciples que les devoirs
prescrits par Dieu n'ont pour objet que notre bien : Dieu Lui-même n'a besoin
ni de notre adoration ni de notre obéissance, car Il se suffit entièrement à
Lui-même et est indépendant de toute sa création. Nous pouvons par conséquent
être certains que tout ce que Dieu fait n'est motivé que par son amour pour
nous. Il n'y a aucun intérêt personnel de la part de Dieu :
" Le devoir que tu [Dieu] as prescrit à tes serviteurs d'exalter à l'infini
ta majesté et ta gloire n'est qu'un gage de ta grâce à leur endroit, afin qu'ils
soient capables d'accéder à l'état accordé à leur réalité véritable, l'état
de connaissance d'eux-mêmes. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 6.]
Nous fournir un terrain d'entraînement, telle est la raison d'être spirituelle
de notre vie sur terre; notre vie est une période de croissance au cours de
laquelle nous nous concentrons sur le développement de nos capacités spirituelles
et intellectuelles innées. Parce que ces capacités sont des facultés de notre
âme immortelle, elles sont éternelles, et nous devons nous efforcer de les développer.
De tels efforts valent la peine, car l'âme est la seule partie de nous qui soit
durable. Tout ce qui favorise notre développement spirituel est bon, tout ce
qui y met un frein, néfaste.
Dieu nous a envoyé les manifestations pour nous enseigner les vrais principes
qui gouvernent notre nature spirituelle. Afin de nous développer positivement,
nous devons nous tourner vers la religion révélée et accepter les enseignements
des manifestations. Il résulte de ce processus de croissance que l'individu
est capable de mieux refléter les attributs de Dieu et de se rapprocher de Lui.
En même temps, les principes sociaux enseignés par les manifestations, s'ils
sont véritablement appliqués, aident à créer un milieu social favorable au processus
de croissance spirituelle. Créer un tel milieu est, d'un point de vue spirituel,
le but même de la société.
Baha'u'llah nous a proposés un très haut niveau de moralité et nous a encouragés
à nous efforcer de tout notre être de l'atteindre. Dieu nous a fait don du libre
arbitre et nous sommes, en fin de compte, responsables de nos actes devant Dieu.
Dieu est juste et ne nous demande pas de faire plus que ce dont nous sommes
capables. Dans le même temps, Dieu est miséricordieux et pardonnera toujours,
à une âme qui les regrette sincèrement, ses erreurs et ses méfaits passés.
Dans un passage poétique, Baha'u'llah décrit ainsi la moralité individuelle
et encourage ses disciples à la suivre :
" Sois généreux dans la prospérité, et dans l'adversité ne cesse de rendre grâces.
Mérite la confiance de ton voisin et ne lui montre jamais qu'un visage amical
et souriant. Sois le trésor du pauvre, admoneste le riche, réponds à la plainte
du nécessiteux et garde la sainteté de tes promesses. Sois équitable en ton
jugement et réservé dans tes paroles. Ne sois injuste envers personne, et montre
à tous une douceur parfaite. Sois une lampe pour ceux qui marchent dans les
ténèbres, une consolation pour les affligés, une mer pour les assoiffés, un
havre pour ceux qui sont dans la détresse, un soutien et un défenseur des victimes
de l'oppression. Que la droiture et l'intégrité marquent tous tes actes. Sois
un foyer pour les étrangers, un baume pour ceux qui souffrent, une forteresse
pour les fugitifs. Sois des yeux pour les aveugles, un phare pour les égarés.
Sois une parure pour le visage de la vérité, une couronne sur le front de la
fidélité, un pilier du temple de la rectitude, un souffle de vie pour le corps
de l'humanité, un drapeau des armées de la justice, un flambeau qui brille à
l'horizon de la vertu, une rosée pour le sol desséché du coeur humain, une arche
sur l'océan de la connaissance, un soleil dans le ciel de la bonté, une gemme
au diadème de la sagesse, une lumière qui brille au firmament de ta génération,
un fruit de l'arbre d'humilité. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
pp. 187-188.]
