La perle
inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani
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Chapitre 5. Le principe de la lumière et de l'ombre
Aucune image de la vie de Shoghi Effendi
ne peut être parfaite sans parler des briseurs du Covenant. Le principe de la
lumière et de l'ombre, l'une engendrant l'autre, l'une intensifiant l'autre
est perçu dans la nature et dans l'histoire.' Le soleil jette des ombres; a
la base de la lampe il y a l'ombre. Plus brillante est la lumière, plus sombre
est l'ombre. Le mal rappelle a l'homme le bien, la grandeur du bien souligne
le mal. Toute la vie du Gardien fut empoisonnée par l'ambition, la folie, la
jalousie et la haine de quelques individus qui se levèrent contre la Cause et
contre lui en tant que Chef de la Cause et qui pensèrent soit subvertir la foi
soit discréditer son Gardien et se poser comme les leaders d'une faction rivale
et gagner le corps des croyants a leurs propres interprétations des enseignements
et a la voie sur laquelle la Cause devait, croyaient-ils, s'engager. Personne
n'y réussit jamais. Mais des séries d'individus mécontents ne cessèrent jamais
d'essayer. Des meneurs égarèrent les dupes, des excommuniés tentèrent de pervertir
les fidèles.
A la saisie des clés du Mausolée de Baha'u'llah par ceux qui avaient brisé le
Covenant durant le ministère d'Abdu'l-Baha, succéda, dans les toutes premières
années du ministère de Shoghi Effendi, la défection de Faeg en Egypte, le fondateur
"d'une Société Scientifique", qui chercha a s'opposer a l'administration dont
Shoghi Effendi était le Chef. Shoghi Effendi, en particulier après avoir lu
la dénonciation des anciens briseurs du Covenant dans le Testament d'Abdu'l-Baha,
était préparé a leurs attaques. Mais l'agitation soudaine de tant de méchancetés
et d'oppositions venant d'un côté si inattendu, le laissa choqué et troublé.
Je n'oublierai jamais ce a quoi il ressemblait lorsqu'en 1923, il nous appela,
ma mère et moi, dans sa chambre a coucher: nous étions debout au pied de son
lit; il était couché, de toute évidence prostré et le coeur brisé, les yeux
très cernés;
il nous dit qu'il n'en pouvait plus et qu'il se mourait. Ce devait être terriblement
difficile pour un homme si jeune de se voir le centre de tant d'attaques et
de savoir qu'il devait exercer son droit et accomplir son devoir d'excommunication
afin de protéger la foi et de préserver son troupeau des loups qui rôdaient
autour de lui.
La violation du Covenant rendait toujours Shoghi Effendi malade. C'était comme
s'il était, de quelque manière mystérieuse, la Cause et toute attaque contre
le corps de celle-ci l'affectait lui qui en était le coeur. En 1930, les attaques
d'une croyante américaine réellement folle, prétendant que le Testament d'Abdu'l-Baha
était un faux, étaient a leur comble. Shoghi Effendi écrivait a Tudor Pole que:
"les opposants les plus puissants et les plus résolus de la foi en Orient qui
ont défié les bases mêmes du Message de Baha'u'llah... n'ont même pas fait allusion
a la possibilité que le Testament pourrait être un document falsifié. Ils ont
attaqué avec véhémence ses clauses mais ils n'ont jamais mis en doute son authenticité.
Je pense que plus grande sera la publicité donnée a cette affaire vitale, même
si elle doit impliquer un quelconque gouvernement, le mieux ce sera pour la
Cause..."
Il poursuivait: "Plutôt que de m'en alarmer, j'ai pitié des efforts faits par
Mme White... l'affaire qu'elle soulève est si grande, si lourde, impliquant
si bien l'honneur de la Cause, que, tôt ou tard, elle devra être vérifiée...
Je suis convaincu que l'agitation qu'elle pourrait créer ne sera pas au détriment
de la foi mais a son avantage." Il affirmait également que "Le Testament soit
authentique est hors de la plus légère ombre d'un doute". Les efforts prolongés
et continuels de Mme White qui s'exerçaient sur un champ assez vaste pour comprendre
le Ministre des Postes et Télégraphes des Etats-Unis, a qui elle demanda d'interdire
a l'Assemblée Nationale d'Amérique d'utiliser la poste des Etats-Unis "pour
propager le mensonge selon lequel Shoghi Effendi est le successeur d'Abdu'l-Baha
et le Gardien de la Cause baha'ie", et les autorités civiles de Palestine, a
qui elle demanda de prendre des actions légales afin de déclarer que le Testament
était faux (demande qui fut sèchement rejetée); ces efforts créèrent une autre
période d'inquiétude pour Shoghi Effendi et nécessitèrent une plus grande vigilance
et de plus grands efforts de sa part alors qu'il était déjà surchargé et immergé
dans un travail sans fin".
