La perle 
  inestimable 
   Par Ruhiyyih Rabbani  
  
    
      
  
    Chapitre précédent
 
  Chapitre précédent  
 
   Retour au sommaire
 
  Retour au sommaire Chapitre suivant
  
  Chapitre suivant  
 
  
  
  
   
 
  Chapitre 3. Les premières années du gardiennat 
  
   Il est temps de se demander quel était 
  l'homme qui écrivit de telles choses sur lui-même? Quelle impression produisait-il? 
  Comment apparaissait-il aux autres?
  
  La description suivante est tirée du journal d'un croyant américain appelé en 
  mars 1922 a Haïfa: "... Shoghi Effendi apparut et me salua très gentiment et 
  affectueusement. Je ne l'avais pas vu depuis huit ans et naturellement j'étais 
  surpris par le changement et le développement qui s'étaient opérés en lui. Le 
  garçon que j'avais connu était maintenant un homme, jeune en âge mais pondéré, 
  d'un esprit profond et réfléchi..." Shoghi Effendi lui donna a lire une copie 
  dactylographiée du Testament du Maître. Il rapporte ainsi ses propres réactions 
  aux dispositions du Testament: "je n'ai jamais rien lu qui m'ait donné autant 
  de joie et d'inspiration que ce document sacré. Il... me donna une direction 
  fixe vers laquelle me tourner et un centre autour duquel nous devons tous graviter 
  tant que nous sommes sur cette terre... Un roi des rois dirigeant le monde, 
  protégeant de la même manière les rois, les aristocrates et les peuples," Il 
  poursuit ses impressions sur Shoghi Effendi: "Alors que j'étais assis a table 
  et regardais Shoghi Effendi, je fus frappé par sa ressemblance avec le Maître, 
  par la forme et le maintien de la tête, par ses épaules, par sa manière de marcher 
  et par son comportement en général. Je sentis alors le poids terrible et la 
  responsabilité placée sur ce jeune adolescent. Il me semblait atterrant que 
  lui, dont la vie commençait tout juste, pour parler du point de vue humain, 
  il dut porter cette responsabilité, un poids qui le consumerait et en ferait 
  un être a part, éliminant de sa vie la liberté et la joie qui, bien que non 
  éternelles, ont un certain retentissement en chacun de nous."
  
  En 1929, un pèlerin indien écrivait au sujet de Shoghi Effendi: 
  
  "Nous devons comprendre Shoghi Effendi pour pouvoir l'aider, en accomplissant 
  la grande tâche qu'il nous a confiée. Il est si calme et pourtant si vibrant, 
  si statique et pourtant si dynamique." 
  C'est un petit résumé d'un des aspects du Gardien. L'impression qu'il fit sur 
  la première baha'ie appelée a Haïfa après la fin de la seconde guerre mondiale, 
  en 1947, révèle d'autres aspects de sa nature: 
  "Ma première impression fut son sourire chaleureux et aimable et sa poignée 
  de main me mettant instantanément a l'aise... Au cours de ces audiences, j'eus 
  de plus en plus conscience de ses grandes qualités, sa noblesse, sa dignité, 
  sa chaleur et son enthousiasme, son pouvoir de passer très vite d'un humour 
  pétillant a l'outrage profond, mais toujours et toujours mettant la foi baha'ie 
  avant toute chose... 
  Par sa manière pratique et logique, Shoghi Effendi me fit sentir que j'étais 
  a la fois une invitée bien accueillie et une aide nécessaire; il décrivit quelques 
  unes de mes obligations qui commençaient le lendemain. Son conseil, donné a 
  cette première visite, fut d'exécuter tous les travaux de sa part. Il me dit 
  qu'il voulait que je suive ses instructions a la lettre; si je ne réussissais 
  pas ou si des difficultés surgissaient, de le mettre au courant d'une manière 
  précise et qu'il me donnerait un nouveau plan d'action... 
  Pour les baha'is travaillant au Centre International, tout au moins pendant 
  cette période, il n'y avait pas un jour de repos particulier. C'est alors que 
  chacun comprenait que chaque instant appartenait a la foi..." "Elle parle ensuite 
  de ces soirées où Shoghi Effendi nous entretenait, au dîner, de ses plans, des 
  câbles et messages qu'il avait envoyés et occasionnellement des documents précieux 
  en sa possession: "... 
  Etincelant d'excitation et de plans nouveaux, il sortait de ses poches des messages 
  et des lettres, souvent repoussant le plat intact, il demandait un crayon et 
  du papier et nous réjouissait de ses nouvelles idées et espérances a réaliser 
  par les baha'is... Le Bien-Aimé Gardien n'aimait pas du tout qu'on le photographie, 
  par conséquent toutes les photos existantes ne reflètent pas sa véritable 'image'. 
  
  En premier lieu, l'émotion passait si rapidement dans ses traits qu'il aurait 
  fallu prendre toute une série de photos pour saisir ses innombrables expressions. 
  C'était un régal de le voir et de l'entendre rire... Il semblait scintiller 
  comme une étoile, lorsqu'un plan avait réussi. Son sens de l'humour était une 
  joie! Il était comme une haute montagne, forte, toujours la, mais jamais conquise, 
  possédant des sommets et des gouffres inattendus ... ; il était extrêmement 
  minutieux et nous apprit, a nous tous, un sens nouveau de la perfection et de 
  l'attention dans les détails... 
  
  Il surveillait de près les dépenses de tous les fonds ... Il se préoccupait 
  avec enthousiasme des statistiques baha'ies ... Nous ne pourrions jamais apprécier 
  sa compréhension de toutes les activités depuis la base jusqu'au sommet de l'échelle, 
  le centre mondial..."
  
  Le mari de cette amie, qui eut également le privilège de servir au Centre mondial 
  explique, dans une lettre écrite en 1948 a un baha'i américain, son impression 
  intime sur le Gardien en tant qu'homme: "Du peu que j'ai vu, je voudrais dire 
  qu'il n'y a pas beaucoup d'Orientaux pour soutenir l'allure que Shoghi Effendi 
  impose. On ne peut que s'émerveiller a la vue de son raisonnement et de sa force. 
  Cependant, bien qu'il soit tout feu tout flamme, il est l'homme le plus aimable, 
  le plus compréhensif, le plus compatissant et le plus prévenant que j'ai jamais 
  connu. Il n'a pas son pareil. Il n'y a personne qui lui ressemble. Comme je 
  voudrais que d'autres baha'is puissent le connaître comme Gladys et moi avons 
  eu le privilège de le connaître. En écrivant cela je ne parle pas de sa position 
  de Gardien, ce serait tout a fait au-dessus de ma force. Comme tous les baha'is 
  devraient travailler pour cette grande figure! Sa charge est grande."
  
  En 1956, un pèlerin notait très judicieusement et finement: "Son visage est 
  beau, d'une expression pure et impressionnante, et en même temps tendre et majestueuse... 
  J'ai vu de grands yeux bleus gris... Son nez est une combinaison entre celui 
  qui apparaît sur les photos quand il était un petit garçon (il ressemble encore 
  beaucoup a ces photos) et le nez plissé du Maître. Il paraissait avoir quarante 
  huit ans au lieu de soixante. Il avait de petites moustaches grises sur des 
  lèvres minces et serrées. Sa bouche est ferme et d'une ligne pure, ses dents 
  blanches et belles. Son sourire est une grâce... Il est très simple et direct. 
  Il ne demande pas toutes ces déférences, mais le fait d'être en sa présence 
  vous donne le sentiment d'être absolument faible et petit. Le Gardien est toujours 
  courtois et ne perd jamais patience avec des questions prématurées. Toutefois, 
  il n'hésite pas a dire quelles sont les questions importantes, celles qui ne 
  le sont pas et celles auxquelles la Maison Universelle de justice répondra..." 
  Elle raconte que Shoghi Effendi présidait a table "si simplement et cependant 
  si royalement comme seul un grand roi sait être simple!... J'ai senti qu'il 
  était une très puissante locomotive tirant derrière elle une longue, très longue 
  file de wagons chargés, non pas de poids morts, mais quelque fois de vrais morts! 
  
