Dans la gloire du Père

Chapitre 1 à 8

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1. Ascendance de Baha'u'llah


Photo: Mirza Abbas, connu sous le titre de Mirza Buzurg, Vazir-i-Nuri, le père de Baha'u'llah.

Baha'u'llah descend des monarques préislamiques iraniens. Sa famille est originaire d'une région, au bord de la mer Caspienne, protégée par les hauts sommets de la chaîne de l'Alborz et dont les habitants, pendant de longues années après la victoire des armées arabes, continuèrent de défier l'envahisseur, refusant le nouvel ordre social et la nouvelle religion qu'il apportait. Lorsque finalement ils s'inclinèrent devant l'inévitable, ce n'est pas au système accepté par la majorité des musulmans et représenté par le califat de Bagdad qu'ils se plièrent mais au chiisme de la variété zaydi. Les siècles suivants virent fleurir un certain nombre de dynasties et de petits royaumes qui protégeaient leur autonomie dans les profondeurs des épaisses forêts des rives de la mer Caspienne et l'immensité des montagnes.

Curieusement, lorsque Shah Isma'il unifia l'Iran par son allégeance aux Imams apostoliques de la famille du prophète, Aqa Rustam-i-Ruzafzun, le dernier de ces fiers potentats, refusa de reconnaître son autorité et choisit le parti de Muhammad Khan-i-Shaybani (aussi connu sous le nom de Shaybak Khan), le chef ouzbek et sunnite de la Transoxiane qui chercha à contrecarrer les ambitions safavides. Mais le destin en décida autrement, Shaybak Khan fut battu et perdit la vie. On raconte que lorsqu'un partisan de Shah Isma'il jeta sur ses genoux la main coupée du chef ouzbek, Aqa Rustam en mourut de frayeur.

On peut faire remonter la généalogie de Baha'u'llah jusqu'à Yazdigird III, le dernier monarque sassanide à occuper le trône iranien. Le principal de l'école zoroastrienne de Yazd, Ustad Javanmard, posa sept questions à Baha'u'llah dont la dernière concernait ses ancêtres. Les réponses se trouvent dans l'épître Shir-Mard (Homme-lion), du titre donné à son destinataire par Baha'u'llah, épître connue aussi sous le titre Lawh-i-Haft-Pursish. A la septième question, Baha'u'llah répondit en faisant référence à la généalogie élaborée par Mirza Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani. Des années plus tard, en 1320 de l'hégire (10 avril 1902-30 mars 1903), Aqa Khusraw Biman, d'origine zoroastrienne aussi, visitant la Terre sainte demanda à des baha'is résidents* des informations sur les ancêtres de Baha'u'llah. Cette demande fut présentée à 'Abdu'l-Baha qui, lui aussi, les renvoya à Mirza Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani qui visitait alors les États-Unis. La réponse de ce dernier à Aqa Khusraw Biman fut plus tard publiée à Bombay dans une brochure.

* [nota: Dans la brochure publiée à Bombay, ils les nomment : Zaynu'l-Muqarrabin, Aqa Muhammad-Riday-i-Qannad et Mirza Mahmud-i-Kashani.]

Mirza Abu'l-Fadl, nommé par le Gardien de la foi baha'ie sur la liste des dix-neuf "Apôtres de Baha'u'llah", était un homme d'une érudition rare, toujours inégalée parmi les disciples de Baha'u'llah aussi bien d'Orient que d'Occident. Dans sa réponse à Aqa Khusraw Biman, il explique comment son intérêt pour la généalogie de Baha'u'llah s'est éveillé et comment ses recherches le conduisirent à Yazdigird III, dernier des monarques sassanides d'Iran. Mais il indique ensuite que ce travail, mentionné par Baha'u'llah au maître d'école de Yazd, fut perdu, début 1883, à Téhéran, lors de son arrestation avec d'autres baha'is sur ordre de Kamran Mirza, le Nayibu's-Saltanih, fils de Nasiri'd-Din Shah.

Mirza Abu'l-Fadl écrit qu'au cours de ses recherches, il fut particulièrement impressionné par le fait que Rida-Quli Khan-i-Hidayat*, connu pour être un critique sévère et même un commentateur hostile de la foi baha'ie, avait admis dans son ouvrage Nizhad-Namih (Le livre de généalogie) que les Nuri de Mazandéran descendaient de Chosroes Ier, célèbre roi sassanide surnommé 'Adil (le Juste). De plus, Haji Mirza Rida-Quli, un demi-frère de Baha'u'llah, affirma catégoriquement à Mirza Abu'l-Fadl que les Nuri possédaient un arbre généalogique de leur famille qui remontait jusqu'à Yazdigird, le Sassanide.

* [nota: Appelé Amiru'sh-Shu'ara', l'Émir des Poètes, il était aussi historien, auteur du supplément de Rawdatu's-Safa de Mirkhund. Voir E.G. Browne A Literary History of Persia, vol IV et H.M. Balyuzi The Bab pages 141, 142.]

Le père de Baha'u'llah s'appelait Mirza 'Abbas-i-Nuri, fils de Mirza Rida-Quli Big* du village de Takur, district de Nur, province de Mazandéran. Mirza 'Abbas devint célèbre sous le nom de Mirza Buzurg-i-Vazir (Mirza Bozorg, le vizir)*. Voici comment: Un jour, on montra à Fath-'Ali Shah (1797-1834) une calligraphie de Mir 'Imad, célèbre calligraphe. Émerveillé par la beauté de ce chef-d'oeuvre, Fath-'Ali Shah se demanda si quelqu'un d'autre pourrait arriver à cette excellence. Hasan-'Ali Mirza, le Shuja'u's-Saltanih, sixième fils du chah cita le nom de Mirza 'Abbas-i-Nuri. On alla le chercher, on lui montra l'oeuvre de Mir 'Imad et on le mit au défi d'en produire une semblable. Mirza 'Abbas-i-Nuri copia d'abord le chef-d'oeuvre de Mir 'Imad puis, après cet exercice, il dessina sa propre calligraphie, les fit décorer et encadrer d'une manière digne et les présenta au chah. L'admiration de Fath-'Ali Shah fut sans borne. Un décret royal accorda à Mirza 'Abbas le titre de Mirza Buzurg et lui offrit un manteau d'honneur, c'est-à-dire un manteau que le monarque lui-même avait porté. De plus, le chah exempta les habitants du village de Takur de toute taxe. Quelques années plus tard, Mirza Buzurg fut nommé vizir de Imam-Virdi Mirza, douzième fils de Fath-'Ali Shah qui était aussi le Ilkhani (chef des clans) de la tribu Qadjar à laquelle la famille royale appartenait.

* [nota: Le père de Mirza Rida-Quli Big s'appelait aussi Mirza 'Abbas, fils de Haji Muhammad-Rida Big, fils de Aqa Muhammad-'Ali, fils de Aqa Fakhr, fils de Shahriyar-Hasan.]

Mirza Buzurg prospéra au service de l'État jusqu'au règne de Muhammad Shah (1834-48) durant lequel l'animosité du grand vizir Haji Mirza Aqasi lui fit perdre sa position et une grande partie de sa richesse.


2. La famille de Baha'u'llah


Photo: Deux des fils de Mirza Buzurg-i-Nuri: à gauche Mirza Musa, Aqay-i-Kalim frère de Baha'u'llah, et à droite Mirza Rida-Quli.


Photo: Deux des fils de Mirza Buzurg-i-Nuri: à gauche Mirza Muhammad-Quli, demi-frère de Baha'u'llah qui partagea son exil, et à droite Mirza Yahya, Subh-i-Azal.


Mirza Buzurg, Vazir-i-Nuri, le père de Baha'u'llah, eut sept femmes dont trois concubines. C'est son père, Rida-Quli Big qui arrangea son premier mariage avec un membre de la famille nommée Khan-Nanih, avant même que Mirza Buzurg ne quitte le district de Nur en Mazandéran pour faire fortune à Téhéran. Deux fils naquirent de cette union: Mirza Aqa, l'aîné, et Mirza Muhammad-Hasan. Baha'u'llah relate un souvenir d'enfance dans la Lawh-i-Ra'is, une épître en persan adressée à 'Ali Pasha, le grand vizir ottoman ; au cours du mariage de son frère Mirza Aqa, qui n'avait plus longtemps à vivre, son attention avait été attirée par un spectacle de marionnettes. Par la suite, Mirza Buzurg donna la veuve en mariage à son second fils, Mirza Muhammad-Hasan. Cette femme était la cousine de Mirza Aqa Khan-i-Nuri, le deuxième grand vizir de Nasiri'd-Din Shah.

La seconde femme de Mirza Buzurg était une veuve, Khadijih Khanum. Elle avait un fils et deux filles de son premier mariage: Mirza Muhammad-'Ali, Sakinih Khanum et Sughra Khanum. Mirza Buzurg épousa Khadijih Khanum et maria sa fille Sakinih Khanum à son plus jeune frère Mirza Muhammad. Khadijih Khanum est la mère de Baha'u'llah (Mirza Husayn-'Ali). L'aîné de ce mariage était une fille, Sarih Khanum connue sous le nom de Ukht ("soeur" en arabe) parce que c'est ainsi que Baha'u'llah parlait d'elle. Le second était un fils, Mirza Mihdi qui mourut avant son père, et Mirza Husayn-'Ali (Baha'u'llah) fut le troisième. Le quatrième enfant, un fils, Mirza Musa, fut appelé plus tard Aqay-i-Kalim et le cinquième, une fille, Nisa'Khanum, épousa plus tard Mirza Majid-i-Ahi, secrétaire à la légation russe.

La troisième femme de Mirza Buzurg fut Kulthum Khanum-i-Nuri dont il eut cinq enfants. D'abord une fille, Shah Sultan Khanum (appelée aussi 'Izziyyih Khanum) qui devint une ardente partisane de Mirza Yahya, Subh-i-Azal. Puis trois fils: Mirza Taqi, un poète surnommé Parishan qui devint un shaykhi très opposé à Baha'u'llah ; Mirza Rida-Quli qui devint Haji suite à son pèlerinage à La Mecque, et qui resta distant, allant même jusqu'à nier sa relation avec Baha'u'llah (voir p. 468) alors que sa femme, Maryam lui fut très dévouée ; le troisième fils, Mirza Ibrahim, mourut lui aussi du vivant de son père. Le cinquième enfant que Mirza Buzurg eut de ce mariage fut une autre fille, Fatimih-Sultan Khanum qui elle aussi choisit de suivre Mirza Yahya dans son erreur.