Tout ce que Mme White put jamais faire, ce fut de soulever un nuage temporaire
et insignifiant de poussières. Au moment où l'agitation était a son point culminant,
l'Assemblée Nationale britannique écrivait aux communautés baha'ies allemandes,
par l'intermédiaire de leur Assemblée Nationale, leur assurant que les baha'is
britanniques suivaient loyalement l'administration du Gardien. Cependant, Harrigel,
un des fondateurs de la communauté allemande, se retournait contre la foi telle
qu'elle était administrée par le Gardien et la quittait.
Une suite intéressante a toute cette affaire ce fut le télégramme qu'en 1941
le mari de Mme White envoya a Shoghi Effendi affirmant qu'il était "profondément
attristé, repentant et demandant pardon..." Il semblait qu'il n'avait jamais
approuvé sa femme. Shoghi Effendi lui répondit, ouvrant la porte de son retour.
Mais, même a cette date tardive, il lui fut impossible de se dégager de sa redoutable
et non repentante femme. Le changement de son coeur ne pouvait amener un changement
de statut.
Déjà Avarih, le fameux enseignant iranien, que Shoghi Effendi envoya en Europe,
après l'ascension du Maître, pour fortifier la foi des croyants et que le Gardien
fut obligé d'appeler plus tard "un apostat éhonté", avait quitté la Cause. Il
avait commencé a écrire des livres (et il continua pendant des années) contre
la foi, attaquant en des termes les plus grossiers, non seulement le Gardien
mais aussi, vers la fin, le Maître et Baha'u'llah lui-même. Il est significatif
que sa femme contrairement a M. White, le quitta complètement et resta une baha'ie
dévouée et très louée pour son courageux acte de foi.
Ahmad Sohrab, qui avait été étroitement lié au Maître, qui avait fait fonction
de secrétaire et avait eu le privilège de l'accompagner pendant son voyage aux
Etats-Unis et au Canada; se gonfla de vanité et d'ambition et fonda la "New
History Society". Il s'aliéna progressivement les baha'is par des actes dont
le moindre n'était pas son habitude de citer, dans des conférences publiques,
les paroles de Baha'u'llah et d'Abdu'l-Baha comme si elles étaient les siennes.
On peut facilement écrire un livre sur la défection de cet homme seul: citer
les innombrables lettres et câbles du Gardien s'efforçant d'abord de le sauver
de ses propres actes et ensuite de le mettre a nu et de protéger les baha'is
américains de ses distorsions de la vérité, de ses mensonges flagrants, et de
ses efforts pour miner l'Ordre administratif établi par le Maître dans son Testament.
Il est de nouveau intéressant de noter que sa femme et sa fille baha'ies coupèrent
complètement toutes relations avec lui. En fait, elles étaient si humiliées
et écoeurées par sa conduite qu'elles changèrent de nom.
Au sujet des crises qui surgirent au cours des ans, Shoghi Effendi écrivit:
"Nous devons considérer comme une bénédiction cachée toute tempête de méchancetés
avec laquelle ceux qui apostasient leur foi ou prétendent être ses interprètes
fidèles, l'assaillent de temps en temps. Au lieu de miner la foi, de tels assauts,
qu'ils viennent de l'extérieur ou de l'intérieur, renforcent ses fondations
et excitent l'intensité de sa flamme. Destinés a voiler son rayonnement, ils
proclament au monde entier le caractère exalté de ses préceptes, la perfection
de son unité, le caractère unique de sa position et le pouvoir de pénétration
de son influence".
Mais le récit de telles défections ne donne pas la véritable image de ce que
signifiait la violation du Covenant pendant le ministère de Shoghi Effendi.
Pour saisir cela, il faut comprendre la vieille histoire de Cain et d'Abel,
l'histoire des jalousies familiales qui, comme un fil sombre dans le tissu de
l'histoire, court tout au long des époques et peut être suivi a travers tous
les événements. Depuis l'opposition du plus jeune frère de Baha'u'llah, Mirza
Yahya, le poison de la violation du Covenant, qui est l'opposition au Centre
du Covenant, pénétra a jamais dans la foi et y resta. Il est difficile a ceux
qui n'ont ni expérimenté cette maladie, ni donné quelque considération a ce
sujet, de saisir la réalité du pouvoir destructeur qu'elle possède. Tous les
membres de la famille de Baha'u'llah grandirent a l'ombre de la violation du
Covenant. Les orages, les séparations, les réconciliations et la rupture finales
des liens qui sont votre sort lorsqu'un parent proche, distingué et souvent
cher se meurt spirituellement d'une maladie spirituelle, sont inconcevables
a celui qui ne les a pas vécus. La faiblesse du coeur humain, qui s'attache
souvent a un objet sans valeur, la faiblesse de la raison humaine, encline a
la vanité et a la confiance en ses propres opinions, amènent les gens a un fouillis
d'émotions qui aveuglent leur jugement et les égarent. En Orient, où le sens
de la famille et du clan est encore aujourd'hui fortement enraciné, ses membres
sont plus fortement attachés les uns aux autres qu'en Occident.