  
  Ce poids, ce sont les croyants qui doivent être poussés, tirés, cajolés ou loués 
  a tout moment pour qu'ils agissent. Le Bien-Aimé Gardien prévoit de loin les 
  besoins, le manque de temps, les obstacles et les problèmes. Il nous tire effectivement 
  tout le temps par sa direction et sa puissante lumière. De même que la locomotive, 
  il peut aller droit devant, vite ou lentement, mais il ne PEUT dévier de sa 
  course, il DOIT suivre la voie qu'est sa direction divine... Il donne l'impression 
  d'être un instrument très parfait, très impersonnel mais hyper sensible a la 
  moindre réflexion et atmosphère. 
  
  On ne peut influer sur ses idées. Il n'est influencé ni par l'amitié, ni par 
  la préférence, ni par l'argent, ni par les sentiments, blessants ou non. Il 
  est absolument au-dessus de tout cela... Le Gardien a expliqué clairement que 
  maintenant le temps n'est plus de s'arrêter sur les aspects ésotériques des 
  enseignements, au contraire, nous devons être ACTIFS et positifs et accomplir 
  la Croisade de Dix Ans... Il parle, explique et puis soudain termine, plie soigneusement 
  sa serviette et se lève... Impossible de décrire et de communiquer la luminosité 
  du Gardien. S'il vous sourit ou vous observe de ce regard doux et pénétrant, 
  c'est un frisson de plaisir et d'émotion... Il parle toujours de la Cause et 
  s'arrête sur le thème de l'achèvement de la Croisade de Dix Ans. Lorsqu'il y 
  a de bonnes nouvelles, il est joyeux, lorsqu'elles sont mauvaises, il est profondément 
  déprimé... tout en aimant les appréciations sur la beauté des jardins, des Mausolées 
  et sur leurs arrangements, le Gardien semble fuir les louanges personnelles 
  ou les remerciements... Nous cherchions toujours et essayions désespérément 
  de fixer en nos mémoires sa figure radieuse, de ne pas perdre le moindre trait 
  de son expression, toujours impressionnante mais variée, soudaine et surprenante... 
  Hélas, la radiante nature de Shoghi Effendi était trop souvent cachée sous un 
  nuage de tristesse a cause du manque de sagesse des amis, de leur désobéissance 
  flagrante ou de leur manque de considération envers ses instructions. On se 
  demande franchement qui n'a pas failli envers lui d'une manière ou d'une autre!"
  
  J'ai cité ces passages parce qu'ils décrivent me semble-t-il, le Gardien tel 
  que je l'ai connu. Ne me souvenant pas Abdu'l-Baha moi-même, je ne saurais parler 
  de leur ressemblance, mais beaucoup de baha'is anciens affirmaient qu'ils avaient 
  remarqué nettement cette ressemblance. Je citerai quelques passages de mon propre 
  journal concernant le Gardien de la Cause de Dieu.
  
  "Par tempérament Shoghi Effendi est un homme d'action, un bâtisseur, un organisateur 
  et a horreur des abstractions! ... En observant Shoghi Effendi, personne ne 
  peut douter qu'il ne fût parfaitement équipé pour cette phase de la Cause et 
  je crois qu'il a été créé pour faire justement ce qu'il fait. Il est la personne 
  la plus extraordinairement unidirectionnelle que j'ai jamais connue. Entier, 
  il aime ou n'aime pas intensément. Il ressemble a un objet qui se déplace a 
  une très grande vitesse dans une direction, ce qui lui donne une énergie cinétique 
  infinie. Sa ténacité est irrésistible; il ne dissipe pas ses forces. Il veut 
  une seule chose a la fois mais il la veut passionnément, immédiatement, complètement 
  et a la perfection. L'édifice du Temple, ou la rampe d'un escalier, ici, dans 
  le jardin, il s'en empare comme un ouragan et ne l'abandonne que lorsqu'il est 
  fait. Il va de l'avant. C'est extraordinaire. Il aime le gazon vert, les sentiers 
  rouges et blancs, les géraniums rouges, les cyprès et naturellement autres choses, 
  mais ce que je veux dire c'est qu'il n'aime pas n'importe quelle fleur et n'importe 
  quel arbre, non, mais seulement telle chose a tel endroit. Cela est vrai pour 
  la nourriture, pour les vêtements, pour les couleurs: peu de choses en fait 
  mais il les aime passionnément, il ne veut rien d'autre. Il ne s'en fatigue 
  jamais! C'est cette insistance presque bornée sur un ou deux thèmes qui lui 
  permit de construire en vingt ans une telle fondation a la Cause. Un homme de 
  goûts et de tempérament plus catholiques n'aurait jamais pu le faire!"
  
  Le Gardien est plus sensible qu'un sismographe. Quelque chose en lui, plus profond 
  que l'intelligence ou toute information extérieure qu'il puisse avoir, enregistre 
  l'état de l'individu, enregistre des choses que peut-être l'individu ignore 
  encore. Je crois que nous devrions le considérer comme notre indicateur et s'il 
  trouve quelque imperfection dans une de nos attitudes subtiles nous devrions 
  chercher en nous-mêmes pour la découvrir." Nous pouvons très bien nous demander, 
  aujourd'hui encore et toujours, si cela ne doit pas être notre guide et si nous 
  lisions attentivement ses écrits, nous n'y trouverions pas des indications sur 
  nos imperfections individuelles, nationales ou raciales pour en être avertis 
  et nous y conformer. "Shoghi Effendi, ai-je écrit sonne juste comme le vrai 
  diapason des enseignements..."; 911 est le Gardien et la nature de ses relations 
  avec Dieu est évidemment un mystère. Il peut comprendre tout mystère; il peut 
  interpréter n'importe quel passage mystique de la foi, il peut écrire des choses 
  d'une nature profondément mystique il est motivé pour le faire."
  
  Baha'u'llah était prophète. Il a fait et dit tout ce qui était nécessaire pour 
  le monde d'aujourd'hui. Le Maître était la personnification de ses pouvoirs 
  et enseignements. Il a introduit un ingrédient dans le monde de service au vrai 
  sens du terme, un ingrédient de bonté, et une vie religieuse dans sa forme la 
  plus élevée qui est impérissable. Puis quelque chose d'autre a été nécessaire, 
  c'est la que... beaucoup de gens, y compris les membres de la famille du Maître 
  et quelques baha'is ont échoué dans leur perception des choses. Ils voulaient 
  un second 'Abdu'l-Baha une série répétitive patriarcale sous forme de Gardiens. 
  Mais il semble que Dieu avait une autre idée. L'impression la plus forte que 
  j'ai toujours eue au sujet de Shoghi Effendi est celle d'un objet se déplaçant 
  uni directionnellement avec une force et une vitesse terrifiantes. 
  
  Si Baha'u'llah brillait comme le soleil, le Maître irradiait sa lumière harmonieusement 
  comme la lune : Shoghi Effendi est un phénomène entièrement différent. Aussi 
  différent qu'un objet se précipitant sur son but l'est d'une chose stationnaire 
  et irradiante. Si l'on préfère une comparaison chimique, je dirai que Baha'u'llah 
  a réuni tout ce qui nous était nécessaire. Le Maître a fait la préparation ou 
  le mélange, Dieu a, alors ajouté un élément une sorte de précipitant universel, 
  nécessaire pour clarifier le tout, et qui continue d'agir jusqu'à son aboutissement 
  naturel, cet élément c'est le Gardien... Il est fait exactement pour répondre 
  aux besoins de la Cause et par conséquent de la planète elle-même, en ce jour."
  
  Bien que Shoghi Effendi, dans son essence, doive rester a jamais, pour tout 
  être de ce monde, un mystère, jusqu'au jour où une nouvelle manifestation de 
  Dieu, être supérieur, choisirait de nous l'expliquer a nous qui sommes si inférieurs, 
  néanmoins, nous savons beaucoup sur lui et nous avons le droit de préserver 
  sa mémoire tendrement, sinon de manière adéquate.
  