Les trois femmes suivantes de Mirza Buzurg furent des concubines. La première, Kuchik Khanum, fut la mère de Mirza Yahya. La seconde était une Géorgienne, Nabat Khanum qui eut une fille, Husniyyih Khanum, dont on ne sait rien. La dernière concubine, Turkamaniyyih, fut la mère de Mirza Muhammad-Quli qui fut très fidèle à Baha'u'llah.

Puis Mirza Buzurg épousa une fille du chah Fath-'Ali. Cette dame, Shah Bigum, surnommée Diya'u's-Saltanih, calligraphe célèbre comme son époux, était autoritaire, orgueilleuse et cupide. Ce mariage ne devait apporter au Vazir-i-Nuri qu'infortunes et, à la fin, déconfiture.

Haji Mirza Aqasi, le premier ministre, était un être vain et revanchard. Comme indiqué dans le précédent chapitre, il n'aimait pas Mirza Buzurg, notamment parce que celui-ci était un grand ami du célèbre Qa'im-Maqam, Mirza Abu'l-Qasim de Farahan. Tous les deux s'appréciaient beaucoup, comme le montrent les lettres du compendium des lettres du grand ministre*. En juin 1835 le Qa'im-Maqam fut mit traîtreusement à mort par Muhammad Shah. La manière dont il perdit le pouvoir, son exécution et l'ascension au pouvoir de Haji Mirza Aqasi confirma dans l'esprit de Mirza Buzurg que le triste sort de son cher ami devait être attribué à la ruse vile du monstre qui avait maintenant les rênes du pouvoir. Il ne sut pas cacher ses sentiments d'horreur et de dégoût et l'une de ses lettres, qui condamnait Haji Mirza Aqasi, tomba entre les mains de ce dernier qui ne tarda pas à réagir. Dès qu'il en eut l'occasion, il attaqua Mirza Buzurg. Tout d'abord, Mirza Buzurg fut démis de ses fonctions de gouverneur de Bururjird et du Luristan. Ce poste qui comprenait aussi le contrôle d'une grande partie du territoire Bakhtiyari, une région troublée et rebelle, avait été confié à Mirza Buzurg par son ami, Mirza Abu'l-Qasim, le Qa'im-Maqam peu de temps après l'accession au trône de Muhammad Shah. Il existe un document écrit par le chah lui-même qui admire et loue les services rendus par Mirza Buzurg dans ce rôle. Ensuite, Haji Mirza Aqasi supprima l'allocation annuelle de Mirza Buzurg. Puis il fit son possible pour perturber les relations entre Mirza Buzurg et sa dernière femme Diya'u's-Saltanih, la fille de Fath-'Ali Shah**.

* [nota: Ce compendium fut compilé et édité plus tard à la demande de Haji Farhad Mirza, le Mu'tamidu'd-Dawlih, un frère de Muhammad Shah. Il fut plusieurs fois imprimé sous le titre Munshi'at-i-Qa'im-Maqam, un guide d'excellence de style et de diction.]

** [nota: Il semble que Mirza Buzurg fut aussi, pendant quelque temps, le vizir : l'officier responsable de la collecte des impôts, dans cette province. Mirza Buzurg eut beaucoup de succès dans l'organisation et la levée des impôts parmi les tribus lointaines et indisciplinées des Luri ; tâche dans laquelle faillirent tous les gouverneurs qui le précédèrent ou le suivirent. Dans ces Notes on a March from Zohab to Khuzistan, Sir Henry Rowlinson remarque : " La valeur du katir [unité de taxation valant en général 100 tumans]varie... selon l'état de la province. Mais sous l'ancien Wasir Mirza Buzurg, qui en géra les revenues avec un succès indéniable pendant dix ans, sa valeur atteignit 200 tumans... Les 120 katirs (impôt des tribus de Pish-Kuh) valaient 40 000 tumans et la somme obtenue annuellement de Pish-Kuh était plutôt supérieure à cette somme... [Rawlinson explique alors la classifications des tribus et le système de revenu établi par Mirza Buzurg]... Ce système est très simple. Une fois les 120 katirs répartis entre les tribus... chaque subdivision détermine le montant qui sera payé par chacun des camps dont elle est composée... Mais dans un pays sauvage comme celui-là, où de nombreuses tribus vivent en état de rébellion ouverte... le gouverneur ne remplira certainement pas son contrat avec la couronne sauf à établir des moyens de rentrée indirects pour compenser les nombreuses défections. Mirza Buzurg établit un système complexe d'amendes et d'honoraires et dans cette région où les meurtres et les vols sont monnaie courante, il ne manqua pas de possibilités. On raconte qu'il réussit à réunir 20 000 tumans par an de cette manière, sans cruauté ni injustice." 1]

C'est par l'intermédiaire du neveu de Diya'u's-Saltanih, Firaydun Mirza, qu'il avait choisi pour être gouverneur de la province de Fars, qu'il l'incita à obtenir le divorce. Mirza Buzurg était alors dans une situation financière dramatique car il avait une grande famille et l'allocation annuelle qui lui revenait de droit lui avait été supprimée par Haji Mirza Aqasi. Il lui fallut vendre une partie de ses propriétés et en hypothéquer d'autres, dont l'ensemble de maisons où il résidait avec sa famille à Téhéran. Ces maisons ne lui appartinrent plus pendant quelque temps jusqu'à ce que son fils Mirza Husayn-'Ali (Baha'u'llah) les rachète pour lui. Pour achever cette infortune, une inondation détruisit la plus belle aile d'un palais que Mirza Buzurg avait fait construire à Takur et qu'il avait richement meublé.

Diya'u's-Saltanih, avec l'aide du grand vizir et de son puissant neveu Firaydun Mirza réussit à obtenir le divorce. Mais le contrat de mariage était si conséquent que le Vazir-i-Nuri, déjà plongé dans des difficultés financières, ne pouvait le payer immédiatement. Diya'u's-Saltanih fit emprisonner Mirza Buzurg dans sa propre maison et envoya des hommes pour le battre et le torturer jour après jour afin d'obtenir de l'argent. Finalement, Mirza Buzurg dut revendre ses maisons de Téhéran ainsi qu'une partie des meubles et des tapis de valeur qu'elles contenaient. Baha'u'llah mentionne dans l'Épître au fils du Loup la vente de ces maisons:

Au début nous vivions tous dans une seule maison qui fut plus tard vendue aux enchères pour une très petite somme d'argent et les deux frères, Farman-Farma [Firaydun Mirza] et Hisamu's-Saltanih [Sultan-Murad Mirza] l'achetèrent et la divisèrent entre eux. À la suite de cet événement, mon frère et moi nous nous séparâmes. Il s'installa près de l'entrée de Masjid-i-Shah [la mosquée royale] alors que nous vécûmes près de la porte de Shimiran. (2)

Kulthum Khanum, la troisième femme de Mirza Buzurg et la mère de Haji Rida-Quli, avait hérité de son père cette maison "proche de la mosquée royale". C'est là que s'installa Mirza Buzurg. Mirza Husayn-'Ali (Baha'u'llah) loua la maison "proche de la porte de Shimran" et s'y installa avec sa mère, sa femme, ses autres belles-mères et le reste de ses frères et soeurs. Cette maison sera sa résidence pendant les années qu'il passera en Perse. Elle était proche de la Madrisiy-i-Mirza Salih, le séminaire où Mulla Husayn-i-Bushru'i séjournera lorsqu'il portera le message du Bab à Téhéran. Les enfants de Baha'u'llah: 'Abdu'l-Baha (la Plus-Grande-Branche), Baha'iyyih Khanum (la Très-Sainte-Feuille) et Mirza Mihdi (la Plus-Pure-Branche), naquirent tous dans cette maison. Leur mère est sa première femme, Asiyih Khanum.

La tempête calmée, Mirza Buzurg tenta de récupérer les maisons qu'il avait dû vendre, sous la pression, "pour une somme négligeable". Nous avons un document écrit par Baha'u'llah qui encourage les témoins à confirmer que la vente de ces maisons fut faite dans des conditions de pression illégales. Mais cette tentative échoua et les maisons ne furent pas récupérées.

Mirza Buzurg décida alors de se retirer en Irak, mais il mourut avant de partir. Il décéda en 1839 et son corps fut enterré à Najaf, en Irak, près de la tombe de 'Ali, cousin du prophète Muhammad, premier Imam apostolique et le quatrième calife. Lui survivaient sept fils et cinq filles. En plus du personnage central de cette histoire, nous retrouverons de temps en temps les fils de ce ministre, remarquable et très respecté, originaire de Nur. De nombreuses collections, en Iran et ailleurs, possèdent des manuscrits de sa superbe calligraphie qui était très admirée. Les Archives internationales de la foi baha'ie, sur le mont Carmel, possèdent un de ces parchemins.

Diya'u's-Saltanih, ayant obtenu son divorce et reçu la somme qui lui était due, épousa Haji Mas'ud-i-Garmrudi qui fut ministre des Affaires étrangères d'Iran pendant de longues années. Ils eurent une fille, Shahanshah Bigum, qui embrassa la foi de Baha'u'llah. Elle regretta toujours ce que sa mère avait fait à Mirza Buzurg. Des deux filles de Shahanshah Bigum elle-même, la première épousa Ibn-i-Asdaq, l'une des quatre Mains de la cause de Dieu nommées par Baha'u'llah, et la seconde épousa Intizamu's-Saltanih qui fut très dévoué à 'Abdu'l-Baha et dont les fils firent de grandes carrières au service de l'État.


3. Les premières années


Photo: caligraphie de Mirza Buzurg-i-Nuri.

Baha'u'llah naquit et grandit à Téhéran, dans le quartier de Darvazih Shimran (la porte Shimran). À l'époque, ce quartier était à la limite de la ville, proche du fossé qui fut comblé sous le règne de Nasiri'd-Din Shah. Le nouveau fossé creusé bien plus loin fut aussi comblé plus tard. Pourtant, la maison de Mirza Buzurg et ses dépendances sont toujours debout.

