Le prisonnier
de Saint-Jean-d'Acre
Par André Brugiroux, célèbre
globe-troteur ayant parcouru le monde en auto-stop
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Chapitre 15. MON CHEMIN
Je suis né en France à 1'ombre d'un clocher.
Sans mon consentement, j'ai été baptisé, confirmé, confessé, communié. Je ne
pensais pas à remettre les choses en question, j'essayais plutôt de m'y adapter.
L'esprit de contestation n'existait pas. J'attribuais ce qui me paraissait bizarre
et incompréhensible au fait d'être trop jeune. Depuis les années soixante, c'est
différent : les enfants questionnent et veulent des réponses satisfaisant.
Elevé dans une famille ouvrière "pratiquante", je croyais donc avec sincérité,
"charbonnièrement". J'ai dû attendre la trentaine, les années soixante, la rencontre
avec les hippies de Haight Ashbury pour abandonner mon "conservatisme". Mes
tabous. Tâche difficile, car, mal informé par la presse, j'avais d'abord eu
peur de ceux-ci.
Parti de France à dix-sept ans en "bon catholique", je me suis retrouvé en Ecosse
plongé d'emblée dans le "péché" (selon les critères de "Sainte Mère l'Eglise").
La raison en était simple, il n'y avait pas de messe le dimanche, les Ecossais
sont protestants! Impossible d'y assister. Cas de force majeure, pensais-je,
le Bon Dieu pardonnera. En Espagne, pays suivant, je fus pris de dégoût pour
le catholicisme officiel tout-puissant. On m'avait demandé de spécifier ma religion
à la frontière sur les formulaires de douane (pratique encore courante dans
les pays musulmans). Là, les messes ne manquaient pas, mais la non-assistance
faisait juger sévèrement et pouvait priver de travail! Franco paradait sous
un dais comme la Vierge les grands jours de fête. La confession à ciel ouvert
augmentait l'humiliation du pénitent. Les Offices dominicaux se déroulaient
dans le cliquetis continuel des éventails de ces dames en mantilles, tandis
que les hommes, rejetés sur le parvis, s'entretenaient de taureaux et de football.
La pompe et l'hypocrisie m'ont conduit à renier l'églisianisme. En conséquence,
je niais Dieu. J'avais vingt ans, l'âge des grandes questions. Les philosophes
existentialistes étaient à la mode, mais leurs écrits manquaient de joie. Il
manque un je ne sais quoi à l'athée, il ressemble à la branche morte de l'arbre.
Je cherchais le bonheur. Ce n'est pas la mode mais la vérité qui m'intéresse.
Suivit un séjour de deux ans au Congo. Quoique fasciné par la magie du vaudou
africain, l'animisme ne pouvait me satisfaire. Au retour, à l'escale de Niamey,
je fus impressionné par un musulman priant dans la rue sans se préoccuper du
trafic. La dévotion était la même, mais la décadence et le fanatisme que j'allais
découvrir par la suite dans les pays musulmans ne pouvaient m'encourager à le
devenir.
En Allemagne, où catholicisme et protestantisme se partagent la population à
l'amiable, j'aurais voulu aller chez les protestants plus près du Livre. Le
message du Christ, oui, l'Eglise, non. Mais les sectes s'y comptent par centaines
(laquelle choisir?), et l'air sévère et austère du protestantisme me gêne.
En Italie, où je séjournais ensuite deux ans, ce n'était pas très sérieux. Peppone
allait se signer à l'église avant d'aller à la réunion du parti! Plus tard,
les doctrines hindoues, belles, tolérantes et élevées, apportaient la joie que
je cherchais. Elles me parurent cependant trop confuses. Je ne m'y retrouvais
plus dans le labyrinthe de leur panthéologie! Il me fallait une vision claire.
De plus, le désastreux état économique de l'Inde a de quoi faire réfléchir.
La religion doit être non seulement la cause du bonheur des individus, mais
aussi du bien-être des peuples. Le "folklore" des sectes à la mode n'offre rien
de sérieux.
Quant aux juifs et aux parsis, ces minorités actives et brillantes, ils n'acceptent
plus personne de l'extérieur, ou avec des difficultés décourageantes. Comme
dans la plupart des autres religions, ils s'embarrassent de règles surannées.
J'aurais finalement voulu être bouddhiste. La doctrine de Gautama, nuancée,
plus raffinée que celle du Christ (parce qu'il apparut dans une civilisation
plus avancée), me séduisit en Thaïlande. Elle supprimait la pénible notion chrétienne
de péché et n'avait jamais engendré de guerre. Mais le bouddhisme, à l'instar
de toutes les grandes religions du passé, est divisé. Atteignant le sommet de
l'exubérant avec le tantrisme tibétain. Un séjour chez les bonzes me fit comprendre
que l'esprit n'y était plus, que l'on agissait selon la lettre. Que la doctrine
était certes merveilleuse pour l'individu, mais ne prévoyait rien au niveau
collectif. Que, finalement, comme dans les autres religions, la main de l'homme
dominait plus que la pensée directrice du fondateur.
Mais l'homme ne peut s'épanouir sans une cause. Il ne peut cheminer sans direction.
J'avais besoin d'une pensée en accord avec la raison et l'époque. Une force
de joie et non des principes restrictifs. Je cherchais la liberté. La méthode
pour me libérer. Un philosophe ne pouvait me satisfaire, car il s'adresse à
la raison seulement. Et sa vie n'inspire guère. Ma propre inspiration ne pouvait
suffire. Comme Mulla Husayn errant dans le Fars en quête du Promis, mon long
voyage n'a été que la recherche d'un grand éducateur moderne. J'ai dû tout abandonner,
connaître le "désert" et, sac au dos, pendant des années fouler et dormir sur
le sol des cinq continents pour atteindre mon but. Quête inconsciente au départ,
mais motif Sous-jacent de cet ardu périple. J'étais arrivé à la conclusion que
l'essence des religions est une, que le même Dieu les inspire. Mais alors, pourquoi
tant de religions? Quel était leur lien ?
Au Canada, tremplin économique de mon tour du monde, je découvris dans le Toronto
Daily Star du 4 mai 1926 le témoignage bouleversant de la reine Marie de Roumanie:
"C'est un merveilleux message que Baha'u'llah et son fils Abdu'l-Baha nous ont
donné. Ils ne l'ont pas fait de manière agressive sachant que le germe de la
vérité éternelle qui s'y trouve ne peut que prendre racine et se développer.
Il ne contient qu'une seule vérité: l'Amour, ressort de toute énergie, la tolérance
réciproque, le désir de compréhension mutuelle, se connaître les uns les autres,
s'aider, se pardonner. C'est le message du Christ renouvelé, presque dans les
mêmes mots, mais adapté aux mille ans et plus de différence séparant l'an 1
d'aujourd'hui. Personne ne peut manquer de s'améliorer à cause de ce livre.
Je vous le recommande à tous. Si jamais les noms de Baha'u'llah ou d'Abdu'l-Baha
arrivent à votre attention, ne rejetez pas leurs écrits Etudiez-les et laisser
leur leçon et mots glorieux, porteurs de paix et créateurs d'amour, pénétrer
dans vos coeurs comme ils ont pénétré dans le mien".