  Les premières années de son ministère, en dépit de sa tristesse et de son chagrin, 
  son exubérance, cette marque enfantine de celui qui, après tout on l'a dit, 
  n'était qu'un tout jeune homme, ne pouvait disparaître complètement. Il était 
  naturellement impatient, un trait de caractère qu'il ne perdit jamais. Mais 
  a cette époque, cette impatience transparaissait nettement dans ses lettres 
  ses télégrammes et dans ses contacts personnels avec autrui.
  
  La photo était son seul violon d'Ingres. Pendant ces premières années il prenait 
  des photos très artistiques des paysages de la Suisse et d'ailleurs. Nous trouvons 
  la copie d'une lettre écrite en français' en 1924, a un photographe d'une petite 
  ville Suisse disant: "J'attends impatiemment les photographies que je vous ai 
  envoyées... J'espère que vous les avez reçues. Elles me sont très chères. Rassurez-moi 
  instantanément par une carte postale, a leur sujet, s'il vous plaît. J'espère 
  qu'elles sont toutes réussies. Vous remerciant par avance, je suis votre dévoué." 
  Bien que la lettre soit signée par un "Shoghi" fleuri, elle est néanmoins de 
  l'écriture de quelqu'un d'autre!
  
  Dans le domaine floral, son désir de voir les choses rapidement expédiées n'est 
  pas moins manifeste. Il voulait avoir du gazon en face du Mausolée du Bab et 
  a quelques autres endroits des propriétés baha'ies. En mai 1923, il télégraphia 
  a un baha'i de Paris: "Où en est notre projet de gazon?" Dix jours plus tard, 
  ne recevant pas de réponse, il câblait: "lettre pas encore répondue. Et les 
  graines gazon?" Elles arrivèrent enfin, mais le résultat semble avoir été peu 
  satisfaisant: car il apparaît que Shoghi Effendi, a son retour a Haïfa, inaugura 
  une campagne régulière en ce sens malgré les affirmations sectaires du vieux 
  jardinier d'Abdu'l-Baha pour qui le gazon ne pousserait pas en Palestine! Le 
  29 septembre, Shoghi Effendi écrivait a un cousin en Egypte: "Nos graines de 
  gazon sont apparemment peu satisfaisantes. Pouvez vous m'envoyer trente kilos 
  des meilleures graines disponibles en Egypte et convenant aux particularités 
  de notre climat." 
  
  Une semaine plus tard, ayant apparemment reçu une réponse qu'il n'a pas comprise, 
  il télégraphiait. "Surpris Prière expliquer par lettre." Les explications paraissent 
  avoir été aussi peu satisfaisantes cette fois encore Shoghi Effendi cessa de 
  traiter avec la parenté et les amis et s'adressa directement, le 18 décembre, 
  a quatre pépiniéristes et marchands de graines, un Français et trois Anglais. 
  Il commandait des graines de gazon, des graines de fleur, des bulbes et des 
  boutures, précisant qu'il "attendait impatiemment" leur réponse! Cet été la, 
  ou peut-être le précédent, il avait fait envoyer quelques arbustes a Haïfa; 
  car, il télégraphiait en décembre aux Dreyfus Barney de Paris "Carmel vous attend 
  tous deux avec roses d'Orléans."
  
  Nous supposons que Shoghi Effendi établit des relations amicales avec certains 
  de ses fournisseurs, en effet, dans une lettre en français ' datée de janvier 
  1925 il dit:
  
  "je vous envoie ci-joint la somme de - en vous priant d'avoir l'amabilité de 
  m'envoyer immédiatement des graines de la fausse ivraie pour gazon. Je suis 
  très satisfait des résultats du gazon que vous m'avez envoyé auparavant et j'espère 
  recevoir les graines aussitôt que possible. Vous remerciant par avance pour 
  ces envois, je vous assure, cher Monsieur, de mes sentiments les plus affectueux. 
  Shoghi Rabbani." J'en déduis que c'était les premiers gazons a pousser en Palestine 
  sur une grande échelle. Shoghi Effendi écrivit également a une firme anglaise 
  d'horticulture, près de Norwich: "... Je suis un amateur de fleurs et de jardins. 
  Je vous envoie, ci-joint, une autre Livre Sterling, pour toute plante pittoresque 
  que vous jugerez convenir a mon dessein."
  
  Je doute que Shoghi Effendi ait planté quoi que ce soit de sa vie ou même qu'il 
  en ait eu l'envie. Il ne s'intéressait pas au jardinage mais aux jardins. Il 
  ne manqua jamais une occasion de visiter un beau jardin. Je ne sais pas le nombre 
  de jardins que, pendant vingt ans nous visitâmes ensemble. Il me semblait que 
  partout où il y en avait un, nous y allions et souvent nous y retournions, année 
  après année, comme on va voir un vieil ami. Pendant les dix premières années 
  de son ministère, ou presque, Shoghi Effendi fit tout son possible pour reproduire 
  dans ses propres jardins les effets des plantes qu'il admirait ailleurs. Une 
  année il commanda des milliers de bulbes en Hollande, une autre, des centaines 
  de rosiers en France. On lui envoya même des fougères des Antipodes. Mais la 
  capacité de ses jardiniers, combinée dans certains cas, a une inadaptation climatique 
  (comme pour la fougère, le narcisse des bois, la hyacinthe, le crocus etc ..) 
  firent échouer tous ses efforts. Il n'importa plus, finalement, que des graines 
  de gazon.
  
  'Abdu'l-Baha, a une époque où l'eau était un problème majeur, avait créé, près 
  des Tombeaux Sacrés, a Bahji et sur le Mont Carmel, des jardins faits principalement 
  de citronniers et de fleurs. Shoghi Effendi les modifia, les agrandit et leur 
  donna des formes. En 1923, lors de mon premier pèlerinage, ma mère remarqua 
  le tracé déjà défini des petits jardins adjacents au Mausolée du Bab et dit 
  que c'était un symbole de l'Ordre Administratif que Shoghi Effendi édifiait 
  dans le monde. Je suis sûre que cette idée n'a pas effleuré Shoghi Effendi. 
  Mais ordre et forme étaient innés en lui, il ne pouvait travailler autrement.
  
  (Photo)
  
  Le professeur Alayne LocL de l'Université de Howard a Washington qui fut un 
  des pèlerins baha'is a visiter Haïfa pendant les premières années du Gardiennat, 
  décrit ainsi les impressions qu'il ressentait lorsqu'il se promenait avec Shoghi 
  Effendi dans les jardins du Mausolée du Bab: "Shoghi Effendi est un maître, 
  pour le détail comme pour le principe, dans l'exécution comme dans la vision 
  projective. Quand je parlais avec lui des plans d'embellissement et d'arrangement 
  des terrasses et jardins, les détails perdaient leur insignifiante banalité 
  naturelle. Ils étaient importants, car ils devaient tous contribuer a dramatiser 
  l'émotion en ce lieu et a vivifier l'âme même par les sens."
  
  Shoghi Effendi agrandit continuellement ces jardins et leur renommée s'accrut 
  de plus en plus. Vers la fin de sa vie, 90.000 personnes par an visitaient ces 
  jardins et le Mausolée du Bab. Ce qu'une visiteuse lui écrivit, en 1935, exprime 
  en des termes les plus simples, l'impression de ces visiteurs "profondément 
  impressionnée par la beauté discrète des Mausolées et par la gaieté des jardins."
  