Peu importe ce qu'avait fait Yahya, il y avait dans la famille un sentiment
persistant qu'après tout, il devait avoir quelque motif, et que toutes les raisons
dans une affaire familiale, n'étaient pas nécessairement du côté de Baha'u'llah.
On peut rapidement voir que si la moindre trace d'une telle attitude existait
dans la propre famille de Baha'u'llah, les enfants ne grandiraient pas de façon
a voir la violation du Covenant dans sa vraie dimension. La fêlure serait la;
le plus dangereux des doutes humains: après tout le Parfait pouvait ne pas être
parfait en toute circonstance, mais quelque fois juste un peu enclin a l'erreur
en jugeant les autres. Quand ce doute nous pénètre, les germes sont présents
dans notre système, peut-être pour rester a jamais endormis, peut-être pour
évoluer vers la maladie. Il m'a toujours semblé que la division qui eut lieu
dans la famille après l'ascension de Baha'u'llah et la désaffection successive,
deux générations plus tard, après la mort Abdu'l-Baha, de toute la famille envers
Shoghi Effendi, avaient commencé par une attitude d'esprit qui prit naissance
a Baghdad avant même que Baha'u'llah ait déclaré sa mission. La racine était
la, on récolta quatre-vingts ans plus tard le fruit empoisonné.
La foi et l'obéissance sont les plus importants éléments de notre relation avec
Dieu, avec sa Manifestation, avec le Chef de la foi. On doit croire, même si
on ne voit pas, on doit obéir, même si on ne croit pas. La violation du Covenant
a l'intérieur de la famille de Baha'u'llah était comme une vigne vierge, elle
entortilla l'arbre et l'étrangla: partout où ses vrilles arrivaient, elles détruisaient
et arrachaient ce qu'elles entouraient. C'est pourquoi de nombreux parents éloignés,
des secrétaires, des membres de la communauté entourant le Centre de la Cause,
furent impliqués dans les désaffections périodiques des divers membres de la
famille et chaque fois que quelqu'un de ces membres malades était coupé, quelques
sympathisants aveugles s'en allaient aussi.
Cela paraît simple sur le papier. Mais quand, année après année, une maison
est déchirée par des émotions brisant le coeur, secouée par des scènes qui laissent
notre cerveau paralysé, nos nerfs éprouvés et nos sentiments en tumulte, ce
n'est plus simple, mais plutôt l'enfer. Avant que le patient ne vienne sur la
table de l'opération pour être amputé de la partie blessée, il y a un long processus
d'attente, d'efforts thérapeutiques pour guérir la maladie et d'espoir de rémission.
Il en est de même pour la violation du Covenant: l'infection est détectée, suivent
alors, avertissements, conseils, remontrances, le malade semble mieux, puis
viole a nouveau le Covenant, pire que jamais, une situation convulsive se crée,
suivent ensuite repentir et pardon, mais il y a encore rechute, pire qu'avant;
et cela avec des variations infinies. C'est ce qui se passa au temps de Baha'u'llah,
d'Abdu'l-Baha et de Shoghi Effendi.
Aujourd'hui tout ceci appartient a l'histoire et il est inutile de récapituler
cas après cas. Mais je crois qu'une chose doit être clarifiée. Nous, êtres humains
ordinaires, réagissons d'une certaine façon, tandis que ces êtres humains extraordinaires
réagissent de manière tout a fait différente. Dans ces matières, et malgré la
différence de leur rang, ils sont entièrement différents de nous. Les premières
années de ma vie commune avec Shoghi Effendi, je me demandais pourquoi ces événements
l'abattaient-il tant, pourquoi réagissait-il si violemment, pourquoi était-il
prostré par les preuves de la violation du Covenant? J'ai compris graduellement
que ces êtres, si différents de nous, ont une sorte de balance intérieure; ils
enregistrent automatiquement l'état spirituel des autres, comme le plateau d'une
balance qui descend instantanément quand vous mettez quelque chose dedans, par
le déséquilibre que vous créez. Nous, les baha'is, nous ressemblons aux poissons
dans la mer de la Cause, mais ces êtres sont la mer elle-même. Tout élément
étranger a la met de la Cause, pour ainsi dire, avec laquelle ils se sont complètement
identifiés de par leur nature même, produit une réaction automatique de leur
part. La mer rejette ses morts.