6.2. Les manifestations
Ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, les enseignements baha'is avancent
que la force motrice de tout développement humain est la venue des manifestations
ou prophètes de Dieu. On peut difficilement ne pas être d'accord sur le fait
que l'histoire de l'humanité ait été fortement influencée par les fondateurs
des grandes religions du monde. L'impact considérable qu'ont eu Jésus-Christ,
Bouddha, Moïse ou Mohammed sur la civilisation se remarque non seulement dans
les formes culturelles et les systèmes de valeur qui se sont dégagés de leurs
travaux et de leurs enseignements, mais se reflète aussi dans les conséquences
qu'a eu sur l'humanité l'exemple de leur vie. Même ceux qui n'ont été ni leurs
croyants ni leurs disciples reconnaissent l'influence profonde de ces personnages
sur la vie individuelle et collective de l'humanité.
La réalisation de l'impact extraordinaire de ces fondateurs des grandes religions
sur l'histoire de l'humanité conduit naturellement à poser la question philosophique
de leur nature exacte. C'est l'une des questions les plus controversables de
la philosophie des religions, et de nombreuses réponses très différentes ont
été données. D'un côté on considère que ces fondateurs religieux ont été des
philosophes humains ou de grands penseurs qui sont peut-être allés plus loin
ou ont étudié plus profondément que les autres philosophes de leur temps. D'un
autre côté on a déclaré qu'ils étaient Dieu ou l'incarnation de Dieu. Il existe
également une multitude de théories qui se situent quelque part entre ces deux
extrêmes.
[Nota: Un débat objectif sur cette question fondamentale concernant la nature
de ces êtres auxquels les baha'is font référence en tant que manifestations
de Dieu est rendu plus difficile encore par la fidélité à la tradition. Les
disciples orthodoxes de chacune des manifestations ont eu tendance à développer
l'unicité ou la supériorité du fondateur de leur foi. De nombreux chrétiens
par exemple considèrent Jésus-Christ comme l'incarnation de Dieu, pensent que
Moïse lui est, d'une certaine manière, inférieur et tiennent Mohammed pour un
imposteur. Une majorité de juifs orthodoxes voient en Moïse la révélation de
Dieu aux hommes et pensent que Jésus-Christ était un faux prophète. Les musulmans
considèrent Moïse et Jésus-Christ comme de véritables prophètes, mais une grande
majorité d'entre eux rejettent Bouddha et les fondateurs des autres grandes
religions. Pour eux, Mohammed était le dernier prophète envoyé par Dieu aux
hommes, et la révélation divine s'est terminée avec le Qur'an.]
Il n'est donc pas surprenant que les Écrits baha'is traitent largement du sujet
qui touche de si près le coeur même de la religion. L'un des principaux ouvrages
de Baha'u'llah, le Kitab-i-Iqan ou Le Livre de la certitude, expose de manière
assez détaillée le concept baha'i de la nature des manifestations de Dieu.
Selon Baha'u'llah, toutes les manifestations de Dieu ont la même nature métaphysique
et la même stature spirituelle. Il existe entre elles une égalité absolue. Aucune
d'entre elles n'est supérieure à une autre. Parlant des manifestations, il écrit
:
" Ces miroirs sanctifiés, ces aurores de l'Ancienne gloire sont, tous sans exception,
les représentants sur la terre de celui qui est l'Orbe central de l'univers,
son Essence et sa Fin dernière. De Lui procèdent leur science et leur puissance;
de Lui découle leur souveraineté... Par la révélation de ces gemmes de la vertu
divine, tous les noms et attributs de Dieu, tels que savoir et pouvoir, souveraineté
et puissance, miséricorde et sagesse, gloire, grâce et bonté, sont rendus manifestes.