  Il avait l'habitude d'agrandir la superficie cultivée autour des Mausolées du 
  Bab et d'Abdu'l-Baha, chaque année. Son désir de suivre toujours scrupuleusement 
  les volontés du Maître lui donna, sans doute, la première impulsion dans cette 
  voie. Il savait qu'Abdu'l-Baha avait projeté une série de terrasses allant de 
  l'ancienne colonie allemande jusqu'au sépulcre du Bab. En fait, le Maître avait 
  déjà commencé l'agrandissement de la première terrasse! Shoghi Effendi s'imposa 
  d'achever ce projet. C'est sans doute au cours de l'étude de ce plan qu'il conçut 
  l'idée de ses jardins autour du Mausolée. En effet, il s'agit bien des jardins 
  et non d'un jardin. Il faut connaître sa méthode, pour comprendre et apprécier 
  l'extraordinaire impression de beauté que Shoghi Effendi créa sur le Mont Carmel 
  et a Bahji.
  
  Quand il était a Haïfa, il montait presque chaque jour vers le Mausolée, et 
  souvent, il visitait alternativement la Tombe du Bab et celle d'Abdu'l-Baha. 
  Les jours Saints, il les visitait successivement. C'est en observant ce qui 
  était devant lui que son esprit créateur lui suggérait des développements et 
  des améliorations. Il savait qu'Abdu'l-Baha avait conçu le Mausolée avec neuf 
  pièces; il entreprit donc de construire les trois derrières pièces au Sud de 
  la Tombe. 
  
  Il transforma les deux portes en bois ordinaire des murs Est et Ouest du tombeau 
  intérieur du Bab, en deux arches élancées, faisant une trouée vers le Saint 
  des Saints, ce qui embellit grandement l'intérieur. Au cours des ans, il changea 
  et augmenta les ornements intérieurs du Mausolée, tout en gardant toujours cette 
  impression de simplicité et d'intimité qui accroît le charme de ce Lieu Sacré. 
  Tout en apportant ces améliorations (dont le point culminant fut l'érection 
  de la grande superstructure du Mausolée), Shoghi Effendi étudia les alentours 
  arides de la montagne et commença a développer année après année, morceau après 
  morceau, des sections indépendantes. Il faut savoir que, a l'exception des terrasses, 
  il n'eut jamais un plan d'ensemble. C'est ce qui donne aux jardins du Mont Carmel 
  leur caractère unique. Alors qu'il se promenait, une idée jaillissait en Shoghi 
  Effendi concernant un morceau de jardin convenant a la topographie du terrain. 
  Sans bruit, sans conseil, sans autre aide que celle des fermiers malhabiles 
  faisant office de jardiniers, il réalisait son plan. Si nécessaire, il faisait 
  arpenter le terrain et dessiner les courbes et les lignes, mais le plus souvent, 
  il faisait tout lui-même.
  
  J'ai appris, par la description vivante qu'il me faisait, quand il rentrait, 
  de ce qu'il avait trouvé et projeté de faire, que sa méthode consistait a regarder 
  le terrain, lors de ses promenades. Un modèle s'imposait ainsi a son esprit. 
  Il l'étudiait alors non seulement sur le terrain en observant le domaine, mais 
  aussi sur des dessins qu'il faisait lui-même. Bien qu'il vînt, en un éclair, 
  d'innombrables idées a Shoghi Effendi, et bien que parfois il vît en un clin 
  d'oeil le plan d'ensemble du jardin qu'il projetait, néanmoins il travaillait 
  minutieusement sur un dessin les détails et les dimensions. Il ne dessinait 
  pas a l'échelle, car cela lui aurait pris trop de temps, mais il calculait et 
  indiquait sur ses graphiques les dimensions et les distances. 
  Prenons, par exemple, un sentier principal de 25 mètres de long et de 2 mètres 
  de large, de chaque côté, il allouait 25 cm. aux bordures, une bande de 1,20 
  m. pour les cyprès distants les uns des autres 1,5 m. et ainsi de suite. Ayant 
  tout projeté, il allait sur place et, debout, il donnait ses instructions aux 
  jardiniers qui les exécutaient avec des moyens rudimentaires: une corde nouée 
  a des piquets pour les lignes droites, un piquet et une corde servant de compas 
  pour les cercles, utilisant l'empan (l'espace entre le pouce et l'auriculaire 
  lorsque la main est complètement ouverte) pour mesurer la distance entre les 
  arbres, déversant de la terre colorée pour matérialiser les lignes et d'autres 
  moyens aussi simples. 
  
  Sachant exactement ce qu'il voulait faire, Shoghi Effendi demandait, habituellement, 
  aux autres jardiniers de suivre ceux qui dessinaient: ainsi le plan était dessiné 
  sur le terrain, les trous pour les cyprès creusés, les arbres plantés, le lit 
  de fleurs réalisé et les bordures plantées; et le tout pendant que Shoghi Effendi 
  avançait au devant d'eux procédant aux mesures! Il y a un proverbe arabe disant 
  que celui qui porte la bague du Roi Salomon, lorsqu'il la tourne, tout change 
  en un clin d'oeil. Certains travailleurs arabes avaient l'habitude de dire que 
  Shoghi Effendi avait trouvé la bague du Roi Salomon.
  
  Il est difficile de comprendre pourquoi certaines personnes font les choses 
  si lentement, quand Shoghi Effendi les faisait si rapidement. Répondre simplement 
  qu'il "était guidé par Dieu" ne me semble pas une explication suffisante. Je 
  crois que les grands hommes voient les choses en grand et les petites gens trébuchent 
  sur de petits détails. Shoghi Effendi étant vraiment grand, sachant parfaitement 
  ce qu'il voulait faire, ne voyait pas pourquoi des détails mesquins, tels que 
  donner des instructions a des subordonnés et les laisser oeuvrer, devaient l'empêcher 
  de faire en sorte que tout soit réalisé sous ses yeux, en une seule opération. 
  Il organisait parfaitement cette opération et elle était faite parfaitement 
  et immédiatement. Tout ce qu'il pouvait faire lui-même était toujours fait. 
  Les retards et les échecs ne survenaient que lorsqu'il s'adressait a d'autres.
  
  Il avait un sens infaillible des proportions. Il disait toujours qu'il ne pouvait 
  pas visualiser, en d'autres termes, il n'avait pas ce don de l'artiste qui en 
  fermant les yeux, voit devant lui ce que sera l'oeuvre terminée. Mais quand 
  il regardait un dessin ou quand il avait fini ses mesures et étudié le terrain, 
  ses proportions étaient absolument parfaites. C'est la combinaison de ce sens 
  des proportions et d'une originalité libre de traditions ou de trop d'informations, 
  qui fait que ces jardins sont si uniques, si fascinants et si beaux. S'il lui 
  manquait (comme il le prétendait) le pouvoir de visualiser l'oeuvre finie, il 
  possédait, par contre, a un haut degré cette autre faculté du véritable artiste: 
  laisser une chose prendre forme dans ses mains; recevoir, au milieu d'un travail, 
  l'inspiration et suivre le cours grandissant de cette inspiration plutôt que 
  de s'enfermer dans l'idée préconçue.
  
  Nulle part ailleurs cela n'est plus manifeste que dans le développement des 
  terrains entourant le Mausolée de Baha'u'llah a Bahji. Le plan originel consistait 
  a faire du Tombeau Sacré et du Manoir le centre d'un grande roue. Après les 
  dernières transactions avec l'Etat d'Israël et l'acquisition de 145.000 mètres 
  carrés de terrain autour de la Tombe Sacrée, en 1952, il commença a niveler 
  une section de cette étendue représentant environ un quart de cercle, face au 
  Mausolée. Shoghi Effendi loua un bulldozer pour quelques jours et s'installa 
  a Bahji afin de diriger personnellement les travaux.
  
