Le prisonnier de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop


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Chapitre 11. LE CANCER, MALADIE DU SIÈCLE

Comme elle sont affreuses ces HLM. et laides ces grande surfaces qui, telle la multiplication désordonnée des cellule malignes du cancer, prolifèrent et détruisent villes et paysage!

Le cancer, division cellulaire anarchique où aucune régularité de rapport n'existe plus, est la maladie du siècle. Il en est une forme encore plus hideuse qui ronge le coeur des homme, appelé racisme et nationalisme par Shoghi Effendi: "Sur le autels de ce fausses divinités (La troisième citée est le communisme: voir chapitre suivant), les gouvernements et le peuple, qu'ils soient démocratiques ou totalitaire, en paix ou en guerre, de l'Orient ou de l'Occident, chrétiens ou musulmans, portent leurs adorations de manière diverses et à des degrés différents. Leurs grands prêtres sont le politiciens et les habiles de ce monde, les soi-disant sages du siècle; leur sacrifice: la chair et le sang des multitudes égorgées; leurs incantations: des doctrines périmées et des formules insidieuses et irrévérencieuses; leur encens: la fumée de l'angoisse qui monte du coeur déchiré des affligés, de mutilés, des sans-logis".

Arrière-petit-fils de Baha'u'llah, quatrième et dernier personnage-clé de l'histoire baha'ie, désigné comme "gardien" de la Cause nouvelle, il réussit à jeter les bases du nouvel ordre administratif mondial contenu dans les écrits avant de mourir à Londres en novembre 1957

Un jour, on frappe à ma porte L'ouvrant, j'aperçus à trois pas, humblement courbe, un Arabe qui me dit:

- Missieu, FAUT PAS AVOIR PEUR, je fais pas l'mal, je viens seulement aiguiser les couteaux pour gagner la croûte.

La honte de vivre dans un pays qui finit par courber et humilier l'étranger m'envahit. En Algérie, j'ai été bien reçu, surpris même que la rancoeur soit si faible. Et voilà qu'un de mes frères de là-bas s'humiliait, s'excusait de vivre!

Pour avoir développé la technologie, les Européens ont cru trop vite à leur supériorité cette technologie qui leur a servi à dévaster le reste du monde. Ils ont négligé l'art de vivre, et c'est dans les pays du Tiers-Monde où j'ai compris ce que pouvaient être les relations humaines. En apercevant l'étrange silhouette que je forme, pédalant des talons sur un vélo de femme à selle trop basse, l'un de mes proches m'accueille invariablement par un sonore:

- Tiens, v'là le raton!

Je n'ai jamais apprécie à l'étranger de me faire traiter de grenouille ou autres superlatifs dédaigneux. En me traitant d'Arabe avec une teinte de mépris, ce proche, involontairement, inculque à ses enfants que tout ce qui est arabe n'est pas bon. Le pays des droits de l'homme (blanc, précisons) se targue de ne pas être raciste:

- Même que moi, je serre la main à Mohammed et à Mamadou se vante-t-on. J'suis pas raciste!

Mais comment serre-t-on la main?

Avec Mohammed l'Algérien, on fait bien attention en se retournant de ne pas prendre un coup de couteau dans le dos, sait-on jamais. Et quelle faveur de serrer la main à Mamadou le Malien, "lui qui, descend de son arbre" (Certaines régions du Mali n'ont pas d'arbres!).

"Tu vois, je sais que ta peau noire ne déteindra jamais". Cette crainte, cette condescendance plus ou moins consciente constituent des formes terribles et insidieuses de racisme. Car on ignore que ces Africains, très sensibles, perçoivent nos sentiments les plus secrets. Ils répondent avec le sourire, mais leur coeur blessé reste ferme. Un magazine bien connu titre: "Fusillade à Orly, quatre Palestiniens ABATTUS, un CRS TUÉ".

On tue 1es gens, on abat les chiens.

"J'suis pas raciste!"

Une chose évidente n'a pas besoin d'être ressassée. Demandez à ceux qui le subissent si le racisme n'existe pas. Il est vrai que l'homme de la majorité blesse souvent sans s'en rendre compte.