Ces attributs de Dieu ne sont et n'ont jamais été accordés à certains prophètes
à l'exclusion d'autres... Que tel attribut de Dieu n'ait pas été extérieurement
manifesté par ces Essences de détachement n'implique nullement que ceux qui
sont les aurores des attributs de Dieu et les dépositaires de ses saints noms
ne le possédaient pas. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
pp. 33-34. Pour plus de détails, voir The Concept of manifestation in the Baha'i
Writings, de Juan R.Cole.]
Ainsi qu'il a été mentionné dans l'exposé sur le principe de l'unité des religions
au chapitre 5.3, Baha'u'llah a expliqué que les différences qui existent entre
les enseignements des diverses manifestations de Dieu ne sont pas dues à une
quelconque différence de stature ou d'importance, mais seulement aux capacités
et besoins divers des civilisations dans lesquelles elles sont apparues:
" Ces ... puissants systèmes procèdent d'une même source et sont les rayons
d'une seule lumière. Le fait qu'ils diffèrent les uns des autres doit être attribué
à la diversité des besoins que présentaient les époques au cours desquelles
ils furent promulgués. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 189.]
En des termes très forts, il avisa les peuples de ce que les différences dans
les enseignements et les personnalités des manifestations n'impliquaient pas
une différence de stature :
" Prenez garde, ô croyants en l'unité de Dieu, d'être tenté de différencier
les manifestations de sa cause ou d'établir une discrimination entre les signes
qui ont accompagné et proclamé leur révélation. C'est, en vérité, le sens réel
de l'unité divine... Soyez assurés, de plus, que les oeuvres et les actes de
chacune de ces manifestations de Dieu ... sont tous ordonnés par Dieu et reflètent
sa volonté et son dessein. Quiconque établit la moindre différence entre leur
personnalité, leurs paroles, leurs messages, leurs actes et leurs façons d'agir
a, en vérité, refusé de croire en Dieu, renié ses signes et trahi la cause de
ses messagers. "
[Nota: Baha'u'llah, Baha'i World Faith, pp. 27-28.]
Toutefois, la doctrine baha'ie de l'unicité des manifestations ne signifie pas
que la même et unique âme soit réapparue dans différents corps physiques. Moïse,
Jésus-Christ, Mohammed et Baha'u'llah étaient des personnalités différentes,
des réalités individuelles séparées. Leur unicité réside dans le fait qu'elles
ont toutes manifesté et révélé les qualités et attributs de Dieu à un même degré
: l'esprit de Dieu qui a habité chacune d'elles était identique à celui qui
a habité les autres.
Baha'u'llah a utilisé une analogie pour expliquer le rapport existant entre
les différentes manifestations et entre chacune de ces manifestations et Dieu.
Dans cette analogie, Dieu est comparé au soleil parce qu'il est l'unique source
de vie de l'univers, tout comme le soleil physique est l'unique source de vie
physique sur terre. L'esprit et les attributs de Dieu sont les rayons de ce
soleil et chacune des manifestations, un miroir parfait. Si plusieurs miroirs
sont tournés vers le même soleil, cet unique soleil sera réfléchi dans chacun
des miroirs. Cependant, chacun des miroirs est différent, et chacun possède
sa propre forme, distincte des autres.
De la même manière, chacune des manifestations est une entité distincte, mais
l'esprit et les attributs de Dieu réfléchis dans chacune d'elles sont les mêmes.