  Il y avait dans le périmètre des travaux, un bâtiment en ruine d'une seule pièce. 
  Shoghi Effendi, désireux d'avoir une vue d'ensemble du terrain, grimpa sur ces 
  ruines et trouva que de cette position élevée, il avait une vue totalement différente. 
  Il fit, alors, réparer les murs et le toit fit installer, a l'extérieur, des 
  escaliers en bois, et aménagea l'intérieur en bureau d'où il pouvait répondre 
  a son courrier. En observant et dirigeant de cet endroit les travaux, il avait 
  une vision tout a fait nouvelle de la propriété du Mausolée qui est située au 
  milieu d~ une plaine plate. Cela lui donna une autre idée. Une grande quantité 
  de terre étant enlevée au cours du nivellement, il ordonna qu'elle soit poussée 
  vers l'est formant un haut talus de remblai, permettant de découvrir toute la 
  région environnante comme un beau motif de tapis. Le succès de ce plan plut 
  tant au Gardien qu'il fit faire non pas une, mais deux terrasses formant une 
  petite colline.
  
  Voici un trait de l'attitude du Gardien envers la Cause de Dieu dont il était 
  le Protecteur: lorsque finalement ce nouveau domaine fut terminé, les gazons 
  et les fleurs plantés, les lampadaires illuminant les beaux sentiers rouges 
  érigés, il transféra immédiatement les réunions en dehors du nouveau périmètre, 
  installant ses invités le long d'un sentier semi-circulaire face au Mausolée 
  a environ 100 m. du lieu où ils se réunissaient antérieurement. J'ignorais ces 
  nouvelles dispositions, et ce soir la, en rentrant, après la réunion, a Haïfa, 
  j'interrogeais Shoghi Effendi. Il répondit qu'il avait transféré la réunion 
  plus loin "par respect pour le Mausolée". Depuis lors, toutes les réunions tenues 
  a Bahji, y compris la commémoration de l'ascension de Baha'u'llah qui a lieu 
  après minuit se tiennent a cet endroit.
  
  On éleva, après son décès et en accomplissement de son intention exprimée, une 
  troisième terrasse sur les deux précédentes mettant ainsi une touche finale 
  a son magnifique arrangement des jardins du Mausolée. Cette nouvelle conception 
  signifie que son plan originel de jardin en forme de roue était complètement 
  abandonné, car le système de sentiers convergeant vers un centre commun n'était 
  plus possible. Shoghi Effendi changeait souvent ses plans en découvrant sur 
  le terrain quelque chose de plus beau, de plus digne.
  
  Shoghi Effendi, comme le Maître avant lui, était un grand amoureux de la lumière. 
  Il détestait les intérieures sombres. Son amour de la lumière était tel que 
  je lui faisais des remontrances, craignant pour sa vie, de travailler avec une 
  puissante lampe de bureau, brillant pratiquement dans ses yeux. Sa chambre était 
  toujours très éclairée; les tombeaux étaient pleins de lumières, grandes et 
  petites. Un de ses premiers actes en tant que Gardien fut de placer un grand 
  éclairage vers la porte du Mausolée du Bab face a la grande avenue qui va du 
  pied de la montagne a la mer. Je me rappelle, en 1923, les gens de la ville 
  plaisantaient a ce sujet et demandaient pourquoi il n'y en avait que la. C'est 
  ce qui, sans doute, amena un chrétien fanatique nommé Dumit a ériger, quelques 
  années plus tard, une grande croix illuminée sur le toit de sa maison, non loin 
  du Tombeau du Bab. Shoghi Effendi loin de s'en irriter compara cette croix a 
  une fleur a la boutonnière du Mausolée!
  
  Graduellement les jardins de Bahji et de Haïfa furent éclairés par des lampadaires 
  en fer forgé a quatre branches. Rien qu'a Bahji il y en a quatre vingt dix-neuf. 
  Ils furent allumés, pour la première fois en 1953, a l'occasion de la fête du 
  Ridvan. Nous allions en voiture, a Bahji quand soudain le ciel s'éclaira comme 
  si nous approchions d'une petite ville! Le Gardien dit alors aux pèlerins persans 
  que c'était toujours de la lumière, mais c'était maintenant "lumière sur lumière" 
  (dans la version originale il y a un très joli jeu de mots faisant allusion 
  a Baha'u'llah en tant que lumière). Le Mausolée a Haïfa fut également illuminé, 
  la nuit, par une marée de lumière ainsi que les tombes de la Plus Sainte Feuille, 
  de la mère et du frère d'Abdu'l-Baha. Des projecteurs très puissants furent 
  commandés pour éclairer le bâtiment des Archives Internationales.
  
  Le Gardien était minutieusement exact dans tout ce qu'il faisait. Il ne laissait 
  rien au hasard et très peu au jugement de ses collaborateurs. Un exemple parmi 
  tant d'autres: il précisait avec minutie les jours de commémorations baha'ies 
  a Haïfa.
  
  Comme les dates, selon le calendrier lunaire, varient (elles dépendent dans 
  certains cas de l'heure du lever de la nouvelle lune), Shoghi Effendi vérifiait 
  avec précision ces dates ainsi que d'ailleurs l'instant exact de l'équinoxe 
  de printemps qui, s'il tombe avant une certaine heure, signifie que le Nouvel 
  An aura lieu le 20 mars au lieu du 21. Nous trouvons des télégrammes tels que 
  celui-ci envoyé a son cousin a Beyrouth, en 1923: "Vérifiez et télégraphiez 
  moment exact équinoxe vernal". Il estimait, sans doute, qu'on pouvait obtenir 
  une information plus scientifique a l'Université Américaine de Beyrouth que 
  localement. 
  
  En 1932, il câblait a son frère, alors étudiant dans la même université: "Précisez 
  population approximative Empire romain pendant deux premiers siècles après Christ 
  il n'était pas seulement précis et exact, mais il savait que, avec cette perspicacité 
  de grand écrivain, des faits cités au bon moment peuvent produire le même effet 
  que les pierres précieuses sur une pièce de joaillerie: elles mettent en valeur 
  l'oeuvre entière. Prenons par exemple une information prosaïque: Le détroit 
  de McMurdo est situé a 77° latitude sud sur la mer de Ross. Mais quand Shoghi 
  Effendi informait les croyants que les livres baha'is avaient été envoyés a 
  l'expédition antarctique américaine qui a sa base dans le détroit de McMurdo 
  et ajoutait la latitude exacte de la localité, cela devenait vivant, romantique 
  et enthousiasmant!
  
  En 1924, Shoghi Effendi s'efforça résolument de résoudre un des problèmes qui 
  se posaient a lui. Il avait déjà fait clairement comprendre a ses ennemis qu'il 
  n'était pas faible et ne manquait ni de direction ni de jugement, malgré l'état 
  dans lequel il était plongé après le décès du Maître. Il avait écrit dans une 
  de ses lettres: "Il est difficile de rompre avec les traditions et les coutumes 
  du passé; de familiariser le plus grand nombre des baha'is, si divers dans leurs 
  vues et conceptions, avec les changements nécessaires et les exigences de cette 
  nouvelle phase de l'histoire de la Cause." Et pourtant il le faisait avec succès. 
  Ce dont il avait besoin a Haïfa et de manière urgente, c'était un plus grand 
  nombre d'assistants. Son père connaissait très peu l'anglais; deux de ses oncles 
  travaillaient a Haïfa et le troisième vivait en Egypte. Le plus âgé de ses cousins 
  et son frère travaillaient ou étudiaient. Certains des membres de la famille 
  d'Abdu'l-Baha lui apportaient bien quelque aide, mais le travail de la Cause 
  augmentait constamment. 
  
  Shoghi Effendi avait déjà commencé a traduire en anglais de nombreux écrits 
  et a les envoyer en Occident. En janvier 1923, il écrivait aux baha'is de Londres: 
  "La présence a Haïfa d'un assistant compétent pour mon travail de traduction 
  actuel, serait la bienvenue et hautement désirable. Je soumets cette matière 
  aux membres du Conseil pour qu'ils étudient l'envoi, temporaire, d'un ami anglais 
  qui pourrait m'assister dans cet important travail."
  
