La perle 
  inestimable 
   Par Ruhiyyih Rabbani  
  
    
      
  
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  Chapitre 2. L'ascension d'Abdu'l-baha et ses conséquences 
  immédiates 
  
   Le bureau du Major Tudor Pole, a Londres, 
  servait souvent de boîte postale aux baha'is. Shoghi Effendi y passait ordinairement 
  chaque fois qu'il venait a Londres. 
  
  Le 29 nov. 1921 vers 9h3O du matin le télégramme suivant parvenait a ce bureau:
  
  Cyclometry Londres
  
  "Sa Sainteté 'Abdu'l-Baha monté Royaume Abha. Informez amis.
  Plus Sainte Feuille."
  
  Dans le récit qu'il fit de ce terrible événement et de ses répercussions immédiates, 
  Tudor Pole écrit qu'il notifia immédiatement cette nouvelle aux amis, par télégramme, 
  téléphone et lettres. Je crois qu'il téléphona a Shoghi Effendi lui demandant 
  de passer tout de suite a son bureau, sans lui donner d'explication, sachant 
  le choc énorme qu'une telle nouvelle produirait sur lui. Quoiqu'il en soit, 
  Shoghi Effendi arriva a Londres vers midi et alla au 61 St. James Street (loin 
  de Piccadilly et pas trop loin de Buckingham Palace) où on l'introduisit dans 
  le bureau privé du Major. Tudor Pole n'y était pas a cet instant. Alors qu'il 
  attendait debout, dans cette pièce, son regard tomba sur le nom d'Abdu'l-Baha 
  et le télégramme ouvert sur le pupitre. Il le lut. Quand le Major Tudor Pole 
  entra, un instant plus tard, il trouva un Shoghi Effendi abasourdi, effondré 
  et prostré par cette nouvelle catastrophique. On dut l'emmener chez Miss Grand, 
  une croyante de Londres, où il garda le lit quelques jours. La soeur de Shoghi 
  Effendi, Rouhangeze, faisait ses études a Londres. Elle, Lady Blomfield et d'autres 
  amis s'employèrent autant qu'ils le purent a réconforter l'adolescent au coeur 
  brisé.
  
  Le Dr. Esslemont, en apprenant cette nouvelle, pensa tout de suite a Shoghi 
  Effendi: le 29 nov. il lui écrivait:
  
  "The Home Sanatorium
  Bournemouth
  
  Très cher Shoghi,
  
  Ce fut vraiment "un coup de tonnerre" lorsque le télégramme de Tudor Pole me 
  parvint ce matin: "Maître trépassa calmement hier matin"... Ce doit être très 
  dur pour vous, loin de votre famille et même loin de tout ami baha'i. Qu'allez 
  vous faire maintenant? Je suppose que vous allez retourner a Haïfa aussitôt 
  que possible. En attendant, venez quelques jours ici, vous êtes le bienvenu... 
  Envoyez moi simplement un télégramme... et j'aurai une chambre toute prête pour 
  vous... Si je peux vous aider de quelque façon, j'en serai très heureux. J'imagine 
  très bien l'accablement que vous ressentez et comme vous devez être impatient 
  de rentrer chez vous et quelle terrible vide vous devez ressentir dans votre 
  vie... Le Christ était plus près de ceux qu'il aimait, après son ascension et 
  je prie pour qu'il en soit ainsi entre le Bien-Aimé et nous-mêmes. Nous devons 
  prendre notre part de responsabilité dans le soutien de la Cause, et son esprit 
  et pouvoir seront avec nous et en nous."
  
  Après quelques jours chez Miss Grand, Shoghi Effendi entreprit de terminer ses 
  affaires pour retourner immédiatement en Terre Sainte. Tudor Pole, dans une 
  lettre aux baha'is américains, du 2 décembre, écrivait: "Shoghi Rabbani et sa 
  soeur retourneront a Haïfa vers la fin de ce mois. Ils seront accompagnés par 
  Lady Blomfield..." Nous supposons qu'il était de retour a Oxford le 3 décembre, 
  car le professeur Margoliouth lui exprima, a cette date, ses condoléances et 
  l'invita chez lui pour une "petite visite". 
  
  Nous savons également, par une lettre que Shoghi Effendi écrivit a un étudiant 
  baha'i de Londres, lettre hélas non datée, qu'il acceptait l'invitation du Dr. 
  Esslemont:
  
  "La terrible nouvelle a accablé si fortement, pendant quelques jours, mon 
  corps, ma raison et mon âme, que je suis resté étendu sur un lit pendant deux 
  jours, presque sans connaissance, l'esprit absent et agité. Progressivement, 
  sa puissance m'a revivifié et a soufflé en moi une confiance qui, je l'espère, 
  me guidera et m'inspirera dans mon humble travail de service. Le jour est venu, 
  mais si soudain et si inattendu. Toutefois, le fait que sa Cause ait créé, tout 
  autour du monde, tant de belles âmes est une garantie sûre: elle vivra et prospérera 
  et sous peu, elle embrassera le monde. Je pars maintenant pour Haïfa afin de 
  recevoir les instructions qu'il a laissées et j'ai pris la décision suprême 
  de dédier ma vie a son service et, grâce a son aide, de suivre ses instructions 
  tous les jours de ma vie.
  
  Les amis ont insisté pour que je prenne un jour ou deux de repos, ici, avec 
  le Dr. Esslemont, après le choc que j'ai reçu. Je repars demain pour Londres 
  et de la pour la Terre Sainte.
  
  L'émoi qui a soulevé le monde baha'i, est une impulsion a cette Cause, et éveillera 
  toute âme fidèle a épauler les responsabilités que le Maître a maintenant laissées 
  pour chacun de nous.
  
  La Terre Sainte demeurera le centre focal du monde baha'i. Une nouvelle ère 
  commence. Le Maître, par sa grande vision, a consolidé son travail et son esprit 
  m'assure que ses résultats seront bientôt manifestes.
  
  Je pars avec Lady Blomfield pour Haïfa et si nous nous arrêtons, lors de notre 
  passage, a Londres, je viendrai vous voir et vous dirai de quelles merveilleuses 
  façons, le Maître a prévu son travail après lui, et quelles remarquables assurances 
  il a données en ce qui concerne l'avenir de la Cause...
  
  Avec prière et foi en sa cause, je suis votre ami dans son service
  Shoghi"
  
  C'est un court extrait d'une étonnante lettre écrite avant que les clauses du 
  Testament du Maître ne soient connues et diffusées. Il est toutefois, clair 
  que Shoghi Effendi a été informé qu'une enveloppe, qui lui était adressée par 
  le Maître, l'attendait a son arrivée a Haïfa. Il nous semble, en vérité que 
  l'esprit du Maître, alors qu'il accomplissait son vol éternel, était passé par 
  l'Angleterre et avait, au passage, laissé tomber son manteau sur le rejeton 
  de sa maison! Une des filles d'Abdu'l-Baha écrivait le 22 décembre 1921: "Il 
  a communiqué ses dernières instructions dans une lettre adressée a Shoghi Effendi. 
  En conséquence, nous ne pouvons l'ouvrir avant son arrivée qui aura lieu, nous 
  l'espérons, vers la fin de ce mois, car il est maintenant en route pour ici."
  
  La haute charge dont il aura bientôt connaissance, les longues années d'entraînement 
  avec son grand-père bien-aimé, semblent avoir donné a Shoghi Effendi la force 
  spirituelle nécessaire a cette heure la plus tragique de sa vie. Il trouva le 
  temps, au milieu de son agonie, de réconforter les autres, comme en témoigne, 
  un des croyants de Manchester, E.T. Hall:
  
  "Votre aimable, tendre et noble lettre, stimulante et courageuse arriva a 
  un moment où nous étions très tristes mais résolus, très secoués mais réceptifs, 
  et elle transforma nos larmes en un flux de paix et de patience dans la volonté 
  de Dieu... Votre noble lettre nous exalta tous et renouvela notre force et détermination. 
  Car si vous pouvez vous reprendre et vous élever au-dessus d'un tel choc et 
  d'une perte si immense, pour nous réconforter; nous aussi, nous ne devons pas 
  faire moins. Mais nous lever et servir la Cause qui est notre Mère... Je sais 
  que vous avez mille choses a voir avant votre départ pour la Terre Sainte. Mais 
  tous, nous vous aimons chèrement, et nous sommes tous unis et plus forts que 
  jamais. Partez pour ce lieu Sacré, avec notre amour, sympathie et tout notre 
  coeur, car nous sommes un, toujours avec vous.
  
  Ayant eu des difficultés de Passeport, Shoghi Effendi câbla a Haïfa qu'il ne 
  pourrait arriver avant la fin du mois. il embarqua, le 16 décembre d'Angleterre, 
  accompagné de Lady, Blomfield et de Rouhangeze. Le bateau faisant escale en 
  Egypte, il y prit le train et arriva a Haïfa le 29 décembre a 17h2O. De nombreux 
  amis étaient venus a la gare afin de l'accompagner jusqu'à la maison. On raconte 
  qu'il était si bouleversé a son arrivée, qu'on dut l'aider a marcher. La seule 
  personne qui pouvait, dans une certaine mesure, adoucir ses souffrances, sa 
  grande tante bien-aimée, la soeur d'Abdu'l-Baha, l'attendait chez lui. Elle, 
  si frêle, si calme, si modeste en tout temps, elle s'était montrée durant les 
  semaines passées, un roc solide auquel les croyants' s'agrippaient au milieu 
  de la tempête qui s'était abattue soudain sur eux. La qualité de son âme, son 
  éducation, son rang, l'avaient préparée pour le rôle qu'elle joua dans la Cause 
  et dans la vie de Shoghi Effendi pendant cette période extrêmement difficile 
  et dangereuse.
  
  Quand 'Abdu'l-Baha trépassa, si soudainement et si calmement, sans maladie sérieuse, 
  les membres de sa famille, affolés, cherchèrent a savoir s'il avait laissé des 
  instructions concernant sa sépulture. N'ayant rien trouvé, ils l'enterrèrent 
  au centre des trois pièces adjacentes a l'intérieur du Tombeau du Bab. Ils découvrirent 
  son Testament, consistant en trois testaments écrits a des époques différentes 
  et formant un seul document, adressé a Shoghi Effendi. Shoghi Effendi avait 
  maintenant le pénible devoir d'entendre ce qu'il contenait. Quelques jours après 
  son arrivée, ils le lui lurent. Pour comprendre, tant soit peu, l'effet qu'il 
  eut sur lui, nous devons nous souvenir qu'il a déclaré a maintes occasions, 
  a la table de la maison des pèlerins occidentaux, non seulement a moi mais a 
  tous ceux qui étaient présents, qu'il n'avait eu nulle connaissance, auparavant, 
  de l'existence de l'Institution du Gardiennat et encore moins qu'il était désigné 
  comme Gardien. Etant l'aîné des petits-fils ' il s'attendait, tout au plus, 
  a ce que peut-être 'Abdu'l-Baha lui laisse des instructions sur l'élection de 
  la Maison Universelle de justice et le désigne comme un de ceux chargés de convoquer 
  la réunion de l'élection.
  
  Dans cette maison si vide, si désespérément vide, où chaque pas rappelait la 
  présence du Maître, maintenant disparu a jamais, il fut réellement noyé sous 
  des flots de chagrin et de désespoir. "Heures sombres", écrit-il a Mme White, 
  " de tristesse intense, d'agitation dont je fais souvent l'expérience, car où 
  que j'aille, je me rappelle mon cher grand-père et quoique je fasse, je sens 
  la terrible responsabilité qu'il a, si soudainement, placée sur mes faibles 
  épaules." 
  
  Dans cette lettre du 6 février 1922, un peu plus d'un mois après son retour, 
  il s'épanche auprès de son amie: 
  
  "je sens intensément le besoin urgent d'une régénération en moi, d'une effusion 
  puissante de force, de confiance d'Esprit divin en mon âme impatiente, avant 
  que je ne me lève pour prendre la place qui m'est destinée sur le front d'un 
  Mouvement qui préconise de tels principes glorieux. Je sais qu'il ne me laissera 
  pas a moi-même. J'ai confiance en sa direction et je crois en sa sagesse. Mais 
  ce que j'implore c'est la conviction et l'assurance permanente qu'il ne m'abandonnera 
  pas. La tâche est si grande et écrasante et j'ai si profondément conscience 
  de l'insuffisance de mes efforts que je ne peux que fléchir et me courber chaque 
  fois que je fais face a mon travail..." 
  
  Cette femme noble, de toute évidence, avait écrit a Shoghi Effendi, des lettres 
  si inspirées qu'il lui dit que pendant qu'il les lisait il était "ému jusqu'aux 
  larmes" et il s'écrie: "Oh! comme dans ma jeunesse et ma faiblesse, j'ai 
  besoin a tout moment, d'un appel vigoureux, d'un rappel puissant, d'une parole 
  consolatrice et réconfortante." Il termine sa lettre très significativement 
  en lui disant que de nombreuses fois il a répété aux dames de la maison, son 
  sage conseil: fi ne faites pas du Mouvement une secte" et il signe: "je suis 
  très affectueusement vôtre."
  