[Nota: L'analogie du soleil et des miroirs nous permet de comprendre l'interprétation
baha'ie de la notion traditionnelle de retour ou réapparition des précédentes
manifestations. On retrouve le thème du retour dans les Écrits saints de toutes
les grandes religions, souvent caché derrière un langage très symbolique. Les
lecteurs occidentaux seront particulièrement familiers avec l'attente chrétienne
du retour ou seconde venue du Christ qui se base sur certains versets de l'Ancien
et du Nouveau Testament dans la Bible. Baha'u'llah explique que le retour auquel
il est fait allusion dans les précédents Écrits saints, est le retour des attributs
et de l'esprit de Dieu dans le miroir d'une autre manifestation, et non le retour
du même être : Il est clair et évident ... que tous les prophètes sont les temples
de la cause de Dieu apparus sous des aspects différents. Si tu observes avec
discernement, tu reconnaîtras qu'ils habitent tous le même tabernacle, qu'ils
planent dans le même ciel, qu'ils siègent sur le même trône, qu'ils parlent
le même langage et proclament la même foi... En conséquence, si l'une de ces
manifestations de sainteté proclamait : " Je suis le retour de tous les prophètes
", elle dirait sans aucun doute la vérité. De même, dans chaque révélation qui
suit, le retour de la révélation précédente est un fait dont la vérité est fermement
établie... (
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 36). C'est de cette manière que les baha'is considèrent que la manifestation
de Baha'u'llah réalise la promesse du retour du Christ, bien que Baha'u'llah
et Jésus aient des âmes distinctes et par conséquent des personnalités humaines
distinctes.]
Les manifestations représentent un degré d'existence intermédiaire entre Dieu
et l'humanité. De même que l'humain est supérieur à l'animal parce qu'il possède
certaines qualités que l'animal ne possède pas (celles de son âme immatérielle
par exemple), de même les manifestations possèdent des qualités qui font défaut
à l'homme ordinaire. Ce n'est pas une différence de degré, mais plutôt une différence
d'espèce qui distingue une manifestation des autres êtres humains. Les manifestations
ne sont pas simplement de grands penseurs humains ou des philosophes qui possèdent
une compréhension ou une connaissance supérieure aux autres. Elles sont, par
leur nature même, supérieures à ceux qui ne possèdent pas une telle capacité.
Il a été relevé ci-dessus que les êtres humains avaient une double nature :
le corps physique qui se compose d'éléments et fonctionne selon les mêmes principes
que le corps animal; et l'âme humaine immatérielle, rationnelle et immortelle.
Les manifestations, nous enseigne Baha'u'llah, possèdent elles aussi ces deux
natures, mais elles possèdent en plus une troisième nature propre à leur condition
: la capacité de recevoir la révélation divine et de la transmettre infailliblement
à l'humanité.
" Sachez que, bien qu'elles aient des degrés de perfections infinies, les saintes
manifestations n'ont, d'une manière générale, que trois états. Le premier est
l'état physique, le deuxième, l'état humain qui est celui de l'âme rationnelle
et le troisième, celui de l'apparence divine et de la splendeur céleste.
L'état physique est contingent; il se compose d'éléments, et tout ce qui est
composé est inévitablement sujet à la décomposition... Le second est l'état
de l'âme rationnelle qui est la réalité humaine. Il est lui aussi contingent
et, de ce point de vue, les saintes manifestations partagent le sort de toute
l'humanité... L'esprit de l'homme a un commencement mais n'a pas de fin; il
dure éternellement... Le troisième état est celui de l'apparence divine et de
la splendeur céleste : c'est le Verbe de Dieu, la Bonté éternelle, l'Esprit
saint. Il n'a ni commencement ni fin..., la réalité d'un prophète, qui est le
Verbe de Dieu et l'état parfait de manifestation, n'a pas eu de commencement
et n'aura pas de fin; son apparition est différente de toutes les autres et
est comparable au lever du soleil. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
p. 158.]
'Abdu'l-Baha a expliqué que même l'âme individuelle de la manifestation est
différente de celle de l'homme ordinaire :
" Mais la réalité individuelle des manifestations de Dieu est une réalité sainte
et, pour cette raison, elle est pure et distincte de toute autre chose en ce
qui concerne sa nature et sa qualité. Elle est semblable au soleil qui, en raison
de sa nature même, produit de la lumière et ne peut être comparé à la lune...
Ainsi, les autres réalités humaines sont ces âmes qui, tout comme la lune, prennent
leur lumière du soleil; mais cette réalité sainte est lumineuse par elle-même.
"
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
p. 161.]