  La personne qui semble avoir répondu a cet appel n'était autre que le bien aimé 
  de Shoghi Effendi, le Dr. Esslemont. Il vécut a Haïfa, aidant et servant Shoghi 
  Effendi jusqu'à sa mort précoce, le 22 novembre 1925. Depuis quelques temps, 
  il était souffrant. Déjà, en février 1922, après l'ascension du Maître, il télégraphiait 
  a Shoghi Effendi: "Convalescence satisfaisante - testament reçu - votre dévoué." 
  Un lien très étroit unissait les deux hommes. Après la mort soudaine d'Esslemont, 
  Shoghi Effendi télégraphia a ses parents: "Accablé de tristesse par décès chèrement 
  aimé Esslemont. Tous efforts dévoués inefficaces - Soyez assurés sympathie condoléances 
  sincères moi-même et baha'is monde entier - Lettre suit." Quatre jours plus 
  tard, il leur écrivait: "Il n'est pas exagéré de dire que je ne trouve pas de 
  mots pour exprimer de manière adéquate la perte personnelle que je ressens a 
  la mort de mon cher collaborateur et ami John Esslemont." 
  
  Esslemont n'était pas seulement une figure distinguée et internationale du monde 
  Baha'i, l'auteur d'un livre dont Shoghi Effendi a dit qu'il "inspirera les générations 
  pas encore nées" (Baha'u'llah et l'ère nouvelle) traduit dans plus de 100 langues), 
  mais il fut pour lui personnellement "le plus chaleureux des amis, un conseiller 
  de confiance, un collaborateur infatigable, un aimable compagnon" et leur étroite 
  relation en laquelle il avait "Placé les plus doux espoirs" finissait soudain. 
  Le Gardien pleura cet ami des jours où il était étudiant, mais comme d'habitude, 
  il était obligé par sa position et malgré sa douleur personnelle, de poursuivre 
  ses fonctions de Gardien. Il télégraphia immédiatement en Angleterre, Amérique, 
  Allemagne, Iran et Inde leur demandant d'envoyer un télégramme aux parents d'Esslemont 
  dont aucun n'était baha'i, et de tenir des réunions commémoratives spéciales. 
  Il l'éleva également, a titre posthume au rang de Main de la Cause.
  
  Cette arrivée du Dr. Esslemont a Haïfa, loin de résoudre les problèmes de Shoghi 
  Effendi ne servit qu'a ajouter une douleur nouvelle a un coeur déjà affligé. 
  En janvier 1926, Shoghi Effendi se plaint "de la charge oppressive des responsabilités 
  et des soucis qui est mon sort et que j'ai le privilège de porter" et parle 
  de "ma peine continuelle" "mes afflictions et mes perplexités" et "du sentier 
  épineux" de "mes pénibles obligations". Quatre mois plus tard, il écrivait a 
  Horace Holley: "J'ai souvent senti comme extrêmement désirable d'avoir un collaborateur 
  tel que vous travaillant a mes côtés, a Haïfa. Je ressens vivement la perte 
  du Dr. Esslemont et j'espère que les conditions, ici et ailleurs, me permettront 
  d'établir, sur une base plus systématique, le travail a Haïfa. J'attends le 
  moment favorable." C'était écrit en mai. En septembre il écrit a nouveau a Horace, 
  louant ses services et réitérant: "Comme je sens la nécessité d'un travailleur 
  aussi compétent, aussi consciencieux, aussi méthodique et aussi vigilant que 
  vous, a mes côtés a Haïfa! Vous ne pouvez et ne devez quitter votre poste actuellement. 
  Haïfa devra s'en accommoder quelque temps encore."
  
  C'est dans l'intervalle qui sépare ces deux lettres, quand Shoghi Effendi était 
  en Suisse, qu'il écrivit, le 30 juin 1926, a Hippolyte Dreyfus-Barney: "J'ai 
  besoin d'un secrétaire capable, sûr, travailleur, méthodique et expérimenté 
  qui combinerait le don de l'expression littéraire avec une position reconnue 
  dans le monde Baha'i Le Dr Esslemont était le plus convenable des compagnons, 
  libre, minutieux, dévoué, humble et capable. Je déplore sa perte... Un secrétaire 
  capable, méticuleux, sincèrement dévoué a son travail et deux conseillers principaux 
  qui représenteraient le Mouvement a des occasions spécifiques avec dignité et 
  dévouement, avec deux associés orientaux, mentalement éveillés et experts en 
  connaissance, me mettront je crois, sur pied et libéreront les forces qui mèneront 
  la Cause a sa libération et a son triomphe prédestinés... Je ne peux m'exprimer 
  de manière plus adéquate car ma mémoire a grandement souffert."
  
  Bien que ces lettres soient adressées a des personnes privées, il ne fait cependant 
  pas mystère de ses besoins. En octobre 1926, il écrivait a l'Amérique: "l'importance 
  et la complexité croissantes du travail qui doit être nécessairement effectué 
  en Terre Sainte, ont servi a fortifier le sentiment de nécessité absolue de 
  former une sorte de secrétariat international qui, avec la capacité de conseil 
  et d'exécution, devra m'aider et m'assister dans mes nombreux et exigeants travaux." 
  
  
  Il ajoute qu'il a " anxieusement considéré cette importante question " et a 
  demandé a trois représentants d'Amérique, d'Europe et d'Iran de venir en Terre 
  Sainte afin de les consulter sur les mesures nécessaires a prendre pour faire 
  face aux exigences de l'heure. Il affirme que cela non seulement l'aidera et 
  fortifiera les liens unissant le Centre International au monde, mais cela constituera 
  aussi l'étape préliminaire conduisant a l'établissement de "la première Maison 
  Internationale de Justice". Déjà au mois de mai, il écrivait a l'un de ceux-ci: 
  "je me demande si vous pouvez vous joindre, a l'automne prochain, a H... dans 
  mon travail, ici, a Haïfa. J'ai devant moi des problèmes des plus complexes 
  et des plus délicats et je sens la nécessité de collaborateurs compétents, sans, 
  peur et de confiance... Je dois m'arrêter car je peux difficilement assembler 
  mes idées."
  
  La collaboration envisagée dans cette lettre par Shoghi Effendi ne se matérialisa 
  jamais. Malgré tous ses efforts: la maladie, des événements dans la Cause, des 
  complications familiales et de travail de ceux qu'il avait choisis, tout conspira 
  pour le laisser aussi dépourvu d'aides compétents qu'il l'avait été depuis 1922, 
  quand il commença ses fonctions de Gardien. En février 1927, il écrivit a l'un 
  d'eux espère que vous pourrez me joindre dans mes pénibles labeurs aussitôt 
  que possible". En septembre il écrivait de nouveau a cet ami que la maladie 
  tenait a la maison: di je regarde le travail de cet hiver avec soucis quand 
  je réalise l'ampleur de mon travail et ma solitude face a ma prodigieuse tâche. 
  Comme je l'ai déjà observé, et les conférences ont l'habitude de le faire, ce 
  dont j'ai besoin c'est d'une collaboration étroite et continue de sorte que 
  les mesures nécessaires a la propagation et a la consolidation de la Cause soient 
  entreprises et exécutées. En attendant, je dois poursuivre ma ligne actuelle 
  de travail qui, je le sens, est secondaire en importance et pourrait facilement 
  être entreprise par un secrétariat... ". En octobre, il écrit une nouvelle fois, 
  a cet ami: "je suis seul actuellement et je fais du mieux que je peux.". Et 
  en janvier 1928: "Toutes les autres questions sont au point mort, et j'attends 
  l'attention et l'aide d'assistants compétents, dévoués et expérimentés."
  
  L'image que cela nous donne du Gardien brise le coeur. Il n'est plus un tout 
  jeune homme, ni aussi affligé de chagrin que lors des premières années de son 
  ministère. Il voit les besoins de la Cause; il voit les possibilités, s'il a 
  plus d'aide et s'il est ainsi plus libre de consacrer son temps a l'essentiel. 
  Mais c'est inutile.
  