  Le même mois, dans une autre lettre, il écrivait: "... la peine, plutôt l'agonie 
  due a sa perte est écrasante. .." Au milieu de cette torture, cependant, cet 
  homme de vingt-quatre ans, trouve qu'il n'était pas seulement désigné comme 
  "la branche sacrée et bénie, issue des deux Saints Arbres jumeaux" et dont "l'ombre 
  s'étend sur toute l'humanité" mais aussi comme "le signe de Dieu, la branche 
  élue, le Gardien de la Cause de Dieu, celui vers lequel doivent se tourner les 
  Aghsans(descendants mâles de Baha'u'llah), les Afnans' de la parenté du Bab), 
  les Mains de la Cause de Dieu, ainsi que ses bien-aimés." Nous pouvons seulement 
  espérer que la révélation du fait qu'il a été désigné pour ce rôle alors qu'il 
  était encore un petit enfant, fut pour lui un réconfort. Le Testament d'Abdu'l-Baha 
  se compose de trois parties. Shoghi Effendi devait écrire des années plus tard, 
  que "la première partie" fut composée durant une des périodes les plus noires 
  de son incarcération a la prison forteresse d'Akka". C'est dans cette première 
  partie que le prodigieux rang de Gardien lui a été conféré. Mais son grand-père, 
  qui avait écrit de sa propre main dans son Testament: "Cet écrit a été conservé 
  longtemps sous terre... La Terre Sainte étant dans une violente agitation, il 
  a été laissé comme tel," garda le secret.
  
  Shoghi Effendi découvrit également qu'il était "l'interprète des paroles de 
  Dieu" et que quiconque s'oppose a lui, le conteste, le querelle, ou ne croit 
  pas en lui, en fait autant avec Dieu et quiconque s'écarte, se détourne, ou 
  se sépare de lui, a agi de même avec Dieu et que le Maître a invoqué la colère, 
  l'indignation et la vengeance de Dieu sur une telle personne! Il apprit également 
  qu'il était le chef a vie et inamovible de la Maison Universelle de justice 
  et qu'il était, tout comme ce corps, infailliblement guidé par le Bab et Baha'u'llah, 
  que ce qu'il déciderait venait de Dieu; que quiconque lui désobéirait ou leur 
  désobéirait, désobéirait a Dieu. Il trouva qu'il devait choisir, durant sa vie, 
  son fils aîné pour lui succéder et si ce dernier ne manifestait pas les qualités 
  nécessaires démontrant que "l'enfant est l'essence secrète de son père", il 
  devrait choisir une autre branche. Il trouva que le Maître avait rappelé tendrement: 
  "0 vous les fidèles bien-aimés d'Abdu'l-Baha. Il vous incombe de prendre le 
  plus grand soin de Shoghi Effendi... afin que nulle poussière de découragement 
  et de chagrin ne puisse ternir sa nature radieuse, que de jour en jour s'accroissent 
  son bonheur, sa joie et sa spiritualité et qu'il puisse devenir un arbre fécond". 
  Il est relativement facile d'accepter que quelqu'un porte le monde sur ses épaules 
  mais il est très difficile d'accepter que ce soit justement vous qui le fassiez. 
  Les croyants acceptaient Shoghi Effendi; mais sa croix était d'essayer de s'accepter 
  lui-même.
  
  La Très Sainte Feuille et probablement quelques rares membres de la famille 
  du Maître connaissaient, du moins en substance, avant l'arrivée de Shoghi Effendi, 
  le contenu du Testament, car le Testament avait été examiné pour savoir s'il 
  contenait quelque précision sur son propre enterrement. Ce fait nous est suggéré 
  par les télégrammes que la plus Sainte Feuille envoya aux croyants iraniens 
  et américains, le 21 décembre 1921. Celui adressé a l'Amérique était rédigé 
  ainsi: "Réunion souvenir travers monde sept janvier. Procurer prières pour unité 
  et fermeté. Maître a laissé instructions complètes dans son Testament. Traduction 
  sera envoyée. Informez amis. "
  
  Mais les clauses du Testament ne furent divulguées qu'une fois lues a Shoghi 
  Effendi, et en réalité après la lecture officielle du document le 3 janvier.
  
  je ne doute pas que Shoghi Effendi et la famille d'Abdu'l-Baha aient traversé 
  une période d'insupportables souffrances pendant ces jours et en fait, pendant 
  les années qui suivirent l'ascension du Maître.
  
  Beaucoup plus tard, je vis souvent Shoghi Effendi, lorsqu'il était immensément 
  triste, aller au lit, refusant de manger, de boire et de parler, enroulé dans 
  ses couvertures, incapable de faire quoique ce fût sinon agoniser, pareil a 
  celui qui est tombé sous. une pluie battante. Parfois cet état durait pendant 
  des jours, jusqu'à ce qu'il trouve suffisamment de forces, intérieures pour 
  être a nouveau sur pied. Il était perdu dans un monde a lui où personne ne pouvait 
  le suivre. Une fois, il me dit: "je sais, c'est une route de souffrance; je 
  dois cheminer sur cette route jusqu'à la fin. Tout doit être fait avec la souffrance."
  
  Les sentiments d'abandon, d'indignité et l'aspiration passionnée de Shoghi Effendi 
  vers son grand-père pendant les premières années du Gardiennat, nous paraissent 
  encore plus poignants, lorsque nous apprenons le fait qui m'a été raconté par 
  sa mère, a moi et a quelques femmes iraniennes, et qui est relaté, dans une 
  lettre écrite quelques jours après, par un baha'i américain présent au moment 
  de l'ascension du Maître. Il paraît que, quelques semaines avant son ascension, 
  'Abdu'l-Baha se serait rendu, soudain, dans la pièce où se tenait le père de 
  Shoghi Effendi et lui aurait dit: "Télégraphiez a Shoghi Effendi de rentrer 
  immédiatement." Sa mère nous dit qu'elle consulta sa propre mère et qu'il fut 
  décidé qu'un télégramme risquant de choquer inutilement Shoghi Effendi on lui 
  adresserait plutôt une lettre avec les instructions du Maître. La lettre arriva 
  après l'ascension. Le Maître étant en parfaite santé, dit-elle, ils n'auraient 
  jamais songé qu'il allait mourir. Le motif était sans doute bon. Mais ce fait 
  est typique de l'interférence d'une famille dans ce qu'elle considérait comme 
  une affaire familiale a la vue trop courte pour comprendre qu'Abdu'l-Baha avait 
  toujours raison et qu'on devait lui obéir. Il n'y a pas de doute; cet élément 
  humain et tragique a causé un mal inouï a l'époque de Baha'u'llah, d'Abdu'l-Baha 
  et de Shoghi Effendi. De toute façon, il priva effectivement Shoghi Effendi 
  de revoir son grand-père. Il répétait souvent que s'il l'avait revu, le Maître 
  lui aurait prodigué des conseils et des instructions particulières sans parler 
  du réconfort infini dont il aurait bénéficié en le revoyant une dernière fois.
  
  Shoghi Effendi occupa d'abord, a son arrivée a Haïfa, son ancienne chambre, 
  contiguë a celle d'Abdu'l-Baha. Quelques jours plus tard, il s'installa dans 
  la maison d'a côté, chez une de ses tantes. Il y resta jusqu'à ce que la Plus 
  Sainte Feuille fasse construire, pendant l'été 1923, deux pièces et une petite 
  salle de bain sur le toit de la maison du Maître. Cette décision était motivée 
  par de nombreuses raisons: le douloureux souvenir que cette pièce lui rappelait, 
  les allées et venues incessantes dans la maison du Maître et enfin ce sens aigu 
  d'équité, caractéristique de Shoghi Effendi: sa famille ayant reçu tant d'honneur 
  par l'élévation d'un de ses fils a une si haute position, il devait prodiguer 
  gentillesse et honneur a, ses tantes, oncles et cousins pour redresser, dans 
  une certaine mesure, la balance.
  
  Un tel retour a la maison, ne laissa aucune possibilité a Shoghi Effendi de 
  se reprendre des chocs qu'il avait reçus depuis le début où, debout dans le 
  bureau de Tudor Pole, il lut le télégramme fatal l'informant de l'ascension 
  du Maître. Malgré sa condition, le rang que lui conférait maintenant le Testament 
  le chargeait d'une responsabilité telle qu'il ne pourrait jamais, jusqu'au dernier 
  instant de sa vie, la partager avec personne, individu ou institution. C'était 
  la même responsabilité que Baha'u'llah avait conférée au Maître dans son Testament, 
  désignant clairement 'Abdu'l-Baha comme son successeur. Des décisions devaient 
  être prises. La première portait sur la façon de rendre public le Testament.
  
  Nous recueillons de différentes sources, que le matin du 3 janvier 1922, Shoghi 
  Effendi visita le Tombeau du Bab et de son grand-père. Le même jour, chez sa 
  tante, mais en dehors de sa présence, on lut le Testament du Maître a neuf hommes, 
  pour la plupart membres de la famille d'Abdu'l-Baha; on leur montra son sceau, 
  sa signature et son écriture. Shoghi Effendi demanda a l'un d'eux, un baha'i 
  iranien, d'en établir une copie conforme. Quelques semaines plus tard, Shoghi 
  Effendi écrit a un baha'i de longue date: "Le Testament d'Abdu'l-Baha fut lu 
  le 7 janvier 1922, dans sa maison, en présence de baha'is venant de l'Iran, 
  de l'Inde, d'Egypte, d'Angleterre, d'Italie, d'Allemagne, d'Amérique et du japon..." 
  Le Gardien n'assista pas a cette réunion, sans doute pour des raisons de santé 
  mais aussi par délicatesse. 
  
  Conformément a la coutume locale de commémorer le quarantième jour du décès, 
  quelques baha'is et de nombreux notables, y compris le Gouverneur de Haïfa, 
  se rassemblèrent dans le hall de la maison du Maître. On leur servit d'abord 
  le déjeuner puis, dans le même hall, eut lieu une grande réunion au cours de 
  laquelle des discours furent prononcés en l'honneur du regretté Maître et les 
  clauses du Testament furent annoncées. Les invités désirant que Shoghi Effendi 
  leur adresse quelques mots, un des amis vint le prévenir. Shoghi Effendi, qui 
  était auprès de la Plus Sainte Feuille, répondit qu'il était trop accablé et 
  ému pour accéder a leur demande. Il écrivit hâtivement, a la place, quelques 
  mots a lire de sa part. Il y exprimait sa cordiale reconnaissance et celle de 
  la famille d'Abdu'l-Baha pour la présence du Gouverneur et pour les orateurs 
  qui par leur paroles sincères "ont revivifié, dans nos coeurs sa mémoire sacrée... 
  Je m'aventure a espérer que, nous, ceux de sa parenté et de sa famille, nous 
  pourrons, par nos actes et nos paroles, suivre convenablement le glorieux exemple 
  qu'il nous a donné et par la même gagner votre estime et votre affection. Que 
  son esprit impérissable soit avec nous tous et nous unisse plus que jamais!" 
  Il commence ce message ainsi: "Le choc a été trop fort et trop soudain, a mon 
  jeune âge, pour qu'il me soit possible d'être présent a cette réunion des amis 
  du Bien-Aimé 'Abdu'l-Baha."
  
  Il convenait que ce soit la Plus Sainte Feuille, et non pas Shoghi Effendi, 
  qui annonce au monde baha'i les Clauses du Testament d'Abdu'l-Baha. Le 7 janvier, 
  elle envoyait deux câbles en Iran: "Réunions Souvenir ont été tenues tout autour 
  du monde. Le Seigneur de tous les mondes dans son Testament a révélé ses instructions 
  Copie sera envoyée. Informez croyants"; et "Testament envoyé, Shoghi Effendi 
  Centre Cause." Il est significatif de rappeler qu'Abdu'l-Baha, sans doute par 
  anticipation sur des événements qu'il prévoyait clairement, avait écrit a l'Assemblée 
  de Téhéran, en réponse a leur question: "Vous avez demandé au nom de qui les 
  biens réels et les bâtiments offerts devaient être enregistrés vis a vis du 
  gouvernement et dans les actes légaux: ils doivent être enregistrés au nom de 
  Mirza Shoghi Rabbani, qui est le fils de Mirza Hadi Shirazi et qui est a Londres." 
  Quels que soient la peine et le choc produits en Iran par l'ascension du Maître, 
  il est peu vraisemblable que la nouvelle de la désignation de Shoghi Effendi 
  fût une surprise pour les amis les plus informés et particulièrement pour ceux 
  qui avaient reçu, si récemment, une telle instruction d'Abdu'l-Baha. 
  
  Le 16 janvier, la Plus Sainte Feuille télégraphia aux Etats -Unis: "Dans Testament 
  - Shoghi Effendi désigné Gardien et Chef de Maison de Justice. - Informez amis 
  américains." Shoghi Effendi fit face, dès le commencement, avec tact et maîtrise, 
  aux problèmes qui se posèrent continuellement. Il s'appuya, néanmoins, lourdement 
  sur la Plus Sainte Feuille qui devint, tout de suite, son appui et son refuge, 
  par son caractère, son rang et son amour pour lui.
  
  Shoghi Effendi, immédiatement après ces événements, choisit huit passages du 
  Testament qu'il diffusa parmi les baha'is. Un seul de ces huit extraits se rapportait 
  a lui. Il était très bref: "0 vous, les fidèles bien-aimés d'Abdu'l-Baha! Il 
  vous incombe de prendre le plus grand soin de Shoghi Effendi... Car après 'Abdu'l-Baha 
  c'est lui le Gardien de la Cause de Dieu; les Afnan, les Mains (piliers) de 
  la Cause et les bien-aimés du Seigneur doivent lui obéir et se tourner vers 
  lui." De tous les passages retentissants du testament le concernant, Shoghi 
  Effendi avait choisi le moins frappant et le moins provoquant pour une première 
  diffusion parmi les baha'is. Guidé et guide, il le fut dès le commencement.
  