Comme 'Abdu'l-Baha le conta un jour, l'enfance de Baha'u'llah fut une source d'étonnement pour sa mère. Il ne pleurait jamais, n'était jamais agité. Mirza Buzurg avait compris que, parmi tous ses enfants, celui-ci était différent. On se souvient que la famille de Mirza Buzurg était originaire de Takur dans le district de Nur. Il y avait construit un manoir et Baha'u'llah passait toujours une partie de l'année, surtout les mois d'été, à Takur. En un endroit très en vue de ce manoir Mirza Buzurg avait écrit, dans sa calligraphie inimitable, les lignes suivantes:

En arrivant au seuil du Bien-Aimé dit "Oui !"
Car ni salam ni alayk n'ont leur place ici.*
Voici la vallée de l'amour, arrête-toi.
C'est un sol sacré, ôte tes sandales.**

* [nota: salam veut dire paix et alayk = soit sur toi.]
** [nota: C'est ce qu'entendit Moïse sur le mont Sinaï en approchant du Buisson ardent.]

Et ces vers peuvent encore se lire aujourd'hui.
À l'âge de cinq ou six ans, Baha'u'llah rêva qu'il était dans un jardin où de grands oiseaux volaient autour de lui et l'attaquaient sans pouvoir l'atteindre. Puis il rêva qu'il nageait dans la mer et que des poissons l'attaquaient sans lui faire de mal. Baha'u'llah parla de ce rêve à son père qui demanda à un devin de le traduire. Après réflexion, l'homme dit à Mirza Buzurg que l'étendue de la mer était le symbole du monde, tandis que les oiseaux et les poissons symbolisaient les peuples de la terre qui attaquaient son fils parce que celui-ci allait promouvoir une chose d'une importance vitale en relation avec l'esprit des hommes. Mais ils seraient incapables de lui faire du mal car il les vaincrait et accomplirait quelque chose d'important.

On raconte aussi qu'un jour, Baha'u'llah avait sept ans, ses parents le regardaient marcher dans le jardin. Sa mère remarqua qu'il était plutôt petit et son père répliqua: "Quelle importance ! Tu sais comme il est intelligent et quel esprit brillant il a !".

Comme il l'écrivit dans son épître à Nasiri'd-Din Shah, Baha'u'llah ne reçut qu'une éducation très limitée: "Des sciences répandues parmi les hommes, je ne sais rien ; leurs écoles, je ne les ai jamais fréquentées. Renseigne-toi dans la ville où j'habitais pour t'assurer que je ne mens pas.".

À cette époque, on n'enseignait aux enfants de la noblesse que les matières qui convenaient à leur état: équitation, tir au fusil, escrime, calligraphie, quelques lumières sur les oeuvres des poètes classiques du pays, une bonne connaissance du Coran et pratiquement rien d'autre. Les parents engageaient pour cela des précepteurs qui devaient aussi leur enseigner les bonnes manières.

Mirza Husayn-'Ali, le fils du Vazir-i-Nuri, grandissait et grâce à son intelligence fine, son esprit éveillé, son caractère droit, sa nature douce, bonne et compatissante, son renom se répandait.

À quinze ans, sa faculté de compréhension rare, sa maîtrise complète de l'art de l'argumentation et ses qualités d'exposition étaient célèbres dans toute la société. Pour autant, il n'était jamais péremptoire ni querelleur mais plutôt courtois et patient. Seul, le manque de respect pour les Messagers de Dieu et ses Élus pouvait déclencher son courroux et même alors, il chapitrait le coupable avec calme et gentillesse.

Dans une épître adressée à un baha'i de Chiraz, Baha'u'llah se souvient d'un incident de son enfance au cours duquel deux religieux aux immenses turbans développaient des sujets théologiques pour le bénéfice de deux dames voyageant dans un purdah. L'un de ces sujets cherchait à savoir si l'ange Gabriel était ou non spirituellement supérieur à Qanbar, esclave de 'Ali (le premier Imam) et très dévoué à son maître. Un autre concernait la question de savoir si'Abbas, frère de Husayn (le troisième Imam), qui subit le martyre à Kerbéla avec l'Imam, était d'un rang supérieur à Salman le Persan qui était l'un des compagnons du Prophète Muhammad. Et Baha'u'llah se souvient dans cette épître de sa surprise en écoutant le raisonnement, car si Gabriel est celui par qui l'Esprit-Saint descend dans le coeur de l'Apôtre de Dieu, comme l'affirme le saint Livre, alors, même le maître de Qanbar ne pourrait accéder à ces hauteurs spirituelles.

À Yalrud vivait alors un mujtahid, Shaykh Muhammad-Taqi (voir addenda V). Il enseignait à plus d'un millier de religieux à qui il présentait, de temps à autre, une question particulièrement difficile à résoudre. Chaque fois qu'il retournait chez lui à Takur, Baha'u'llah s'arrêtait à Yalrud et rendait visite au mujtahid qui avait des liens éloignés avec sa famille*. 'Abdu'l-Baha raconte que sa grand-mère, qui vivait à Yalrud, alla un matin prier à la maison du mujtahid. La prière matinale terminée, Shaykh Muhammad-Taqi lui dit qu'il avait d'excellentes nouvelles pour elle. Dans un rêve, il s'était vu devant une maison dans laquelle nul n'était censé entrer car, disait le gardien, le Qa'im de la Maison de Muhammad y était enfermé avec Mirza Husayn-'Ali de Nur. Tout d'abord, le mujtahid exprima sa surprise: pourquoi le fils d'un vizir était-il si privilégié ? Mais il se souvint de leur lointain lien de parenté et pensa qu'il était la cause de ce privilège.

* [nota: Yalrud est la ville natale de Asiyih Khanum, la future femme de Baha'u'llah.]

Pendant une visite à Yalrud, alors que Mirza Husayn-'Ali était assis en compagnie de Shaykh Muhammad-Taqi et d'autres érudits ou religieux, on lui posa une question que ceux-ci n'avaient pas été capables de résoudre d'une manière satisfaisante pour le mujtahid. Voici le problème: Une tradition islamique affirme que "Fatimih est la femme la meilleure du monde à l'exception de celle qui est née de Marie." Marie n'ayant pas eu de fille que voulait dire cette énigme ? Baha'u'llah répliqua que l'affirmation initiale accentuait l'impossibilité de l'alternative puisqu'il ne pouvait y avoir aucune femme comparable à Fatimih. C'est comme dire qu'un certain monarque est le plus grand des rois de la terre à l'exception de celui qui descend du ciel. Puisqu'aucun roi ne descend du ciel, on insiste ainsi sur le fait que ce monarque est unique. L'explication de Baha'u'llah rendit le mujtahid silencieux. Mais le jour suivant il reprocha à ses disciples de lui avoir fait faux bond. "Pendant des années et des années je vous ai enseignés et éduqués, mais quand l'occasion arrive, je vous trouve incapables de réfléchir alors qu'un jeune homme sans turban résout brillamment le problème que je vous ai posé."

Une autre fois, Shaykh Muhammad-Taqi fit un rêve dans lequel il entrait dans une pièce remplie de malles qui, lui dit-on, appartenait à Baha'u'llah. Ouvrant l'une d'elles, il la trouva pleine à ras bord de livres ; chaque ligne était constellée de brillants dont, dit-il, l'éclat l'éveilla.

Mirza Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani relate dans un de ses ouvrages ce qu'il entendit de la bouche d'un religieux. Baha'u'llah était présent lors d'une réunion au cours de laquelle Mirza Nazar-'Ali de Qazvin (voir addenda V), le célèbre murshid soufi très estimé par Muhammad Shah, dissertait sur le degré d'élévation qu'aucun humain ne peut atteindre. Il disait en parlant de lui: "Si mon serviteur venait m'annoncer que le Christ Jésus est à la porte et qu'il m'appelle, je suis tellement détaché que je n'aurai pas envie de le voir." Parmi l'assistance, certains restèrent silencieux tandis que les flatteurs murmuraient leur admiration. Seul Mirza Husayn-'Ali osa parler*. Il se tourna vers ce vantard de Qazvin qui avait si peu de respect pour une Manifestation de Dieu, et lui demanda: "Vous êtes très proche du souverain qui vous est très dévoué. Mais si le chef bourreau et dix de ses hommes étaient là, derrière cette porte, venant vous chercher par ordre du souverain, resteriez-vous calme ou seriez-vous perturbé ?" Mirza Nazar-'Ali réfléchit un peu avant de répondre: "Franchement, je serais inquiet." "Alors, reprit Baha'u'llah, vous ne devriez pas faire de telles affirmations." et Mirza Abu'l-Fadl-i-Gulpaygani relate que tous restèrent silencieux.

* [nota: Ce ne sont pas les paroles exactes prononcées par Baha'u'llah.]

À quinze ans, sa soeur aînée Sarih Khanum épousa Mirza Mahmud, fils de Mirza Isma'il-i-Vazir de Yalrud. Ce Mirza Mahmud qui ne suivit jamais la nouvelle religion, avait une jeune soeur, belle, vive et adorable, Asiyih Khanum. Baha'u'llah avait dix-huit ans lorsque Sarih Khanum poussa son père, Mirza Buzurg, à demander pour son frère la main de sa belle-soeur. Leur mariage eut lieu en Jamadiyu'l-Ukhra (Jamadiyu'th-Thani) de l'hégire 1251 (octobre 1835). Asiyih Khanum est la mère de 'Abdu'l-Baha.