Je ne peux oublier ce Parisien, dégoûté de la civilisation de "consommation" (bienheureux ceux qui peuvent consommer), s'étonner profondément à son arrivée en Turquie d'y constater que les gens sont sympathiques.

Croyait-il tomber sur les hordes de Gengis Khan? La voisine, une dame très bien qui ne fait pas d'histoire dans le quartier, s'est exclamée à mon retour!

- Comment, tu as été voir tous ces sauvages.

Le racisme n'est pas l'apanage du Blanc. C'est malheureusement un réflexe général de considérer tout ce qui n'est pas familier comme sauvage ou non civilisé. Dans les plantations de Virginie, les esclaves "importés" d'Afrique trouvaient écoeurante la peau fade des Blancs, si ressemblante à la couenne du porcelet ou au ventre du crapaud.

Un missionnaire anglais bien intentionné expliquait en Ethiopie que les Blancs ne sont pas supérieurs aux Noirs. Un grand villageois naïf, tombant des nues, lui fit cette remarque:

- Mais, mister, qui a dit que les Blancs sont supérieurs aux Noirs, anyway?

Je dois remercier les Chinois pour la leçon d'humilité qu'ils m'ont donnée. Contrairement aux autres habitants de la planète qui reçoivent l'Européen sur un piédestal psychologique, ils sont les seuls à m'avoir toisé de haut. Regard salutaire qui m'a brusquement fait prendre conscience du mal que l'on peut faire avec sa "supériorité". Aujourd'hui, aimer son prochain ne suffit plus, il faut aussi aimer son "lointain" Car le "lointain" est devenu un proche.

Les moyens de communication ont rendu le contact, l'échange irréversibles. Les racistes nagent à contre-courant: ils rencontrent forcément de plus en plus d'étrangers. Chaque nouvelle vague d'immigrants aux Etats-Unis était jugée comme la peste par la précédente. Pourquoi ce phénomène de rejet? Pourquoi s'irriter au lieu de s'adapter tout de suite?

Nous vous avons tous crées de la même poussière pour que nul ne s'élève au-dessus des autres, explique Baha'u'llah dans son merveilleux recueil Les Paroles cachées. Le racisme est une conséquence de l'ignorance. L'éminent anthropologue brésilien Josué de Castro, dans son ouvrage Géopolitique de la Faim, rappelle que, "à la lumière des connaissances anthropologiques modernes, il n'existe pas de supériorité ni d'infériorité raciale ; ce qui existe, ce sont des différenciations biologiques conditionnées par les différences de milieu".

Ces différenciations sont vitales à l'humanité. A quatre ans, la plupart des enfants sont conscients de leur identité raciale et de celle des autres. Dès dix ans, l'idée de la race est tout à fait fixée.

Il est urgent que le contenu des livres pour enfants, les textes scolaires spécialement, soient améliorés pour extirper tous préjugés raciaux déformant plus ou moins ouvertement la vérité historique, anthropologique et géographique. Les clichés et illustrations racistes décrivant les "autres" (Voir Le Tour de France par deux enfants. de Bruno, bible des écoles d'avant-guerre définissant la race blanche comme "la plus parfaite des races humaines" (p 187 de l'édition 1977, Eugène Bellin).) (notamment les populations du Tiers-Monde), les termes insidieux expliquant leurs traditions et coutumes, ne sont souvent que des caricatures. Des images redoutables pouvant bloquer la perception de l'enfant et lui interdire de voir l'accomplissement des autres peuples, la richesse de leurs cultures.

Les médias portent aussi une lourde responsabilité. La télévision annonce régulièrement accidents et catastrophes, soulignant que, par bonheur, il n'y a pas de Français parmi les victimes.

Aux Etats-Unis, un feuilleton populaire ridiculise les Allemands, etc.