  Ces premières années du Gardiennat doivent être considérées comme une succession 
  continuelle d'abattements et de rétablissements pour un Shoghi Effendi chancelant 
  souvent sous les coups reçus, mais courageux jusqu'au bout. C'était son amour 
  pour 'Abdu'l-Baha qui lui permettait de continuer: "Malgré tout je crois et 
  crois fermement," s'écrie-t-il "en sa puissance, sa direction, sa présence immortelle..." 
  En février 1922, il décrit sa souffrance a Nayir Afnan, un neveu d'Abdu'l-Baha: 
  "Votre lettre m'est parvenue a un moment de tristesse, d'affliction et de soucis... 
  la peine, ou plutôt l'agonie due a sa perte est si écrasante, le poids de la 
  responsabilité qu'il a placée sur mes jeunes et faibles épaules est si écrasant..." 
  et il poursuit: "je joins, pour vous personnellement, la copie du Testament 
  du cher Maître. Vous lirez et vous verrez ce qu'il a enduré des mains de sa 
  parenté... Vous verrez également quelle grande responsabilité il a placée sur 
  moi, que rien de moins que le pouvoir créateur de sa parole ne peut m'aider 
  a faire face..." Cette lettre ne révèle pas seulement ses sentiments. Elle montre 
  aussi, sachant que le destinataire était un des ennemis du Maître dans les jours 
  qui suivirent l'ascension de Baha'u1lah et appartenait a cette race de parents 
  qu'il a si énergiquement dénoncée dans son testament, cette lettre montre donc 
  avec quel courage Shoghi Effendi tient le miroir du passé face a son interlocuteur 
  et demande, en même temps, son soutien et sa loyauté, dans la situation présente.
  
  Les premières lettres de Shoghi Effendi révèlent sa force de caractère, sa sagesse 
  et sa dignité. Concernant son rang, il répond clairement et sans équivoque, 
  le 19 mars 1922 a un professeur de l'Université de Beyrouth: "En réponse a votre 
  question si j'ai été officiellement désigné pour représenter la Communauté baha'ie: 
  'Abdu'l-Baha m'a désigné, dans son testament pour être le chef du conseil universel 
  qui doit être dûment élu par les conseils nationaux représentant les adeptes 
  de Baha'u'llah dans les différents pays..."
  
  Il ne faut cependant pas croire que le fait de promulguer le Testament d'Abdu'l-Baha 
  résolut les problèmes et inaugura avec la plus grande simplicité, une ère nouvelle 
  pour la Cause. Loin de la. Avant l'arrivée de Shoghi Effendi a Haïfa, la Plus 
  Sainte Feuille avait été obligée de télégraphier en Amérique, le 14 décembre: 
  "Période grandes épreuves. Les amis doivent être fermes et unis pour défendre 
  Cause. Nakeseens (briseurs du Covenant) commencent activités travers presse 
  et autres moyens a travers monde. Choisissez comité de sages et têtes froides 
  pour prendre en main propagande presse en Amérique." Les graves événements indiqués 
  dans ce câble ne peuvent être considérés en dehors du contexte de la situation 
  grave qui existait déjà en Amérique lorsque décéda 'Abdu'l-Baha. 
  
  Le Maître, depuis un certain temps, était très occupé par les activités des 
  briseurs du Covenant en Amérique. Il avait même prédit, dans une lettre écrite 
  quelques années auparavant, qu'un orage éclaterait après son ascension et qu'il 
  priait pour les croyants. Le 8 novembre 1921, il télégraphiait a Wilhelm Roy, 
  son fidèle correspondant: "Quelle est situation et santé amis?" Le lendemain 
  Mr. Wilhelm était obligé de répondre: "Chicago, Washington, Philadelphie s'agitent 
  centre violation Fernald, Dyer, Watson. New York, Boston refusent joindre, établissent 
  fermement politique constructive." Le 12 novembre 'Abdu'l-Baha répondait dans 
  un langage ferme et laissait clairement voir son angoisse: "Celui qui s'assoit 
  avec lépreux attrape lèpre. Celui qui est avec Christ évite Judas Iscariote. 
  Certainement évitez violateurs - Informez Goodal, True et Parsons télégraphiquement." 
  Le même jour, le Maître envoyait un second télégramme a Roy Wilhelm: "j'implore 
  santé de la bonté divine". C'étaient les derniers messages que l'Amérique devait 
  recevoir de lui.
  
  L'ascension soudaine d'Abdu'l-Baha' n'arrangea rien a la situation. C'est sans 
  doute parce qu'elle était consciente de la gravité de la situation que la Plus 
  Sainte Feuille envoya aux amis d'Amérique le télégramme leur annonçant que le 
  Maître avait laissé toutes les instructions nécessaires dans son Testament. 
  L'agitation perpétuelle de Muhammad 'Ali, depuis l'ascension de Baha'u'llah, 
  n'avait pas diminué, et ses partisans aux Etats-Unis étaient actifs et vigilants. 
  A cette époque le magazine baha'i "Reality" publiait dans ses colonnes des nouvelles 
  sur les briseurs du Covenant et leurs activités. Cela chagrinait beaucoup les 
  croyants sages et expérimentés, en particulier ceux qui avaient eu le privilège 
  de connaître personnellement 'Abdu'l-Baha. Mais les jeunes, inexpérimentés et 
  d'esprit "libéral" restaient imperturbables et inconscients du danger. Cette 
  attitude malsaine et équivoque des amis, amena 'Abdu'l-Baha a écrire, deux mois 
  a peine avant sa mort, une Tablette publié dans le Star ot the West. Elle met 
  nettement en garde les amis contre les dangers qu'ils courent en traitant légèrement 
  ces matières; le Maître leur explique que Baha'u'llah prescrit a ses disciples 
  de fuir les mauvaises odeurs, et que ces mauvaises odeurs ne sont que les violateurs. 
  Shoghi Effendi héritait de cette situation.
  
  Un des plus anciens et des plus fermes croyants d'Amérique écrivait, le 18 janvier 
  1922, a peine deux semaines après la promulgation des clauses du Testament d'Abdu'l-Baha: 
  "Comme vous le savez, nous avons beaucoup de soucis et de peines avec les violateurs 
  de la Cause, en Amérique. Ce poison a profondément pénétré parmi les amis..." 
  Des accusations, des faits et des rapports détaillés submergeaient le Gardien 
  nouvellement nommé. Naturellement, il y eut aussi un autre aspect: avec une 
  sincérité et une confiance touchante, les baha'is d'Orient et d'Occident rallièrent 
  leur jeune chef, le Courant d'un flot de déclarations d'amour et de loyauté; 
  "Nous aspirons a aider le Gardien de toutes les manières et nos coeurs sont 
  sensibles aux charges qu'il porte sur ses épaules..."; Il nous a été dit, ici, 
  a Washington, que notre Bien-Aimé Maître a placé dans vos mains la direction 
  et la protection de la Sainte Cause et qu'il vous a nommé comme le Chef de la 
  Maison de justice. Je vous écris ces quelques lignes répondant ainsi de tout 
  coeur aux instructions de notre Bien-Aimé Seigneur et vous assurant de toute 
  aide et fidélité dont je suis capable..."
  
  "Bien-Aimé de notre Bien-Aimé" écrivaient deux piliers de la Foi en Amérique, 
  "comme nos coeurs ont chanté de joie en apprenant que le Maître ne nous a pas 
  laissé sans réconfort, mais qu'il vous a nommé, son Bien-Aimé, le Centre de 
  l'unité de sa Cause, afin que le coeur de tous les amis puisse trouver la paix 
  et la certitude." "Nos vies étaient plongées dans les ténèbres les plus profondes 
  jusqu'à l'arrivée du télégramme béni de la Plus Sainte Feuille, accompagné du 
  premier rayon de lumière, et c'est votre désignation comme notre Gardien et 
  notre Chef ainsi que le Gardien et le Chef de la Maison de Justice. "Ce que 
  le Gardien de la Cause de Dieu désire ou conseille que ces serviteurs fassent, 
  c'est également notre désir et intention." 
  
  En août 1922, un croyant récemment rentré de Haifa écrit a la Plus Sainte Feuille: 
  
  "Les amis sont très attachés a Shoghi Effendi et ne désirent rien d'autre que 
  suivre les injonctions de notre Seigneur selon lequel nous devons tous soutenir 
  le Gardien de cette Cause Sacrée..." Un autre croyant écrivait, a peu près a 
  la même période, a Shoghi Effendi: "nous avons encore de nombreuses difficultés 
  et quelques points noirs, mais je sens le pouvoir régénérateur et crois que 
  globalement la Cause n'a jamais été aussi saine et profonde en Amérique..." 
  De tels messages étaient, sans doute, d'un grand réconfort mais ils paraissent 
  pitoyablement peu nombreux en comparaison du nombre de croyants en Occident 
  et de la douleur de Shoghi Effendi. C'est un fait, mais triste, que nombreux 
  parmi ceux qui se rallièrent le plus fermement a lui, quittèrent eux-mêmes plus 
  tard la Cause et même se tournèrent contre elle. La tornade déracine les grands 
  arbres mais laisse intactes les herbes modestes.
  
  Les baha'is de partout furent, indubitablement, entraînés par une grande vague 
  d'amour et de loyauté en apprenant les clauses du Testament du Maître. Ce Testament 
  eut cependant pour effet de pousser les briseurs du Covenant a l'action violente. 
  Tels un monstre a tête d'hydre, chaque tête sifflant plus de venin que l'autre, 
  ils se dressèrent pour frapper le jeune successeur du Maître. Le demi-frère 
  d'Abdu'l-Baha, Muhammad 'Ali, son frère, ses fils et ses partisans, les ennemis 
  perpétuels de la foi en Iran, les dissidents, les tièdes, les ambitieux où qu'ils 
  furent et quels qu'ils furent, commencèrent a s'agiter. Le 16 janvier, deux 
  baha'is vétérans américains servant la Cause a Téhéran écrivaient a la famille 
  du Maître et décrivaient ce qui se passait la-bas. Le fait le plus significatif 
  qui ressort de ces deux lettres est qu'Abdu'l-Baha avait envoyé en Iran une 
  lettre a laquelle il avait joint, pour l'édification des amis, une lettre que 
  Shoghi Effendi lui avait adressée et qui donnait des nouvelles de la Cause en 
  Angleterre.
  
  Elle arriva après l'ascension. Elle montre la fierté du Maître pour son petit-fils. 
  La conjonction de l'ascension d'Abdu'l-Baha et la désignation du Gardien semblent 
  être plus qu'une simple coïncidence. Les deux américains poursuivent: ... "une 
  clameur s'est élevée contre la Cause... mais le troupeau n'est ni dispersé ni 
  oublié. Il est ferme et constant et uni pour soutenir le jeune et brave chef 
  que le Bien-Aimé nous a donné en bénédiction. Shoghi Effendi a toujours été 
  un mot familier pour nous et toute la nation baha'ie lui souhaite la bienvenue 
  aujourd'hui et le salue. "Béni est celui qui vient au nom du Seigneur... 
  J'aimerais que vous entendiez les expressions de reconnaissances des croyants: 
  Maintenant nous sommes consolés. Maintenant nous sommes contents. La Cause a 
  rajeuni."
  
  Le 16 janvier, le Gardien écrivait sa première lettre aux baha'is d'Iran. Il 
  les encourageait a rester fermes et a protéger la foi, et partageait avec eux, 
  en des termes émouvants, sa douleur a l'occasion de l'ascension d'Abdu'l-Baha. 
  Il câblait, le 22 janvier, aux baha'is d'Amérique: "Feuilles Saintes réconfortées 
  inébranlable loyauté et noble résolution Américains. Jour de fermeté. Acceptez 
  ma collaboration affectueuse." 
  
  La veille, il leur avait écrit sa première lettre qui commence ainsi: "A cette 
  heure matinale où la lumière du jour commence a peine a darder a l'horizon de 
  la Terre Sainte, alors que la tristesse de la disparition du Bien-Aimé Maître 
  reste encore grande dans nos coeurs, je sens comme si mon âme, avec un amour 
  ardent et pleine d'espérance se tourne vers la grande compagnie de ses bien-aimés 
  a travers les mers..." Déjà, il avait la main a la barre et voyait nettement 
  les canaux où il devait naviguer: "la route large et droite de l'enseignement" 
  écrit-il, "l'unité, la fermeté, le détachement, la prudence, la prévoyance, 
  l'effort consciencieux pour réaliser les désirs du Maître, la conscience de 
  sa présence, l'éloignement des ennemis de la Cause, doivent être le but et l'activité 
  des croyants. 
  
  Quatre jours plus tard, il écrivait sa première lettre aux baha'is japonais: 
  
  "Quelque abattu et triste que je sois en ces jours sombres, cependant, chaque 
  fois que je me rappelle les espoirs que notre regretté Maître plaçait avec confiance 
  dans les amis de cette terre de l'Extrême-Orient, l'espérance me revient et 
  chasse la tristesse de sa disparition. En tant que son secrétaire et son compagnon 
  pendant près de deux ans après la fin de la Grande Guerre, je me souviens vivement 
  de la joie radieuse qui transfigurait sa face, chaque fois que j'ouvrais devant 
  lui vos requêtes..." Pendant ces jours, Shoghi Effendi était également occupé 
  a traduire en anglais le Testament d'Abdu'l-Baha . Emogene Hoagg, qui vivait 
  a Haïfa depuis un certain temps avant la mort d'Abdu'l-Baha écrivait le 24 janvier: 
  "Bientôt le Testament du cher Maître sera prêt pour l'Amérique et ailleurs. 
  Shoghi Effendi le traduit actuellement."
  
  (Photo)
  
  Pendant que Shoghi Effendi était ainsi occupé, reprenant ses forces, commençant 
  a écrire aux baha'is des différents pays il recevait du Haut Commissaire pour 
  la Palestine, Sir Herbert Samuel, une lettre datée du 24 janvier 1922:
  
  "Cher Mr. Rabbani,
  
  Je dois accuser réception de votre lettre du 16 janvier et vous remercie pour 
  les aimables expressions qu'elle contient.
  
  il serait regrettable si la mort toujours déplorée de Sir Abdu'l-Baha devait 
  interférer dans la poursuite de votre carrière d'Oxford et j'espère que ce ne 
  sera pas le cas.
  