Même ceux qui n'aimaient pas son père tenaient Baha'u'llah en grande estime. Ainsi, le grand vizir, Haji Mirza Aqasi. Mirza Buzurg avait raison de penser que Haji Mirza Aqasi était à l'origine de la démission et du meurtre de son ami, le grand homme Mirza Abu'l-Qasim, le Qa'im-Maqam. Un jour, des rumeurs se répandirent disant que Muhammad Shah avait remplacé le Haji par un autre grand vizir, Amir-Nizam de Kirmanshah. Mirza Buzurg qui était alors gouverneur de Burujird et du Luristan écrivit au prince Bahman Mirza pour lui exprimer sa joie. Dans sa lettre à ce politicien fantasque qui finit par se réfugier en Russie, on pouvait lire cette phrase: "Pourvu que ce pervers soit éloigné du chah !" Bahman Mirza qui n'était pas un ami de Mirza Buzurg montra cette lettre à Haji Mirza Aqasi. Furieux, celui-ci fit appeler Mirza Husayn-'Ali et, lui montrant la lettre dit: "Lis ceci. Je ne sais pas ce que j'ai fait à ton père pour mériter cela." Mirza Husayn-'Ali resta silencieux. Alors Mirza Shafi'Khan, le Sahib-Divan qui était présent prit la lettre, y jeta un regard et, pour arranger les choses, dit: "Cette lettre n'est pas écrite par Mirza Buzurg. Quelqu'un a imité son écriture." "Impossible ! s'exclama Haji Mirza Aqasi. Personne n'est capable de produire une calligraphie aussi belle et une telle prose !" Mirza Husayn-'Ali restait toujours muet. Le Haji se tourna encore une fois vers lui: "Que dois-je faire ? Que puis-je faire ? C'est ton père. Pour toi, je vais essayer d'oublier ceci et laisser le temps faire son oeuvre. Mais écris à ton père pour lui dire de ne pas recommencer."


Photo: Mirza Abdu'l-Qasim-i-Farahni, Qa'im-Maqam.


Photo: Certificat de mariage de Baha'u'llah.

4. L'aube

C'est en 1844, sous le règne de Muhammad Shah, que se leva l'aube tant attendue, le Jour de Dieu promis par toutes les Écritures de l'humanité. Il resplendit dans la célèbre et délectable ville de Chiraz où naquirent et moururent deux des plus grandes figures de la littérature persane, Sa'di et Hafiz, qui, chacun à sa manière, prophétisèrent la gloire à venir de leur ville et l'apparition de cet astre merveilleux, le Soleil de vérité, en la personne du Bab.

Hafiz écrivit:

Chiraz sera tumultueuse, puis viendra l'orateur
aux douces et merveilleuses paroles
Qui, tombant de ses lèvres, feront trembler Bagdad. (1)

Et Sa'di:

Par Dieu ! Siège de Salomon et mystère de Dieu,
ce royaume ne mérite ni ombre ni mélancolie. (2)

Pour célébrer le centenaire de cette aube brillante, le Gardien de la foi baha'ie écrira:

Le vingt-trois mai mil huit cent quarante-quatre marque le commencement de la période la plus tumultueuse de l'âge héroïque de l'ère baha'ie, âge qui voit s'ouvrir la plus glorieuse époque du plus grand cycle dont l'histoire spirituelle de l'humanité ait, jusqu'à présent, été le témoin. Il n'a pas fallu plus de neuf courtes années pour couvrir cette période du premier siècle baha'i, la plus spectaculaire, la plus tragique et la plus mouvementée. Elle a été inaugurée par la naissance d'une révélation dont le porte-parole sera acclamé par la postérité comme le Point autour duquel tournent les réalités des prophètes et des messagers ; elle s'est terminée avec les premières impulsions d'une révélation encore plus puissante dont le jour, affirme Baha'u'llah lui-même, fut annoncé par tous les prophètes, jour auquel l'âme de tous les messagers divins a aspiré, et par lequel Dieu a éprouvé les coeurs de l'assemblée tout entière de ses messagers et de ses prophètes… Par sa puissance dramatique pure, par la rapidité avec laquelle se sont succédés des événements d'une importance considérable, par l'holocauste qui marqua sa naissance, les circonstances miraculeuses qui entourèrent le martyre de celui qui l'avait déclenchée, par les possibilités cachées dont elle avait été si complètement imprégnée dès l'origine et les forces auxquelles elle donna finalement naissance, cette période de neuf années peut certes occuper un rang unique dans le champ tout entier de l'expérience religieuse de l'homme. Si l'on passe en revue les épisodes de ce premier acte d'un drame sublime, on voit la figure de son héros et maître, le Bab, s'élever comme un météore au-dessus de l'horizon de Chiraz, traverser du sud au nord le ciel sombre de la Perse, décliner avec une rapidité tragique, et périr dans une apothéose de gloire. On voit ses satellites, constellations de héros enivrés de l'amour de Dieu, monter à ce même horizon, irradier la même lumière incandescente, se consumer avec cette même rapidité, et imprimer à leur tour un nouvel élan à la vigueur sans cesse croissante de la foi naissante de Dieu…

La scène d'ouverture du premier acte de ce grand drame se déroula à Chiraz, au premier étage de la modeste demeure du fils d'un drapier, située dans un quartier pauvre. Elle eut lieu à l'heure précédent le coucher du soleil, le vingt-deux mai mil huit cent quarante-quatre. Les personnages qui y prirent part sont: le Bab, un siyyid de pure et sainte lignée, âgé de vingt-cinq ans, et le jeune Mulla Husayn qui, le premier, crut en lui. Leur rencontre, qui précéda immédiatement cet entretien, a semblé purement accidentelle. L'entrevue elle-même se prolongea jusqu'à l'aube. L'hôte demeura enfermé, seul avec son invité, et la ville endormie fut loin de se douter de l'importance de la conversation qu'ils eurent ensemble. Nul récit de cette nuit unique est passé à la postérité, sauf le compte rendu fragmentaire mais hautement édifiant qui tomba des lèvres de Mulla Husayn.

"Je restai assis, retenu par le charme de sa parole, oublieux du temps et de ceux qui m'attendaient*", a-t-il témoigné après avoir décrit la nature des questions posées à son hôte et les réponses décisives qu'il en avait reçues, réponses qui avaient établi, sans l'ombre d'un doute, la validité de sa prétention à être le Qa'im promis. "Soudain, l'appel du muezzin invitant les fidèles à la prière du matin, me tira de l'état d'extase dans lequel, apparemment, j'étais tombé. Toutes les délices, toutes les gloires ineffables énumérées par le Tout-Puissant dans son livre [le Coran] comme étant les possessions inestimables des habitants du paradis, je pensai les ressentir cette nuit-là. Il me sembla que j'étais dans un endroit dont on pourrait dire à juste titre: Ici, aucune peine ne peut nous atteindre, aucune lassitude ne peut nous toucher ; on n'entendra ici ni vains discours ni mensonges, mais seulement cette exclamation: "Paix ! Paix !" Là, retentira leur cri: "Gloire à toi, Ô Dieu", leur salutation: "Paix !" et la fin de leur cri: "Loué soit Dieu, le Seigneur de toutes les créatures !"… Le sommeil m'avait fui cette nuit-là. J'étais captivé par la musique de cette voix dont le chant s'élevait et s'abaissait tour à tour ; tantôt elle s'amplifiait pour révéler des versets du Qayyumu'l-Asma', tantôt elle revenait à de célestes et subtiles harmonies pour chanter des prières inconnues. À la fin de chaque invocation, il répétait ce verset: Loin de la gloire de ton Seigneur, le Très-Glorieux, soit ce que ses créatures affirment de lui ! Et que la paix soit sur ses messagers ! Loué soit Dieu, le Seigneur de tous les êtres !...

* [nota: Il s'agissait de son frère, de son neveu et d'autres compagnons qui allèrent ensemble de Kerbéla à Chiraz, comme attirés par un aimant. Leur maître, Siyyid Kazim-i-Rashti, qui venait de mourir, leur avait dit de rester vigilants car l'avènement de Sahibu'z-Zaman, le Seigneur de l'Âge, le Qa'im de la famille de Muhammad, était proche.]

Cependant, à la lecture du célèbre commentaire sur la Surih de Joseph, le premier livre, le plus grand, le plus puissant de tous les ouvrages de la révélation babie, et dont le premier chapitre fut écrit tout entier - le fait est indubitable - par la plume de son révélateur divin, au cours de cette nuit d'entre les nuits, une lumière plus significative est projetée sur cet épisode qui marque la déclaration de la mission du Bab. La description de cet épisode par Mulla Husayn, au même titre que les premières pages de ce livre prouvent l'ampleur et la force de cette déclaration d'importance capitale. La prétention de n'être rien moins que le porte-parole de Dieu lui-même, annoncé par les prophètes des âges révolus, l'affirmation qu'il était en même temps le héraut d'un autre, incommensurablement plus grand que lui-même, les appels claironnants qu'il adressa aux rois et aux princes de la terre, les terribles avertissements lancés au chah Muhammad, principal magistrat du royaume, le conseil donné à Haji Mirza Aqasi de craindre Dieu, ainsi que l'ordre péremptoire de renoncer à son autorité de grand vizir du chah et de se soumettre à celui qui est l'héritier de la terre et de tout ce qu'elle contient, le défi lancé aux dirigeants du monde proclamant l'indépendance de sa cause, dénonçant la vanité de leur pouvoir éphémère et les exhortant à renoncer tout un chacun à leur domination pour délivrer son message tant aux contrées de l'Est que de l'Ouest, ces faits constituent les traits dominants de ce premier contact qui marqua la naissance et fixa la date du commencement de l'ère la plus glorieuse dans la vie spirituelle de l'humanité. (3)

Le Bab (la Porte) exigea de Mulla Husayn-i-Bushru'i - qui allait vite être connu sous le nom de Babu'l-Bab (la Porte de la Porte) - de ne dévoiler son nom (Siyyid 'Ali-Muhammad) à personne, de ne montrer par aucun signe qu'il avait atteint la fin de sa recherche, avait été conduit vers le Qa'im de la famille de Muhammad, le Sahibu'z-Zaman, qu'il l'avait reconnu, avait cru en lui et lui avait donné de tout coeur son allégeance. Le secret de cette nuit bénéfique devait, pour l'instant, rester secret. Le Bab lui dit que dix-sept autres personnes devaient, par elles-mêmes, le chercher, le trouver et le reconnaître.