La manifestation n'est donc pas simplement une personne ordinaire que Dieu a
choisie à un certain moment de sa vie naturelle pour être son messager. Bien
au contraire, la manifestation est un être particulier, ayant une relation unique
avec Dieu et envoyée par Lui, depuis le monde spirituel, pour être l'instrument
de la révélation divine. Bien que l'âme humaine de la manifestation ait pris
naissance en ce monde, elle existait néanmoins dans le monde spirituel avant
sa naissance physique. Les âmes immortelles des hommes ordinaires n'ont, elles,
aucune préexistence semblable; elles naissent au moment de la conception. Sur
la préexistence de l'âme des manifestations, Shoghi Effendi dit :
" Les prophètes, contrairement à nous, sont préexistants. L'âme du Christ existait
dans le monde spirituel avant sa naissance dans ce monde. Nous ne pouvons imaginer
à quoi ressemble ce monde là, et les mots ne parviennent donc pas à décrire
son état en tant qu'être. "
[Nota: Shoghi Effendi, High Endeavours, Messages to Alaska, p. 71.]
La manifestation a, depuis sa tendre enfance, la conscience de sa réalité et
de son identité, bien qu'elle puisse ne pas enseigner et instruire ouvertement
les autres avant un âge avancé. Puisqu'elles sont les réceptacles directs de
la révélation divine, les manifestations ont une connaissance absolue des réalités
de la vie. Ce savoir inné, divinement révélé, leur permet seul de formuler des
enseignements et des lois qui correspondent aux besoins et aux conditions de
l'humanité à un moment donné de l'histoire :
" Étant donné que les saintes réalités, les suprêmes manifestations de Dieu
enveloppent l'essence et les qualités des créatures, transcendent et contiennent
les réalités existantes et comprennent toutes choses, leur savoir est le savoir
divin et non pas un savoir acquis - c'est donc une sainte bénédiction, une révélation
divine..., les suprêmes manifestations de Dieu sont conscientes de la réalité
des mystères des êtres. Elles établissent par conséquent des lois qui sont adaptées
et conviennent à l'état de l'humanité, car la religion est le lien essentiel
qui procède de la réalité des choses..., les suprêmes manifestations de Dieu
... comprennent ce lien essentiel et, par cette connaissance, établissent la
loi de Dieu. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
pp. 164-165. Ce passage fait apparaître clairement que les lois de Dieu sont
inhérentes à la structure de la réalité : la manifestation comprend ces lois,
mais ne les a pas créées. L'homme peut, par conséquent, découvrir certaines
de ces lois par lui-même, mais les Écrits baha'is soulignent à d'autres endroits
que l'homme se détruirait lui-même s'il n'était pas guidé (c'est-à-dire sans
révélation divine) dans leurs découvertes.]
Aucun homme ne peut devenir une manifestation de Dieu. Chaque âme, individuellement,
est capable d'être touchée par l'Esprit de Dieu et peut, par conséquent, progresser
spirituellement, comme cela a été expliqué précédemment. Mais la manifestation
reste à un niveau élevé au-delà de ce que même le plus parfait des hommes est
capable d'atteindre.
Pour développer l'analogie du miroir, les âmes des êtres humains ordinaires
peuvent être comparées à des miroirs mais, à la différence des manifestations,
ils sont imparfaits. En d'autres termes, chaque être humain peut réfléchir les
attributs de Dieu, mais seulement d'une manière imparfaite et limitée. Pour
l'être humain ordinaire, le progrès spirituel implique qu'il doit parfaire,
purifier, polir le miroir de l'âme afin qu'il réfléchisse plus clairement encore
les attributs de Dieu. Dans différents passages, Baha'u'llah a explicitement
utilisé l'exemple de la purification du miroir en tant qu'analogie pour le progrès
spirituel. Cette analogie souligne le fait que nous avons été créés imparfaits,
avec toutefois un potentiel illimité pour la perfection, tandis que la manifestation
est déjà un être parfait.
Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha ont enseigné qu'il n'y avait aucun autre degré d'existence
consciente que les trois degrés décrits précédemment : les êtres humains, les
manifestations et Dieu. Il n'y a aucune hiérarchie de démons, anges et archanges.
Dans la mesure où ces termes ont une quelconque signification, ils sont considérés
comme symboliques des différentes étapes du développement de l'humain, l'imperfection
étant démoniaque et la spiritualité angélique. Les manifestations sont déjà
dans l'état de perfection, tandis que les autres hommes sont potentiellement
parfaits dans ce sens que chaque âme renferme le potentiel nécessaire pour réfléchir
les attributs de son créateur. Cet ultime état de perfection pour nous, ainsi
que l'explique 'Abdu'l-Baha , est un état de servitude absolue envers Dieu :
" Sache que les différents états de l'existence sont limités aux états de servitude,
de prophète et de divinité, alors que les perfections divines et contingentes
sont illimitées... Et, de même que les perfections divines sont infinies, ainsi
sont les perfections humaines. S'il était possible d'atteindre la limite de
la perfection, l'une des réalités des êtres pourrait devenir indépendante de
Dieu, et le contingent parviendrait à l'état de l'absolu. Mais il existe pour
chaque être un point qu'il ne peut dépasser..., celui qui est inhérent à l'état
de servitude, aussi loin qu'il puisse progresser dans l'acquisition de perfections
infinies, il n'atteindra jamais l'état de divinité... Pierre ne peut pas devenir
le Christ. Tout ce qu'il peut faire, dans l'état de servitude, c'est d'acquérir
des perfections infinies... "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
p. 235-236.]
Cependant, étant capable d'entrer en communion avec Dieu, nous sommes aussi
capables d'inspiration. Les Écrits baha'is font la distinction entre l'inspiration
et la révélation. La révélation est cette perception directe et infaillible
du Verbe créateur de Dieu qui n'est accessible qu'aux manifestations, qui la
retransmettent à l'humanité. L'inspiration est la perception indirecte et relative
de la vérité spirituelle, accessible à toute âme humaine. Elle naît du contexte
de la vie spirituelle d'une culture influencée par une manifestation de Dieu.
N'importe quel humain peut être inspiré par l'Esprit de Dieu. Mais l'expérience
de l'inspiration nous est accessible parce que l'Esprit de Dieu nous est retransmis
par l'intermédiaire des manifestations. En résumé : l'inspiration dépend de
la révélation.
Baha'u'llah explique que Dieu, par sa volonté, choisit parfois des gens ordinaires
comme prophètes et les inspire pour jouer un certain rôle dans les affaires
de l'humanité. Parmi ces exemples, on peut citer les prophètes hébreux Isaïe
et Jérémie. D'autres encore ont été inspirés en tant que visionnaires ou saints.
Cependant, les prophètes mêmes sont loin de la station des manifestations qui
transmettent à l'humanité la révélation infaillible de Dieu. On se réfère à
eux sous le nom de prophètes mineurs ou prophètes secondaires dans les Écrits
baha'is. Lorsque cette terminologie est utilisée, les manifestations sont appelées
prophètes universels ou indépendants :
" D'une façon générale, il y a deux sortes de prophètes : les uns sont des prophètes
indépendants qui ont leurs disciples; les autres ne sont pas indépendants et
sont eux-mêmes disciples.
Les prophètes indépendants apportent des lois et fondent un nouveau cycle...
Ils reçoivent, sans passer par un intermédiaire, la bonté de la Réalité divine,
et leur spiritualité est une spiritualité essentielle. Ils sont comme le soleil
qui est lumineux par lui-même... Les autres prophètes sont des disciples et
des promoteurs, ce sont des branches et, par conséquent, ils ne sont pas indépendants;
ils reçoivent la bonté des prophètes indépendants et bénéficient de la lumière
de direction des prophètes universels. Ils sont semblables à la lune qui n'est
ni lumineuse ni rayonnante par elle-même mais reçoit du soleil sa lumière. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
p. 170.]