  Je suis très intéressé d'apprendre les mesures qui ont été prises pour l'organisation 
  stable du Mouvement baha'i.
  
  Si vous veniez a n'importe quel moment a Jérusalem, ce serait pour moi un plaisir 
  de vous voir.
  
  Sincèrement vôtre
  Herbert Samuel"
  
  Malgré son ton amical, cette lettre demandait, au nom du gouvernement de sa 
  Majesté, des informations sur ce qui se passait. Ce n'est pas du tout surprenant, 
  compte tenu des activités de Muhammad Ali. Peu après l'ascension d'Abdu'l-Baha, 
  ce demi-frère mécontent et perfide avait présenté une requête, basée sur les 
  lois islamiques (lui qui se prétendait encore le successeur de Baha'u'llah), 
  revendiquant en tant que frère, de la succession d'Abdu'l-Baha. Il avait demandé 
  a son fils, qui vivait en Amérique et propageait les prétentions de son père 
  la-bas, de venir le joindre pour cette nouvelle attaque directe contre le Maître 
  et sa famille. Non content de cette exhibition de sa vraie nature, il demandait 
  aux autorités civiles de lui attribuer le gardiennage du Mausolée de Baha'u'llah 
  se basant sur sa prétention d'être le successeur légal d'Abdu'l-Baha. Les autorités 
  britanniques refusèrent de le suivre sur ce terrain et estimèrent que cela relevait 
  des autorités religieuses. Il se tourna donc vers le chef religieux musulman 
  et demanda au Mufti d'Akka la prise en charge du Tombeau de Baha'u'llah. Ce 
  dignitaire, cependant, répondit qu'il ne voyait pas comment il pourrait intervenir, 
  attendu que les enseignements baha'is n'étaient pas en conformité avec la loi 
  de Shariah.
  
  Tous les autres procédés ayant échoué, il envoya, le mardi 30 janvier, son jeune 
  frère, Badiullah, et quelques uns de ses partisans, visiter le Mausolée de Baha'u'llah 
  où ils prirent de force les clés du concierge baha'i de la Tombe Sacrée. Muhammad 
  'Ali affirmait, ainsi, son droit de gardiennage sur le tombeau de son Père. 
  Cet acte injustifiable créa une telle commotion dans la communauté baha'ie que 
  le gouverneur d'Akka ordonna que les clés soient remises aux autorités, posta 
  des gardes tout autour du Mausolée, mais n'alla pas plus loin, refusant de retourner 
  les clés a l'une ou l'autre des parties.
  
  Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour comprendre que ce fut un autre choc 
  terrible pour Shoghi Effendi. Un messager pantelant et excité apporta la nouvelle, 
  la nuit. Tous les croyants soulevés et indiciblement désolés d'apprendre que, 
  pour la première fois depuis des décennies, les restes sacrés étaient entre 
  les mains des ennemis invétérés du Centre de son Covenant. Un croyant américain 
  qui visita avec Shoghi Effendi le Mausolée, en mars 1922, décrit cette situation 
  dans son journal: "A chacune de mes trois récentes visites a Bahji, nous n'avons 
  pu aller plus loin que la cour du Tombeau, le sanctuaire intérieur étant scellé... 
  et a ce jour, personne ne peut encore prévoir comment cette affaire finira. 
  Shoghi Effendi est très ennuyé par cette histoire." Malgré ses sentiments personnels, 
  Shoghi Effendi suivait fidèlement l'exemple du Maître a d'autres périodes d'attaque 
  et d'orage, donnant calmement des instructions, telles que la disposition des 
  lumières a l'intérieur et a l'extérieur du Mausolée qu'on était en train d'illuminer.
  
  Ce même baha'i américain ajoute dans son journal que pendant qu'il était a Haïfa, 
  Shoghi Effendi envoya des télégrammes au roi Feisal d'Iraq protestant contre 
  l'action de son gouvernement qui avait saisi la demeure bénie de Baha'u'llah 
  (lieu de pèlerinage prescrit aux baha'is de tous pays). Il prit également des 
  dispositions nécessaires pour que des télégrammes similaires soient envoyés 
  par les autres communautés baha'ies. Ce fut un autre choc terrible pour Shoghi 
  Effendi. En l'espace de quatre mois, il venait d'en recevoir quatre, dont chacun 
  était suffisant pour créer une tension insupportable dans tout son être.
  
  La situation où se trouvait, maintenant, Shoghi Effendi était réellement atterrante. 
  Bien que l'ensemble des croyants fût loyal) la Cause était attaquée de tous 
  côtés par des ennemis enhardis et réjouis par la mort d'Abdu'l-Baha.
  
  Un baha'i qui fut, a cette époque, secrétaire auprès du Gouverneur de Haïfa, 
  nous apprend que les autorités locales appelaient communément le Gardien: "le 
  Garçon" (the boy). Outre son extrême jeunesse, l'étudiant imberbe d'Oxford, 
  quoique digne dans ses manières, refusait de ressembler au patriarche barbu, 
  que chacun connaissait, très aimé ou très haï selon le cas, mais toujours respecté 
  comme une des figures de Haïfa et une des plus remarquables personnalités de 
  la ville. Shoghi Effendi refusa de porter le turban et les longues tuniques 
  orientales que portait 'Abdu'l-Baha; il refusa de se rendre les vendredis a 
  la mosquée, une pratique habituelle d'Abdu'l-Baha; il refusa de passer des heures 
  a rendre visite aux prêtres musulmans qui avaient l'habitude de passer toute 
  une journée avec le Maître et qui, sans doute, étaient impatients de jauger 
  l'adolescent qu'il avait placé sur son siège en tant que le chef de la foi. 
  Quand les membres de la famille lui reprochaient de ne pas suivre l'exemple 
  du Maître, le Gardien répondait qu'il se devait entièrement au travail de la 
  Cause. Tout ceci devait augmenter sa souffrance et alarmer sa famille et la 
  communauté locale. Certains estimaient secrètement que Shoghi Effendi ne savait 
  pas ce qu'il devait faire et qu'il avait besoin a ses côtés d'hommes plus âgés 
  et sages et que plus tôt la Maison Universelle de justice serait établie, mieux 
  cela serait pour la Cause et pour tous.
  
  Shoghi Effendi, profondément affligé, alternativement adoré, conseillé, questionné, 
  admonesté et mis en défi, sentait indubitablement la nécessité d'un soutien 
  et d'une consultation. En mars 1922, il réunit a Haïfa un groupe de baha'is 
  représentatifs et bien connus: Lady Blomfield venue avec lui d'Angleterre, Emogene 
  Hoagg vivant a Haïfa, Miss Rosenberg d'Angleterre, Roy Wilhelm, Mountfort Mills 
  et Mason Remey d'Amérique, Laura et Hippolyte Dreyfus-Barney de France, Consul 
  et Alice Schwarz d'Allemagne et Major Tudor Pole. Deux enseignants baha'is bien 
  connus d'Iran, Avarih et Fazel avaient été également convoqués a Haïfa, mais 
  ayant eu des difficultés, leur arrivée fut retardée. Le Gardien les envoya, 
  plus tard, pour une longue mission d'enseignement respectivement en Europe et 
  en Amérique du Nord. Siyyid Mustapha Roumie de Birmanie, Coririne True et sa 
  soeur, Katherine, des Etats-Unis vinrent a une date ultérieure. D'autres pèlerins 
  arrivèrent a Haïfa pendant ces premiers mois. 
  
  Il est significatif que non seulement de nombreux baha'is, parmi les plus anciens, 
  croyaient que la prochaine mesure a prendre devrait être la formation de la 
  Maison Universelle de justice, de même que le Gouverneur de Haïfa qui, dans 
  une conversation avec un émissaire de Shoghi Effendi aborda cette question: 
  il pensait que, une fois la Maison Universelle de justice établie et les lieux 
  baha'is enregistrés en son nom, toutes les affaires perdraient leur caractère 
  de querelle familiale et prendraient, sur des bases solides et légales, le statut 
  d'une organisation permanente religieuse. Cette opinion d'un représentant officiel 
  britannique partagée par quelques croyants et certains membres de la famille 
  d'Abdu'l-Baha reflète très nettement leur attitude envers le Gardien. Sa jeunesse, 
  sa condition physique et morale au début de son ministère, les inclinaient a 
  croire qu'il avait besoin des autres membres de l'Institution dont il était 
  le chef permanent tant pour l'aider et le conseiller que pour établit une base 
  légale plus solide afin de combattre les prétentions des ennemis de la foi, 
  en Palestine et en Iraq, sur les Lieux Saints baha'is, prétention basée sur 
  la loi musulmane de Shariah.
  
  La réaction de Shoghi Effendi face a ces opinions et les consultations qu'il 
  avait avec les baha'is convoqués a Haïfa montrent que son esprit, dès le début 
  du Gardiennat, et quelque accablé qu'il fût personnellement, était celui d'un 
  général qui regarde l'ensemble des batailles sans être aveuglé par un détail. 
  La chronique du baha'i américain déjà nommé relate: 
  "Pendant les premiers jours de ma visite Shoghi Effendi était la plupart du 
  temps en consultation avec Mountfort Mills, Roy Wilhelm, les Dreyfus-Barney, 
  Lady Blomfield, le Major Tudor Pole et les Schwarz, lorsqu'ils arrivèrent, au 
  sujet de l'établissement de la Maison Universelle de justice. J'ai appris, en 
  gros, ce dont ils discutaient. Il semble qu'avant d'établir la Maison Universelle, 
  les Maisons locales et nationales doivent fonctionner dans les pays où il y 
  a des baha'is. Je comprends que Shoghi Effendi a convoqué quelques amis d'Iran 
  et de l'Inde pour cette conférence, mais qu'ils ne sont pas arrivés a temps 
  pour rencontrer les amis d'Occident que j'ai mentionnés."
  
  Le résultat de ces discussions fut que le Gardien donna comme instructions aux 
  Schwarz de retourner en Allemagne et de travailler a la formation d'institutions 
  locales et nationale, a Roy Wilhelm et Mountfort Mills de transmettre a l'Amérique, 
  a la prochaine convention, que le Corps Exécutif de l'Institution Nationale 
  des baha'is de l'Amérique du Nord devait devenir législatif dans sa fonction 
  et conduire toutes les affaires nationales plutôt que d'exécuter simplement 
  les décisions et les recommandations adoptées par les délégués en consultation 
  a la Convention nationale.
  
  Sans doute, les baha'is 'anglais présents devaient apporter le même concept 
  général a leur communauté. Ce qui en ressort, en réalité, c'est que Shoghi Effendi, 
  deux mois après le commencement de son Gardiennat, commença a poser les fondations 
  nécessaires a l'érection de l'Ordre Administratif de la Foi tel qu'il est énoncé 
  dans le Testament d'Abdu'l-Baha.
  
  C'était plus qu'il ne pouvait supporter. Il désigna un corps de neuf personnes 
  pour agir, a titre d'essai, comme une assemblée. Ce corps enregistre dans son 
  rapport du 7 avril, une lettre de la Plus Sainte Feuille où elle déclare: "le 
  Gardien de la Cause de Dieu, la Branche élue, le Chef du peuple de Baha, Shoghi 
  Effendi, sous le poids des chagrins et d'une douleur sans limite, a été obligé 
  de partir d'ici pour un temps, en vue de se reposer et de se rétablir; il reviendra 
  alors en Terre Sainte pour reprendre son service et s'acquitter de ses responsabilités". 
  Elle poursuit que selon la lettre de Shoghi Effendi, qu'elle joint a la sienne, 
  elle a été désignée pour administrer en consultation avec la famille d'Abdu'l-Baha 
  et une assemblée choisie, toutes les affaires baha'ies, en son absence. Le 5 
  avril, Shoghi Effendi avait déjà quitté Haïfa, accompagné du plus âgé de ses 
  cousins. La plus Sainte Feuille communiqua cette décision et la lettre du Gardien 
  aux éditeurs de Star of the West qui publia les fac-similés des lettres en persan 
  ainsi que les traductions des originaux. Sans doute une communication similaire 
  fut faite aux autres Centres baha'is. Dans sa lettre au Star of the West, la 
  plus Sainte Feuille explique qu'elle a organisé une Assemblée composée de ceux 
  désignés par Shoghi Effendi. Voici la lettre du Gardien:
  
  "Il est Dieu
  
  Ce serviteur, après cet événement douloureux et cette grande calamité, l'ascension 
  de Sa Sainteté 'Abdu'l-Baha au Royaume d'Abha, a été si affligé par le chagrin 
  et la douleur, et si enchevêtré dans les troubles (créés par les ennemis de 
  la Cause de Dieu) que je considère que ma présence ici, a un tel moment et dans 
  une telle atmosphère, ne correspond pas a l'accomplissement de mes importants 
  devoirs sacrés.
  
  Pour cette raison, et ne pouvant faire autrement j'ai laissé pour un temps les 
  affaires de la Cause, aussi bien intérieures qu'extérieures, sous la supervision 
  de la Sainte Famille et sous la direction de la Plus Sainte Feuille, que mon 
  âme soit sacrifiée pour elle, jusqu'à ce que, par la grâce de Dieu, ayant recouvré 
  santé, force, confiance en soi et énergie spirituelle, et ayant repris en main, 
  conformément a mon but et désir, entièrement et régulièrement le travail de 
  service, j'atteigne complètement a mon espérance spirituelle et a mon aspiration. 
  
  Le serviteur de Son Seuil Shoghi."
  