Le Gardien de la foi baha'ie continue:

Cependant, ce fut seulement quarante jours plus tard que l'enrôlement des dix-sept autres Lettres-du-Vivant commença. Peu à peu, les uns en état de veille, d'autres dans leur sommeil, quelques-uns par le jeûne et par la prière, d'autres au cours de rêves et de visions, découvrirent spontanément l'objet de leurs recherches et furent enrôlés sous la bannière de la foi nouvellement née. (4)

Ainsi, le dernier à s'enrôler fut Mulla Muhammad-'Ali de Barfurush (aujourd'hui appelée Babul) dans la province du Mazandéran, un jeune homme de 22 ans destiné à devenir le plus grand de tous. Dès son arrivée à Chiraz il se trouva nez à nez avec le Bab sur une voie publique et, sans poser aucune question, le reconnut immédiatement, à son allure et à sa démarche, comme étant le Qa'im de la famille de Muhammad. Le Bab lui conféra le titre de Quddus qui veut dire: le plus saint et le plus pur.

Le cercle des Huruf-i-Hayy était complet*. Tous sauf un étaient à Chiraz. Ce personnage solitaire était une femme dans la trentaine, érudite, éloquente, auteur de vers édifiants, fille, nièce et femme de grands religieux de Qazvin. Elle était tellement persuadée que le Seigneur de l'âge était venu, et que quiconque prétendrait à ce haut rang devait être cru, que lorsque Mirza Muhammad-'Aliy-i-Qazvini, époux de sa jeune soeur et vaillant disciple de Siyyid Kazim-i-Rashti, quitta Kerbéla à la recherche du Qa'im pour lui offrir son allégeance, elle lui donna un pli scellé à remettre au Seigneur de l'âge pendant qu'il devait lui dire ces mots (5):

* [nota: Huruf est le pluriel de Harf, une lettre de l'alphabet et Hayy, qui veut dire vivant a la valeur numérique de 18.]

La beauté de ta face étincelle, les rayons de ton visage
se lèvent à l'horizon ;
Alors demande: "Ne suis-je pas votre Seigneur ?"
et nous répondrons tous:
"Oui ! tu l'es ! tu l'es !"

Son nom était Umm-Salamih, mais Siyyid Kazim l'avait appelée Qurratu'l-'Ayn (la consolation des yeux). L'histoire baha'ie la connaît plutôt sous le titre que lui a donné Baha'u'llah: Tahirih (la pure). Elle n'a jamais rencontré le Bab et pourtant, c'est avec un zèle brûlant, une ardeur inébranlable et une détermination inégalable qu'elle se leva pour proclamer et promouvoir la religion babie abandonnant dans son sentier famille et enfants et, finalement, sa vie même.

Alors le Bab appela ses Lettres-du-Vivant à le rencontrer:

O mes amis bien-aimés ! vous êtes en ce jour les porteurs du nom de Dieu. Vous avez été choisis comme dépositaires de son mystère. Il appartient à chacun d'entre vous de manifester les attributs de Dieu et de démontrer, par vos actes et par vos paroles, les signes de sa justice, de sa puissance et de sa gloire. Les membres de votre corps doivent témoigner de la noblesse de vos intentions, de l'intégrité de votre vie, de la réalité de votre foi et du caractère exalté de votre dévotion (...) Méditez les paroles que Jésus adressa à ses disciples en les envoyant de par le monde propager la cause de Dieu. C'est par de telles paroles qu'il leur enjoignit de se lever et de remplir leur mission: Vous êtes comme le feu allumé dans les ténèbres de la nuit au sommet de la montagne. Que votre lumière resplendisse aux yeux des hommes ! La pureté de votre vie et le degré de votre renoncement doivent être tels qu'en vous voyant, les peuples de la terre reconnaissent leur Père céleste et se rapprochent de lui, qui est la source de pureté et de grâce. (...) Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel a perdu sa saveur avec quoi la lui rendra-t-on ? Ô mes Lettres ! je vous le dis en vérité, ce jour est infiniment exalté au-dessus des jours des Apôtres du passé. La différence en est incommensurable ! Vous êtes les témoins de l'aurore du jour promis par Dieu… Vous êtes les premières Lettres engendrées par le Premier Point, (le Bab) (...) Je vous prépare pour la venue d'un grand jour. (...) Nul ne connaît encore le secret du jour qui doit venir. Il ne peut être divulgué et nul ne peut s'en faire une idée. L'enfant nouveau-né de ce jour-là, sera plus avancé que les hommes les plus sages et les plus vénérables de notre temps. (...) Dispersez-vous en tous sens à travers ce pays et, d'un pied ferme, d'un coeur sanctifié, préparez la voie pour sa venue. Ne considérez pas votre faiblesse et votre fragilité ! Fixez votre regard sur le pouvoir invincible du Seigneur votre Dieu tout puissant ! N'est-ce pas grâce à lui que, jadis, Abraham si faible en apparence, a triomphé des forces de Nemrod ? A Moïse qui n'avait d'autre arme que son bâton, Dieu n'a-t-il pas assuré la victoire sur Pharaon et ses armées ? Et bien que Jésus fût humble et pauvre aux yeux des hommes, Dieu n'a-t-il pas voulu qu'il triomphât des forces conjurées du peuple juif ? N'a-t-il pas assujetti les tribus barbares et turbulentes de l'Arabie à la discipline sainte et transformatrice de Muhammad, son prophète ? Levez-vous en son nom, mettez toute votre confiance en lui et soyez assurés de l'ultime victoire. (6)

Le Bab dirigea plus précisément Mulla 'Aliy-i-Bastami vers l'Irak, bastion des religieux chiites*. Il choisit Quddus pour l'accompagner en pèlerinage à La Mecque et à Médine et il donna au Babu'l-Bab une importante mission, sacrée et d'une signification incommensurable, qui devait être accomplie à Téhéran.

* [nota: Mulla 'Ali fut très vite arrêté, jugé et condamné à mort. On a longtemps cru qu'il avait été tué quelque part en Irak (à Mosul ou au-delà), parce qu'on avait plus trace de lui après son arrivée à Mosul. Mais de récentes recherches dans les archives officielles ont établi le fait qu'il est arrivé dans la capitale ottomane, qu'il y fut jugé à nouveau et condamné aux travaux forcés sur les chantiers navals. Ensuite on perd sa trace. (L'auteurr remercie M. Sami Doktoroglu pour cette information).]


Photo: Personnalités de la cours de Muhammad-Shah: au centre le jeune garçon est Nasiri'd-Din, le prince héritier. A sa droite derrière lui,Mirza Abdu'l-Qasim, Qa'im-Maqam; à sa gauche, Haji Mirza Aqasi. A gauche de l'image on aperçoit Manuchir-Khan, Mu'tamidu'd-Dawlih, le gouverneur d'Ispahan. Entre les deux, Mirza Abdu'l-Hasan Khan-i-Ilchi, ambassadeur persan en Grande-Bretagne qui inspira le personnage de Mirza Firouz dans le livre de Morier: Hajji Baba d'Ispahan.

5. En route vers la capitale de la Perse

C'est à Saba que je t'envoie, ô Zéphir, alouette du matin ;
Vois clairement d'où tu pars et où je t'envoie.
Hafiz

C'est une mission enviable et glorieuse qui était confiée à Mulla Husayn. Le Bab avait fait allusion à sa nature en termes assurés:

Au cours de ce pèlerinage que nous allons bientôt entreprendre, nous avons choisi Quddus. Nous vous avons laissé derrière nous pour faire face aux assauts d'un ennemi féroce et implacable. Ayez la certitude, cependant, qu'une munificence d'une gloire indicible vous sera conférée. Poursuivez votre voyage vers le nord et visitez, en chemin, Ispahan, Kashan, Qom et Téhéran. Implorez la toute-puissante Providence de vous aider, par sa grâce, à atteindre, dans cette capitale, le siège de la véritable souveraineté, et à entrer dans la maison du Bien-Aimé. Un secret gît, caché, dans cette ville. Lorsqu'il sera manifesté, il transformera la terre en paradis. Je souhaite que vous puissiez prendre part à sa grâce et reconnaître sa splendeur. De Téhéran, rendez-vous au Khorassan et, là, proclamez à nouveau l'appel. De là, retournez à Najaf et à Kerbéla, où vous attendrez les mandements de votre Seigneur. Vous accomplirez entièrement, soyez-en certain, la haute mission pour laquelle vous avez été créé (1)

Et lorsqu'arriva le moment de partir, le Bab conforta Mulla Husayn par des paroles d'encouragement:

Ne soyez pas affligé parce que vous n'avez pas été choisi pour m'accompagner dans mon pèlerinage à Hijaz. Je guiderai en revanche vos pas vers la ville qui renferme en son sein un mystère d'une si transcendante sainteté que ni Hijaz, ni Chiraz ne peuvent espérer l'égaler. Je souhaite que vous puissiez, avec l'aide de Dieu, écarter les voiles des yeux des négligents et purifier les esprits des malveillants. (...) Les armées du royaume invisible vous soutiendront et redoubleront vos efforts, soyez-en sûr ! L'essence du pouvoir gît à présent en vous, et la compagnie de ses anges élus gravite autour de vous. Ses bras tout-puissants vous entoureront et son esprit infaillible continuera toujours à guider vos pas. Celui qui vous aime, aime Dieu ; et quiconque s'oppose à vous s'est opposé à Dieu. Quiconque vous secourt, Dieu le secourra et quiconque vous rejette, Dieu le rejettera. (2)

Mulla Husayn était très connu à Ispahan. Siyyid Kazim-i-Rashti, l'avait plusieurs fois envoyé dans cette ville célèbre pour obtenir l'approbation du célèbre mujtahid Haji Siyyid Muhammad-Baqir-i-Shafti qui était mort depuis. Son fils, Haji Siyyid Asadu'llah, était aujourd'hui aussi amical que son père l'avait été ; c'était aussi le cas d'un autre mujtahid remarquable Haji Muhammad Ibrahim-i-Kalbasi. Encore plus importante fut l'attitude du Géorgien Manuchihr Khan, le Mu'tamidu'd-Dawlih, gouverneur d'Ispahan, qui refusait d'écouter ceux qui s'opposaient déjà à Mulla Husayn. Parce qu'il n'était pas encore autorisé à dévoiler le nom du Bab, c'est avec circonspection que Mulla Husayn conduisit un certain nombre de gens à reconnaître cette nouvelle religion et à l'accepter. Le premier converti, que le Bab immortalisa dans son Livre le Bayan, était un jeune homme candide du nom de Mulla Ja'far, connu par le nom de son travail: Gandum-Pak-Kun, le tamiseur de blé, qui mourut à Tabarsi. Le plus admirable de ces nouveaux convertis fut Mulla Sadiq-i-Muqaddas-i-Khurasani, un important disciple de Siyyid Kazim, qui, quelques années plus tard, serait un des rares à survivre à l'holocauste de Tabarsi. Il rencontra Baha'u'llah dans la ville prison d'Acre, devint un baha'i aussi ferme qu'il avait été babi, fut honoré par Baha'u'llah du titre de Ismu'llahu'l-Asdaq (le Nom de Dieu, le Véritable) et resta fidèle et loyal jusqu'à la fin de sa vie*. Son fils, Ibn-i-Asdaq, fut l'une des quatre Mains de la cause de Dieu désignées par Baha'u'llah, alors que Mulla Sadiq lui-même fut nommé à titre posthume Main de la cause par 'Abdu'l-Baha dans son livre Mémorial des fidèles.