L'Inde et le Pakistan sont sur le pied de guerre depuis la partition de 1947. En lisant leurs journaux respectifs lors de mon passage, j'avais l'impression qu'ils ne commentaient pas du tout les mêmes événements! La presse s'employait à développer l'antagonisme national de ces peuplades pourtant similaires.

Lors de la révolte de Budapest, en 1956, le Kremlin dut retirer les soldats russes de la place, car ces derniers se sentaient peu capables de tirer sur des gens avec lesquels, au fil des ans, ils avaient fini par tisser des liens d'amitié. Il fit venir des troupes "fraîches", anonymes, pour mieux massacrer!

"L'autre est mon moi inconnu rendu visible" (Gibran). Il est indispensable d'apprendre à connaître, à apprécier l'étranger. Il faut faciliter les contacts entre les peuples pour éliminer les idées arrêtées de nos clichés malsains. Le tourisme en plein essor pourrait jouer ce rôle.

Malheureusement, il constitue une nouvelle forme de colonisation.

Le premier pas vers le mondialisme ne consiste pas à s'inscrire comme citoyen du monde, mais à se débarrasser de ses préjugés.

N'a-t-on pas encore assez vu où mène la "supériorité" d'une race sur l'autre ?

Les lois de l'Afrique du Sud sont un crime contre nature. Le plus déroutant est de voir l'église officielle justifier cette théorie par un verset de la Bible: "Maudit soit Canaan, qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères" (Genèse, 9 :25).

Confondu de honte, j'ai parcouru ce pays, par ailleurs magnifique, cherchant à comprendre par quel détour d'esprit les Zoulous, Xhosas et Bantous sont devenus les descendants des fils de Noé.

Plus proche de nous, on a encore en mémoire ce qu'a engendré la supériorité de la "race aryenne". Le plus terrible est que Hitler n'a fait qu'appliquer les recommandations de Luther, cet antisémite enragé qui trouvait le juif "pire qu'une truie".

La haine et le fanatisme religieux sont un feu qui dévore le monde, dont personne ne peut éteindre la violence. La main du Pouvoir divin, seule, peut délivrer l'humanité de cette désolante affliction.

Voilà pourquoi, le message spirituel a besoin d'être renouvelé.

Ce message délivre pour vivifier l'esprit est comme l'eau du puits servant à revigorer le corps. Au bout d'un certain temps, à force d'y puiser, les hommes finissent par la souiller. Elle a besoin d'être purifiée, car les hommes ne peuvent se passer d'eau.

En 1789 naquit une "religion" qui allait avoir des suites funestes pour l'humanité, la religion de la patrie. La France fut la première "nation" d'Europe. Elle fut aussi le terrain des deux guerres les plus tragiques de l'histoire. Il est vrai que l'homme n'a pas facilement abandonne sa tribu pour le clan, ni le clan pour la province, ni la province pour la nation. Il n'est pas plus enclin maintenant à admettre que sa sauvegarde se trouve dans l'unité organique de la planète entière. Le principal obstacle au mondialisme est la souveraineté nationale illimitée. Il faut cesser d'en faire un absolu religieux.

Tout homme, du fait de sa naissance, est copropriétaire de toutes les richesses de la terre ainsi que de toutes les connaissances et réalisations techniques. Les Occidentaux qui, depuis les Conquistadores, se comportent comme si la planète étaient leur propriété privée, vont être bientôt obliges d'abandonner leur long rêve impérial.

Un patriotisme sain est indispensable. Chacun a l'amour du terroir, mais notre siècle exige pour survivre de passer de la compétition abusive, mortelle et irraisonnée à la concertation et à la coopération entre ces "terroirs".

Vivekananda, en préconisant l'union de l'Orient et de l'Occident, reprenait, sans le savoir, ce que proposait Baha'u'llah avant lui: Autrefois comme de nos jours, le Soleil spirituel de vérité a toujours brillé à l'horizon de l'Orient. De nos jours, l'Orient doit progresser sur le plan matériel tandis que l'Occident manque d'idéal spirituel. L'Ouest devrait se tourner vers l'Est pour en recevoir la lumière et, en échange, lui donner ses connaissances scientifiques. Cet échange doit avoir lieu. L'Est et l'Ouest doivent s'unir pour se donner mutuellement ce qui leur manque. De cette union naîtra une vraie civilisation dans laquelle le spirituel trouvera son expression et sa réalisation sur le plan matériel. Les sceptiques citent souvent le fameux vers de Kipling: "Oh l'Est est l'Est et l'Ouest est l'Ouest. Et jamais les jumeaux ne se rencontreront".