  Le 8 avril, la Plus Sainte Feuille écrivait une lettre générale aux amis. En 
  premier lieu, elle accuse réception des lettres d'allégeance qu'ils avaient 
  envoyées et dit que Shoghi Effendi compte sur leur coopération pour propager 
  le Message. Le monde baha'i doit désormais s'unir a travers les Assemblées Spirituelles 
  et les questions locales doivent leur être soumises. Elle poursuit: "Depuis 
  l'ascension de notre bien-aimé 'Abdu'l-Baha, Shoghi Effendi a été si profondément 
  bouleversé... qu'il a cherché le calme nécessaire pour méditer sur la grande 
  tâche qui l'attend et c'est pour accomplir cela qu'il a temporairement quitté 
  ces régions. Pendant son absence, il m'a désignée comme sa représentante; et 
  alors qu'il se consacre a cette grande préoccupation, la famille d'Abdu'l-Baha 
  est certaine que vous travaillerez tous au progrès triomphal de la Cause de 
  Baha'u'llah..." La version dactylographiée anglaise de cette lettre est signée 
  en persan "Baha'iyyih" et porte son sceau.
  
  Tout cela paraît simple sur le papier, mais derrière il y a un furieux orage 
  dans le coeur et l'esprit de Shoghi Effendi. "Il est parti", écrit la Plus Sainte 
  Feuille, "pour un voyage a travers différents pays"; Il partit avec son cousin 
  et alla consulter des médecins en Allemagne. Je me rappelle qu'il m'a dit que 
  les médecins avaient trouvé qu'il n'avait presque pas de réflexes et qu'ils 
  considéraient son cas comme très sérieux. Comme beaucoup d'autres avant lui, 
  il retrouva cependant partiellement la santé, dans le désert. Quelques années 
  plus tard, en 1926, il écrivait a Hippolyte Dreyfus, qu'il connaissait depuis 
  son enfance et qu'il considérait évidemment comme un ami intime a qui il pouvait 
  s'ouvrir, que sa lettre lui était parvenue "en route pour l'Oberland bernois 
  qui est devenu ma seconde patrie. Dans les repaires et les recoins de ses montagnes 
  attrayantes, j'essaierai d'oublier les vexations atroces qui m'ont, depuis si 
  longtemps affligé... Je le déplore grandement, mais dans mon état de santé actuel, 
  je me sens peu enclin, et j'en suis même incapable, a discuter sérieusement 
  sur ces problèmes vitaux que j'affronte et avec lesquels vous êtes déjà familier. 
  L'atmosphère a Haifa est intolérable, et un changement radical impraticable. 
  
  
  Le transfert de mon lieu de travail a un autre centre est impensable, indésirable 
  et, de l'opinion de beaucoup, a juste titre scandaleux... Je ne puis m'expliquer 
  davantage et d'une manière plus adéquate car ma mémoire a beaucoup souffert."
  
  Pendant les premières années, après l'ascension d'Abdu'l-Baha, Shoghi Effendi 
  voyagea souvent a travers l'Europe. Ce n'était pas seulement les voyages sans 
  buts ni repos d'un jeune homme, mais plutôt ceux d'un homme hanté par son travail 
  et sa responsabilité gigantesques et de tout instant. Il retourna maintes et 
  maintes fois dans ces immenses et hautes montagnes et leur douce solitude.
  
  Les copies de sa correspondance en français ' avec un Suisse allemand qui l'avait 
  hébergé pendant plusieurs étés révèlent sa nature, son amour pour ceux qu'il 
  appelait "les gens simples et bons" et les tendres sentiments qui caractérisaient 
  si souvent son amitié:
  
  "Cher Mr. Hauser, 22 Déc. 1923
  
  J'ai reçu votre aimable carte et la simple vue de la Jungfrau, avec la ville 
  d'Interlaken admirablement peinte, réveilla en moi le souvenir inoubliable de 
  votre amitié, gentillesse et hospitalité durant mon délicieux séjour avec vous. 
  Je n'oublierai jamais tout cela et je conserverai précieusement ce souvenir 
  avec un sentiment de tendresse et de gratitude.
  
  Je vous envoie quelques timbres postes qui, je l'espère, vous intéresseront.
  Je vous souhaite de tout coeur, cher Mr. Hauser, un heureux Nouvel An et une 
  vie longue, prospère et heureuse.
  Espérant vous revoir et ne vous oubliant jamais, Votre très dévoué Shoghi."
  
  Le 26 septembre de l'année suivante, il lui écrit encore:
  
  "Mon cher Mr. Hauser,
  
  Je suis rentré et la première lettre que je désire écrire, a mon retour chez 
  moi, est pour mon inoubliable et cher Hauser sous le toit de qui j'ai goûté 
  aux plaisirs de la pittoresque Suisse et aux charmes d'une hospitalité qui ne 
  s'effacera jamais de ma mémoire.
  
  Me rappelant mes expériences et mes aventures exténuantes suivies du repos que 
  m'offrait le confortable et modeste chalet Hoheweg dont je n'oublierai jamais 
  le charme, souvent je sens en moi le désir de vous voir un jour au sein de ma 
  famille, chez nous vous montrant les preuves de ma gratitude et de mon affection.
  
  Je viens de recevoir par courrier, quelques nouveaux timbres persans avec le 
  portrait du nouveau Shah qui, je l'espère vous intéresseront.
  
  Je vous souhaite de tout coeur une longue vie joyeuse et prospère et j'espère 
  vous revoir un jour a Interlaken, au coeur de ce pays bien-aimé.
  Je reste votre fidèle ami."
  
  Le 18 décembre, il remercie son ami pour sa carte postale et lui envoie "un 
  modeste souvenir de la cité de Haifa, si différente et inférieure aux beaux 
  sites de votre pittoresque Suisse" et souhaite a son "cher et inoubliable ami" 
  un Nouvel An prospère.
  
  Cet homme était un vieux guide Suisse chez qui Shoghi Effendi avait loué une 
  petite chambre, une mansarde sous le toit a raison de un franc par jour environ. 
  Le toit était si bas que lorsque l'oncle de Shoghi Effendi qui était de grande 
  taille vint le voir, il ne put rester debout. Il avait un petit lit, une cuvette 
  et un broc d'eau froide pour se laver. Interlaken est au coeur de l'Oberland 
  bernois et le point de départ de nombreuses excursions dans les montagnes et 
  les vallées environnantes. Souvent Shoghi Effendi sortait bien avant le lever 
  du soleil; il était habillé d'une culotte courte, d'un veston Norfolk, de bandes 
  molletières en laine noire, de robustes bottes montagnardes, il partait, un 
  petit sac tyrolien en grosse toile bon marché sur le dos, et une canne a la 
  main. Il prenait le train jusqu'au pied d'une montagne ou d'un passage et de 
  la il commençait son excursion, marchant souvent de dix a seize heures durant, 
  habituellement seul mais aussi parfois accompagné de quelque jeune parent venu 
  le voir. Ce dernier pouvait rarement soutenir la cadence et après quelques jours; 
  il commençait a s'excuser. 
  
  En cordée avec un guide, il faisait l'ascension des plus hauts sommets. Ces 
  expéditions durèrent pratiquement jusqu'à son mariage. Je me rappelle notre 
  première visite a Interlaken, durant l'été 1937, Shoghi Effendi m'emmena a la 
  maison de Hauser, voulant présenter sa femme au vieil homme a qui il était si 
  attaché, qui avait écouté avec tant d'intérêt le récit enthousiaste de ses promenades 
  ou de ses ascensions, émerveillé par l'énergie infatigable et par la détermination 
  du jeune homme. Mais il était mort. Le Gardien alla au paisible petit cimetière 
  montagnard visiter sa tombe et m'emmena avec lui. Shoghi Effendi me racontait 
  souvent des anecdotes sur ces premières années dans les montagnes et me montrait 
  tel pic dont il avait fait l'ascension, tel col qu'il avait franchi a pied. 
  
  
  Sa plus longue marche, disait-il, fut de quarante deux kilomètres avec le franchissement 
  de deux cols. Il était souvent surpris par la pluie mais il continuait sa marche 
  jusqu'à ce que ses vêtements sèchent sur lui. Je crois que ces longues heures 
  de marche, sans repos, fatiguantes le guérissaient en quelque sorte des blessures 
  profondes de son coeur, laissées par l'ascension du Maître.
  
  Shoghi Effendi me racontait qu'il lui arrivait de ne rien manger avant son retour; 
  que parfois a s'arrêtait dans une petite auberge (il m'emmena quelques fois 
  dans ce restaurant) et commandait des pommes sautées,' des oeufs au plat et 
  de la salade car c'était bon marché et bourratif, et il rentrait dans sa petite 
  chambre mansardée, tombait fatigué, sur son lit et il s'endormait, s'éveillant 
  pour boire une carafe de l'eau froide de la montagne et dormir a nouveau jusqu'à 
  l'aube pour se lever et repartir. Il y avait quelque chose d'étrange et de profondément 
  émouvant lorsque, le dernier été de sa vie, il retourna visiter une dernière 
  fois tous les lieux qu'il avait aimés. On aurait dit que l'ombre imposante d'une 
  des montagnes s'étendait sur lui. 
  
  Ces premières années du Gardiennat ne furent pas seulement les plus amères mais 
  aussi celles où il fut le plus dur pour lui-même. Il avait une discipline rigide 
  et l'appliquait tant a lui-même qu'a ceux qui l'entouraient. Il consacrait une 
  somme plus que modeste pour l'été; elle devait suffire et n'était jamais augmentée 
  qu'il fût seul ou accompagné d'un parent comme secrétaire ou d'un membre de 
  la famille, comme cela arrivait quelques fois, vînt le rejoindre: il fallait 
  faire plus d'économies si on était plus nombreux. Il ne voyageait qu'en troisième 
  classe, même devenu un homme d'un certain âge. S'il voyageait de nuit, il dormait 
  sur les durs bancs en bois; la tête reposant sur son sac tyrolien. Je peux me 
  rappeler les rares occasions, où nous avons voyagé en première ou en. seconde 
  classe et cela lorsque le train était trop sale ou trop bondé pour pouvoir voyager 
  en troisième. Il avait deux modes de vie, l'un pour le chef reconnu de la Cause: 
  aux yeux du public l'honneur de la Cause était le sien, et l'autre pour sa vie 
  privée, incognito et n'ayant d'autre apparence que celle d'un homme modeste 
  par nature, consciencieux et qui répugnait a dépenser luxueusement les fonds 
  a sa disposition du fait de sa haute charge. Il n'avait a rendre compte a personne, 
  aucun baha'i sur terre ne l'aurait questionné sur ce qu'il avait décidé de faire. 
  Mais il se devait des comptes et il était un Maître difficile...
  
  Comme il avançait en âge et que la charge qu'il portait l'usait de plus en plus, 
  je fis pression sur lui, autant que je l'osai, pour qu'il soit moins dur, moins 
  pointilleux envers lui-même, qu'il accepte au moins le confort d'un hôtel décent, 
  qu'il fasse de temps a autre une cure pour sa santé, qu'il ait une chambre avec 
  bain, qu'il mange, puisqu'il ne prenait qu'un repas par jour, une alimentation 
  plus nourrissante et de meilleure qualité. Il n'accepta ce petit changement 
  que parce que Milly Collins, dans son grand amour pour lui, prit l'habitude 
  de lui offrir avant ses "vacances" une certaine somme en le priant de la dépenser 
  pour lui-même pour ce qu'il voulait. C'est sur mon insistance véhémente qu'il 
  accepta ce que Milly donnait avec un si tendre amour, pour lui personnellement. 
  Une faible partie de cette somme était en fait dépensée pour lui, le reste servait 
  a l'achat d'objets pour les jardins, les Lieux Saints et les Archives. Mais 
  cela lui donnait un plaisir réel et de fait l'intention de Milly était respectée 
  d'une manière ou d'une autre...
  
  Shoghi Effendi m'a dit qu'il avait acheté pour un ou deux étés, au début de 
  son ministère, une bicyclette et qu'il traversait les cols a bicyclette. Je 
  me suis toujours demandé comment lui, si vif, si audacieux et manquant totalement 
  de sens mécanique, il arrivait a rentrer invariablement sain et sauf. Il était 
  peu intéressé par la mécanique, étant un intellectuel type, néanmoins il pouvait 
  réaliser, lorsqu'il le voulait, des choses très délicates de ses mains.
  
  Malgré sa retraite, car cette première absence en était une, les efforts déployés 
  par Shoghi Effendi commençaient a porter leurs fruits. A la convention des baha'is 
  américains, tenue en avril 1922, un pèlerin de retour de Haïfa déclarait: "Notre 
  visite était due a la convocation de Shoghi Effendi. A Haïfa, nous avons rencontré 
  des baha'is persans, indiens, birmans, égyptiens, italiens, et français... L'impression 
  qui me frappa très fortement a mon arrivée, c'est que Dieu était au paradis 
  et que tout allait bien dans le monde... Nous rencontrâmes Shoghi Effendi, tout 
  habillé de noir, une figure émouvante. Pensez a ce qu'il représente aujourd'hui! 
  Tous les problèmes des hommes d'Etat du monde ne sont que des jeux d'enfant 
  en comparaison des affaires de cet adolescent devant qui se posent les problèmes 
  du monde entier ... Personne ne peut imaginer ses difficultés qui sont écrasantes...
  
  Le Maître n'est pas parti. Son Esprit est présent avec une puissance et une 
  intensité plus grandes... Cet adolescent, Shoghi Effendi, est au centre de cette 
  radiation. L'Esprit coule a travers ce jeune homme. Il est en réalité, jeune 
  de figure, de forme et de manière, mais son coeur est le centre du monde, aujourd'hui. 
  Lui seul peut sauver le monde et bâtir la vraie civilisation. Il est si doux, 
  si humble, si désintéressé qu'il en est touchant a voir. Ses lettres sont une 
  merveille. C'est une grande sagesse de Dieu de nous avoir donné ce point central 
  de direction pour affronter les problèmes difficiles! Ces problèmes, comme les 
  nôtres, lui arrivent de toutes les parties du monde. Il fait face; et il les 
  résout le plus simplement... 
  