* [nota: Quelques-uns de ceux que Baha'u'llah nomma Ismu'llah brisèrent son Alliance : Siyyid Mihdiy-i-Dahiji (Ismu'llah-Mihdi), Aqa Muhammad-Javad-i-Qazvini (Ismu'llah-Javad), et Aqa Jamal-i-Bururjirdi (Ismu'llah-Jamal). D'autres restèrent fidèles : Mulla Sadiq (Ismullah-Asdaq), Zauyn'ul-Muqarrabin (Ismu'llah-Zayn), Siyyid 'Abdu'r-Rahim-i-Isfahani (Ismu'llahir-Rahim) et Jinab-i-Munir (Ismu'llah-Munib) qui mourut à Smyrne en 1868. D'autres ne sont pas encore identifiés.]

Mulla Husayn ne resta que peu de temps à Kashan, mais il donna la nouvelle de l'aube du Jour de Dieu à un important marchand de la ville, Haji Mirza Jani. Il ne trouva personne pour l'écouter à Qom et continua jusqu'à Téhéran. C'est là que se trouvait le "Mystère" dont le Bab avait parlé, celui que devait atteindre le message et la pétition du Bab. Mulla Husayn ne savait ni où ni de quelle manière il devait chercher ce mystère, mais Dieu l'avait conduit jusqu'au Qa'im et il était certain qu'une fois encore il serait guidé vers le but de sa recherche. Il s'installa dans une école de théologie, la madrisih [école] de Mirza Salih appelée aussi la madrisih de Paminar (Pay-i-Minar) du nom du quartier de Téhéran dans lequel cette école était située. Haji Mirza Muhammad-i-Khurasani, le chef des shaykhis de la capitale, était aussi le directeur de cette école. Mulla Husayn essaya vainement de l'éveiller à la réalité de l'aube de ce Jour de Dieu, mais Mirza Muhammad ne sut que le réprimander pour avoir dévié de la voie de Siyyid Kazim. Il trouvait même indésirable le séjour de Mulla Husayn à Téhéran, y voyant une menace pour la sécurité et l'intégrité de la communauté shaykhie. Mulla Husayn l'assura qu'il ne resterait pas longtemps dans la capitale et que, de toute façon, il ne considérait pas avoir dit ou fait quoique ce soit pour dénigrer le rang et la position de Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i ou de Siyyid Kazim-i-Rashti.

Afin de ne plus paraître menaçant pour Haji Mirza Muhammad-i-Khurasani, Mulla Husayn resta éloigné autant que possible de la madrisih de Mirza Salih. Il avait, après tout, un but bien plus important que cet imbroglio avec le religieux shaykhi. Il quittait l'école tôt le matin et ne revenait à sa chambre qu'après le coucher du soleil. Mulla Muhammad-i-Mu'allim [enseignant], natif du district de Nur en Mazandéran, écrivit de quelle manière Mulla Husayn atteint le but de sa recherche et accomplit la mission que lui avait confiée le Bab:

… En ce temps-là, je vivais dans la même école que Haji Mirza Muhammad et l'on me considérait comme l'un de ses disciples favoris. Ma chambre touchait la sienne et nous entretenions des relations très amicales. Le jour où il était occupé à discuter avec Mulla Husayn, je surpris leur conversation du début jusqu'à la fin, et je fus profondément touché par l'ardeur, la facilité de parole et le savoir de ce jeune étranger. Je fus surpris des réponses évasives, de l'arrogance et du comportement dédaigneux de Haji Mirza Muhammad. Ce jour-là, je me sentis fortement attiré par le charme de ce jeune homme et profondément irrité par la conduite indécente de mon maître envers lui. Je dissimulai mes sentiments et prétendis ignorer ses discussions avec Mulla Husayn. Je fus pris par un désir passionné de rencontrer ce dernier et me hasardai à aller lui rendre visite vers minuit. Il ne m'attendait pas, mais je frappai à sa porte et le trouvai éveillé, assis près de sa lampe. Il me reçut affectueusement et me parla avec une courtoisie et une tendresse extrêmes. Je soulageai mon coeur et, pendant que je lui parlais, des larmes que je ne pouvais retenir, coulaient de mes yeux. "Je puis voir à présent, dit-il, la raison pour laquelle j'ai choisi de demeurer ici. Votre maître a rejeté avec dédain ce message et a méprisé son auteur. Mon espoir est que son élève puisse, contrairement à son maître, reconnaître la vérité. Comment vous appelez-vous et dans quelle ville résidez-vous ?" "Je m'appelle Mulla Muhammad, répondis-je, et mon nom de famille est Mu'allim. Ma maison se trouve à Nur dans la province de Mazendéran. "Dites moi, demanda-t-il, y a-t-il de nos jours parmi la famille de feu Mirza Buzurg-i-Nuri, qui était connu pour son caractère, son charme, ses talents artistiques et intellectuels, quelqu'un qui se soit montré capable de préserver les hautes traditions de cette illustre maison ?

- Oui, répondis-je, parmi ses fils encore en vie, l'un s'est distingué par les mêmes traits qui caractérisaient son père. Par sa vie vertueuse, ses grandes connaissances, sa bonté et sa libéralité, il s'est montré le noble descendant d'un noble père.

- Quelles sont ses occupations ? me demanda-t-il.
- Il réconforte les inconsolables et nourrit les affamés, répondis-je.
- Que savez-vous de son rang et de sa position ?
- Il n'en a pas, dis-je, si ce n'est qu'il secourt les pauvres et les étrangers.
- Comment s'appelle-t-il ?
- Husayn 'Ali.
- Dans laquelle des écritures de son père excelle-t-il ?
- Son écriture favorite est le shikastih-nasta'liq.
- A quoi occupe-t-il son temps ?
- Il se promène à travers bois et se complaît à admirer les beautés de la campagne.
- Quel âge a-t-il ?
- Vingt-huit ans."

La curiosité avec laquelle Mulla Husayn m'interrogeait et le sentiment de plaisir qu'il ressentait à entendre chaque détail que je lui donnais, me surprit grandement. Se tournant vers moi, avec un visage rayonnant de joie et de satisfaction, il s'enquit une fois de plus: "Je présume que vous le rencontrez souvent ?"

- Je me rends fréquemment chez lui, répondis-je.
- Voulez-vous, dit-il, lui remettre, en mains propres, un dépôt de ma part ?
- Très certainement, répondis-je.

Il me donna alors un parchemin enveloppé dans une pièce de toile et me demanda de le lui remettre le lendemain à l'aube. "S'il daignait me répondre, ajouta-t-il, auriez-vous l'amabilité de me faire connaître sa réponse ?" Je pris le parchemin et, au lever du jour, me levai pour exaucer son désir.

Comme j'approchais de la maison de Baha'u'llah, je reconnus son frère Mirza Musa qui se tenait à la porte et à qui je fis savoir l'objet de ma visite. Il entra dans la maison et réapparut peu après portant un message de bienvenue. On m'introduisit auprès de Baha'u'llah ; je présentai le rouleau à Mirza Musa, qui le déposa devant Baha'u'llah. Celui-ci nous pria de nous asseoir. Dépliant le rouleau, il jeta un coup d'oeil sur son contenu et commença à nous lire à haute voix certains de ses passages. Je restai assis, ravi par le son de sa voix douce et mélodieuse. Il avait lu une page du rouleau lorsque, se tournant vers son frère, il dit: "Musa, qu'en dis-tu ? En vérité je le dis, celui qui croit au Coran, reconnaît son caractère divin, et malgré cela hésite, ne fût-ce qu'un instant, à admettre que ces paroles émouvantes sont dotées du même pouvoir régénérateur, s'est assurément trompé dans son jugement et a dévié loin du sentier de justice." Puis il se tut. En me congédiant, il me chargea de rapporter à Mulla Husayn, comme cadeau de sa part, un pain de sucre russe et un paquet de thé, et il me pria de lui transmettre l'expression de son amour et de sa reconnaissance.

Je me levai et, rempli de joie, me hâtai de retourner auprès de Mulla Husayn pour lui remettre le cadeau et le message de Baha'u'llah. Avec quelle joie et quelle exultation les reçut-il de ma main ! Les paroles me manquent pour décrire l'intensité de son émotion. Il se mit debout, reçut, tête baissée, le cadeau et l'embrassa avec ferveur. Il me prit alors dans ses bras, me baisa les yeux et dit: "Ami chèrement aimé ! Je prie pour que, de même que vous m'avez réjoui le coeur, de même Dieu vous fasse don d'une éternelle félicité et vous inonde le coeur d'un bonheur impérissable." Je fus stupéfié par la conduite de Mulla Husayn. Quelle pouvait être, pensai-je en moi-même, la nature du lien qui unissait ces deux âmes ? Qu'est-ce qui pouvait avoir suscité en leurs coeurs une aussi ardente amitié ? Pourquoi Mulla Husayn, aux yeux de qui la pompe et l'apparat de la royauté n'étaient que pure futilité, devait-il manifester un tel bonheur à la vue d'un cadeau aussi insignifiant de la part de Baha'u'llah ? Cette pensée m'intriguait et je ne pouvais en découvrir le mystère.