Aussi les baha'is considèrent-ils les philosophes, les réformateurs, les saints,
les mystiques et les fondateurs de mouvements humanitaires comme des personnes
ordinaires. Ils peuvent, dans de nombreux cas, avoir été inspirés par Dieu.
La révélation cependant est le propre des seules manifestations, c'est la force
génératrice profonde de tout progrès humain.
6.3. Le concept baha'i de Dieu
Quel est donc ce Dieu révélé par cette succession de manifestations ? Selon
les enseignements baha'is, Dieu transcende sa création à un tel point que, de
toute éternité, nous ne serons jamais capables de formuler de Lui une image
claire ou de parvenir à quoi que ce soit, si ce n'est à une appréciation infime
de sa nature supérieure. Même lorsque nous disons que Dieu est le Tout-Puissant,
le Très-Aimant, l'Infiniment Juste, nous n'utilisons que des termes dérivés
d'une expérience humaine très limitée de puissance, d'amour et de justice. En
fait, notre connaissance de toutes choses est limitée par notre connaissance
de ces attributs et qualités perceptibles à nous seuls :
" Sache qu'il y a deux sortes de connaissances : la connaissance de l'essence
d'une chose et la connaissance de ses qualités. L'essence d'une chose est connue
à travers ses qualités; autrement elle demeure inconnue et cachée.
Étant donné que notre connaissance des choses, même des choses créées et limitées,
est la connaissance de leurs qualités et non de leur essence, comment serait-il
possible de comprendre dans son essence la Réalité divine qui est illimitée
...? Connaître Dieu signifie par conséquent comprendre et connaître ses attributs
et non sa réalité. Et cette connaissance des attributs est aussi proportionnelle
à la capacité et au pouvoir de l'homme; elle n'est pas absolue. "
[Nota: 'Abdu'l-Baha ,
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
pp. 225-226.]
Ainsi pour les êtres humains, la connaissance de Dieu signifie la connaissance
des attributs et qualités de Dieu, et non une connaissance directe de son essence.
Mais comment pouvons-nous parvenir à la connaissance des attributs de Dieu ?
Baha'u'llah a écrit que toute chose dans la création est l'oeuvre de Dieu et
réfléchit par conséquent une parcelle de ses attributs. Par exemple, même dans
la structure intime d'une roche ou du cristal, on peut observer l'ordre de la
création de Dieu. Et plus cet objet est raffiné, plus il est capable de réfléchir
les attributs de Dieu. La manifestation étant la forme de création la plus élevée
que nous connaissions, la manifestation nous fournit la connaissance la plus
complète de Dieu que nous puissions avoir :
" Tout ce qui est dans les cieux et sur la terre porte en soi la preuve directe
des attributs et noms de Dieu, puisque, en tout atome sont enchâssés des signes
qui portent un éloquent témoignage, de la révélation de cette très grande lumière...
Mais cela est surtout vrai de l'homme et à un degré suprême... Car en lui sont
virtuellement révélés, à un degré qu'aucune autre chose créée ne saurait surpasser
ni atteindre, tous les attributs et les noms de Dieu... Et, de tous les hommes,
les plus parfaits, les plus éminents et les meilleurs sont les manifestations
du Soleil de Vérité. Bien mieux, ce n'est que par l'opération de la volonté
de ces manifestations et par l'effusion de leur grâce, que tous les autres vivent
et se meuvent. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
pp. 117-118.]