On oublie le suivant, intéressant dans le contexte actuel: "Avant que ciel et terre n'arrivent, Au jour du Grand Jugement de Dieu".

C'est-à-dire, le temps de la fin biblique dans lequel nous sommes entres, qui permettra cette rencontre. A partir des années soixante, une prise de conscience s'est faite chez les jeunes qui a transforme le fosse habituel des générations en un précipice. Aux Etats-Unis, ce pays à la pointe de la désintégration générale, père et fils ne parlent plus la même langue. D'où ce dialogue de sourds que l'anthropologue Margaret Mead décrit ainsi: "Les jeunes partagent en tous lieux un type d'expérience qu'aucun de leurs aînés n'a connu et ne connaîtra. Ils forment sur toute la surface du globe une communauté unie par un savoir commun (mondovision) et un danger commun (la bombe). Ils ne peuvent concilier les efforts que nous faisons pour sauver nos propres enfants avec le fait que nous sommes prêts à détruire au napalm les enfants des autres. Les distinctions odieuses fondées sur les races et les classes constituent des anachronismes."

En 1963, dans sa bulle Pacem in Terris, Jean XXIII proclamait: "Les hommes devront se soumettre à un ordre juridique international". L'année même où les baha'is élisaient selon les prescriptions de Baha'u'llah, leur première Maison Universelle de Justice, l'instance suprême prévue pour présider à la destinée de la planète.

Il faut admettre que même si tous les hommes de la terre étaient développés spirituellement et s'étaient affranchis de tout racisme ou nationalisme, cela ne suffirait pas pour promouvoir la paix.

Car la paix parmi les nations n'est pas le fruit de l'amour du prochain, mais de la justice. La paix est une question d'ordre et non pas de compassion individuelle.

Les appels moraux aux individus ne suffisent pas, la gentillesse personnelle peut souvent être tournée en alibi pour la cruauté de groupe.

Comment un homme peut-il rester humain dans un système inhumain? Jean XXIII avait raison, on ne peut continuer sans un ordre juridique international.

Ordre que Baha'u'llah explicite dans son plan pour l'humanité. Chaque ville ou village pour administrer ses affaires doit élire chaque année une collégialité d'hommes et de femmes, d'au moins neuf personnes, prenant ses décisions à l'unanimité ou à la majorité. Ces assemblées locales, à leur tour, doivent élire chaque année une assemblée nationale chargée de les coordonner et de servir d'intermédiaire à l'assemblée mondiale de neuf membres minimum, élue tous les cinq ans, la Maison Universelle de Justice citée plus haut. Ce plan gardant ce qu'il y a de viable dans la démocratie, l'autocratie, la royauté, la théocratie, et en rejetant les côtés nocifs, n'est nullement une synthèse des systèmes précédents mais un plan inspiré "divinement". Autrement dit, il n'est pas le fruit de la pensée humaine. Ce nouvel ordre administratif mondial comporte de nombreux points novateurs. En voici quelques-uns:

- 1) Gouvernement par des collégialités
- 2) Elections sans propagande ni liste électorale
- 3) Pas de "chef"
- 4) Autonomie locale garantie
- 5) Temporel et spirituel liés
- 6) Esprit de consultation
- 7) Impôts locaux uniquement
- 8) Mises en valeur des minorités