Quelques jours plus tard, Mulla Husayn partit pour le Khorassan. Au moment de notre séparation, il dit: "Ne soufflez mot à personne de ce que vous avez entendu et vu. Faites que ceci reste un secret caché en votre sein. Ne divulguez pas son nom, car ceux qui envient sa position se lèveraient alors pour lui nuire. Dans vos moments de méditation, priez le Tout-Puissant de le protéger afin que, par lui, il puisse exalter les opprimés, enrichir les pauvres et racheter les pécheurs. Le secret des choses reste caché à nos yeux. Il est de notre devoir de lancer l'appel du nouveau jour et de proclamer ce divin message à tous les hommes. Bien des âmes dans cette ville verseront leur sang sur ce sentier. Ce sang irriguera l'Arbre de Dieu, lui permettra de fleurir et d'abriter sous son ombre l'humanité tout entière." (3)

Une fois encore, la divine providence avait conduit Mulla Husayn-i-Bushru'i jusqu'à son but, le plus important de toute l'histoire de l'humanité.

Quant à l'obscur shaykhi, étudiant en théologie, Mulla Muhammad-i-Mu'allim-i-Nuri que la même providence avait poussé à rechercher la compagnie de Mulla Husayn et à se lier d'amitié avec lui afin de lui montrer le chemin vers le but et d'accomplir ainsi un service incomparable, saint et très méritoire, il versera son sang sur le même champ de bataille que Mulla Husayn quand un implacable ennemi déchiquettera son corps fragile.


6. Au pays de ses ancêtres


Photo: Carte du nord de la Perse montrant la province du Mazanderan, Téhéran et quelques-uns des lieux associés au commencement de la vie de Baha'u'llah.

Dès que Mirza Husayn-'Ali, le fils du Vazir-i-Nuri, fit allégeance à la Cause du Bab, il se leva et fit tous ses efforts pour promouvoir cette cause. On savait qu'il n'avait jamais fréquenté de cours de théologie, ne s'était jamais assis aux pieds d'un théologien célèbre, d'un maître, d'un philosophe ou d'un guide. On savait aussi qu'il était un maître en dialectique, une fontaine de savoir, un modèle d'éloquence. Enseignant la religion du Bab, ces grandes qualités devinrent plus évidentes, plus intenses, plus pénétrantes.

Il entreprit son premier voyage pour propager la cause du Bab en Mazandéran, le pays de ses ancêtres. Shaykh Muhammad-Taqi, le grand théologien de Nur que nous avons déjà rencontré dans ces pages, était mort et c'était maintenant son fils, Shaykh Muhammad qui occupait sa chaire. Ce dernier était convaincu qu'il ne pourrait jamais surpasser ni même égaler la puissance d'expression et d'exposition de Baha'u'llah. Aussi resta-t-il muet et dans l'expectative lorsque les efforts de Baha'u'llah pour répandre, dans tout le district de Nur, la nouvelle de l'avènement du Bab attirèrent un grand nombre d'éminents citoyens sous la bannière de la nouvelle religion, y compris son frère Mirza Muhammad-Hasan et l'héroïque Muhammad Taqi Khan, un de ses proches parents, ce qui provoqua une opposition et une hostilité intenses chez beaucoup d'autres, dont le principal fut Mirza 'Azizu'llah, un oncle de Baha'u'llah. Mais les élèves de Shaykh Muhammad ne le laissaient pas tranquille et insistaient pour qu'il fasse un effort et s'oppose aux activités de Baha'u'llah. Devant leur insistance il finit par céder et désigna ses deux élèves les plus érudits: ses beaux-frères Mulla 'Abbas et Mulla Abu'l-Qasim, pour rencontrer Baha'u'llah et lui lancer un défi. Ils le rencontrèrent à Darkala au cours d'une grande réunion de gens venus pour l'écouter. Baha'u'llah leur expliquait le sens essentiel de la première sourate du Coran. Les deux envoyés s'assirent et écoutèrent avec attention, complètement captivés. Mulla 'Abbas, le premier, se redressa et, tremblant et en pleurs, il dit à ses compagnons: "Faites ce que vous voulez, mais en ce qui me concerne, je suis sans voix ; je n'ai plus ni mémoire, ni paroles. Allez dire à Mulla Muhammad que dorénavant mon devoir est de servir au seuil de Mirza Husayn-'Ali". Mulla Abu'l-Qasim, terrassé lui aussi, lui répondit: "Comme vous, je ne l'abandonnerai jamais pour servir quelqu'un d'autre. Ma place aussi est devant sa porte."

Baha'u'llah vint lui-même au village de Sa'adat-Abad pour rendre visite à Mulla Muhammad. Conscient de son incapacité, ce dernier ne voulut pas discuter avec lui et trouva toutes sortes de prétextes pour éviter la rencontre. Il décida finalement de consulter le Coran. Il prit le saint Livre, l'ouvrit au hasard et le referma immédiatement en disant d'une petite voix que les versets de cette page n'auguraient rien de bon.

Voyageant partout dans le pays de ses ancêtres, Baha'u'llah rencontra un jour un jeune derviche assis au bord d'un ruisseau en train de préparer sa nourriture. Baha'u'llah lui demanda ce qu'il faisait et le jeune homme répondit: "Oh, je cuisine Dieu pour le manger." La simplicité de cette réponse amusa beaucoup Baha'u'llah qui fit preuve d'une grande gentillesse envers lui.

Ce derviche, Mustafa Big, était de Sanandij au Kurdistan. Poète, il avait pris le surnom de Majzub (celui qui est attiré). Et il devint si attiré par Baha'u'llah qu'il le suivait partout en chantant ses louanges et en lui demandant de "déchirer les voiles… déchirer les voiles…" Beaucoup de gens, en voyant son attitude, furent attirés à leur tour et se dévouèrent à Baha'u'llah.


7. Premier emprisonnement

Le premier emprisonnement de Baha'u'llah eut lieu en rapport avec le meurtre de Haji Mulla Taqiy-i-Baraghani, l'oncle et le beau-père de Qurratu'l-'Ayn. Haji Mulla Taqi (qui sera connu sous le nom de Shahid-i-Thalith: le troisième martyr) était un religieux obscurantiste, très étroit d'esprit et très hostile envers les personnes et les enseignements de Shaykh Ahmad-i-Ahsa'i et Siyyid Kazim-i-Rashti. Du haut de sa chaire il tonnait contre eux en les insultant et c'est pourquoi il fut assassiné dans sa mosquée, dans la lumière du petit matin. Son assassin, fervent admirateur des croyances shaykhies, avoua publiquement qu'il avait poignardé Haji Mulla Taqi dans la bouche à cause du langage déplacé de ce religieux. Natif de Chiraz, diversement appelé Mirza Salih, Mulla 'Abdu'llah ou Mirza Tahir, le boulanger, il affirma lors de son procès à Téhéran n'avoir jamais été babi, mais il était en chemin vers Mah-Ku pour y rencontrer le Bab et étudier sa Cause. Néanmoins, Mulla Muhammad, le mari de Qurrat'ul-'Ayn, était aussi fanatique et vindicatif que son père et il en profita pour arrêter un grand nombre de babis innocents qui furent envoyés à Téhéran.

En août 1919, dans le salon de sa résidence de Haïfa, 'Abdu'l-Baha contera à un groupe de baha'is l'histoire de ce premier emprisonnement de Baha'u'llah. Il leur dira que quatre hommes, dont l'assassin, furent emmenés à Téhéran et emprisonnés dans la maison de Khusraw Khan. Baha'u'llah demanda à Mirza Shafi'Khan, le Sahib-Divan d'expliquer la réalité de la situation à Haji Mirza Aqasi. Sahib-Divan, un homme ouvert, avait une grande influence sur le grand vizir et il lui transmit le message de Baha'u'llah, ce qui sembla lui plaire. Puis Baha'u'llah et sa suite rendirent visite aux prisonniers et leur donnèrent tout l'argent dont ils avaient besoin. Bientôt, tout Téhéran parlait de cette histoire.

L'assassin du mujtahid de Qazvin, ayant confessé son crime et voyant que sa confession avait été inutile, décida de s'évader. Une nuit de neige, il brisa ses fers, s'évada de la prison pour se réfugier chez Rida Khan, un officier turkoman au service de Muhammad Shah. Rusé, au lieu de courir vers la porte de la maison, il lança sa canne contre elle. La porte s'ouvrit, une planche fut posée sur la neige et l'évadé put pénétrer dans la maison. Lorsqu'au matin on entreprit les recherches, on ne trouva aucune trace de l'évadé. On savait que Baha'u'llah avait vu les prisonniers et leur avait donné de l'argent. Les parents du mujtahid assassiné vinrent de Qazvin et l'accusèrent d'avoir aidé l'assassin à s'évader. Baha'u'llah, calme et tranquille, entouré de farrashes et de cavaliers, fut conduit à cheval jusqu'à la prison où on l'enferma. Très vite, pourtant, on comprit que l'accusation était sans fondement et Baha'u'llah fut libéré. Mais ce que les parents de Haji Mulla Taqiy-i-Baraghani ne savaient pas c'est que c'était Baha'u'llah qui avait ordonné et organisé l'évasion de Qurratu'l-'Ayn hors de leurs griffes (1).

Quant au meurtrier du mujtahid, Rida Khan le fit sortir de Téhéran. 'Abdu'l-Baha raconte que lorsqu'on comprit ce qui s'était passé, on lança un millier de cavaliers à la poursuite de Rida Khan, mais on ne réussit pas à l'attraper. Les deux hommes atteignirent enfin la forteresse de Shaykh Tabarsi où ils connurent la mort des martyrs.


8. La conférence de Badasht

La conférence de Badasht est unique dans les annales religieuses de l'humanité. Jamais encore durant la vie d'une Manifestation de Dieu ses disciples ne s'étaient réunis pour se concerter, tous ensemble, concernant la nature de leur religion et de leurs futures actions. Le génie animant cette conférence sans précédent, le même qui l'avait organisée, n'était autre que Mirza Husayn-'Aliy-i-Nuri qui par la suite fut connu dans la communauté babie sous le nom de Jinab-i-Baha*.