Shoghi Effendi, souvent obligé d'annoncer publiquement non seulement la chute
spirituelle de baha'is très connus, mais aussi celle des membres de la propre
famille d'Abdu'l-Baha, parler d'eux comme "ceux dont les actes proclament la
coupure de l'Arbre Sacré et leur forfaiture de leurs droits de naissance sacrés".
Son coeur, disait-il était oppressé par "les défections répétées" de la "parenté
indigne" du Maître bien-aimé. Des défections qui, dit-il clairement, étaient
un processus de purification par lequel, une sagesse inscrutable a choisi de
purger, de temps en temps, le corps de ses adeptes choisis, de la souillure
de l'indésirable et de l'indigne..." Shoghi Effendi soulignait que ceux qui
sont hostiles a la foi prennent toujours ce processus de purification pour le
symptôme d'un schisme naissant qu'ils anticipent avec espoir, et qui amènera
sa chute; Mais cela ne s'est jamais réalisé.
Même si la violation du Covenant est un phénomène inhérent a la religion, cela
ne veut pas dire qu'elle ne nuit pas a la Cause. Au contraire, comme Shoghi
Effendi le câbla aux baha'is après la mort d'un parent: "Le temps seul révélera
étendue ravages produits ce virus violation injecté nourri plus de deux décades
famille d'Abdu'l-Baha". Cela ne veut pas dire non plus, qu'une grande partie
de cette violation ne pouvait pas être évitée par une loyauté et un effort individuels
plus grand. Et par-dessus tout, cela ne veut pas dire qu'elle n'a pas produit
un effet dévastateur sur le Centre du Covenant lui-même. Toute la vie de Shoghi
Effendi fut assombrie par les attaques personnelles vicieuses dont il fut l'objet.
Je suis personnellement convaincue que la tension insurmontable de trente-six
ans de luttes interminables contre une série de briseurs du Covenant fut l'agent
principal qui mina physiquement le coeur du Gardien pour qu'il s'arrêtât en
1957. Il suffit d'ajouter que c'est la mort de son beau-frère qui amena l'envoi
du télégramme ci-dessus pour comprendre d'un seul coup d'oeil ce que Shoghi
Effendi subit de manière répétée durant son ministère.
Une fois, apprenant qu'un croyant qui lui était très proche, avait été mal traité
par un proche parent, il lui télégraphia: "Coeur débordant sympathie vos souffrances
si courageusement endurées. Aurais instantanément communiqué si j'avais su.
Tous deux vous et moi avons goûté coupe désillusion traitement parent proches.
Me sens près vous -comprends vos peines me rappelle vos superbes continuels
impérissables services. Prie avec ferveur Mausolées Sacrés - Affection plus
profonde".
Ces lignes de mon journal; écrites entre 1940 et 1945 sous l'influence de ce
que j'ai vu, Shoghi Effendi traversant ces longues et fracassantes crises qui
le privèrent de sa famille, peuvent peut-être mieux transmettre l'effet de la
violation du Covenant:
"Il continue, mais c'est comme un homme dans le blizzard qui, quelquefois, ne
peut même pas ouvrir les yeux a cause de la neige aveuglante"; "Il est comme
un homme dont la peau est brûlée... c'est un miracle qu'il puisse continuer";
"je suis certaine que la marée va changer. Mais jamais, oh! jamais, pour retrouver
Shoghi Effendi comme avant! je pense que rien au monde ne pourra effacer ce
qu'il a subi ces dernières années! Le temps est le grand guérisseur mais il
ne peut enlever les cicatrices"; "Il semble que tout est irrémédiablement cassé".
Il n'y a pas de doute que ces crises répétées interférèrent grandement dans
son travail pour la Cause. Déjà en 1926, il écrivait a un croyant tiède qui
devint le plus méprisables des briseurs du Covenant: "Vous savez que je ne suis
pas et n'ai jamais été une personne sentimentale. J'ai soif de travail: et mes
pensées sont occupées par l'accomplissement des tâches importantes, si les circonstances
le permettent et si les attaques qu'elles viennent de l'intérieur ou de l'extérieur
me laissent libres!!!
La patience de Shoghi Effendi, face a ces terribles situations survenues dans
sa propre famille, est illustrée par le fait qu'il garda, une fois, pendant
huit mois le télégramme excommuniant son frère, pendant qu'il essayait de remédier
vainement a la situation et d'éviter la nécessité d'envoyer un message qui lui
brisait le coeur.
La violation du Covenant est si désastreuse pour la Cause que l'un des derniers
actes de Shoghi Effendi fut d'informer les Mains de la Cause pour qu'elles désignent
un second groupe de membres de corps auxiliaires afin de protéger la foi.