Un des signes de la maturité du monde consiste en ce que nul n'acceptera de porter le poids de la royauté. Ce phénomène s'est déjà produit à Rome et en Chine dans le passé. Vers la fin du Bas-Empire romain, les légions devaient menacer leurs généraux pour les nommer empereurs. Dans la Chine ancienne, les gens de Yue avaient pris l'habitude d'assassiner leurs souverains, si bien qu'ils finirent pas ne plus en trouver. Ceux-ci s'enfuyaient en apprenant leur nomination. Aujourd'hui, le pouvoir individuel, étant donné la complexité croissante de la société, devient de plus en plus écrasant et impossible. Et on ne connaît que trop les dangers du pouvoir personnel. Les élections doivent se faire sans propagande ni liste électorale! Chaque être majeur est éligible (s'il est sain d'esprit, naturellement). Ceci est tellement révolutionnaire que beaucoup doutent de l'application d'une telle procédure. Aucun système de gouvernement actuel n'est parfait, pas même la démocratie. Supposons que, lors d'élections municipales, je désire voter pour un homme dont je connais les hautes valeurs morales, l'esprit de dévouement, la capacité d'administration et le désintéressement, mais que, par malchance, il ne se trouve pas sur la liste électorale, je ne peux pas voter pour lui; ce qui limite singulièrement la démocratie. Toute propagande est interdite. Peut-on s'imaginer un seul instant une période électorale où nos murs resteraient vierges, nos villes intactes et nos médias sans querelles?

Mais comment cela est-il possible? On ne peut connaître tout le monde dans sa ville. Baha'u'llah a prévu pour cela des réunions régulières où hommes et femmes se rencontrent et se consultent au sujet des affaires communes (sorte d'agora moderne). Consultations des plus démocratiques où la communauté avant de passer aux affaires courantes, se recueille. Par la prière, la méditation, la lecture de textes sacrés. Ce qui a un effet bénéfique sur le comportement personnel et 1'ambiance générale. Chacun peut et doit ensuite émettre son opinion. Ces réunions se terminent par une troisième partie dite sociale (éternelle nécessité de lier le spirituel au matériel). Les grand-messes de village ont joué jadis partiellement ce rôle social. Ces réunions permettent donc de se connaître et de resserrer l'amitié des participants.

Les gens capables y sont vite remarqués. Le vote baha'i est une forme de plébiscite où chacun n'est élu que sur sa compétence. Les élus ne sont pas responsables devant leur électorat (le secret du vote et l'absence de partis les empêchent de connaître leurs électeurs), ce qui leur donne la liberté d'agir et supprime le sectarisme inhérent au parti. L'élection reconduite annuellement donne la sécurité à l'électorat. Ces assemblées au niveau local, national et mondial n'ayant pas de chef (un coordinateur est toutefois choisi pour la bonne marche des sessions), c' est la décision qui compte et non ceux qui la prennent. Décision collégiale anonyme éliminant, du coup, corruption et favoritisme. Les élus, individuellement, n'ont pas plus de poids que leurs électeurs. C'est en groupe, lors des décisions, qu'ils ont le pouvoir et alors seulement. Ce qui signifie qu'avec ce système plus aucun individu ne pourra s'approprier le pouvoir la décision doit être respectée, mais le recours est possible.

Les "maisons locales de justice" ont un autre avantage. Tout en étant liées à la Maison Universelle de Justice à travers l'instance nationale, elles prennent des décisions indépendantes ne concernant que leur région. Les différentes communautés du monde deviennent ainsi autonomes.

L'idée de faire entrer le religieux dans les affaires du gouvernement peut paraître suspecte à un peuple qui a séparé Etat et Eglise. Il ne s'agit nullement de remettre une église quelconque au pouvoir, mais d'employer les valeurs morales et spirituelles au service de la communauté la notion de justice, base de tout gouvernement respectable, a de tous temps été liée à l'idée religieuse. A Paris, le Palais de Justice jouxte la Sainte-Chapelle Louis XVI pensa que les devoirs de l'Etat et de la religion ne pouvaient se confondre. Cette façon de penser, toujours en cours, implique que tuer son voisin condamne à la potence, tandis qu'exterminer un maximum d'ennemis fait de vous un héros.