  Les grands principes posés par Baha'u'llah et 'Abdu'l-Baha ont leur fondation, 
  maintenant, dans le monde extérieur du Royaume de Dieu sur terre. Cette fondation 
  est posée, d'une manière sûre et certaine par Shoghi Effendi a Haïfa" Un autre 
  ami parmi ceux qu'il avait appelé en consultation a Haïfa, déclara: "lorsqu'on 
  arrive a Haïfa, qu'on rencontre Shoghi Effendi et qu'on voit travailler son 
  coeur, sa raison, son esprit et sa compréhension magnifique des choses, c'est 
  vraiment merveilleux". Ils racontèrent qu'a Haïfa, ils apprirent que Shoghi 
  Effendi se retirait a 3 h. du matin et se levait a 6 h. et qu'une fois il avait 
  travaillé 48 h. sans manger et sans boire. Shoghi Effendi avait envoyé aux amis 
  réunis a la Convention un bouquet de violettes ainsi que l'expression de son 
  amour, par l'entremise des pèlerins. Le rapport de la Convention mentionne; 
  "Il apparut a tous que le temps de l'organisation du Royaume de Dieu sur terre 
  était venu..." C'était le résultat des instructions données aux baha'is américains 
  qui visitèrent Haïfa pendant les premiers mois de 1922. Cette convention élit 
  une Assemblée Spirituelle Nationale remplaçant l'ancien Corps Exécutif du Temple 
  Baha'i, et établit le travail de la Foi en Amérique du Nord sur des bases entièrement 
  nouvelles.
  
  En automne 1922, la plus Sainte Feuille profondément peinée par l'absence prolongée 
  de Shoghi Effendi envoya quelques membres de sa famille le trouver et le prier 
  de revenir en Terre Sainte. Dans la rue d'un petit village de montagne, alors 
  qu'il revenait, dans la soirée, de sa marche quotidienne, Shoghi Effendi, surpris, 
  rencontra sa mère qui le cherchait. Elle était venue de la Palestine accompagnée 
  d'un autre membre de la famille du Maître. Elle informa, en pleurant, Shoghi 
  Effendi du chagrin de Baha'iyyih Khanum, de la famille et des amis et le persuada 
  de revenir et de reprendre sa place.
  
  Un avis paru dans les Baha'is News de l'Amérique, du journal Star of tbe West, 
  dit: "Shoghi Effendi... est revenu a Haïfa l'après midi du vendredi 15 décembre, 
  en pleine santé et heureux. Il a repris les 'rênes de la charge' de Gardien 
  de la Cause baha'ie que le Testament d'Abdu'l-Baha lui a confiée." Les lettres 
  et les câbles du Gardien reflètent la transformation de son état. Deux jours 
  après son retour, il écrivait aux croyants allemands: "Avoir été incapable, 
  a cause des tristes circonstances sur lesquelles je n'avais aucun contrôle, 
  d'être en relation étroite et constante avec vous... est pour moi une affligeante 
  surprise et un regret profond et amer..." mais il poursuit qu'il était maintenant 
  de "retour en Terre Sainte avec une vigueur renouvelée et un esprit reposé." 
  
  
  Le même jour il écrivait aux baha'is de France: "Reposé et rassuré, j'assume 
  maintenant mes pénibles obligations."; et aux baha'is nippons: "ayant terminé 
  mes longues heures d'isolement et de méditation", il affirme qu'il n'a douté 
  a aucun moment "... que ma retraite soudaine du champ de service actif... puisse 
  jamais étouffer vos tendres espérances." Il expliqua clairement que pour lui 
  cette "soudaine disparition" avait été nécessaire: "Aussi prolongée que fût 
  cette période" écrit-il le 16 décembre 1922 aux Américains "j'ai senti depuis 
  le lever de ce jour nouveau pour moi, la nécessité d'une telle retraite qui, 
  malgré la dislocation temporaire qu'elle pouvait entraîner, dépasserait de loin 
  par ses résultats tout service immédiat que j'aurais pu rendre humblement au 
  seuil de Baha'u'llah." Shoghi Effendi commémora le premier anniversaire de l'ascension 
  d'Abdu'l-Baha dans sa retraite; faire face a un tel événement a Haïfa, au tombeau 
  d'Abdu'l-Baha était probablement plus qu'il ne pouvait supporter la première 
  année de son Gardiennat.
  
  "Avec un sentiment de joie et de confiance" comme il le dit lui-même, Shoghi 
  Effendi se jeta alors dans le travail. Quelque chose de sa vraie nature, qui 
  avait amené un baha'i a lui écrire, lorsqu'il était étudiant a Beyrouth, "votre 
  visage souriant est toujours devant moi", lui était revenu. Cela apparaît nettement 
  dans la masse de télégrammes qu'il envoya a pratiquement tout le monde baha'i, 
  le 16 décembre 1922, le lendemain de son arrivée. Je cite la copie exacte de 
  ces télégrammes extraits de ses propres archives:
  
  IRAN
  
  "Que le Seigneur des Armées, avec ma rentrée dans le champ de service, accorde 
  une nouvelle bénédiction a ses vaillants combattants de cette terre favorisée, 
  est réellement ma plus fervente prière."
  
  AMERIQUE
  
  "La marche en avant de la Cause n'a pas été et ne pourra jamais être arrêtée. 
  Je prie le Tout-Puissant, maintenant que reposé et renouvelé, que mes efforts 
  conduisent avec votre soutien constant, a glorieuse victoire."
  
  GRANDE-BRETAGNE
  
  "Consolé et fortifié, je joins maintenant mes humbles efforts a vos infatigables 
  actions pour la Cause de Baha'u'llah."
  
  ALLEMAGNE
  
  "Unis depuis longtemps avec vous dans mes pensées et méditations j'ajoute maintenant 
  avec joie et espérance le lien supplémentaire de participation active a un service 
  a vie au seuil de Baha'u'llah."
  
  INDE
  
  "Que notre réunion dans l'arène glorieuse de service soit, dans le champ spirituel 
  de ce pays, le précurseur de victoires triomphales."
  
  JAPON
  
  "Reposé et rassuré je vous tends maintenant a travers les mers lointaines la 
  main de coopération fraternelle dans la Cause de Baha'u'llah."
  
  MESOPOTAMIE
  
  "Avec un zèle non diminué et une force renouvelée j'attends maintenant en Terre 
  Sainte vos joyeuses nouvelles."
  
  TURQUIE
  
  "De retour dans ces environnements sacrés, je tends vers vous une main de condisciple 
  au service de la Cause de Baha'u'llah."
  
  FRANCE
  
  "Attends vos joyeuses nouvelles en Terre Sainte." Le 18 décembre il télégraphiait:
  
  SUISSE
  
  "Prie transmettre mes amis Suisse assurance de ma coopération indéfectible a 
  mon heureux retour en Terre Sainte." Le 19 décembre il envoyait les deux câbles 
  suivants:
  
  ITALIE
  
  "Transmettez amis italiens mes meilleurs voeux au retour en Terre Sainte."
  
  DUNN
  
  "Attends affectueusement en Terre Sainte bonnes nouvelles des amis australiens."
  
  Shoghi Effendi envoya également des télégrammes a certains membres de sa famille. 
  Ils traduisent sa détermination, son impatience et une touche de cette exubérance 
  juvénile qui vous perce le coeur de sympathie. Le 18 décembre, il télégraphiait 
  a une de ses tantes qui visitait l'Egypte: "tiens solidement et définitivement 
  les rênes de la charge. Vous me manquez terriblement. Rassurez moi sur votre 
  santé." A son cousin il télégraphiait le même jour: "Ai réintégré champ de service. 
  Ai confiance votre indéfectible coopération" et a un autre cousin éloigné, le 
  lendemain: "... avec confiance espère votre coopération fraternelle."
  
  Méthodique, Shoghi Effendi possédait, les premières années de son Gardiennat, 
  des archives très complètes et gardait les copies des lettres envoyées. Plus 
  tard, la pression du travail et des événements l'en empêchèrent, sauf pour les 
  télégrammes dont il conservait les copies par ordre numérique et par année et 
  ce jusqu'à la fin de sa vie. Il avait établi une liste de 67 centres, d'Est 
  et d'Ouest auxquels il avait écrit les premiers mois de 1922. Il note que, du 
  16 décembre 1922 au 23 février 1923, il a écrit a 132 centres différents et 
  plus d'une fois a certains. Dans une lettre du 16 décembre il affirme: "... 
  J'attendrai maintenant impatiemment les joyeuses nouvelles du progrès de la 
  Cause et de l'extension de vos activités et n'épargnerai aucun effort pour communiquer 
  aux fidèles d'ici et d'ailleurs les agréables nouvelles de la marche progressive 
  de la Cause." La correspondance de cette période couvre 21 pays et 67 villes. 
  Mais il ne me semble pas qu'il ait écrit a plus d'une vingtaine de personnes 
  privées, dont beaucoup de non baha'is. Les pays avec lesquels il correspondait 
  depuis le commencement de son ministère sont: "l'Iran, la Grande-Bretagne, la 
  France, l'Allemagne, l'Italie, la Suède, les Etats-Unis, le Canada, l'Australie, 
  les Iles du Pacifique, le japon, l'Inde et la Birmanie, la Palestine, le Caucase, 
  le Turkistan, la Turquie, la Syrie, la Mésopotamie et l'Egypte.
  
  Typiquement enthousiaste et consciencieux, Shoghi Effendi, le lendemain de son 
  retour en ce décembre 1922, s'asseyait et écrivait a ses amis britanniques:
  
  Mes très chers frères et soeurs dans la foi de Dieu!
  
  Puis-je au commencement de ceci, ma première lettre a vous, vous transmettre 
  par des mots, quoique inadéquats mais vraiment sincères et profondément sentis, 
  le degré de mon ardente impatience, lors de ma retraite, de retourner rapidement 
  vous tendre la main pour le grand travail de consolidation qui attend tout croyant 
  sincère de la Cause de Baha'u'llah. Maintenant que je me sens heureusement restauré 
  dans une position où je peux suivre, d'une manière continue et vigoureuse, le 
  fil de mes nombreuses obligations, l'amertume de toute déception ressentie de 
  temps a autre, pendant ces pénibles mois passés, déception due a mon sentiment 
  de non préparation, s'est confondue dans la douceur de l'heure présente où je 
  me rends compte que spirituellement et physiquement je suis mieux équipé pour 
  porter les responsabilités de la Cause... Je sens l'impérieux besoin de vous 
  dire combien j'ai été reconnaissant et satisfait quand j'ai appris les nouvelles 
  de la formation d'un Conseil National dont le principal objet est de guider, 
  de coordonner et d'harmoniser les diverses activités des amis..."
  
  Il termine cette lettre en les assurant qu'avec une "affection durable et de 
  vigueur renouvelée", il attend impatiemment de leurs nouvelles, et il signe 
  très simplement "votre frère Shoghi." Dans une lettre datée du 23 du même mois 
  , il leur dit: "J'ai attendu impatiemment, ces derniers jours, le premier message 
  écrit de mes amis occidentaux depuis qu'ils ont appris mon retour en Terre Sainte." 
  Il affirme que la première lettre arrivée de l'ouest fut celle d'un croyant 
  anglais et il poursuit: "j'espère très sincèrement, maintenant que j'ai réintégré 
  pleinement ma charge, pouvoir offrir mon humble part d'aide et de conseil pour 
  l'important travail qui vous attend." Dans une lettre privée du 20 décembre 
  a un parent, il exprime ses plus intimes sentiments: "Vraiment ma tâche est 
  immense, mes responsabilités nombreuses et graves, mais l'assurance que me donnent 
  les paroles du Maître le plus sage, dans mon travail est mon bouclier et mon 
  soutien dans la carrière qui se déroule maintenant devant moi."
  
  Dans sa première lettre a l'Assemblée Nationale d'Amérique nouvellement élue, 
  écrite le 23 décembre, il dit: "Avoir été incapable, par des circonstances imprévues 
  et inévitables, de correspondre avec vous depuis que vous avez entrepris vos 
  nombreuses et pénibles obligations, c'est pour moi une cause de profond regret 
  et de triste surprise." Ce sont les paroles d'un homme qui sort du fond d'un 
  cauchemar; elles montrent la profondeur de l'abîme dans lequel il était plongé 
  durant l'année précédente. 
  
  "je suis cependant", poursuit-il, il convaincu et soutenu par la conviction, 
  jamais affaiblie dans mon esprit, que tout ce qui arrive a la Cause de Dieu, 
  quelque inquiétant que ce soit dans ses effets immédiats, est voulu par la Sagesse 
  infinie et tend a promouvoir ses intérêts dans le monde."
  
  Dans ses premières lettres il invite les Assemblées a lui écrire et leur demande 
  de l'informer sur leurs "besoins, désirs et voeux, sur leurs plans et activités" 
  afin qu'il puisse "par mes prières et mon aide fraternelle contribuer, si peu 
  que ce soit, au succès de leurs glorieuses missions dans le monde." Il est profondément 
  reconnaissant pour la manière dont "mes humbles suggestions ont été suivies" 
  et assure les amis de "son assistance fraternelle et toujours disponible."
  
  Les baha'is ayant appris par ses câbles, le retour du Gardien, un flot de correspondance 
  venant de toutes les parties du monde, le submergea. Bien qu'elle fût rassurante, 
  cette correspondance mit Shoghi Effendi dans l'embarras. Il en parle franchement 
  dans une lettre écrite pendant la première année de son ministère, a un cousin 
  éloigné. "Un de mes problèmes les plus urgents est celui de la correspondance 
  des amis. Imiter le Maître serait présomptueux de ma part et en regard de l'extension 
  rapide de la foi, impraticable. Correspondre personnellement avec quelques uns 
  et ne pas répondre aux autres, je suis sûr que vous le comprenez, mènera graduellement 
  a des frictions, découragement et même a l'animosité, car, comme vous le savez 
  très bien, il y a un nombre considérable d'amis qui attendent beaucoup et font 
  peu. Abandonner complètement la correspondance individuelle et compter sur les 
  messages indirects de mes collaborateurs pendant que je consacrerai tout mon 
  temps a la correspondance directe avec les Assemblées a travers le monde est 
  également difficile. J'apprécierais vraiment votre opinion sur ce problème épineux. 
  La dernière solution a l'inconvénient évident de couper toutes mes relations 
  personnelles avec les amis." 
  