  Les assistants dont il a besoin, ne peuvent ou simplement ne veulent pas tout 
  laisser pour venir s'installer a Haifa. Dans une lettre écrite par un pèlerin 
  indien, la situation paraît claire comme l'eau de roche, c'est sans aucun doute 
  Shoghi Effendi lui-même qui le lui a si clairement expliqué, car il avait l'habitude 
  de parler très librement avec les baha'is qui visitaient la Terre Sainte. Le 
  15 juin 1929, ce croyant écrivait: "Shoghi Effendi veut avoir un secrétariat 
  international a Haïfa avant que nous puissions avoir toute organisation internationale; 
  mais l'idée n'a pas été réalisée par manque d'un nombre suffisant de baha'is 
  capables et de confiance..."
  
  Ce sujet resta en suspens jusqu'à la formation du Conseil International baha'i, 
  en 1951. Shoghi Effendi vint aux prises avec le dur fait d'être seul dans tous 
  ses desseins et objectifs et ne compta, de plus en plus, que sur lui-même. Il 
  se mit a faire tout le travail et il le fit, utilisant comme secrétaire divers 
  membres de la famille du Maître, faisant face de plus en plus a un esprit de 
  désaffection de leur part, se résignant aux corvées sans fin des tâches insignifiantes, 
  ou grandes, acceptant son destin avec résignation, souvent avec désespoir, mais 
  toujours avec loyauté et courage. On peut vraiment dire de lui qu'il établit, 
  dans le monde, la foi de son divin arrière grand-père et qu'il démontra qu'il 
  appartenait a la même caste souveraine.
  
  C'était pendant ces années, alors que Shoghi Effendi essayait si durement de 
  réunir autour de lui un groupe de collaborateurs compétents, qu'une crise sans 
  égale éclata. L'océan de la Cause de Dieu, fouetté par les vents de la destinée 
  et de la chance qui soufflent sur lui a partir du monde extérieur, était maintenant 
  agité par une tempête dont les vagues battaient l'esprit, la force, les nerfs 
  et les ressources de Shoghi Effendi. La Maison sacrée occupée par Baha'u'llah, 
  a Baghdad, et décrétée par lui, selon les paroles de Shoghi Effendi, comme "objet 
  de vénération de pèlerinage baha'i sacré, sanctifié et chéri" avait déjà été 
  saisie, au temps d'Abdu'l-Baha par une série de manoeuvres scélérates, par les 
  Shi'ahs, mais les autorités britanniques l'avaient rendue a ses gardiens légitimes. 
  Quand la nouvelle du décès d'Abdu'l-Baha parvint aux ennemis invétérés de la 
  foi, ils renouvelèrent encore une fois leurs attaques et revendiquèrent la demeure. 
  En 1922, le gouvernement confisqua les dés de la Maison. Le Roi Feysal revenait 
  sur sa parole, malgré les assurances qu'il avait données de respecter les revendications 
  des baha'is sur un bâtiment qui avait été occupé par leurs représentants depuis 
  le départ de Baha'u'llah de Baghdad. 
  
  En 1923, les clés étaient très injustement rendues aux Shi'ahs. Depuis le décès 
  d'Abdu'l-Baha et jusqu'en novembre 1925, il y eut une lutte continuelle des 
  baha'is pour protéger la demeure la plus sacrée. Les Shi'ahs saisirent d'abord 
  le tribunal de leur propre religion, l'affaire vint ensuite rapidement devant 
  la cour de Paix, puis devant le tribunal local de Première Instance qui décida 
  en faveur des droits des baha'is. Cette décision alla devant la cour d'appel, 
  la Cour Suprême de l'Irak, qui rendit son verdict en faveur des Shi'ahs.
  
  Quand le Gardien fut informé de cette flagrante erreur judiciaire, il appela 
  immédiatement le monde baha'i a l'action: il envoya 19 câbles a différentes 
  personnes et institutions nationales comprenant les croyants de l'Iran, du Caucase, 
  du Turkistan, de l'Irak, de japon, de la Birmanie, de la Chine, de la Turquie, 
  de Moscou, de l'Inde, de l'Australie, de la Nouvelle Zélande, du Canada, des 
  Etats-Unis, de l'Allemagne, de l'Autriche, de la France, de la Grande Bretagne 
  et des îles du Pacifique. Les baha'is devaient protester, télégraphiquement 
  ou par lettre, contre cette décision, auprès du Haut-Commissaire britannique 
  en Irak. L'Iran et l'Amérique du Nord, où le nombre des croyants était plus 
  élevé étaient informés qu'en outre, chaque Assemblée locale devait protester 
  directement et l'Assemblée Nationale devait non seulement protester auprès du 
  Haut-Commissaire, mais aussi auprès du Roi Feysal d'Irak et des Autorités britanniques 
  a Londres. L'Assemblée Nationale de l'Inde et de la Birmanie devait protester 
  également auprès du Roi, mais pas a Londres. 
  
  Shoghi Effendi conseilla aux pays où les baha'is étaient peu nombreux comme 
  la France et la Chine d'envoyer les protestations sous la signature des individuels. 
  Toutes ces instructions révèlent de manière évidente le stratège en Shoghi Effendi. 
  Dans ses câbles au monde baha'i, il affirma que la situation était ~c périlleuse" 
  et "les conséquences de la plus haute gravité". Tous devaient exiger "une action 
  prompte pour sauvegarder les revendications spirituelles des baha'is sur ce 
  lieu chèrement aimé", "cette demeure sanctifiée", "la maison Sacrée de Baha'u'llah". 
  
  
  Il mit des phrases adéquates dans la bouche de ceux qu'il conseillait, disant 
  aux amis orientaux d'en appeler instamment, "avec ferveur et courtoisie", "dans 
  un langage ferme et attentif", "pour la considération de leurs revendications 
  spirituelles sur sa possession" et "au sens britannique de la justice"; alors 
  que les croyants occidentaux apprenaient "qu'une action prompte et efficace 
  exigeait d'urgence... de protester vigoureusement contre l'injustice manifeste 
  de la Cour, d'en appeler au sens britannique de l'équité pour un redressement, 
  d'affirmer les revendications spirituelles des baha'is... de déclarer leur résolution 
  indéfectible de faire le maximum pour défendre leurs droits légitimes et sacrés." 
  Avec sa minutie coutumière, Shoghi Effendi conseilla a l'Amérique que les messages 
  envoyés par les Assemblées locales "ne soient pas en des termes identiques".
  
  L'échange de presque cent télégrammes, sur une période de six mois, en plus 
  de la correspondance régulière avec les agents travaillant a la sauvegarde de 
  la demeure la plus sacrée, témoigne de la masse et de la substance des préoccupations 
  de Shoghi Effendi sur ce sujet. En apprenant la décision de la cour suprême, 
  il télégraphia au Haut-Commissaire a Baghdad: "Les baha'is du monde entier regardent 
  avec surprise et consternation le verdict inattendu de la cour concernant la 
  propriété de la maison sacrée de Baha'u'llah. Rappelant leur occupation de longue 
  datte continuelle de cette propriété, ils refusent de croire que Votre Excellence 
  approuvera jamais une injustice aussi manifeste. Ils s'engagent solennellement 
  a réclamer résolument la sauvegarde de leurs droits. Ils font appel au sens 
  élevé d'honneur et de justice qui, ils le croient fermement, anime votre administration. 
  Au nom de la famille de Sir 'Abdu'l-Baha 'Abbas et de toute la communauté baha'ie 
  - Shoghi Rabbani. "Le même jour il télégraphiait au Gardien de la Maison de 
  Baha'u'llah: "Ne soyez pas affligés. Cas entre mains de Dieu. Soyez rassurés."
  
  Durant les mois qui suivirent, de nombreux télégrammes de Shoghi Effendi contenaient 
  des phrases telles que: "Affaire Maison doit être vigoureusement poursuivie". 
  Il télégraphia a un certain nombre de non baha'is éminents, et coordonna constamment 
  les efforts de ses lieutenants dans les différentes parties du monde. A peine 
  un mois plus tard, il câbla a plusieurs Assemblées Nationales leur ordonnant 
  d'interroger, en "termes courtois", le Haut-Commissaire sur "les résultats de 
  l'enquête" que les Autorités britanniques avaient promis d'effectuer. C'était 
  une bataille perdue, car des éléments politiques et religieux d'Irak avaient 
  fait cause commune et refusaient de s'incliner devant les pressions y compris 
  celles du Gouvernement britannique.
  