En séparant les pouvoirs temporels et spirituels, la France les a affaiblis tous les deux et leur a fait perdre à chacun leur respect et leur autorité. Au point où, aujourd'hui, les prêtres déboussolés font de la politique et les politiciens de la morale!

Pour avoir voulu diviser l'homme en deux, la société boite.

Lorsque temporel et spirituel s'uniront, politique ne sera plus synonyme d'immoralité. Schématiquement, il existe deux façons de gouverner présentement (hormis les dictatures) la manière occidentale, où chaque parti vient au Parlement pour imposer à tout prix son idée et ne tient compte en aucune façon de ce que proposent les autres sinon pour le démolir (à quoi peuvent bien servir ces débats parlementaires où l'on connaît les résultats d'avance ?) la manière orientale, où il ne faut surtout pas perdre la face! On n'exprime pas tout ce que l'on pense pour ne pas se sentir ridicule au cas où son projet ne serait pas retenu. Avec ces deux styles de procédure, on comprend les insolubles difficultés des négociations entre Américains et Coréens à Pamunjong sur le trente-huitième parallèle pendant la guerre de Corée!

Ils démontrent leurs évidentes faiblesses. Dans les réunions collégiales du futur, les hommes ne viendront qu'avec leurs pensées personnelles pour se consulter et non pas avec des directives à imposer, et chacun devra s'exprimer avec franchise et courtoisie, car l'étincelle de la vérité ne peut jaillir que de la friction des idées. L'opinion une fois donnée appartient au groupe. Il s'agit de trouver la meilleure.

Cela suppose un esprit nouveau. Ceux qui étudient ce plan, dont nous n'avons fait qu'une rapide esquisse, font tous la même remarque: c'est l'idéal mais c'est utopique!

Il est certain que cet ordre administratif aussi simple que complet, ne peut fonctionner qu'avec ceux dont la vie est animée par l'amour et la crainte de Dieu. Seule, la Foi peut l'établir. S'il est inscrit dans les chromosomes de l'histoire, rien ne pourra toutefois empêcher son développement. C'est un système dans lequel des opposés comme l'unité et l'universalité, le pratique et le spirituel, les droits de l'individu et les droits de la société sont enfin parfaitement équilibrés. Non pas par suite d'un savant compromis, mais plutôt par la révélation d'une harmonie intérieure. Ceux qui ont l'expérience de ce nouvel ordre le comparent à un corps humain conçu pour exprimer l'âme qui l'anime. Il fonctionne déjà à travers le monde, à l'état embryonnaire, chez les baha'is.

Plus de vingt-cinq mille assemblées sont élues annuellement sans propagande dans cent quarante-quatre pays. Ces assemblées, composées d'individus de toutes classes et de toutes origines, existent tout aussi bien dans des villes comme Paris et New York (Aux USA, deux Noirs, un Indien et un Chinois siègent parmi les neuf membres de l'Assemblée nationale cette année) que dans la jungle des Guyanes ou parmi les pygmées du Zaïre. L'assemblée mondiale se trouve à Haïfa, en Terre sainte. Car Baha'u'llah, qui y est enterré, a voulu que le centre administratif soit dans le même endroit que le centre spirituel (les chrétiens ont des centres séparés: Rome et Jérusalem) En vue d'unir définitivement temporel et spirituel. Détail important: les gens éligibles sont ceux qui résident sur place. Cela rend justice aux immigrés dont on accepte ailleurs les bras mais pas la pensée.

Grâce à ce réseau d'assemblées englobant toute la planète, chacun pourra se faire entendre par des voies pacifiques (ce qui est impossible présentement): l'idée d'un simple individu pourra profiter rapidement à tous. C'est au cours des rencontres communales régulières que chacun peut émettre son opinion. Tous les dix-neuf jours, c'est-à-dire le premier jour de chaque nouveau mois baha'i. La révolution persane comme la française a apporté un nouveau calendrier (dix-neuf mois de dix-neuf jours, plus quatre ou cinq jours intercalaires pour être en accord avec l'année solaire). Car aucun peuple ne voudra accepter celui des autres pour vivre à la même date. Un calendrier unique est pourtant indispensable dans un monde unifié. Le trésor national ne recevra pas l'impôt des individus comme c' est le cas à présent, mais des communautés locales

C'est celles-ci qui prélèveront l'impôt, car là se posent d'abord les problèmes quotidiens. Ce qui éviterait les mouvements de fonds inutiles et le gaspillage. Le plan de Baha'u'llah prévoit non seulement le respect des minorités mais leur mise en valeur. Dans les Andes boliviennes, des villages entiers commencent à vivre selon ces nouvelles règles.