  En janvier 1923 le Gardien écrivait aux croyants allemands que "l'expansion 
  merveilleusement rapide du Mouvement a travers le monde" l'empêchait de correspondre 
  individuellement avec tous les croyants de l'Est et de l'Ouest car cela "exigerait 
  tant de temps et d'énergie de ma part que cela m'empêcherait d'accorder une 
  attention adéquate a mes autres devoirs qui sont si urgents et si vitaux en 
  ces jours. 
  
  Je devrai en conséquence, a contre coeur, me borner a la correspondance avec 
  les groupes baha'is dans chaque localité, ville ou hameau... et coordonner leurs... 
  activités par l'intermédiaire de l'Assemblée Nationale..." La question le préoccupe 
  encore en novembre 1923. Il écrit a l'Assemblée Nationale britannique qu'il 
  considère ce problème avec "une attention soutenue et minutieuse" et il leur 
  assure "qu'aucun message écrit, quelque peu important qu'il soit, ne sera ouvert 
  ni lu par personne d'autre que moi-même, en premier lieu." En 1926, il écrit: 
  "Je suis si perplexe et préoccupé que je trouve difficilement le temps pour 
  une correspondance directe."
  
  Pendant de nombreuses années, en fait pendant trente six ans, cette question 
  de savoir comment trouver le temps de venir a bout de sa correspondance préoccupa 
  le Gardien. Il décida finalement de continuer a répondre aux lettres individuelles, 
  en particulier celles venant de l'Occident ou des pays où il y avait de nouveaux 
  croyants. Car, il découvrit, par de tristes expériences, que les Assemblées 
  n'étaient pas toujours assez sages dans leurs relations humaines pour guérir 
  les blessures et garder les amis actifs dans la foi. Cette correspondance avec 
  des personnes privées, n'était pas toujours bien appréciée par les institutions 
  nationales qui, voyant une personne privée détentrice d'un fait important, pensaient 
  que c'étaient elles qui devaient être la voie de transmission officielle d'un 
  tel fait. 
  
  Dans une lettre écrite par le secrétaire du Gardien de sa part en 1941, nous 
  trouvons sa propre explication de sa politique en cette matière: "Shoghi Effendi 
  a souvent répété aux croyants de toutes les parties du monde que les baha'is 
  sont entièrement libres de lui écrire sur tout sujet qui leur plaît. Il est 
  naturellement libre de répondre de la manière qui lui plaît. A l'époque actuelle 
  où les institutions de la Cause commencent précisément a fonctionner, il considère 
  qu'il est essentiel de tenir cette large correspondance malgré ce qu'elle ajoute 
  a toutes ses autres charges. Il arrive parfois que la première information qu'il 
  reçoit sur un fait important influençant, d'une manière ou d'une autre, les 
  intérêts de la Foi, vienne d'une lettre privée au lieu d'une Assemblée. Il est 
  naturellement préférable que les informations viennent d'une institution administrative, 
  mais quelque soit la source, le Gardien est uniquement préoccupé des intérêts 
  de la foi, et quand il estime une mesure déterminante il l'affirme dans sa réponse. 
  Il a toute liberté de le faire".
  
  Shoghi Effendi écrit a Tudor Pole en 1923: "Maintenant j'ai complètement recouvré 
  la santé et je suis, a présent, intensément occupé par mon travail".
  
  La correspondance n'était pas son unique activité, loin de la. Il était également 
  "engagé au service des nombreux pèlerins qui visitent, en ces jours, ce Lieu 
  sacré". Il avait l'habitude, en ces premiers temps de son ministère de tenir 
  des réunions régulières dans la maison d'Abdu'l-Baha. Cinq jours après son retour, 
  en décembre 1922, il écrit: "j'ai communiqué vos nouvelles a ces aimables pèlerins 
  et aux amis résidant en Terre Sainte que je rencontre régulièrement dans la 
  pièce qui était la salle d'audience du Maître." 
  
  En plus de veiller au bien-être des pèlerins, de prendre un repas par jour avec 
  les pèlerins occidentaux dans la Maison des pèlerins, en face de la maison d'Abdu'l-Baha, 
  de visiter le Tombeau du Bab et du Maître avec les pèlerins orientaux et de 
  prendre souvent une tasse de thé dans la Maison de pèlerins adjacente au Tombeau, 
  Shoghi Effendi consacrait déjà beaucoup de temps et d'attention a l'amélioration 
  et au développement du Centre Mondial de la Foi. Le 9 avril 1922, les travaux 
  de construction de la nouvelle Maison des Pèlerins occidentaux commençaient. 
  Les plans de cet édifice avaient été faits au temps d'Abdu'l-Baha, et Shoghi 
  Effendi les exécutait maintenant avec vigueur. Le premier jour du Ridvan de 
  la même année, bien que Shoghi Effendi ait déjà quitté Haïfa, les Mausolées 
  du Bab et de Baha'u'llah étaient illuminés électriquement pour la première fois, 
  a la suite des arrangements pris avant l'ascension du Maître, mais, encore une 
  fois, sous la supervision de Shoghi Effendi lui-même. Pendant la visite du mois 
  de mars 1922 de Mason Remey, Shoghi Effendi discutait déjà avec lui des différentes 
  possibilités lointaines de la construction d'un tombeau pour 'Abdu'l-Baha, du 
  site du futur Tempe baha'i sur le Mont Carmel et d'un plan paysager général 
  pour les propriétés baha'ies.
  
  Tout cela peut être considéré comme la partie la plus plaisante de son travail, 
  malgré le temps et l'énergie que cela exigeait. Ce sont les activités des briseurs 
  du Covenant qui l'écrasèrent au-dela de toute endurance. Le lendemain de son 
  arrivée a Haïfa, il écrivait: "Déjà... les promesses terribles d'Abdu'l-Baha 
  concernant les briseurs du Covenant sont accomplies d'une manière saisissante." 
  Chaque jour la situation empirait. En février 1923, il sentit la nécessité de 
  télégraphier a l'Amérique: "Envoyez tout courrier recommandé - Informez les 
  amis - " montrant par la sa préoccupation de recevoir sûrement le courrier postal. 
  En janvier, il avait écrit a Husein Afnan: 
  
  "je présume que vous avez appris de votre expérience passée, que je défends 
  avec une sincérité absolue et une équité scrupuleuse toute chose concernant 
  la Cause et avec une attitude inflexible envers les ennemis du Mouvement, les 
  Nakeseens, dont Dieu seul fera échouer les efforts vils et incessants." Le destinataire 
  de cette lettre, un petit-fils de Baha'u'llah et un neveu d'Abdu'l-Baha devint 
  lui-même un briseur du Covenant notoire peu après. ses trois frères épousèrent 
  trois petites-filles du Maître, dont deux soeurs du Gardien lui-même, il se 
  tissa ainsi une toile inextricable de sentiments familiaux, de déloyauté et 
  de haine autour de lui de telle sorte, qu'a la fin, toute la famille d'Abdu'l-Baha 
  y fut impliquée et Shoghi Effendi perdit toute sa parenté. 
  
  Nous voyons briller la, dans le coeur innocent du jeune Gardien, l'airain d'un 
  homme d'Etat, le grand Protecteur de la Foi, le Défenseur des fidèles, celui 
  qu'Abdu'l-Baha a laissé a ses disciples comme le plus grand don, son bien le 
  plus précieux. Vers la fin de cette même lettre, Shoghi Effendi assure son interlocuteur: 
  "Avec un coeur pur, j'attends avec impatience les signes qui révéleront, sans 
  erreur possible, votre désir et détermination de rester fidèle au Testament 
  du Maître et d'éviter, de toutes les manières, les briseurs du Covenant." C'était, 
  d'après les paroles mêmes de Shoghi Effendi, au milieu de la chaleur et de la 
  poussière provoquées par les attaques lancées par des ennemis sans repos" qu'il 
  devait continuer son travail.
  
  La position de la Foi nécessitait l'établissement de relations prudentes avec 
  les autorités mandataires. 'Abdu'l-Baha était bien connu et hautement estimé. 
  Il était accepté comme le chef du "Mouvement", comme on disait les premiers 
  temps, bien que personne, en Palestine, n'eût le moindre soupçon sur ses vastes 
  implications. Le 19 décembre 1922, Shoghi Effendi télégraphiait au Haut-Commissaire 
  de la Palestine a Jérusalem: "Prie d'accepter mes meilleurs voeux et compliments 
  a mon retour en Terre Sainte et la reprise de mes devoirs officiels." Comme 
  il avait dû y avoir un énorme bourdonnement de commérages répandus avec ardeur, 
  sans doute par les briseurs du Covenant, au sujet de ses huit mois de retraite, 
  c'était un acte bien calculé par Shoghi Effendi et aussi un geste de courtoisie.
  
  Cependant, ce qui préoccupait le plus Shoghi Effendi, c'était le Tombeau de 
  Baha'u'llah a Bahji. Les clés de la tombe intérieure étaient encore dans les 
  mains des autorités. L'accès des autres parties du Tombeau était permis aussi 
  bien aux baha'is qu'aux briseurs du Covenant.
  
  Shoghi Effendi ne se reposa que lorsqu'il réussit a obtenir, par les représentations 
  qu'il fit aux autorités, soutenues par la pression constante des baha'is du 
  monde, la garde de la Tombe Sacrée. Le 7 février 1923, il écrivait a Tudor Pole: 
  "J'ai eu un long entretien avec le Colonel Symes et lui ai pleinement expliqué 
  l'état exact des affaires, la voix nette et irrésistible de toute la Communauté 
  baha'ie proclamant son inébranlable détermination a soutenir le Testament d'Abdu'l-Baha. 
  Il a envoyé récemment un message a Muhammad 'Ali réclamant une somme de 108 
  £ pour les frais des policiers et affirmant que, comme il était l'agresseur, 
  les dépenses lui revenaient. Jusqu'ici, il n'a pas acquiescé a cette requête 
  et j'attends très anxieusement les développements futurs de l'affaire."
  
  Le lendemain, Shoghi Effendi recevait de son cousin qui était a Jérusalem le 
  câble suivant:
  
  "Son Eminence Shoghi Effendi Rabbani, Haïfa.
  
  Lettre reçue - Actions immédiates prises - La décision finale par le Haut Commissaire 
  est en votre faveur - La clef est vôtre."
  
  La lettre dont parle ce télégramme était celle qu'avait écrite au Haut Commissaire, 
  le Gouverneur d'Akka, Sir Gilbert Clayton. Dans une lettre a Tudor Pole, Shoghi 
  Effendi précisait qu'il était en terme chaleureux avec le Gouverneur de Haïfa, 
  le Col. G. Stewart Symes et qu'il avait rencontré Sir Gilbert. C'est, sans doute, 
  a cause de ses relations et contacts que les autorités décidèrent en faveur 
  du Gardien et que les clefs furent rendues officiellement au Gardien légitime 
  baha'i du Mausolée qui en avait été dessaisi, par force, un an auparavant.
  
  La sécurité du Qiblih du monde baha'i était maintenant assurée, une fois pour 
  toutes. Mais la maison qu'avait occupée Baha'u'llah a Baghdad était encore aux 
  mains des ennemis Shi'ahs de la foi. Elle l'est toujours. La bataille pour reprendre 
  la garde de cette demeure devait inquiéter et préoccuper Shoghi Effendi pendant 
  de nombreuses années.
  
  Chaque fois qu'on entre dans le détail d'une période particulière de la vie 
  du Gardien, on est tenté de dire. c'était la pire période. Tout au long de son 
  ministère, il eut des problèmes a résoudre, des efforts a déployer, des pressions 
  insupportables a subir. Mais il y a un modèle, des thèmes, des hauts et des 
  bas: 1922, 1923 et 1924 paraissent, tout au moins en ce qui concerne sa vie 
  privée, comme une tentative héroïque de prendre en main ce Léviathan qu'est 
  la Cause de Dieu et qu'il a été chargé d'enfourcher.
  
  Maintes et maintes fois, il est tiraillé par les affres du doute concernant 
  sa propre valeur d'être le successeur d'Abdu'l-Baha. Il lutte contre lui même, 
  comme tant de Prophètes et d'élus le firent avant lui. Il argumente dans le 
  tréfonds de son âme contre sa destinée, protestant contre la fatalité, et en 
  appelant a Dieu pour être relevé. Mais en vain. Il était fermement pris dans 
  les mailles du puissant Testament du Maître. Il y fait souvent allusion dans 
  ses lettres: "l'orage et la tension qui agitèrent ma vie depuis l'ascension 
  d'Abdu'l-Baha"; "pour ma part, quand je regarde en arrière les circonstances 
  malheureuses de mauvaise santé et d'épuisement physique qui marquèrent les premières 
  années de ma carrière au service de la Cause, je suis comblé: j'aurais été vraiment 
  découragé sans la mémoire réconfortante, l'exemple inspirant et les efforts 
  diligents que mes collaborateurs du monde entier déployèrent sans relâche, au 
  service de la Cause, durant ces deux années émouvantes." Dans une autre lettre, 
  il écrit: "... revoyant ces jours moroses de ma retraite, rendue amère par des 
  sentiments d'anxiété et de tristesse... Je peux très bien imaginer le degré 
  de difficulté et même d'affliction, qui a dû agiter l'esprit et l'âme de tout 
  serviteur affectueux et loyal du Bien-Aimé pendant ces longs mois de "suspense" 
  et d'inquiétant silence..."
  