  Shoghi Effendi, cependant, n'acceptait pas aussi facilement la défaite; il ne 
  se reposa pas tant que l'affaire de la maison sacrée ne vint, en novembre 1928, 
  devant la Commission Permanente des Mandats de la Ligue des Nations. La puissance 
  Mandataire soutint le droit des baha'is a la propriété de la maison. La commission 
  recommande au Conseil de la Ligue des Nations que le Gouvernement britannique 
  fasse des représentations auprès du Gouvernement irakien pour redresser ce déni 
  de justice envers les baha'is. De 1928 a 1933, les baha'is poursuivirent leurs 
  pressions, mais en vain: d'une part il leur manquait les moyens de faire respecter 
  la décision, d'autre part la puissance des Shi'ahs en Irak était telle qu'elle 
  obligea le gouvernement irakien a abandonner la question.
  
  Un bref résumé de ces événements ne contient pas -les attentes qui les accompagnaient, 
  jour après jour, les fluctuations entre l'espoir et le désespoir, l'alternance 
  entre les bonnes et les mauvaises nouvelles, qui usent le coeur et en annihilent 
  les forces. Le premier impact de la décision de la Cour Suprême était a peine 
  reçu que le Dr. Esslemont mourait soudainement. Survenant en un tel moment de 
  crise, la perte de son ami était un second coup de poignard pour le Gardien.
  
  Une semaine avant cet événement, Shoghi Effendi avait envoyé au monde baha'i, 
  des messages révélant un autre sujet d'inquiétude. Des rumeurs avaient couru 
  au sujet des restes de certains leaders éminents du Sionisme qui pourraient 
  être transférés en Terre Sainte pour être convenablement enterrés sur le Mont 
  Carmel. Shoghi Effendi avait appelé les croyants a contribuer pour l'achat immédiat 
  de terrains avoisinant et surplombant le Mausolée du Bab, afin de protéger ce 
  lieu Sacré. Leur réponse fut si écrasante qu'a peine un mois plus tard, il les 
  informait que leur soutien généreux et splendide avait rempli son but. Il n'empêche, 
  du moins pendant un temps, que cette préoccupation s'ajouta a ses autres soucis 
  et charges.
  
  Cette charge était si lourde qu'en février 1926, il écrivait a un croyant: "je 
  suis submergé par un océan d'activités, d'inquiétudes et de préoccupations. 
  Ma raison est extrêmement fatiguée et je sens que je deviens inefficace et lent 
  a cause de cette fatigue mentale.". Sa condition empira a tel point qu'il fut 
  obligé de partir et de prendre un bref repos. "La charge écrasante des soucis 
  et des responsabilités pressantes", écrivit-il vers la fin de mars, "exigèrent 
  mon départ a un moment... où j'étais impatient de recevoir les amis et collaborateurs 
  des différentes parties du monde." 
  
  Il devait être vraiment malade pour quitter Haïfa et ses invités. Mais quelque 
  fût sa condition en février et mars, elle était douce par rapport a celle où 
  il fut plongé le 11 avril par un télégramme de Shiraz disant crûment: "Douze 
  amis Jahrum martyrisés - agitation peut s'étendre ailleurs", a laquelle il répondit 
  le jour même: "Horrifié calamité soudaine; Suspendez activités. Faites appel 
  autorités centrales. Transmettez parenté sympathie la plus tendre." Ce jour 
  même, il câblait a Téhéran un message qui, en conjonction avec les événements 
  de Jahrum, est très, significatif pour l'esprit de foi: "je demande instamment 
  tous croyants Iran - Turkistan - Caucase - participer sincèrement aux élections 
  renouvellement Assemblées spirituelles. Aucun vrai baha'i ne peut s'abstenir. 
  Résultats doivent être promptement envoyés Terre Sainte par Assemblées centrales. 
  Communiquez immédiatement avec chaque centre. Procédez prudemment. Implore assistance 
  divine." 
  
  Le lendemain ayant reçu un télégramme plus détaillé de Shiraz annonçant que 
  l'instigateur principal de l'agitation avait été arrêté et donnant certaines 
  suggestions, Shoghi Effendi câbla a Téhéran: "Affligé martyre Jahrum. Transmettez 
  sa majesté de la part tous baha'is et moi-même notre profonde appréciation sa 
  rapide intervention et notre pressante sollicitation pour infliger châtiment 
  immédiat auteurs de crime si atroce. Demande toutes Assemblées persanes envoyer 
  message similaire." C'est un petit détail, mais très révélateur sur son état 
  dans le premier câble il écrit phonétiquement "Jahrum" mais plus tard il rectifie 
  en "Jahrum", selon la translitération. Le 24 avril, Shoghi Effendi écrit a un 
  de ses collaborateurs une lettre qui exprime ce que tout cela signifiait pour 
  lui. Après avoir accusé réception de ses nombreuses lettres, il explique que 
  le retard apporté a leur réponse était dû a "ma malheureuse maladie, équivalent 
  presque a une dépression, combinée a la réception des plus affligeantes nouvelles 
  de l'Iran concernant le martyre de douze de nos amis dans la ville de Jahrum, 
  au sud de Shiraz. 
  
  J'ai télégraphié pour plus de détails et je les communiquerai aux divers centres 
  baha'is aussitôt que j'aurai des informations détaillées. Des considérations 
  politiques et des rivalités personnelles semblent avoir joué une part non négligeable... 
  J'ai transmis un message au Shah par l'intermédiaire de l'Assemblée Spirituelle 
  Nationale de l'Iran... J'ai également demandé aux Assemblées étrangères de donner, 
  en un langage non offensant pleine publicité a ces rapports dans leurs journaux 
  respectifs.
  
  Mais j'ai pensé qu'il est prématuré pour elles d'entrer directement en contact 
  avec le Shah... Il est triste et ennuyeux de révéler que les baha'is oppressés, 
  comme ils le sont, par des circonstances si affligeantes et humiliantes, paraissent 
  actuellement, tout a fait impuissants et sans aide dans leurs efforts pour obtenir 
  l'assistance nécessaire des autorités reconnues. Il doit sûrement y avoir une 
  sagesse sous-jacente a cette apparente futilité de leurs efforts énergiques." 
  Une semaine plus tard, dans un câble a cette même personne, Shoghi Effendi dit 
  qu'il est "Profondément affligé".
  
  Le 21 mai, il écrit une nouvelle fois au même baha'i et lui ouvre son coeur: 
  "je suis moi-même trop fatigué pour faire un travail efficace actuellement. 
  Je suis devenu lent, impatient, inefficace... Je me prépare a partir si aucune 
  crise soudaine n'a lieu. J'en ai tellement eu ces derniers mois... " . Malgré 
  son état, Shoghi Effendi parvint a faire ce qui pouvait être fait: "je pense 
  qu'avec patience, tact, courage et ressource nous pouvons
  
  utiliser ce développement pour les intérêts ultérieurs et pour étendre l'influence 
  de la Cause." Il avait uni les forces du monde baha'i pour défendre la Communauté 
  opprimée de l'Irak, assuré une large publicité dans la presse étrangère aux 
  martyrs de l'Iran, dirigé constamment les Assemblées Nationales dans les actions 
  qu'elles devaient entreprendre a cet égard et en ce qui concerne la demeure 
  la plus sacrée.
  
  Tel est le récit d'une période de la vie du Gardien. Combien de flèches tombèrent 
  sur lui, en six mois a peine, a un moment où il luttait pour équilibrer, afin 
  de pouvoir la porter, la charge qui avait été placée sur ses épaules depuis 
  l'ascension du Maître!