* [nota: Il faut noter que le nom " Baha'u'llah " fut mentionné pour la première fois par le Bab dans son Livre le Bayan persan, et que c'est en tant que Jinab-i-Baha que Mirza Husayn-'Aliy-i-Nuri fut connu dans la communauté babie après la conférence de Badasht.]

Comme le Gardien l'a remarqué:

Le but principal de cette réunion était de rendre effective la révélation du Bayan par une rupture soudaine, complète et dramatique avec le passé, avec son organisation, son sacerdoce, ses traditions et ses cultes. Le but secondaire était d'examiner les moyens de délivrer le Bab de sa cruelle détention à Chihriq. Le premier objectif réussit pleinement ; le second était destiné, dès le début, à échouer (1)

Badasht est un hameau situé sur les bords de la mer Caspienne. En arrivant dans ce hameau, Baha'u'llah loua trois jardins: il en donna un à Quddus, Haji Mulla Muhammad-'Aliy-i-Barfurushi, la dix-huitième et dernière Lettre-du-Vivant et la première d'entre elles par le rang. Le deuxième jardin fut assigné à Qurratu'l-'Ayn que Baha'u'llah avait sauvée des périls qui l'entouraient à Qazvin, sa ville natale. Baha'u'llah s'installa dans le troisième jardin. Nabil-i-A'zam écrit:

Ceux qui s'étaient réunis à Badasht étaient au nombre de quatre-vingt un ; ils furent tous, depuis leur arrivée jusqu'à la conclusion de la réunion, les hôtes de Baha'u'llah. Chaque jour, celui-ci révélait une Tablette que Mirza Sulayman-i-Nuri psalmodiait en présence des croyants réunis. A chacun de ceux-ci, il conféra un nouveau nom. Il fut lui-même désormais désigné sous le nom de Baha ; à la dernière Lettre du Vivant fut attribué le nom de Quddus et à Qurratu'l-'Ayn celui de Tahirih (la pure). À l'intention de chacun de ceux qui s'étaient réunis à Badasht, le Bab devait révéler une Tablette spéciale dans laquelle il les appelait par le nom qui leur avait été récemment octroyé. Lorsque, plus tard, quelques-uns des condisciples parmi les plus stricts et les plus conservateurs décidèrent d'accuser Tahirih de rejeter inconsidérément les traditions de tout temps respectées dans le passé, le Bab, à qui ces plaintes avaient été adressées, répondit: "Que puis-je dire de celle que la Langue de puissance et de gloire a surnommée Tahirih" ? (2)

Et ce fut Qurratu'l-Ayn, Tahirih la Pure, qui, en ce jour inoubliable du début de l'été 1848, lança pour la première fois l'appel claironnant de l'émancipation des entraves humaines du passé, choquant un grand nombre de ses coreligionnaires consternés. Elle apparut devant eux, le voile repoussé en arrière, le visage maquillé et offert à tous les yeux. Pour beaucoup d'entre eux ce fut comme si le Jour de la résurrection était arrivé (ce qui était le cas !). L'un d'eux, 'Abdu'l-Khaliq-i-Isfahani, se coupa la gorge, tellement il était scandalisé et, le sang jaillissant à flots, il quitta l'assemblée en hurlant. Quelques-uns le suivirent et quittèrent la religion du Bab. Quddus était furieux. Il tenait son sabre à la main et on pouvait croire qu'il allait s'en servir sur Tahirih. Nabil écrit, en citant Shaykh Abu-Turab:

Son attitude menaçante ne parvint toutefois pas à émouvoir Tahirih. Son expression gardait la même dignité et la même confiance qu'elle révélait depuis le moment de son apparition devant les croyants assemblés. Un sentiment de joie et de triomphe éclairait à présent son visage. Elle se leva de son siège et, nullement troublée par le tumulte qu'elle avait provoqué chez ses compagnons, commença à s'adresser au reste de l'assemblée. Sans la moindre préméditation et dans un langage qui ressemblait de manière frappante à celui du Qur'an, elle lança son appel avec une inégalable éloquence et une profonde ferveur. Elle conclut par le verset suivant du Qur'an: "En vérité, au milieu de jardins et de rivières, les âmes pieuses demeureront sur le siège de vérité, en présence du puissant Roi." En prononçant ces paroles, elle jeta un regard furtif à la fois sur Quddus et sur Baha'u'llah, de sorte que ceux qui la regardaient ne purent savoir auquel d'entre eux elle faisait allusion. (3)

L'annonce audacieuse de Tahirih eut lieu un jour où Baha'u'llah était fatigué. Quddus vint lui rendre visite dans son jardin ; d'autres compagnons étaient présents. Soudain Tahirih entra comme un coup de tonnerre. Elle déclara: "Je suis le Verbe énoncé par le Qa'im, le Verbe qui fera s'enfuir tous les chefs et les nobles de la terre !" Puis elle ajouta: "Ce jour est un jour de réjouissance universelle et de fête, le jour où se brisent les chaînes du passé. Que ceux qui participent à ce grand événement se lèvent et s'embrassent !" (4)

Le calme revenu, Baha'u'llah prit les choses en mains. Nabil-i-A'zam écrit:

Cette journée mémorable, ainsi que celles qui la suivirent immédiatement, vit naître les réformes les plus révolutionnaires dans la vie et les habitudes des disciples du Bab réunis. La vie cultuelle de ceux-ci subit une transformation soudaine et fondamentale. Les prières et les rites auxquels ces adorateurs dévots avaient été formés furent irrévocablement abandonnés. Une grande confusion régna cependant parmi ceux qui s'étaient levés avec tant de zèle pour défendre ces réformes. Quelques-uns condamnèrent un changement si radical car ils y voyaient l'essence de l'hérésie, et refusèrent d'annuler ce qu'ils considéraient comme les préceptes inviolables de l'islam. Certains considérèrent Tahirih comme l'unique juge en de telles affaires et la seule personne qualifiée pour exiger une obéissance inconditionnelle de la part des fidèles. D'autres, qui dénoncèrent son comportement, s'en tinrent à Quddus en qui ils voyaient l'unique représentant du Bab, la seule personne habilitée à se prononcer sur des sujets aussi importants. D'autres encore, qui reconnurent aussi bien l'autorité de Tahirih que celle de Quddus, ne virent dans tout cet épisode qu'une épreuve envoyée par Dieu et destinée à séparer le vrai du faux et à distinguer le fidèle du perfide.

(…) Cet état de tension persista pendant quelques jours jusqu'au moment où Baha'u'llah intervint et que de sa manière magistrale, il réalisa entre eux une réconciliation complète. Il guérit les plaies que cette vive controverse avait causées et dirigea les efforts des deux adversaires sur le chemin du service constructif. (5)

Baha'u'llah fit lire la cinquante-sixième sourate du Coran, al-Waqi'ah (l'Évènement), devant toute l'assemblée et lorsqu'ils comprirent le sens et les allusions de ces versets du Coran, ils réalisèrent que, oui, le Jour de la résurrection était sur eux:

Lorsque l'événement arrivera,
Nul ne saura nier son arrivée.
Il abaissera et il élèvera.
Lorsque la terre sera ébranlée par un violent tremblement,
Que les montagnes voleront en éclats
Et deviendront comme la poussière dispersée de tous côtés ;
Lorsque vous, hommes, vous serez partagés en trois classes:
Que les hommes de la droite seront hommes de la droite ;
Que les hommes de la gauche seront hommes de la gauche ;
Que ceux qui ont pris le pas en ce monde dans la foi
y prendront le pas avant les autres:
Ceux-ci seront les plus rapprochés de Dieu.
Ils habiteront le jardin des délices.
(Il y aura un grand nombre de ceux-ci parmi les peuples anciens,
Et un petit nombre seulement parmi les modernes).
Se reposant sur des sièges ornés d'or et de pierreries,
Accoudés à leur aise et se regardant face à face.
Ils seront servis par des enfants doués d'une jeunesse éternelle,
Qui leur présenteront des gobelets, des aiguières et des coupes,
remplis de vin exquis,
Sa vapeur ne leur montera pas à la tête et n'obscurcira pas leur raison.
Ils auront à souhait les fruits qu'ils désireront,
Et la chair des oiseaux les plus rares.
Près d'eux seront les houris aux beaux yeux noirs
Pareilles aux perles dans leur nacre.
Telle sera la récompense de leurs oeuvres.
Ils n'y entendront ni discours frivoles ni paroles criminelles
On y entendra que les paroles: Paix, paix. (6)

Baha'u'llah resta à Badasht pendant vingt-deux jours. Alors les babis, ceux qui étaient restés fermes et constants, quittèrent le lieu de cette conférence historique et, leur foi fortifiée, se dirigèrent vers le village de Niyala où ils furent attaqués de tous côtés. Baha'u'llah lui-même raconta à Nabil:

Nous étions tous réunis dans le village de Niyala et nous reposions au pied d'une montagne, lorsqu'à l'aube nous fûmes soudain réveillés par les pierres que les gens du voisinage lançaient sur nous du sommet de la montagne. La férocité de leur attaque incita nos compagnons à s'enfuir, terrifiés et consternés. J'habillai Quddus de mes propres vêtements et l'envoyai vers un endroit sûr où j'entendais le rejoindre. Lorsque j'y parvins, je découvris qu'il était parti. Personne parmi nos compagnons n'était resté à Niyala, hormis Tahirih et un jeune homme de Chiraz, Mirza 'Abdu'llah. La violence de l'attaque menée contre nous avait semé la désolation dans notre camp. Je ne trouvais personne à qui je puisse confier Tahirih, personne à part ce jeune homme qui fit preuve à cette occasion d'un courage et d'une détermination vraiment surprenants. L'épée à la main, indompté malgré le sauvage assaut des habitants de ce village qui s'étaient rués pour piller nos biens, il bondissait en avant pour arrêter la main de l'assaillant. Bien qu'il fût lui-même blessé à plusieurs endroits du corps, il risqua sa vie pour protéger nos biens. Je le priai de renoncer à son acte. Lorsque le tumulte se fut apaisé, je m'approchai de quelques-uns des habitants du village et je pus les persuader de la cruauté et de l'ignominie de leur comportement. Je parvins ensuite à recouvrer une partie de nos biens pillés. (7)

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