  Que sa propre condition et ce qu'il considérait comme son incapacité a l'élever 
  a la situation où l'ascension du Maître l'avait placé, l'aient chagriné plus 
  que toute autre chose pendant de nombreuses années, cela apparaît dans les extraits 
  de ses lettres. Pas plus tard que le 24 septembre 1924, il écrivait: "je déplore 
  l'effet perturbateur de mes retraites forcées et répétées du champ de service... 
  mon absence prolongée, mon inaction complète ne doivent pas, cependant, être 
  attribuées seulement a quelques manifestations extérieures d'inharmonie, de 
  mécontentement et de déloyauté, quelque paralysant que soient leurs effets pour 
  la continuation de ma tâche, mais aussi a ma propre imperfection, a mon manque 
  de mérite et a ma faiblesse." Dès le commencement sa tâche la plus dure fut 
  de s'accepter lui-même.
  
  Au commencement de l'été 1923, Shoghi Effendi quitta une nouvelle fois Haïfa 
  pour chercher la santé et la consolation de la solitude dans les hautes montagnes 
  de la Suisse. Mais a l'inverse des années suivantes où il continuait a rester 
  en contact permanent avec le travail de la foi par câbles et lettres, ce fut 
  cette fois encore, une coupure complète, une fuite dans le désert, une recherche 
  de l'âme, une communion avec lui-même et sa destinée, afin de trouver la force 
  de revenir et d'assumer les obligations de sa haute charge. Il revint en novembre 
  1923. Le 14 du même mois, il informait les croyants américains de son retour 
  après une absence "forcée". 
  
  Cette lettre donne une indication sur ce qui a dû se passer en lui durant cette 
  période. Il dit: "Les révélations remarquables du Testament du Bien-Aimé, si 
  stupéfiant dans tous ses aspects, si emphatique dans ses injonctions, mettent 
  au défi et laissent perplexes les esprits les plus pénétrants..." Peut-on douter 
  qu'elles le rendaient également perplexe? Shoghi Effendi si fortement marqué 
  par son humilité naturelle d'une part, sa foi et confiance absolues en le Maître 
  d'autre part, a dû réellement beaucoup réfléchir aux implications du Testament 
  d'Abdu'l-Baha et a ce que devait être sa démarche maintenant qu'il était de 
  retour après un long silence ininterrompu", pour prendre en main, une nouvelle 
  fois "mon travail de service a la, cause de Baha'u'llah."
  
  Cette fois, il arriva avant la commémoration du second anniversaire de l'ascension 
  du Maître. Les télégrammes qu'il envoya a cette époque a différents pays, montrent 
  qu'il était profondément ému. Il fait allusion, dans ces câbles, "aux souvenirs 
  poignants" a "la tristesse et la souffrance" que cet anniversaire évoquait. 
  Il télégraphia en Perse: "Puisse la plus sombre heure d'angoisse de cette nuit 
  introduire l'aube d'un jour nouveau pour la Perse bien-aimée." Pendant de nombreuses 
  années, dans de nombreux messages, il souligne cet anniversaire qui évoquait 
  toujours des souvenirs lointains et tragiques pour lui. Je me rappelle, après 
  le trente-cinquième anniversaire de l'ascension d'Abdu'l-Baha, Shoghi Effendi 
  répéta plusieurs fois: "Vous rendez-vous compte que j'ai porté cette charge 
  pendant trente six ans? je suis fatigué, fatigué! "
  
  Après 1923, on peut dire qu'un nouvel être, un Gardien ailé sortit de la chrysalide 
  de la jeunesse. Les ailes n'étaient peut-être pas encore tout a fait déployées, 
  mais leurs battement gagnaient en ampleur, en envergure et en assurance avec 
  les ans. Elles étendirent réellement leur ombre sur toute l'humanité. Dans ses 
  premiers écrits on voit sa maîtrise se développer en style, en pensée et puissance. 
  Prenons quelques faits et citations et voyons avec quelle clarté ils illustrent 
  cette évolution. 
  
  Dès le commencement, il se tourna avec une confiance et foi touchantes vers 
  les croyants et gagna leur coeur. Il leur demanda de prier pour lui, afin qu'il 
  puisse en collaboration avec eux, assurer "le triomphe rapide de la Cause de 
  Dieu" dans toutes les régions. Ses questions sont des défis., ses réflexions 
  incisives: "Devons-nous nous laisser emporter par le flot des idées creuses 
  et contradictoires, ou bien rester debout, indomptés et immaculés, sur le roc 
  éternel des divines instructions de Dieu?", "... devons-nous croire que tout 
  ce qui nous arrive est divinement ordonné et en aucun cas le résultat de notre 
  pusillanimité et négligence?" Déjà, en 1923, il voit le monde et la Cause comme 
  deux choses distinctes, a ne pas amalgamer, dans nos esprits, en un tout hasardeux 
  et sentimental. La volonté de Dieu, affirme t il "s'oppose aux opinions chimériques, 
  aux doctrines impuissantes, aux théories crues, aux imaginations oisives et 
  aux conceptions a la mode, d'un âge transitoire et troublé."
  
  Shoghi Effendi mentionne maintes fois, dans ses lettres de ces premières années 
  du Gardiennat, la nécessité de "se lever pour offrir votre part de service a 
  ce monde souffrant et inconscient". Dans une lettre a un ami il fait une distinction 
  hautement révélatrice: "Le moment est venu pour les amis... de réfléchir non 
  pas a la façon dont ils doivent servir la Cause, mais a la façon dont la Cause 
  doit être servie." Nous pourrions très bien continuer, aujourd'hui, a réfléchir 
  sur ces paroles. Quels sont les besoins de la Cause, quelle est sa direction, 
  quels sont ses buts?
  
  L'intérêt de Shoghi Effendi pour le Pacifique et sa conscience du développement 
  futur de la Cause dans ces régions se manifestèrent dès le début de son Gardiennat. 
  En janvier 1923, il écrivit aux îles du Pacifique, en des termes réjouissants 
  et romantiques "dont les noms mêmes évoquent en nous un si grand sentiment d'espoir 
  et d'admiration que l'écoulement du temps et les vicissitudes de la vie ne pourront 
  jamais affaiblir ou effacer." En janvier 1924, Il adressa une lettre "Aux bien-aimés 
  d'Abdu'l-Baha en Australie, Nouvelle Zélande, Tasmanie et les îles adjacentes 
  du Pacifique. Amis et hérauts du Royaume de Baha'u'llah! Une brise fraîche, 
  chargée de parfum de votre amour et dévouement a notre Cause bien-aimée, a flotté 
  de nouveau, depuis vos lointains rivages du Sud vers la Terre Sainte et nous 
  a rappelé, a chacun et a tous, cet esprit inextinguible de service et de sacrifice 
  de soi que l'ascension de notre Bien-Aimé a allumé dans presque tous les coins 
  du monde."
  
  Les paroles qu'il adressa a une des Assemblées américaines en décembre 1923, 
  résonnent presque comme un monologue intérieur: "La sagesse insondable de Dieu 
  a décrété que nous, les porteurs du plus grand Message du monde a l'humanité 
  souffrante, nous devons travailler et promouvoir notre tâche dans des conditions 
  de vie difficiles, dans un environnement défavorable et face a des tribulations 
  sans précédent, sans moyens, sans influences et sans aides et parvenir, fermement 
  et sûrement, a la conquête et a la régénération du coeur humain." Beaucoup de 
  ces premières lettres aux Assemblées Spirituelles ont cette qualité non pas 
  de disserter mais de dire a haute voix ses plus intimes considérations. 
  
  Le même mois, il écrivait: "... En vérité, le progrès de notre travail, quand 
  nous le comparons a la montée et au développement sensationnel d'une cause terrestre, 
  a été lent et pénible. Cependant, nous croyons fermement et nous ne douterons 
  jamais que la grande révolution spirituelle que le Tout Puissant fait accomplir 
  par nous, dans le coeur des hommes, est destinée a réaliser, assidûment et fermement, 
  la régénération complète de toute l'humanité."; "Quelles que soient nos tribulations, 
  quelque inattendues que soient les misères de la vie, rappelons-nous de la vie 
  qu'il (le Maître) nous a tracée devant nous; et, reconnaissants et inspirés, 
  portons notre charge avec courage et fermeté afin que dans le monde a venir, 
  en la divine Présence de notre Consolateur affectueux, nous recevions sa vraie 
  consolation et la récompense de nos labeurs."; "Quoi qu'il nous arrive et quelque 
  sombre qu'apparaisse la perspective de l'avenir, si nous jouons notre rôle, 
  nous pouvons être sûrs que la Main de l'Invisible travaille, façonnant et moulant 
  les événements et les circonstances du monde, et pavant la voie de la réalisation 
  finale de nos buts et espérances pour l'humanité."; "Notre premier devoir est 
  de créer par la parole et par les actes, par notre conduite et notre exemple, 
  l'atmosphère dans laquelle les graines des paroles de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha, 
  semées avec profusion durant presque quatre-vingts ans, germent et donnent ces 
  fruits qui seuls peuvent assurer la paix et la prospérité a ce monde bouleversé."; 
  "... Levons-nous pour enseigner sa Cause avec droiture, conviction, compréhension 
  et vigueur... faisons-en la passion dominante de notre vie. Dispersons-nous 
  dans les coins les plus reculés de la terre, sacrifions nos intérêts personnels, 
  notre confort, nos goûts et nos plaisirs, mêlons-nous aux divers peuples et 
  races du monde; familiarisons-nous avec leurs manières, traditions, façons de 
  penser et coutumes." 
  
  Certaines de ces paroles résonnent comme les grands messages de la période de 
  l'exécution du Plan divin, mais elles ont été écrites pendant l'hiver 1923-24, 
  Il s'était imposé la tâche de voir la foi émerger "au grand jour d ' e la reconnaissance 
  universelle", un terme qu'il employa la même année.
  
  Imbibé des enseignements depuis son enfance, privilégié d'entendre, de lire 
  et d'écrire très souvent les paroles du Maître, dans sa jeunesse, Shoghi Effendi, 
  guida fermement les amis de l'Est et de l'Ouest tout au long de leurs routes. 
  Déjà en mars 1922, dans une de ses premières lettres aux croyants américains, 
  il affirmait: "Il est strictement interdit aux amis de Dieu de se mêler aux 
  affaires politiques." Il emploie le terme de " pionnier" dans ses premières 
  lettres, et en 1925, il tient une liste des centres baha'is a travers le monde!
  
  Malgré ce qu'il décrivait comme "le sentier épineux de mes pénibles obligations", 
  malgré "la charge oppressive des responsabilités et des soucis qui est mon sort 
  et que j'ai le privilège de porter", il exprimait clairement et comprenait brillamment 
  les besoins et les tâches que les croyants affrontaient. Il définissait aussi 
  nettement le genre de relations qu'il désirait avoir avec les baha'is, et la 
  manière dont ils devaient le considérer. Le 6 février 1922, il écrivait a un 
  baha'i iranien: "Aussi haut que je puisse monter dans l'avenir, je désire me 
  réaliser en tant qu'un et seulement un des nombreux travailleurs de son vignoble, 
  et être connu comme tel.. quoi qu'il arrive, j'ai confiance en son merveilleux 
  amour (celui d'Abdu'l-Baha) pour moi. Puis-je ne jamais entraver d'aucune manière, 
  par mes actes, réflexions ou paroles, le flot fortifiant de son Esprit dont 
  j'ai si fortement besoin pour faire face aux responsabilités qu'il a placées 
  sur mes jeunes épaules..." 
  
  Le 5 mars, il ajoutait le post-scriptum suivant a une lettre aux croyants américains: 
  "puis-je également exprimer mon désir sincère d'être considéré par les amis 
  de Dieu de tous les pays comme rien d'autre que leur vrai frère, uni a eux dans 
  notre commune servitude au Seuil sacré du Maître, et qu'ils s'adressent a moi, 
  dans leurs lettres et paroles, comme a Shoghi Effendi, car je ne désire pas 
  être connu sous d'autre nom que celui par lequel le Maître bien-aimé avait coutume 
  de m'appeler; un nom qui, de toutes les autres désignations, contribuera davantage 
  a mon progrès et avancement spirituel." En 1924, il télégraphiait en Inde, brièvement 
  et nettement: 
  
  "Mon anniversaire ne doit pas être commémoré". En 1930, son secrétaire écrivait 
  de sa part: "Concernant le rang de Shoghi Effendi: Il n'en a certainement pas 
  d'autre que celui que lui confère le Maître dans son Testament et sa volonté 
  affirme également ce qu'est le rang de Shoghi Effendi. Si quelqu'un interprète 
  mal une partie du Testament, il interprète mal tout le Testament." Quand Shoghi 
  Effendi écrivit l'ouvrage connu sous le titre de la Dispensation de Baha'u'llah, 
  il clarifia une fois pour toutes, sa position, se dissociant catégoriquement 
  des prérogatives et de la position que Baha'u'llah avait conférées a 'Abdu'l-Baha: 
  "A la lumière de cette vérité, prier au nom du Gardien de la Cause, s'adresser 
  a lui comme seigneur et maître, le qualifier de sainteté, rechercher sa bénédiction, 
  célébrer son jour de naissance ou commémorer un événement se rapportant a sa 
  vie équivaudrait au reniement des vérités fondamentales contenues dans notre 
  foi bien-aimée." En 1954, son secrétaire écrivait de sa part: " ... Il n'est 
  jamais allé jusqu'à interdire aux amis de posséder des photos de lui; il désirerait 
  simplement qu'ils mettent l'accent sur le Bien-Aimé Maître."