Bien qu'une roche ou un arbre nous révèle quelque chose des subtilités de son
créateur, seul un être conscient tel que l'humain peut adopter les attributs
de Dieu dans sa vie et dans ses actes. Étant donné que les manifestations se
trouvent déjà au stade de la perfection, c'est dans leur vie que l'on peut le
plus parfaitement saisir le sens profond des attributs de Dieu. Dieu n'est pas
limité à un corps physique, et par conséquent nous ne pouvons le voir directement
ni observer sa personnalité. C'est donc, en fait, en connaissant les manifestations
que nous nous approchons le plus de la connaissance de Dieu :
" Sache, à n'en point douter, que l'Invisible ne peut en aucune façon incarner
son Essence et la révéler aux hommes. Il est, et restera toujours, infiniment
exalté au-dessus de tout ce qui peut être perçu et exprimé... Celui qui, de
toute éternité, est resté caché aux yeux des hommes ne peut être connu que par
sa manifestation, et sa manifestation ne peut apporter de plus grande preuve
de la vérité de sa mission que la preuve qu'en apporte sa personne elle-même.
"
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 34.]
Et dans un autre passage semblable :
" La porte de la connaissance de l'Éternel a toujours été, et restera à jamais,
fermée aux hommes. Aucune intelligence humaine n'accédera jamais en sa sainte
cour. Toutefois, en gage de sa miséricorde et en signe de sa tendre bonté, Il
a manifesté aux hommes les Astres du jour de sa direction divine, les symboles
de sa divine unité et Il a voulu, que le savoir de ces êtres sanctifiés soit
identique à son propre savoir. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 34.]
Bien sûr, seuls ceux qui vivent durant la vie de la manifestation ont la possibilité
de l'observer directement. C'est pour cette raison, explique Baha'u'llah, que
les écrits et les paroles de chaque manifestation servent de lien essentiel
entre les individus et Dieu. Pour les baha'is, la parole de la manifestation
est le Verbe de Dieu, et c'est vers ce Verbe que les individus peuvent se tourner
quotidiennement afin de se rapprocher de Dieu et de mieux le connaître. Le Verbe
écrit de Dieu est l'instrument qui crée une conscience de la présence de Dieu
dans notre vie quotidienne :
" Dis : La preuve première et principale de sa vérité est sa propre personne.
Vient ensuite sa révélation. Et, pour ceux qui ne reconnaissent ni l'une ni
l'autre, il reste les paroles qu'il a révélées comme preuve de sa réalité et
de sa vérité... Il a doté toute âme de la capacité de reconnaître les signes
de Dieu. "
[Nota:
Extraits des Ecrits de Baha'u'llah,
p. 70.]
C'est pour cette raison que la discipline de la prière quotidienne, de la méditation
et de l'étude des Écrits saints constitue une part importante de la pratique
spirituelle individuelle des baha'is. Ils estiment que cette discipline est
l'un des principaux moyens de se rapprocher de leur créateur.
Résumons-nous : la conception baha'ie de Dieu est que son essence est éternellement
transcendante, mais que ses attributs et qualités sont immanents aux manifestations.
[Nota: À ce propos, Shoghi Effendi dit de la manifestation de Baha'u'llah
qu'elle était l'incarnation complète des noms et des attributs de Dieu. (Voir
L'Ordre mondial de Baha'u'llah,
p. 108.) .]
Notre connaissance de toute chose étant limitée par notre connaissance des attributs
perceptibles de chaque chose, la connaissance des manifestations est (pour les
simples humains) équivalente à la connaissance de Dieu.
[Nota: Dans le même esprit, 'Abdu'l-Baha a dit : La connaissance de la réalité
divine est impossible et inaccessible, mais la connaissance des manifestations
de Dieu est la connaissance de Dieu, car les bontés, les splendeurs et les attributs
divins sont manifestés en elles. Donc, si l'homme parvient à connaître les manifestations
de Dieu, il parviendra à la connaissance de Dieu. S'il néglige de connaître
les saintes manifestations, il sera privé de la connaissance de Dieu. (
Les leçons de Saint-Jean d'Acre,
p. 227.).]
En termes concrets, cette connaissance s'acquiert par l'étude, la prière, la
méditation et une application pratique de ce que le Verbe de Dieu nous révèle
(c'est-à-dire les Saintes Écritures des manifestations).