Quand je passai dans ces montagnes en 1968,je fus atterré par la saleté des bébés et l'odeur répugnante des gens. L'attitude soumise des Indiens, ces descendants des fiers Incas qui, depuis Pizarre, ont été violés et spoliés systématiquement me bouleversa. Ils baissaient constamment la tête et n'osaient me regarder. Une amie m'a rapporté qu'il est réconfortant de voir la fierté des Indiens qui ont accepté le message rédempteur du Persan: ils ont retrouvé leur dignité (et l'hygiène corporelle est entrée dans leurs moeurs).

Pour la première fois depuis la colonisation, les peuples incas de Bolivie, du Pérou et de l'Equateur se sont réunis dans leur ancienne capitale, Cuzco, en août 1975, pour une conférence "baha'ie" uniquement conduite dans leur langue, le Quechua(Depuis 1978, les Andes possèdent la première station de radio baha'ie du monde à Otavalo (Equateur). Une deuxième a été mise en service à Puno (Pérou) en 1980)

En août 1978, s'ouvrit une autre conférence, cette fois-ci pour les peuples de culture aymara, qui vivent aussi dans les Andes autour du fameux lac Titicaca. Egalement, pour la première et seule fois de leur histoire, ces Aymaras purent se rencontrer et se consulter dans leur langue au sujet de leur bien-être spirituel et pour étudier sérieusement comment améliorer la vie quotidienne des villages. Une ancienne tradition aymara dit qu'un jour des Blancs viendraient du lac Titicaca pour imposer brutalement leur culture. Puis qu'un autre jour d'autres Blancs viendraient également du lac, mais cette fois-ci, pour les guider sur le chemin du bien-être.

Abdu'l-Baha donnait une grande importance à "l'enseignement" de ces peuplades. Il comparait les aborigènes d'Amérique, les Indiens du Sud comme du Nord, aux tribus sauvages d'Arabie avant l'apparition du prophète. Dès qu'elles furent éclairées par son message, elles devinrent des flambeaux pour le reste du monde. Il écrit que "de même, si ces Indiens étaient éduqués et guidés, il n'y a pas de doutes qu'à travers les enseignements divins ils deviendraient si brillants qu'ils pourraient, à leur tour, illuminer toutes régions".

La structure baha'ie fournit aux Africains les moyens de devenir vraiment indépendants en leur laissant le pouvoir de décision, le droit de gérer leurs affaires.

Un coopérant français athée enseignant en Iran avait remarqué que, dans ses classes, les écoliers baha'is se distinguaient radicalement des autres. "Ils sont propres, polis, et arrivent toujours à l'heure", disait-il admiratif. Fidèle aux nobles idéaux de la révélation, la communauté baha'ie d'Iran, tout juste tolérée et persécutée à nouveau (Voir les grands quotidiens français actuels et la presse internationale au sujet de ces persécutions. Ce très grave problème est traite dans le chapitre XVII), a complètement déraciné l'analphabétisme chez elle en appliquant le principe de l'éducation obligatoire. Elle se distingue par son éthique du travail. L'égalité des droits pour les deux sexes y est strictement appliquée. En Inde, dans les villages où la Foi baha'ie est acceptée, on commence par bâtir une école et on cherche à améliorer l'agriculture. Un grand projet de développement rural fonctionne depuis 1975 dans la région de Panchgani. Car, il faut reconnaître que si ce message n'avait aucun effet pratique, il ne vaudrait pas mieux que le flot des paroles courantes parmi les hommes. L'essence de la religion est peu de paroles et une abondance d'actes.

J'ai constaté partout combien ce message régénère et transforme les individus, quelles que soient leur classe, leur couleur ou leur nationalité.

Grâce à lui, j'ai vu un ancien musulman fanatique refusant de manger avec tout "infidèle" ou même de se laisser toucher par son ombre Impure embrasser joyeusement juifs et chrétiens.

A Bornéo, j'ai rencontré un jeune sikh méprisant les autres religions transformé au point de fraterniser avec tous ses semblables.

En Ethiopie, les habitants de villages séculairement ennemis se réconcilient. Le pouvoir de régénération est là. Le plus grand miracle de Baha'u'llah est d'unir les hommes.

Charles Péguy aimait à dire que "tout commence en mystique, tout finit en politique".

Le monde est mal gouverné. Les systèmes religieux et politiques désuets et périmés demandent un renouveau. L'avenir se construira d'autant mieux que nous saurons rechercher ce qui a valeur d'éternité.

Si les baha'is ont un plan aussi parfait, que font-ils donc concrètement ?

Dans l'immédiat, leur nombre les restreint à des actions peu visibles. Dans le futur, ils prévoient de bâtir au coeur de chaque ville ou village, autour de la "maison d'adoration" un ensemble de constructions à fins sociales: orphelinat, hôpital, maison de retraite, école centre de recherche scientifique, auberge pour les itinérants, etc. Le but principal de cette Foi étant de servir l'homme de façon pratique, sociale. Les temps sont mûrs pour concrétiser les nobles idéaux enseignés depuis toujours. Bien sûr, il y a eu dans le passé des exemples d'oeuvres sociales suscités par les grandes religions et même certaines sectes. La fameuse Sécurité sociale n'aurait-elle pas pris racine dans le "sermon sur la montagne" ? Où le Christ préconisait de s'occuper des pauvres, des déshérités, des malades. De nombreuses communautés chrétiennes élevèrent hospices et orphelinats. L'idée de soigner tout le monde a cheminé. Beaucoup d'Etats la font leur, après vingt siècles d'existence. Dans les écrits persans, l'entraide a force de loi et n'est plus laissée à la seule bonne volonté de quelques âmes dévouées. C'est la communauté qui est responsable du bien-être de tous.

Les efforts, quoique louables, des politiciens et technocrates restent vains parce qu'ils s'attaquent aux effets et non à la cause du mal.

Les baha'is pensent que le sang du corps de l'humanité est vicié. Que chaque cellule du liquide nourricier doit redevenir saine pour éliminer les toxines provoquant éruptions et malaises. Tant que chaque individu, représentant une cellule de ce sang, sera intoxiqué, le malaise général continuera. Les baha'is, pour l'instant, cherchent à se régénérer pour devenir des éléments sains indispensables au nouvel ordre mondial qu'ils établissent parallèlement petit à petit. Ils n'ont aucun pouvoir réel présentement, même s'ils détiennent le "pouvoir potentiel". Car tout ce qui se fait de progressiste aujourd'hui paraît sourdre de leurs écrits. Consciente ou non, toute l'humanité participe au double processus de désintégration et construction préliminaire de la civilisation mondiale.

Souvenons-nous de l'effondrement de Rome au IVe siècle. La société établie fut plongée dans un désordre indescriptible par les invasions barbares ou allèrent se réfugier les citoyens? Ou trouvèrent-ils des institutions aptes à les recueillir? Sinon dans ces "églises" établies silencieusement par des humbles. Des hommes sans pouvoir louant l'amour de l'ennemi et la non-violence à l'ère où, seule, la force brutale du glaive comptait. Ces chrétiens qui ont triomphé contre toute apparence.

Ne serait-il pas judicieux de se demander, à une époque ressemblant étrangement à celle de la chute de Rome, si des institutions quelque part, silencieusement, ne sont pas en train de s'ériger, institutions qui, dépassant toutes barrières de classes, de couleurs, de nationalités, de croyances, seraient capables de recueillir le monde en désarroi?


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